NUMÉRO 14 // JUIN-JUILLET-AOÛT 2015
La route Hubert DeLisLe
IN KOLI JEAN BOFANE
La Namibie
CARRÉ
BAT’
CARRÉ
BAT’ le mag www.batcarre.com
4 8 18 22 28 34 38 46 56 60 64 70 76 78 80
ÉVASION CULTURELLE ÉVASION BEAUX LIVRES AU COEUR DE L’ÎLE SCÈNES DE VIE SUR LA ROUTE HUBERT DELISLE BEAUX-ARTS DES CHIMÈRES DANS LA CITÉ COULISSE ROUV’ LA KAZ, COUP DE PROJECTEUR EN COULISSE OCÉAN INDIEN LE CANAL DES PANGALANES ESCAPADE ESCAPADE NAMIBIENNE RENCONTRE IN KOLI JEAN BOFANE, GRAND PRIX DU ROMAN MÉTIS 2014 VOYAGE-VOYAGE NAMIBIE, UN PARADIS TOUT PRÈS D’ICI SUR LES PLANCHES KARTIÉ BOINOIR, LILÈT ZINZIN SPECTACLE BBEALS, POÉSIE CONTEMPORAINE D’ÉRIC LANGUET CINÉMA LES PRÉMICES DU FESTIVAL DU FILM D’AFRIQUE ET DES ÎLES TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES PORTFOLIO PAPILLES EN FÊTE ANANAS RÔTI ET SES TUILES CROUSTILLANTES HORIZON SPECTACLE GRANDIOSE AU PITON DE LA FOURNAISE HOMMAGE SALIM HATUBOU, LE CONTEUR COMORIEN VIT MAINTENANT AU CŒUR DE L’UNIVERS
Tous droits de reproduction même partielle des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.
Couverture Photographie DR Éditeur BAT’CARRÉ SARL trimestriel gratuit Adresse 16, rue de Paris 97 400 Saint-Denis Tel 0262 28 01 86 www.batcarre.com ISSN 2119-5463
Directeur de publication Anli Daroueche Directrice de la rédaction Francine George francine.george@batcarre.com 0262 28 01 86 Rédacteurs Marc Lanne-Petit, Jean-Paul Tapie, Dominique Louis, Stéphanie Légeron, Francine George
Directeur artistique P. Knoepfel, Crayon noir atelier@crayon-noir.org Photographes et illustrateurs Emmanuel Blivet Jean-Marc Grenier Little Shao Sébastien Marchal Jean-Noël Enilorac Gaëtan Hoarau Serge Marizy Hippolyte Bruno Marie Philippe Moulin
Secrétaire de rédaction Aline Barre
Développement web New Lions Sarl
Création & exécution graphique Crayon noir
Publicité Francine George : 0262 28 01 86
Vifs remerciements à François, agence Madiza tours Benoît Vantaux, l’Atelier de Ben In Koli Jean Bofane, prix du roman métis
Distribution TDL Impression Graphica 305, rue de la communauté 97440 Saint-André DL No. 5565 - Novembre 2013
L ’ É D I TO
Du nouveau et toujours l’envie de découvrir, aux frontières d’ici et d’ailleurs, ce qui vaut la peine d’être vécu, la vie de tous les jours qui construit les belles personnes. Scènes de vie, donc, sur la route Hubert Delisle, scène métaphorique du quartier Patate à Durand, scène de théâtre pour un quartier de Saint-Joseph, scènes bucoliques sur le Canal des Pangalanes, scènes de la vie sauvage en Namibie, scènes de la vie en temps de guerre à Kinshasa décrite par In Koli Jean Bofane dans Congo Inc., Grand prix du Roman Métis, scènes du volcan en éruption pour la deuxième fois cette année…
Après un tour d’horizon dans les TAAF, nous concluons ce numéro par un hommage au poète comorien Salim Hatubou disparu récemment. Bonne découverte !
Francine George
Deux adresses maintenant pour suivre en direct votre magazine BAT’CARRÉ. www.batcarre.com batcarre974
Saint-Pierre 53, rue François de Mahy 9h00-18h30 Journée continue Saint-Paul 4, rue Evariste de Parny 8h30-12h30 et 14h-18h
Prix Métropole
Saint-Denis 56B, rue Victor Mac Auliffe 9h00-19h00 Journée continue
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É VA S I O N B E A U X L I V R E S
Ce bel album de portraits est dédié à l’atelier P’tit Prins - comité de La réunion de la Ligue contre le cancer - créé par Jacqueline bourgeat et Claude bénard-Pillier qui, avec leur équipe de bénévoles, s’occupent d’enfants hospitalisés au CHu de bellepierre à saint-Denis. Les photos en noir et blanc et l’originalité des prises de vue mettent en lumière des réunionnais emblématiques de leur domaine, les arts, le sport, l’entreprise, le social, la politique. ils sont tous sublimés sous le regard de Coco. au détour d’une mise en page aux couleurs pimpantes, les dessins d’enfants viennent rappeler l’essence généreuse de cet ouvrage. un magnifique cadeau à offrir aussi souvent que possible, car l’intégralité des fonds recueillis est reversée à L’atelier P’tit Prins.
L’ÉTOILE DES DODO AUTEUR COCO ÉDITIONS DU BOUCAN
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É VA S I O N B E A U X L I V R E S
Cette année, plus encore que d'habitude, du 23 au 25 mai, les écrivains et cinéastes invités du Festival international du livre et du film Étonnants Voyageurs vont s'interroger sur les questions brûlantes d'actualité après les attentats de Charlie. ` « La France une et plurielle » sera donc au centre des multiples débats, cafés littéraires et tables rondes. Plus de 250 écrivains vont sillonner saint-Malo et ravir les festivaliers venus les découvrir ainsi que la centaine de longs et moyens métrages diffusés. Pour fêter les 25 ans de cette si belle aventure littéraire, les éditions Hoëbeke sortent un collectif de cinquante-six auteurs qui « disent l’inconnu du monde qui vient ».
une belle revue sur l’océan indien voit le jour sous l’angle novateur et esthétique de romain Philippon. Dans ce premier numéro, le temps s’est arrêté au tremblet, village de la commune de saint-Philippe dans le sud de l’île. en résidence pendant sept jours, les photographes invités et le rédacteur sont allés à la rencontre des habitants qui ont témoigné de leur quotidien autant que de leurs aspirations. une sorte de carnet de voyage mettant en lumière les frontières de l’insolite. Le résultat, un beau livre de 96 pages avec une couverture cartonnée souple et des trésors qui existent juste à côté de chez nous !
ÉTONNANTS VOYAGEURS
FRAGMENTS
25 ANNÉES D’UNE AVENTURE LITTÉRAIRE
REGARDS PHOTOGRAPHIQUES SUR L’OCÉAN INDIEN
AUTEUR COLLECTIF
PHOTOGRAPHIE MORGAN FACHE, ÉRIC LAFARGUE, ROMAIN PHILIPPON, ANTONIO PRIANON
ÉDITIONS HOËBEKE
RÉDACTEUR COLLECTIF ÉDITIONS HOËBEKE
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P U B L I - R E P O R TAG E B AT ’ C A R R É
Nouveau au 80, rue Juliette Dodu, un corner happiness dédié au chef Nicolas Vahé.
RÉVEIL GOURMAND
COFFRET LUDIQUE
DÉLICES DE MIDI
Le Danemark où réside le chef cuisinier et pâtissier français Nicolas Vahé a été élu cette année pays le plus heureux du monde. C’est dans cette atmosphère bienveillante où le design est roi que Nicolas Vahé développe depuis 2007 une gamme d’épicerie fine et d’accessoires pour sublimer toutes nos envolées culinaires.
Alliance de design et de matériaux bruts, les accessoires de Nicolas Vahé ne cessent de nous surprendre, comme ces mugs permettant d’emporter avec soi un café qui reste chaud. Et que dire de cette bouteille transparente qui, de manière insolite, s’invite à table avec le dessin d’un porteur d’eau tout nu… mais vu de dos !
Petit aperçu de la gamme salée, une vaste mélodie composée de pesto, d’appetizer, de confit, de chutney, de préparations à la truffe pour le déglaçage, d’huile au piment oiseau, de vinaigrette aux herbes, de sels au wasabi et au sésame, de Ketchup dans une bouteille vintage, couleur safran, saveurs méditerranéennes… Du basique, du classique, de l’audace !
Le propos de Nicolas Vahé est de stimuler autant le regard que les papilles et surtout, de faire plaisir. Il a ainsi conçu de belles boîtes cadeaux à composer soi-même avec des saveurs sucrées ou salées selon l’humeur du jour.
La gamme sucrée n’est pas en reste, miel à la lavande, confiture passion coco, spreads chocolat-orange, sirops de café à la vanille, cacao au gingembre, fondues au chocolat blanc et framboise, thé au caramel, sachet de café accompagné d’une cuillère à pince doseur… Du subtil, du raffiné, de l’intemporel !
Le 80 80, rue Juliette Dodu Saint-Denis - 0262 20 15 16 Ouverture du mardi au samedi 10h-12h30 et 14h-19h
Scènes de vie sur la route Hubert Delisle TEXTE
& PROPOS RECUEILLIS PAR MARC LANNE-PETIT & RENCONTRES EMMANUEL BLIVET
PHOTOGRAPHIE
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AU CO E U R D E L’ Î L E
Là-haut, à 800 mètres, la vie est à la fois
Une vie dans les hauts, c'est à l'image de tous
commune et singulière. C'est une frontière,
ces personnages rencontrés par Emmanuel
une ligne de vie, qui sépare et rassemble à la
Blivet, une vie de contrastes, un éloignement
fois. Toute personne qui emprunte ce bout
pouvant apparaître comme rude, mais une
d'asphalte de 35 km ressent cette différence.
douceur de vivre toute particulière. On pour-
En serpentant entre cases, boutiques, bars et
rait songer à l'ennui, mais cette route est
ravines, une Réunion tout à fait authentique
vivante, vivante de toutes ces personnes qui
se déroule sous nos yeux. C'est le long de cette
la parcourent tout au long de la journée,
route Hubert Delisle que le photographe
personne ne reste enfermé chez soi sur la route
Emmanuel Blivet a posé son regard, sa sensi-
Hubert Delisle. La solidarité est une évidence
bilité et dont le résultat est une belle exposition
et tous ses habitants nous transmettent avec
intitulée « Sur la route ».
leurs mots ce sentiment qui les lie d'une façon si singulière à cette route.
Du Guillaume au Plate, de toutes les voies de l'île, elle est de celles qui ont façonné l'espace et les gens. Construite par le premier gouverneur créole Louis Henri Hubert Delisle, elle visait à désenclaver les hauts en amenant une vitalité économique nouvelle. Tout le long de ce chemin, la tradition se distille accompagnée des senteurs de géranium, des champs de canne et des cultures maraîchères. Les lieux-mêmes portent des noms chantant la nature, de Tan rouge à Palmistes en passant par Cap Camélias. Elle est également une frontière physique et climatique. La matinée au bord de cette route est ensoleillée, puis la brume étreint le paysage, les après-midi nourrissent souvent les plantes pour libérer à nouveau le soleil et profiter de son couchant au loin, là, en bas, sur la mer.
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AU CO E U R D E L’ Î L E
F R A N C e B Avo l / TRoIS-BASSINS
« Lorsque je n'ai rien à faire à la maison, je viens prier et nettoyer la croix en empruntant cette route. » « lontan, la route était en terre. C'était un petit chemin. on ne descendait jamais dans les bas, seul le bus Boyer faisait le trajet. Si on avait besoin d'aller au petit hôpital de Saint-Paul, il fallait souvent remonter à pied. Marmaille, j'aidais mon papa à planter et cultiver le géranium, on marchait 3-4 km jusqu'à la forêt et on le ramassait. Quand il pleuvait, la route était boueuse et on rentrait pieds nus avec les fagots sur la tête. on le distillait et on allait à Trois-Bassins pour avoir un peu de monnaie. on préparait aussi un peu de rhum marron. Mon frère avait un grand terrain aux Palmistes pour travailler le géranium aussi. Tous les jours, je faisais le chemin à pied, du lundi au samedi, alors on prenait un petit canon à l'arrivée. Dans mes bons souvenirs, il y a les soirs de mariage, on allait à la salle verte par la route pour le bal, pour faire la fête. en 54, je suis allée travailler à St-Denis, chez Adélis, j'y suis restée vingt ans et puis je suis remontée. Je préfère les Hauts, c'est ma vie ici. »
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JeAN-MARC luCAS / l e P l AT e
« Toute ma vie s'est construite dans les Bas, mais mes racines sont dans les Hauts. » « Je suis né au bord de la route Hubert Delisle et j'habite maintenant au même endroit après avoir vécu à St-Denis et à la Saline. lorsque j'avais 10 ans, j'allais à l'école de Piton à pied avec mes quatre frères et soeurs en prenant le sentier en face de la maison qui traversait les champs de canne. on descendait 4 kilomètres, mais le plus dur était le retour, la remontée. on mâchait quelques cannes pour se donner de l'énergie. Au retour, maman préparait des patates pour le goûter. Ma grande soeur était chargée de la répartition égale du manger. C'était bon, le soir venu, à la lumière de la lampe à pétrole, il y avait encore de la place pour le dîner. Quand on est jeune, on a faim et on mange beaucoup. À 18 ans, je suis parti dans les bas et j'y suis resté jusqu'à mes 65 ans. Toute ma vie s'est construite dans les bas, mais mes racines sont dans les Hauts, alors il était évident que j'y retourne. Ici on a du calme et de la tranquillité. la solidarité est toujours présente même si on voit que chacun devient plus individuel. Tout le monde a une voiture maintenant, lontan, c'était plus rare, il fallait prendre le bus. en 56, les premiers bus sont arrivés au Plate, les bus Patel. Dans les années 50, il y avait un peu plus de 300 familles et maintenant, avec l'urbanisation, il y en a beaucoup plus. Mais les lieux restent calmes et tranquilles, reposants. »
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AU CO E U R D E L’ Î L E
eMellA CADeT (MlA) / NoTRe DAMe DeS CHAMPS
« La route Hubert Delisle représente l'artère principale de notre beau quartier. Les commerçants qui bordent cette route y sont les vaisseaux qui donnent vie à notre petit village. » « la route Hubert Delisle est pour moi si attachante par son rôle de point de rencontre entre les habitants. en tant qu'artiste dans ce petit quartier de la Chaloupe, c'est un réel plaisir de croiser les gens autour de moi, mes premiers fans. Ce bord de route représente avant tout le partage, la rencontre, la convivialité et la gentillesse des gens des Hauts. Tout le monde se connaît plus ou moins et c'est toujours un plaisir de se croiser dans les diverses boutiques et bazars qui sont essaimés sur cette route. la vie des Hauts est pour moi une vie plus simple, une convivialité naturelle entre les gens, peut-être parce que le quartier est un peu en retrait. C'est ce qui change de la vie dans les Bas. Je parcours souvent cette route pour aller de Notre-Dame des Champs à Saint-Christophe et s'il y a un moment qui reste gravé dans ma mémoire, c'est celui lié à la sortie de mon album Alo Mme Aude. C'est avec plaisir que j'entends les gens dire « Hey, c'est Mme Aude ! » lorsqu'ils me croisent le long de cette route. »
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MARIe ANGe BoyeR / l e P l AT e
« Lontan, je me souviens des camions qui venaient déposer des grosses roches pour faire la route.On aidait, on travaillait dessus, car ça donnait une petite monnaie. »
« en contrebas de la route, il n'y avait pas encore de canne à sucre, c'étaient plutôt des galaberts, des bringeliers et des grévilleas qui poussaient grâce à des pluies importantes. Je me souviens, étant jeune, on prenait cette route avec mon père pour faire les bardeaux des maisons lontan. Je souhaite aussi raconter des histoires des hauts à mes petits-enfants. De mes parents jusqu'à mes enfants, tout le monde a toujours vécu ici. les Hauts, le Plate, ce sont nos racines. Autrefois, on travaillait pour l'usine de Stella Matutina, mais quand elle a fermé, des concessions ont été données en priorité aux journaliers. C'est comme cela que nous avons eu et que nous avons toujours cinq hectares. Maintenant, je vais passer la main à mes enfants et ils travaillent déjà la terre aussi. Mes amis sont aussi dans la terre et c'est elle qui nous lie à cet endroit. Nous y sommes très attachés même si c'est parfois difficile. »
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AU CO E U R D E L’ Î L E
ANDRÉ HoARAu / CAP CAMÉlIAS
« C'est une belle route, je vis à côté depuis l'âge de 7 ans, j'ai grandi là même, j'y ai vieilli et je bois, je mange, je dors toujours là ! » « lontan, je suis aussi parti dans les bas pour travailler. Pendant trois mois, je descendais tous les matins à St-Gilles-les-Bains et je remontais tous les soirs. Mais ce que j'aime, c'est les hauts, c'est cette route. C'est le pays que mi
aime. Il fait plus frais, mais c'est mieux. en bas, quand il fait chaud, on est bien ici, et l'hiver, je prends une couverture, mi rentre dessous, mi
dors bien. Depuis que je suis là, il y a bien quatre à cinq fois plus d'habitants, mais ça reste calme, sur cette route, la point de désordre. Ici on peut vivre, les jeunes peuvent trouver du travail. »
J o N AT H A N M o I S S o N / P A l M I S T e S
« Mon père a grandi ici, mes ancêtres sont enterrés là. Je suis leurs traces. Ici, il ne nous manque rien. » « Nous avons la chance d'avoir une multitude de cultures comme le manioc, les mangues, la patate douce, les fruits de la passion sauvages ou le miel. Nous échangeons encore beaucoup ici, et quand il n'y en a plus, il y en a encore. C'est une route à la fois simple et unique. Il suffit d'être curieux de ses habitants et venir la visiter. Ici il y a tout pour être heureux. Il faut mettre cette route et sa culture en l'air. »
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GeoRGe MICHel PoNIN / TRoIS-BASSINS
« Mes grands-parents ont habité ici. Après avoir passé quelques années dans les Bas, je suis moi-même remonté dans les Hauts pour quitter l'ambiance de la ville, retrouver la fraîcheur et la qualité des relations humaines. » « J'ai fait 2-3 ans dans les bas, mais ça ne me plaisait pas vraiment. Tout le monde est làhaut, toute ma famille est ici, personne dans les bas, ils me manquaient tous. Mes parents avaient un terrain ici, on habitait plus bas, mais depuis, on a construit ici. Mes propres enfants sont ici, sauf ma fille qui est partie à Toulouse. y manque à li la Réunion, y
manque à li Trois-Bassins. Depuis tout petit, j'ai vu cette route se modifier, se peupler, se développer, tout en restant dans l'esprit des hauts. Tout le monde se connaît, s'entraide. S’il vous manque un petit quelque chose, il suffit de demander au voisin, un brède,
un nafèr, n'importe quoi. le dimanche, on prépare souvent un piquenique et on monte encore sur le chemin du Mont Bénard. on descend rarement, parfois sur le port de St-leu, l'hiver, c'est tout. »
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AU CO E U R D E L’ Î L E
MARlèNe ANGo / le GuIllAuMe
« On connaît tous les voisins, tous les travailleurs, c'est pour cela que l'on est heureux dans les Hauts, heureux de moins de frénésie. » « Pour moi, cette route est un noyau important pour les hauts. Je suis née ici, j'ai grandi ici, mes parents aussi et mes grands-parents. Cette route, c'est toute l'histoire de notre famille. À chaque fois que l'on descend dans les Bas, on a besoin de remonter, j'aime l'endroit où je suis. Je suis dans la terre, mes parents travaillaient le géranium et j'ai repris le flambeau. Quand on est en haut, on a une vie calme, on
« Depuis la rénovation de la route Hubert
travaille, on est tranquille, mais dans les Bas,
Delisle, dans les années 60, les planteurs ont
tout va vite, les voitures, le monde, la vie.
développé la culture du géranium. le géranium
De nombreuses choses ont bien changé. Dans
est une plante aromatique et médicinale. C'est
les années 50, la route n'était pas bitumée, pas
une plante fragile. Il faut beaucoup d'entretien
de radier, pas de fossés il n'y avait pas grand
surtout en période cyclonique. Depuis cinquante
monde, c'était difficilement praticable. Je me
ans, mon père plante le géranium, il reste un
souviens quand il fallait marcher sous la pluie,
des derniers planteurs. en travaillant avec lui,
certains jours, on ne pouvait pas du tout sortir.
j'ai eu cette passion de planter et de cultiver le
Depuis que les radiers ont été creusés, les gens
géranium pour en extraire l'huile essentielle,
se sont mis à construire, habiter, à rechercher
avec un parfum qu'on appelle l'huile de géra-
aussi ce calme, cette proximité, cette com-
nium. C'est une matière première qu'on utilise
munication avec l'autre. on connaît tous les
en parfumerie ou en cosmétique. Aujourd'hui,
voisins, tous les travailleurs, c'est pour cela
il reste très peu de planteurs, nous souhaite-
que l'on est heureux dans les Hauts, heureux de
rions que la culture du géranium soit plus
moins de frénésie. »
valorisée. Pour cela, il nous faudrait des aides pour que les jeunes puissent prendre la relève et garder ce patrimoine agri-culturel de la Réunion. »
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B E AU X-A R T S
TEXTE FRANCINE GEORGE ILLUSTRATION JEAN-MARC GRENIER
Des chimères dans la cité
Retour de pêche des rois mages Jean-Marc Grenier rend un très bel hommage à ces pêcheurs nostalgiques qui portent leurs filets en procession comme s’ils allaient, en beaux rois mages, remettre leurs offrandes nourricières aux habitants du quartier Patates à Durand.
Soutenu par La Fabrik, le photographe Jean-Marc Grenier a entrepris une très belle démarche artistique au cœur de la ville. Au fil du temps, il a su capter les rêves et les aspirations des habitants du quartier Patates à Durand qui lui ont fait confiance. De là est né Mythologies, un hommage onirique sous forme de tableaux photographiques qui raconte l’épopée extraordinaire des relations de l’homme à son environnement. De scène en scène, la métamorphose s’accomplit en créant ainsi un formidable lien social où chacun est le héros d’une fresque collective qui raconte l’histoire du quartier de Patates à Durand.
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P U B L I R E P O R TAG E
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COULISSE
Rouv' la Kaz Coup de projecteur en coulisse TEXTE MARC LANNE-PETIT PHOTOGRAPHIE LITTLE SHAO
Les deux femmes à l'origine de ce projet atypique : Mélisande Plantey, directrice du festival Danse Pei et Céline Amato, chorégraphe et directrice de la compagnie Artefakt entre autres nombreuses casquettes, et qui porte chacun des 13 groupes de cette édition, de la rencontre jusqu'au spectacle. Un concept plein d'originalité et de générosité : ouvrir, l'espace d'une soirée, plusieurs lieux privés d'un même quartier et y montrer un court spectacle conçu pour chacun de ces lieux, avec l’idée de partager ces moments rares avec les habitants du quartier et avec les festivaliers de Danse Pei. La parole est aux acteurs et aux danseurs de ce projet. Florilège.
eN PISTe PouR le PReMIeR TouR
U
n portail vert, une grande case en bois
un trio, deux duos et un solo. « on est tous
sous tôle. Nous sommes dans le quar-
venus séparément au casting et Céline a eu
tier historique de Savanna, coincés,
l'idée de nous réunir pour une proposition
cachés même, derrière les grands centres du
autour d'une famille circassienne déjantée. »,
commerce de masse.
précise Stéphanie.
le portail s'ouvre, louis, gramoune alerte de
Cette case réunit un duo de pole dance, un duo
78 ans se présente et nous invite à assister à la
de mix hip-hop/Mickaël Jackson, un solo de
répétition. Nous sommes chez lui et il est l'un
danse contemporaine et le trio danse/rollers.
des dix habitants à avoir ouvert ses portes à ce projet artistique hors normes, les trois autres lieux étant publics. Nous sommes venus découvrir et saisir l'essence de ce concept qui en est à sa troisième édition. Passée l'entrée, nous découvrons, en un cercle studieux, un groupe de sept artistes, sept femmes, qui préparent activement leur proposition pour ce lieu. Il y a Stéphanie, léa, Apolline, Zoé, Nelly, Marion et Isa (il manque le seul garçon, Brian).
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COULISSE
PoINTS De vue DeS DANSeuRS
Stéphanie « on est tous des passionnés de
Marion « Pour nous, amateurs, on connaît un peu
danse et on se retrouve autour de ce projet
le côté structuré d'une scène, d'un spectacle
fantastique. en fonction des lieux et des groupes,
balisé, chorégraphié. Ici, c'est une découverte
Céline Amato nous a répartis et réunis autour
pour nous aussi, c'est une expérience de scène,
d'un thème sur lequel il faut que l'on travaille. »
avec la patte artistique de Céline, on envisage le décor, l'espace du lieu autrement et c'est
Zoé « J'avais préparé un solo et j'ai vu l'appel à
génial. Ce lieu est vraiment particulier, la case
danseurs pour Rouv' la kaz. C'était particulier
de louis, surtout l'arrière-cour. Merci à lui de
parce qu'il n'y avait pas de contraintes. C'est à
nous accueillir dans ce cadre. »
la fois génial et déstabilisant cette liberté. »
Louis est très affairé, il prépare un meeting. Nelly « J'étais là pour le Rouv' la kaz de l'année
« J'ai vu le projet. Myrose, la responsable de pro-
dernière et j'ai aussi participé à Danse en Fa-
duction, est d’abord venue me voir. Je connais
mille aussi organisé par Mov_A, une initiative
bien le quartier, j'y habite depuis si longtemps.
de partage et découverte autour de la danse
J'ai tout de suite ouvert ma maison et ma fille,
et du jeu pour les familles toutes générations
Raïssa, est partie avec Myrose pour rencontrer
confondues. Je danse dès que c'est possible,
les autres habitants. Tout le monde me connaît
alors me voilà. »
et connaît ma fille, c'est un projet qui est bon pour le quartier. »
Stéphanie « Cette aventure avec les habitants
Nous quittons ce lieu pour aller à la rencontre
est là pour casser les stéréotypes. C'est un
d'autres habitants du quartier. Parmi eux, Rose-
concept que l'on trouve très rarement, l'idée
May, « J'ai ouvert ma case pour le quartier, pour
d'ouvrir une case pour danser à l'intérieur,
que ça bouge, ce n'est pas toujours très animé.
c'est fantastique. en plus, cette case est juste
Je le fais aussi pour le plaisir. Faut boug' les
magique par sa conception, son décor. C'est
jeunes puisque mon travail c'est de faire boug'
un honneur de participer à cette aventure. »
les vieux. Peut-être aussi que je participerai au spectacle, je ne sais pas encore. »
Nelly « le public qui viendra par vagues, répé-
Nous arrivons ensuite sur une jolie case, un
ter nos cinq minutes, c'est un défi artistique,
peu plus excentrée, près de l'ancien moulin et
c'est très éloigné d'une répétition sur une scène
du stade. Chez Frida et Stéphane, un jeune
figée, avec un public assis, il faudra s'adapter,
couple qui s’était fait une idée bien précise du
faire participer, se mélanger, s'adapter au lieu.
projet : « Dès le casting à la Maison pour tous,
on s'approche des arts de rue. »
nous avons choisi un groupe constitué de danseurs, chanteurs et musiciens. Ils sont dynamiques.
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P o I N T S D e v u e D eS PA RT I C I PA N T S
À la fin, on a demandé à Céline Amato de les
« Avec Rouv' la kaz, et plus généralement avec
avoir chez nous. et c'est comme cela que l'on
le festival Danse Pei, on apporte les spectacles
s'est finalement rencontré à la case pour qu'ils
dans la rue, on offre à tous ceux qui ne vont
se préparent et répètent. »
pas dans les salles, la découverte d'une mul-
Mêmes remarques de la part du groupe avec
titude de propositions artistiques. Tous n'ont
Makoro qui livre ses impressions. « Par rapport
pas accès à l'offre culturelle, alors ces nou-
à d'autres groupes, nous sommes déjà consti-
veaux concepts sont là pour remettre l'art
tués et nous sommes restés d'un bloc. Nous
pour tous, créer du lien. lors du spectacle, les
avons monté un spectacle qui dure près de
spectateurs auront un parcours à faire, ils
vingt minutes. le challenge ici, c'est de réduire,
déambuleront d'une case à la suivante, nous
réduire pour en tirer toute l'essence en cinq
avons prévu des navettes pour les cases un
minutes. le lieu nous y aide beaucoup, chez
peu plus excentrées. Durant trois heures, les
Frida, la case est très mignonne, il y a de
artistes se produiront devant chaque nouveau
l'herbe, c'est vert, c'est beau. l'espace est
groupe de personnes. »
grand, et on est heureux d'avoir été choisis
Cette dynamique s'inscrit dans un écrin plus
directement au casting. C'est un ensemble, la
vaste, international, ouvert à la danse au cœur
découverte d'un nouveau lieu d'expression, la
des espaces publics (Ciudades Que Danzan /
rencontre avec deux habitants formidables, le
Dancing Cities / les villes Qui Dansent).
travail sur notre projet et le regard de Céline
Melisande, avec l'association culturelle Mov_A
Amato. »
coordonne ce réseau de festivals de danses
en 2014, Rouv'la kaz s'est tenu dans le quartier
contemporaines en paysages urbains.
Carosse à St-Gilles-les-Bains. l'expérience fut
« lors des répétitions, il n'était pas rare de voir
à la fois stressante et magnifique. Pour cette
les habitants transformer l'espace, l'ambiance.
deuxième édition, la pluie et une coupure d'élec-
Tout à coup de la musique arrive et d'une
tricité d'une heure ont failli ruiner la fête. Mais
préparation de danse contemporaine, on se
les habitants étaient tellement investis dans
retrouve à danser le séga. Rapidement, le
ce projet qu'ils ont sorti des groupes électro-
quartier s'est vraiment investi, passionné.
gènes, de la musique, des lumières. Il n’était pas
C'est un travail qui est un peu difficile au
question pour eux de s'arrêter là.
début, il faut rencontrer, présenter le projet,
Même dans les spectacles, ils apportaient une
convaincre, et c'est le fantastique travail de
touche, une proposition, voire même partici-
Myrose qui permet d'ouvrir les portes et de
paient aux danses. Tout le monde était très
faire finalement découvrir ce quartier à tous. »
proche, la frontière entre les danseurs et les
Myrose, son nom revient souvent, elle est à
spectateurs se réduisait. Comme le précise
tous les niveaux, indispensable logisticienne
la Directrice du festival Danse Pei, Mélisande
des premiers contacts au spectacle final. C'est
Plantey.
elle que les gens du quartier connaissent. C'est elle qu'ils appellent si besoin. C'est elle qui sait débloquer les situations et qui sait à qui s'adresser.
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COULISSE
PoINTS De vue DeS CoNCePTeuRS
Myrose « Pour amener un tel projet au sein d'un
Céline Amato « C'est la première année où le
quartier, ce n'est pas tout à fait un parcours
casting même est déjà au sein du quartier. on
coutumier, mais il y a tout de même des règles.
a remarqué que plus tôt on est dans le quar-
on rencontre la mairie, les associations de
tier, plus facile est l'intégration. À l'inverse de
quartier. Cette année, nous avons pu avoir
beaucoup de projets ponctuels, dans Rouv' la
tout le monde autour d'une table et présenter
Kaz, il y a un grand travail de proximité, on
notre projet. Après la rencontre avec Raïssa,
passe de nombreuses semaines dans le quar-
nous avons pu avancer rapidement, tout le
tier, on rencontre tout le monde, on voit souvent
monde la connaît alors les portes se sont vite
les habitants, les répétitions sont nombreuses.
ouvertes. »
on est intégré et c'est ce que je recherche
Cela ne se passe pas toujours aussi facilement,
aussi, ce contact, ce lien, ces rencontres, tout
les précédentes éditions étaient plus délicates
ce qui peut donner lieu à un échange, tant
à gérer. Pour la troisième édition, les repères
artistique qu'humain. »
sont pris, les quartiers ont entendu parler de Rouv' la kaz, et Céline Amato a tout fait pour
C'est ce qui anime Céline depuis toujours.
intégrer les habitants du quartier dès le début
la multiplicité des espaces et des artistes est
de l'aventure.
un formidable terrain d'expression, d'imagination. Pour les artistes, ces lieux, ces nouvelles contraintes permettent de repousser des frontières artistiques, de donner une nouvelle liberté née de ces particularités. C'est, par exemple, le cas d'un des trois lieux publics du parcours prévu pour Rouv'la kaz : la rencontre entre l'espace de Notre-Dame-De-la-Salette et une danseuse orientale. Cette année plus que les autres, Céline s’acharne pour que les habitants s'investissent aussi dans le spectacle. elle prend leurs propositions, les barrières tombent, le mélange s'opère. les spectateurs d'un soir ressentiront cette osmose, vivront une nouvelle expérience. Impossible de passer à côté d’un tel projet artistique et humain !
26
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’
OCÉAN INDIEN
Le canal des Pangalanes TEXTE FRANCINE GEORGE PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL
Incroyable paysage changeant, le canal des Pangalanes, couloir d’abord étroit entre terre et océan se déploie en une étendue infinie où le ciel et l’eau se confondent dans l’entrelacement des Grands Lacs puis se rétrécit à nouveau en un cours d’eau bordé de bosquets de mangrove et d’oreilles d’éléphant. Depuis sa construction à la fin du XIX e siècle, le temps n’y a pas eu de prise, l’effervescence contemporaine est reléguée aux oubliettes. Seul, l’esprit voyage au fil de l’eau dans une entière plénitude, bercé par une lumière aux reflets émouvants.
Tanzanie
Mozambique
La côte Est
Afrique du Sud
28
u N o u v R A G e D ’A RT G I G A N T e S Q u e
la construction des 650 km du canal des
le désenclavement latéral de la région per-
Pangalanes représente huit ans de dur labeur
mettant de relier Farafangana à Foulpointe
effectué par des milliers de Betsimisarakas et
devenait de cette façon un axe de transport
de coolies chinois dont nombre d’entre eux
du bois, des épices ainsi que du sisal jusqu’à
sont morts à la tâche, tués par les explosions,
Tamatave, grand port d’exportation de l’Île
happés par les crocodiles ou décimés par la
rouge.
malaria. Ce grand chantier initié en 1896 par
À cette époque, la construction du chemin de
le Gouverneur, le Général Joseph Gallieni, était
fer suivait le même tracé et lui faisait concur-
destiné à contourner la fureur de l’océan mal-
rence sur le premier tronçon jusqu’à ce que les
menant cette côte orientale de Madagascar
rails du train tournent le dos à l’océan pour
bordée d’un relief montagneux escarpé.
pénétrer dans les terres en vue de rejoindre Tana, la capitale. Ainsi, la main de l’homme a tenté de dompter cet enchevêtrement de rivières, de lacs et de
’
lagunes, empire d’une nature sauvage, pour
OCÉAN INDIEN
créer une voie navigable. Mais aujourd’hui, les financements affectés au dragage étant de moins en moins assurés, le canal, dans ses parties étroites, est tantôt ensablé, tantôt étouffé par des tapis de jacinthes d’eau.
30
uNe ÉCHAPPÉe eNCHANTeReSSe
Pour autant, les Pangalanes restent pratica-
en voie d’extinction, un hybride aux incisives
bles sur 430 km de Tamatave à Mananjary et
de rongeur, aux oreilles de chauve-souris, à la
c’est un bonheur d’en effleurer la surface avec
queue d’un écureuil, et au majeur dispropor-
la légèreté d’un papillon en croisant dans un
tionné qui lui sert à dénicher les larves dans un
presque silence toutes sortes d’embarcations,
tronc d’arbre.
pirogues, bateaux-taxis, boutres aux voiles
les maisons de bois sur pilotis dominent la
rapiécées, chalands, radeaux de transport de
crique où une plage de sable blanc invite à la
marchandises…
baignade. les habitants, le sourire aux lèvres,
les repères s’estompent, une douce torpeur
d’une gentillesse exquise, sont toujours prompts
flotte dans l’air, seul le PK – point kilométrique
à rendre service. Ce n’est pas un hasard si Roi
– marque l’espace géographique.
et hommes politiques d’envergure sont venus
Au PK 60, une pause est indispensable. Au bord
ici se ressourcer.
du lac Ampitabe, Akanin’ny porte bien son nom, Nid de rêve. l’écolodge le Palarium situé sur une presqu’île abrite une réserve privée de 35 hectares permettant de protéger plus de 100 000 espèces de palmiers, pour certains endémiques de Madagascar ainsi qu’une faune très sympathique, composée notamment de lémuriens, petits ours bruns aux yeux ambrés, ou petits cousins du panda en noir et blanc qui viennent faire la danse du singe sur les tables des rares visiteurs. et la nuit, en promenade avec le guide, il est possible d’apercevoir le plus exceptionnel des lémuriens, le Aye Aye,
’
OCÉAN INDIEN
lÉGeNDeS eT TRADITIoNS
Ce paradis prenant parfois l’allure d’une forêt
Rasoa Be et de l’autre le lac Rasoa Masay. la
amazonienne est peuplé de légendes et de
légende veut qu’il faille traverser ces deux lacs
rituels accomplis dans les diverses traditions
en silence sinon les déesses risqueraient de se
malgaches. en voici quelques exemples.
réveiller et le lac deviendrait si agité qu’il ferait
les Betsimisarakas – signifiant les nombreux
sombrer les bateaux…
qui ne se séparent pas – sont les plus présents sur ce territoire et, comme tous les Malgaches,
À Ambohitsara, un village en pleine forêt, ac-
rendent hommage aux ancêtres. De nombreux
cessible par les sentiers après quelques heures
« fady » rythment leurs vies sur le canal telle
de pirogue, se trouve caché le vato Sarilambo
que l’interdiction de s’y laver les mains après
– la pierre du sanglier. Cette statue en pierre blanche aurait pour origine le passage d’Indiens
avoir mangé du porc…
de Mangalore au début du XII e siècle et pour À Manamboto, un petit village au bord du lac
d’autres, remonterait au temps des migrations
Rasoabe, la légende raconte qu’un prince
arabes et perses de la fin du premier millénaire.
malgache épousa deux femmes « vady Be » et « vady Masay » qui ne s’entendaient pas du tout.
Précieusement gardée dans son enclos cade-
un jour où de violentes bagarres éclatèrent,
nassé, elle peut se voir uniquement si le chef
une langue de terre est venue mettre fin à
du village ouvre ses portes et raconte, alors,
leurs rivalités pour former, d’un côté le lac
toute son histoire au visiteur téméraire…
32
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C’est une date facile à retenir : le 23 octobre, le jour de mon anniversaire. Ce jour-là, j’avais 62 ans. Autre fait mémorable de cette journée : à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, à Auckland, les Bleus affrontaient les All Blacks en finale de la coupe du monde de rugby. Un jour à marquer d’une pierre blanche. Ou plutôt d’un œuf rose. Explication à suivre.
Escapade namibienne TEXTE JEAN-PAUL TAPIE PHOTOGRAPHIE DR
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’
E S C A PA D E
J
e me trouvais dans le sud de la Nami-
on ne sent aucune hostilité dans cet immense
bie. J’y étais venu par la route, depuis
vide où la vue divague à force de ne pouvoir
Johannesburg. J’avais passé ma der-
se fixer nulle part. on se demande juste ce que
nière nuit en Afrique du Sud à upington, au bord
faisaient toute la journée les gens qui vivaient
de la rivière orange. J’avais roulé pendant deux
là. Ils travaillaient, bon, d’accord. Mais quand
heures et, au milieu de nulle part, j’avais
ils ne travaillaient pas ? Faisaient-ils des aqua-
franchi la frontière namibienne, en plein dé-
relles ? Moi, il me semble que je retrouverais
sert. J’avais continué de rouler. Rien n’avait
ici le goût d’en faire, perdu depuis quelques
changé autour de moi, sauf que j’étais dans un
années.
autre pays. J’ai atteint un peu plus tard la ville de Grunaü,
le lendemain, je pars en direction du Fish River
dont le nom rappelle, s’il en était besoin, que la
Canyon, le but de ma petite escapade en Namibie.
Namibie a connu la colonisation allemande.
le deuxième plus grand canyon du monde, après
Ceci dit, aucun risque de se croire en Bavière
celui du Colorado, of course. Comme j’ai déjà
ou en Saxe-Thuringe.
visité le Blyde River Canyon, à l’est de l’Afrique du Sud, non loin du Krüger, je peux me vanter
Je poursuis sur la route qui remonte jusqu’à
de connaître désormais les trois plus grands
Windhoek. À une dizaine de kilomètres de là,
canyons du monde : ça vous pose, dans un dîner !
j’aperçois la guest house où j’ai réservé pour deux nuits. Impossible de la manquer : elle s’appelle
Dans ce désert apaisé, presque figé, que viennent
la White House, et elle est incontestablement
animer de temps à autres quelques antilopes
blanche. Gansée, pourrait-on dire, d’une large
effarouchées, surgit brusquement le Canyon
bande sombre qui encadre ses six fenêtres et
Road House. Choc culturel ! on a l’impression
sa porte de style roman.
d’avoir franchi un écran invisible et de se
la piste qui y conduit me mène d’abord dans une
retrouver brutalement plongé au cœur des
maison plus classique, c’est-à-dire plus récente.
etats-unis, quelque part dans le désert de
C’est là qu’habitent les De Wit, Dolf et Kinna de
Mojave ou sur la Route 66. Il ne manque plus
leurs prénoms, la famille à qui appartient la
que quelques Harley penchées sur leur béquille,
propriété depuis plusieurs générations. la maison
quelques bikers ventripotents et tatoués en
et la guest house sont éloignées d’un kilomètre
train d’écraser des canettes de bière entre
environ. Tranquillité garantie. l’impression de
deux doigts, un vieil Indien silencieux, quelques
solitude n’est pas en option.
boules de sassafras que le vent pousse en
Il suffit de regarder autour de soi. les couleurs
travers de la chaussée et une éolienne dont la
sont diluées de la couleur originelle, ce sont
roue grince aux sons d’un harmonica ou d’un
des teintes, des nuances : rouge incarnat, jaune
banjo.
safran, ocre de Provence, bleu magenta, bleu cobalt, gris perle, bleu ardoise, vert anglais, vert céladon, rose gorge-de-pigeon…
35
’
E S C A PA D E
À l’intérieur, c’est un saut dans la fantaisie
De là part un sentier qui gagne le fond de la
d’un collectionneur invisible et farfelu. Quelques
gorge et descend jusqu’à Aïs-Aïs en quelques
véhicules de collection d’un autre âge station-
jours. expédition à préparer soigneusement,
nent à jamais entre les tables. Des expositions
car il n’y a pratiquement pas d’eau tout au long
de tout et de n’importe quoi attendent l’impro-
de la descente. J’ai les chaussures de rando qui
bable amateur. Quelques animaux empaillés
me démangent. Mais pour finir je remonte
pendouillent au plafond, attirant les mouches
dans ma voiture.
et la poussière. Il ne manque que des serveuses
J’arrive à Aïs-Aïs, à la fois oasis et centre de
de cinquante ans fatiguées, habillées comme
cure hydrothérapique. Il est midi pile. et c’est
des pom pom girls, en train de mâcher un che-
dimanche. Autrement dit, c’est l’anniversaire
wing-gum aussi épuisé qu’elles. Pour ne pas
parfait : je suis né un dimanche à midi pile, ce
désorienter le touriste professionnel, pour
même jour. Quel symbole prometteur pour l’équipe
rassurer des cars de Japonais, quand même,
de France de rugby qui affronte en finale de la
au comptoir, quelques souvenirs bien moches,
coupe du monde l’équipe de Nouvelle-Zélande
bien vulgaires, garantis made in China ou
à Auckland ! Il reste vingt minutes de match et
quelque part comme ça.
le score est de 9 à 8 en faveur des All Blacks.
J’atteins enfin le point de vue écran plasma
sud-africaine, pousse en faveur des Bleus. la
16/9èmes qui vous offre la vue la plus large,
victoire ne peut plus leur échapper, marquant
la plus ample, la plus 360° que vous pouvez
ainsi l’apothéose de cette journée et la rendant
espérer du canyon. Bien plus impressionnant
inoubliable.
Autour de moi, l’assistance, essentiellement
que celui de la Blyde River, soit dit sans vouloir la vexer. Modèle réduit, évidemment, de celui
Hélas… le hasard se moque bien de mon
du Colorado. Bon, pour les classer, ces trois-là,
anniversaire.
il n’y a pas eu besoin de recourir à la photo.
Je regagne la White House où m’attend un de ces couchers de soleil comme on n’en rencontre que dans les déserts. Après tout, c’est un cadeau d’anniversaire comme un autre. Auquel s’ajoute, à l’heure du dîner, celui des De Wit : un bel œuf en quartz rose, qui viendra enrichir ma collection. Puis la nuit namibienne ensevelit mes regrets et enregistre mes rêves.
36
38
’
RENCONTRE
IN KOLI JEAN BOFANE Très grand sans en imposer, l’écrivain congolais In Koli Jean Bofane traîne son regard enjoué sur La Réunion, qui vient de lui décerner le grand Prix du Roman Métis. Organisé par la ville de Saint-Denis et La Réunion des Livres, ce prix couronne depuis cinq ans des auteurs contemporains dont le roman « met en lumière
les valeurs de métissage, de diversité et d’humanisme, symboles de l’île de La Réunion ». Écrivain sur le tard, la plume d’In Koli Jean Bofane est trempée dans le sang versé au Congo : « vingt ans de guerre, 6 millions de morts, 500 000 femmes violées, mutilées et on n’en parle pas ».
Congo Inc., le testament de Bismarck raconte l’histoire d’un jeune Pygmée Isookanga, qui décide, en découvrant le web au milieu de sa forêt, de prendre son envol pour faire du business dans la grande ville de Kinshasa. Il va ainsi rencontrer une pléthore de personnages perdus, cyniques, vils ou attachants, qui rythment la vie de cette capitale aux prises avec la mondialisation. Le Congo, « pourvoyeur du monde en richesses minières », spolié impunément depuis le traité de Bismarck, est ainsi mis en scène dans une fable caustique où le rire fusionne avec l’effroi dans une intense réalité à laquelle seul le roman permet d’accéder.
39
’
RENCONTRE
Vous êtes le lauréat cette année
Vous faites alors votre premier voyage
du Grand prix du Roman Métis…
en Belgique…
Je suis très honoré par ce prix d’autant qu’il
oui, toute la famille était rentrée au Congo
vient de loin, d’un pays qui vit au carrefour
en 62, mais la rébellion suite à l’assassinat du
des mondes, où le métissage y est réel. l’île
premier ministre lumumba puis, en 1965, le
de la Réunion témoigne de l’universalité que
coup d’État de Mobutu nous a amenés à fuir
nous sommes appelés à construire et ça me
à nouveau à Bruxelles. C’était une période
touche beaucoup.
plutôt triste, mon père était devenu un simple ouvrier, le Congo nous manquait, à mon père
Parlez-nous de vous...
surtout. Mon père était passionné d’art et
Je suis né en 1954 à Mbandaka dans la Pro-
il nous emmenait dans les musées, les expo-
vince Équateur au Congo. Ma mère était di-
sitions. À l’époque, ce n’était pas très drôle,
vorcée de mon père et avait épousé un colon
mais je lui en suis, aujourd’hui, très reconnais-
Belge, le métissage, je l’ai connu dès mon en-
sant.
fance. et ce n’était pas évident, tant que l’on ne vit pas les choses, on ne les saisit pas
Il y a eu d’autres départs encore…
vraiment. Très vite, ma vie a basculé pour la
Pendant ce temps-là, oui, je grandissais dans
première fois lors des émeutes qui précédè-
ce contexte de conflits et de répression. Puis,
rent l’indépendance en 1960. Ma mère, mon
je suis parti à Paris suivre une formation en
frère et ma sœur ont pu fuir à Bruxelles. Nous
communication et publicité, j’avais 20 ans
avions tout perdu et failli être tués. et moi, je suis resté seul avec mon père - mon beau-père
Ensuite, vous revenez au Congo…
en fait - sur sa plantation de café parce que
en 1983, je suis effectivement revenu au
j’étais l’aîné, assez tranquille, et non éligible
Congo. Nous étions toute une bande de la
aux droits de sécu de mon beau-père en
jeune génération à vouloir faire bouger les
Belgique.
choses. J’avais donc monté une agence de pub avec des amis à Kinshasa, et puis en 1991
Quelles étaient vos relations ?
Mobutu entame un processus de démocrati-
Mon père - je préfère l’appeler ainsi, c’est lui
sation et de liberté de la presse. J’ai tout de
qui m’a élevé en m’apportant tout ce qu’il a
suite créé ma maison d’édition. J’imprimais
pu - était très attentionné pour moi. Il voyait
moi-même des satires politiques sous forme
bien que je m’ennuyais et le soir, il me lisait
de bandes dessinées ou de fanzines dans des
des histoires. Nous avions une grande bi-
conditions effroyables, mais ça se vendait
bliothèque à la maison et dès que j’ai été en
comme des petits pains. Nous changions
âge de lire, je me suis plongé dans les livres.
d’endroit tous les jours, c’était une époque de
C’était très important pour moi. J’avais dix
pillage permanent, la répression contre la
ans lorsque j’ai découvert Zola, ce fut ma
presse a été quasiment immédiate, le proces-
première prise de conscience de la lutte des
sus de démocratisation de Mobutu n’était
classes. Nana étant un prénom bantou très
qu’un leurre. les militaires pillaient plusieurs
courant au Congo, j’ai cru pendant quelque
grandes villes, dont Kinshasa, c’était vraiment
temps que l’héroïne du roman de Zola était
dangereux, mais nous tenions le choc.
congolaise !
40
Et l’histoire se répète…
Deux ans plus tard, vous éditez chez
oui, je me suis marié, j’avais deux filles et un
Gallimard un livre pour enfants
garçon, ma dernière fille est arrivée après. la
qui a connu un succès immédiat,
situation était devenue insoutenable, les pil-
et a été traduit en plusieurs langues…
lages et les meurtres ignobles étaient alors sys-
oui, j’ai édité par magie - j’étais encore un
tématiques. Nous avons été obligés de fuir le
clandestin à l ‘époque - chez Gallimard Pour-
Congo. Ma femme n’a pas pu partir, elle n’avait
quoi le lion n’est plus le roi des animaux qui
pas de visa. Mes enfants et ma mère sont par-
est sorti donc en 1996. C’était une parabole
tis avec la légion étrangère en traversant le
sur la dictature de Mobutu avec une vision
fleuve jusqu’à Brazzaville. Pour ma femme, ce
prédictive de sa chute.
fut plus compliqué, j’ai réussi à la faire venir à Bruxelles par la Pologne avec de faux papiers.
En 2000, vous publiez un autre livre
Quant à moi, j’ai pris les armes un temps pour
pour enfant, toujours chez Gallimard…
défendre le quartier lors des pillages de 1991,
Bibis et les canards parle d’émigration cette
puis j’ai dû me résoudre à partir aussi en 1993.
fois. Mais en fait, je me préparais à écrire mon premier roman. J’avais beaucoup de choses
Vous êtes resté clandestin à Bruxelles
à dire, je voulais absolument parler de poli-
pendant un certain temps…
tique, de l’Afrique, de mon pays le Congo, de
Il a fallu cinq ans avant que je puisse obtenir
tous ces mensonges, de toutes ces manipu-
une légalisation de ma situation. Je faisais
lations. Il fallait un roman pour décrire cette
plein de petits boulots, videur de boîte, ouvrier,
humanité-là.
tout ce qui se présentait sans avoir à fournir de papier d’identité.
Et votre premier roman Mathématiques
congolaises sort en 2008 chez Actes Sud... Et puis, le génocide du Rwanda
Je n’avais jamais écrit de roman, j’avais
en 1994 vous a bouleversé…
beaucoup de choses à dire, mais je ne savais
oui, ça a été un véritable traumatisme. Mobutu
pas comment m’y prendre. J’ai suivi des
avait ouvert la frontière à l’est permettant
ateliers d’écriture avec des gens qui partent
au gouvernement, à l’armée et aux milices
de rien et je me suis vite rendu compte qu’il
génocidaires de venir se réfugier chez nous
me fallait un outil, une trame. Je me suis dit
et de continuer à opérer des raids meurtriers
que les maths, c’était universel, le monde
au Rwanda. l’opération turquoise, quant à
entier fonctionnait d’après des principes
elle, menée par les Français, avait sa base
mathématiques, alors pourquoi ne pas m’en
dans la province du Kivu. Pendant ce temps-
servir comme trame ? C’est comme ça que
là, beaucoup d’africanistes expliquaient de
Mathématiques congolaises est né. Célio, mon
façon péremptoire ce conflit entre Tutsis et
héros, avait besoin, comme moi, d’une char-
Hutus en professant des inepties. J’entendais
pente fiable pour construire ses rêves. et j’ai
parler de théorie des races alors que les Tutsis
eu cette vision de ce jeune homme habité
et les Hutus parlent la même langue, ont les
par l’intuition des mathématiques, cet outil
mêmes coutumes ! et là, ce fut un véritable
inestimable capable de l’aider dans son as-
déclic pour moi, je me suis dit que c’était à
cension sociale.
nous, Africains, d’écrire l’histoire de notre pays. l’écriture commence là. Il fallait que j’écrive, que je dénonce, que je témoigne. et j’ai alors relevé le défi d’écrire.
41
’
RENCONTRE
Dans Mathématiques congolaises
Dans Congo Inc., le testament
vous mettez en scène les ruses
de Bismarck vous dénoncez la spoliation
et manœuvres politiques pour prendre
des réserves incroyables de matières
le pouvoir tout autant que la vie
premières de votre pays…
quotidienne de Kinshasa, on y sent
Je reprends les termes de Bismarck en clô-
battre le cœur de la ville :
ture de la conférence de Berlin en février
Il est clair que j’ai souhaité rendre hommage
1885 : « le nouvel État du Congo est destiné
au peuple du Congo et de Kinshasa en décri-
à être un des plus importants exécutants de
vant cette vie qui sourd de partout alors que
l’œuvre que nous entendons accomplir. » oui,
pour la plupart des observateurs, le pays,
un dépeçage en règle qui n’en finit pas de
depuis longtemps, était comme un corps
pourvoir aux besoins du monde entier. C’est
malade, entré en phase terminale. Par cette
le caoutchouc qui a permis de faire la guerre
fiction, j’ai voulu restituer ce que les caméras
mondiale sur des pneus et non à cheval,
et médias occidentaux n’arrivent pas à saisir
l’uranium qui a servi à éradiquer Hiroshima
quand il s’agit de l’Afrique. Si le langage que
et Nagasaki, le cuivre craché des avions
j’utilise rend les personnages si proches, c’est
américains qui contribua à la dévastation du
que j’ai toujours eu à l’esprit la musique et le
vietnam… le Congo est aussi le pourvoyeur
rythme de cette langue lingala qui ne m’a pas
attitré de la mondialisation pour la conquête
quitté tout au long du processus d’écriture.
de l’espace, l’industrie pétrolière, la production de matériel de télécommunication…
Votre travail d’écriture a-t-il changé
sans parler de ses ressources en or et en
depuis ce premier roman ?
diamant.
Non, j’ai publié mon premier roman à la cin-
Dans le titre Congo Inc. est bien sûr pour In-
quantaine passée et le second à la soixan-
corporated !
taine. les mots ont beaucoup d’importance pour moi, je les dépose au compte-goutte.
Vous y dénoncez aussi l’absurdité
Par contre, je suis toujours ce principe d’avoir
de cette guerre qui dure depuis 20 ans…
une trame bien définie, un plan hyper calibré
le fil conducteur est la mondialisation.
qui me donne, à l’intérieur, la possibilité de
Depuis l’ouverture des frontières à l’est du
laisser l’improvisation jouer sa partition.
pays, depuis le génocide des Tutsis au Rwanda,
J’aime beaucoup le travail avec mon éditrice
je voulais montrer que cette guerre du Congo
chez Actes Sud, elle me comprend bien, elle
qui dure depuis 20 ans et a fait six millions de
me pousse et j’ai l‘impression d’avancer plus
morts, est le premier drame de la mondiali-
loin en toute confiance avec elle.
sation. on maquille toujours les guerres sous une bannière quelconque, mais là non, on ne se donne même pas la peine de chercher un enjeu. Il n’y a pas d’enjeu politique. Il n’y a pas de revendications. Il n’y a pas de conquête de territoire. Tout ce que l’oNu dit c’est une guerre de pillage. C’est le business. Récemment, après deux ans de blocage, la rébellion du M23 au Nord-Kivu a repris les offensives avec une rare violence et j’étais tétanisé par le déploiement de forces pour
42
les combattre. Moi, je préfère attraper mon
n’arrive plus à fonctionner - représentée par
ordinateur et on verra qui se fatiguera le
les shégués, ces enfants de la rue, comme
premier !
Shasha la Jactance, rescapée de la guerre, devenue enfant putain d’un Casque bleu
Votre héros, le Pygmée Isookanga sort de
pédophile. Il y a Adeïto Kalisayi, esclave sexuelle
sa forêt équatoriale pour devenir mondia-
ramenée du Kivu par l’ex-commandant Kobra
lisateur, prendre sa part du business…
Zulu. Il y a l’africaniste qui révèle à l’Africain
oui, c’est un garçon d’aujourd’hui, sans com-
qui il est, ce qu’il était, ce qu’il sera… Il y aussi,
plexe vis-vis de la technologie, il évolue avec,
à l’autre bout du monde, la femme de Zhang
il vit dedans. Je suis né dans la province
Xia qui doit subir le harcèlement d’un flic
d’Équateur, cette forêt je peux en parler, c’est
véreux dans la province du Sichuan.
une partie de mon enfance. le Pygmée représente la genèse de l’Afrique. Il a eu le
La Chine tient une place importante
temps de traverser les millénaires. Il a été le
dans Congo Inc…
témoin des ravages accomplis. on croit le re-
en effet, tous les chapitres sont sous-titrés
léguer à la périphérie du monde alors qu’il est
en mandarin, car la Chine est de plus en plus
au centre, tout comme l’Africain. Son sol et
présente en Afrique. les Chinois réalisent la
son sous-sol ne sont-ils pas les garants de la
plupart des infrastructures, des hôpitaux, ce
prospérité du monde ? J’ai imaginé le per-
n’est pas pour autant qu’ils ont planté leur
sonnage d’Isookanga à la fois sympathique
drapeau. les Chinois sont là, la Chine est
et un peu salaud au vu de ses idées sur la
devenue incontournable. Mais qu’est-ce que
mondialisation qui massacre les écosys-
le Chinois peut nous faire de pire que l’euro-
tèmes. Il est difficile de se faire une opinion
péen ne nous a déjà fait ? les Africains ne se
tranchée sur Isookanga. À l’origine, j’avais
focalisent plus sur l’axe Nord-Sud à force de
envisagé comme titre Putain de Pygmée !
se faire bloquer aux frontières. Si le Français ne donne pas de visa, mais que le Chinois en
La multitude de personnages qui entoure
délivre un, pourquoi hésiter ! Il faut aller
Isookanga semble sortie d’une fable
puiser dans le meilleur de chacun !
caustique, et pourtant si réelle. Vous n’épargnez personne, l’ancien tortionnaire adoubé par l’ONU, le pasteur escroc, le chinois délaissé par ses patrons, le Casque bleu pédophile, les enfants shégués, exclus de la société… le plus saillant pour moi est Kiro Bizimungu, un type issu de l’armée qui occupe le Kivu, responsable de millions de morts et adoubé à un poste supérieur par l’oNu. on vit dans un monde qui n’a plus de repères. Il y a la religion à laquelle s’accrochent les gens et le pasteur Jonas Monkaya qui sait largement en tirer profit. Il y a l’exclusion sociale - parce dans cette guerre les liens sociaux sont tellement détruits que la solidarité africaine 43
’
RENCONTRE
Vous dédiez Congo Inc. « aux filles,
Dans ce livre, il y a des passages
aux fillettes, aux femmes du Congo »…
difficilement soutenables, mais aussi
Absolument, les femmes sont en première ligne
beaucoup de grands éclats de rire,
dans cette guerre. 500 000 femmes violées,
une sorte d’alternance entre le drame
mutilées, je ne le répèterai jamais assez. Au
et la malice …
Kivu, les hommes se cachent dans la forêt
C’est l’esprit qui règne dans le pays, au
avec leur kalachnikov, mais elles, elles résis-
Congo, les gens ont le sens de la dérision. S’il
tent, elles sont devenues nos protectrices
y a une loi farfelue qui passe, on essaye de la
jusqu’au bout. Il y a même une unité de com-
contourner, on se moque des politiques qui la
bat composée uniquement de femmes qui ne
défendent et, en coulisse, on met en place
s’en laissent pas conter pour monter au front.
des stratagèmes pour la contourner. Au Congo,
les vingt dernières pages de Congo Inc. sont
on est passé maître pour contourner les
pour elles, elles y prennent leur revanche.
obstacles.
et quelle revanche ! L’avenir du Congo, selon vous ? Ce sera toujours la lutte, mais une lutte de plus en plus efficiente, intellectuelle. Il y a au Congo, et dans toute l’Afrique, une jeune génération d’artistes qui en veulent. Si l’on regarde la ligne du temps de l’humanité, elle est très différente de la ligne du temps des nations. l’Afrique, le Congo en particulier, est le laboratoire du monde de demain. Vous êtes maintenant installé à Bruxelles, est-ce que vous retournez au Congo ? Bien sûr ! J’y vais régulièrement pour développer un centre d’expérimentation avec des ateliers d’écriture, que ce soit de l’écriture cinématographique, théâtrale, de la BD ou de roman à destination des jeunes publics dans le but d’encourager les talents. Je suis également en train d’y développer un nouveau projet d’édition. Vous n’avez pas envie d’entrer en politique ? Non, j’y suis ! Avec la littérature, je fais de la politique, il n’y a pas mieux que le roman pour témoigner, pour dénoncer, pour éclaircir, pour faire bouger les lignes !
44
’
VOYAG E - VOYAG E
TEXTE FRANCINE GEORGE PHOTOGRAPHIE SERGE MARISY
Namibie Un paradis tout près d’ici Un safari en Namibie est un pur enchantement. L’immensité des paysages, leur démesure, adossés à la côte atlantique ou à des contreforts escarpés, est animée par une vie de pleine nature, désertique mais intense. Pays parmi les plus secs d’Afrique, son combat pour lutter contre l’aridité lui apporte une exceptionnelle sagesse.
47
’
VOYAG E - VOYAG E
PREMIERS CONTACTS François de l’agence Madiza
notre premier lodge et à peine
Tours vient nous chercher à bord de son 4x4.
installés, nous partons à la
Charmant et très attentionné du haut de son
recherche de léopards. les
mètre quatre-vingt-dix, il est notre chauffeur
félins de cette réserve privée
et surtout notre guide pour ce safari du Nord
portent des colliers émetteurs
au Sud de la Namibie. Tous les jours, grâce à lui,
qui permettent de les locali-
à sa passion et à son érudition, nous allons dé-
ser dans la brousse vallonnée.
couvrir en parfaite sécurité les merveilles de
les signaux se font de plus en
ce pays, ce qui fera de ce voyage une plongée
plus rapprochés. Il serait tout
inoubliable dans l’univers magique de l’Afrique
près. Nous sommes sur le qui-
du Sud-ouest.
vive dans notre 4 x 4 safari, ouvert au vent. Animal solitaire,
Nous traversons Windhoek, la capitale, déser-
le léopard, au pelage fauve
tée le soir après 18h. la plupart des gens qui y
parsemé de rosettes noires, ne s’approche des
travaillent habitent à l’extérieur de la ville. Nous
autres qu’au moment de l’accouplement. les
passons sur la colline devant le palais prési-
signaux distinctifs prouvent maintenant qu’ils
dentiel où demeure Hage Geingob, troisième
sont deux. Il faut donc les laisser tranquilles.
président namibien depuis l’indépendance.
Pas de chance ! Nous repartons dans ce paysage sec, parsemé d’acacias et de termitières énormes
Puis, le long voyage commence. Nous roulons
qui, parfois, recouvrent le tronc entier d’un arbre.
plusieurs heures sur une route asphaltée,
Phacochères, zèbres et koudous s’éveillent de
plutôt monotone, sans croiser beaucoup de
leur sieste pour se diriger au point d’eau. Nous
voitures. la Namibie est un des pays les moins
faisons une halte au milieu de la plaine. Pas un
peuplés du monde, 2,11 millions d’habitants
souffle de vent, la quiétude règne. Nos ombres
2
sur un territoire de 825 418 Km . et d’entrée de
au soleil rasant donnent l’impression que nous
jeu, nous sommes saisis par l’immensité des
sommes devenus des géants. Sur le chemin du
paysages, encore verdoyants. Dès qu’il y a un
retour, le chauffeur pile littéralement. Dans
arbre suffisamment haut pour fournir un bel
l’arbre, un guépard sommeille. Sa tête repose
ombrage, un demi-cercle de table et banc ma-
sur une patte, laissant voir ses petites oreilles
térialise une aire de pique-nique. Ce temps de
rondes. Soudain, il se lève, dérangé sans doute
transport permet à l’esprit de s’ouvrir peu à
par notre présence, il s’étire et nous l’aperce-
peu, en laissant les tracasseries ennuyeuses
vons alors debout, majestueux. Il nous regarde,
derrière soi. Nous arrivons dans
l’air absent, ses yeux ambre
Angola Zambie Botswana Namibie Afrique du Sud
49
’
VOYAG E - VOYAG E
illuminent ce beau visage marqué par une
fait un passage éclair. Puis, un chacal hurle à
traînée de larmes noires de part et d’autre de
la mort au milieu de la piste, comme s’il voulait
son museau. Il tourne la tête et fixe l’horizon
nous arrêter, sur le côté un autre chacal lèche
parallèle à la piste, et sans que nous ayions eu
le cadavre de leur bébé. le travail de la lionne,
le temps de régler nos appareils, il disparaît.
peut-être ou peut-être pas ?
Rare félin à chasser le jour tandis que les autres prédateurs dorment, le guépard est le plus ra-
Tout au long de notre traversée dans le parc,
pide d’entre eux. Il peut courir jusqu’à 110 km à
et à l’extérieur aussi, nous croisons des cen-
l’heure, mais épuisé, il a besoin de reprendre
taines d’antilopes, toujours très belles, avec des
son souffle avant de se régaler et souvent, un
petites cornes noires comme les steenboks, ou
autre prédateur vient, sous son nez, lui piquer
bien avec des cornes plus importantes comme
sa proie sans qu’il ne puisse se défendre.
les springboks ou les Impalas à tête noire, mais la plus craquante de toutes, c’est le minuscule dik-dik, avec de grands yeux de biche, ponc-
DESTINATION ETOSHA le parc national d’etosha
tués par un petit point noir, comme un grain de
est une fabuleuse réserve animalière qui cou-
beauté, une merveille ! Toujours en groupe, les
2
vre 22 270 km . Peu de monde sur les pistes et
zèbres montrent leur croupe bien rebondie
les animaux vivent leur vie à leur rythme, sans
sans trop se préoccuper de ce qui les environne.
être importunés. Certains d’entre eux, comme les lions, les léopards, les hyènes, défendent leur territoire avec âpreté tandis que d’autres comme les zèbres, les éléphants, les élands du cap sont plutôt nomades. un ancien lac asséché depuis plus de 10 millions d’années offre un paysage époustouflant. le sol craquelé d’argile blanche renvoie une lumière d’acier dans un ciel bleu d’une pureté extraordinaire. Timidement, nous faisons quelques pas, et surtout beaucoup de photos. Nous remontons dans notre 4x4, l’après-midi tardait. Pas un souffle d’air dans ce no man’s land désertique en continuité du salar pan – lac salé. et soudain, surgie de nulle part, une lionne marche seule, tranquillement, au bord de la route. la voiture s’arrête, et la lionne, impassible, s’allonge tout près de nous, ignorante de l’effervescence qui règne dans le 4 x 4. Plus loin, une hyène brune, pas si laide finalement,
50
51
’
VOYAG E - VOYAG E
Parfois, un zèbre plus curieux fixe l’objectif en
les girafes et les éléphants font souvent
baissant une oreille, comme s’il disait bonjour.
la route ensemble. Nous ralentissons, car un
Dans le Damaraland, nous ferons la connais-
énorme éléphant vient de traverser la route
sance des zèbres des montagnes, différents
sans crier gare, il était seul. Plus loin, un élé-
des zèbres des plaines par leur zébrure qui,
phanteau s’asperge avec sa trompe et se roule
pour ces derniers, les habille jusqu’aux sabots.
dans le sable, sa mère l’attend patiemment,
les autruches font aussi partie du paysage
en se ventilant avec ses oreilles, tous les deux
tout autant que les pintades en vadrouille per-
reprennent le chemin jusqu’au point d’eau. les
manente sur les pistes. À l’inverse, les babouins
girafes y sont déjà, les pattes pliées à angle
s’observent plutôt de loin, parfois assis sur le
droit pour que leur long cou puisse atteindre la
sommet d’une termitière comme s’ils siégeaient
mare où flottent quelques canards insouciants.
sur un trône.
À okaukuejo, un lodge d’État très bien entreDes milliers d’oiseaux, aigrettes, échassiers,
tenu, le point d’eau est éclairé. Protégés der-
marabouts, flamants, promènent leurs batte-
rière un muret en hauteur, nous pouvons, avec
ments d’ailes dans l’air chaud du parc. les petits
les autres résidents, regarder en silence les
oiseaux, des centaines d’espèces plus colorées
animaux venir se désaltérer à la tombée du soir.
les unes que les autres, se cachent dans les
Des projecteurs éclairent ce spectacle féérique
arbres épars. le plus remarquable est le Répu-
dans un jeu d’ombre et de lumière. Gnous bleus,
blicain Social, un passereau construisant des
élands, rhinocéros, viennent se désaltérer à
nids énormes, aussi grands qu’une meule de foin,
tour de rôle sans trop s’attarder. Puis, soudain,
formant une sorte de tour HlM avec des loges
rapide comme l’éclair, un lion vient attraper
centrales gardant pour la nuit une bonne tem-
une antilope. Nous sommes tous tétanisés, ne
pérature, tandis que les loges extérieures servent
pouvant bien évidemment rien faire. C’est la
le jour à s’abriter du soleil. Pour se protéger, ils
vie, la vie sauvage, et si nous sommes au spec-
invitent parfois d’autres espèces commensales,
tacle, ce n’est qu’artificiellement. le silence est
comme le Fauconnet d’Afrique, un petit rapace
de plomb. D’autres animaux arrivent, nous avons
qui fait fuir les serpents. D’autres animaux
envie de leur crier de déguerpir, mais comment ?
pratiquent ce genre d’entraide. la mangouste,
le lion est à l’abri d’un bosquet, et il savoure son
par exemple, très habile à attraper sa proie va
repas. le danger est de toute façon écarté. le
loger dans le terrier des écureuils qui peuvent
cœur bat un peu trop fort, mais nous restons là,
creuser de longues galeries dans la terre. l’un
quand même. Puis un couple d’éléphants dé-
apporte nourriture ou protection, l’autre le logis.
barque, masse imposante dans la nuit étoilée. un premier mirage ? Non, les photos, plutôt floues, diront le contraire !
52
DAMARALAND – MORO – PERIVI - NAWA Nous re-
À Twyfelfontein, un site d’art rupestre nous
prenons la route en direction du Damaraland.
attend. Il se situe dans un imbroglio de roches
Chaîne de montagnes époustouflantes aux
empilées, le désert est ici gigantesquement
couleurs chatoyantes, ocre, rouge ou orangée.
chaotique. la chaleur est accablante, mais le
Nous entrons dans un village Himba, peuple ap-
courage ne peut pas nous manquer lorsque
parenté au peuple Herero, mais voulant gar-
l’on est si bien accueillie par une femme San,
der ses traditions et son semi-nomadisme. À
peuple aux descendants directs des Bochimans,
l’origine de ce village, le propriétaire d’un ranch
chasseurs-cueilleurs, premiers habitants de
recueille, pourtant au temps de l’apartheid,
l’Afrique Australe. elle nous offre un grand
une femme Himba gravement malade et la
moment lorsque nous l’écoutons, fascinés, parler
fait soigner. elle guérit et ils vivent ensemble
et nous traduire sa langue à clic. Puis, nous nous
quelques années de bonheur, sans toutefois
dirigeons vers les parois rocheuses recouvertes
pouvoir avoir d’enfant. elle lui propose alors de
de portraits d’animaux gravés dans la roche.
faire venir quelques femmes et enfants de son
un art à ciel ouvert conservé depuis des millé-
clan et créé, sur le territoire qu’il lui a octroyé,
naires. Toutes sortes d’animaux y sont repré-
un village avec une école. Ils se séparent, mais
sentés dont « la girafe protectrice qui gratte le
la petite communauté reste sur place. les femmes
ciel avec son oreille pour faire tomber la pluie ».
s’occupent du foyer, les hommes partent à des kilomètres s’occuper du bétail. le bétail est
Nous venons de passer la barrière sanitaire
leur vie, le bétail est leur âme. vers 14-15 ans,
instaurée du temps de l’Apartheid, elle délimite
autour du feu sacré, les Himba se cassent les
le nord du sud avec l’interdiction d’exporter au
incisives inférieures pour ressembler le plus
sud de la viande fraîche. l’histoire de la Namibie
possible à leur bétail. Nous entrons, accompa-
se résume là, caricaturale, le sud, où se trouvent
gnés du guide du village, à l’intérieur de la hutte
la plupart des richesses minières à commencer
du chef, sa dernière épouse nous montre com-
par le diamant, le centre du pays où se trouvent
ment elle confectionne son habit de beauté
les éleveurs blancs Afrikaaners, le nord, pays
avec de l’ocre rouge, des herbes pilées et de la
où ont été refoulées les populations noires et
graisse de vache. en sortant, il importe de ne
où le taux de chômage est le plus élevé.
pas couper la ligne virtuelle qui relie la hutte du chef au feu sacré, toujours allumé, lien qui maintient les relations entre les vivants et les morts. un petit marché artisanal nous attend avec toutes sortes de bijoux confectionnés par les femmes Himba, en particulier des bracelets taillés dans les tuyaux PvC que l’État leur a fournis pour construire des réservoirs d’eau. Sauf que dans la tradition Himba, l’eau est réservée au bétail. Moro - Perivi – Nawa est une formule de politesse accompagnée d’un gestuel des mains pour dire bonjour et remercier nos hôtes de nous avoir reçus.
53
’
VOYAG E - VOYAG E
Pause urbaine à Swakopmund, station bal-
LE DÉSERT DU NAMIB Nous nous dirigeons main-
néaire allemande aux charmes pittoresques.
tenant vers le Namib, un des plus vieux déserts
la Namibie était une colonie allemande jusqu’en
du monde. le must du voyage ! le désert
1915 où elle est passée sous protectorat sud-
tombe à pic dans cet océan inhospitalier, tra-
africain en ayant subi le régime de l’Apartheid.
versé par le courant froid de Benguela, et la
C’est un des derniers pays à accéder à l’indé-
route fondée en sel qui sépare les dunes de la
pendance en 1990, résultat de tractations
côte laisse flotter des nuages de poussière. les
internationales : retrait des troupes cubaines
rares habitations, résidences secondaires
d’Angola sous condition que l’Afrique du Sud
créées de toutes pièces avec ses maisons
libère le territoire namibien. la Swapo, parti
éparses flanquées, chacune, d’une tour de ré-
politique qui a lutté pour l’indépendance, a été
servoir d’eau, donnent l’impression de villages
créée par Sam Nujoma, premier président de
fantômes. Plus loin, dans le désert, solitaire, un
Namibie. le régime démocratique namibien peut
hameau joue la carte du tourisme en recréant
servir d’exemple tant le respect des différentes
un décor de western. Station essence, épicerie
populations, de leurs traditions, y est inscrit dans
écomusée, boulangerie Bagdad café, et car-
une volonté de pluralisme tolérant. l’écono-
casses de voitures oxydées sur lesquelles on
mie repose en grande partie sur les richesses
s’attend à voir quelques vautours scruter l’ho-
minières - uranium, zinc, or et diamant - mais
rizon.
reste dépendante de l’Afrique du Sud pour l’es-
la vie n’est pas absente de cet espace privé
sentiel de la vie courante.
d’eau, mais humidifié par le brouillard. Parfois, un oryx, avec ses grandes cornes longilignes comme des cannes à pêche, erre à la recherche de quelques broussailles. le caméléon sert d’indicateur météo en changeant de couleur en fonction de la température, la fameuse Welwitschia mirabilis impressionne, cette plante est capable de vivre des centaines d’années, l’arbre-carquois, solitaire, offre un véritable réservoir d’eau avec ses feuilles charnues… Pour le coucher du soleil, nous nous dirigeons vers la dune 45, rouge flamboyante dans l’alignement de ses sœurs, belles aussi, mais plus discrètes dans les tons ocre ou parfois fauves. Dans ces plus hautes dunes du monde, le vent dessine tous les jours des arabesques en effaçant les traces des prédateurs qui sont venus souiller cette splendeur virginale. un spectacle à couper le souffle. en extase, on se sent fourmi, parasite devant cette majestueuse vallée de dunes. Il faut y aller, il faut absolument y aller pour saisir la grande, l’immense beauté de ce
54
monde !
’
SUR LES PLANCHES
Très belle saison au CDOI avec une sélection qui fait la part belle autant à la création réunionnaise qu’à celle venue d’ailleurs. Chacune, à sa façon, réussit à mettre en scène la poésie des âmes vagabondes dans un cadre intimiste. Quelques exemples d’échappées émotionnelles, l’adaptation trash du Misanthrope de Molière par la compagnie Kobalt, le bouleversant et très sobre témoignage de deux rescapés du ghetto de Varsovie, dans Ceux qui restent, les confidences métaphoriques de Sergio Grondin dans sa nouvelle pièce Les chiens
de Bucarest présentée au festival Mythos de Rennes et, pour la toute première fois au théâtre, Kartié Boinoir de Sylvain Gérard.
Kartié Boinoir lilèt zinzin TEXTE FRANCINE GEORGE ILLUSTRATION HIPPOLYTE
57
’
SUR LES PLANCHES
L
‘aventure commence en 2012 à
Hippolyte qui a réfréné ses envies en se can-
St-Joseph lorsque Sylvain Gérard
tonnant à des dessins plus faciles à réaliser en
-dit Gouslaye-et son copain Kokolok
direct, à la vitesse du texte. une prouesse qui
improvisent des concerts slam du
n’est pas sans laisser de traces avec le profil
côté de Saint-Joseph. Puis, Sylvain Gérard, le
parfois trop présent de sa main, comme une
poète, fait son entrée au théâtre en jouant
ombre au tableau.
dans Majorette, la pièce de lolita Monga. une révélation. Son énergie lumineuse explose sur la
le texte, les dessins et la musique sont pour
scène et chemin faisant, l’idée d’une résidence
Sylvain Gérard des supports poétiques indis-
de création au CDoI devient une affaire sérieuse.
sociables de Kartié Boinoir.
le troisième aventurier de cette épopée théâtrale, le dessinateur Hippolyte vient naturelle-
Sur la scène, très sombre, les mots jaillissent
ment se greffer en créant le décor en direct, via
comme des flots de lumière où le spectateur
un vidéoprojecteur.
capte un brin d’histoire, le regard accroché à ce bonhomme sur scène, les yeux brillants
Ils ont dix jours en résidence pour concevoir et
d’humanité comme un phare dans la nuit
adapter Kartié Boinoir, mais dix jours pleins à
noire. la musique l’accompagne dans une douce
ne faire que ça. Ce qui est une grande chance
harmonie et les dessins surgissent, trait à trait,
pour eux, habitués à tronçonner leurs journées
puis s’effacent, comme par magie, pour donner
entre création, représentation et divers boulots
place à un nouveau décor.
rémunérateurs. Chacun est sorti de son univers, « a dû casser
Il n’est pas toujours évident de suivre les tribu-
ses codes », pour intégrer celui du théâtre,
lations de Sylvain Gérard au pays de son ima-
accompagné dans la mise en scène par olivier
ginaire et d’intégrer toute la subtilité des
Corista qui a su faire la transition et amener ce
expressions créoles qui se déploient au fil de
joyeux trio du Kabar à la scène de théâtre.
ses rêveries. Mais il ne s’en offusque pas, car il souhaite avant tout offrir aux spectateurs un
Kartié Boinoir, issu du slam, très scandé par la
moment de grâce : « laisser l’esprit vagabon-
musique, a conduit Sylvain Gérard à pimenter
der, le texte suffit à faire voyager, à se laisser
les mots de son répertoire pour la conception
bercer » et il y réussit très bien !
théâtrale. D’autre part, dans son jeu d’acteur, il a dû aussi apprendre à maîtriser tout l’espace scénique. Kokolok s’est résolu à ne pas être en concert, mais à trouver des instruments qui lui permettent, seul sur scène, d’accompagner la pièce. Son orchestre en solo de bric et de broc n’est pas là pour faire sensation, mais pour rechercher le tempo qui servira le mieux la musicalité du texte. Même frustration pour
58
Bbeals poésie contemporaine d’Éric Languet
TEXTE FRANCINE GEORGE PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC
’
S P E C TAC L E
U N E C R É AT I O N AU LO N G C O U R S
Il leur a fallu deux ans de démarches administratives épineuses pour arriver à un équilibre qui prend en compte les divergences économiques des deux pays. Éric languet n’en est pas à sa première collaboration internationale - Madagascar, Mozambique, Afrique du Sud mais, ici, les choses sont plus complexes encore. Il a travaillé le cadre avec un écrivain, puis au
L
’histoire de BBEALS, la
fil des répétitions, il a développé des propositions
nouvelle création d’Éric
intuitives, « d’autres intelligences du corps »
Languet, débute en Nou-
qui collent à ce cadre. un projet ambitieux donc,
velle-Zélande.
qui fait peu de concessions au diktat des
Invité d’honneur en 2013
subventions.
à l’occasion des 60 ans du Royal New-Zealand Ballet
BBeAlS réunit sept danseurs et un musicien,
où il a été pendant une
yann Costa, qui rejoint la troupe de danseurs.
résident, il rejoint sa deuxième patrie, avec un
la richesse d’une résidence à l’étranger est
plaisir non dissimulé. Un retour aux sources
universelle. Danser dans un autre pays, se
qui lui permet de rencontrer d’anciens col-
confronter à d’autres réalités n’est-elle pas
lègues de l’époque et la très dynamique Deirdre
une chance pour un artiste ? Éric languet a su
Tarrant, fondatrice il y a trente ans de la
pleinement s’en saisir et pousser loin et haut
compagnie Footnote. Infatigable, bouillon-
sa création, pas seulement grâce aux échanges
nante d’idées, militante acharnée pour ac-
entre danseurs ou à la dynamique du groupe,
compagner les jeunes danseurs, elle partage
mais aussi grâce à leurs ressentis de ce qui se
avec lui une vision commune de la danse
passe autour d’eux. Ainsi, les cinq Néo-Zélandais
contemporaine et n’hésite pas à prendre des
et Australiens de la compagnie Footnote sont
risques sans chercher à tout prix à plaire au
venus en résidence à la Réunion pendant le
public. Éric Languet évoque son projet d’his-
mois de novembre et les trois invités français,
toire d’un fan-club de Jennifer Beals - l’héroïne
belge et portugais de la compagnie Danses en l’R
du film Flashdance sorti en 1983 - qui met en
sont partis en résidence en Nouvelle-Zélande.
lumière stratégies de groupe et ambition per-
en mars, les premières représentations à Wel-
sonnelle dans une version métaphorique de
lington, Auckland, Christchurch et Dunedin ont
la Tour de Babel. Très enthousiaste, Deirdre
rencontré un beau succès auprès du public et
Tarrant a souhaité l’accompagner dans cette
des professionnels sur des scènes aussi grandes
aventure qui est devenue une coproduction
que des terrains de foot. Choc des cultures
franco-zélandaise.
aussi avec un public jeune, friand de ballet, de jazz et de danse contemporaine.
61
’
S P E C TAC L E
en avril, c’est au tour de la Réunion de voir
Ainsi, la démarche créative d’Éric languet se
cette nouvelle création et ensuite, l’europe au
fonde sur l’émotion que peut dégager le corps
gré des programmations. Éric languet - heureux
plus que sur la perfection ou l’esthétique du
qui comme ulysse a fait un beau voyage - laisse
mouvement.
BBeAlS faire son chemin après quatre années Il interpelle ses danseurs et les pousse à
de gestation.
exprimer ce qu’ils ont de plus profond en eux : « Sur scène, le côté virtuose ne m’intéresse pas, j’aime voir des gens, je vais chercher la
POÉSIE DE GROUPE
faille, c’est ce qui m’inspire. » Il étudie le moindre Dieu, peu enclin à voir les hommes accéder
geste de ses danseurs, particulièrement pen-
aussi facilement aux portes du paradis, a
dant le temps de pause, il observe la subtilité
voulu les punir de ce coupable orgueil et, selon
des rapports à l’autre, et réutilise, lors des ré-
les versions de la Genèse, réduire à néant ces
pétitions, ce qui lui a semblé singulier. un soir,
vains efforts pour se faire un nom. Babel donc,
alors qu’ils fêtaient ensemble un anniversaire
porte du paradis, là où Dieu décida de brouiller
au restaurant, il eut une drôle de surprise. Il
les pistes et d’éparpiller les hommes à la sur-
souhaitait qu’au moment d’atteindre le som-
face de la Terre en multipliant les langues
met de la tour de Babel, l’un d’entre eux se mette
pour qu’ils ne se comprennent pas, est le point
à chanter. Tous ont déclaré être dans l’inca-
de départ de BBeAlS.
pacité de le faire. et ce soir-là, il entend une
Au fil des créations, Éric languet explore le
danseuse chanter d’une belle et juste voix le
rapport de l’individu au groupe comme dans
rituel Happy Birthday. Mise au défi, une se-
l’esprit de la ruche. Autre inspiration, René
maine avant la première représentation, elle
Char : « un poète doit laisser des traces de son
a dû intégrer cette nouvelle partition à son
passage, non des preuves. Seules les traces
rôle. « Ne me tente pas » fut leur signal de
font rêver. » C’est en quelque sorte ce qui a
ralliement à chaque fois qu’Éric détectait un
construit Éric languet, l’indépendant, le
talent caché. les Néo-Zélandais, ni blasés, ni
très sincère poète de l’humain : « À quoi bon
cyniques dans leur rapport à la danse, ont
construire des choses tangibles alors que les
joué le jeu avec « une véritable envie d’en
traces les plus fortes qu’on laisse sont de
découdre ». un autre chemin que celui qui est mis en scène dans le film Whiplash qui ne vise
l’ordre du poétique ? »
que l’excellence. et Jennifer Beals dans tout ça ? un coup de cœur d’eric languet lorsqu’il visualise Caro
Diaro - Journal intime - le film de Nanni Moretti. Celui-ci traverse Rome sur son scooter en clamant son amour à Jennifer Beals qui, tout
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à coup, apparaît en jouant son propre rôle.
escarpins rouges, chaussettes de danse,
Éric languet, alors au conservatoire de Paris,
perruque noire frisée - et de scènes revisi-
n’avait pas été subjugué par le film à sa sortie,
tées de Flashdance . D’ailleurs, Flashdance ,
ni par le portrait de Jennifer Beals, interpré-
on l’oublie. Ce qui se joue raconte plutôt l’ap-
tant une jeune fille ambitieuse et superficielle.
partenance au groupe, les stratégies des uns
Chemin faisant, plusieurs années plus tard,
ou des autres pour tenter d’atteindre le som-
son sourire est peut-être resté figé au creux
met de cette fameuse tour de Babel. Tantôt
de sa mémoire ? Mais le propos d’Éric languet
dans l’acrobatie, tantôt dans le lyrisme,
est plus axé sur le phénomène du fan-club
tantôt dans le burlesque, tantôt dans les
que sur la célébrité d’une époque.
prouesses, tantôt dans le déchaînement,
Dans le monde d’aujourd’hui, l’effritement
tisme… et en bouquet final, le chœur régional
social, les malaises identitaires face aux
du CRR disséminé dans la salle, comme un
fanatismes politiques ou religieux font ac-
jeu de miroir avec le début du spectacle,
tuellement réfléchir. D’autant que la Réunion,
entonne un Gospel. Saisissant !
tantôt dans la légèreté, tantôt dans le roman-
terre de grande tolérance, n’est pas épargnée : 48 jeunes Réunionnais ont rejoint le mouve-
Qu’est-ce qui reste, le rideau tombé ? une
ment djihadiste en Syrie, un score élevé au
merveilleuse débandade, un mélange d’émo-
regard des autres DoM selon l’enquête du
tions, de sensations nostalgiques guidées par
journal le Monde sur les nouveaux chiffres
les variations musicales, de belles envolées
de la radicalisation. l’artiste se sent aussi
poétiques, de moments drôles, réjouissants
concerné. le fondement de sa création est
et pas toujours compréhensibles, un étonne-
donc « d’aller à la source de ce besoin terri-
ment amusé face à cette création où le regard
fiant d’exister », de mettre en scène la menace
ne sait plus où se poser, mais l’attention reste
actuelle et virtuelle, autrement dit : « Quand
toujours en éveil, prête à suivre ceux qui, sur
pour exister, on donne tout pouvoir à une autre
scène, s’en donnent à coeur joie.
entité. » le spectacle est introduit par une interprétation musicale de yann Costa dans la pénombre, puis Jennifer interpelle le public et aux quatre coins de la salle, les autres danseurs pliés en deux comme des pantins viennent la rejoindre. l’échafaudage de la tour de Babel est dans un premier temps laissé à terre et Jennifer Beals, l’ouvrière au chalumeau, en action. Puis, les tableaux s’enchaînent, avec nombre d’objets cultes -
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TEXTE DOMINIQUE LOUIS PHOTOGRAPHIE DR
Les prémices du Festival
du Film d’Afrique et des îles
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CINÉMA
Le Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou - FESPACO - créé dans la capitale du Burkina Faso en 1969, et le Festival International du Film d’Afrique et des îles - FIFA - créé au Port en 1993, jouent sur la même partition : favoriser la diffusion des œuvres du cinéma africain. Cette année, les liens se sont renforcés avec la participation de Mohamed SAÏD OUMA, délégué général du FIFAI, qui était membre du jury de la section « Documentaires » de cette 24 e édition du Fespaco. Dans un contexte extrêmement particulier, les échanges informels entre les participants à cette grande manifestation du cinéma africain laissent augurer de belles surprises en prélude du FIFAI qui va se dérouler, comme tous les ans, au Port, de fin septembre à début octobre. lA GeNèSe Du FIFAI
À l'origine, en 1993, journées du film d'Afrique
C'est d'ailleurs Nicol M' CoueZou, de village
et des îles, le Festival International du Film
Titan, qui, en 2003, suggérera le changement
d'Afrique et des Îles naît de l'engagement pas-
d'orientation que constitue le passage à la
sionné d'Alain GIlI, acteur culturel œuvrant
compétition et donc la transformation en
tant dans le domaine du livre (ADeR) que celui
Festival International du Film d'Afrique et des
du cinéma (Fédération Abel Gance) et dont
Îles.
l'intérêt pour l'Afrique prend sa source dans sa rencontre – il l'a eu comme professeur - avec
lors de l'édition 2005, la ville du Port décide de
Joseph KI-ZeRBo, historien et homme politique
s'investir dans la manifestation qui, en 2006,
burkinabè qui a marqué l'histoire intellectuelle
intégrera son service culturel, ce qui fournira
et universitaire de l'Afrique et lui donnera la
une assise institutionnelle permettant de
passion de ce continent.
développer la manifestation. Pour parachever les choses, l'achat par la
Pendant 10 ans, Alain GIlI va, à la Réunion,
municipalité, en 2011, d'une salle du circuit
s'évertuer à faire connaître, reconnaître et
commercial ayant fermé ses portes, donne un
aimer un cinéma « différent », des îles, de l’Afrique
lieu propre au festival.
et des diasporas, totalement exclu des circuits
Aujourd'hui, équipé des derniers dispositifs de
commerciaux cinématographiques locaux.
projection numérique, l'ancien Casino permet
et cela, au rythme d'une programmation - les
au FIFAI d'accéder à une nouvelle dimension.
moyens ne sont pas toujours au rendez-vous -
une fois sa rénovation achevée, outre le
qui se veut annuelle, mais connaîtra parfois
berceau du FIFAI, la salle aura pour vocation
des impasses. Dans sa démarche, il trouve -
d'offrir une proposition d'art et essai régulière
via Alain SeRAPHINe et son équipe - un appui
dans une île où cette dimension a disparu
auprès de village Titan et de l'Institut de
depuis 1990.
l'Image de l'océan Indien (IloI).
’
CINÉMA
le FIFAI ANCRÉ DANS SoN eNvIRoNNeMeNT GÉoGRAPHIQue
Devenue - dans son créneau - une manifestation
Promoteur d'un cinéma qui sait transcender
de référence dans le circuit mondial des festi-
son manque de moyens par le talent ; interro-
vals de cinéma, le FIFAI met en avant, bien sûr,
geant le fait politique, sociétal et l'histoire sur
l'Afrique, mais aussi les îles, et plus particuliè-
un ton parfois grave ; usant de l'humour et de
rement les îles de l'océan Indien et ce, grâce au
la dérision pour mieux exciper de la gravité
réseau établi avec les différents partenaires
du sujet, les films montrés au FIFAI sont les
des festivals de la zone et l'émulation générée
miroirs grossissants des questionnements qui
sur le territoire réunionnais.
traversent les sociétés d'Afrique et de nos îles.
la mise en place, depuis 2007, d'un prix « Fé Net
l'édition 2015, qui se déroulera comme à l'ac-
océan Indien » réservé aux concurrents de
coutumée fin septembre - début octobre, ne
la zone (malgaches, mauriciens, comoriens,
devrait pas déroger à la mission que s'est fixée
réunionnais) d'un montant de 5000 €, se veut
le Festival International du Film d'Afrique et
une motivation supplémentaire à la produc-
des Îles : « Montrer au public ce qui n'est jamais
tion, une dynamique qui semble porter ses
montré », au travers de réalités à la fois an-
fruits. À chacun des lancements d'appels à
crées dans notre espace indo-océanique, mais
films, dans la période de mise en place du
aussi dans d’autres environnements : Haïti,
festival, ce sont ainsi plus de 450 films qui
Cuba, Antilles, Afrique : « afin de nous faire ouvrir
sont transmis du monde entier, avec un fort
les yeux sur nous-mêmes et sur ailleurs. »
apport de la zone.
66
F e S P A C o 2 0 1 5 , e N T R e M e N A C e S e T M u TAT I o N S …
Mohamed SAÏD ouMA a vécu de l'intérieur,
outre ces aspects logistiques, ce qui a marqué
en tant que membre du jury de la section
Mohamed SAÏD ouMA, c'est la menace terroriste
« Documentaires », la vingt-quatrième édition
de djihadistes ayant directement menacé la
du Fespaco, qui s'est déroulée du 28 février au
manifestation du fait de la présence du film
Timbuktu, ce qui n'a pas infléchi la position du
7 mars 2015 à ouagadougou.
festival quant à sa projection. Timbuktu, pour une édition, à plusieurs titres particulière, tant
ses deux projections, a eu plus de spectateurs
dans le contexte que dans les modalités de son
à l'extérieur que dans la salle, du jamais vu au
déroulement.
FeSPACo !
Ce FeSPACo 2015 intervenait trois mois après
le film n'en a pour le moins pas évité de dé-
la révolution burkinabé de novembre 2014 et
frayer la chronique, puisque certains voyaient
le départ du pouvoir de Blaise CoMPAoRe,
dans les sept César obtenus lors de la dernière
après 27 ans d'exercice, poussé à la démission
cérémonie française la démonstration qu'il
par le peuple alors qu'il tentait de modifier la
s'agissait d'un film fait pour les occidentaux.
constitution pour se faire élire une cinquième
« Cela n'a pas de sens, même s'il n'a pas gagné
fois. Côté sanitaire, la crainte du virus ebola
l'Étalon d'or, comme certains avaient pu le
demeurait vive dans cette région du monde.
penser, Timbuktu est un grand film. Cissako,
Autant d'éléments qui ont pu laisser craindre
qui a déjà gagné l'Étalon d'or, il y 12 ans, est un
l'annulation de l'événement.
grand cinéaste qui a déjà signé de grandes
D'autant que l'organisation même de la mani-
oeuvres, comme Bamako par exemple. »
festation était décapitée avec le limogeage de Michel oueDRAoGo, le délégué général de la
Pour Mohamed SAÏD ouMA, «…le Fespaco est
manifestation, jugé trop proche de l'ancien
plus qu'un festival, c'est le rendez-vous de tous
régime et son remplacement par Ardiouma
ceux qui s'intéressent à l'avenir du cinéma sur
SoMA, le directeur artistique de la manifesta-
le continent africain, il y a un côté familial
tion depuis 2012.
également car demeure en toile de fond cette vieille idée du panafricanisme qui est certes
Investi fin décembre, celui-ci a eu 15 jours pour
morte ou en train de mourir, mais qui demeure
finaliser la sélection officielle et deux mois
dans les esprits, également le fait que dans la
avant que ne soient frappés les trois coups. et
plupart des pays, les cinéastes se retrouvent
le pari a été tenu, alors même que le festival
seuls, les états ne mettent pas en place ce
connaissait une mutation fondamentale avec
qu'ils doivent mettre en place ! le FeSPACo
son passage au tout numérique, un véritable
est donc pour eux un moment privilégié où ils
tour de force qui démontre l'importance de
peuvent parler, échanger, aller voir des films,
cette manifestation aux yeux du pouvoir
évoquer les difficultés qu'ils rencontrent. »
burkinabé.
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’
CINÉMA
P o RT R A I T D e M o H A M e D S A Ï D o u M A
Mohamed SAÏD ouMA, délégué général du
le courant passe entre les deux hommes au point
Festival International du Film d'Afrique et des
que Mohamed SAÏD ouMA devient le second
Îles (FIFAI) est un comorien de la diaspora de
d'Alain GIlI dans cette aventure cinématogra-
la deuxième génération. Sa mère a vécu toute
phique et enchaîne les responsabilités (chargé
son enfance à Majunga et son père a fui la
de la production, assistant à la programma-
maltraitance familiale en s'embarquant clan-
tion, chargé des relations internationales,
destinement sur un bateau à 13 ans, direction
etc.) au sein du Festival International du film
Madagascar.
d'Afrique et des Iles de la ville du Port, à l'Ile de
la famille s'installe ensuite à la Réunion où
la Réunion.
Mohamed voit le jour. Il grandit en France
Au moment du départ à la retraite d'Alain GIlI,
métropolitaine et fait ses études supérieures
en 2012, il devient délégué général de la ma-
à londres où il s'oriente vers le journalisme
nifestation.
culturel audiovisuel.
Ayant travaillé comme journaliste durant
De retour à la Réunion en 2004, pour retrouver
plusieurs années en Angleterre, Mohamed
ses racines réunionnaises, il découvre un peu
SAÏD ouMA est par ailleurs réalisateur et
par hasard le FIFAI et fait la connaissance
scénariste. l'essentiel de son œuvre, qu'il s'agisse
d'Alain GIlI, créateur et cheville ouvrière de la
de documentaire ou de fiction, tourne autour
manifestation.
des différentes facettes de la problématique comorienne.
2014
Magid le magicien court-métrage de fiction 23' / Réalisateur
2007
Matso, épilogue du mythe de la cinquième île doc 5' / Réalisateur
2007
Le mythe de la cinquième île doc 56' / Réalisateur
2006
Les mariés de l'Isle Bourbon téléfilm 2x90' d'euzhan Palcy / Script
2005
Stealing a nation doc 52' de John Pilger / Traduction version française
2005
De la visibilité doc 12' / Réalisateur
1999
Je rap donc je suis de Philippe Roizes doc 76' / Assistant Réalisateur
1997
Aktuel Force doc 26' / Réalisateur
TEXTE STÉPHANIE LEGERON PHOTOGRAPHIE BRUNO MARIE
Stéphanie Légeron et Bruneau Marie préparent la sortie d’un très beau livre sur les Terres Australes et Antarctiques Françaises réunissant les chroniques de leurs nombreux voyages sur le mythique Marion Dufresne, notamment. Des îles éparses à la Terre-Adélie en passant par les Kerguelen et les îles subantarctiques françaises, ils nous livrent leurs reportages artistiques. Très belles photos inédites, textes ancrés dans l’émotion des paysages autant que dans l’approche géographique et scientifique, nous vous présentons, en avant-première, quelques facettes de ce magnifique album très attendu.
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TA A F
le Marion Dufresne II, navire ravitailleur et océanographique des TAAF, au large du front du glacier Cook de Kerguelen, le plus grand glacier de France.
un phoque de Weddell se prélasse au soleil sur la banquise, non loin de la base française Dumont d’urville en Terre-Adélie.
Portfolio 71
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Ci-dessus. le Parc naturel marin des Glorieuses, 4 e parc marin français et 2 e de l'océan Indien après Mayotte dont il est contigu, a été créé par décret en 2012. A gauche en haut. vue aérienne de la péninsule Rallier du Baty, dans le sud-ouest de la Grande Terre à Kerguelen. Ses paysages spectaculaires diffèrent du reste de l'archipel. A gauche en bas. Palétuviers du « petit lagon » d’europa, à l’embouchure de la lagune intérieure bordée de mangrove, qui entaille l’île dans sa partie nord-est.
en haut. le plus grand de tous les manchots et le seul à se reproduire au cours de l’hiver antarctique. en bas. une vie animale foisonnante trouve refuge dans les îles subantarctiques. les plages de Kerguelen hébergent par exemple plus de 13 000 éléphants de mer.
Desigual CC Jumbo Duparc Sainte-Marie
Inoxy Select 64, rue Rhin et Danube Saint-Paul (à côté de la Poste)
Dilem CC Leclerc Portail Saint-Leu
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PA P I L L E S E N F Ê T E
RECETTE BENOÎT VANTAUX
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PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC
Ananas rôti Une recette de l’Atelier de Ben
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& ses tuiles croustillantes
Les Tuiles 50 g de sucre Le jus d’une demi-orange 15 g de beurre pommade 15 g de farine RECETTE PAR ÉTAPES Mélanger le sucre, le beurre et la farine. Ajouter le jus d’orange. Déposer une noisette de pâte sur la plaque recouverte d’un papier sulfurisé. Enfourner à 200 degrés 5 à 6 min. Le Caramel 50 g de sucre 1 brin de romarin 1 pincée de fleur de sel 1 cuillère à soupe de vinaigre balsamique 1 noisette de beurre RECETTE PAR ÉTAPES Mettre dans une casserole le sucre, laisser fondre le sucre en caramel blond. Retirer du feu , mettre un brin de romarin, la fleur de sel. Déglacer avec le vinaigre balsamique et la noisette de beurre frais. L’ananas 1 ananas Glace vanille Chantilly
T. 0262 217 403
35 avenue de la Victoire 97400 Saint-Denis île de La Réunion
A NOTER : IL N'Y EN AURA PAS POUR TOUT LE MONDE !!!
RECETTE PAR ÉTAPES Découper l’ananas en tranches assez épaisses. Faire rôtir au beurre dans une poêle pendant 5 à 8 minutes. Dresser sur une belle assiette les tranches d’ananas entrecroisées de tuiles, déposer une boule de glace vanille et de la chantilly, faire ensuite couler délicatement le caramel. Bonne dégustation ! La Cave de la Victoire suggère de savourer ce succulent dessert accompagné d’un Gewurztraminer Grand Cru brand des caves de Turckheim. Restaurant l’Atelier de Ben 12, rue de la Compagnie Saint-Denis T. 0262 41 21 40
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Dans la limite des stocks disponibles 50 bouteilles achetées = 50 bouteilles offertes Domaine Saint-Jean - Les Mimosas Vin de Pays du Mont Baudile
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H O R I ZO N
PHOTOGRAPHIE GAËTAN HOARAU
Spectacle grandiose au Piton de la Fournaise Cette année, le volcan nous a offert de grands moments d’émotion. Deux explosions à quelques mois de distance ! un matin, des panaches rougeoyants de fumée s’invitèrent au milieu des nuages qui n’avaient pas encore fui vers l’océan et le ciel devint, soudain, le théâtre d’un tango endiablé emporté par l’impétuosité du vent. le calme revenu, un magnifique arc-en-ciel vint alors signer l’accord de paix entre les éléments déchaînés.
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H O M M AG E
« Quand on me demande : « C’est loin les Comores ? », je réponds : « Ah, cela dépend si on part en bateau, en avion, en pirogue, en boutre, à la nage ou en tapis volant ! Là, c’est très loin. Cependant, si on y va sur le dos d’un conte, c’est juste là, à portée d’oreilles ! » C’est ainsi que l’enfant des îles et de la lune se présente. le grand conteur Salim Hatubou vient de s’en aller brusquement, laissant un grand
Salim Hatubou le conteur comorien vit maintenant au cœur de l’univers
vide dans le paysage littéraire d’expression française dont il est aux Comores un des pères fondateurs. Né dans le village Hahaya en juin 1972, il a douze ans lorsqu’il débarque à Marseille avec son père. Depuis le début, la littérature le passionne et il s’y attèle. Avec le temps, il devient un auteur prolifique, s’essayant à tous les genres, romans, contes, théâtres, essais, albums pour enfant … Avec l’envie de transmettre autant que celle d’interroger sur
TEXTE FRANCINE GEORGE PHOTOGRAPHIE PHILIPPE MOULIN
les questions de mémoire et d’identité. À travers le conte, il réussit à tisser un lien entre les peuples et les générations. Fidèle à son engagement, il a créé des ateliers d’écriture à Moroni pour aider les jeunes talents à émerger, tout autant qu’il a créé dans les quartiers nord de la cité phocéenne où il passé son adolescence, des espaces lectures à destination des nouveaux émigrés. Guidé par une muse, sa grandmère, qui lui a transmis le goût du récit et lui a appris à habiter ses personnages, il a séduit tous les publics qui ont eu la chance d’assister à ses spectacles. Il a écrit pour sauvegarder les traditions orales de son pays dont il est l’un des meilleurs ambassadeurs en se produisant dans les festivals du monde entier. une crise cardiaque l’a emporté à l’aube de ses 43 ans. une perte immense pour ses proches, pour son public, pour la littérature comorienne, pour l’univers du conte… Son sourire flamboyant et son esprit altruiste resteront cependant gravés pour toujours dans l’imaginaire collectif.
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