Bat'Carré N°2

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CARRÉ

BAT’ NUMÉRO 2 // OCTOBRE - NOVEMBRE 2011

rendez-vouS avec chriStian vaiSSe

rencontre Sonia ribeS

Shanghai la ville monde

VOYAGE DANS LE PATRIMOINE À LA RÉUNION



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CARRÉ

BAT’

ÉVASION CULTURELLE BEAUX LIVRES, ÉVASION JEUNESSE, ROMANS DU MONDE VOYAGE DANS LE PATRIMOINE RÉUNIONNAIS DE LA PIERRE AU VOYAGE DANS L’OCÉAN INDIEN LE MADOI, L’ART DE RAYONNER KOUR KRÉOL, UNE INVITATION AU VOYAGE LAURATET, LEVER DE RIDEAU SUR LE CHÂTEAU L’ODYSÉE DE LAPÉROUSE, UNE EXPOSITION 73 MARCHES CONDUISANT AU CHEMIN DE RONDE REGARDS CROISÉS ET PERSPECTIVES RENDEZ-VOUS AVEC CHRISTIAN VAISSE MADAGASCAR EN PIROGUE CHRONIQUE AKOUT LABSYNC, DE LA TÊTE AUX PIEDS COUP DE CŒUR TAM-TAM ESPACE PHOTO EDGAR MARSY ET THIERRY HOARAU RENCONTRE SONIA RIBES, LA GRANDE EXPLORATRICE HORIZON SAUVAGE DANS LES ENTRAILLES DU VOLCAN EXPÉRIENCE DURABLE LA SAISON DES BALEINES VOYAGE-VOYAGE SHANGHAI, LA VILLE MONDE SEPTIÈME ART HOMMAGE À SIDNEY LUMET FESTIVAL DU CINÉMA, LES AUDACES DE LA SEPTIÈME ÉDITION RÉUNIONNAIS DU MONDE SÉBASTIEN PAYET, UNE ENVIE DE GRANDS ESPACES TOTAL DANSE TOTAL DANSE & COMPAGNIES JEUX PAPILLES EN FÊTE ROUGAIL MORUE À TOUTES LES SAUCES RÉSULTATS DES JEUX

Remerciements spéciaux à La caisse Locale du Crédit Agricole partenaire de ce numéro sur le patrimoine réunionnais et à Monsieur Alain-Marcel Vauthier.

Tous droits de reproduction même partiels des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.

Couverture Photo Christian Vaisse Éditeur BAT’CARRÉ bimestriel Adresse 16, rue de Paris 97 400 Saint-Denis Tel 0262 28 01 86 www.batcarre.com ISSN 2119-5463

Directeur de publication Anli Daroueche anli.daroueche@batcarre.com 0692 29 47 50 Directrice de la rédaction Francine George francine.george@batcarre.com 0262 28 01 86 Rédacteurs Béatrice Binoche, Véronique Lauret Valérie Boulares, Stéphane Maïcon Guillaume Peroux, François Gaertner Francine George

Secrétaire de rédaction Aline Barre Directeur artistique P. Knoepfel, Crayon noir Photographes André Blay, Christian Vaisse Edgar Marsy, Thierry Hoarau Jean-Noël Enilorac, Stefan Maïcon Illustrateurs PL, Yann Tafanel Exécution graphique Crayon noir

Vifs remerciements pour leur collaboration Bernard Leveneur, Michel Hössler Anne Giroud, Gwen Besrechel Marc Danguy, Sonia Ribes Vincent Dunogué, Gaetan Hoarau Thierry-Nicolas Tchakaloff Flore Baudry, Frédéric Viguerie Fabienne Redt, Sébastien Payet Jean-Pierre Laurent Grandpré

Développement web Anli Daroueche Publicité Francine George : 0262 28 01 86 Anli Daroueche : 0692 29 47 50 Distribution Flash card - Francis Foissard Impression Graphica 305, rue de la communauté 97440 Saint-André


Juste un mot pour vous dire : Voyagez ! Juste à côté de chez vous, le voyage peut commencer... Le voyage permet de prendre du recul, et de découvrir aussi ce qui est proche de nous et que nous ne regardons même pas. Le patrimoine à La Réunion offre, en ce sens, un formidable voyage où l’impromptu est au rendez-vous. Le livre, la musique, la scène de spectacle, le cinéma nous transportent dans des univers inconnus et nous apportent les nourritures de l’âme nécessaires à notre bien-être. Nous vous proposons dans ce deuxième numéro de Bat’Carré de voyager ! voyager ! voyager !

Francine George

rendez-vous sur www. batcarre.com



E VA S I O N C U LT U R E L L E

LA RUBRIQUE DE

VÉRONIQUE LAURET

Beaux livres 100 ans au service de la littérature TITRE

GALLIMARD 1911-2011, UN SIÈCLE D’ÉDITION - EDITEUR BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE / GALLIMARD

NOUS VOUS PROPOSONS, TOUS LES MOIS, UNE SÉLECTION DE LIVRES QUE NOUS AVONS AIMÉS, SANS FORCÉMENT SUIVRE L’ACTUALITÉ LITTÉRAIRE OU LE DIKTAT DES MEILLEURES VENTES. SEULE NOUS ANIME L’ENVIE DE PARTAGER AVEC VOUS NOS SURPRISES LITTÉRAIRES. SI VOUS SOUHAITEZ NOUS JOINDRE VOS PLAISIRS DE LECTURE, ENVOYEZ VOTRE TEXTE DE PRÉSENTATION SUR WWW.BAT’CARRÉ.COM. BONNE LECTURE !

1911-2011: un siècle que la maison d'édition Gallimard fait la part belle à la littérature. Cela valait bien un livre. Et quel livre ! Un objet somptueux que tous les amoureux des livres rêvent d'avoir dans leur bibliothèque. Une plongée dans un siècle d'édition : la création de la maison (dont le nom premier est La Nouvelle Revue Française et ce, jusqu'en 1961), son ascension, la naissance des collections, les auteurs qui en ont fait le prestige. Gallimard, c'est un nom qui force le respect dans l'édition française, avec au catalogue 35 prix Goncourt, 36 écrivains ayant reçu le Prix Nobel de littérature et 10 écrivains récompensés du prix Pulitzer.

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Mais plonger dans l'histoire des éditions Gallimard, c'est avant tout plonger dans l'histoire plus générale de la littérature en France. Entre courriers, archives et fiches de lecture, c'est tout un monde qui prend forme sous nos yeux, dont les principaux protagonistes ont pour nom Antoine de SaintExupéry, André Malraux, Raymond Queneau, Marcel Proust, pour ne citer qu'eux. Ouvrir ce livre-hommage, c'est aussi découvrir que derrière les éditions aux couvertures couleur crème, il y a des hommes animés par une vraie passion pour la littérature. Des hommes qui se trompent aussi parfois, comme lorsque Jean Schlumberger refuse, en 1913, À la recherche du temps perdu de Marcel Proust : « la plus grave erreur de la NRF ». Une erreur vite réparée puisque, dès 1917, Proust entre au catalogue Gallimard. Aujourd'hui, Gallimard, c'est un groupe de 1000 salariés qui attire toujours les grands noms de la littérature française et étrangère et continue son travail de découvreur de talents. Gallimard, un nom qui compte, inscrit dans le patrimoine français à jamais.


BLOG AUTEUR

JEAN-PHILIPPE BLONDEL - EDITEUR ACTES SUD JUNIOR

évasion jeunesse

Adolescent de 16 ans, le narrateur entre dans une rage folle lorsqu’il découvre que son père a lu son blog. Impossible de lui pardonner cette intrusion dans son intimité ! Il décide de ne plus adresser la parole à son père car trop, c’est trop.

Pour tenter de renouer le dialogue, le père laisse un soir à son fils un vieux carton, jusqu’ici entreposé au grenier. A l’intérieur, quelques vieilles photos et des carnets : les journaux intimes de son père adolescent. Pas forcément heureux de ce marché « j’ai violé ton intimité, je t’offre la mienne », le jeune homme se prend finalement au jeu de la lecture. Et c’est un père qu’il ne connaît pas qu’il va découvrir. Un jeune homme aux rêves brisés et au lourd secret, un événement si douloureux qu’il l’a caché à ses enfants, rayé de sa vie mais sûrement pas de son cœur. Roman sur l’écriture de l’intime, Blog évoque avec justesse l’adolescence d’aujourd’hui et le paradoxe de ces nouvelles technologies qui mettent à nu l’intime. Vie publique ou vie privée, où est la limite quand elles s’étalent sur Internet ? Roman sur la filiation aussi, Blog déroule les fils de l’amour paternel, fraternel, du lien qui existe malgré tout. ZANIMO RÉUNION AUTEUR EDITEUR

BRÈVES LA RÉUNION SALUÉE PAR OUESSANT CETTE ANNÉE ENCORE LES LIVRES JEUNESSE ONT SÉDUIT LES JURYS DU SALON DU LIVRE INSULAIRE D’OUESSANT. MODESTE MADORÉ ET LAURENCE COULOMBIER ONT DÉCROCHÉ LE PRIX JEUNESSE DANS LA CATÉGORIE ALBUM POUR MAKI CATTA PARU CHEZ OCÉAN JEUNESSE.

FLORENCE DEMARCHE & YANN TAFANEL EPSILON JEUNESSE

Un petit livre à découvrir de mille façons : par les illustrations pleines d’humour de Yann Tafanel, par les textes imagés de Florence Demarche, ou encore en jouant aux devinettes pour épater les bambins. Un livre ludique et pédagogique pour découvrir la faune de l’île.

LES BAOBABS AMOUREUX AUTEUR

MAÏWENN VUITTENEZ - EDITEUR OCÉAN JEUNESSE

Connaissez-vous l’histoire de ces curieux baobabs enlacés que l’on trouve à Madagascar ? Maïwenn Vuittenez en a imaginé une tendre qui fait la part belle à l’entraide et à l’amour. S’il peut faire déplacer les montagnes, pourquoi ne pourrait-il pas faire s’aimer les baobabs ? MAMIE A BESOIN DE BISOUS

QUANT AU SAGE MOUTON IMAGINÉ PAR FRED THEYS DANS LES ZAZOUS… 1- L’INITIATION, PUBLIÉ CHEZ ORPHIE, IL EST REPARTI AVEC UNE MENTION SPÉCIALE.

AUTEUR

ANA BERGUA & CARME SALA - EDITEUR OCÉAN JEUNESSE

Mamie a une grande maison avec plein de chambres. Alors, quand elle vient habiter chez les parents de Maïté, celle-ci n’a pas très envie de lui prêter sa chambre. Mais mamie perd un peu la tête, beaucoup les mots, et ne peut plus vivre seule. Toute la famille va s’unir pour rendre son quotidien plus facile. Un livre plein d’amour et de gestes tendres sur le thème de la vieillesse et la maladie d’Alzheimer.


E VA S I O N C U LT U R E L L E

romans du monde LA BÂTARDE D’ISTANBUL GOURMANDISE TURQUE AUTEUR

ELIF SHAKAF - EDITEUR 10/18

À part le plaisir des longs repas familiaux, tout semble séparer les Kazanci et les Tchakhmakhian : entre les Turcs et les Arméniens, il y a un génocide passé sous silence. Pourtant, et malgré la distance - une famille en Turquie, l’autre aux Etats-Unis des liens se sont subrepticement tissés entre elles. La rebelle Zeliha Kazanci a donné naissance à 19 ans à Asya, né de père inconnu. De l’autre côté du monde, Rose, l’épouse américaine de Barsam Tchakmakhian quitte son mari, emportant avec

elle leur fille Armanoush… et épouse un Turc, Mustafa Kazanci. Devenue étudiante, Armanoush décide d’aller en secret retrouver ses racines arméniennes à Istanbul. Roman foisonnant, La bâtarde d’Istanbul est rempli d’odeurs de cuisine, de ragots de bonne femme, de personnages haut en couleur et d’amour. Elif Shakaf aborde l’histoire de son pays et celle du génocide arménien - qui lui a valu des menaces d’emprisonnement - à travers deux familles que l’Histoire a dressé l’une contre l’autre. Et toute la force de ce livre réside sans doute ici : un ton enlevé, enjoué, une trame qui vous emporte, des personnages attachants et derrière la légèreté apparente, un coup de pied dans les consensus.

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BRÈVES Les éditeurs s’amusent Certains livres ont la tranche colorée, comme le dernier opus de James Frey, d’autres sont à découper soi-même comme dans la collection de poésie chez Fata Morgana. Et puis, il y a le livre nouvelle génération imaginé par les éditions Point 2. Un format ultra compact et un poids mini, une nouvelle façon de lire aussi, de haut en bas, pour un bel objet qui tient dans une seule main. De l’amour au goût de soufre Entre enquête policière et dissolution d’un amour, Joëlle Ecormier offre avec son dernier roman, B(r)aises, un huis-clos tout en tension et en sensualité dans les vapeurs du Piton de la Fournaise. B(r)aises de Joëlle Ecomier, Océan Editions. Le goût du sel… Avec ce premier roman, digne des romans du XIXe siècle par sa langue flamboyante et sa passion malheureuse, Gisèle Pinaly explore, à travers l’histoire de Louise et d’Axel, l’histoire plus large de La Réunion, de la société de l’époque où se mêlent toutes les origines. Axel, le jeune paludier breton et Louise de Lygnes, l’aristocrate de dix ans son aînée, femme délaissée qui tente de garder à flot une exploitation héritée de son père. Sur feuille songe… de Gisèle Pinaly, Editions L’Harmattan. Vers soi Entre la campagne lyonnaise et le Japon des années 1860, le rythme étonnant de ce conte épique, mais succinct, développe cette idée du voyage où se révèle aussi la partie intime de soi. Soie d’Alessandro Barrico, Éditions Folio.

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TEXTE

FRANCINE GEORGE - ILLUSTRATION PL

De la pierre au voyage dans l’océan Indien SUR UNE IDÉE DE PL À La Réunion, la pierre est l’héritage majeur de ce qui a façonné l’île émergée du volcan. Le socle des maisons créoles, le perron, le barreau, le bassin, l’allée, le caniveau, le mur de clôture sont taillés dans la pierre. L’escalier, tout comme la route, doit trouver son chemin au milieu de la roche volcanique. Nous foulons sous nos pieds des trésors de travail soigné, sans nous en apercevoir. Un hommage mérite d’être rendu à tous ces tailleurs de pierre qui, au marteau et au burin, ont réalisé depuis l’origine ces travaux d’Hercule, avec une minutie exemplaire. LE VOYAGE DANS LE PATRIMOINE Pour la 28e édition des Journées européennes du patrimoine, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a choisi le thème du voyage : « L’art de bâtir s’est toujours nourri des imaginaires, des échanges de savoir-faire, des influences de l’ailleurs et du partage des rêves. » Dans cet esprit du voyage, La Réunion va accueillir le premier colloque international sous l’égide de l’UNESCO, sur le patrimoine de l’océan Indien. Une trentaine de spécialistes et une quinzaine de pays vont se réunir au Grand Marché du 2 au 4 novembre 2011 pour débattre et échanger sur les moyens de valoriser le patrimoine urbain, architectural, matériel, et immatériel de l’océan Indien. La voie est ouverte à la définition de cet espace culturel au travers de la ville patrimoniale pour commencer. L’objectif étant d’identifier les moyens de coopération internationale à mettre en place pour préserver ce patrimoine spécifique de l’océan Indien. APPORTER SA PIERRE À L’ÉDIFICE Par ailleurs, la Région, avec le MADOI, organise du 15 au 17 décembre dans le cadre de l’année des Outre-mer, un « colloque international sur le néoclassicisme dans les colonies européennes » en portant un autre regard sur cet espace culturel océano-indien à définir. Dans une logique de proximité et de façon pragmatique, La Région a d’autre part lancé un programme d’envergure pour accompagner les vingt-quatre communes de l’île dans la rénovation de leur patrimoine bâti. La participation financière s’élève à 70 %, voire 80 %, des dépenses éligibles. Plan de relance de la commande publique, qui doit conduire à la redynamisation de l’emploi, ce vaste programme touche autant les équipements culturels et sportifs, que les écoles et le patrimoine bâti et architectural. BAT’CARRÉ AUX JOURNÉES DU PATRIMOINE Retour sur ce week-end du mois de septembre. Nous vous proposons de vous promener dans le temps et dans l’espace, à l’occasion de ce temps fort qui permet de se familiariser avec l’histoire de La Réunion sous plusieurs facettes, mémoire agricole, langage des objets décoratifs, trace des grandes expéditions, témoignage de l’art pictural, influences botaniques, vie de château...

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VOYAG E D A N S L E PAT R I M O I N E R E U N I O N N A I S

Sur une idée de PL, un hommage aux tailleurs de pierres.

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VOYAG E D A N S L E PAT R I M O I N E R E U N I O N N A I S

TEXTE

FRANCINE GEORGE THIERRY HOARAU

PHOTOGRAPHIE

LE RAYONNEMENT INTÉRIEUR

LE MADOI, MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS DE L’OCÉAN INDIEN, A OUVERT SES PORTES EN 2008 SUR LE DOMAINE DE MAISON ROUGE À SAINT-LOUIS. LABELLISÉ MUSÉE DE FRANCE, GRÂCE À L’IMPLICATION DE LA RÉGION ET À LA TÉNACITÉ DE SON CONSERVATEUR THIERRY NICOLAS TCHAKALOFF, L’ENSEMBLE DES COLLECTIONS REPRÉSENTE UN FONDS DE PRÈS DE 2 000 PIÈCES, MEUBLES, TEXTILES, MÉTAUX, CÉRAMIQUES ET OBJETS D’ART. UN VOYAGE INTIME DANS L’ART DE VIVRE SOUS LES TROPIQUES.

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Le MADOI s’est installé sur les vestiges réhabilités du XVIIIe siècle de la seule plantation de café de La Réunion. En arrivant dans ces lieux - les écuries rénovées - l’atmosphère change, les époques se juxtaposent. L’enveloppe du bâtiment est là, comme une peau qui habille un corps, mais le corps n’est plus. Le soleil joue dans les gouttières à persienne et dessine sur le mur badigeonné d’ocre une frise de pointillés. L’air reste frais et les fleurs du caféier s’ouvrent à peine. Le calme serein de pleine campagne est parfois perturbé par le caquetage impromptu des poules. D’une tasse de café prise dans la cour intérieure s’échappe l’arôme subtil du bourbon pointu. Le maître des lieux nous accueille pour une visite guidée. Le contraste avec l’extérieur est saisissant. Pour préserver le textile et les objets précieux, la luminosité avoisine la pénombre, et le froid devient presque polaire. D’entrée de jeu, une carte du monde trace les itinéraires des grands explorateurs. À la route terrestre de la soie s’est substituée la route maritime des épices, inaugurée par les Portugais en 1498, partis de Lisbonne pour installer des comptoirs sur le littoral ouest de l’Inde. Puis, les flottes hollandaises, britanniques, persanes et hindoues sillonnèrent l’océan Indien jusque vers les côtes de Chine. La collection inestimable du musée met à jour toutes ces influences qui s’intégraient dans les modes de vie et les savoir-faire au fil des siècles. Après avoir mis en scène le Jardin des lettrés sous les Ming et les Qing, les influences persanes dans l’art textile en Inde, la nouvelle exposition temporaire nous convie à découvrir l’art du siège. Cette exposition poursuit son exploration des modes de vie au XVIIIe siècle à La Réunion en s’appuyant sur quatre dimensions : « l’art du bois, les essences, l’alchimie des couleurs et la céramique pour déboucher sur le génie créole. »


Le MADOI

l’art de rayonner

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VOYAG E D A N S L E PAT R I M O I N E R E U N I O N N A I S

LE RAYONNEMENT INTERNATIONAL

Musée des Arts décoratifs de l’Océan Indien 17 chemin Maison Rouge 97 450 Saint-Louis Tél : 0262 91 24 30 Heures d’ouverture Du mardi au vendredi de 9h30 à 12h00 et 14h00 à 17h00 Samedi de 14h00 à 17h00 Le premier dimanche du mois de 14h00 à 18h00

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Le bois est difficile à travailler. L’art du siège fait appel à une palette de métiers différents, menuisier, sculpteur, peintre-doreur, tapissier... En Inde, les sculpteurs sont rompus à cet art. Ce fauteuil rond en Ébène incrusté d’ivoire en témoigne. À La Réunion, il a fallu tout inventer. Les menuisiers, principalement charpentiers de marine, n’avaient ni le savoir-faire, ni les outils adéquats : « Les sculpteurs indiens avaient un niveau de raffinement qui n’existait pas en Europe, sauf peutêtre à Venise. » Il faut une grande expérience pour arriver à façonner les bois tropicaux réputés extrêmement durs. « L’inventivité créole va, peu à peu, mettre à profit ces contraintes pour les transformer en valeur esthétique. » Le dossier à angle droit en est l’illustration, à côté de ces sièges aux courbures sophistiquées ou ces banquettes où l’on s’assoit à l’indienne. D’autre part, la canne ne pousse pas à La Réunion. Venus d’Inde, ou de Chine, des paquets de rotin traversent l’océan dans la cale des vaisseaux pour servir au tressage de l’assise et du dossier. Escale sur la route des Indes, le mobilier est aussi importé du Cap de Bonne-Espérance, d’Indonésie ou des comptoirs de l’Inde...pour les familles les plus riches. Changement de décor. Face à nous, une immense grille ouvragée dont les arabesques convergent au centre, on ne sait par quel cheminement, en dessinant une étoile ajourée. « La perfection ! » souligne le conservateur. Cet écran de fenêtre en grès rouge sculpté, provenant de la région d’Agra en Inde, date de la fin du XVIe siècle. Une invitation à poursuivre la visite pour entrer dans un monde de couleurs. Tissus chamarrés de la côte de Coromandel, teinture de Chine en taffetas de soie peint, représentations florales du monde persan, évocation du paradis...un enchantement ! Table des Philippines en bois de palissandre, banquette de Pondichéry, fauteuil canné sur roulettes à long bras avec repose-pied mobile, raffinement du trompe-l’oeil sur un bois de pomme... Les formes et les couleurs évoluent dans un univers où chaque objet, pièce rare, raconte une longue histoire.

Dans le cadre de l’année des Outre-mer, la Région organise sous l’égide du MADOI un colloque international sur « le néoclassicisme dans les colonies européennes aux XVIIIe et XIXe siècles ». Ce colloque se tiendra du 15 au 17 décembre à Montgaillard pendant le Festival Liberté Métisse. L’objectif de cette manifestation est double : « Assurer dans un premier temps un rayonnement des collections et fédérer des groupes de chercheurs afin d’établir les bases d’un corpus de vocabulaire adapté à l’art de vivre créole. » Il y a nécessité sur une île comme La Réunion d’être très pointu et en avance sur la recherche pour exister : « L’organisation de ce colloque fait partie des missions dévolues à un musée de France et permet de positionner le MADOI comme un centre de recherche de référence en histoire de l’art. » Plusieurs pays ont répondu présent à cet appel. L’originalité de la démarche intéresse de nombreuses institutions et des centres universitaires de recherche internationaux. Quelques exemples pour se faire plaisir : Le Musée du Louvre à Paris, le musée Masséna à Nice, Le National Muséum de Dehli, Le Museu de Arte Antiga à Lisbonne, le musée des arts décoratifs de Louisiane et de Philadelphie, l’Institut National de l’histoire de l’art à Paris, diverses universités de Londres à Paris, en passant par New York... Le MADOI est un des quatre musées appartenant à la Région. La politique muséographique étant de les positionner en vecteurs de développement culturel et touristique. La volonté affirmée est aussi d’accompagner les projets qui tendent à valoriser le patrimoine de l’île. Classé au titre des monuments historiques, le MADOI est né d’un long processus préparatoire qui a permis de rénover le patrimoine architectural, construire les collections et organiser des expositions. Thierry Nicolas Tchakaloff, arrivé comme VAT il y a 25 ans sur l’île pour s’occuper de la filière bois à Saint-Louis, a consacré toute son énergie à ce projet en écumant archives et conservatoires... Il a ainsi, avec beaucoup de pugnacité, tissé des liens avec ses homologues aux quatre coins de la planète. Ainsi, le MADOI en tant que Musée de France, fait des prêts à de grandes institutions, comme le musée du Quai Branly qui, en 2015, va exposer sur 600 m2 ses collections. Une nouvelle vitrine qui permettra à La Réunion d’exister au regard du monde.


Pièces rares Jali Moghole Palampore des Indes Siège Créole à angle droit


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K OU R K R É O L une invitation au voyage

TEXTE

VANESSA BOULARÈS ANDRÉ BLAY

PHOTOGRAPHIE

C’EST UN PATRIMOINE PLUS CONFIDENTIEL, DISCRET, INTIMISTE… UN PATRIMOINE COLORÉ ET PARFUMÉ QUI HABILLE LA PLUS MODESTE DES CASES : LE JARDIN, LA « KOUR KRÉOL ». EN S’Y ATTARDANT, ON EST SURPRIS. CHAQUE FLEUR, CHAQUE PLANTE, CHAQUE ARBRE ÉVOQUE DES CONTRÉES LOINTAINES : L’ASIE, L’AFRIQUE, L’AMÉRIQUE. NOS ORCHIDÉES, NOS BOUGAINVILLIERS, NOS LETCHIS ET NOS MANGUES ONT BIEN DES VOYAGES À NOUS FAIRE VIVRE… Nous sommes dans les hauts de Saint-Denis, à La Bretagne. Yves Colette nous reçoit chez lui, dans sa cour, protégée du regard du passant derrière une palissade fermée par une grille. Ce passionné, qui pendant quinze ans fut paysagiste, sourit quand on lui demande combien de plantes agrémentent son jardin. Il a arrêté de les compter, il y en a tant ! Au premier regard, c’est un délicieux fouillis de vert teinté par-ci, par-là de touches de couleurs vives. Une invitation au voyage… « Quand vous regardez cette cour, vous êtes aussi bien en Amérique du Sud que du côté du Pacifique ou de l’Inde. » Volubile, il nous fait visiter les lieux agencés dans la plus pure tradition réunionnaise : un coin pour les plantes ornementales, un autre pour les fruitiers et les légumes, un enfin pour les aromates et les épices. « Vous n’avez aucune plante typiquement de La Réunion ici, sauf ce palmier. C’est un « palmiste cochon » comme dit kréol. Il n’est pas comestible ; les gens le donnaient à

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manger aux cochons. » L’homme de 72 ans, aujourd’hui retraité, continue de voyager, rien qu’en se promenant dans son jardin. UNE HISTOIRE D’HOMMES Un fruit à pain retient son attention : « Il vient des Moluques, un archipel de l’Est de l’Indonésie. Le fruit à pain est arrivé à La Réunion avec Pierre Poivre. » Le fruit à pain mais aussi le letchi, le manguier, le badamier, le mangoustan ou encore le longanier. On est en 1767, Pierre Poivre, botaniste et explorateur, est nommé Intendant des Iles de France (Maurice) et de Bourbon (Réunion). En moins de 10 ans, l’homme va introduire et acclimater dans les Mascareignes un nombre considérable d’arbres fruitiers, d’espèces végétales ainsi que de très nombreuses épices comme le girofle, la muscade, le poivre ou la cannelle. Ces plantes proviennent du monde entier, elles débarquent dans nos îles à la faveur d’une escale sur la route des Indes.


LA RÉUNION, UNE TERRE D’ACCUEIL Profitant d’un climat tropical chaud et humide, elles s’adaptent à leur nouvel environnement. La magie de la nature s’est associée à la volonté des hommes : Pierre Poivre est aidé dans sa tâche par le botaniste réunionnais, Joseph Hubert. « Les premières plantes introduites à La Réunion sont essentiellement vivrières, des arbres fruitiers notamment. » Hermann Thomas est conseillerécologue au Parc National de La Réunion. « Au début de la colonisation, il n’y avait que deux plantes comestibles sur l’île : les lataniers et les bois de pomme. Le reste était sans utilité. Or, il fallait nourrir les hommes. » La Compagnie des Indes Orientales donnera aux espèces importées une valeur commerciale.

Retour dans le jardin d’Yves Colette. Sur la route des épices, le voyage continue : il nous emmène un peu plus loin sur son terrain. Il s’abaisse, gratte la terre et découvre du gingembre et du curcuma, le safran péi, « deux épices qui nous viennent de l’Inde et qui aujourd’hui font partie intégrante de la cuisine réunionnaise. » L’Inde, pays d’origine également du kaloupilé, cet arbre dont les feuilles entrent dans la préparation du massalé et qui fut introduit dans l’île en 1848 par les engagés indiens. Hermann Thomas alimente lui aussi le carnet de voyage : « le piment vient d’Amérique Latine, le persil et le thym de la Méditerranée, l’ail de la Mer Caspienne, la pomme de terre du Pérou, la tomate d’Amérique du Sud comme la patate douce ou encore le manioc, dont la culture fut encouragée dès 1734

Ambiance de la kour kréol restituée par André Blay

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« La Réunion, une société en pleine mutation » sous la direction d’Eliane Wolff et Michel Watin aux Editions « Anthropos Economica »

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par Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, À l’heure de la mondialisation, alors que les voyages alors gouverneur des Iles de France et de Bourbon. » se sont démocratisés, il est facile de ramener des quatre coins du globe un brin, une graine de L’histoire nous rattrape encore... la géographie beauté. Pourtant, selon Hermann Thomas, ce n’est également. Dans le jardin d’Yves Colette, Mada- pas sans danger. « La Réunion compte environ gascar n’est pas très loin. « Le multipliant que 1000 espèces endémiques contre 3000 exotiques vous voyez là est un endémique de Madagascar. dont une centaine pose ou pourrait poser proComme le flamboyant d’ailleurs, qui n’est pas un blème. » L’hortensia par exemple, cette plante arbre de La Réunion » même si aujourd’hui, européenne très prisée des Réunionnais a quitté l’arbre aux fleurs rouges symbolise Noël dans nos jardins. Aujourd’hui, elle se propage dans les notre île. Il est devenu réunionnais au milieu du Forêts de Bébour et Bélouve. Hermann Thomas XIXe siècle à peine, tout comme le bougainvillier insiste : « Il faut être prudent : notre milieu naturel indigène est fragile. » originaire quant à lui du Brésil. La Réunion, Yves Colette aime le souligner, est une terre d’accueil. L’auteur de « Paysages et UN PATRIMOINE Identité » est affirmatif : « l’histoire du peuplement EN PLEINE MUTATION. de La Réunion se lit à travers l’introduction des végétaux. Tout cela renvoie au passé. » Une histoire que les Réunionnais se sont appropriée. Fragile aussi la kour kréol. Michel Watin, Profes« Le letchi est chinois. La mangue est indienne, seur à l’Université de La Réunion, est un spécial’ananas brésilien et le chouchou mexicain ! Il n’y liste de l’habitat créole. Il le souligne, « la cour est a rien d’endémique là-dedans et pourtant, ça fait un espace spécifique de la société créole : ni privé, ni public, les deux à la fois. » Dans les cases les partie de notre patrimoine ! » plus modestes comme les plus nobles, la cour se décline en deux temps, deux lieux : l’avant et l’arrière. « Les deux parties sont accessibles et LA PASSION sont traitées de façon différente. Si l’arrière est DES PLANTES ORNEMENTALES réservé à la famille, l’avant est destiné au public. Et ça vaut aussi pour les fleurs et les plantes C’est un espace figé dans le temps, toujours parornementales. Elles ont connu leur essor chez faitement brillant, prêt à recevoir. C’est le siège nous en 1972, date des premières Floralies de des plantes ornementales et le domaine de la l’océan Indien au Jardin de l’Etat, à Saint-Denis. femme.» Yves Colette était de la fête bien sûr. Plus de deux siècles après sa création comme jardin d’accli- Fragile donc la kour kréol, car un jardin comme matation pour les nouvelles espèces végétales celui d’Yves Colette se fait rare. Michel Watin nécessaires à la Colonie, le site expose et propose nuance, la kour kréol n’est pas en perdition, mais à la vente les nouvelles plantes qui garniront les « elle s’atténue. L’industrialisation de la construction, jardins des Réunionnais. Depuis, les pépinières nécessaire pour faire face à la démographie de ont fleuri et pas un week-end ne passe dans l’île l’île, transforme l’espace de la famille. » Les maisons sans une bourse aux plantes. Depuis, les jardins deviennent mitoyennes, l’appartement remplace ont continué de s’enrichir de nouvelles variétés. la case. « Des efforts ont été faits et le sont encore Ce fut le cas avec l’orchidée, fleur emblématique pour adapter les nouveaux logements au mode de de la kour kréol. « La Réunion, rappelle Hermann vie des Réunionnais » mais « quand on habite en Thomas, compte pas moins de 250 espèces indi- appartement, il n’y a quasiment pas de possibilité gènes, des orchidées des bois. Celles que l’on re- de produire cette partition chère à la kour kréol trouve dans nos jardins sont africaines, austra- entre l’avant et l’arrière.» Alors la tradition se liennes, américaines. » Avec ses fleurs mauves et perpétue autrement. Il n’est pas rare de voir blanches, le Franciscea orne lui aussi les jardins fleurir les balcons des immeubles. Les accords réunionnais. Celui d’Yves Colette ne fait pas excep- se font plus discrets: on réinvente le jardin. Le tion. Il est pourtant brésilien tout comme l’Heliconia, voyage que nous racontent les plantes se poursuit le fameux Bec de Perroquet aux couleurs cha- néanmoins. toyantes.


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FRANCINE GEORGE BERNARD LEVENEUR & ALAIN-MARCEL VAUTHIER PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC TEXTE

AVEC LA COLLABORATION DE

Laurate lever de rideau sur le château

LE JOUR SE LÈVE SUR LE CHÂTEAU LAURATET. LE VENT SOUFFLE À PEINE CE MATIN ET LE BRUISSEMENT DE LA FONTAINE SE FAIT LÉGER. DANS LE JARDIN, JOLI PARC AMÉNAGÉ, LES GRANDES FEUILLES DE PALMIERS CARESSENT LES BRANCHAGES DU FLAMBOYANT. LA PELOUSE SOIGNEUSEMENT TAILLÉE PERD LENTEMENT SON PARTERRE DE ROSÉE. LE BOUGAINVILLIER S’ÉTIRE CONTRE LES MARCHES DU PERRON. L’HEURE A SONNÉ AU 44, RUE ALEXIS DE VILLENEUVE. LA DEMEURE MAJESTUEUSE OUVRE SES PORTES À LA COUR RÉGIONALE DES COMPTES. L’HISTOIRE DU CHÂTEAU Dans un autre temps, le château Lauratet était une résidence bien plus modeste malgré ses dépendances. François Lécolier est le premier propriétaire recensé dans les années 1770. La maison en pierre, qui correspond aujourd’hui aux trois pièces centrales, était composée d’un grand salon au centre, entouré d’une chambre de part et d’autre. Au-dessus de ces trois pièces, se trouve un étage ayant la même distribution. Concernant les dépendances, deux pavillons en pierre donnent sur la rue et une cuisine a été construite dans la partie sud où se trouve une seconde cour avec des écuries. Seul un de ces pavillons subsiste à l’Est, l’autre a été détruit pour laisser place à un parking.

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En 1787, Jean-Joseph Pajot, substitut du procureur général, en fait l’acquisition. Il y vit avec sa femme Ursule Lagourgue et leurs neuf enfants, à l’exception de quelques années durant lesquelles il la loue à l’administration pour en faire le tribunal de Saint-Denis. La maison se situe non loin de la prison centrale de la rue du Conseil (J. Dodu).

Bernard Leveneur, historien de l’art, est un grand passionné de l’histoire de La Réunion. Nous tenons à le remercier ici pour son importante contribution à l’élaboration de ce dossier patrimoine. 1

Durant la première moitié du XIXe siècle, plusieurs familles se succèdent dans ces lieux, sans y apporter de modifications. Le 28 janvier 1876, Louise Anaïs Labarchède, épouse d’un des plus importants négociants de Saint-Denis, Richeville Lauratet, achète la demeure. Ce sont eux qui font ajouter à l’avant de la maison la magnifique façade néo-classique inspirée de celle du Musée Léon Dierx construit en 1842, et du Château Morange construit en 1860. La richesse ornementale, avec des vases Médicis sur la corniche et la grille en fer forgé, unique en son genre, restent spécifiques au château Lauratet : « Cette demeure sera le dernier exemple des folies architecturales construites à La Réunion sous le Second Empire » (Bernard Leveneur 1). La légende orale veut que le chantier ait été réalisé par des ouvriers italiens habitués à travailler le stuc. Ces ouvriers piémontais avaient creusé le tunnel du Mont-Blanc et on les avait fait venir pour la construction du chemin de fer. Mais il est tout à fait possible que la façade du château Lauratet et le somptueux portail sur la rue soient l’œuvre d’artisans réunionnais. La famille Lauratet va occuper les lieux pendant près de trente ans, jusqu’à ce que le château soit vendu au début du 20e siècle à Robert Le Coat de Kerveguen, puis à l’imprimeur Fernand Cazal, qui finalement le cèdera au ministère de l’Économie et des Finances le 16 octobre 1984.

UN PETIT TOUR DU PROPRIÉTAIRE À la fin du XIXe siècle, l’inventaire des meubles du « château Lauratet », répertorié par le notaire maître Coulhac-Mazérieux, montre que les familles bourgeoises de l’époque panachaient les modes et les styles de différents continents pour aménager leur foyer.

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Et si vous aviez poussé la porte en ce temps-là ? Imaginez-vous sous la varangue. Vous avez le choix entre un canapé en acajou rotiné ou un canapé recouvert de reps. Vous posez négligemment votre verre de citronnade sur le marbre de la table ronde en attendant l’heure du dîner. Vous prêtez attention aux notes de musique qui s’échappent du salon contigu, où votre fille fait ses gammes sur le grand piano à queue. Votre époux vous rejoint. Il préfère, quant à lui, se détendre dans l’un de ces six fauteuils renversés provenant d’Inde. Un lustre en zinc doré éclaire faiblement ce moment d’intimité. Demain, c’est votre tour de bridge. Vous aimez particulièrement la fraîcheur du salon dans l’aprèsmidi, lorsque le soleil devient trop brûlant. Vous amies viennent d’arriver. Toute joyeuse, vous les installez dans les canapés en palissandre autour de la table de jeu. Au mur, les tableaux d’Adolphe Leroy et trois grandes glaces encadrées de bois doré renvoient la scène qui pourrait être celle d’un autre peintre. Une pendule en cuivre bronzé marque le temps. La partie n’est pas facile aujourd’hui et la nervosité vous gagne. Soudain, la chaleur vous pèse, vous agitez votre éventail avec nervosité. Vous vous déconcentrez. Votre regard s’attarde sur une boîte à jetons de Chine posée sur une petite table en acajou, tandis que sur la table jumelle repose une boîte à thé laquée. Quelle est son histoire ? Votre esprit s’évade peu à peu, le prochain pli est perdu d’avance. Peu importe, vous contemplez les chaises et fauteuils en soie rouge agencés dans la pièce, et vous êtes satisfaite d’avoir pu dénicher cette tonalité-là. Au centre, le lustre de cuivre à bougies est assez discret. Des vases du Japon, et d’autres en porcelaine peinte, contiennent des fleurs fraîchement coupées. Vous êtes fière des bouquets que vous composez au gré des saisons, avec des variations de couleurs qui égayent les tonalités sombres du parquet. Fin de partie ! Au dîner, vous avez demandé à ce que l’on vous prépare du canard manille au poivre vert. Leurs lianes sont en fruit actuellement. Toute la famille est réunie autour d’une table en chêne qui peut recevoir douze convives. Les chaises sont en bois pays. Le buffet en chêne fait face au buffet en bois de natte. Votre vaisselle s’expose dans une grande vitrine, elle aussi en bois de natte. Et discrètement, une petite horloge américaine témoigne qu’ici, à La Réunion, vous êtes au pays des grands voyageurs.


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P U B L I - R E P O RTAG E

Des timbres d’exception

La Poste pour des paysages d’exception

DEPUIS 2009, LA POSTE A LANCÉ SUR LE PLAN NATIONAL UNE OFFRE DE TIMBRES « LA FRANCE COMME J’AIME » QUI SE COMPOSE DE TIMBRES NATIONAUX ET DE TIMBRES RÉGIONAUX. LA POSTE DE LA RÉUNION S’EST EMPARÉE DE CETTE OPPORTUNITÉ POUR GRAVER DANS LES ESPRITS LES IMAGES DE SES PAYSAGES D’EXCEPTION.

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L’ENGAGEMENT DE LA POSTE POUR LE PATRIMOINE RÉUNIONNAIS Dès le tout début, La Poste s’est engagée à soutenir le dossier de candidature de La Réunion au classement du patrimoine mondial de L’UNESCO en s’associant au Parc national de La Réunion, porteur du dossier Pitons, Cirques et Remparts. La Poste, en partenariat avec tous les acteurs concernés et l’Association de Philatélie de l’Océan Indien, est allée au cœur de chacun des trois cirques, au plus près des habitants, animer des week-ends de festivités et mettre en scène la diversité des richesses locales, entre autres actions et manifestations organisées tout au long du cheminement de cette prestigieuse candidature. De plus, La Poste a édité deux collectors de timbres pour faire découvrir les trésors divers et variés de La Réunion : En 2009, La Réunion comme j'aime. Cette planche de dix timbres éditée à 35 000 exemplaires s’est inscrite dans le concept national des collectors des régions de France et a été épuisé en dix mois à peine.


Un rouleau de vignettes autocollantes à l’effigie des Pitons cirques et remparts pour les colis à poster soi-même.

2011 L’ANNÉE DE L’OUTRE-MER En 2011, Le Parc comme j’aime pour fêter la première année du classement au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce collector, sorti cette fois à 50 000 exemplaires sur le thème patrimoine faune et flore de La Réunion, connaît un succès comparable à celui de 2009. Seuls, quelques exemplaires sont encore en vente dans les bureaux de poste de l’île. À chaque opus, dix timbres chantent les richesses et la diversité du patrimoine de La Réunion tout en gardant leur fonction première : oblitérer une lettre prioritaire de 20 grammes maximum à destination de la métropole avec une validité permanente. Ainsi, de belles images de La Réunion s’envolent pour prendre place, au gré du courrier, dans les foyers de toutes les régions de France.

Cette année, l’accent est mis sur les territoires et départements d’Outre-mer, notamment avec la départementalisation de Mayotte. Douze timbres de ces régions, entre paysage et tradition, seront présentés au public à la fin du mois de novembre... à découvrir donc !

DES PROJETS PLEIN LES « BOÎTES » Un collector commun aux départements d’Outremer va être édité en 2012..., un timbre unique aux îles de l’océan Indien, avec une date de sortie identique sur l’ensemble des territoires. Par ailleurs, La Poste soutient d’ores et déjà les initiatives régionales et accompagne les entreprises dans leurs démarches de promotion et de personnalisation de leurs événements. La philatélie, porteur d’image et d’émotion, reste un vecteur formidable de communication. La Poste de La Réunion tient à jouer son rôle dans la dynamique émergente sur la zone océan Indien. BAT’CARRé 21


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STÉPHAN MAÏCON - PHOTOGRAPHIE THIERRY HOARAU

L’odyssée de Lapérouse Une exposition CELA FAIT DÉJÀ QUELQUES MOIS QUE LE MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE ACCUEILLE EN SES MURS UNE EXPOSITION CONSACRÉE AU COMTE DE LAPÉROUSE ET À SA CÉLÈBRE EXPÉDITION. ITINÉRAIRE HISTORIQUE, MAIS AUSSI PARCOURS TRÈS LUDIQUE, ELLE NOUS PLONGE AU CŒUR DE L’UNIVERS DES GRANDES DÉCOUVERTES ET DE L’AVENTURE. RÉALISÉE EN PARTENARIAT AVEC LE MUSÉE DE L’HISTOIRE MARITIME DE NOUVELLE-CALÉDONIE, ELLE SE VEUT AUSSI LE REFLET DES PRÉOCCUPATIONS TRÈS PRÉCOCES DE LOUIS XVI QUANT À UN SUJET D’ACTUALITÉ : LA BIODIVERSITÉ.

LE CONTEXTE DES GRANDES EXPÉDITIONS Dès ses premiers pas, le visiteur profane est immédiatement replacé dans le contexte historique grâce à de fort belles vitrines. La première, intitulée « Voyages et explorations au XVIII e siècle », situe la vie de notre homme en son temps. La seconde abrite la reproduction d’une toile de Nicolas Monsiau, montrant Louis XVI donnant ses instructions à Lapérouse devant une carte du monde. Elle porte le titre : « Le rêve de Louis XVI ». Enfin, c’est dans une troisième vitrine que l’on découvre les maquettes de deux beaux trois-mâts : La Boussole et L’Astrolabe, « Les bateaux de Lapérouse ».

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En effet, c’est sous les ors de Versailles que Louis XVI, roi géographe, organise une exploration scientifique destinée à rendre le monde connu plus grand, jusqu’aux confins de La Terre. Il confiera cette tâche à Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse, officier de marine. Un peu plus loin, l’on découvre ce qui pourrait être le jour du départ de l’expédition. Scindée en cinq kakémonos, la reproduction d’un tableau de JeanFrançois Hue figure l’intérieur du port de Brest, d’où l’expédition démarre en 1785. Au premier plan, l’animation est à son comble. Des hommes discutent, travaillent, devant une multitude de superbes voiliers qui masquent l’horizon.


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Le voyage de Monsieur de Lapérouse Muséum d’histoire naturelle Jardin de l’état à Saint-Denis Du mardi au dimanche de 9h30 à 17h30 Jusqu’en avril 2012

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Le chemin muséographique invite ensuite à une flânerie, comme une promenade sur les quais, au milieu des caisses de bois, des barils et des sacs de toile contenant vivres et objets nécessaires à ce long voyage. Leur contenu est visible par des trous taillés dans le bois, une idée lumineuse ! Armement, matériel de navigation ou vaisselle laissent entrevoir leurs secrets.

À FOND DE CALE

LE MYSTÈRE DE LA FIN

Maintenant que chacun possède son ticket d’embarquement, l’on monte à bord et découvre une cale de navire reconstituée. Et tout y est : boiseries, poutres, jusqu’aux madriers cintrés reconstituant les flancs courbes de la coque. Sur les côtés, des fenêtres donnant sur l’océan et, au plafond, au travers d’un croisillon de bois, le ciel, quelques nuages et les mouettes. Pour rendre cette ambiance maritime plus présente encore, une bande son diffuse les craquements du bois, typiques des vieux voiliers, et le grincement des amarres qui se tendent et se détendent, une réussite !

Pour clore l’exposition, une dernière vitrine présente la gravure d’un naufrage sur laquelle un texte narre la fin terrible de la belle expédition. « C’est peut-être en 1788 qu’une tempête jette La Boussole et L’Astrolabe sur les récifs de l’île de Vanikoro, dans la partie la plus orientale des îles Salomon. (…) Seules des bribes de cette fabuleuse histoire se retrouvent dans les légendes transmises de bouche à oreille par les indigènes au fil des générations. (…) Le mystère reste entier ».

La pénombre au fond de cette cale reconstituée permet d’éclairer plus subtilement les vitrines présentant le travail des scientifiques accompagnant l’expédition : naturalistes, botanistes, jardiniers, astronomes, géographes et bibliothécaires. Ici encore, de nombreux objets d’époque, manuscrits et planches viennent étayer le propos. Et puis, surtout, une partie de la pièce est occupée par trois mannequins, un matelot, son perroquet et deux nobles en perruque, réunis autour d’un baril. Entre les verres de rhum qui y sont posés, une pression de la main déclenche une nouvelle bande son qui relate la conversation entre les trois personnages : Le Bihan, le matelot, Raulin, un médecin et un astronome. Il y est question des conditions de vie à bord, très éprouvantes, du contact avec les populations indigènes, pas toujours évident, et même de pertes humaines, le tout ponctué des caquètements du perroquet, soit un épisode très vivant.

Afin d’éclairer quelque peu le visiteur sur cette fin mystérieuse, un dernier panneau, incrusté de trois petits écrans, diffuse des images des fouilles terrestres et sous-marines ayant eu lieu dans les parages supposés du lieu du naufrage. Comme pour beaucoup de récits lointains, la légende est venue nourrir l’histoire. En y ajoutant des données scientifiques, cette exposition ne peut que ravir l’explorateur qui sommeille en chacun de nous.

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73 marches conduisant au chemin de ronde TEXTE

STÉPHAN MAÏCON - PHOTOGRAPHIE STÉPHAN MAÏCON

LORS DES DERNIÈRES JOURNÉES DU PATRIMOINE, LA VILLE DE SAINTE-SUZANNE A CHOISI DE METTRE EN VALEUR SON PHARE, LE SEUL QUI ÉCLAIRE ENCORE LE LITTORAL RÉUNIONNAIS. NOMBREUX SONT LES VISITEURS QUI ONT GRAVI LES SOIXANTE-TREIZE MARCHES CONDUISANT AU CHEMIN DE RONDE. LES YEUX PLEINS DE CES BELLES IMAGES DE MER, ILS ONT PU SE PLONGER DANS LES EXPOSITIONS, COMME CELLE DÉDIÉE À L’HISTOIRE DU NAUFRAGE DU « WARREN HASTINGS », VAPEUR ANGLAIS ÉCHOUÉ DANS LA MARINE DE SAINT-PHILIPPE, LA NUIT DU 13 AU 14 JANVIER 1897.

AU FOND DE L’OCÉAN Selon les sources, les chiffres varient quelque peu, mais l’on estime à environ deux cents le nombre d’épaves gisant par les fonds marins réunionnais. À Saint-Philippe, où s‘est écrite une des pages les plus célèbres de l’histoire maritime de La Réunion, la population s’est littéralement appropriée le récit du naufrage du « Warren Hastings ». Il faut souligner que ce sont les villageois qui ont secouru les naufragés. Mais c’est aussi, comme l’a fait remarquer Eric Venner, membre de l’association de La confrérie des gens de la mer, parce que « c’est le point commun de toutes les communautés de l’île : elles sont venues par bateau ».

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Le « Warren Hastings », mis en service en 1894, était un vapeur de 4000 tonnes équipé de moteurs capables de le propulser à plus de 17 nœuds. Au début de mois de janvier 1897, il quitta Le Cap à destination de Maurice et de Bombay, avec à son bord 219 hommes d’équipage et 1043 passagers. Parmi ces derniers, se trouvaient notamment des femmes d’officiers, quelques enfants, ainsi que des soldats du deuxième bataillon du Yorkand Lancaster et d’autres du King Royal Rifles. Le « Warren Hastings » passa au large de La Réunion au soir du 13 janvier. Avant d’aller se coucher, le commandant Holland donna à ses officiers de quart l’ordre de faire route à distance raisonnable de La Pointe de la table, que le bateau devait doubler aux alentours de 3 heures du matin. Ses calculs tenaient compte des instructions nautiques et des courants habituellement observés dans ces parages. La mer était belle et le navire


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filait 18 nœuds. Néanmoins, vers une heure du matin, l’horizon s’obscurcit et un rideau de pluie vint limiter la visibilité à quelques dizaines de mètres seulement. Le commandant Holland ne fit pas ralentir la marche pour autant. Cette nuit, La Fournaise gronde et embrase le ciel austral. Ces bouleversements magnétiques ont-ils affolé les compas ? « Le 13 janvier, j’avais eu la latitude à midi et la longitude à trois heures du soir. J’étais donc sur ma route. D’après les livres donnant les instructions sur les atterrissages de Bourbon, je savais que les courants portaient à l’ouest. J’ai donc tracé et donné la route pour passer à 7000 de la pointe de Saint-Philippe, où je devais me trouver par le travers à 3 heures du matin. Pendant la nuit, le temps s’est couvert et une pluie abondante s’est mise à tomber, masquant la vue. J’étais sur la passerelle avec le deuxième lieutenant Walter et le troisième lieutenant Windham. Avec nos jumelles, nous regardions de tous côtés sans rien voir. La mer était belle, lorsqu’à 2 heures 20, le navire a touché », raconta par la suite le commandant Holland. Dans son malheur, le transport anglais avait une chance incroyable : il avait fait naufrage dans le petit port de Saint-Philippe. Quelques dizaines de mètres plus loin, il se serait écrasé contre les falaises environnantes.

À terre, on avait entendu le fracas du naufrage, « comme un coup de tonnerre », déclarèrent les pêcheurs. Il n’y eut pas d’autres bruits : ni mugissements de sirène, ni sifflet, ni appel, rien. Malgré tout, quelques curieux s’armèrent de fanaux pour descendre vers le rivage. Le spectacle qui les attendait avait de quoi surprendre et même effrayer. Là, planté droit au milieu de la marine, une rangée de lumières surmontait une silhouette sombre estompée par la pluie. Pas un son, pas un cri, comme si le vaisseau échoué était un vaisseau fantôme. Les pêcheurs se mirent alors à lancer des appels et à agiter leurs lanternes, jusqu’à ce qu’enfin, un coup de clairon soit lancé du navire. Le « Warren Hastings » était trop malencontreusement échoué pour que l’on puisse utiliser les embarcations de sauvetage. Fort heureusement, son avant n’était qu’à quelques mètres de la côte, ce qui permit aux passagers et à l’équipage de débarquer sans trop de difficultés. Les naufragés sont accueillis par les habitants de Saint-Philippe. Les hébergements s’organisent dans toutes les maisons, les salles municipales et les anciens logements dédiés aux engagés. La nourriture arrive par charrettes entières. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la modeste commune du sud compte 1262 habitants supplémentaires. Les soldats qui n’ont pas trouvé d’hébergement vont à pied et s’écroulent parfois de fatigue dans les fourrés environnants. Le maire fait alors appel à la commune voisine, Saint-Joseph, et demande de l’aide à Saint-Denis par télégraphe. Les sinistrés seront transportés par trains spéciaux jusqu’à la Pointe des Galets, d’où ils embarqueront pour l’Angleterre. Dans son rapport à la hiérarchie, le commandant Holland saluera le caractère désintéressé et aimable de la population. Plus d’un siècle plus tard, l’épave du « Warren Hastings » gît toujours par 15 mètres de fond.

« ET POURTANT, CETTE ANNÉE-LÀ, BIEN PLUS AU NORD, BRILLAIT DÉJÀ LE PHARE DE SAINTE-SUZANNE. »

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EN HAUT DU PHARE En effet, en 1843, un appareil lenticulaire est envoyé à Bourbon pour la construction d’un phare à Bel Air. Débutés en 1844, les travaux dureront deux ans. Le 15 octobre 1846, le plus grand phare de l’île et de l’océan Indien est mis en service. Ce système de signalisation maritime signalait la présence menaçante de deux récifs affleurant : Le Cousin et La Marianne. Aux termes d’un avis en date du 10 octobre 1846 de la direction des Ponts et Chaussées de l’Île Bourbon, Phares et Fanaux, les navigateurs étaient prévenus qu’à partir du 15 octobre 1846 un feu fixe du deuxième ordre serait allumé pendant toute la durée des nuits au sommet de la tour récemment construite sur la Pointe du Bel Air. L’élévation du feu est de 20, 25 mètres au-dessus du sol et de 45, 83 mètres audessus de l’océan. Sa lumière pourra être aperçue par temps clair jusqu’à une distance de 18 milles marins. Les salles qui abritent aujourd’hui des expositions n’étaient autres que l’habitation du gardien du phare. Au fond du couloir, une porte étroite laisse entrevoir quelques marches peintes de couleurs vives : l’escalier en colimaçon qui conduit au chemin de ronde. Ses 73 marches étaient autrefois en bois. Durant la courte ascension, de petites fenêtres laissent entrevoir la mer. Avant de découvrir le chemin de ronde, il faut passer une toute petite porte qui exige une génuflexion. Difficile de ne pas être pris de vertige lorsque l’on se redresse : à perte de vue, l’océan paraît plus vaste encore. L’air iodé et le vacarme du ressac prennent le visiteur à bras-le-corps et, une main sur la balustrade, l’on se prendrait presque pour un capitaine de frégate.

Ces deux hommes aujourd’hui disparus, il est intéressant d’écouter Denis Baillif, fils de Jean, se souvenir de cette vie en autarcie, un peu comme celle d’un gardien de phare breton situé en pleine mer : « La journée, mon père entretenait le phare. Peinture, nettoyage, rénovation, réparations. Le soir, vers 18 heures, il remontait les stores, des rideaux de grosse toile verte qui protégeaient la lanterne. A l’époque où un contrepoids faisait tourner l’optique, mon père lançait le mouvement puis descendait au plus vite allumer le phare. Tout autour, s’étalaient jardins, potager et verger. Chacun mettait la main à la pâte pour produire un peu de tout : salades, légumes, brèdes, manioc, bananes… Il y avait même le cochon qu’on engraissait, les poules et les lapins. En y ajoutant les produits de la chasse et de la pêche, nous n’étions pas à plaindre et vivions repliés sur nous-mêmes. Ma sœur et moi avons pâti de cette vie de châtelains, protégés de l’extérieur. Les permissions de sortie étaient rares, tout comme les visites. La cour du phare était respectée, n’y entrait pas qui voulait. » Voilà sûrement la raison pour laquelle cette permission de visite, autorisée pour les journées du patrimoine, a autant attiré les curieux. En effet, durant ce week-end, l’on faisait la queue depuis le pied de l’escalier jusque dans les jardins. L’attente se faisait dans le calme, avec le sourire même. Il faut dire que bon nombre étaient arrivés sur les lieux en calèche, comme pour mieux s’immerger dans ce passé. Les ateliers de dessin et de peinture réjouissaient et inspiraient les enfants, tandis que les parents attendaient patiemment de découvrir ce nouveau panorama. L’arrivée de la nuit ne faisait qu’amplifier le phénomène, chacun espérant deviner, du haut de cette tour, les feux d’un navire dansant sur les flots, ou les lumières de la ville, si rassurantes pour le marin en perdition. Comme quoi, le phare et son gardien demeurent des symboles forts dans l’imaginaire collectif. Sa tâche est noble : en illuminant la nuit, il prévient du danger, mais surtout, il signale la vie.

Après avoir été happé par le paysage maritime, l’on poursuit son tour sur le chemin de ronde très étroit et l’on découvre les cases de Sainte-Suzanne et, dans le lointain, les sommets de l’île. Impossible d’évoquer le phare sans parler de la famille Baillif qui a offert à ce monument patrimonial ses deux derniers gardiens. Le tout dernier fut Jean Baillif qui remplaça son père à la même place en 1947. Il le restera jusqu’en 1984, date à laquelle le feu du phare s’éteindra avant de fonctionner à nouveau en 1989, équipé cette fois-ci d’un système Aujourd’hui, il n’existe plus de phare habité… entièrement automatisé.

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TEXTE ICONOGRAPHIE

BÉATRICE BINOCHE LÉON DIERX

COLLECTION DU MUSÉE

Lorsque les Réunionnais Marius et Ary Leblond 1 créent le musée Léon Dierx 2 en 1911 (ouvert en 1912), celui-ci propose les œuvres d’artistes contemporains. La volonté de ses fondateurs est d’offrir aux visiteurs une approche de l’art pictural de leur époque, que l’on qualifie aujourd’hui de « modernes ». Au fil des ans, le fonds initial s’est enrichi des dons de plusieurs familles réunionnaises - dont la fameuse donation le Coat de Kervéguen -, de celle d’Ambroise Vollard 3 en 1947 et des acquisitions faites par le musée. Cézanne, Gauguin, Renoir, Odilon Redon, Picasso, Maurice Denis, Georges Rouault, Dufy, Vlaminck, Valtat ou encore Bourdelle… côtoient, dans les réserves et sur les cimaises du musée, les Réunionnais Adolphe Le Roy, Louis Antoine Roussin, Adèle Ferrand… Plus de 600 œuvres picturales et 3 000 estampes composent la collection du musée qui, contemporaine de son époque à sa création, est largement inscrite dans le XIXe siècle.

DES TOILES SOMBRES ÉCLAIRÉES D’UN UNIQUE FAISCEAU DE CLARTÉ À CELLES, LUMINEUSES, QUI, À GRANDS TRAITS DE COULEURS FONT VIBRER LA LUMIÈRE, LE NOUVEL ACCROCHAGE « PORTRAITS ET PAYSAGES » DE LA COLLECTION DU MUSÉE LÉON DIERX À SAINT-DENIS, NOUS EMBARQUE DANS UN VOYAGE PORTRAITS ET PAYSAGES À TRAVERS L’HISTOIRE DE LA PEINTURE DU DÉBUT DU XIXe AU DÉBUT Le nouvel accrochage proposé depuis quelques DU XXe SIÈCLE. semaines nous invite à une promenade chronologique dans l’histoire de la peinture de cette période en privilégiant le portrait et le paysage, e 1 Georges Athénas (Marius Leblond 1877-1953) qui, genre pictural mineur, explose au XIX : c’est et Aimé Merlo (Ary Leblond 1880-1958), le fil conducteur du parcours muséographique prix Goncourt 1909 pour « En France ». qui offre la part belle aux paysages réunionnais, Créateurs du musée pour lequel ils recueillent dons d’artistes et de galeries. ceux des villes, des ravines ou des berges de rivières. Scènes de vie, jardins, monuments, océan 2 Léon Dierx, 1838-1912. déchaîné, les représentations de l’île dévoilent Poète, peintre et sculpteur, ami intime des Leblond, Léon Dierx a laissé son nom au musée. les visions de leurs auteurs et la multiplicité des Après une enfance réunionnaise, perspectives que sa géographie propose. il s’installe à Paris dans les années 1850. Le cheminement évoque différents courants et Ses poésies parnassiennes contribuent à sa renommée au cours de la seconde moitié écoles, du romantisme à la peinture bourgeoise du XIX e siècle, des salons, l’école de Barbizon, celle de Pontaven, conduisant ses amis à le consacrer les impressionnistes. « Prince des poètes » en 1898.

Ambroise Vollard, 1866-1939. Né à Saint-Denis de La Réunion, Ambroise Vollard a été le plus célèbre marchand d’art parisien, de la fin des années 1890 à sa mort en 1939. Cézanne, Picasso, Gauguin, Van Gogh, l’avant-garde artistique qui a façonné l’art du XX e siècle expose chez lui. En 1947, le musée Léon Dierx hérite d’une petite partie de sa collection. 3

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Regards croisés t perspectives

Regards croisés et perspectives

Adolphe Leroy La rivière Saint-Etienne 1876 Frédérick-Carl Frieseke Nu sous un arbre 1900-1910

Adolphe Leroy La gorge de la rivière du Mât 1877

Numa Desjardins Marine devant Saint-Denis 1854

Ernest Quost Les Phlox 1900-1910

Adèle Ferrand Portrait présumé de G.H. Le Coat de Kerveguen 1848


VOYAG E D A N S L E PAT R I M O I N E R E U N I O N N A I S

Visite virtuelle l’exposition permanente via le site internet http://www.cg974.fr/ culture/leon-dierx

Portraits et paysages exposition permanente Musée Léon Dierx 28, rue de Paris Saint-Denis 0262 20 24 82 Ouvert du mardi au dimanche, de 9h30 à 17h30

La circulation douce, sans pollution visuelle, nous conduit de la première salle aux trois galeries circulaires en passant par le tout récent cabinet des estampes. Le patio central présente une esquisse de Huet réalisée en 1863 d’un tableau aujourd’hui au musée d’Orsay. Il côtoie des paysages de La Réunion peints par Le Roy - dont une marine, Naufrage devant Saint-Denis, tragique et forte représentation de la lutte d’un navire contre la tempête - ainsi qu’un paysage de Madagascar par Charles Merme (1848). Les portraits d’Adèle Ferrand ponctuent cette salle de leurs regards posés et sombres, des compositions sages, une peinture de salon académique, de facture classique. Le parcours se poursuit dans les galeries au rythme de l’évolution des courants artistiques. Nus, marines, villes, berges de fleuves et de lacs, sous-bois sont présentés par thèmes, îlots, ponctués de quelques bustes en volume signés Louis Joseph Daumas (Maquette pour un monument à Mahé de Labourdonnais), Jules Dalou (Baigneuse), Henri-Louis Cordier. Un petit effet magique, léger, bucolique, se développe dans la dernière partie de l’exposition, espace dédié au poète Léon Dierx qui fut aussi peintre et dont on remarque les toiles tout au long des cimaises. Nous sommes au jardin, en compagnie des muses et des nymphes, évanescence et poésie sont au rendez-vous.

dans le renouveau des arts sacrés des années 20/30 : une proposition en demi-teinte, fragile, dont la poésie est accentuée par les couleurs translucides. On découvre une édition des Poèmes de Francis Thomson, publication posthume de Vollard, illustrée par Maurice Denis ainsi qu’une esquisse de Les Muses, tableau de la collection d’Orsay.

ROCK CREEK PARK, LE JARDIN POP Quoi de plus naturel pour un musée qui, à sa création présentait les œuvres des contemporains du début du XXe , de poursuivre ce travail avec les créateurs du XXIe ? Après Yan-Pei Ming, Chen Zen, Jean Le Gac, Ange Leccia… et plus récemment Weng Fen et ses Fossiles vivants qui nous révélaient les paysages mutants d’une Chine en occidentalisation/mondialisation, le collectif Qubo gaz - avec son expo Rock Creek Park - nous a récemment entraînés dans une approche poétique et ludique de l’espace de la nature, un paysage en volumes et sons qui s’articulait judicieusement avec les autres salles. Le wall drawing de plusieurs mètres, tour à tour horizon, clairière, foisonnement de verdure, répondait par ses larges aplats de couleurs aux détails soignés et minutieux des dessins et des broderies. Par curiosité, sans doute, on aurait envie de voir quelques-unes de ces œuvres s’immiscer au milieu de l’accrochage des « anciens ».

LE PRÉCIEUX CABINET L’élément fort de cette exposition permanente est le tout nouveau cabinet d’estampes. Réalisé dans les règles de l’art de la conservation (éclairage moins de 50 lux, hygrométrie,…), cet espace précieux est destiné à recevoir - par vague, tous les trois mois - le cœur de la collection du musée, ces 3000 dessins, gravures, lithographies, œuvres sur papier … dont la centaine d’œuvres de la collection du grand marchand d’art que fut le Réunionnais Vollard. Le premier invité de « l’exposition dans l’exposition », Maurice Denis, est reconnu comme le théoricien du mouvement Nabi, ami de Vuillard, Paul Sérusier, Pierre Bonnard ou encore Paul Ranson. Les lithographies (de la série Amour) reflètent son travail inscrit

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2012, LE MUSÉE A 100 ANS Portraits et paysages nous fait remonter dans le temps, celui où l’on ne se préoccupait pas encore de préservation, de protection, un temps au charme délicieusement suranné. C’est tout le talent de cette proposition. Elle donne envie de prendre son temps, de le perdre en se posant, en s’attachant aux détails, à ses impressions, à la douceur tendre d’un ciel gris, au regard sombre d’un enfant, à la légèreté palpitante d’un printemps, à la volupté des jardins. On traverse librement les époques, leurs représentations et l’on revient réjoui de cette balade au milieu d’un siècle d’histoire de la peinture.


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R E N D E Z - VO U S AV E C C H R I S T I A N VA I S S E

MADAGASCAR EN PIROGUE

QUEL ENTHOUSIASME JOYEUX !

FRANCINE GEORGE RENÉ CARAYOL PHOTOGRAPHIE CHRISTIAN VAISSE TEXTE

PORTRAIT DE CHRISTIAN

Christian vient de se marier avec Jacqueline, sa compagne depuis de longues années, la maman de leur fils Thibault. Un défi lancé au temps. Ce bel homme à la stature athlétique né à Dole en 1947, a vécu son enfance, sa jeunesse, et une partie de sa vie d’adulte à Madagascar, le pays de son cœur. Il s’installe à La Réunion en 1975. La trentaine passée, il reprend ses études, obtient une licence d’ethnologie et devient professeur d’histoire-géographie. Il peut alors donner libre cours à sa passion pour la photographie. Globe-trotter dans l’âme, il pose son regard sensible sur le monde, comme un grand sourire qu’il offre en partage. De ses nombreux voyages à la rencontre de l’inconnu, il ramène des souvenirs portés par un humanisme hors du commun. L’agence Hoa-Qui du groupe Gamma-Rapho publie ses photos de grand reporter dans la presse nationale et internationale. Reporters sans frontières lui dédie le calendrier de l’année 2009. Christian publie aussi de beaux ouvrages, comme le livre Madagascar… Grands voyageurs aux éditions du Chêne, ou celui sur L’art de vivre à La Réunion chez Flammarion. Au fil du temps, il devient spécialiste de l’océan Indien, titre d’un magnifique livre dont il est l’un des principaux photographes aux éditions du Chêne. Sa dernière publication La Réunion, en collaboration avec Bernard Grollier, René Carayol et Rémy Ravon édité par Glénat, est sorti en septembre. Christian n’aura pas eu la possibilité de le voir, il est décédé dans le creux du mois de juillet, après s’être battu comme un tigre pour vaincre le mal qui le rongeait. Ces dernières années, il organisait ses voyages entre deux chimiothérapies… toujours serein, prêt à découvrir encore quelque nouveauté. En hommage à son talent, en hommage à sa personnalité, nous allons retrouver Christian dans chaque numéro de Bat’carré pour qu’il reste aussi longtemps que possible ce merveilleux compagnon de route au regard chantant. Premier rendez-vous : Madagascar, cela va de soi. Christian nous propose un tour de l’île rouge en pirogue, qui débute en couverture par Nosy be.

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C H RO N I QU E A KO U T

Labsync

de la tête aux pieds

PROPOS RECUEILLIS PAR

GUILLAUME PEROUX - PHOTOGRAPHIE DEENICE

NÉ DE LA RÉUNION DE CINQ MUSICIENS AUX HORIZONS VARIÉS, LABSYNC (POUR LABORATOIRE SYNCHRONISÉ ) A ÉTÉ FONDÉ EN DÉCEMBRE 2008 À MAYOTTE. MIXANT INSTRUMENTS ET ÉLECTRO, LEUR MUSIQUE S’INSCRIT DANS UN COURANT RÉSOLUMENT ACTUEL. ET POURTANT… L’ENCLAVEMENT AÉRIEN DE MAYOTTE ET SON DÉBIT INTERNET PLAFONNANT À 56K FONT DE LEUR DÉMARCHE UNE EXPÉRIENCE SEMI-AUTARCIQUE. ELOIGNÉS DES SCÈNES MUSICALES NOVATRICES, CES MUSICIENS N’ONT POUR INFLUENCES QUE LEURS DISCOTHÈQUES ET LEURS SOUVENIRS. DE CETTE SITUATION RETIRÉE ÉMERGE UNE MUSIQUE LIBRE, REFLET SONORE DES GOÛTS ÉCLECTIQUES DU GROUPE. PINK-FLOYD, ERIC TRUFFAZ, HERBIE HANCOCK, NILLS PETER MOLVAER, DANYEL WARO, APHEX TWIN... ROCK, JAZZ, « LOUNGE », MALOYA, ELECTRO... AUTANT DE PISTES À EXPLORER QUE DE SONS À SYNCHRONISER. LABSYNC S’OUVRE À L’OCÉAN INDIEN. UN CD 4 TITRES SORTI EN AOÛT 2010 SOULIGNE CETTE ENVIE, ET PROPOSE UNE VISION EN RÉSUMÉ DE SON UNIVERS.

C'EST QUOI LABSYNC ? Jérôme : Le projet Labsync - pour « Laboratoire Synchronisé » - est né à Mayotte en 2008 de la rencontre de cinq potes /musiciens autour d'une idée simple : la technologie est accessible et créative. L'ordinateur n'a de limite que notre imagination. À partir de là, on peut tout faire. Alors on a creusé... On avait tous à la base des influences très variées. Jazz, rock alternatif, progressif, psychédélique, groove, punk, electro, rap, maloya, reggae... enfin un peu tout finalement. Notre musique, c'est le mélange de tout ça, plus la magie de l'informatique. On a appelé ça de l'électro-fusion.

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La machine n'est plus un simple outil passif. L'ordinateur « écoute », interagit, propose. Notre collaboration homme/machine est simple : on vise le 50/50. Je te donne un exemple : tu entends une grosse basse « wobble », qui ondule dans les graves, comme dans le dubstep. Tu te dis « ça sonne électro, c'est un sample ». Nous, on fait en sorte que ce soit le bassiste qui joue cette « wobble bass », en interaction avec l'ordinateur. C'est bien plus qu'un « effet standard ». La clef, c'est la synchronisation : avec le tempo, avec la structure du morceau et avec les autres musiciens et leurs effets respectifs. On pourrait imaginer une pieuvre omnisciente, à la fois chef d'orchestre, musicien et ingénieur du son, une pédale d'effet au bout de chaque tentacule.


C'est ça Labsync. Des instruments, un ordi et des câbles dans tous les sens. Depuis 2008, côté humain, on a pas mal brassé. Des départs, des arrivées. Notre claviériste, Sébastien Gallas est allé voler vers d'autres horizons, et trois bassistes se sont succédé : Benjamin Acquier, avec qui nous avons initié le projet, Gregory Flavion que l'on peut entendre sur nos quatre titres, et aujourd'hui Kamel Rami. Sommes restés fidèles au poste Willy Ramboatinarisoa à la trompette, Thomas Begrand à la batterie et moi-même, Jérôme Menninger à la guitare et à l'électro. Côté console de mixage et co-production, nous travaillons depuis la première heure avec Denis Ligier, directeur de Deenice Prod. ET VOTRE MUSIQUE, JE LA RANGE OÙ DANS MA DISCOTHÈQUE ? Thomas : Aïe... pas facile... On nous colle souvent une étiquette « expérimental », à mi-chemin entre le très grand monde de l'électro (break-beat/lounge/indus/hip-hop/ tech/...) et le non-moins grand monde du reste des musiques actuelles. Je pense personnellement que nous nous situons dans la lignée des scènes dub/rock et electro/jazz. High Tone, Ez3kiel, Eric Truffaz, Bugge Wasseltoft, Jojo Mayer & Nerve... C'est plus un constat de « l'air du temps » qu'une suite de références. Je crois qu'on a ça en commun de puiser dans l'électro de ces 30 dernières années pour élargir notre champ d'expression. On a tous « flashé » sur les beats robotiques de la New Wave, sur la Jungle épileptique, sur les montés de 32 mesures Techno/House,... On a tous bougé la tête sur du Hip Hop, plané sur du Lounge... Notre premier CD 4 titres (août 2010) ne reflète que partiellement cette volonté de s'enrichir de ces nouveaux canons. Notre musique était encore bien « dans la tête », pas assez « dans les pieds », pas assez efficace. Puis un jour, Willy est arrivé en répétition avec cette compo... Un truc terrible qui nous a tous fait bouger. Et on a réalisé que ce n'était ni le tempo ni l'harmonie qui faisait le job, mais uniquement un son ! Un gros synthé massif, granuleux, groovy. Un pur produit de la tradition électro, qui te chope, te soulève et t'enlace irrémédiablement. Depuis, c'est là qu'on cherche. On a déplacé notre « laboratoire » dans cette région sonore qui parle directement au corps et on continue bien sûr à cultiver l'équilibre entre expression instrumentale et matière électro.

Jérôme : oui, parce que c'est ça l'idée, faire de la musique pour la tête ET pour les pieds ! QUATRE DATES À LA RÉUNION EN SEPTEMBRE DERNIER (LES POTIRONS, LA CERISE, LE MANAPANY SURF FESTIVAL ET LA 1ÈRE PARTIE DE NO JAZZ AU KERVEGUEN). ALORS, HEUREUX ? Jérôme : Ravis ! Nous avions déjà été accueillis et salués à Saint-Benoît en mai et décembre 2010 à La Clameur des bambous. Nous y avions rencontré des organisateurs adorables et disponibles et un nouveau public ouvert et généreux. Nous étions donc très motivés pour cette tournée et nous avons été comblés ! Nous remercions du fond du cœur le public Réunionnais d'être venu à notre rencontre. A Mayotte, où le public est particulièrement restreint, nous étions plutôt habitués à jouer devant des potes... La Réunion a été le lieu de rencontres et d'échanges dont nous avons beaucoup appris. Plus d'ouverture et d'exigences, un tissu culturel très actif, des collaborations efficaces... le lieu idéal pour s'ouvrir au monde ! Rien n'aurait été possible sans Guillaume Peroux, le travailleur de l'ombre, directeur de Akout (www.akout.com). Merci également à Pierre Macquart de nous avoir ouvert les portes du Manapany et du Kerveguen. Et merci à tous ceux qui nous ont encouragés, supportés, suivis, conseillés. Les ami(e)s, les artistes, les organisateurs, les inconnu(e)s. ET ENSUITE ? Thomas : On se projette dans le live, la scène. Parallèlement à notre quête musicale, nous avons encore beaucoup à apprendre du public. Ensuite viendra le temps du renouveau, où nous incorporerons le Vdjing (mixage vidéo en temps réel, comme un DJ avec des sons). Cette idée de mélanger sons et images est là depuis le début, mais faute de temps et de technicité, nous sommes restés centrés sur la musique. D'ailleurs, pouvonsnous profiter de vos pages pour lancer un appel à contribution ? Si quelqu'un, quelque part, féru d'images animées et inspiré par notre musique, souhaite partager son talent, qu'il n'hésite pas à nous contacter via la page www.labsync.fr, nous serions très heureux de le rencontrer et pourquoi pas, faire naître une nouvelle collaboration !

Retrouvez LABSYNC sur www.akout.com/labsync

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COUP DE CŒUR

TEXTE

FRANCINE GEORGE ©ZÉDITION

UN THÉÂTRE MUET QUI RACONTE PLEIN D’HISTOIRES

ILLUSTRATION

TAM -TAM LES COMPAGNIES VENANT DU MONDE ENTIER, DE LA CHINE À L’ARGENTINE EN PASSANT PAR L’EUROPE, ET LES COMPAGNIES DE L’OCÉAN INDIEN, ONT RIVALISÉ D’INGÉNIOSITÉ POUR ÉMERVEILLER LE PUBLIC DES TOUT PETITS AUX PLUS GRANDS. ORGANISÉ PAR LE THÉÂTRE DES ALBERTS, LE FESTIVAL DE MARIONNETTES TAM-TAM A INVESTI L’ESPACE LECONTE DE LISLE AINSI QUE TOUT LE TERRITOIRE DE L’OUEST EN OFFRANT UNE BELLE PROGRAMMATION SUR UN MOIS COMPLET DE LA MI-SEPTEMBRE À LA MI-OCTOBRE. vos impressions au sujet de tam-tam sur www. batcarre.com

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Les mains ne parlent pas. Un gant glissé dans la main gauche, un autre dans la main droite, et hop, debout, une figurine marche, danse, semble taper dans le ballon. Ça c’est pour les petits, mais il y a aussi pour les plus grands des scènes acrobatiques, la marionnette corporelle, des doigts en personnages, des lettres qui virevoltent, l’incontournable panier en osier qui accompagne la marionnette à fil, le style cabaret avec musiciens, le théâtre de poche et même la scène érotique proposée aux plus de dix-huit ans. Une vingtaine de compagnies, dont le Théâtre des Alberts avec son célèbre Tigouya, se sont produites dans des registres divers et variés que le pouvoir évocateur du geste a su magnifier. Histoire d’émouvoir, de rire, de rêver ou d’explorer de nouveaux espaces...

UNE BELLE INITIATIVE AU CŒUR DU CIRQUE Cette année, la compagnie des Alberts a réitéré son édition décentralisée, des spectacles partout dans l’ouest, et surtout là où personne ne se produit. Direction Mafate donc, le groupe arrivé en hélicoptère a cheminé à pied d’îlet en îlet pendant un très long week-end. Un formidable accueil fut réservé à ces trois compagnies téméraires, Dromosofista, Hugo E Ines et le Montreur. Animations dans les écoles, ateliers suivis aussi par les parents, et le soir spectacle pour tous, étaient au menu de chaque passage dans un îlet. Portés par l’enthousiasme, la fatigue s’est fait oublier. Spontanément, il y a même eu des randonnées organisées pour accompagner les marionnettistes un bout de chemin. Hors les murs chez TAM-TAM, c’est aussi aller à la rencontre du public dans les écoles, dans les marchés, et dans les hauts... Nouveauté cette année, Mathieu Braunstein, du magazine Télérama, est venu couvrir le festival, signe que Tam-Tam fait déjà partie du cercle des manifestations culturelles prisées. D’ailleurs, le ministère de la Culture lui a décerné le label Manifestation Artistique de Qualité. Autre nouveauté appréciable, le P’tit Journal, imaginé par Flore Baudry et Olivier Giron en collaboration avec l’équipe de PILS. Un rendez-vous mis en ligne tous les matins sur le site www.tamtam.re et distribué en version papier sur les lieux du festival. De belles chroniques pour prolonger ces instants de magie et donner des idées à ceux qui n’ont pas encore eu la chance de voir un spectacle.


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E S PAC E P H OTO

EDGAR MARSY


THIERRY HOARAU

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RENCONTRE

FRANCINE GEORGE JEAN-NOËL ENILORAC

PROPOS RECUEILLIS PAR PORTRAIT

Sonia Ribes

la grande exploratrice

« CE MUSÉE EST À L’IMAGE DE SA CONSERVATRICE, AIMABLE ET LUMINEUX, ON A ENVIE D’APPRENDRE ! » C’EST AINSI QUE LE MINISTRE DE LA CULTURE FRÉDÉRIC MITTERRAND QUALIFIE, LORS DE SA VISITE EN AVRIL DERNIER, LE MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE DE LA RÉUNION, OÙ SE PROLONGE LE VOYAGE DE LAPÉROUSE QUI A REÇU LE LABEL D’EXPOSITION D’INTÉRÊT NATIONAL. UNE CONSÉCRATION EN QUELQUE SORTE POUR SONIA RIBES, LA CONSERVATRICE PÉTILLANTE DE JEUNESSE QUI EST AUSSI UNE GRANDE EXPLORATRICE. FEMME PASSIONNÉE, TRÈS EXPERTE DANS SES DOMAINES D’INTERVENTION, ELLE PARLE AVEC FOUGUE DE SON MÉTIER, DE SON CHAMP D’EXPLORATION ET DE SON BESOIN DE TRANSMETTRE AU PUBLIC TOUTES SES DÉCOUVERTES. ET TOUT ÇA, AVEC UN GRAND SOURIRE, MALGRÉ LE TEMPS QUI PASSE ET LE TRAVAIL QU’ELLE NE PEUT PAS ACCOMPLIR TANT QUE VOUS LUI POSEZ DES QUESTIONS !

« JE SUIS UNE FILLE DE LA MER, OCÉANOGRAPHE DE FORMATION ET PAR PASSION. J’AI FAIT MA THÈSE SUR LES RÉCIFS CORALLIENS DE SAINT-GILLES-LA SALINE, ET JE ME SUIS TOUJOURS IMPLIQUÉE DANS LA PROTECTION DE CE PATRIMOINE MARIN NATUREL. »

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RENCONTRE

L’EXPOSITION LAPÉROUSE EST UN GRAND SUCCÈS, ELLE A MÊME ÉTÉ PROLONGÉE JUSQU’EN 2012 ? Oui, c’est un grand succès ! L’expo a été prolongée jusqu’à fin juin 2012. En août, on comptabilisait 40 000 visiteurs, et nous avons été obligés de prolonger, car il restait encore beaucoup de projets avec les classes. Nous avons voulu apprendre aux enfants à décoder l’exposition comme s’il s’agissait de lire un livre. Nous avons monté des dossiers pédagogiques pour les enseignants, et des cycles de conférence en complément. L’exposition est conçue en trois parties : la partie historique qui retrace le contexte de cette première expédition scientifique française à travers le monde, commandée par Louis XVI ; ensuite la reconstitution du quai d’embarquement avec les caisses, la cargaison, chaque objet à la place qui lui est due. Et enfin, à l’intérieur du navire, la vie à bord avec les différents scientifiques mis en scène comme si le visiteur faisait partie de l’expédition. J’avais bien spécifié dans ma commande au scénariste que je ne voulais pas de panneaux, je voulais une immersion complète.

QU’EST-CE QUI VOUS A MIS SUR LA PISTE DU VOYAGE DE LAPÉROUSE ? Plusieurs facteurs conjugués. En premier lieu, je suis allée à titre personnel en Nouvelle-Calédonie et j’ai visité le Musée de l’Histoire Maritime dont une partie des expositions est consacrée à Lapérouse. J’ai pu faire la connaissance et sympathiser avec Valérie Vattier, la directrice de ce musée. En second lieu, l’UNESCO proclame l’année 2010 Année Internationale de la biodiversité, et la France a répondu à cet appel en déclarant la biodiversité cause majeure. Je me trouvais naturellement concernée pour avoir consacré plusieurs expositions et publications sur ce thème. Et enfin, j’ai participé au grand programme sur dix ans d’expéditions naturalistes « La Planète Revisitée » sous l’égide de Philippe Bouchet, Professeur au Muséum National d’Histoire naturelle, en charge des grandes expéditions. Ce vaste programme est principalement financé par la Fondation Albert II de Monaco et la fondation Total. Ces expéditions menées récemment montrent qu’en 2010, comme en 1785, on doit prospecter, ramasser, trier, collecter et étudier. En revanche, en 1785, on découvrait le monde tandis qu’aujourd’hui, il est urgent de décrire des espèces avant qu’elles ne disparaissent. Il y a donc un lien avec Lapérouse et le concept de biodiversité, même si le mot a été inventé en 1984 seulement, par le biologiste américain Edward Wilson. Je me suis donc dit qu’il était intéressant de traiter le sujet sous l’angle historique plutôt que sous l’angle du rapport de l’homme à la nature. Le 18e siècle est effectivement le siècle des voyages scientifiques. Les grandes expéditions, comme celle de James Cook avant celle de Lapérouse, partaient explorer la Terre avec des savants et des érudits. C’est ce que nous avons voulu montrer, le volet historique de la biodiversité. Et puis, une sorte de clin d’œil à l’histoire, car Lapérouse avait un lien avec Les Mascareignes où il rencontre sa femme Louise Éléonore Boudrou alors qu’enseigne de vaisseau, il fait escale en 1773 à l’île de France (île Maurice) et à Bourbon (île de La Réunion) dans un périple vers les Indes. Louise est une très belle jeune fille qui vient d’avoir dix-huit ans, il en a quinze de plus. Les familles s’opposent radicalement à leurs amours. Il faudra attendre dix longues années de fiançailles avant que le mariage n’ait lieu, en juillet 1783. Deux ans plus tard, Éléonore est enceinte, mais perd l’enfant tandis que son mari est déjà parti dans cette grande expédition.

RACONTEZ-NOUS LES COULISSES DE CETTE AVENTURE : Tout d’abord, il faut préciser que cette exposition sur le Voyage de Lapérouse est le fruit d’une collaboration entre la Nouvelle-Calédonie et La Réunion, ce qui est fort bienvenu dans l’année des outre-mer (2011) !

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Une exposition, c’est avant tout une belle aventure humaine. C’est l’histoire de toute une équipe, une vingtaine, en effervescence permanente durant plusieurs mois. C’est un travail colossal, je dors à peine, nous sommes tous sur le qui-vive, mais j’adore ce temps-là. Il y a un grand stress, mais beaucoup de complicité et d’humour aussi. Le muséographe François Aulas et le scénographe Gilles Courat ont tout de suite capté ce que je voulais. L’idée de la cale du bateau s’est imposée très vite, par exemple. Nous l’avons réalisée en quinze jours seulement. Tout est flottant, car nous sommes dans un musée classé monument historique, il fallait imaginer un système entre le sol et le mur qui soit solide et aux normes de sécurité pour recevoir le public. Tout a été fabriqué ici. La cale du bateau est en bois de cryptomeria. Je trouvais ça très beau et je voulais le garder tel quel, mais j’ai vite été remise dans la réalité de ce que nous voulions produire : « Mais Sonia, ce n’est pas un chalet suisse ! » Le bois a donc été teinté pour refléter au mieux l’ambiance d’un bateau... Sur le papier, tout est évident, mais quand nous passons à la réalisation, il y a de sacrés écarts. Et ce qui est formidable, c’est l’énergie que met toute l’équipe, chacun à son niveau, pour trouver des solutions. Lorsque par exemple, nous avons reçu les mannequins, ils étaient bien trop beaux pour ressembler à des marins de l’époque, il a fallu les « balafrer ». Le maquilleur Cyrille a rajouté des joues et façonner quelques cicatrices sur le visage. Le jour où Valérie est arrivée avec la caisse contenant les objets venant de NouvelleCalédonie - elle l’a convoyée par avion - ce fut un grand moment. Il y a eu des moments plus difficiles. Un matin, François (Aulas) s’est blessé. Nous sommes partis aux urgences, quatre points de suture. L’après-midi, nous étions revenus sur le chantier. Pas le temps de souffler. L’après-midi même, c’est Cyrille qui a failli s’empoisonner. Heureusement, il a eu les bonnes réactions. On a appelé le centre antipoison quand même. La veille de l’inauguration, nous avons fini à minuit... Le lendemain, ce fut l’apothéose, toute l’équipe était habillée en costume d’époque, marquis, duchesses, nous avions belle figure !

VOUS ÊTES VOUS-MÊME UNE GRANDE EXPLORATRICE ?

un avis sur l’expo lapérouse sur www. batcarre.com

Pour la petite histoire, je me suis remise à la plongée sous-marine il y a deux ans, pour une mission d’inventaire de la biodiversité marine dans les îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie. Un vrai défi ! Mais, j’étais très enthousiaste de faire cette expérience, car je connais bien les fonds de l’océan Indien, et je découvrais ceux du Pacifique. Des moments merveilleux. J’ai voulu restituer cette connaissance de la biodiversité récifale à travers une exposition présentée dans chacune des îles Loyauté et un livre qui vient d’être imprimé et qui va être distribué dans toutes les écoles. « J’AI TOUJOURS CE SOUCI : LA SCIENCE CE N’EST PAS QUE POUR LES SCIENTIFIQUES » Sinon, j’ai fait partie des équipages sur le Marion Dufresne, j’avais une trentaine d’années. Dans le cadre de la planète revisitée, j’ai participé à deux missions à Madagascar, l'une hauturière à Nosy-Bé (en 2009 et l'autre côtière à Fort Dauphin (en 2010). Nous recherchions à faire l’inventaire de la flore et de la faune d'une région où se rencontrent des espèces tropicales comme à La Réunion, et tempérées comme en Afrique du Sud. Et on a découvert de nouvelles espèces. Les campagnes sur un bateau de recherche sont des moments très intenses. De 5 à 19 heures, nous étions sur le pont. Lorsque la drague ou le chalut arrivait, il fallait aller vite, nettoyage des poissons et autres animaux marins, tri, mise en alcool (ou formol), photos. Entre deux chaluts, nous échangions entre scientifiques d’horizons différents...quand certains n’avaient pas le mal de mer ! En 2007, je suis partie avec une équipe pluridisciplinaire de dix scientifiques sur la goélette Antsiva, en cabotage près de Nosy be et des îles malgaches, du Canal du Mozambique jusqu'à Juan de Nova, aux îles éparses, Il s'agit à chaque fois de faire avancer la connaissance sur la faune et de compléter les collections du musée. En 1990, lorsque j’ai pris la direction du Muséum, le fonds du musée comptait 12 000 spécimens, aujourd’hui

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RENCONTRE

il y en a plus de 40 000. En privilégiant la constitution d'une collection de référence de la faune des îles de l'océan Indien occidental, il nous sera plus facile de faire comprendre au public les liens entre les différentes espèces de la zone et leur évolution. Faire du terrain permet aussi de restituer plus aisément les informations lorsque nous devons faire des expositions. Mais, le plus bouleversant de tout, sans aucun doute, a été la découverte des poissons abyssaux après l’explosion du volcan de la Fournaise en 2007. C’était une ambiance apocalyptique. Trois cents spécimens sont collectés à la surface par les chercheurs de l'ARVAM et de l'Aquarium de La Réunion. Une première identification par Patrick Durville et Thierry Mulochau de l'Aquarium a montré que nous avions affaire à des poissons inconnus. Le Muséum d'Histoire Naturelle décide alors de faire venir un ichtyologue qui connaît bien cette faune pour l'avoir déjà étudiée lors de la campagne océanographique sur le Marion Dufresne, Jean-Claude Quéro. Au final, c'est quarante-cinq espèces nouvelles pour La Réunion dont treize à l’échelle de la planète. Ça n’arrive jamais ! Les espèces nouvelles ont été envoyées aux spécialistes de certaines familles à Cape Town, au Danemark... une belle collaboration scientifique pour une sacrée découverte !

EN COMPLÉMENT DE TOUTES CES ACTIVITÉS, VOUS ÉDITEZ ÉGALEMENT DES OUVRAGES DESTINÉS AU GRAND PUBLIC SUR LES RÉSULTATS DE VOS RECHERCHES. VOUS AVEZ OBTENU LE PRIX DU LIVRE INSULAIRE À OUESSANT DANS LA CATÉGORIE BEAUX LIVRES. C’est toujours cette volonté de transmettre les connaissances ! J’ai d’abord commencé avec les animaux des jardins créoles, fruit d’observations familiales dans le jardin. Ensuite, les poissons des récifs coralliens avec Patrick Durville chez Océan Editions. Puis, les animaux des récifs coralliens. En 2008, le Muséum a publié un coffret collectif sur la biodiversité à La Réunion dont j'ai assuré la coordination scientifique et écrit quelques livrets. C'est ce coffret qui a obtenu le prix Ouessant. Actuellement, nous préparons avec quelques scientifiques un livret sur les échinodermes de la Réserve Naturelle Marine... Oui, j’ai attrapé le virus !

VOUS ÊTES ÉGALEMENT PRÉSIDENTE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE LA RÉSERVE MARINE… C’est une longue histoire ! La réserve a été créée en 2007 suite à un constat réalisé par les scientifiques qui tirent la sonnette d’alarme, car depuis la fin des années 1970 les récifs se dégradent à grande vitesse. La réserve marine a pour objectif de concilier préservation des récifs et activités humaines. Il ne s'agit pas de mettre les récifs sous cloche. Nous essayons de faire vivre cette relation pour que la réglementation des usages soit en adéquation avec le milieu. Et il est important que l'usager appréhende au mieux une biodiversité, par bien des facettes, exceptionnelle. Sait-on par exemple que la richesse en espèces de coraux est presque équivalente à celle de la Polynésie Française, dont le territoire est bien plus vaste ? La biodiversité des récifs, c’est aussi notre patrimoine, qu'il est impératif de transmettre aux générations futures.

ET VOTRE POSITION CONCERNANT LES RÉCENTES ATTAQUES DE REQUINS ? Il est urgent de parfaire notre connaissance sur la biologie et l'écologie des requins de notre île.

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H O R I ZO N S AU VAG E

Dans les entrailles du volcan PHOTOGRAPHIE

VINCENT DUNOGUÉ & GAETAN HOARAU

VINCENT DUNOGUÉ, GÉOMÈTRE DU CADASTRE DE SON MÉTIER, ET GAETAN HOARAU, PROFESSEUR DE PHYSIQUE, SE SONT PASSIONNÉS POUR LE VOLCAN, NOTAMMENT LORSQUE LA PLAINE DES SABLES A FAILLI ÊTRE DÉCLASSÉE DU DOSSIER PATRIMOINE DE L’UNESCO À CAUSE D’UN PROJET DE GÉOTHERMIE. DEPUIS, ILS EXPLORENT SOUVENT LES TUNNELS DE LAVE GRÂCE À DES AUTORISATIONS EXCEPTIONNELLES, CAR C’EST INTERDIT AU PUBLIC. ILS NOUS RAMÈNENT DE LEUR DERNIÈRE EXPÉDITION, EN AOÛT 2011, CES PHOTOS FABULEUSES PRISES DANS LES BOYAUX DE LA COULÉE MYTHIQUE DE 2007.

Si, comme eux, vous souhaitez partager votre passion en exposant dans cette rubrique vos photos préférées prises dans la nature, contactez-nous sur www.batcarre.com

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H O R I ZO N S AU VAG E

ILS EXPLORENT SOUVENT LES TUNNELS DE LAVE GRÂCE À DES AUTORISATIONS EXCEPTIONNELLES, CAR C’EST INTERDIT AU PUBLIC

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Dans le tunnel qui mène au cœur de la coulée de 2007

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LES BALEINES À BOSSE APPARAISSENT DANS LES RÉCITS DES MARINS DE TOUS LES TEMPS. LE SPECTACLE DE CES GIGANTESQUES CRÉATURES BONDISSANT HORS DE L’EAU DEVAIT LEUR SEMBLER FASCINANT ET, SANS DOUTE, QUELQUE PEU EFFRAYANT. ELLES SONT À L’ORIGINE DE CERTAINS MYTHES MARINS, DE MONSTRES ET DE SIRÈNES QUI CHARMAIENT LES NAVIGATEURS PAR LEURS CHANTS. POUR AUTANT, CES MASTODONTES GÉNÉRALEMENT CURIEUX DES OBJETS DE LEUR ENVIRONNEMENT S’APPROCHENT VOLONTIERS DES BATEAUX ET TOURNENT AUTOUR, D’OÙ CET ENGOUEMENT POUR LE TOURISME D’OBSERVATION (WHALE WATCHING). LA RÉUNION, DONT LES EAUX SONT DE PLUS EN PLUS FRÉQUENTÉES PAR CES MAMMIFÈRES MARINS, N’ÉCHAPPE PAS À CETTE RÈGLE…

la saison

des baleines TEXTE

STÉPHANE MAÏCON - ILLUSTRATION YANN TAFANEL

E X PE R I E N C E D U R A B L E

Mais cette pratique demeure récente. Il y a encore quelques années de cela, l’observation des grands cétacés était l’apanage des scientifiques de la mer bénéficiant de la logistique nécessaire. Le temps, peut-être, que la baleine change de statut et passe de monstre marin à celui de géant débonnaire. Et puis, qui ne se souvient des premières images de Greenpeace relatant les épisodes sanglants de cette chasse inutile ? C’est au début des années 90 que le tourisme d’observation des baleines s’est développé un peu partout dans le monde. Parmi les sites les plus connus, citons la côte pacifique américaine au large de l’État de Washington, de Vancouver et de l’Alaska, le Golfe de Gascogne en France, la Baie de Byron au large de Sydney, la NouvelleAngleterre, la baie de Skjálfandi à Húsavík en Islande, le Golfe du Saint-Laurent au Québec, le Golfe de Guinée le long des côtes du Gabon ou l'île Sainte-Marie à l’est de Madagascar. Chez nous, cet emballement pour les grands cétacés s’est fait plus graduellement. Jusqu’à ces dernières années, les rencontres avec les baleines étaient le fruit du hasard et réservées aux pêcheurs ou aux

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plaisanciers. Les observations avaient lieu depuis la côte, un évènement qui continue de susciter attroupements et bouchons ! Il faut dire aussi que jusqu’en 2007, seule une vingtaine de spécimens étaient repérés autour de l’île. Depuis 2008, ce chiffre est passé à plus de 80 pour atteindre les 126 en 2010, des données que l’on doit à Globice, association née en 2001. Après avoir envisagé la théorie d’un réchauffement des eaux, les scientifiques pensent aujourd’hui que cette hausse de fréquentation serait plus vraisemblablement due à l’arrêt de la chasse, il y a 25 ans. Si la baleine est donc actuellement un animal protégé par décret, certains voient dans le whale watching une nouvelle menace pour l’animal. La manne financière que représente cette activité multiplie les approches désorganisées, ce qui dérange la tranquillité des animaux et engendre même dans certains cas des blessures. Pour tenter de canaliser cet afflux, Globice a élaboré une charte d’approche, cosignée par le Syndicat professionnel des activités de loisirs de


l’île et le préfet Pierre-Henry Maccioni, en juin 2009. Elle stipule que dans un rayon de 300 m, les bateaux doivent passer au ralenti, sans approcher par l’arrière, ni couper la route de la baleine. Dans un rayon de 100 mètres, les moteurs des embarcations doivent être à l’arrêt. Elles ne doivent jamais être plus de cinq autour d’un même animal et toujours du même côté. Deux ans plus tard, le comportement des plaisanciers s’est aggravé et le nombre de bateaux naviguant au plus près des cétacés n’a fait qu’augmenter ! Face à ces débordements, certains, à l’image de Globice, préconisent plus de répression, voire l’interdiction, tandis que d’autres, comme l’association Abyss, sont pour une approche plus raisonnée et mieux accompagnée.

DEUX APPROCHES DIFFÉRENTES Il faut dire que la vocation de Globice n’est nullement d’emmener des touristes au contact des baleines, mais bien de sensibiliser le public quant à la protection des mammifères marins et de leur milieu. Ces campagnes pédagogiques visent tout autant les scientifiques que les profanes, les scolaires constituant à ce propos une large audience. Pour ce faire, l’association utilise de nombreux moyens : conférences, formations auprès des professionnels, jeux vidéos, quizz, fiches pédagogiques, films… L’autre mission de Globice est avant tout scientifique. À longueur d’année, et plus particulièrement lorsque les baleines sont présentes le long de nos côtes (de mai à octobre), l’association met en place des protocoles de prises de données et surveillent l’évolution des effectifs. Des renseignements qui seront communiqués à la Commission baleinière internationale (CBI) qui les intègrera aux stocks mondiaux. Pour repérer les différents spécimens, Globice a privilégié la signature caudale. En effet, en photographiant la nageoire caudale du cétacé au moment où il sonde, il est possible d’en établir une carte d’identité. En recoupant les données récoltées avec les autres instances de la zone océan Indien, il sera possible de suivre les parcours des individus « matchés ». Enfin, l’association est, à La Réunion, le référent du « réseau-échouage », en partenariat avec

l’Aquarium de La Réunion, le Muséum d’histoire naturelle, la Direction régionale de l’environnement, la Brigade nature Océan Indien, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, la Réserve naturelle marine, Kélonia et quelques vétérinaires. Les données collectées seront transmises au Réseau national d’échouage en lien avec le Centre de recherches sur les mammifères marins de La Rochelle. Pour l’association, la saison 2011 est une véritable catastrophe en matière d’approche touristique. « L’intérêt suscité par les cétacés engendre une énorme pression sur les animaux », affirme Laurent Mouysset, responsable administratif de Globice. « Nous avons parfois repéré une vingtaine de bateaux autour d’une baleine. Ces phénomènes d’encerclement génèrent stress et désorientation. La charte d’approche, censée limiter l’impact de l’Homme sur l’animal, n’est pas ou peu respectée. Il semble évident que nous nous dirigeons vers des mesures plus restrictives. Pour autant, il ne nous revient pas de légiférer à ce sujet. C’est aux pouvoirs publics qu’il incombe de prendre des responsabilités ». Des propos nuancés par l’association Abyss, fondée en 2009 et tournée, au contraire, vers le tourisme scientifique et le contact avec les baleines. « Force est de constater que la répression ne fonctionne pas », déclare Fabrice Schnöller, fondateur de l’association Abyss. « Pour respecter un animal, il faut éprouver de l’empathie à son égard, avoir envie de le comprendre. Pour y arriver, rien ne remplace le contact ». Et c’est ainsi que cet ingénieur du BTP a découvert sa passion pour les baleines. « Je devais convoyer un voilier de La Réunion à Maurice. En pleine mer, nous sommes tombés sur un banc de cachalots. Nous nous sommes mis à l’eau et nous sommes allés nager avec eux. Ce fut un véritable électrochoc ! Abyss est née de cette expérience. Il fallait absolument que je puisse revivre cette rencontre, mieux préparé, mieux équipé ». Quelques mois plus tard, Fabrice décrochait un master en biologie et créait Planète Nature, « pour avoir des horaires plus souples et retourner en mer le plus souvent possible. Aujourd’hui, j’y suis au moins deux fois par semaine ». Pourtant, Abyss ne fonctionne pas comme un simple club de sorties en mer. En effet, chaque participant devient membre de l’association.

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E X PE R I E N C E D U R A B L E

Titulaire d’un brevet de guide de randonnée en Nous insistons auprès de nos touristes sur le fait apnée, chaque encadrant délivre au néophyte les que cette sortie n’est pas un pur produit de consommation. Nous avons fréquemment constaté une clés du bon comportement à adopter. réelle frénésie photographique à l’approche des « Pour voir une baleine, il faut s’en donner le cétacés, chacun désirant être figé devant une temps. Il est certain que lorsque l’on n’a qu’une belle caudale ou un souffle. Nous leur expliquons heure ou deux, le pire est à craindre. Nous pre- que la sortie est filmée, que tous auront leurs nons au moins une demi-journée. Lorsque nous images et qu’en attendant, ils peuvent se rendre repérons une baleine, nous nous mettons à l’eau. utile sur le bateau ». Si elle sonde, nous attendons de voir si elle remonte. Abyss se distingue également par son projet Si elle fait surface au même endroit, elle nous scientifique. Au lieu d’identifier les baleines par signifie que nous ne la dérangeons pas. Si elle leur nageoire caudale, l’association étudie les remonte 200 m plus loin, c’est qu’elle ne voulait signaux sonores émis par les cétacés. Fabrice pas nous voir et, dans ce cas, nous n’insistons pas. Schnöller s‘est d’ailleurs lancé dans la conception Ce que nous souhaitons, c’est la rencontre. Et pour d’appareils de monitoring acoustique et de géoêtre accepté, il ne faut pas gêner. L’animal choisit localisation, du matériel qui permet de connaître de venir et non l’inverse. C’est une question de bon la position d’un animal en temps réel, grâce aux sens. Imaginez-vous poursuivi par un inconnu. Il sons qu’il émet. A terme, ces appareils permety a de quoi prendre la fuite ! tront aussi d’établir une carte d’identité sonore propre à chaque individu.

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« Nous voulons sortir de cette querelle de chiffres », poursuit Jérôme Raimbault, actuel président d’Abyss. « Il faut arrêter de compter les baleines, la CBI s’en occupe déjà. D’autant que ce n’est pas parce que l’on ne voit pas une baleine qu’elle n’est pas dans les parages de notre île, mais peut-être plus au large. Il nous semble plus judicieux d’apporter de nouveaux moyens d’études. Essayons plutôt de comprendre pourquoi un spécimen va venir spontanément vers nous, tandis qu’un autre filera dans le bleu. En ce sens, le langage des cétacés nous semble être une piste intéressante à explorer ». Pour mieux comprendre l’esprit qui anime Abyss, plongeons-nous dans cette citation de Roger Payne, scientifique mondialement reconnu et acteur majeur de l’arrêt de la chasse à la baleine : « Je rêve d’un futur où les baleines et les hommes pourront multiplier les rencontres. Cela n’arrivera pas aux USA parce que c’est interdit. Je suis conscient de l’objectif initial de cette loi (j’ai participé à sa création), et elle a le mérite d’exister et de protéger les baleines des inconscients (et l’inverse).

Mais aujourd’hui, ceux qui l’interprètent et l’appliquent rendent le plus mauvais des services aux baleines. A moins de délibérément l’attaquer, un nageur ne peut en aucun cas déranger une baleine : elle peut s’éloigner de lui sans difficulté et il n’y pourra rien changer ! Au contraire, les images sousmarines de baleines ont une influence très importante sur le public, et leur rendent un immense service. »

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Shan FRANCINE GEORGE MICHEL HÖSSLER DE L’AGENCE TER PHOTOGRAPHIE ANNE GIROUD & MARC DANGUY TEXTE

AVEC LA COLLABORATION DE

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ghai

la ville monde


SHANGHAI VEUT RENOUER AVEC SES HEURES DE GLOIRE DU TEMPS DES ANNÉES FOLLES. CENTRE ÉCONOMIQUE DES GRANDES COMPAGNIES INTERNATIONALES, LA VILLE S’ACTIVAIT JOUR ET NUIT À LA BELLE ÉPOQUE. UNE MASSE D’IMMIGRANTS DÉBARQUAIENT DES QUATRE COINS DU MONDE EN RÊVANT DE SE FAIRE UNE PLACE AU SOLEIL. MAUDITE PENDANT LA RÉVOLUTION CULTURELLE POUR AVOIR FLIRTÉ AVEC LE CAPITALISME, LA VILLE S’EST TOTALEMENT ENDORMIE. IL Y A VINGT ANS, LE CENTRE D’AFFAIRES DE PUDONG EN PASSE DE DEVANCER CELUI DE LA BIG APPLE, ÉTAIT UN VASTE TERRAIN VAGUE. AUJOURD’HUI, LES TOURS LES PLUS HAUTES DU MONDE RIVALISENT D’AUDACE ET D’INNOVATION POUR ESSAYER DE TOUCHER LES ÉTOILES. L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE 2010 DONNE À SHANGHAI L’OCCASION D’ACCÉLÉRER SA CROISSANCE. DES SOMMES COLOSSALES ONT ÉTÉ INVESTIES POUR CONSTRUIRE DE NOUVELLES INFRASTRUCTURES, RÉALISER LES AMÉNAGEMENTS URBAINS, RÉNOVER LES QUARTIERS ANCIENS DU CENTRE VILLE. UN NOUVEAU MONDE EST À SHANGHAI EN TRAIN DE SE METTRE EN PLACE.

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BAT’CARRÉ À L’EXPO UNIVERSELLE DE SHANGHAI L’exposition 2010 est sans doute celle du gigantisme à l’image de ce que fut l’exposition universelle de 1900 où le métro parisien a été inauguré, ou bien celle de 1889 qui permit à l’ingénieur Eiffel d’imposer sa tour. Aujourd’hui, les expositions universelles ne cherchent plus à mettre en scène le monde industriel ou les technologies, mais à révéler les innovations qui tendent vers le bien-être, qui vont augmenter la qualité de vie, c’est le thème de l’exposition de Shanghai : Better city, better life. Le terrain de 5,28 km2 a été aménagé sur un ancien chantier naval entre les ponts Nanpu et Lupu le long du fleuve Huangpu. Des années de travaux, 65 000 personnes déplacées à la périphérie, une pollution accrue par les chantiers dans tout le cœur de la ville. Tout a été mis en œuvre pour faire de cette exposition l’événement du siècle. Près de 80 000 bénévoles sur le site, une organisation gigantesque pour recevoir une centaine de millions de visiteurs et héberger 246 participants (pays, organisations régionales).


© Marc Danguy

À l'intérieur du pavillon de la Grande-Bretagne

LES PAVILLONS DU MONDE Une marée humaine composée à 95 % de Chinois a donc envahi le site du 1er mai au 31 octobre 2010. Ces Chinois venus de toutes les provinces n’auront peut-être pas l’occasion de voyager. 189 pays distinctifs représentés, le monde s’offre à eux ! En s’armant de patience ! Un minimum de deux à quatre heures de queue pour une visite de tout au plus un quart d’heure dans chaque pavillon. Très dociles, pratiquant néanmoins l’art de resquiller, les Chinois serpentaient avec persévérance dans les files d’attente, munis de leur petit siège pliable, reposoirs d’un instant. Équipés du passeport de l’expo, ils refaisaient la queue pour obtenir le tampon du pavillon visité avant d’en sortir. Une grande avenue sur deux niveaux traversait le site. Sur la partie haute, la vue panoramique était ponctuée d’une myriade d’ombrelles multicolores. Sur la partie basse, de nombreuses familles se reposaient ou se restauraient à l’ombre. Parfois des escadrilles de militaires avançaient au pas cadencé, suivies des heureux élus allant visiter le pavillon de la Chine.

Le pavillon de la Chine, trois fois plus haut que les autres, marque l’entrée. Visible à perte de vue, cette pagode inversée, ou « couronne orientale », conçue par l’architecte He Jingtang, met en scène la puissance de la culture chinoise, l’art du jardin, de la calligraphie, la couleur rouge hautement emblématique du palais impérial de la Cité Interdite, les 56 dougongs 1 sur le toit représentant les différentes ethnies chinoises. Pavillon inaccessible, le quota de visiteurs était rempli des semaines à l’avance ! La plupart des pays ont déployé toute leur ingéniosité pour présenter des pavillons aux formes les plus originales, comme la grosse bulle rose du pavillon japonais toute droite sortie d’un manga ou les dunes de sable de l’Arabie Saoudite, la piste cyclable du Danemark, le téléphérique de la Suisse, la gigantesque mosaïque de couleurs du pavillon coréen, le Kremlin stylisé du pavillon russe... Tous avaient comme contrainte de faire passer au minimum 6 000 visiteurs à l’heure sans autre choix technique que le colimaçon ou la

Pièce de construction en bois spécifique à l’architecture chinoise 1

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pente montante et descendante. Les plus grandes surprises sont venues, en fait, des scénographies intérieures. Écrans géants pour raconter la vie, décoration sens dessus dessous, le sol au plafond, la mise en scène du design pour la Suède ou des matériaux comme le bois pour le Canada. Une des scénographies les plus impressionnantes est sans aucun doute celle de l’Espagne, enveloppée de pannes d’osier naturel. À l’intérieur, un immense boyau vous avale en projetant des scènes dont la succession d’images provoque des effets de surprise, comme l’encensoir qui se balance tout à coup au milieu des spectateurs, le rouge de la corrida qui enflamme l’écran, et le flamenco qui devient vivant sur scène. Avant la sortie, un gros bébé kitsch pleure et rit en interactivité avec le public. La Grande-Bretagne est aussi sortie du lot avec son cube formé de 60 000 tiges en plexiglas à l’intérieur desquelles sont enfermées des graines différentes, destinées à préserver la nature. Un contre- sens pour certains qui estiment que cette « cathédrale mortuaire » ne peut en rien préserver la nature qui, par essence, doit rester vivante.

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En tout état de cause, le succès de l’exposition a dépassé les espérances, un musée à la gloire de l’expo devrait bientôt voir le jour.

LE PAVILLON DE LA FRANCE Le pavillon de la France est un des rares pavillons avec les pavillons italien, russe et celui de l’Arabie Saoudite à ne pas disparaître après l’exposition. Et bien évidemment, le pavillon de la Chine qui a de nouveau ouvert ses portes aux visiteurs. L’équipe retenue pour le concours, l’architecte Jacques Ferrier et le paysagiste Michel Hössler de l’agence Ter, ont répondu au thème de la Ville sensuelle. Que peut-on attendre de la France dans le monde et en particulier, en Chine ? Le romantisme à la française ! Alain Delon, adulé en Chine, en était le parrain. Le pavillon français a innové en proposant une structure sobre en résille et un jardin à la verticale, nature luxuriante qui se déploie dans la cour intérieure. « La structure losangée va paraître très fine tout en jouant son


© Anne Giroud

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rôle structural. Elle va traduire cette idée de sensualité et montrer que ce qui est technique peut avoir une dimension poétique » explique l’architecte Jacques Ferrier, accompagné de sa directrice de projet Pauline Marchetti. En effet, le matériau, du béton mélangé à des fibres de verre, offre un toucher velouté dont la couleur va prendre la patine du temps. Michel Hössler revient, pour nous, sur la démarche qui a abouti à la conception de ce jardin vertical, point d’orgue du pavillon français. « L’idée de départ était d’accueillir dans un jardin. Mais il fallait prendre conscience qu’en Chine, l’art du jardin appartient comme l’art de la calligraphie et l’art de la poésie, aux arts sacrés. Qu’est-ce que l’on veut donner comme image de la France aux yeux du monde, mais aussi aux yeux des Chinois qui sont passés maîtres dans la conception des jardins ? Lorsque vous allez vous promener dans le jardin de Yu, par exemple, vous ne pouvez pas rester insensible à la magie du lieu. Dans ce bazar reconstruit à l’identique, le jardin de Yu créé en 1559, est un havre de paix. On est devant un tableau avec un jeu de plans

successifs, très subtil, et on a du mal à imaginer que les tours de Pudong se situent à peine à dix minutes de là. Chaque pierre, chaque arbre, chaque fleur porte une signification que nous ignorons. Le jardin chinois est source de raffinement, de spiritualité et c’est cette ambiance que nous avons essayé de capter et de restituer. » Un vrai défi ! Michel Hössler, avec son équipe est donc parti à la recherche des valeurs emblématiques de la France, à transmettre et à revisiter. « Nous avons voulu nous ancrer dans l’histoire. Le jardin de Le Nôtre à Versailles s’est imposé avec ses perspectives, ses plans d’eau et ses parterres de broderie composés de buis dans lequel s’insèrent des motifs de couleur. En fait, les parterres étaient dessinés pour être vus par le roi de son lit. Sa chambre se trouvait au premier étage avec une vue plongeante dessus. Nous avons donc imaginé redonner cette perspective, mais à la verticale et nous avons modernisé la géométrie, loin des arabesques du XVIIe siècle, en optant pour une géométrie qui rend compte de notre époque, le dessin d’un circuit imprimé. Une réinterprétation du jardin à la française sans effet

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pastiche avec, nous aussi, un art inventif à proposer » et d’ajouter avec son humour sympathique « Et, de fait dans ce jardin du pavillon de la France, nous sommes tous rois ! » La terrasse est aussi une belle réussite. « Nous voulions nous inscrire dans la ville et ne pas proposer, comme la plupart des autres pavillons, une boîte noire qui pouvait se trouver n’importe où ailleurs. » La terrasse en lattes de bambous, inclinée, est à première vue un moutonnement de haies jusqu’à ce que les premiers visiteurs arrivent et suivent le tracé en zigzag : « Je voulais une déambulation perpétuelle, un décalage qui contraint le visiteur à s’imprégner des lieux, des différents angles sur le site de l’expo, sur la ville de Shanghai. Cette déambulation est aussi une réponse à la mise en scène des jardins chinois qui subtilement font s’emboîter des scènes les unes après les autres.» Une architecture de verdure qui s’inspire aussi de l’organisation du jardin à la chinoise. Ce n’est pas simple de passer de l’idée à la réalisation.

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Un grand sourire souligne la satisfaction d’avoir réussi malgré toutes les difficultés du chantier : « J’aime bien cet effet ! » La terrasse est le départ du jardin qui tombe en drapé pour s’évanouir au sol composé d’un plan d’eau rétractable, miroir de ce jardin intérieur qui reproduit les lignes d’un circuit imprimé. Autre grande innovation, par rapport aux murs végétaux collés comme sur la façade du musée Branly, les panneaux de plantes sont visibles recto et verso avec des arrangements de couleur selon l’endroit où ils se trouvent. En d’autres termes, d’en haut sur la terrasse ou d’en bas près du plan d’eau le jardin se déploie, mais aussi à l’intérieur, sur tout le parcours scénographique, avec d’autres couleurs et d’autres sensations. La fraîcheur du jardin, la gamme des couleurs participent à l’éveil des sens que la scénographie a voulu interpréter ; à l’extérieur les drapeaux style colonne de Buren, dans le patio, des sculptures et notamment le Lost Dog de l’artiste Aurèle en plantes dépolluantes, à l’intérieur, des œuvres exposées du musée d’Orsay... Un immense succès au final, et le pavillon de la France va devenir une résidence d’artistes.



S E P T I E M E A RT

TEXTE

FRANÇOIS GAERTNER

HOMMAGE à Sidney Lumet

87 ANS, 1,65 M, 43 LONGS MÉTRAGES POUR LE CINÉMA, 5 NOMINATIONS AUX OSCARS, 1 LIVRE CULTE : SIDNEY LUMET N'ÉTAIT PAS N'IMPORTE QUI. MORT EN AVRIL DERNIER À NEW YORK, IL RESTE L'UN DES GRANDS MAÎTRES LES PLUS SOUS-ESTIMÉS DU CINÉMA MODERNE. IL LAISSE DERRIÈRE LUI DES CHEFS-D’ŒUVRE DISCRETS TROP SOUVENT ABSENTS DES RÉBARBATIVES SÉLECTIONS DES MÉDIAS ET DES SITES INTERNET SPÉCIALISÉS.

RETOUR SUR UN PATRIMOINE CINÉMATOGRAPHIQUE MAJEUR En 2005, l'Académie des Oscars et le Festival du Film de Savannah (Géorgie, USA) ont cru bon de remettre à Sidney Lumet, alors fraîchement octogénaire, des récompenses honorifiques pour l'ensemble de son œuvre. Poliment, Sidney Lumet accepta ces lots de consolation, attribués chaque année à des doyens longtemps boudés par leurs pairs, histoire de rattraper le coup avant les obsèques. Quelques semaines plus tard, l'un des trophées fut retrouvé planqué dans un bosquet d'arbres bordant un carrefour de Brooklyn ; on ignore toujours où se trouve l'autre. Sidney Lumet venait de commencer à travailler sur son dernier coup de maître, « 7h50 ce samedi-là », qui s'ouvre sur une belle scène érotique, crue et vivace, comme pour grogner, dans un orgasme : Je suis encore vivant ! Cet amusant pied-de-nez fut l'ultime élégance du maître d'un cinéma naturaliste, discret, voué tout entier à l'art subtil de la narration et qui a, désormais, presque absolument disparu outre-Atlantique.

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À sa mort, le 9 avril dernier, après 60 ans d'une carrière affreusement dévalorisée, Sidney Lumet n'a pas eu les honneurs qu'il méritait dans la presse nationale, sans doute trop occupée à fourbir les plaques commémoratives du grand hommage rendu cette année à Stanley Kubrick par la Cinémathèque française. Il faut dire que Lumet n'a jamais exercé sur le public, la critique ou les érudits d'académie, la même fascination que les grands allumés cultes, psychotiques et irascibles du cinéma moderne - Kubrick ou Coppola, pour ne citer qu'eux. Aimable, ouvert, bienveillant, il se démarque dès ses débuts d'acteur dans le Broadway des années 40, des futures légendes du cinéma New Yorkais en se faisant virer du mythique Actor's Studio, qui formera Brando, De Niro, Pacino, James Dean, Kevin Spacey et d'autres grandes figures oscarisées. Il se méfie de l'accent mis par cette école radicale sur les émotions violentes et la transformation physique dans le jeu des comédiens. Rapidement attiré par la mise en scène, il développe une méthode plus nuancée, fondée sur le dialogue et un long travail de répétitions, qu'il


met en œuvre pour la première fois au cinéma en 1957 avec Douze hommes en colère, huis clos judiciaire épatant de simplicité tenant uniquement sur les dialogues et la profondeur des personnages. Sans coups de gueules à la Coppola, sans harceler ses actrices comme Hitchcock ou Kubrick, sans effets de manche, il obtient en douceur des performances d'une justesse stupéfiante qui valent à dix-sept des comédiens qu'il dirige des nominations majeures aux Oscars : Al Pacino dans Serpico, Katharine Hepburn dans Long voyage vers la nuit, Peter Finch, William Holden et Faye Dunaway dans Network, etc. Artisan dénué de pédanterie, Lumet se disait capable de tourner un film juste pour garder la main : « Si je ne dispose pas d'un scénario qui me passionne, j'en fais un que je trouve passable. S'il n'y en a pas de passable, je fais un film avec un acteur que j'aime bien ou qui présente une difficulté technique intéressante. » Ce pragmatisme peu regardant, il faut bien le dire, l'a conduit à signer une poignée de navets, dont le ridicule The Wiz en 1983, kitschissime comédie musicale

disco-funk adaptée du Magicien d'Oz, avec Diana Ross en Dorothy nunuche et Michael Jackson en mode « robot dance » dans le rôle de l'Épouvantail. Ce qui lui a valu une réputation d'irrégularité, les bouderies de la critique snob et lui a fermé les portes du Panthéon des cinéastes mythiques, en dépit d'une imposante liste de chefs-d'œuvre inoxydables : 12 hommes en colère, Point Limite, Serpico, Network, Un après-midi de chien, Le Verdict, Q&A, A bout de course, 7h50 ce samedi-là. Sans jamais se proclamer « artiste engagé », Sidney Lumet a réalisé quelques-unes des œuvres les plus acerbes et les plus justes sur la modernité (Network), la famille (Long voyage vers la nuit, À bout de course), le pouvoir de l'argent ou la corruption du système judiciaire (Serpico, Le verdict, Contre Enquête, Le prince de New York). Surtout, sans frime, sans tour de force et sans démonstration technique, il a peaufiné tout au long de sa vie un style sobre qui ne sert qu'à porter ses histoires, à mettre en valeur ses acteurs, là où la plupart des grands réalisateurs encore en exercice ont fini par se livrer à la surenchère de

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S E P T I E M E A RT

travellings impossibles, de subterfuges numériques et de tics de mise en scène qui caractérisent le cinéma américain contemporain. Mine de rien, malgré ses mauvais films, anodin planqué dans l'ombre des dieux hollywoodiens, c'est peut-être encore lui qui incarne le mieux l'âge d'or d'une industrie qui, de la fin des années 60 au milieu des années 80, produisait de formidables divertissements populaires à la fois audacieux, beaux, passionnants, riches et dénués de lourdeur.

COURS DE RATTRAPAGE : EN QUATRE FILMS Douze Hommes en colère 1957

Serpico 1973

Network, main basse sur la TV 1976

Avec : Henry Fonda, Lee J. Cobb Au terme d'un expéditif procès pour meurtre, un jury délibère pour décider du sort de l'accusé, un Hispano-américain de 18 ans. Parmi les 12 jurés, un seul homme tente de voir au-delà des éléments accablant le jeune homme pour lui épargner la peine de mort. Ce huis clos électrique en noir et blanc, rythmé uniquement par les dialogues, dissèque avec précision les idées préconçues des personnages et reste un génial plaidoyer pour la présomption d'innocence - moins barbant, en tout cas, que l'affaire qui a alimenté ces derniers temps le show médiatique à coup de volte-face hypocrites.

Avec : Al Pacino Dans le New York hippie des 70's, un flic intègre dénonce la corruption rampante dans le NYPD malgré les menaces de ses collègues ripoux. Tiré d'une histoire vraie, Serpico développe l'un des thèmes favoris de Lumet : l'absurdité et la corruption des autorités et de la justice. Deux raisons de (re)voir ce grand film : Al Pacino jeune avec une grosse barbe et des cheveux longs, et des plans magnifiques sur des endroits rarement filmés à New York (Greenwich Village), qui changent des cartes postales stériles et mille fois resservies par des réalisateurs en manque d’inspiration : le survol obligatoire de Manhattan en hélicoptère, la balade à Times Square de nuit, la contre-plongée sur l'Empire State Building, le bal des voitures sur le Brooklyn Bridge, etc.

Avec : Faye Dunaway, Peter Finch, William Holden Quand il apprend son licenciement imminent, un présentateur de JT has-been promet en direct aux téléspectateurs de se suicider à l'antenne une semaine plus tard, puis se lance dans un monologue halluciné sur la société américaine, ce qui a pour effet immédiat de faire exploser l'audience. Flairant le bon coup, une jeune cadre cynique (Faye Dunaway, parfaite) décide de le maintenir à l'antenne, en dépit de troubles mentaux manifestes. A mi-chemin entre la charge sociale et la sciencefiction, Network est un film visionnaire sur l'évolution de la télévision à la fin du XXe siècle, où l'on voit naître avec vingt ans d'avance la tentation de la téléréalité et du voyeurisme sur fond de déshumanisation, d'hégémonie capitaliste et d'aliénation.

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SIDNEY LUMET 7h50 ce samedi-là 2007 Avec : Philip Seymour Hofman, Marisa Tomei, Ethan Hawke Deux frères fauchés commanditent le casse de la bijouterie de leurs parents pour éponger leurs dettes. De mauvais choix en guignes sévères, les choses tournent au drame, puis au sordide. Ce n'est pas le meilleur film de Lumet, mais il faut le voir pour son extraordinaire intelligence narrative, pour les décors décalés où l'on découvre le New York banlieusard bâti à plat autour d'échangeurs autoroutiers et de centres commerciaux, et pour la parfaite direction des acteurs, qui sont tous excellents.


S E P T I E M E A RT

FESTIVAL DU CINÉMA les audaces de la septième édition LE FESTIVAL DU CINÉMA DE LA RÉUNION VA DÉROULER SON TAPIS ROUGE DU 2 AU 5 NOVEMBRE 2011. POUR SA SEPTIÈME ÉDITION, CHIFFRE MAGIQUE, FABIENNE REDT PREND SON ENVOL ET S’ADRESSE, EN MARGE DES FESTIVITÉS, AUX PUBLICS EN SITUATION D’ENFERMEMENT. Le programme n’est pas encore dévoilé, le nom du président du Jury reste masqué, mais dans le programme officiel de l’année de l’Outre-mer, le festival de Fabienne Redt figure en bonne et due place. Derrière le tapis rouge, les stars du cinéma venues à la rencontre du public réunionnais, et la fête du cinéma pendant trois jours, il y a une femme, Fabienne Redt, et toute une organisation. « Sept ans c’est la maturité, il fallait construire des bases solides, maintenant on peut aller plus loin encore » dit-elle en substance. Son regard, toujours sur le qui-vive, montre une hyperactivité derrière un sourire lisse et le geste tranquille. Elle rayonne de savoir qu’elle a eu raison d’être exigeante. Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, souligne cette flamme intérieure qui l’anime, lorsqu’il lui remet en avril l’insigne de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres : « N’oublions pas que l’écran individuel ne remplacera jamais la puissance poétique et esthétique de l’image projetée sur grand écran, l’émotion collective qu’elle provoque et le frisson qu’elle suscite. Cette idée du grand écran, je sais que vous la partagez. Cette idée, je sais qu’elle vous anime et qu’elle vous fait franchir les montagnes et traverser les océans. »

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Ce n’est donc pas un hasard si la plage des Brisants à Saint-Gilles est le théâtre privilégié de la Carte blanche donnée à un acteur ou à un metteur en scène. Trois films de son choix y sont projetés sur un écran géant de 24 mètres. Le festival du film de Fabienne Redt prend son envol avec de nouveaux paris audacieux : offrir à ceux qui sont dans un lieu clos une possibilité de s’ouvrir à un autre monde, comme une main tendue pour une seconde chance. Il va donc y avoir des projections dans les prisons. Autre lieu, l’hôpital psychiatrique pour braver les peurs que la folie engendre. « Le cinéma est vecteur d’émotion et de réflexion, notre idée est de faire sortir de leur enfermement ces publics en situation difficile. » Dernier défi, les enfants à l’hôpital, parce qu’ils sont souvent coupés de leur cellule familiale. Il va donc y avoir cette année une projection accompagnée du réalisateur et des acteurs dans un hôpital d’enfants. Une façon de mettre un coup de projecteur sur la carence de bénévoles pour tenir compagnie à des enfants éloignés de leurs parents. Ce temps fort du cinéma est avant tout une histoire de rencontres, d’échanges, où les jeunes publics, les scolaires dans l’après-midi notamment, peuvent côtoyer des stars, s’éveiller au septième art dans un cadre privilégié, où le débat remplit la salle dès que les lumières s’allument. Et si le cinéma pouvait changer le regard sur le monde ?



RÉUNIONNAIS DU MONDE

FRANCINE GEORGE SÉBASTIEN PAYET

PROPOS RECUEILLIS PAR PHOTOGRAPHIE

une envie de grands espaces

SÉBASTIEN PAYET EST PARTI VIVRE AU CANADA EN RÊVANT DE GRANDS ESPACES. IL SE CONSIDÈRE AUJOURD’HUI PLEINEMENT INTÉGRÉ DANS LA SOCIÉTÉ CANADIENNE ET PROFITE, DEPUIS MAINTENANT SIX ANS, D’UNE EXPÉRIENCE ENRICHISSANTE AU SÉNAT EN TANT QU’ASSISTANT EXÉCUTIF D’UN PARLEMENTAIRE CANADIEN. MAIS LE CANADA, LE QUÉBEC, EST SURTOUT POUR LUI LE LIEU DE RENCONTRE DE SON ÂME SŒUR, MÈRE DE SES DEUX ENFANTS. EN 2011, IL OBTIENT LA NATIONALITÉ CANADIENNE. C’EST L’ENVIE DE S’INTÉRESSER AUX AUTRES, ET DE SE DÉCOUVRIR LUI-MÊME, QUI LUI A PERMIS DE S’IMMERGER AUSSI RAPIDEMENT. IL GARDE DE SA RÉUNION NATALE LES SOUVENIRS HEUREUX DE SON ENFANCE, LE GOÛT DES BONNES CHOSES, ET UN HUMOUR RAFRAÎCHISSANT.

VOYAGER C’EST L’APTITUDE A ECOUTER L’AUTRE BAT’CARRé 70


QUEL EST TON PARCOURS ? Je suis né à la Réunion en 1977 – l’année du décès d’Elvis Presley ! Ce que ma mère me racontait toujours avec un sourire sachant que mon père en était un grand fan… J’ai passé mon Bac ES en 1996 et, poussé par l’envie de découvrir de nouveaux horizons, je suis parti à Marseille faire une école de Commerce. Je me suis retrouvé très vite face à moi-même, avec les angoisses d’un étudiant dans un environnement inconnu et l’obligation de m’ouvrir aux autres. Suite à mon stage programmé de six mois à La Réunion, j’avais encore deux années d’études pour obtenir mon diplôme. Je quitte alors mon île pour le Canada. POURQUOI LE CANADA ? J’avais une envie de grands espaces, de déconnexion complète avec La Réunion. Un rêve secret de paysages comme dans la Petite maison dans la prairie où coule la rivière... AU DÉBUT, ÇA S’EST PASSÉ COMMENT ? En fait, tout est allé très vite pour moi : décembre 98, soit quatre mois après mon arrivée, j’ai rencontré l’âme sœur, celle qui deviendra la mère de mes enfants. Au début, j’ai été très déçu par l’atmosphère de Hull (maintenant Gatineau)… ville universitaire en bordure de rivière pourtant. Je suis arrivé dans un groupe de jeunes, nous étions une vingtaine, fiers de notre identité française, qui nous poussait à « moukater » gentiment notre environnement d’accueil. En 2000, il ne restait plus que deux Créoles, deux amis. Et, c’est là où j’ai appris à écouter, à apprécier la musique de la langue. Car voyager c’est aussi çà. Au-delà des paysages, il faut s’ouvrir aux autres, écouter leur histoire. TON PREMIER BOULOT En 2003, je fais mon entrée sur la colline parlementaire d’Ottawa pour collaborer aux travaux d’un député fédéral québécois. Quelle excitation et quel stress de se retrouver là ! J’ai tout de suite ressenti le besoin d’apprendre sur le pays, son histoire, sa géographie, son économie… et occuper ma place dans cette société. ET MAINTENANT ? En 2004, naissance de ma fille. Je sais dorénavant que le Canada est plus qu’une porte d’entrée vers une nouvelle expérience, c’est ma vie. Je deviens citoyen canadien en mars 2011 et je porte maintenant fièrement mes deux nationalités. Je suis depuis 2005 attaché à un bureau de Sénateur. Nous partageons mon ami et moi (deux réunionnais au Sénat !) les réflexions de cet homme politique de grande expérience dont le souci est de construire le genre de société qui permet, entre autres, d’accueillir et intégrer en son sein des petits créoles soucieux de bâtir un avenir loin de leurs origines. Le plus gratifiant de cette expérience reste la recherche pointue et l’attention constante qui nous est demandées. Je ne me considère pas pour autant « politisé », au sens premier du terme, mais je comprends aujourd’hui beaucoup mieux ce milieu et l’investissement dévoué d’une grande majorité de ses acteurs. J’observe aussi, à distance pour être bien honnête, le dynamisme de la vie associative des réunionnais au Québec. Réunionnais du Québec Nou lé là ! en est le parfait exemple, association qui est très active. Eh oui, la Réunion fait son chemin là-bas, notre patrimoine s’exporte ! TON IMPRESSION SUR LE CANADA Pour les grands espaces, je ne suis pas déçu. Les gens sont très chaleureux. La langue, l’accent, ça m’a tout de suite plu. J’habite une ville, qui une fois apprivoisée, n’est pas dénuée de charmes : espaces verts, pistes cyclables, rivière qui coule et nous sépare d’Ottawa, la capitale fédérale. Sur chaque rive une langue différente domine : français, rive québécoise, et anglais, rive ontarienne…mais les deux sont reconnues officiellement par la Constitution du pays ! Le pays s’installe profondément en moi. Oui, j’éprouve de plus en plus l’envie de le découvrir avec mes enfants, ma conjointe, même si jusqu’à présent je ne profitais que du passage de mes parents pour le faire. J’y suis bien avec ma conjointe et mes deux enfants… c’est notre monde. QU’EST CE QUI TE MANQUE DE LA RÉUNION ? Le créole na point retrouv’ son carry ! Les odeurs m’ont beaucoup manqué et me manquent encore. Le géranium, le vétiver, le parfum de ma grand-mère dans ses vêtements ; les couleurs aussi, le flamboyant à Noël. Cela va paraître sûrement un peu « niaiseux » (ridicule), mais je me suis quelquefois surpris à pleurer en écoutant Mon Île de Jacqueline Farreyrol. Je me suis même empêché quelque temps d’écouter cette chanson, sinon c’était le spleen assuré ! Ma famille m’a évidemment beaucoup manqué au début et puis ça s’est estompé un peu quand j’ai commencé à construire la mienne. Autre date importante dans ma vie, 2008, la naissance de mon fils. TON REGARD SUR LA RÉUNION QUAND TU Y REVIENS ? Je conserve de mon île des sensations fortes, Saint-Gilles, la plage, les filaos, la chasse aux oursins. Même si l’urbanisme a rasé quelques-unes de mes places favorites et que l’asphyxie me guette, je reste définitivement attaché à mes racines. Quand je vais me promener dans les hauts, à Mafate par exemple, c’est encore plus vivace. La Réunion du patrimoine UNESCO, c’est La Réunion de mon enfance. ET SI C’ÉTAIT À REFAIRE ? J’ai eu beaucoup de chance, j’ai un ami qui est resté proche de moi et j’ai tout de suite trouvé l’âme sœur. Jamais je n’ai été oppressé par la différence culturelle. Le plus dur a été l’adaptation au froid. La première année, c’est marrant, mais la deuxième, quand il faut une heure de temps pour déneiger la voiture... QUELS CONSEILS DONNES-TU AUX JEUNES RÉUNIONNAIS QUI VEULENT PARTIR ? Il faut partir avec un plan d’étude et se poser la question « d’après ». Les doutes arrivent très vite. Diplôme reconnu en France ? Partir seul ?... À La Réunion, il existe déjà quelques organismes qui aident à organiser un « plan de voyage« au Canada, mais pas « un plan de vie. »


F E S T I VA L À L A U N E

TEXTE

FRANCINE GEORGE YANG WANG

PHOTOGRAPHIE

Total Danse

et compagnies

PASCAL MONTROUGE A VOULU « OFFRIR UNE MULTITUDE DE BULLES D’AIR » À CE DERNIER TRIMESTRE DE L’ANNÉE. UNE PROGRAMMATION QUI MÉLANGE HARDIMENT ARTISTES LOCAUX ET ARTISTES INTERNATIONAUX, ARTISTES ÉMERGENTS ET GRANDES POINTURES VENANT DU MONDE ENTIER. À COMMENCER, EN SEPTEMBRE, PAR LE GRAND AUTEUR ET SCÉNARISTE LIBANAIS WAJDI MOUAWAD QUI A ENTHOUSIASMÉ UNE SALLE ARCHI COMBLE AVEC SA PIÈCE SEULS. EN OCTOBRE, DANYEL WARO OUVRE LE BAL AVEC LE GROUPE CORSE A FILETTA ET FRANÇOISE GUIMBERT FÊTE SUR SCÈNE SES QUARANTE ANS DE CARRIÈRE. EN NOVEMBRE, C’EST LA FÊTE DE LA DANSE. DANSE CONTEMPORAINE, DANSE URBAINE, DANSE BUTÔ... LA PAROLE EST DONNÉE AU LANGAGE DU CORPS AVEC SES RÉSONNANCES PUISÉES DANS L’HISTOIRE COLLECTIVE OU DANS LA TRAJECTOIRE PERSONNELLE.

PLACE AU FESTIVAL TOTAL DANSE

Info billetterie 02 62 419 325 www.theatreunion.re

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Le bal Tamoul ouvre les festivités le 10 novembre au TEAT de Champ Fleuri, qui s’adonne au Total Danse du 15 au 26 novembre ! Les contours du programme : en danse urbaine, une chorégraphie engagée de la compagnie brésilienne Membros ; en solo contemporain, Pierre Rigal, ancien athlète, métamorphosé en danseur chorégraphe, et un hymne à Cédric Andrieux l’autobiographie dansée par Jérôme Bel ; Shaun et Parker & Company, venant tout droit d’Australie, jouent à neuf les virtuoses sur le thème du bonheur ; Valérie Berger, Gaby Saranouffi et Sello Pesa, trois chorégraphes-danseurs d’Afrique du sud, de Madagascar et de La Réunion ; les compagnies réunionnaises avec Nadjani en danse contemporaine ; Cirquons Flex en cirque de rue, le théâtre Talipot et bien d’autres surprises encore, comme par exemple, le documentaire de Wim Wenders sur Pina Baush... En bouquet final, SanKai Juku, « compagnie emblématique de la danse butô. ». De nombreux rendez-vous à ne pas rater !

Le TEAT propose Les Rencontres de Pils. À la fin de chaque spectacle, vous pouvez échanger vos impressions près du bar, sans autre formalité que le verre de l’amitié. Quelques nouveautés du côté de chez Pils, des vidéos d’interview live sur le site, un Pils pocket mensuel gratuit version papier, histoire d’accrocher le planning des festivités sur le réfrigérateur, pour ne zapper aucun spectacle.



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La grille du jeu est composée de 9 lignes, 9 colonnes et de 9 régions (les 9 carrés). La grille du jeu contient toujours des chiffres de 1 à 9 et des cases vides, le but est donc de remplir entièrement la grille de manière logique. La règle du jeu est simple : chaque ligne, colonne et région ne doit contenir qu’une seule fois tous les chiffres de un à neuf. Formulé autrement, chacun de ces ensembles doit contenir tous les chiffres de un à neuf. La plupart du temps, le jeu est proposé sous la forme d’une grille de 9×9,

retrouvez la solution des jeux dans le prochain numéro

et composé de sous-grilles de 3×3, appelées « régions ». Quelques cellules contiennent des chiffres, dits « dévoilés ». Le but est de remplir les cellules vides, un chiffre dans chacune, de façon à ce que chaque rangée, chaque colonne et chaque région soient composées d’un seul chiffre allant de 1 à 9. En conséquence, chaque chiffre dans la solution apparaît une seule fois selon les trois « directions », d’où le nom « chiffre unique ». Lorsque qu’un chiffre peut s’inscrire dans une cellule, on dit qu’il est candidat.

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On y dort sur ses deux oreilles. Culot. Note. Choisis.

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Haut personnage. Récriminer. Point névralgique.

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Non loin de Dijon. Epopée familiale. Heureuse en Dieu.

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Grandes divisions. Tremper.

Protester.

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Possessif. Souhait latin. Laps de temps.

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Epée en vers. Parole. Général. Localité de la Seine-Maritime.

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Outrancière. Est enterré.

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Acre. Recoin. Porta assistance.

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Bon parcours. Réfléchit.

G Fit payer trop cher. Prêt à pleurer. Largeur.

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Pareil. Elle a une belle-mère. Unité de mesure.

Sa vallée est fertile. Habitant de l’étang.

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Avalée vivement. Interjection de dédain. La sienne.

H

Prise dans l’eau. Lieu fortifié.

10 Moutard. Mieux vaut en avoir dans la tête que dans l’aile.

I

Mise à l’abri. Ruminant de nos bois. Lieu où l’on est.

11 Faire à la hâte. Il vit sans le savoir.

S’alimente.

12 Petit cheval. Pronom personnel. Nid de Sioux.

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Marqué sa joie. Appartient au lion. Sacrement. Vis.

13 Sérail. Récolte d’ouvrières.

K

Saillies. Protesta. Mammifères du Nord.

14 Elément d’archipel. Maison du peuple.

L

Mystérieuse. Partie vitale. Discrétion.

15 Refus anglais. Graisse. Introduit. 16 Reprise sur le ring. Monolithe funéraire. 17 Truqué. Sans peine. Mesure du temps. 18 Satellite ou planète. Possédé. 19 Eminence de links. Ses appels partaient en fumée. Cheville.

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PA P I L L E S E N F Ê T E

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TEXTE

STÉPHANE MAÏCON - ILLUSTRATION YANN TAFANEL

Rougail moru à toutes les sauces

MORUE EST UN NOM VERNACULAIRE DÉSIGNANT DES POISSONS DE PLUSIEURS ESPÈCES DE L’ORDRE DES GADIFORMES. GROS MODÈLE DES MERS FROIDES, CONSOMMÉ FRAIS SOUS LE NOM DE CABILLAUD (DU NÉERLANDAIS KABELJAUW), SÉCHÉ ET SALÉ SOUS LE NOM DE MORUE, IL EST, DANS NOTRE ÎLE, L’INCONTOURNABLE COMPAGNON DES FINS DE SEMAINE ET DE TOUS LES CARÊMES. EN MIETTES OU EN FILETS, IL FINIRA IMMANQUABLEMENT EN ROUGAIL, AGRÉMENTÉ DE GROS PIMENTS ET SURTOUT DE FLEURS D’OIGNONS. MAIS SI L’ON SORT LA TÊTE DE SA BARQUETTE, L’ON CONSTATERA AVEC PLAISIR QU’IL EST, AILLEURS, ACCOMMODÉ DE BIEN D’AUTRES MANIÈRES.

Les Catholiques sont invités, certains jours, à faire abstinence de viande. Cet usage vise à se priver temporairement de la chair délicieuse des animaux terrestres sans pour autant se priver de tous les aliments. C'est l'origine du succès de la morue, poisson des mers froides consommé au sud de l'Europe, puis diffusé tout autour du monde par ce peuple de navigateurs catholiques que sont les Portugais. Chacun en consomme encore sept kilogrammes par an, préparés en autant de recettes, dit-on, que de jours dans l'année. Sans eux, pas d'acras, de féroce ou de chiquetaille aux Antilles, ni de moqueca ou de frigideira au Brésil, de cari de morue à la mode de Goa, sans oublier notre fameux rougail. Au nord de l'Europe, le lait ou la crème adoucissent la morue, en Méditerranée c'est l'huile d'olive, sous les tropiques le lait de coco, mais au feu du sel répond celui du piment.

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Dans les pays nordiques, les pêcheurs utilisaient du sel pour conserver les poissons, ou ils les découpaient en bâtonnets appelés stockfish qu'ils séchaient au grand vent des îles Lofoten. Chaque pays a sa manière de préparer la morue ou le stockfish : le goût anglais diffère du goût normand, bordelais, basque, portugais, marseillais, niçois ou vénitien, en fonction de la provenance et de la quantité de sel, de la durée de la salaison ou du séchage. Pour préparer un rougail dans les règles de l’art, gardons présent à l’esprit qu’il ne se compose que d’oignons et de tomates en quantité, de piments et d’un peu d’ail, juste ce qu’il faut pour tempérer la puissante saveur de la morue. Mais en aucun cas de gingembre et encore moins de curcuma. Le poisson conservera un bel aspect, à condition de le tailler en morceaux plutôt qu’en miettes. Enfin, le secret du rougail morue réside dans le croûtage des sucs qui révèleront le caractère de ce plat relevé. Un rougail morue se déguste sec !


ROUGAIL MORUE

MORUE AU FOUR À LA PORTUGAISE

• Pour 4 personnes • 500 g de morue • 2 gros oignons • 8 tomates bien mûres • 2 gousses d’ail • 4 tiges de fleurs d’oignons • 4 gros piments • 4 piments verts • 1 branche de thym • 4 cuillers à soupe d’huile • Sel selon convenance

• Pour 4 personnes • 600 g de morue sèche • 500 g de pommes de terre à chair ferme • Un demi-litre de lait • Huile d'olive, 3 oignons, 3 gousses d'ail • Piment, persil, olives noires

• Préparation • Dessaler la morue la veille au soir • Faire bouillir 30 minutes et passer à l’eau froide • Effilocher la morue et retirer les arêtes • Hacher les oignons, les tomates, • les fleurs d’oignons et les gros piments • Ecraser ail et piments verts avec le sel • Chauffer la marmite et y verser l’huile • Ajouter morue et oignons. Faire dorer • Verser les épices écrasées et remuer • Ajouter les tomates, remuer et laisser croûter • En fin de cuisson, ajouter gros piments • et fleurs d’oignons

• Préparation • Faire dessaler la morue pendant 24 heures • en changeant souvent l'eau • La pocher un quart d'heure à l'eau frémissante, • puis l'effilocher en éliminant arêtes et peau • Faire cuire ces fragments pendant une heure • dans le lait frémissant • Cuire les pommes de terre à l'eau, • les éplucher et les couper en rondelles • Faire dorer à l'huile dans une cocotte • les oignons et l'ail, ajouter la morue, • les pommes de terre, le piment, les olives • noires dénoyautées et grossièrement hachées • Bien mélanger le tout, puis faire gratiner au four • dans la cocotte ou dans un plat • pendant 15 minutes • Servir brûlant parsemé de persil plat ciselé.


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NOUS TENONS À REMERCIER NOS PARTENAIRES QUI ONT CONTRIBUÉ À LA RÉALISATION DE CE NUMÉRO. VOUS TROUVEREZ PROCHAINEMENT L’ÉQUIPE DE PILS, D’AKOUT ET DE RÉUNIONNAIS DU MONDE SUR LA NOUVELLE VERSION DE WWW.BATCARRE.COM QUE NOUS SOMMES EN TRAIN DE FAIRE ÉVOLUER.

BAT’CARRé 80


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A LA RÉUNION

A M AY O T T E

Saint-Denis Centre d’affaires Cadjee Saint-Paul 52 route de Savannah Saint-Pierre 68 rue Augustin Archambaud Contact - David Gilles : 02 62 20 19 64 reunion@sfs-groupe.com

Mamoudzou Zi Nel kawéni – Bâtiment Cap May Contact - Alain Caraguel : 02 69 63 81 03 alain.caraguel@sfs-europe.com



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