C Apprendre la cuisine sur les bancs de l’université comme d’autres étudient le droit ou la médecine, c’est ce que propose le Basque Culinary Center, à Saint-Sébastien, en Espagne. Fondée par des chefs étoilés, cette faculté privée veut élever la gastronomie au rang de science. Par Sandrine Morel / Photos Jon Cazenave
’est un peu comme si les meilleurs chirurgiens s’unissaient pour
créer une nouvelle université de médecine ou que les plus grands footballeurs fondaient une académie sportive. A Saint-Sébastien, au Pays basque espagnol, une ville riche en étoiles au Michelin, des chefs se sont unis pour créer, début octobre 2011, le Basque Culinary Center (BCC), seconde faculté de sciences gastronomiques en Europe après celle de Turin, en Italie. L’idée d’enseigner la cuisine à l’université remonte à une trentaine d’années. Elle était prônée par de grands chefs basques comme Juan Mari Arzak ou Pedro Subijana. « Personne n’y croyait, se souvient ce dernier, dans son magnifique restaurant 3-étoiles Akelarre, situé sur le mont Igueldo d’où il domine la mer. J’y ai consacré beaucoup de temps et d’argent, j’ai d’ailleurs commandé des études de viabilité. J’ai toujours pensé que, même s’il existe de très bonnes écoles hôtelières, il fallait créer des hautes études gastronomiques qui dispenseraient une formation plus complexe et plus complète. » Une question de dignité pour les uns, un besoin de reconnaissance sociale pour les autres. « Dire que tu es cuisinier et que tu as suivi une formation universitaire me semble incroyable. Enfin, on va nous mettre sur le même plan que les autres cursus », se réjouit Alvaro Garrido, à la tête du restaurant Mina, à Bilbao, et conseiller du BCC. Finalement, il y a quatre ans, la mairie de Saint-Sébastien convoque les chefs pour leur faire part de sa décision : soutenir la réalisation de ce centre culinaire par le biais d’un partenariat avec l’université privée de Mondragón. L’investissement, de 17 millions d’euros, bénéficiera de la collaboration du ministère des sciences et de l’innovation, du gouvernement basque, et de la province de Guipuzcoa. « Ce projet nous a intéressés d’emblée. La gastronomie est un secteur avec du potentiel, qui peut donner lieu à une transmission de savoirs et à de la recherche et qui possède une dimension internationale évidente », raconte Joxe Maria Aizega, vice-recteur de l’université de Mondragón, devenu directeur du BCC. Cette conviction doit sans doute beaucoup au succès que remporte Ferran Adriá, l’un des tenants de la cuisine moléculaire et chef d’El Bulli, près de Barcelone, élu meilleur restaurant au monde par la revue Restaurant durant quatre années consécutives, entre 2006 et 2009. Or le chef catalan reconnaît l’influence dans sa carrière de Juan Mari Arzak, l’inventeur de la nouvelle cuisine basque. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le BCC est né dans la capitale des pintxos, nom donné aux tapas sophistiquées que l’on déguste au •••
le magazine.
La cuisine a son Harvard. 34 -
7 janvier 2012