BIKINI JUIN-JUILLET-AOÛT 2018

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JUIN-JUILLET-AOÛT 2018 #37



TEASING

À découvrir dans ce numéro...

Duane Handon, Baby in Stroller / The Estate of Duane Handon / Pinault Coll.

«WE ARE THE CHAMPIONS»

D R O I T À L’ I V G

SUBBUTEO BUVETTES

CALVITIE « M U S C L E T O N J E U , R O B E RT » KERWAX I WILL SURVIVE

PINAULT

ABSINTHE

SEXTOY CONNECTÉ

«PÉCHO UN BOB COCHONOU»


ÉDITO

ÉLECTRO : EN PLEIN BOOM BOOM Le rock serait-il devenu un truc de gros ringardos ? Désolé de le dire de manière aussi frontale mais s’il y a encore vingt ans ce genre musical cristallisait les envies, les choses ont pas mal bougé depuis. Quand la majorité des ados rêvaient hier de monter un groupe de rock ou d’aller à un concert porté sur les guitares, les kids d’aujourd’hui fantasment plus sur une carrière hip-hop ou la création de leur collectif électro. Un constat que l’on faisait jusqu’à présent au doigt mouillé mais qui s’est vu confirmé par deux récentes études. Spécialiste de la question des publics en festivals, le sociologue Emmanuel Négrier a dévoilé à l’occasion de la dernière édition du Printemps de Bourges son enquête sur les festivaliers des Eurockéennes. Venant ainsi corroborer l’impression que tout le monde avait : parmi les genres musicaux en pleine bourre, le rap et l’électro voient leur cote grimper auprès des spectateurs (quand le rock baisse légèrement). Le sondage montre également que ce sont ces deux styles qui attirent en majorité les “primo-festivaliers” et permettent ainsi le renouvellement du public. Un essor des musiques électroniques qui touche particulièrement la Bretagne, comme l’a démontré le site de billetterie spécialisé Shotgun dans une étude sortie au printemps. Dans la région, le nombre d’événements électro a en effet plus que triplé ces quatre dernières années (278 en 2017 contre 89 en 2014). Un élan qui devrait s’amplifier puisque, toujours selon Shotgun, les intentions de sorties (exprimées sur les réseaux sociaux) ont été multipliées par 5,6 sur cette même période. Avec une demande supérieure à l’offre, la conquête de l’électro ne semble qu’à son début. La rédaction

SOMMAIRE 6 à 11 12 à 25 26 à 29 30 à 33 34 & 35 36 & 41 42 à 47 48 & 49

WTF : 10e édition de festival, exposition Pinault, artistes créoles, copistes, musiciens césarisés... « La-lala-la-la ! Lalalalalala ! » Technologie, oh oui ! « J’ai fait sauter Versailles » « Toujours se battre pour le droit à l’IVG » 40 degrés à l’ombre RDV : Superorganism, Cheveux chéris, MNNQNS, Yannis le bègue Studio Kerwax

50 BIKINI recommande 4

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Directeur de la publication : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Couverture : Guillaume Blot / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos lieux de diffusion, la CCI de Rennes, Michel Haloux, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - Espace Performance Bât C1-C2, 35769 Saint-Grégoire / Téléphone : 02 99 23 74 46 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2018.



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VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

À QUELLE 10E ÉDITION DE FESTIVAL ASSISTER ? EN 2009, TROIS FESTIVALS BRETONS ORGANISAIENT LEUR ÉDITION INAUGURALE. LA DIXIÈME EST POUR CET ÉTÉ, AVEC L’EMBARRAS DU CHOIX EN MATIÈRE DE PROGRAMMATION ET DE CONDITIONS D’ACCUEIL. ENJAILLEMENT GARANTI.

FESTOCHE AVEC VUE

Dans le très fourni paysage festivalier breton, Visions occupe désormais une place bien définie. Une prog’ atypique et pointue, un accueil nec plus ultra des festivaliers et un spot dingo au fort de Bertheaume (photo), face à l’Atlantique. « Ah ouiiiiiiiiii », aurait commenté Julien Lepers. Du 3 au 5 août à Plougonvelin.

« THE LOOOOOVE BOAT »

électr-eau

Deux festivals de musiques électroniques larguent les amarres. Le 8 juin à Rennes, Big Love investira la Vilaine avec son “love boat” le temps d’une balade musicale assurée par la Crab Cake Corporation. De son côté, la 24e édition d’Astropolis verra le retour des croisières en rade de Brest, avec TBD aux manettes, le 7 juillet. 6

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La Nef D Fous

Le Quartz termine la saison en beauté avec l’Ensemble symphonique Matheus qui, durant toute une nuit (de 19  h à 6  h du matin, soit onze heures de musique non stop), mélangera les styles musicaux, du baroque au classique. Faites le plein de caféine. Le 9 juin à Brest.

BINIC FOLKS BLUES L ’ARMOR À SONS Un festival gratos, en bord de mer, avec vue sur la scène depuis la plage (photo), des touristes qui se mêlent joyeusement à la foule et une prog’ de grande qualité mêlant garage, blues et folk (cette année Kaviar Special, Bench Press, Shake it like a Caveman, Mister Airplane Man…) : le miracle de Binic se poursuit, été après été, dans une ambiance toujours aussi coolos. L’asso organisatrice La Nef D Fous, en collaboration avec le label Beast Records, gère décidemment bien son affaire. Quand et où ? Du 27 au 29 juillet à Binic

FÊTE DU BRUIT

Né sur les cendres du festival des Terre-Neuvas, L’Armor à Sons a repris le flambeau avec humilité et modestie. Deux qualités qui restent dans l’ADN du rendez-vous, ce qui ne l’empêche pas désormais de se faire plaisir avec de jolis noms à l’affiche : Kasabian l’an passé ; Mr Oizo, Nekfeu, Concrete Knives ou encore Naive New Beaters cette année. Le cap des 20 000 festivaliers a été dépassé en 2017, toujours dans un cadre champêtre. Impec’ pour lancer la saison estivale du lancer de tente Quechua. Quand et où ? Du 6 au 8 juillet à Bobital

En invitant Placebo et Morcheeba pour sa 2e édition en 2010, Fête du Bruit s’est vite engouffré dans le sillon “revival nineties”. De quoi séduire les trentenaires et quadras nostalgiques, mais aussi les millennials en quête de frisson musical de l’époque grunge et britpop. Nouveauté cette année, le festival se dédouble : le traditionnel rendez-vous aoûtien de Landerneau (Sum 41, NTM, Alt-J) est désormais précédé d’un événement à Saint-Nolff en juillet (Offspring, BRNS, Indochine…). Quand et où ? Du 6 au 8 juillet à St-Nolff et du 17 au 19 août à Landerneau



WTF

EXPO PINAULT : LES 3 ŒUVRES À NE PAS RATER DU 23 JUIN AU 9 SEPTEMBRE, AU COUVENT DES JACOBINS À RENNES, L ’EXPOSITION « DEBOUT ! » ACCUEILLE UNE SÉLECTION D’ŒUVRES ISSUES DE LA PRESTIGIEUSE COLLECTION PINAULT. PARMI LES PIÈCES PRÉSENTÉES, TROIS IMMANQUABLES. COMPLICATION

HIM

C’est quoi ? Une Ferrari Dino 308 GT4 accidentée, élevée au rang d’œuvre d’art par Bertrand Lavier en 1993. Pourquoi ? Duchamp avait inventé le “ready made”. Lavier poursuit dans cette volonté de remettre en cause les catégories artistiques avec ce “ready destroyed”, objet à la charge émotionnelle forte et point de départ d’une histoire que chacun peut imaginer.

C’est quoi ? Une toile réalisée en 2013 par Lynette Yiadom-Boakye, artiste britannique d’origine ghanéenne. Pourquoi ? Son coup de pinceau, ses personnages à la peau noire et son esthétique du portrait ont notamment tapé dans l’œil de Solange (la sœur de Beyoncé). Son clip Don’t Touch My Hair multiplie les références aux œuvres de Yiadom-Boakye.

Maurizio Cattelan

Yiadom-Boakye / M. Leith

Lavier - ADAGP / R. Fanuele

DINO

C’est quoi ? Une sculpture signée Maurizio Cattelan représentant Adolf Hitler, agenouillé, en train de prier. Pourquoi ? Provocateur (la statue de Jean-Paul II écrasé par une météorite, c’est lui), l’artiste italien aime faire réagir le public. Mission réussie avec Him, œuvre de 2001 qui avait fait scandale lors de son exposition dans le ghetto de Varsovie en 2012.

Guy Le Querrec / Magnum Photos

CLIC-CLAC, C’EST DANS LA BOÎTE

Grosse expo au Musée de Bretagne qui, tout l’été, accueille Guy Le Querrec, photojournaliste et membre de la prestigieuse agence Magnum. De 1965 à 1980, ce Parisien né de parents bretons a sillonné sa terre d’origine où il réalisa près de 5 000 clichés. Plus d’une centaine de photos sont ici présentées : des scènes de vie quotidienne et familiale, témoins d’une société bretonne alors en pleine mutation économique et sociale. Jusqu’au 26 août aux Champs Libres à Rennes. .

DES PLACES À GAGNER ! On vous invite en festival : Bout du Monde, Chauffer dans la Noirceur, Au Pont du Rock, Dub Camp, La Nuit de l’Erdre… Rendez-vous sur notre page Facebook ! 8

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LANGUE CRÉOLE : EN BONNE COMPAGNIE

TROIS AMBASSADEURS DE CE LANGAGE CHARGÉ D’HISTOIRE SONT DE PASSAGE EN FESTIVALS. C’EST BON, BON ! DELGRÈS Révélé au sein du groupe Rivière Noire (Victoire de l’album musique du monde en 2015), le musicien Pascal Danaë déboule cette année avec sa nouvelle formation de blues créole, Delgrès (photo). Un nom en hommage à Louis Delgrès, figure de la lutte contre l’esclavage dans les Antilles. Quand ? Le 20 juillet aux Charrues et le 4 novembre à l’Ubu à Rennes

YANISS ODUA Le Martiniquais, qui a sorti l’an passé l’album Nouvelle Donne, chante un reggae en français, en anglais, et aussi en créole. Comme sur les titres Madinin’Africa et La Caraïbe. Yeah man. Quand ? Le 27 juillet au festival de Bugueles à Penvenan et le 11 août au festival No Logo BZH à Saint-Malo

MÉLISSA LAVEAUX Canadienne aux origines haïtiennes, la chanteuse pop-folk continue de plonger dans ses racines. Sorti au printemps, son 3e album est entièrement interprété en créole. Son nom ? Radyo Siwèl, référence aux musiciens traditionnels qui déambulaient dans les villages d’Haïti au temps de l’occupation américaine. Quand ? Le 3 août au Bout du Monde 9


WTF

COPIES QU’ON FORME AU MUSÉE

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ARBRE À CHA-CHA-CHA

Pour sa septième édition, le festival Extension Sauvage garde son crédo : celui de mêler la danse et la nature, en accueillant le public dans un cadre bucolique (les paysages de la Bretagne Romantique) pour assister à des spectacles aux chorégraphies soignées. Une sylvothérapie artistique à conseiller à tous sans prescription. Du 29 juin au 1er juillet à Combourg et Bazouges-la-Pérouse.

DR

AU TOP !

Après avoir bien secoué Panoramas au printemps, le producteur français I Hate Models est de retour en BZH. Grosses basses, univers sombre et et hypnotique, l’homme au bandana fait figure de nouveau fer de lance de la scène techno indus. Le 8 juin au 1988 Live Club à Rennes.

HAPPY BIRTHDAY

twist

C’est à lui que l’on doit les premiers concerts rennais de La Femme, Ty Segall, Thee Oh Sees ou encore Jacco Gardner. Le Twist Komintern fête ses dix années d’activisme musical et investit l’Antipode pour l’occasion. Deux jours de rock avec notamment Magnetix, Madcaps, PAN... Les 28 et 29 juin à Rennes. 10

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Drôles de scènes dans les musées : des dizaines de copistes – débutants et experts – recopiant, crayon à la main, la totalité des œuvres exposées le temps d’une journée. Cette performance, c’est celle du Musée recopié, une opération lancée en 2016, à laquelle participent cette année cinq établissements de la région. Après le musée de Pont-Aven et celui des beaux-arts de Quimper en mai, c’est au tour des beaux-arts de Brest, Vannes et Rennes d’accueillir des faussaires en juin. Piiiiiiiiirate ? Pas vraiment, assure Simon Gauchet, instigateur de l’évènement. « C’est une façon de se réapproprier les collections de musées publics. Cette idée est née d’une observation au centre Pompidou à Paris. J’ai vu des gens qui recopiaient des œuvres à la main. Ce processus de recréation m’a fait réfléchir. Ce temps passé devant une toile permet aussi de créer une autre relation avec l’œuvre. »

« Passé de mode » Copier : une occasion en or de passer plus de 7 secondes devant un tableau – la moyenne dans un musée – en réhabilitant une pratique autrefois courante. « Dans le passé, c’est comme ça qu’on s’entraînait à peindre », poursuit Simon. Aujourd’hui, il est vrai que croiser un copiste dans un musée fait figure d’évènement. « C’est passé de mode pour les étudiants d’apprendre en recopiant des œuvres. On ne travaille plus trop à partir des toiles

MBA Salingue

L ’ÉVÈNEMENT « MUSÉE RECOPIÉ » INVITE 80 ARTISTES AMATEURS À REPRODUIRE L ’ENSEMBLE DES ŒUVRES DE CINQ MUSÉES BRETONS. MALGRÉ CETTE OPÉRATION, LE CONSTAT EST SANS APPEL : LES COPISTES SONT EN VOIE DE DISPARITION.

de maîtres », explique Vanessa Che du musée des beaux-arts de Brest. Même topo à celui de Vannes : « On voit régulièrement des gens qui font des croquis sur leur carnet. Mais des copistes, jamais ! » Au changement de pédagogie, s’ajoute une question de sécurité. Si vous vous postez avec vos tubes de gouache un peu trop près d’une toile de maître, les gardes risquent fort de vous plaquer à terre. D’ailleurs la majorité des musées refusent de vous laisser entrer avec autre chose que des crayons. C’est le cas par exemple au Fonds Leclerc qui avoue n’avoir aucune politique sur la question... qui ne s’est d’ailleurs jamais posée. « Nous n’avons jamais eu de demande de particuliers ou de groupes en ce sens. » En attendant de se rendre peut-être un jour à Landerneau, Simon Gauchet et ses acolytes investiront quant à eux le Musée de Bretagne en septembre où ils exposeront les quelques 1000 copies réalisées depuis 2016. Isabelle Jaffré


Quentin Caffier

QUEL MUSICIEN CÉSARISÉ VOIR ?

TROIS ARTISTES AYANT CHOPÉ LE CÉSAR DE LA MEILLEURE MUSIQUE SONT DANS LE COIN. EEEEET ACTION ! ARNAUD REBOTINI Le colosse à la chevelure gominée a signé la musique de 120 battements par minute avec qui il a remporté (en pleurs) un César en mars dernier. Une juste reconnaissance auprès du grand public pour l’un des papas de l’électro française (photo). Méga cool. Quand ? Le 10 août à Belle Île On Air

YANN TIERSEN Vainqueur du César de la meilleure B.O en 2002 avec Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, le Ouessantin cultive depuis quelques années un goût pour les projets expérimentaux (son sideproject Elektronische Staubband…) ou intimes, à l’image de l’album Eusa qu’il joue actuellement au piano en solo. Méga classe. Quand ? Le 5 août au Festival Interceltique de Lorient

FATOUMATA DIAWARA Si c’est le compositeur franco-tunisien Amine Bouhafa qui a officiellement été sacré pour la musique de Timbuktu en 2015, l’histoire retiendra que c’est la chanteuse malienne Fatoumata Diawara qui pose sa voix sur le thème principal du film d’Abderrahmane Sissako. Méga beau. Quand ? Le 24 août au Roi Arthur à Bréal-sous-Montfort 11


DOSSIER

« LA-LALA-LA-LA ! LALALALALALA ! » IL Y A VINGT ANS, L’ÉQUIPE DE FRANCE DE FOOTBALL ÉTAIT SACRÉE CHAMPIONNE DU MONDE. L’ÉPILOGUE D’UN ÉTÉ FOU FOU FOU OÙ TOUT LE PAYS AVAIT LA BANANE. 12

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’est marrant parce que ça a été un moment important mais la mémoire ne revient pas facilement. C’était il y a vingt ans quand même… Mais on a comme des flashs qui nous sautent à la figure. » L’ancien joueur de Guingamp et désormais tout jeune retraité Thibault Giresse a parfaitement résumé la situation. Pour faire une analogie, on pourrait dire des souvenirs de la Coupe du monde 1998 qu’ils sont comme le ketchup : quand ils arrivent, ils viennent tous en même temps. Reviennent alors les sons : cris de joie et coups de klaxon, I Will Survive, We Are The Champions, « et un, et deux, et trois, zé-ROS !! ». Reviennent aussi les odeurs, celles des barbecues et de la fumée de cigarette qui flottait alors encore dans tous les bars. Reviennent les gestes de l’époque : les embrassades et les danses maladroites d’après victoire, les bras qu’on levait sur le tube de Gloria Gaynor repris par Hermes House Band (« la-lala-la-la ! lalalalalala ! la-la-la-LA ! »). 13


DOSSIER

D’autres flashs encore, à la volée : Laurent Blanc qui embrasse le front de Barthez, Johnny qui confond Zizou et Zazie sur TF1, Chirac qui fait semblant de connaître les joueurs lorsqu’ils sont énoncés par le speaker, les sketchs des Guignols (« mon copain Dugarryyyy »), l’affreux Footix, le superbe maillot des Bleus avec l’horizontale rouge, Thierry Roland qui exulte, la France black-blanc-beur unie et belle, trop belle peut-être pour être vraie longtemps… Tout ça donne envie de s’y replonger, alors allons-y avec ceux qui l’ont vécue de l’intérieur. La Coupe du monde débute officiellement le 10 juin 1998 mais pour Stéphane Guivarc’h, le coup d’envoi intervient le 5 mai à l’annonce de la préliste des 28 joueurs choisis par Aimé Jacquet. « Le sélectionneur mangeait sévère à l’époque. Il était pas populaire mais il assumait, se remémore le natif de Trégunc, alors avant-centre à Auxerre. Souvent, il partait seul en conférence de presse et nous laissait dans nos chambres à Clairefontaine pour nous mettre à l’abri de la pression. » Une chambre que l’actuel vendeur de piscines a partagée jusqu’au 22 mai avec Sabri Lamouchi, aujourd’hui l’entraîneur du Stade rennais. Ce soir-là, Jacquet toque aux portes et annonce la nouvelle aux six bannis écartés au dernier moment : Anelka, Ba, Laigle, Djetou, Letizi et Lamouchi, qui doit faire ses valises et laisser

son copain de chambrée continuer l’aventure. « C’était un moment horrible, grimace Guivarc’h, je savais pas quoi dire à Sabri, alors je me cachais sous ma couette pour pas croiser son regard. » Les Bleus à 22, avec un Breton dans la bande, la fête peut commencer. Le 9 juin, jour de sortie dans les bacs de La Ouache de Matmatah et veille du match inaugural, c’est spectacle des géants au programme dans les rues de Paris. Une sorte de parade sous acide qui voit quatre bonshommes de 20 mètres de haut (Roméo l’Européen, Ho l’Asiatique, Pablo l’Amérindien et Moussa l’Africain) défiler à 2 km/h dans la capitale pour rejoindre la place de la Concorde où l’obélisque a été transformé pour l’occasion en un trophée XXL. Si le spectacle interminable n’a laissé que des souvenirs brumeux de bad trip à beaucoup d’entre nous, ce n’est pas le cas de Patrick Cam. Car l’habillage de l’obélisque, c’est son bébé. Par l’entremise d’un « ami d’ami travaillant dans l’événementiel », ce chaudronnier originaire de Loqueffret dans le Finistère s’était vu confier la mission de construire cette immense structure métallique haute de 36 mètres et lourde de 75 tonnes. « Y avait un triple enjeu dans l’affaire : l’orgueil de l’homme, le savoir-faire de l’artisan et la réputation des Bretons », énumère, fier comme un pape, le gazier. Pour l’occasion, il délocalisera son atelier à Paris pendant les

« J’ai jamais autant été impressionné de toute ma vie » 14

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deux mois de chantier, réussissant à achever son œuvre juste à temps, au prix de 500 heures à enfiler des tubes. « J’aimais pas plus que ça le foot en plus, rigole-t-il, mais au moins ça m’a ouvert les portes du show business : après ça j’ai pu travailler pour les décors de Robert Hossein, Elie Chouraqui et même David Guetta. » La classe à Dallas.

« Mon père était fan » Le lendemain 10 juin, c’est le jour du premier match de la compétition : Brésil-Écosse au Stade de France. Juste avant le coup d’envoi, une petite cérémonie d’ouverture a lieu sur la pelouse, avec parmi les figurants Thierry Turpin et son père Guy, venus de Trédion. « On était déguisé en faux arbitres et on devait se présenter au milieu du terrain avec un ballon téléguidé qui étaient censé nous suivre… sauf que le dispositif a déconné le jour J, raconte Thierry. Gros moment de stress ! » Les deux Morbihannais effectuent donc la manœuvre manuellement, sous le regard des 80 000 spectateurs. « Eux n’ont certainement rien


Photos : DR

remarqué mais en coulisses ça chauffait. J’ai jamais autant été impressionné de toute ma vie. Mais ça valait le coup : dans le couloir j’ai pu apercevoir Axelle Red, qui chantait l’hymne du tournoi (en duo avec Youssou N’Dour, ndlr) mais aussi les Brésiliens, notamment Zico dont mon père était fan. » Quelques jours plus tard, l’ancienne star de la Seleção va aussi croiser le chemin d’un autre Breton, Alain Faudet, de la JA Mordelles Football Club, engagé comme volontaire. Les bénévoles seront en tout 950 à être affectés à l’accueil du public, à la sécurité ou au transport, pendant le mois de la compétition. Informaticien de métier, Alain Faudet avait quant à lui pour mission l’assistance des ordinateurs et du réseau, « en lien avec les journalistes », au stade de la Beaujoire à Nantes. Il poursuit : « On avait postulé 18 mois avant et reçu une petite formation sur les serveurs utilisés alors. C’était les débuts d’Internet, mais dans l’ensemble on n’avait pas eu trop de soucis. On faisait le boulot avant et après les matchs. Pendant, on essayait de se trouver une petite place en tribune. On croisait des joueurs, j’ai gardé quelques auto15


Photos : DR

DOSSIER

même fini par l’emporter en finale face à Hillion. Une réussite totale, à une anecdote près que se remémore l’ancien élu : « Jean-Pierre Papin, qui venait de signer à Guingamp, devait venir assister à l’inauguration. J’avais été chez lui, il avait donné sa promesse mais il nous a posé un lapin sans prévenir. » Partout sur le territoire, ce genre d’initiative populaire voit le jour en marge du Mondial. Jadis ringardisé, jamais le foot n’a eu autant la hype qu’en cet été 98, y compris dans les plus farouches poches de résistance. Au Bar’Jo à Pontivy par exemple, où on n’a jamais caché sa défiance pour les « pousseurs de ballon », près de quatre tonnes de sable envahiront le troquet pour une ambiance Copacabana et Coupe du monde… de billes. « On n’avait pas de télé pour les matchs mais on a fait notre petite compèt’ à nous, comme des gosses, se marre des coiffeurs), la France se qualifie Joëlle Hémon, l’ancienne tenancière. à l’arrache le dimanche après-midi On avait fait un circuit de 40 m² et 28 juin face au Paraguay grâce au allez hop, tout le monde à quatre but en or de Laurent Blanc. pattes. Les gagnants se faisaient La veille, comme tous les samedis payer la bolée. » depuis le début du Mondial, des enfants de dix écoles de foot autour de Fan de Braveheart Lamballe se sont réunis pour disputer Après avoir franchi un obstacle “la Coupe du monde du Penthièvre”, paraguayen très casse-gueule, Ditournoi organisé à Saint-Alban par le dier Deschamps et toute la bande maire de l’époque Daniel Merpault. affrontent un gros morceau en quart Avec près de 10 000 francs de recette de finale, l’Italie, qu’ils éliminent à dont une bonne partie en buvette et l’issue d’une séance de tirs au but sandwichs, l’événement avait été le suffocante. Puis c’est la surprenante climax de son mandat. Menuisier de Croatie qui se voit barrer la route de métier, il avait construit une structure la finale grâce à un improbable doublé au niveau de la main courante pour du sauveur Lilian Thuram. Il ne reste faire de son terrain municipal « un plus qu’un match à jouer face à l’ogre vrai stade comme les pros ». Les brésilien et partout, l’hystérie gagne. licenciées du club local de twirling À mesure que les matchs prennent faisaient office de pom pom girls, de l’importance, la foule se presse un lâcher de ballons avait été mis en dans les établissements retransmetplace et les gamins du village avaient tant l’événement. À Brest, le QG des

« On a réussi à faire rentrer le camping-car sur la pelouse ! » graphes. Zico, très sympa. Boban aussi, dont j’ai récupéré un maillot d’entraînement. J’avais également échangé une de mes chasubles de volontaire contre un maillot avec un supporter brésilien. Le soir du dernier match, avec les copains on a mis un point d’honneur à quitter le stade en dernier. On avait même réussi à faire rentrer le campingcar sur la pelouse, on voulait plus partir ! » Si la fête est déjà terminée à la Beaujoire début juillet, elle ne fait que monter en puissance partout ailleurs dans l’Hexagone grâce aux performances des Bleus de Jacquet. Après une phase de groupes passée sans encombre face à l’Afrique du Sud (flash souvenir : le tirage de langue de Dugarry), l’Arabie Saoudite (le méchant essuyage de crampons de Zizou) et le Danemark (le match 16

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footeux est au Murphy’s. À Rennes, on se serre au Singe en Hiver, au Scudetto et au Bonne Nouvelle. Dans la plupart des villes bretonnes, des écrans géants sont mis en place pour ce soir béni du 12 juillet : au Liberté à Rennes, aux anciennes halles à Saint-Brieuc, à la salle du Sterenn à Trégunc pour supporter Guivarc’h, l’enfant du pays… Alors la voix du foot breton sur ce qu’on appelait à l’époque Radio Bretagne Ouest (aujourd’hui France Bleu Breizh Izel), Georges Cadiou vit cette finale à Dublin. « J’y étais pour le départ du Tour de France. Avec un collègue, on s’était trouvé un bon pub avec une grande télé. C’était blindé d’Irlandais mais ils étaient tous pour les Bleus. On a vite été repéré, on s’est fait payer des coups. L’ambiance était extraordinaire ! » L’ancien footballeur Louis Bocquenet, lui, est au siège d’Eurosport, heureux et fier du travail accompli depuis un mois. Quelques semaines auparavant, le patron de la chaîne Charles Biétry l’avait convoqué pour lui proposer de commenter l’intégralité des matchs en langue bretonne. Une grande première. « J’avais relevé le défi en faisant appel à une bande de jeunes issus du lycée Diwan de Carhaix, dont Gurvan Musset, l’actuel patron de France Bleu Breizh Izel. Nous n’étions pas des pros mais nous avions accompli notre tâche avec sérieux, en se disant que ça pouvait être important pour la suite. » Malgré des audiences confidentielles (« très rares étaient les Bretons à avoir le câble à l’époque… »), Biétry et son copain des médias Patrick Le Lay s’appuieront sur l’expérience pour lancer deux ans plus tard la chaine TV Breizh. Au Stade de France le jour J, ils ne sont que 80 000 privilégiés à pouvoir dire « j’y étais ». Parmi eux Thibault Giresse, qui avait obtenu des places par 17


DOSSIER

« On était plutôt bien placé, juste derrière un des buts » l’intermédiaire de son papa Alain, ex-international, mais aussi le jeune rennais Fabien Le Méhauté. Vingt ans après, le garçon n’en revient toujours pas de la chance qu’il a eue. « J’avais 13 ans et je jouais au CPB Rennes, rembobine-t-il avec un plaisir certain. Avec les copains du foot, on avait été amené à participer à un jeu-concours organisé par le Crédit Agricole, un sponsor du tournoi. Fallait parier sur le score du match d’ouverture Brésil-Écosse. Tout le monde avait mis un carton en faveur du Brésil, sauf moi qui étais fan de Braveheart et qui voyait les Écossais les gêner. J’avais donc misé sur un 2-1 bien serré. » Un prono qui s’avère être le bon. Sur plus de 7 000 jeunes de 12 à 25 ans ayant participé, Fabien remporte le gros lot : deux billets pour la finale. Accompagné de son père, il prend place dans les tribunes habillé de son maillot floqué Thuram, acheté quelques jours avant. « On était plutôt bien placé, juste derrière un des buts. » Aux premières loges pour assister au doublé de Zidane et au coup de grâce de Petit dans les arrêts de jeu.

plus d’un million d’exemplaires sur laquelle s’affiche en titre de une le sentiment de 58 millions de Français : « Ils ont été géants ». Le lendemain, Fabien Le Méhauté est encore à Paris pour profiter de la descente des Champs Élysées par les nouveaux champions du monde. On dira de la foule qu’elle n’a jamais été aussi nombreuse depuis la libération de 1944. L’imaginaire de la France black-blanc-beur naît de ces images festives où tout le monde semble s’aimer. « On avait dormi dans un hôtel près de Montparnasse. Avant de reprendre le train pour Rennes on ne pouvait pas louper ça. C’était extraordinaire et en même temps presque dangereux : il faisait chaud, on était confiné, des gens s’évanouissant… »

Des propos confirmés par Stéphane Guivarc’h qui, juché avec ses 21 acolytes sur le toit d’un bus à impériale, avait une vue imprenable sur la folie ambiante : « On n’a pas pu aller jusqu’au bout des Champs tellement y avait de monde. On voyait régulièrement le Samu venir secourir des personnes dans les vapes, c’était très impressionnant. » Pris dans le tourbillon médiatique et populaire de ces moments, Guivarc’h aura droit à un dernier bain de foule chez lui à Trégunc le 24 juillet, invité par le maire de la commune, Jean-Claude Sacré. Ce dernier se rappelle : « On a eu 3 000 personnes à venir place du bourg, des gens du coin, des touristes… La séance d’autographe avait été interminable. Stéphane avait aussi eu droit à sa médaille de la ville. Ça avait été un merveilleux moment. » Comme tous ceux passés le temps de ce fol été 98. Régis Delanoë

Le délire est total, au stade et partout ailleurs dans l’Hexagone. « Place de la mairie, une foule tricolore improvise une gavotte sur des airs bretons. Plus haut, résonne La Marseillaise. Le cœur de la place Saint-Michel bat à l’unisson de la jeunesse et du ballon rond », écrira, lyrique, la rédaction rennaise d’Ouest France le lendemain. Une édition tirée à 18

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Photos : DR et mairie de Trégunc

« Des gens s’évanouissaient »


Stéphane Meunier, né à Pontivy dans le Morbihan, est l’auteur du documentaire culte Les Yeux dans les Bleus. Un film en immersion avec l’équipe de France durant l’épopée de 98. Une révolution dans la façon de filmer le foot à l’époque. Muscle ton jeu, Robert ! Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure ? Je collaborais pas mal avec Canal à l’époque et j’avais notamment eu l’opportunité de travailler sur les Jeux olympiques d’Atlanta en 1996. C’était la première fois que je filmais du sport. J’ai trouvé ça captivant d’être au cœur de l’événement. Deux ans plus tard, Canal m’a proposé de faire ce même travail d’immersion sur la Coupe du monde en France. J’étais hyper content mais mon “problème” c’était que je ne voulais pas manquer les rencontres. J’avais envie de vivre la compétition à 100 %. Être aux côtés des joueurs, que ce soit à l’entraînement ou durant les matchs sur le bord du terrain, était donc la solution.

Photos : DR

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« LE FILM SYMBOLISE UN ÉTÉ D’OPTIMISME »

parlé de cette idée à Charles Biétry (alors directeur des sports de Canal+, ndlr), quelqu’un d’innovant dans sa manière de penser le sport à la télé. Il était prêt à tenter ce pari et m’a donné les moyens de le faire. C’est lui qui m’a présenté à Aimé Jacquet.

ticipais aux footings, je ramenais les sacs de ballons à l’entraînement…

Votre passage préféré du film ? La victoire contre l’Italie (en quart de finale, aux tirs au but, ndlr). J’aime bien la séquence : Vincent Candela dit que l’Italien va la mettre au-dessus Quel rôle a eu Jacquet ? Il n’était pas et, quasiment dans la seconde, tout hyper fan des médias à l’époque… le monde se lève et court pour fêter Il était fermé aux critiques quoti- la qualif. Et puis ça a été un tournant diennes de certains journalistes, des pour les joueurs : à cette époque, gens qui pour lui ne comprenaient beaucoup jouaient en Italie, ce champas ce qu’il était en train de faire. Je pionnat dominait l’Europe. Le fait lui ai expliqué que je ne fonctionnais de les battre a ouvert des portes. Il pas comme un journaliste, que j’étais y a eu une bascule psychologique. là pour faire un travail d’immersion. Suivre les joueurs au quotidien et Il avait conscience de la dimension Comment expliquez-vous le succès les filmer au plus près, c’était plutôt de l’événement. Il voulait que les du film et le fait qu’on s’en souvienne nouveau… joueurs aient un souvenir de cette vie si bien vingt ans plus tard ? À l’époque, le foot c’était des retrans- ensemble et de cette chance d’avoir C’est une victoire qui marque missions de matchs et Téléfoot, mais pu jouer une Coupe du monde dans l’époque. Avec des joueurs devepas de documentaires. Je n’avais pas leur propre pays. nus emblématiques. En 1998, on de points de comparaison, ou alors vit aussi un été d’optimisme en avec d’autres sports comme pour le À quoi ressemblaient vos journées ? France. Le film symbolise cela. Le film The French sur Roland Garros Je faisais tout comme les joueurs. doc raconte comment l’histoire s’est ou When we were kings sur les cou- J’étais présent avec le premier au petit construite, montre les humains qu’il lisses du championnat du monde de déjeuner et avec le dernier au mas- y a derrière et fait revivre aux gens boxe. Ce principe d’être au plus près sage. Je dormais trois à quatre heures le mythe de la victoire. C’est pour des joueurs et de filmer leur quotidien par nuit. J’ai été intégré au groupe et ça qu’ils y ont adhéré. paraît aujourd’hui évident mais ça faisais partie de son fonctionnement : ne l’était pas il y a vingt ans. J’ai je mangeais avec les joueurs, je parRecueilli par Julien Marchand 19


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« DES SOUVENIRS EN MÉMOIRE POUR TOUTE Titulaire en finale face au Brésil le 12 juillet 1998, le Breton Stéphane Guivarc’h revient sur sa Coupe du monde. Un événement aux souvenirs mitigés. Il y a vingt ans, t’étais sacré champion du monde. C’est un truc dont tu rêvais étant petit ? Gamin oui, c’est le genre de rêve que tu fais. Mais pas plus que ça non plus car j’ai pas eu une carrière facile : j’ai commencé par une liquidation à Brest, une descente en National à Guingamp, une grosse blessure à Auxerre, un rebond risqué à Rennes… Rien ne m’a été donné. Quand j’arrive en sélection en octobre 97, ça fait deux saisons de suite que je suis le meilleur buteur du championnat de France mais je ne suis passé par aucune équipe de jeunes chez les Bleus. J’arrive au bon moment pour le bon événement.

treize mois plus tard. Je dispute 72 matchs, mon corps n’en pouvait plus. En prépa à Tignes, je me fais une contracture en marchant. En marchant ! Premier match contre l’Afrique du Sud, je fais un bon début mais sur un centre mon pied d’appui dérape et craaaac, distension des ligaments. À partir de là, ma contribution n’était plus la même.

Et tu es titulaire pour la grande finale face au Brésil... Personnellement, ça ne m’a pas souri. Je pense avoir pesé, ça a contribué à faire couler les Brésiliens qui n’ont pas respiré du match. J’ai quelques occasions... Et puis il y a ce duel que je perds face à Taffarel, je me précipite, pied gauche (silence). Je marque 47 buts cette saison-là, je les aurais tous donné pour marquer celui-ci. Heureusement sur le corner qui suit Zidane marque le but du 2-0, ça évite de trop gamberger.

C’était quoi alors ton rôle ? Je reviens contre le Danemark puis ensuite Jacquet me met titu en pointe mais pour une heure de jeu max. Le deal était clair, je pouvais pas La joie finit-elle par prendre le pas donner plus. J’avais mal tout le sur la frustration ? temps, je serrais les dents. Oui quand même. J’ai joué mon rôle comme j’ai pu. Je suis champion du Il y a d’ailleurs une séquence dans monde et on a rendu les gens heuLes Yeux dans les Bleus… reux. Ce match nous a transporté (Il coupe) Quand je suis en train de dans un tourbillon, avec la descente chialer à quatre pattes sur la table des Champs en apogée le lendemain. du kiné ? Oh la la la la… Je crois Y avait tellement de monde que c’en que j’ai jamais autant souffert de était dangereux. T’as pas trop le Comment t’abordes la compétition ? ma vie. Normalement une blessure temps de savourer sur le moment Cramé de chez cramé ! J’avais com- comme ça c’est fini, repos complet. mais c’est des souvenirs que tu gardes mencé la saison le 12 juin 97 par Mais là c’est la Coupe du monde, en mémoire pour toute une vie. un match d’Intertoto avec Auxerre pas question d’arrêter. Si c’était à et je la finis donc le 12 juillet 98, refaire, je le referais. Recueilli par R.D

« LES BEAUX-ARTS ET LE FOOT, ÇA FAIT DEUX... »

Nathalie Le Gall

Malgré la victoire finale, tout le monde a un peu zappé à quoi ressemblait l’affiche officielle de la Coupe du monde 98. Vingt ans plus tard, Nathalie Le Gall, originaire de Douarnenez, s’en souvient encore très bien : c’est elle qui l’a réalisée. « À l’époque, j’effectuais ma première 20

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année aux beaux-arts de Montpellier. Il y avait eu un appel à projets ouvert à tous les étudiants pour réaliser l’affiche de la compétition. Je n’y connaissais rien en foot, mais je me disais que j’avais mes chances, surtout que la plupart de mes camarades n’en avaient rien à faire.

Les beaux-arts et le foot, ça fait deux… » Pour trouver l’inspiration, Nathalie assiste alors à ses premiers matchs le dimanche sur les terrains amateurs. « C’est là que j’ai compris que le foot était avant tout une passion liée à l’enfance. Je suis donc partie sur cette idée de lignes irrégulières pour représenter


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UNE VIE »

le terrain, un peu dans l’esprit des gamins qui tracent des lignes dans le sable sur la plage l’été. » Une esthétique qui permettra à la Douarneniste de convaincre les membres du jury et de voir sa création désignée affiche officielle. « J’ai gagné 100 000 francs (15 000 euros, ndlr), ce qui était pas mal pour une étudiante, quelques invitations pour des matchs (mais pas la finale). Mais ça m’a surtout offert un réseau pro. Aujourd’hui, j’ai monté mon atelier où je donne des cours de sculpture. Bien loin du foot. » J.M 21


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3 RAISONS DE JOUER (ENFIN) AU SUBBUTEO Vous l’avez peut-être eu en cadeau étant enfant. Un tapis en tissu vert, des figurines montées sur un socle en demi-sphère et un mini-ballon en plastique : voilà ce qu’on découvrait en ouvrant la boîte de Subbuteo, ce jeu de football de table inventé à la fin des années 40. Malgré l’excitation des premiers matchs avec le daron, beaucoup d’entre vous s’en sont vite lassés, avant de le remiser au grenier. Et si c’était l’heure de le ressortir ? « Un jour, mes parents qui devaient me ramener des affaires m’ont demandé si je voulais récupérer mon Subbuteo. Ça faisait plus de vingt ans que je n’y avais pas joué, mais les sensations sont vite revenues », raconte Skander Farza, président du Celtic Combourg CFT, seul club de Subbuteo en Bretagne. Une nostalgie qu’a aussi connue Michel Le Samedy, 62 ans, fondateur d’un club à Nantes dans les années 80. « C’est une madeleine de Proust. J’avais 15 ans quand j’ai acheté ce jeu. Ça me rappelle les parties avec mon frère, les cahiers de championnat qu’on tenait méticuleusement à jour. »

JOUER (PRESQUE) AU FOOT Tous les joueurs rencontrés fin avril lors du Grand Prix de Combourg (une des étapes de la compétition nationale) l’assurent : le Subbuteo est le jeu qui se rapproche le plus du “vrai” football. « Il reprend quasiment toutes les règles du foot. C’est aussi la simulation la plus réaliste, à la différence du babyfoot notamment où les joueurs sont statiques et où même le gardien peut marquer de son propre camp, 22

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REDEVENIR UN GAMIN

ce qui est impossible en vrai », expose Thomas Ponté, président de la fédération française de “football de table sport”. Passe, tir, contreattaque, corner, arrêt du gardien : une palette d’actions à déployer juste avec un doigt. « Les pichenettes comme quand on joue aux billes sont interdites. Seul l’ongle doit frapper le joueur. Ça demande une certaine dextérité », avance Skander pour qui « le Subbuteo ressemble au billard pour la technique et aux échecs pour la tactique ». Après un premier match pour se mettre en jambes (victoire 1-0), le président du club de Combourg fera une démonstration lors de sa seconde confrontation : victoire 7-2, dont un superbe but dans le petit filet malgré une position excentrée. Trente minutes haletantes, à tourner autour de la table, sans jamais quitter le ballon des yeux. « Je ne dirais pas que c’est physique mais tu piétines pas mal et c’est fatigant nerveusement. Je sais que je vais finir rincé ce soir. »

DISPUTER LA COUPE DU MONDE Si une vingtaine de joueurs (venant de toute la France : Caen, Issyles-Moulineaux, Champs-surMarne…) s’étaient donné rendezvous à Combourg, le Subbuteo compte en tout une centaine de licenciés rattachés à la fédération nationale. De quoi entrevoir une sélection en équipe nationale pour les plus balaises ? « Du fait du petit nombre de licenciés, c’est une discipline où on peut très vite être en équipe de France », appâte Thomas Ponté. Si la prochaine Coupe du monde a lieu en septembre à Gilbratar, le Subbuteo compte déjà de “vrais” champions du monde parmi ses fans revendiqués : l’Italien Gianluigi Buffon et le Français Marcel Desailly notamment. « À l’époque où ce dernier jouait à Nantes, c’était le parrain de notre club, fait savoir Michel Le Samedy. Si je l’ai déjà affronté ? Oui bien sûr : je le battais à chaque fois. » J.M


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MAILLOTS : LE PRIX DE LA SUEUR

Sur Ebay ou Le Bon Coin, l’occurrence “maillot porté” a la cote. Elle concerne les maillots vêtus par les joueurs en compétition. Des reliques rares et donc précieuses que s’arrachent les collectionneurs, dont Pierre Henry-Dufeil. Malouin de 27 ans, ce journaliste écume ces sites afin de compléter sa collection de quelques 300 liquettes. Ses deux folies ? Deux maillots des Bleus pendant le Mondial 98. « Ceux de Desailly contre le Danemark et de Deschamps contre l’Italie », arrachés contre « des sommes à quatre chiffres ». En moyenne, un maillot porté en Coupe du monde vaut « entre 300 et 500 euros » d’après son estimation. Le kiff est onéreux. Est-il également risqué ? « Des faux, il en circule pas mal », prévient Daniel Le Bihan, autre passionné en charge de la collecte pour l’asso Muco29, qui finance ses dons en partie par ce biais. « On a un réseau solide de joueurs qui nous refilent des maillots, c’est le plus sûr. » Et pour le pékin lambda, comment ne pas se faire entuber ? « Faut avoir l’œil pour déceler les différences entre les maillots portés et ceux vendus en boutique : le patch de la compétition, un blason brodé et non collé, un pays de fabrication… Mais le gage le plus sûr c’est la saleté et la sueur. On a récupéré un maillot trempé de Neymar après un match à Rennes, il ne sentait pas la rose mais au moins on savait que c’était le sien. » R.D 23


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M. Maury

« LA BUVETTE DE STADE, UN LIEU RITUALISÉ » Guillaume Blot, photographe nantais, qui depuis 2015 fait le tour des stades pour son projet Buvettes.

saucisse qu’il considérait comme un passage obligé avant de rentrer dans le stade. C’est à Rennes que j’ai senti le côté le plus ritualisé des buvettes : ultras et simples spectateurs se reTu as déjà photographié une ving- trouvent autour du même produit, taine de stades. Comment a débuté ce qui participe à l’ambiance. ce tour de France footballisticogastronomique ? Photographier les vieilles baraques à Je suis davantage attiré par le côté frites est-il un acte militant ? culturel du foot que par son aspect Il y a pas mal de stades qui se sont sportif. Les supporters en font partie construits dernièrement : Parc OL, et la nourriture est une façon d’abor- Allianz Riviera, Matmut Arena… der le sujet. C’est un traitement du Ça s’est de plus en plus aseptisé. football qui me plaît. Cela permet Des guérites en dur ont vu le jour et de faire de belles photos de gens en des chaînes de restauration s’y sont train de se retrouver, de fraterniser, installées. On perd le côté folklo. de partager un repas. Il y a des scènes de vie intéressantes à choper. Y a-t-il un sandwich incontournable ? Si quelques stades essaient de mettre Pour toi, les buvettes participent à en avant des spécialités locales (la une sorte de rituel… socca à Nice, le diot à Évian…), il y a Je suis un habitué de la Beaujoire une grosse masse de kebabs, merguez à Nantes depuis que je suis petit. et frites que l’on retrouve partout. J’ai pu observer comment les gens Mon préféré ? L’américain : une se libèrent avant un match : ils se baguette avec dedans une saucisse retrouvent entre potes ou en famille, bien grillée, un mélange de ketchup ont le sentiment de faire partie d’une et de mayo, le tout recouvert de frites communauté… Tout cela fait qu’ils et entouré d’un sopalin. C’est pas se sentent bien et s’ouvrent davan- le meilleur ni le plus joli mais il fait tage. Mon oncle, qui est rennais, le taf. me parlait sans arrêt de la galetteRecueilli par J.M

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Photos : Guillaume Blot


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Gwendoline Blosse

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TECHNOLOGIE, OH OUI !

ET SI BREST DEVENAIT LA CAPITALE DE LA SEXTECH ? C’EST LE PROJET UN PEU FOU DE L’ENTREPRENEUSE CHRISTEL LE COQ QUI SOUHAITE LANCER UN ACCÉLÉRATEUR DE STARTUPS PRÊTES À RÉVOLUTIONNER NOS VIES SEXUELLES. rest : sa rue de Siam, son téléphérique, son accent ti-zef, ses albums de Christophe Miossec, ses fêtes maritimes, son stade Francis-Le-Blé… Et bientôt ses startups du sexe ? L’idée peut surprendre, elle est pourtant bien dans les tuyaux. D’ici la fin de l’année, un accélérateur de jeunes entreprises estampillées “SexTech” devrait voir le jour dans la cité finistérienne. La SexTech ? Ce secteur d’activités où les technologies du numérique bousculent le business de la sexualité en proposant de nouveaux produits et des usages réinventés. Derrière cet innovant projet, on retrouve Christel Le Coq. Fondatrice de la startup E-Sensory, cette entrepreneuse brestoise avait pas mal fait parler d’elle en 2014 avec la création de Little Bird, un sextoy connecté à une application de littérature érotique (le toy vibrait aux passages les plus chauds du roman). Une idée loin d’être bête qui, en 2016,

a emmené cette quadra jusqu’à la Mecque de la high-tech, le Consumer Electronics Show de Las Vegas, où elle a décroché un prix d’innovation. Malgré cette distinction et de nombreux échos dans les médias, E-Sensory a dû se résoudre à plier les gaules au début de l’année 2018. « L’entreprise a été placée en liquidation judiciaire. Les raisons sont multiples : des problèmes de production, de financement, de stratégie… J’assume certaines erreurs – comme le fait d’avoir voulu produire 100 % made in France – , mais je regrette d’avoir dû affronter des obstacles que je n’imaginais pas si nombreux, comme des banques qui refusent de nous suivre, des investisseurs qui nous plantent à cause de la nature du projet… Je pourrais écrire un bouquin si je voulais raconter tous les coups que j’ai reçus. » Un couac professionnel sur lequel Christel a donc décidé de rebondir en créant son accélérateur de startups SexTech, le seul en France avec celui

lancé par Dorcel l’an passé. « Avec E-Sensory, j’ai acquis une expérience que je souhaite désormais partager avec d’autres entrepreneurs. Je connais leurs difficultés, les choses à faire et ne pas faire, les pièges à éviter… L’idée est de pouvoir les accompagner et leur donner le maximum de clés pour réussir. » Un projet qui sera monté en partenariat avec The Corner, la nouvelle place forte des jeunes entreprises du numérique à Brest. Habitué à travailler sur des secteurs d’activités disons plus classiques, Julien Sévellec, co-fondateur de ce lieu, a tout de suite dit oui à l’idée de Christel. « Cela faisait plusieurs années qu’on observait son travail d’influence afin de prêcher la bonne parole de la SexTech. Et comme elle, on est persuadé qu’il y a plein de choses à imaginer dans ce domaine. C’est un marché fort dont il est l’heure de faire bouger les lignes. » Un secteur qui, de tout temps, a toujours su tirer profit des nouvelles 27


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technologies et contribuer à leur développement. La popularité du Minitel ? Merci les messageries érotiques. Le succès du format VHS face au Betamax ? Merci les cassettes porno. Les bons scores de Canal Plus ? Merci le film du samedi soir. Économie du plaisir et innovation : un couple souvent gagnant qui, avec la révolution numérique (objets connectés, réalité virtuelle, impression 3D, intelligence artificielle…), peut entrevoir de jolies perspectives et des marchés plus que juteux, à l’image de celui des sextoys dont on estime qu’il pèsera 50 milliards d’euros en 2020. « La sexualité – quelle que soit sa forme – est l’expérience la plus partagée sur Terre. Partant de ce constat, il y a forcément de nombreux projets et une multitude de produits à concevoir, assure Christel Le Coq. Mais attention : il faut que cela ait du sens. Si c’est pour inventer un énième Youporn, ça n’a pas d’intérêt. Nous

visons des projets qui touchent davantage à l’érotisme, à la prévention, à la santé, à la sexualité et au plaisir pour tous. Le porno ? Je ne suis pas une anti : si quelqu’un vient avec l’envie de défendre du X éthique et féministe à la Erika Lust, je dis OK. »

Sextoys dans les Ehpad Pour sa première promo, l’accélérateur espère accueillir une dizaine de startups. Parmi les projets déjà repérés par Christel, celui de Pierre (prénom modifié). À 53 ans, cet entrepreneur, actuellement éditeur de logiciels à Nantes, souhaite développer une gamme de sextoys à destination des personnes en situation de handicap et du 4e âge. Un public totalement ignoré à l’heure actuelle par l’industrie du jouet pour adultes (à l’exception de la société poitevine HandyLover qui a développé des “bancs de masturbation” adaptés aux personnes à mobilité réduite). « L’idée m’est venue

« La sexualité est l’expérience la plus partagée sur Terre » 28

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lorsque je suis tombé amoureux il y a quelques années d’une femme magnifique qui était en fauteuil, rembobine Pierre. Dès lors, je me suis beaucoup interrogé sur la question de la sexualité chez les personnes handicapées. Je voyais les manques en la matière et souhaitais trouver des solutions pour y pallier. » Car oui, les corps brisés ou vieillis ont aussi le droit au plaisir. « Beaucoup de gens découvrent cette réalité mais préfèrent se mettre la tête dans la sable, ce qui peut conduire à des situations dramatiques. On n’imagine pas à quel point c’est compliqué pour une famille de gérer les pulsions sexuelles d’un parent ou d’un enfant. Il suffit d’interroger le corps médical ou le personnel des Ehpad pour mieux s’en rendre compte. Mais cela demande du recul et tout le monde ne l’a pas. » S’il a déjà commencé à dessiner ses premiers modèles (« plus ergonomiques, pouvant être utilisés quelle que soit la position de la personne, avec des boutons de commande plus gros, facilement lavables… »), Pierre espère lancer le prototypage dans les semaines à venir et se fixe l’horizon 2019 pour les différentes phases d’études scientifiques, avant une possible commercialisation. Parmi les autres projets sourcés par l’accélérateur brestois : une entrepreneuse souhaitant développer des prothèses mammaires high-tech pour les femmes ayant subi une mastectomie « restituant un sein aux formes, poids et tailles identiques ». Et, plus frivole, la startup parisienne Lola Next Door où camgirls et utilisateurs peuvent désormais échanger via Snapchat. « Un nouveau style de divertissement pour adultes, entre le sexto et le show webcam », résume son jeune créateur Jean-Phillipe Hue, 24 ans.


« Si toutes ces entreprises sont sur des produits différents, elles partagent pour autant des problématiques communes : la difficulté de trouver des investisseurs, d’obtenir des prêts bancaires, de communiquer, de mobiliser une communauté…, fait savoir Christel. Avec l’accélérateur, notre objectif est de pouvoir anticiper ces problèmes et créer un écosystème qui soit favorable au développement des projets. » « Cela passe par des freins, notamment culturels, qu’il faut faire sauter, poursuit Julien de The Corner. Et si certains interlocuteurs et acteurs économiques refusent de s’engager, d’autres leviers devront alors être activés. » Une situation que s’attend à vivre Pierre avec ses sextoys. « Pour la réalisation des premières séries, il va falloir trouver des financements à hauteur de 1 ou 2 millions d’euros.

C’est là que ça peut coincer car ça reste tabou pour beaucoup de gens. Mais j’espère trouver d’autres relais et pourquoi pas des mécènes institutionnels comme la Fondation de France ou l’APF France Handicap qui sont naturellement sensibles à ce genre de sujet, indique l’entrepreneur qui – et c’est symptomatique – préfère rester anonyme avant le lancement officiel de son produit. Je n’ai malheureusement pas confiance dans l’ouverture d’esprit de mes contemporains. C’est encore trop tôt pour m’afficher et faire courir un risque sur mes autres entreprises. Un de mes actuels partenaires qui ne jugerait pas mon projet moral pourrait très bien décider de se retirer. » Une frilosité que regrette Frédéric Nicolas, porte-parole brestois de la French Tech, le label attribué aux villes “startups friendly”. « D’une

manière globale, il faut savoir que les fonds d’investissement refusent 95 % des projets qu’on leur soumet. Mais pour les entreprises de la SexTech, c’est encore plus compliqué et cela peut devenir le parcours du combattant. Des solutions existent malgré tout : je pense notamment au blockchain, un nouveau mode de financement anonyme. » Même état d’esprit de la part de Florent Vilbert, de la French Tech Rennes St Malo. S’il affirme que le territoire breton demeure relativement dépourvu en entrepreneurs du sexe 2.0, il reste persuadé du futur essor de ce secteur. « Pour preuve, la SexTech sera l’un des principaux thèmes de la “Digital Tech Conference” que nous organisons à Rennes en décembre prochain. » Julien Marchand

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« J’AI FAIT SAUTER VERSAILLES »

DANS LA NUIT DU 25 AU 26 JUIN 1978, UN ATTENTAT FRAPPAIT LE CHÂTEAU DE VERSAILLES. UN PLASTICAGE SIGNÉ DU FRONT DE LIBÉRATION DE LA BRETAGNE (FLB), ALORS EN GUERRE OUVERTE AVEC L’ÉTAT. RÉCIT DES FAITS 40 ANS APRÈS. ic-tac, tic-tac, tic-tac… BOOM !! Il est 2 h 05 le lundi 26 juin 1978 quand retentit une forte explosion au niveau de l’aile gauche du château de Versailles. Un gardien de nuit alerté appelle la police, qui tarde à venir sur place car elle est habituée aux fausses alertes. Un attentat vient pourtant bel et bien d’être commis dans l’ancienne demeure des rois de France. 30

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Le retentissement médiatique et politique est international, à une époque de résurgence de la violence en Europe de la part de groupements d’extrême-gauche (Brigades Rouges en Italie, bande à Baader en Allemagne, Action Directe en France), du grand banditisme (Mesrine est alors l’ennemi public numéro 1) et en raison de grandes tensions liées à des revendications territoriales, en Irlande et dans le Pays basque.

C’est à Rennes que, très vite, l’enquête s’accélère. L’agence AFP locale reçoit à 8 h ce même lundi un coup de fil anonyme prévenant qu’une lettre de revendication a été scotchée à un poste de secours de la rocade ouest, proche de la route de Lorient. « Cet attentat a été commis par des soldats de l’ARB (Armée révolutionnaire bretonne, ndlr), y est-il écrit. Le peuple breton est opprimé, la terre de Bretagne est occupée par

Laurent Maous / Gamma-Rapho

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des camps militaires français, la langue et la culture bretonnes sont niées et détruites par le pouvoir impérialiste français. (...) Vive la Bretagne libre.» L’acte signé, le patron de la SRPJ locale Roger Le Taillanter sait vers qui se tourner. Le lendemain, un coup de filet est opéré parmi les membres de l’ARB-FLB d’Ille-et-Vilaine. Sur les douze personnes interpelées, deux passent aux aveux. Leurs noms : Padrig Montauzier et Lionel Chenevière. Le premier est chauffeur-livreur, le second typographe au chômage. Ils ont 28 ans.

« Passer à la vitesse supérieure » « L’idée était de toucher un symbole de la France », raconte aujourd’hui Montauzier. À la fin des années 60, ce Rennais de la classe ouvrière se prend de passion pour la langue et la culture bretonne, à une époque où le Front de libération de la Bretagne commence à faire parler de lui par des actions de destruction matérielle. « Il y avait un mépris évident de la Bretagne à l’époque et j’ai vite été séduit par cette ligne politique prônant l’indépendance claire et nette », se souvient-il. Repéré pour sa témérité, il intègre le FLB et commence ses premières actions. « D’abord l’incendie de camions de lait à Bécherel en 1973. » Deux ans plus tard, un gros coup, déjà : le plasticage du relais TV de Pré-en-Pail, en Mayenne, le 22 octobre 1977, privant tout le nord-ouest de télé pendant plusieurs semaines. Casernes, centres des impôts, douanes, préfectures : tous les symboles de l’État sont alors visés. « Entre fin 77 et début 78, une cinquantaine d’actions sont revendiqués par le FLB, comptabilise Erwan Chartier, co-auteur avec Alain Cabon d’une enquête sur l’organisation indépendantiste bretonne. À l’époque pourtant, leurs membres ne sont pas si nombreux, une cinquantaine de personnes actives, pas plus. » 31


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« C’est à ce moment que le mouvement commence à s’étioler et à perdre ses soutiens extérieurs, confirme l’universitaire Vincent Porhel. C’est une époque charnière, avec une droitisation de cet indépendantisme breton qui va à l’encontre du courant de pensée populaire qui monte alors dans la région : le catholicisme social de gauche. » À l’écoute de cette frange modérée, le gouvernement de Giscard signe en octobre 1977 la Charte culturelle bretonne, acte reconnaissant à la langue bretonne des droits inédits, dont celui de pouvoir être enseigné. Dès lors, l’extrémisme du FLB se trouve marginalisé. Reste les plus radicaux de ses membres, clandestins plongés dans une fuite en avant sans réel espoir de happy end. Le 4 juin à Gouarec, à l’occasion d’une réunion du FLB, Montauzier propose une nouvelle action en visant Paris. « On voulait internationaliser (sic) le truc, fallait passer à la vitesse supérieure car

l’opinion publique finissait par se lasser de nos actions. » Malgré le scepticisme que soulève sa proposition, il quitte son domicile rennais le dimanche 25 juin au matin avec Lionel Chenevière, autre membre de la cellule d’Ille-et-Vilaine, dans la Citroën DS bleue de ce dernier, direction Versailles. Pourquoi cette cible ? « On a songé un temps à Beaubourg mais le château, c’était fort. Des milliers de Bretons sont morts pour sa construction. » En début d’après-midi, les deux larrons se mêlent à la foule des touristes et font leurs repérages. La

galerie des glaces ? Trop de monde. La galerie des batailles fera l’affaire. « On repère un placard à balais, personne alentour… On va pas s’emmerder, on met ça là. » Ça, ce sont trois bâtons de deux kilos de dynamite, volés dans une carrière de la région rennaise et dissimulés dans un étui à caméscope, reliés à un réveil-matin avec onze heures d’autonomie. « Y avait pas de fouille, c’était facile. On a déposé le machin et on a filé. » De retour chez lui, Montauzier passe la nuit l’oreille collée au transistor. La presse ne tarde pas

FRONT DE LIBÉRATION DE LA BRETAGNE : LES 5 DATES-CLÉS 26 SEPTEMBRE 1963 Le sigle FLB est tagué pour la première fois sur une route de campagne à Pontivy. Trois ans plus tard, l’organisation voit officiellement le jour à l’initiative de Yann Fouéré, nationaliste parti s’exiler en Irlande après avoir été jugé pour collaboration après-Guerre.

14 FÉVRIER 1974 Plusieurs bombes font exploser l’émetteur télé de Roc’h Trédudon, sur la 32

commune de PlounéourMénez. Le directeur du centre Pierre Péron meurt d’une crise cardiaque en découvrant l’ampleur des dégâts. Les Bretons sont privés de télévision pendant plusieurs semaines.

26 JUIN 1978 L’attentat de Versailles (lire article ci-dessus) intervient après plusieurs mois d’une escalade de méfaits revendiqués par le FLB. Une vague d’arrestations porte

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un coup très dur à l’organisation indépendantiste.

30 MAI 1979 Pour protester contre la répression menée par le commissaire divisionnaire de la SRPJ rennaise Roger Le Taillanter à l’encontre du FLB, sa maison secondaire de Plouézec est détruite. Une partie des accusés sera arrêtée et condamnée, une autre partira s’exiler en Irlande. Fin des attentats commis au nom du FLB.

19 AVRIL 2000 Une employée du McDo de Quévert est tuée par une bombe. L’enquête révèle que les explosifs utilisés ont été volés à Plévin par des membres de l’ETA proches des mouvements indépendantistes bretons. Quatre membres de l’ARB – Armée révolutionnaire bretonne qui a pris la suite du FLB – sont accusés d’en être les auteurs mais sont acquittés au procès et ont été définitivement blanchis en 2009.


à s’émouvoir. « Dans quels cerveaux désaxés peuvent bien germer de telles idées ? », s’interroge Ouest France. Le Télégramme est du même ton de consternation, avec en illustration une spectaculaire photo révélant les importants dégâts causés par l’explosion : tableaux en lambeaux (qui se révéleront être des copies), menuiseries arrachées, plâtre en miettes, des vitres soufflées sur un rayon de 80 m² et un trou au plafond de 10 mètres de diamètre. Un premier bilan fait état de 5 millions de francs de dommages, une estimation finalement revue à 3 millions. La condamnation sévère et sans réserve des faits sera la même lors du procès de trois jours qui a lieu en novembre de la même année.

« Une sorte de secte » L’avocat général, lors de son réquisitoire, traite ainsi les accusés de « faibles d’esprit », « imbéciles » et « marginaux sociaux », au diapason d’un avocat de l’accusation, Me Gallot, qui parle du FLB comme d’une « sorte de secte ». Montauzier et Chenevière ayant refusé d’assister au procès car réclamant en vain d’être jugés par une juridiction bretonne, c’est depuis leurs cellules de la prison de Fresnes qu’ils apprendront le verdict : quinze ans de réclusion criminelle. Par souci de réconciliation nationale, ils seront graciés moins de trois ans plus tard par le gouvernement du nouveau président français, François Mitterrand. Marqué par une très forte vague d’arrestations suite à l’attentat du château de Versailles, le FLB n’aura plus jamais le retentissement qu’il a eu alors. Padrig Montauzier continuera néanmoins son parcours militant : en 2000, il fondera Adsav, un mouvement nationaliste breton d’extrême-droite. Régis Delanoë 33


PAPIER

INSTALLÉE À GALWAY, LA RENNAISE MAËLLE NOIR SORT D’UNE ANNÉE DE MILITANTISME QUI S’EST CONCLUE, FIN MAI, PAR LE RÉFÉRENDUM SUR L’AVORTEMENT EN IRLANDE*. UN VOTE QUI LUI RAPPELLE QUE RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS POUR LE DROIT DES FEMMES. ’est un vote historique que vient de connaître la République d’Irlande*. Le 25 mai, un référendum a appelé femmes et hommes du pays à statuer sur le 8e amendement de la Constitution, qui reconnaît «le droit égal à la vie de la mère et de l’enfant à naître », interdisant de facto toute interruption volontaire de grossesse (IVG), sauf en cas de danger mortel pour la femme enceinte. 34

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Maintien ou abrogation : une question sensible dans une nation où l’Église catholique a toujours pesé sur le plan culturel, sociétal et politique, bien que son influence et son emprise continuent de faiblir inexorablement sur l’île. Cette campagne du référendum, la Rennaise Maëlle Noir l’a vécue en plein cœur. Étudiante en droit à Galway, où elle compte s’installer définitivement à l’issue de son année

universitaire, cette jeune femme de 21 ans fait partie des rares Françaises à avoir milité activement au sein du mouvement “Repeal the 8th” (abroger le 8e). Un combat qu’elle n’aurait jamais pensé avoir à mener.

UN MOT TABOU « Quand je suis arrivée à Galway il y a un an, je n’étais pas au courant de ce projet de référendum. Mais j’ai vite été mise dans le bain.


nous l’explique souvent. Il n’y a pas d’un côté les jeunes qui sont pour et, de l’autre, les anciens qui sont contre. C’est beaucoup plus nuancé. À l’université par exemple, j’ai pu échanger avec beaucoup d’étudiants qui trouvent l’avortement inconcevable. Les échanges que j’ai pu avoir avec eux m’ont le plus marquée. Venant d’un pays où cela est autorisé, j’avais l’impression d’essayer de les convaincre que le ciel est bleu. Malgré tout, je trouve que la société irlandaise s’ouvre dans son ensemble. En 2015, le mariage pour tous est passé comme une lettre à la poste, par référendum en plus (62 % de oui, ndlr). Leo Varadkar, le Premier ministre, est gay et l’asAu début, je me disais que c’était sume pleinement. On peut y voir impossible qu’il y ait encore un pays un progrès dans les mentalités. » dans l’Union européenne – autre que Malte – qui interdise l’avortement. MON REGARD DE FRANÇAISE Ça reste un mot tabou ici. Ce n’est « Dans mon parcours militant, c’est pas un sujet dont il est facile de parler. la première fois que je fais vraiment La religion fait partie de l’éducation partie d’une association. Débuter par et de la culture des Irlandais. Ça une campagne comme celle-ci n’est m’interpelait au début, mais c’est pas anodin. C’est triste de devoir un combat dans lequel j’ai tout de militer pour le droit à l’avortement suite eu envie de me lancer. » en 2018. En tant que Française, je ne me serais jamais imaginé lutter PAS UNE HISTOIRE DE GÉNÉRATIONS un jour pour cela. Dernièrement, je « Je milite au sein du groupe Galway me suis rendue compte que quand Pro-Choice dans lequel je me suis l’IVG a été autorisée en France ma pleinement investie. Sur la trentaine grand-mère avait le même âge que de membres actifs, nous sommes moi aujourd’hui. Cela m’a fait deux Françaises. Durant toute la prendre conscience de l’urgence de campagne, notre mission était avant la situation en Irlande. On estime tout d’informer la population. Cela que chaque jour en moyenne onze passait par beaucoup de porte-à- femmes se rendent en Angleterre porte. Tous les jours, nous étions pour pouvoir avorter. Et pour celles sur le terrain à quadriller chaque rue qui n’en ont pas les moyens, cela pour expliquer les enjeux du vote passe par des pilules douteuses aux habitants. J’ai pu me rendre achetées sur Internet ou le recours compte que ce n’était pas qu’une à des techniques ancestrales barbares. histoire de générations comme on En plus de cette injustice faite aux

femmes, une seconde injustice par l’argent s’opère. Tout le monde doit avoir un accès libre et sécurisé à l’avortement. »

UN DROIT À DÉFENDRE « Le droit à l’IVG, il faut le défendre partout : en Irlande, en Europe, dans le monde. Et aussi en France où, il faut le rappeler, il n’est pas inscrit dans la Constitution. Il serait facile de modifier la loi pour le limiter, comme certains pays ou États américains le font actuellement. On l’a vu en avril dernier lors de discussions au Sénat (suite à la proposition d’élus communistes visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française, ndlr) où des discours qu’on pensait obsolètes ont rejailli. C’est tout le temps qu’il faut rester vigilant. »

ÉGALITÉ PARFAITE « Ma définition du féminisme, ce n’est pas girl power. C’est juste une égalité parfaite entre les hommes et les femmes sur tous les plans : professionnel, social, culturel… Toutes les causes sont importantes et doivent être mises sur le même pied d’égalité. Mon année de militantisme m’a confortée dans cette idée du féminisme. Je vais continuer dans cette voie avec mes études de droit avant, un jour j’espère, travailler pour une ONG spécialisée dans les droits des femmes. » Julien Marchand Photo : Kelvin Gillmor * À l’heure où nous bouclions ce numéro, le vote n’avait pas encore été effectué. Résultat et réactions sur www.bikinimag.fr 35


DOSSIER

40 DEGRÉS À L’OMBRE

SI LES BIÈRES ARTISANALES ET LES VINS NATURELS SONT EN PLEINE BOURRE, QU’EN EST-IL DES « ALCOOLS FORTS » ? DES DISTILLATEURS AUX BOUILLEURS DE CRU, PLONGÉE DANS LE MONDE DES BOISSONS QUI ARRACHENT. KAMÉHAMÉHAAAA ! 36

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Bikini

h 15 : l’heure de la première gorgée. C’est fruité, sucré, parfumé… mais fort. À l’heure où certains sortent du frigo leur bouteille de jus multivitaminé, j’attaque mon verre de liqueur Bouchinot. Un breuvage plutôt tonique (il titre à 40°), mais qui se laisse gentiment apprivoiser malgré l’horaire matinal. Il est taquin, on s’y ferait vite. « Ça s’appelle liqueur, mais en fait ça rentre dans la catégorie des spiritueux. Et s’il est plutôt facile à boire, c’est grâce à sa sucrosité », présente Morgann Gauchet, son producteur. Cette boisson à la jolie couleur dorée est la liqueur la plus ancienne de Bretagne. Imaginée en 1835 par les distilleries Bouchinot à Rennes, sa recette a été rachetée en 1911 par Auguste Rivière, marchand de vin à SaintMéen-le-Grand, avant d’être reprise il y a une quinzaine d’années par la cidrerie biologique Le P’tit Fausset à Merdrignac, au sud-est des Côtes d’Armor. Si la liqueur a pu perdre en notoriété au fil du 20e siècle, elle continue malgré tout à se vendre chez les cavistes, épiceries spécialisées, ainsi que dans quelques supermarchés du centre-Bretagne. Pour atteindre aujourd’hui un volume de 1 500 bouteilles par an. Un score somme toute modeste mais qui permet de faire perdurer cette potion à la composition toujours secrète. 37


DOSSIER

« La liste des ingrédients est déposée chez un notaire. Je suis le seul à la connaître, fait savoir Morgann. Je peux seulement vous dire que c’est un mélange de quatre alcools différents, dans lequel on ajoute du caramel, des épices ainsi que des infusions de plantes et de fruits. » Y a de la pomme, non ? « Du tout. » Ah. Quarante kilomètres plus à l’ouest, sur la commune de Merléac, Marc Blanchard dispose quant à lui d’une recette bien plus simple. Pour produire son eau-de-vie, un seul ingrédient lui est nécessaire : du cidre. Installé pour la journée dans ce village du 22, ce bouilleur de cru a posé son alambic fumant à l’entrée du bourg. Une drôle de machine datant des années 70 et qui tourne encore parfaitement bien. Un feu de bois, deux grandes cuves, tout un tas de tuyaux pour, à l’arrivée, une démonstration XXL du principe de distillation (lire ci-dessous). Autour de Marc Blanchard, « 37 ans de métier, issu de la 3e génération », cultivateurs et propriétaires d’arbres fruitiers se succéderont toute la matinée pour faire distiller leur trop-plein

de cidre et repartir avec leurs bouteilles de « gnôle », « goutte » ou « lambig », c’est selon.

dans le bac à distillat. « La loi est stricte : chaque personne a le droit de repartir avec 1 000 degrés d’alcool, ce qui correspond à 20 litres à 50°. « 85°, c’était imbuvable » Je pourrais faire une gnôle plus forte Un liquide totalement transpa- mais – forcément – ça ferait moins rent dont le volume d’alcool est de litres. Sans la réduction à l’eau, contrôlé en permanence à la sortie on tournerait autour de 70° : il n’y de l’alambic par un alcoomètre. aurait que le goût de l’alcool et non « Tiens, ça titre à 56 là, on arrive celui du fruit. Ce qui n’aurait pas dans le Morbihan… », avertit un d’intérêt… Le degré maximum que client, avant que Marc rectifie le j’ai atteint un jour ? 85°, c’était totatir en ajoutant directement de l’eau lement imbuvable. »

« EN THÉORIE, ON PEUT DISTILLER TOUT TYPE DE LIQUIDE »

Ton cours du lycée sur la distillation te semble loin ? Remise à niveau avec Marc Blanchard, bouilleur de cru. 38

ÉTAPE 1

ÉTAPE 3

« Il faut faire bouillir le liquide à distiller dans une cuve. Moi c’est du cidre que je mets pour fabriquer de l’eau-de-vie. Mais en théorie, on peut distiller tout type de liquide. »

« La vapeur d’eau, plus lourde, est mise sur le côté, pendant que la vapeur d’alcool, plus légère, emprunte un tuyau qui la dirige vers une deuxième cuve. »

ÉTAPE 2

ÉTAPE 4

« Le but du jeu, c’est de séparer la vapeur d’alcool et la vapeur d’eau. Ce que provoque l’ébullition »

« Les tuyaux de cette seconde cuve sont plongés dans un réfrigérant, généralement un grand

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volume d’eau froide. Une température basse qui va permettre de recondenser les vapeurs. »

ÉTAPE 5 « Le distillat se forme alors et s’écoule dans le bac de récupération. Pour éviter les impuretés, on ne garde que le cœur de distillation. Pour ajuster le volume d’alcool, il suffit d’ajouter de l’eau. »


Bikini

Malgré sa gouaille et le bon moment offert ce matin-là (blagues, anecdotes locales et tournée de rosé non stop), Marc Blanchard sait qu’il fait partie d’une espèce en voie de disparition : « Dans les années 50, il y avait 350 bouilleurs de cru ambulants en Bretagne. Nous ne sommes plus que onze aujourd’hui. Si je suis nostalgique ? Oui forcément, car le monde de l’alambic est rempli de personnages extraordinaires. Je me souviens notamment d’un Normand qui, au cas où, avait installé sur sa voiture un système pour jeter des clous si jamais il était suivi par les flics quand il livrait des bouteilles non déclarées sur Paris. Quelque chose d’incroyable !, raconte le distillateur à qui il reste encore trois années à tirer. Après, je ferme la boutique. Aucun de mes enfants ne reprendra l’affaire. Ça ne vaut pas le coup… » Un constat qui n’étonne pas des masses Philippe Jugé, originaire de Redon et organisateur de France Quintessence, un salon spécialisé dans les spiritueux. « La gnôle à pépé qu’on sort du buffet à la fin du repas, c’est une tradition qui se perd. Les raisons sont simples : les consommateurs sont de plus en plus attachés à des marques. Ces dernières 39


DOSSIER

« Dans l’ensemble, les gens picolent moins mais mieux » ont façonné les palais modernes. Ce n’est pas que ces alcools de terroir sont mauvais, mais les gens veulent une permanence de goût et de qualité. Le tout avec un hygiénisme ambiant par-dessus… » Et d’ajouter : « Surtout que la Bretagne n’a jamais été une grande terre de spiritueux. Nous sommes une région cidricole avant tout. Alors oui, on a toujours distillé du cidre pour faire de l’eau-de-vie mais nous n’avons pas le passé d’autres régions. Cite moi un spiritueux typique produit ici ? Dur à trouver. Alors qu’en Normandie tu as le calvados, en Aquitaine le cognac, en Alsace le kirsch… »

« Brut de fût » Un tableau pas folichon qu’il convient de nuancer. Dans un marché français actuellement dominé par le whisky (« un spiritueux sur deux consommé dans le pays est un whisky. La boisson dominante a longtemps été la famille des anisés, avant que cela change il y a une quinzaine d’années », situe Philippe Jugé), la Bretagne tire pleinement son épingle du jeu en s’appuyant sur quelques distilleries de renom. En tête, la société Warenghem, basée à Lannion, forte de son statut de pionnière (c’est à elle qu’on doit le premier whisky intégralement fabriqué en France en 1983) et de poids lourd du marché (250 000 bouteilles par an, soit un tiers de la production totale française). Dans un registre plus haut de gamme, la distillerie Glann ar Mor installée à Pleubian, pas loin de l’île de Bréhat, compte aussi désormais parmi les 40

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acteurs importants. En 2016, elle a vu son “Kornog”, un single malt au caractère tourbé, être désigné whisky de l’année par Jim Murray dans son ouvrage de référence La Bible du whisky. « Avec Jean, mon mari et associé, nous nous sommes dès le départ positionnés sur le créneau de l’artisanat : une distillation lente, une chauffe à flamme nue pour plus d’arômes, des petits alambics pour un distillat de meilleure qualité, des fermenteurs en bois plutôt qu’en inox, une coloration 100 % naturelle, un vieillissement de trois ans minimum en bord de mer qui va venir apporter une note supplémentaire…, énumère Martine Donnay, la cofondatrice, dont les whiskies titrent à 46° (contre 40° généralement chez les autres marques). Nous avons aussi un embouteillage “brut de fût”. Il est à 59°, le degré naturel. Des bouteilles recherchées des connaisseurs. » On a testé : pwo-pwo-pwo, il rigole pas celui-là. Un travail d’orfèvre également défendu par Julien Fanny, 32 ans, fondateur de la distillerie Awen Nature à La Bouëxière, entre Rennes et Vitré. Il y a cinq ans, cet ancien forgeron s’est lancé dans la fabrication artisanale et biologique de gin, vodka et absinthe. Un alcool à l’image sulfureuse qui l’a fait connaître du grand public. « L’absinthe a été interdite en 1915, sous la pression du lobby viticole qui l’accusait de rendre fou – alors que c’était l’alcoolisme – avant d’être de nouveau autorisée en 2011, situe Julien qui a toujours été passionné par les plantes et leurs utilisations. J’ai

passé pas mal de temps à concevoir des recettes et des mélanges. Pour l’absinthe, je suis sur une base de plantes de grande absinthe, d’anis et de fenouil que je fais macérer dans de l’alcool de blé à 96°, avant de passer le tout à l’alambic. Le cœur de distillation se situe à 78°. J’opère ensuite une réduction en ajoutant de l’eau pour avoir une absinthe qui peut titrer entre 40 et 60°. Le volume d’alcool, ni trop important ni trop dilué, est un juste équilibre à trouver si on veut bien sentir le côté herbacé de la boisson. » Un spiritueux qui, comme le pastis, se consomme complété avec de l’eau. « La méthode traditionnelle recommande de la faire couler en goutte à goutte sur un sucre. Ça permet de contrebalancer l’amertume. » Malgré sa réhabilitation initiée par Julien, l’absinthe reste loin de sa popularité d’antan. « Elle souffre d’une image toujours compliquée : le degré d’alcool est fort et le mot


fait encore un peu peur, reconnaît le boss de France Quintessence pour qui cette relance de la production constitue une particularité française. Une de plus dans le monde des spiritueux. Sur de nombreux points, la France représente en effet un marché assez atypique. Nous sommes quasiment les seuls à boire des anisés ; la vodka se vend très peu alors que c’est le premier alcool dans de nombreux pays ; nous faisons du rhum agricole et non traditionnel… Dans l’ensemble, il faut aussi souligner que les gens picolent moins mais mieux. Ce qui est le signe d’un marché mature. » Un secteur dans lequel la Brasserie Lancelot, habituée aux bières et au soda, a également décidé de se lancer l’an passé en inaugurant sa propre distillerie. Si les premiers flacons de gin sont déjà sortis, le rhum (une première en BZH) devrait suivre d’ici un an et le whisky dans deux. Il ne restera alors plus qu’à leur faire une place dans le buffet chez pépé.

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Julien Marchand

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RDV

HUIT MEMBRES DE QUATRE NATIONALITÉS DIFFÉRENTES VIVANT EN COLOC-STUDIO À LONDRES, PRODUISANT UNE POP ADDICTIVE ET YOUPLABOOM : DITES BONJOUR À SUPERORGANISM, GROUPE DE HIPPIES 2.0 QUI BUZZE À FOND LES BALLONS. omething for your M.I.N.D et Everybody wants to be famous : en deux tubes lancés respectivement en septembre et janvier dernier, la jeune bande de Superorganism s’est placée directement en pole position des groupes du moment, dans la catégorie pop foutraque. Une musique Haribo très addictive qui donne une envie frénétique de plonger la main dans le paquet et de se barbouiller les doigts de sucre. Les deux tubes appliquent grosso merdo la même recette (quand elle est bonne, pourquoi s’embêter ?) : un beat ultra basique pour dode42

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liner de la caboche, des nappes de synthé, des petits effets sonores qui font “bong bong” et “pouet pouet”, une pointe de distorsion et la voix traînante et enfantine de la chanteuse Orono Noguchi, qui évoque un peu celle de Kimya Dawson des Moldy Peaches. Pour les influences, l’affaire évoque le psychédélisme bigarré des Flaming Lips ou de MGMT, de même que la joyeuseté de The Go! Team. Dépressifs, allez pleurez ailleurs. Une joie de vivre qui est inscrite dans l’ADN du groupe, les membres vivant actuellement dans une grande colocation – qui fait également

office de studio – à Homerton dans l’est de Londres. « On vient d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du Japon et de Grande-Bretagne et on a entre 18 et 32 ans, présente le guitariste Harry, l’un des plus âgés de la bande. À la base, quatre d’entre nous avaient un précédent groupe à Wellington. Lors d’une tournée au Japon on rencontre par hasard Orono, avec qui on sympathise. On a beaucoup échangé via Internet, Skype et autres, avant de se retrouver lorsqu’elle a fini son lycée en 2017. » Orono Noguchi, pierre angulaire de Superorganism : partie à 14 ans


Johnny Birkbeck

faire ses études aux États-Unis, seule, avant de finalement rejoindre ses copains musiciens à Londres et d’aménager tous ensemble dans une sorte de Factory 2.0. La comparaison fait sourire Harry : « Ah ah, notre appart est plus petit que celui de Warhol je pense ! » Passé de cinq à huit membres, le groupe a connu une ascension fulgurante en à peine un an : un premier tube retenu pour la bande-son de FIFA 18, un second qui approche les 3,5 millions de vues YouTube, un concert inaugural au Village Underground de Londres en octobre qui a créé l’émeute, un passage aux Trans Musicales de Rennes cet hiver pour sa première date française, un album éponyme en mars sorti chez Domino Records (Arctic Monkeys, Franz Ferdinand, The Kills…) et une esthétique qui se peaufine à chaque nouvelle vidéo, dans un esprit LOLcat, meme, gif, pixels et collages bien sentis. Les millennials tiennent peut-être là leur groupe totem. Régis Delanoë Le 19 août à La Route du Rock 43


RDV

LONGS, COURTS, RAIDES, BOUCLÉS, BLONDS, BRUNS, ROUX, NOMBREUX, TOMBÉS… L’EXPO « CHEVEUX CHÉRIS » S’INTÉRESSE À LA CHEVELURE SOUS TOUTES SES FORMES ET SYMBOLIQUES. ON EN CAUSE AVEC PIERRE NÉDÉLEC, CHARGÉ D’EXPOSITION. FRIVOLITÉ « Il y a une fonction de séduction inhérente à la coiffure. Toute une partie de l’exposition s’intéresse à cet aspect et retrace différentes sortes de mises en beauté du cheveu : chignons, boucles, mèches… Avec les cheveux, il y a toujours eu cette idée de bien se présenter à l’autre. Depuis l’Antiquité, hommes et femmes y accordent de l’importance. »

coupaient leur chevelure lorsqu’elles rentraient dans les ordres. »

VOILE ET COIFFE

Musée du quai Branly - Jacques Chirac, photos Claude Germain

« La religion a toujours eu un œil sur la tête des femmes. Dans l’expo, on fait ainsi un parallèle entre les différents voiles et les coiffes bretonnes. Le but était le même : couvrir les cheveux féminins pour ne pas attiser le regard des hommes. Il y a une citation notable de l’écrivain PierreJakez Hélias pour qui les mèches des PUISSANCE ENRACINÉE femmes étaient des “allumettes du « Au-delà de cette apparente légè- diable”. Tout au long du 20e siècle, reté, le cheveu se révèle un symbole les coiffes se sont – heureusement – de puissance. Parmi les exemples les rétrécies jusqu’à devenir un vêteplus forts, les Indiens Jivaros qui ment purement esthétique. » faisaient des têtes réduites de leurs ennemis. L’idée était clairement de POST-MORTEM s’octroyer la force de leurs anciens « Les cheveux étant un matériau rivaux. Ils rajoutaient aussi des imputrescible, il est aussi devenu mèches à leur parure et costume. un objet de souvenir. À la fin du Presque comme un pouvoir ma- 19e siècle, il était courant de prégique. » lever des mèches sur une personne défunte pour réaliser des tableaux PERTE ET CALVITIE de cheveux pouvant représenter une « On se rend compte de l’impor- fleur ou un bouquet. Avec le dévetance des cheveux lorsqu’on les loppement de la photographie, c’est perd. Cela peut être une perte subie, une coutume qui s’est perdue. » J.M comme avec la maladie, la vieillesse ou la tonte ; ou acceptée, comme À partir du 15 juin dans le passé avec les jeunes filles qui à l’abbaye de Daoulas 44

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Dan Ramaen

CLASSE MANNEQUIN

NÉ À CARDIFF, LE GROUPE MNNQNS S’ÉPANOUIT CHEZ LUI À ROUEN, BASTION HISTORIQUE DU ROCK. Courant 2013, le Rouennais Adrian D’Epinay se retrouve à Cardiff à l’occasion d’un échange universitaire. « J’ai pas de grands souvenirs des cours, mais plutôt des concerts. La scène rock là-bas a été une énorme source de motivation. Je savais ce que je voulais faire. » En l’occurrence, fonder son propre groupe, qu’il baptise MNNQNS (à prononcer “Mannequins”). De retour en Normandie, il tâtonne néanmoins longtemps avant de trouver les bons partenaires, jusqu’à finalement stabiliser le line-up il y a un an. Marc à la guitare, Félix à la basse, Grégoire à la batterie et Adrian au chant ont le style de leur musique : cheveux longs, polos Fred Perry et une morgue toute britannique pour envoyer crânement un son nerveux balançant entre punk et post-rock. « Rouen, c’est presque l’Angleterre. Il fait moche tout le temps, alors on se réfugie dans les pubs et les garages pour jouer hyper vénère. » Jadis, la ville a accouché des Dogs et des Olivensteins mais Adrian préfère lâcher l’encombrant héritage et regarder vers l’avenir, à commencer par celui de son groupe : « Une grosse tournée débutée via le tremplin Ricard Live et qui se terminera par Rock en Seine, pour défendre notre deuxième EP paru chez FatCat (label de Breton, ndlr). » Le 3 août au Pont du Rock à Malestroit 45


RDV

ÇA VA BARDER « Yannis le bègue est un personnage imaginaire, barde médiéval électronique, femme machine, laboureur de sons. » Ainsi se présente l’une des nouvelles pousses de la scène rennaise, Isabelle Nguyen de son vrai nom, qui a trouvé dans cet anagramme énigmatique « une manière d’assouvir (sa) volonté de développer un projet musical solo ». Originaire de Montreuil, la jeune femme de 23 ans a connu une formation classique (« conservatoire et études de musicologie, mais je ne me voyais pas concertiste »), avant de prendre les chemins de traverse. En

autodidacte, elle apprend la musique assistée par ordinateur et sort en octobre 2016 un premier EP fait maison qui révèle une musique complexe et envoûtante. « Ma démarche est clairement expérimentale mais également pop. Les deux ne sont pas antinomiques. J’ai une approche assez complexe de la composition qui touche à la psycho, à la philo, aux sensations et aux émotions… » Samples soignés, textures entêtantes, étranges bruits synthétiques et paroles énigmatiques (« dans le ciel noir et profond, qui donc allume, qui donne vie aux équations innées ? »,

Yohann Caradec

ATTENTION, VOICI YANNIS LE BÈGUE : NOUVELLE VENUE SUR LA SCÈNE MUSICALE RENNAISE, TENDANCE POP EXPÉRIMENTALE ET PAROLES BIEN ÉNIGMATIQUES.

extrait du morceau Lumière) : l’intrigant objet artistique qu’est Yannis Le Bègue (actuellement accompagnée par le dispositif Horizon piloté par l’Antipode), devrait en dévoiler un peu plus prochainement avec la parution d’un second EP d’ici la fin de l’année. Le 10 juin au Thabor à Rennes

MOORE : MORE MORE MORE !

L’exposition estivale du Fonds Hélène et Édouard Leclerc est consacrée cette année au sculpteur britannique Henry Moore (disparu en 1986). S’il jouit d’une notoriété internationale, l’artiste reste plutôt méconnu en France. Pour découvrir son travail, ce sont plus de 80 dessins (ses Shelter drawings réalisés pendant la Seconde Guerre mondiale) et une centaine de sculptures (notamment les pièces Locking Piece et Reclining Figure) qui seront présentés. Des œuvres aux formes organiques, essentiellement concentrées sur les silhouettes humaines. Du 10 juin au 4 novembre à Landerneau 46

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VTS

STUDIO KERWAX C’EST À LOGUIVY-PLOUGRAS, ENTRE GUINGAMP ET MORLAIX, QUE SE TROUVE LE SEUL STUDIO ENTIÈREMENT ANALOGIQUE DE FRANCE. ICI PAS D’ORDI, QUE DU MATOS OLD SCHOOL ET DES VIEUX BITONIAUX. UN LIEU #MUSIC PORN QUI FÊTE SES 5 ANS. MAGNÉTO, SERGE !

UN ANCIEN PENSIONNAT La bâtisse impressionne. Massive, haute, cathédrale de granit et d’ardoises. Au sortir du bourg de LoguivyPlougras, le studio Kerwax a été aménagé en 2012 en lieu et place d’une ancienne école. « Un pensionnat pour garçons qui a accueilli jusqu’à cent élèves avant-Guerre », précise Marie Chavanon, nouvelle occupante des lieux avec son mari Christophe.

AMOUR DU VIEUX MATOS Lorsqu’ils arrivent en Bretagne (région dont Marie est originaire), les Chavanon ne créent pas exactement leur studio analogique mais le déplacent. « On en avait déjà un à Lyon, mais on finissait par se sentir un peu à l’étroit là-bas. » Par opposition, le côté rural de Kerwax n’aurait, assurent-ils, que des avantages : « Ici les musiciens peuvent se concentrer sur leur musique dans un lieu apaisé… » Christophe est devenu ingé son par amour du beau matos qui sonne bien. « Lors du pas-

sage de l’analogique au numérique, plein de studios se sont débarrassés sans vergogne de leurs équipements, déplore l’homme de 45 ans. Heureusement j’ai pu en sauver quelques-uns pour leur donner une seconde vie. »

DES PIÈCES DE MUSÉE Bienvenue dans un monde où l’obsolescence n’existe pas. Comme avec les vieilles voitures, les pièces de musée installées au studio Kerwax sont réparables à l’infini ou presque, via une paire de tournevis, quelques soudures et une âme de bricoleur. Dans ce temple de la musique vintage, tout est antérieur aux années 80, avec quelques pièces prestigieuses. La plus belle ? « Une table de mixage Poly48

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gram de 74 de près d’une tonne, en provenance du mythique studio des Dames à Paris. Elle a servi à Gainsbourg, Claude François, les Who ou plus récemment IAM. » Autres objets rares : une antique console RCA de 1940 identique à celle du studio Sun de Memphis (Presley, Cash, Jerry Lee Lewis…), ou encore un magnéto Studer C37 à lampes tel que celui dont se servaient les Beatles à Abbey Road.


SEULEMENT DEUX EN EUROPE

« L’analogique, c’est une expérience. Un kiff de musicien. Il ne faut pas l’opposer au numérique, c’est juste différent, comme l’est l’argentique en photo. Il permet de restituer un son fabuleux mais aussi de garder des imperfections qui donnent à des morceaux toute leur chair, leur vie. » Dans son studio, Christophe a vu passer une bonne partie de la scène musicale actuelle, qu’elle soit nationale (Thomas Fersen, Rover, Lou Doillon, Grand Blanc ou encore Radio Elvis pour des sessions Arte…), régionale (Madcaps, Rosaire, Thomas Howard Memorial, Craftmen Club, Stonebirds…). Et internationale ? Pas de très gros noms encore mais Kerwax commence à placer Loguivy-Plougras sur la mappemonde du musicporn. « À notre connaissance il n’existe que deux studios de ce type actuellement en Europe : le nôtre et le Candy Bomber à Berlin. »

JACK WHITE LIKES THIS Passé maître dans l’art de manipuler du vieux matos, Christophe Chavanon s’est aussi récemment lancé dans la fabrication, avec un premier équipement commercialisé : la Kerwax Replica, une réplique de deux tranches de la console à lampe utilisée en studio. Conçue pour les musiciens comme pour les home-studistes, elle permet de travailler sur la distorsion et d’épaissir le son. Consécration : elle est présente dans le studio Third Man Records de Jack White. « Avec Neil Young, ce sont actuellement les deux grands porte-paroles de l’analogique dans le monde. C’est un grand honneur. » R.D 49


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AGENDA

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Rankin

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Gabriel Wickbold

RECOMMANDE

FATBOY SLIM

MOTOCULTOR

LIAM GALLAGHER

NOEL GALLAGHER

Il y a 20 ans, sortait You’ve Come a Long Way, Baby, l’album culte de Fatboy Slim. Pour fêter ça, le DJ anglais s’offre une tournée européenne qui s’arrête notamment cet été à Carhaix (seule date française). Right Here Right Now, The Rockafeller Skank ou encore Praise You en live : youhou !

Parce que le Hellfest commence vraiment à saturer et à coûter un bras, son petit frère breton le Motocultor finit par s’imposer comme une alternative valable. D’autant plus cette année, avec une prog’ pas piquée des hannetons : Behemoth, Ministry, Sepultura (photo), Nashville Pussy, Punish Yourself… Ça crache.

Depuis la dissolution avec fracas d’Oasis en 2009, le cadet des Gallagher mène une fabuleuse carrière solo, surpassant évidemment celle de son abruti de frangin Noel. Un timbre de voix toujours nickel, une arrogance intacte, un penché de micro inégalable et un port de parka absolument parfait. Votez Liam !

Depuis la dissolution avec fracas d’Oasis en 2009, l’aîné des Gallagher mène une merveilleuse carrière solo avec ses High Flying Birds, surpassant évidemment celle de Liam son frangin débile. Un sens de la mélodie à nul autre pareil, une classe so british et des punchlines géniales. Votez Noel !

Aux Vieilles Charrues à Carhaix Le 20 juillet

Au Roi Arthur à Bréal-sous-Montfort Le 26 août

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Jean Housen

Bernard Benant

À Saint-Nolff Du 17 au 19 août

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Aux Vieilles Charrues à Carhaix Le 22 juillet

LE JARDIN MODERNE

KEN BOOTHE

LE TOUR DE FRANCE

LA ROUTE DU ROCK

Institution rennaise pour tous les musiciens, le Jardin Moderne souffle cette année ses vingt bougies. L’occaz d’une petite chouille où se succéderont les valeurs sûres de la scène régionale : Totorro, The Decline !, Born Idiot, Mnemotechnic, Yes Basketball (photo)….

Considéré comme l’un des pères fondateurs de la musique jamaïcaine moderne, Ken Boothe tient toujours son rôle d’ambassadeur du reggae. Chanteur à la voix d’or, celui qu’on surnomme Monsieur Rocksteady fera une halte cet été à Crozon pour une date unique en BZH.

Wéééé, le Tour s’offre un gros détour cet été en Bretagne : une arrivée à Sarzeau, un départ de Fougères et deux étapes propices aux baroudeurs (« Woh l’attaque de Warren Barguil ! »). Sortez les glacières, on arrive pour pécho du bob Cochonou.

Le festival malouin s’offre une prog’ best-of pour 2018 : psyché avec Black Angels et BJM (photo), vénère avec Protomartyr et Shame, soul avec Jungle, classic rock avec Patti Smith et Lemon Twigs, etc. Détour par le fort Saint-Père obligatoire encore cette année.

Au Jardin Moderne à Rennes Les 15 et 16 juin

50

Au Festival du Bout du Monde Le 4 août

juin-juillet-août 2018 #37

Sur le bord des routes Du 10 au 13 juillet

À Saint-Malo Du 16 au 19 août




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