BIKINI SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2016 #29



TEASING

À découvrir dans ce numéro... « LA BEAUTÉ NOUS SAUVE DE L’IRONIE »

MINITEL

TRANSSIBÉRIEN

JOURNALOPE

MATMATAH

« BOUC ÉGORGÉ ET FEU DE JOIE »

MON T PARNASSE

ZELDA AN T I S OCIAL

TORNADES

NABILLA

« C ’ E S T B L I N D É , Ç A P U E , Ç A C H A N T E  »


ÉDITO

TÉLÉPHÉRIQUE Brest s’apprête à inaugurer un nouveau moyen de transport qui – il faut bien l’avouer – avait tout d’une blague sur le papier. Sans montagne ni piste de ski, c’est pourtant bien un téléphérique urbain que la ville mettra – sauf retard – en service dès novembre. Reliant les deux rives de la Penfeld, cette capsule permettra de rejoindre le perché quartier des Capucins depuis le bas de la rue de Siam. Le tout en trois minutes chrono avec, en prime, une vue inédite sur le pont de Recouvrance (mention spéciale au hublot installé à nos pieds). Plutôt coolos et, surtout, une première en France. Car la Bretagne apparaît en effet plutôt funky quand elle imagine ses futurs modes de transport en commun. Si Rennes avait déjà innové en 2002 en devenant la plus petite ville au monde dotée d’un métro (jusqu’en 2008 et l’inauguration du métro de Lausanne), Saint-Brieuc avait également un temps réfléchi à l’installation d’un téléphérique entre le centre-ville et le port du Légué. De quoi alors imaginer les transports de demain, même les plus chtarbés ? Installer des tyroliennes ou des toboggans entre les immeubles, réhabiliter le petit train à vapeur des Côtes-du-Nord (ouais il date un peu le tortillard), mettre à dispo des pédalo sur la Vilaine ou sur l’Odet, importer de Suède les bus qui roulent au méthane produit à partir de déjections animales (avec les 8 millions de cochons que compte la Bretagne, y aurait moyen de bien rouler)… Surréaliste ? Peut-être, mais pas plus qu’un téléphérique à Brest.

SOMMAIRE

La rédaction

6 à 11 WTF : groupes de rock des années 80, c’est quoi le « beau », reformations, bière 100 % bretonne, concert en appart’... 12 à 21 « J’étais au Bataclan » 22 à 27 J’ai écrit un roman 28 à 33 Chasseurs d’orages 34 à 41 Paris-Brest : en un éclair 42 à 47 RDV : La Souterraine, Blanche Gardin, Ulrika Spacek, Video Games Live, Le Projet apocalyptique 48 & 49 Les inventeurs bretons 50 BIKINI recommande 4

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Directeur de la publication : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet, Jean-Marc Le Droff / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Couverture : Blase, Party Time, 2016, huile sur toile, blasepheme.fr / Consultant : Amar Nafa / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos lieux de diffusion, la CCI de Rennes, Michel Haloux, Mickaël Le Cadre, Émilie Le Gall. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - Espace Performance Bât C1-C2, 35769 Saint-Grégoire / Téléphone : 02 99 23 74 46 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2016.



WTF

QUEL GROUPE DE ROCK DES ANNÉES 80 ALLER VOIR ?

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SANS CULOTTE

NOSTALGIQUE DES BALADEURS, DE FRANÇOIS MITTERRAND, DU BANDANA, D’EDDIE MURPHY, DE LA R5 ET DE LA MASTER SYSTEM ? UN BON VIEUX CONCERT DE ROCK DES EIGHTIES DEVRAIT TE FAIRE LE PLUS GRAND BIEN.

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Ça ira (1) Fin de Louis, c’est le nom du nouveau spectacle de Joël Pommerat, récompensé par quatre Molières lors de la dernière cérémonie. Le pitch ? La naissance de la démocratie en France dans le contexte révolutionnaire, depuis la crise financière de 1787 jusqu’au printemps 1791. Un cours d’histoire passionnant de 4h30. Du 16 au 26 novembre au TNB à Rennes.

LUDWIG VON 88

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BRUIT SVP

Pas de silence pour les braves. La deuxième soirée Condominium invite deux spécialistes du vrillage d’oreilles : les Australiens de Civil Civic (photo), avec leur synth-punk, et les Tourangeaux de Pneu, dans un style bien noise. Le 24 novembre au 1988 Live Club à Rennes.

JEAN-LOUIS AUBAR

troquets

Si tu aimes les concerts et la chaleur des bars rennais, tu as certainement fait des Bars en Trans ton pèlerinage annuel. Pour cette édition 2016, une dizaine d’établissements sont investis et accueilleront The Valderamas, The 1969 Club ou encore Harry Howard. Du 1er au 3 décembre. 6

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Le nom de groupe sulfureux, c’est seulement pour la provoc. Ludwig Von 88 (photo) appartenait bien à la scène antifa de rock alternatif à la fin des années 80, dans un style zinzin plein d’autodérision. Les adeptes du calembour et de la gentille moquerie ont signé un retour inespéré en 2016 avec une date événement au Hellfest en juin dernier et une tournée hivernale dans toute la France, qui passe forcément par la Bretagne. Banzaï ! L’accessoire ? Le badge des Bérus au col du blouson Quand et où ? Le 16 décembre à La Carène à Brest, le 17 à L’Étage à Rennes

THE METEORS

TRUST

Le heavy metal tricolore, c’est Trust évidemment. Le groupe de Bernie Bonvoisin est l’auteur de l’hymne de hard Antisocial, sorti en 1980 et indispensable aux fins de soirées un peu viriles. « Antisocial tu perds ton sang-froid, repense à toutes ces années de services. Antisocial, bientôt les années de sévices, enfin le temps perdu qu’on ne rattrape plus, qu’on ne rattrape pluuuuus ! » Un refrain qui redonnerait envie à Emmanuel Macron d’être de gauche. L’accessoire ? Le poing américain Quand et où ? Le 9 décembre à Landerneau

Depuis ses débuts en 1981, le plus légendaire des groupes de psychobilly n’a jamais vraiment arrêté de défendre la cause du punk à contrebasse, de la coiffure tremplin et des tatouages multicolores. Les Londoniens aux 23 albums studios et aux milliers de concerts sont des p… de légendes. Comme le disent leurs fans, « Only The Meteors are pure psychobillys ». L’accessoire ? Le pot de gel Vivelle Dop fixation béton Quand et où ? Le 16 décembre au Mondo Bizarro à Rennes



WTF

MAIS BORDEL, C’EST QUOI LE « BEAU » ? POURQUOI SOMMES-NOUS SENSIBLES AUX ŒUVRES D’ART ? ON A POSÉ CETTE QUESTION QUI TUE À UN PHILOSOPHE ET AU COMMISSAIRE DE LA BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN DE RENNES. THÈSE, ANTITHÈSE, SYNTHÈSE. UN SENTIMENT NON QUANTIFIABLE

UN ANTIDOTE À L’IRONIE

G. Hanson

Apprécier le beau est un exploit, à l’heure du second degré permanent, estime Charles Pépin : « Oser s’émerveiller du beau sauve d’une vie étriquée où l’ironie est une sorte Piron. On a trop facilement ten- de carcan. Contempler la beauté, dance à confondre beau et joli, qui c’est être présent au monde. » Un n’est que le vernis du beau. » Face à point commun qui peut unir deux l’art contemporain, il y a une trop personnes aux goûts radicalement forte tendance à l’intellectualisation, différents. selon Charles Pépin : « Posséder le Incorporated ! : NE PAS INTELLECTUALISER bagage culturel pour comprendre biennale d’art contemporain de Rennes L’art contemporain est-il un art une œuvre, c’est intéressant mais pas jusqu’au 11 décembre “beau” ou est-il plus complexe ? essentiel. Il faut se laisser aller au Quand la beauté nous sauve : « Il ne l’est pas plus ou moins que les plaisir esthétique avant tout. » Tu conférence de Charles Pépin au théâtre autres formes d’art, répond François aimes : kiffe. T’aimes pas : tant pis. de Cornouaille à Quimper le 15 décembre « La beauté est une promesse de bonheur qui a rapport à la grâce », avance François Piron, commissaire de la biennale d’art contemporain à Rennes (photo). Pour le philosophe Charles Pépin, « c’est un sentiment à ranger dans le registre de l’émotion. La vraie expérience, c’est quand on ose s’écouter pour transgresser les fameux canons de beauté. »

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C’EST PAS LA TAILLE QUI COMPTE

C’est le rendez-vous incontournable pour tous les fadas de courts métrages. Pour sa 31e édition, le Festival européen du film court de Brest offre un joli condensé de ce qui se fait de mieux en la matière. Mention spéciale aux projections “Made in Breizh”, best of des courts tournés dans la région. On vous conseille notamment Kerloster (photo), tourné du côté de Morlaix, racontant le parcours d’un ado orphelin dans un village perdu. Du 8 au 13 novembre au Quartz à Brest.

MOINS RELOU QUE LA FAC En attendant les concerts du samedi soir, Les Indisciplinées proposent une conférence sur le Velvet Underground, animée par le spécialiste de l’exercice Christophe Brault. Pour être incollable sur Lou Reed et sa bande. Le 12 novembre à la médiathèque François Mitterrand à Lorient. 8

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Bikini

CONCERT EN APPART : OLD ?

LA QUÊTE DE LIEUX ATYPIQUES DE CERTAINS FESTIVALS NE S’ARRÊTE. PLUS AU SALON D’UN APPARTEMENT. Initiés en France par le collectif La Blogothèque, les concerts en appart ont fini par essaimer. Au point de lasser ? « Pas du tout, constate Ced Bouchu du festival I’m From Rennes, qui en programmait quatre lors de sa dernière édition. On en aurait organisé quinze qu’on aurait fait complet à chaque fois. De un car ça continue de plaire. De deux car la jauge est petite, donc facile à remplir. » Comme ce soir de début d’automne où une demeure accueille la chanteuse Léa Bulle Karlson. « On n’y gagne pas d’argent mais on continue car ça plaît aussi bien aux artistes et au public qui apprécie le côté intimiste. » La quête de l’originalité nécessite néanmoins de diversifier l’offre. I’m From Rennes l’a bien compris en testant d’autres lieux, comme cette année un skate park. Aux Bars en Trans, la piscine SaintGeorges est depuis longtemps utilisée (« parfait pour toucher un public familial et diurne », d’après le programmateur Philippe Le Breton) et d’autres pistes sont étudiées, comme un salon de coiffure. « On doit rendre chaque concert exceptionnel et le lieu peut contribuer à cette démarche. » Dernière nouveauté ? Les Lamballais du festival Capsule vont investir le haras national de la ville pour une soirée électro en décembre, avec Tepr notamment. Avec Club Cheval, ça aurait été encore plus rigolo. 9


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NOT DEAD

PEUT-ON BOIRE UNE BIÈRE 100 % BRETONNE ? LES BRASSERIES ET MICRO-BRASSERIES N’ONT JAMAIS AUTANT FLEURI DANS LA RÉGION. SI LES BIÈRES SONT PRODUITES LOCALEMENT, LES MATIÈRES PREMIÈRES SONT LE PLUS SOUVENT IMPORTÉES. MAIS LES CHOSES CHANGENT.

L’accessoire indispensable de la prochaine soirée Mass Prod ? Un briquet, pour décapsuler les bocks et pour allumer les bougies du gâteau des 20 ans du label punk rennais. Six groupes vont se succéder sur scène, dont Aggressive Agricultor, 8°6 Crew et Disruptive Element. Le 12 novembre à L’Antipode.

Légende vivante au Mali, Toumani Diabaté, maître de la kora, s’est allié à son fils Sidiki pour revisiter le répertoire traditionnel mandingue. Une collaboration familiale et musicale récompensée d’un Grammy Awards l’an passé. Le 25 novembre au Théâtre de Cornouaille à Quimper.

SANS JETLAG

passeport Pour passer l’hiver au chaud, les Brestois ont NoBorder. Le festival des “musiques populaires et du monde” tient sa 6e édition avec une palanquée d’invités venus du monde entier : de Syrie, du Brésil, de Trinidad, de Mongolie, de Centrafrique… Du 8 au 11 décembre au Quartz et au Vauban à Brest. 10

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GRAMMY AWARDS Des brasseries, la Bretagne n’en manque pas. En tout, on en compte 59. Mais combien d’entre elles n’utilisent que des matières premières locales ? Très peu au final. La raison : les cultures de houblon et d’orge dans la région sont à un niveau trop faible. Il y a bien une production d’orge, mais celle-ci est plutôt destinée à la nutrition animale. De la bière potentielle donnée aux cochons ? Damn ! Et puis il faut malter l’orge : « Il n’y a qu’une ou deux malteries en Bretagne qui fonctionnent déjà en flux tendu. C’est donc très difficile de se fournir localement », regrette Clément Auvitu, le créateur de la micro-brasserie rennaise RZN. Cette dernière se fournit du coup dans les autres régions françaises, en Belgique et « en Angleterre pour le houblon afin d’avoir une variété particulière ». Quid des “gros” brasseurs régionaux ? Avec leur volume de production, c’est là quasiment mission impossible.

Mais impossible n’est visiblement pas breton. Des circuits courts se mettent en place. « Avec Coreff et Lancelot, on va essayer de s’associer à des exploitations pour bénéficier d’orge bio breton », avance François Quellec, patron de Britt, dont l’orge bretonne pèse déjà un quart des achats. Objectif : 100 %. « Quand ? Je ne sais pas. Ça va dépendre des agriculteurs qu’on va réussir à convaincre ! » L’étape suivante : avoir sa propre malterie. Une micro-brasserie, elle, a déjà réussi à sortir une bière 100 % BZH. Il s’agit de D’istribilh, créée en 2013 par Gwenolé Ollivier, à Plouider dans le Finistère. Le jeune homme s’est associé à Benoît Barantal, qui cultive du houblon et de l’orge à Loperhet, dans des champs bio. De quoi faire une bière, la Mehodall, qui représente 25 000 litres par an. « Mais le but est d’avoir assez de production pour nos quatre bières, soit 40 000 à 50 000 litres chaque année. » Yec’hed mat ! Isabelle Jaffré


Bruno Green

REMETS LA OUACHE, FANCH !

LE COME-BACK FAIT PARTIE DES INCONTOURNABLES DE LA MUSIQUE. LA SCÈNE BRETONNE N’Y ÉCHAPPE PAS. MATMATAH Après neuf ans d’absence, les Brestois (photo) ont officialisé fin septembre leur retour avec l’annonce de 22 concerts en 2017, dont le 25 février à domicile au Vauban et le 2 mars à l’Olympia. Deux dates déjà à guichet fermé (les places brestoises sont parties en moins de trois heures). Quid des festivals d’été ? Si rien n’a encore filtré, on met une petite pièce sur leur présence aux Charrues.

AR RE YAOUANK C’est d’ailleurs à Carhaix que les auteurs de Breizh Positive ont accepté de se reformer exceptionnellement en 2011, treize ans après leur séparation. Un oneshot, pour ce groupe qui révolutionna les fest-noz, qui sera néanmoins réitéré en 2013 lors du festival Yaouank à Rennes. Depuis, les frères Guichen, piliers d’Ar Re Yaouank, tournent seul ou en duo.

LES NUS Groupe phare de la scène rock rennaise au début des eighties, les Nus sont remontés sur scène après une pause de près de trente ans. C’était lors des Trans 2013, sous le regard d’Étienne Daho. Séduit, ce dernier participera à la réalisation du nouvel album sorti en mars dernier, où on retrouve leur “hit” Johnny Colère, morceau qui vient d’ailleurs d’être clipé en cette rentrée. 11


DOSSIER

« J’ÉTAIS AU

BATACLAN »

IL Y A UN AN, UNE SÉRIE D’ATTENTATS FRAPPAIT PARIS, TUANT 90 PERSONNES À LA SALLE DE CONCERTS LE BATACLAN. TROIS BRETONS, PRÉSENTS CE SOIR-LÀ, TÉMOIGNENT. 12

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« JE M’ATTENDAIS À ME PRENDRE UNE BALLE

CLARISSE FAURE, 25 ANS, LARMOR-PLAGE (MORBIHAN) « Avec Marie-Jeanne et Thibault, deux de mes amis, on avait prévu d’aller voir Eagles of Death of Metal (EODM) car on est de gros fans du groupe. Le concert tombait bien en plus car je venais de terminer mon contrat en alternance chez Orange à Paris, c’était l’occasion de fêter ça. On a pris l’apéro chez une copine, puis on s’est dirigé vers la salle. Elle était pas encore pleine, on a pu voir la première partie, tout en prenant des bières au bar. Vraiment une soirée typique du vendredi soir. 14

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Au fur et à mesure, la salle s’est remplie et le groupe est arrivé sur scène. J’étais super contente car c’était la première fois que je le voyais. On était super bien placé en plus, pile au milieu. Au bout d’une trentaine de minutes, avec Thibault, on voulait se prendre à nouveau un coup à boire. Mais le bar du Bataclan n’accepte pas la carte. On s’est donc décidé à aller dehors pour aller retirer de l’argent à un distributeur. Marie-Jeanne, elle, est restée nous attendre car elle ne voulait rien manquer du concert. En arrivant devant le sas d’entrée, on a

demandé au videur s’il était possible de sortir. « Pas de souci, nous a-t-il répondu. Faut juste que je vous mette un tampon sur le poignet. » C’est à ce moment-là que ça a basculé. À l’instant où il a mis un coup de tampon à Thibault et qu’il s’apprêtait à faire de même avec moi, on a entendu des coups de feu qui venaient de la rue. Le videur, qui lui voyait ce qu’il se passait, avait les yeux écarquillés. Tu comprends direct que t’es en danger. Avec Thibault, on s’est mis à courir pour retourner dans la salle. On savait que les tireurs étaient juste derrière nous. Je m’attendais à me prendre une balle dans le dos. J’ai su après que le videur avait été abattu. Ça aurait pu également être mon cas : ça s’est joué à quelques secondes. Dans la salle, personne n’entendait encore les tirs. En plus c’était blindé, c’était dur d’avancer. Je voulais aller le plus loin possible vers la scène. Je poussais les gens, je criais « ils tirent ! ils tirent ! », mais personne ne comprenait. Thibault est parti vers la gauche et moi vers la droite. Et puis, très vite, c’est devenu l’horreur, pire que dans un film. Les mecs étaient entrés dans la salle, ça tirait dans tous les sens. Tout le monde s’est mis à plat ventre. C’est le moment où je me suis rendu compte que j’étais en plein dans un attentat et pas au milieu d’un “simple” règlement de compte. Je me suis dit : « ce soir, Clarisse, tu vas mourir. » Je vérifiais mon corps pour voir si je n’avais pas pris une balle, je ne sais pas quelle sensation ça fait. Pendant près d’une minute, je suis restée collée au sol. Je ne me suis pas refait le fil de ma vie. J’ai juste pensé à ma famille. C’est peut-être ce qui m’a


DANS LE DOS » donné la force de me lever quand les tirs se sont calmés. Avec une dizaine de personnes, on a tapé contre une porte à droite de la scène. Un videur nous a ouvert, on s’est engouffré dedans espérant trouver une sortie de secours ou une fenêtre. Malheureusement, rien de tout ça, juste des escaliers qui montaient jusqu’à des loges à l’étage. Je peux pas dire que j’avais peur, je pensais juste à m’échapper. L’instinct de survie.

« Fermez les yeux » Dans les toilettes des loges, on a fait un trou dans le faux plafond. On est plusieurs à s’être cachés dans les combles. Y avait des fils, de la laine de verre, mais je rampais le plus loin possible. En tout, j’y suis restée quatre heures. C’était interminable. À tout moment, je m’attendais à ce qu’ils tirent dans les plafonds, heureusement ça n’a pas été le cas. On entendait des tirs, des moments de silence, à nouveaux des tirs puis des explosions quand l’assaut a été donné. Tu n’attends alors plus qu’une chose : que les flics viennent te chercher. Quand on nous a évacués, on était les derniers à sortir. J’étais soulagée d’être toujours en vie, sauf que je n’avais pas du tout idée du carnage qu’il y avait eu en bas. Les mecs de la BRI nous ont juste dit « surtout fermez les yeux, on doit repasser par la salle ». J’ai demandé au monsieur qui était à mes côtés de me cacher les yeux mais sa main a dérapé et j’ai tout vu.

C’est une fois dehors que la police judiciaire nous a expliqué qu’il y avait eu d’autres attaques à Paris. On était réuni dans un bar à ce moment-là. Ayant perdu mon portable, j’en ai profité pour appeler mes parents pour leur dire que j’étais vivante, avant de rentrer chez moi à 4 h du mat’. J’ai pris une douche et, presque tranquillement, je me suis mise sur Facebook où j’avais plein de notifications. C’est comme ça que j’ai eu des nouvelles de Thibault et Marie-Jeanne. Ils avaient eu la chance de trouver une issue de secours. Après les avoir imaginés morts tout le temps où j’étais dans les combles, ça a été un soulagement. Avec Thibault, on s’est donné rendez-vous le lendemain pour rentrer en Bretagne. Et puis j’ai essayé de m’endormir. J’ai dû dormir dix minutes maximum. Dès le lendemain, on pouvait avoir une prise en charge psychologique à Paris, sauf que moi j’avais qu’une envie : me barrer de cette ville. Le père de Thibault est venu nous chercher et m’a conduite à Larmor-Plage chez mes parents, soulagés de me retrouver. Depuis, ils sont parfaits avec moi : ils sont bienveillants, mais n’en font pas trop non plus. Souvent les gens ne savent pas trop comment se comporter avec moi, s’ils doivent en parler ou pas. Pourtant, ça me fait du bien, je n’aime pas garder ça pour moi. Je me suis aussi énormément documentée. Je pense que j’ai lu tous les articles sur le sujet. Y avait une

« On a fait un trou dans le faux plafond où on s’est caché... »

CHRONOLOGIE D’UNE SOIRÉE D’HORREUR 21 H 20 : Un homme se fait exploser près du Stade de France, alors que se déroule le match France-Allemagne, tuant un passant. Quelques minutes plus tard, deux autres kamikazes aux abords du stade actionnent eux aussi leur gilet explosif, sans faire de victime.

21 H 25 À 21 H 43 : Dans les 10e et 11e arrondissements, trois hommes à bord d’une Seat noire abattent des personnes attablées à des bars et restaurants. Bilan : 15 morts devant Le Carillon et Le Petit Cambodge, 5 morts au bar La Bonne Bière, 19 morts à La Belle Équipe. L’un des assaillants se fera par la suite exploser au Comptoir Voltaire, blessant gravement deux personnes.

21 H 40 : Trois hommes équipés d’armes de guerre pénètrent dans la salle de concert Le Bataclan, où sont réunies 1 500 personnes. Ils tirent en rafale dans la foule, avant d’exécuter les blessés qui n’ont pu s’échapper.

22 H 15 À 00 H 18 : Précédés par des policiers de la BAC (qui tueront un des terroristes), 60 policiers de la BRI, aidés par dix hommes du RAID, investissent le Bataclan, alors qu’une prise d’otages se déroule à l’étage.

0 H 18 : L’assaut final est donné. Dans un couloir étroit et sous le feu des Kalachnikov, la BRI parvient tout de même à progresser, protégée par le bouclier Ramsès, et neutralise les deux terroristes. Durant l’assaut, l’un des assaillants se fait exploser, sans tuer ni blesser les otages alors retenus.

0 H 23 : L’attaque du Bataclan est finie. En tout, 89 personnes sont mortes dans la salle, ainsi qu’un riverain touché par une balle perdue. Ces attentats sont les plus meurtriers sur le sol français depuis la Seconde Guerre mondiale. L’état d’urgence est décrété. 15


Brice Miclet

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DOSSIER

période où je ne faisais que ça. J’ai également retrouvé les directs de BFM ce soir-là : j’avais besoin de savoir ce que ma famille et mes proches voyaient pendant que j’étais enfermée… Je suis restée à Larmor jusqu’au 14 janvier, avant de déménager à Vancouver, au Canada. Initialement, je devais partir en avril, l’attentat a un peu accéléré les choses. Être à l’étranger, loin de Paris et de l’Europe a été une thérapie. J’ai moins d’angoisse. Je ne pense d’ailleurs pas retourner un jour vivre en France. Actuellement j’en suis incapable. Faut que je trouve une solution pour prolonger mon visa. Mes parents veulent que je rentre à Noël mais, en toute honnêteté, je n’en ai pas trop envie. J’ai eu des rendez-vous avec plusieurs psychologues. Le problème, c’est que personne ne savait vraiment quoi me dire. Ils avaient l’air désarmés. Je sais que sur Paris, certaines victimes ont été prises en charge par des psychologues de guerre. Peut-être que ça aurait été plus efficace… J’ai quand même réussi à trouver des thérapeutes qui m’ont fait du bien. Sur le groupe Facebook des rescapés,

beaucoup se sont tournés vers une technique appelée EMDR (pour “eye movement desensitization and reprocessing”, soit “mouvement des yeux, désensibilisation et retraitement”, ndlr), un processus basé sur le mouvement oculaire qui fait travailler certaines zones du cerveau. Je ne pensais jamais que ça aurait fonctionné avec moi, mais ça m’a fait faire un bond en avant. J’en ai fait trois séances en Bretagne et une au Canada : depuis c’est le jour et la nuit.

« Vide émotionnel » Je suis un peu moins angoissée. Je peux sortir plus facilement. Avant fallait toujours que je vérifie les sorties de secours, les plafonds. Fallait que je sache par où sortir quand les mecs arriveraient car – forcément – ils allaient revenir. Un an après, la page n’est pas encore complétement tournée. Ça va mieux, mais il y a toujours des moments où j’y pense. Des cauchemars récurrents et, parfois, des petites crises de panique, comme dernièrement en boîte de nuit. Je projette d’aller revoir prochainement un psy, car j’ai l’impression d’être un peu en vide

« La page n’est pas encore tournée, mais ça va mieux » 16

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émotionnel, de moins ressentir les choses. Mais c’est surtout le temps qui va m’aider je pense. Mon premier concert après le Bataclan ? C’était Ty Segall, à Vancouver, le 22 janvier, un peu plus de deux mois après. J’ai bu trois bières d’affilée avant pour être zen et j’ai passé une super soirée. J’étais surtout fière de l’avoir fait. À défaut d’aller à l’Olympia pour “terminer” le concert (le 16 février, ndlr), j’ai pu revoir EODM le 26 avril à Vancouver. J’ai même rencontré le chanteur Jesse Hughes et les autres membres en backstage. Ils étaient au courant de ma venue, ils m’ont posé des questions et étaient contents que je puisse moi aussi finir le concert. J’ai également pu leur montrer mon tatouage EODM. Un tatouage à mon poignet, là où j’aurais dû avoir mon tampon au Bataclan. Ça les a émus. Quand il y a d’autres attentats, je suis constamment en train de regarder Google News. L’attaque à Orlando dans le club gay, j’avais les alertes en temps réel sur mon téléphone. Ça m’a tout de suite fait penser à ce que j’ai vécu. L’attentat de Nice a également été difficile. Pendant une semaine, j’ai coupé Internet, Facebook, la télé… J’avais besoin de faire un break, c’était trop éprouvant pour moi. » Recueilli par Julien Marchand


« IL AURAIT FALLU UN TEMPS DE SILENCE » Le vendredi 13 novembre 2015, toutes les salles de spectacles ont vécu l’événement au rythme des SMS, notifications et alertes smartphone. Alors joyeuse, insouciante et légère, l’atmosphère allait radicalement basculer vers ce que personne n’aurait vraiment pu un jour imaginer. Anne Burlot-Thomas, directrice du festival lorientais Les Indisciplinées qui fêtait ce week-end-là sa 10e édition, se souvient bien de cette soirée particulière. « J’étais à la billetterie quand j’ai appris la nouvelle avec la maman d’un de nos adhérents, présent au Bataclan (et qui a pu s’échapper). Et très vite, les alertes Le Monde et Libé ont commencé à arriver sur nos téléphones. » À ce moment-là, la grande majorité du public n’est pas encore au courant. « Quand Ibeyi est monté sur scène et a pris la parole, les gens ne comprenaient pas trop. » Avant que l’info circule entre festivaliers, alors scotchés à leur smartphone. Comment alors continuer à kiffer ce qu’il se passe sur scène quand ta tête est désormais focus sur Paname, avec le besoin d’en savoir plus. « Cela avait beau être sur Paris, nous étions tous directement touchés, poursuit Anne Burlot-Thomas. Parmi les groupes qu’on avait programmés, pas mal étaient affectés : Flavien Berger n’avait pas de nouvelle de son frère, un des gars de Cotton Claw a une sœur qui travaille dans un bar à côté du Petit Cambodge, il a su qu’elle était sauve cinq minutes avant de monter sur scène… » Dès lors, une question se pose : fautil annuler ou maintenir les concerts prévus le lendemain ? Si le préfet de la Zone défense Ouest déclarait que les grands rassemblements n’étaient

« pas souhaités », la tenue d’événements restait à l’appréciation de chaque préfet de département, en accord avec les organisateurs.

Aux Indisciplinées où était notamment attendu Albert Hammond Jr, la question ne s’est pas longtemps posée. « Même si la préfecture nous avait autorisés à poursuivre, on « C’était une bêtise » n’avait pas le cœur à ça : un de nos « Les avis étaient partagés au sein régisseurs avait perdu quelqu’un de l’équipe. Tout le monde était de son entourage dans l’attaque. » pris par l’émotion, se remémore « On a su dans l’après-midi qu’il n’y Sylvain Le Pennec, du 1988 Club avait pas d’annulation générale dans Live à Rennes. Il y avait ceux qui le département, rembobine Thierry voulaient annuler par solidarité Ménager, directeur de l’Antipode à et ceux qui pensaient qu’il fallait Rennes où une soirée électro était maintenir la fête, comme signe de programmée. On s’est rangé à la résistance. Les deux choix étaient posture de la ville, du préfet et aussi respectables. Mais c’est le contexte des collègues pour ne pas avoir une qui a tranché pour nous puisque les voix discordante. Mais je pense que artistes qu’on avait programmés le c’était une bêtise. Par respect pour samedi ne pouvaient pas se déplacer, les victimes, il aurait mieux fallu car bloqués à Paris. » qu’on marque un temps de silence. » 17


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GWENN LAFOLIE, 33 ANS, SAINT-BRIEUC (CÔTES D’ARMOR) « C’est la troisième fois que je voyais Eagles of Death Metal en concert. La première c’était en 2009 et la seconde en juin 2015 au Trianon. Un moment génial. Du coup quand j’ai vu la date au Bataclan, je me suis motivée pour y retourner seulement quelques mois après. En août, on prend les billets à quatre : une amie, qui est aussi une collègue de travail, mon frère, ma belle-sœur et moi. On y va directement à la sortie du boulot avec ma pote et du coup on arrive quasiment à l’ouverture. C’est une salle que je connais, on se met sur la petite coursive à gauche de la scène pour mieux la voir, pas loin de l’issue de secours. Mon frère et ma belle-sœur nous rejoignent et la salle se remplit petit à petit. La première partie, je n’en garde pas un souvenir mémorable. On va se prendre à boire et, vers 21 h je dirais, le concert commence. L’atmosphère est bonne, c’est vendredi soir, tout le monde est détendu. Plusieurs morceaux sont joués, je ne sais plus vraiment combien, quand on entend comme des pétards. Je suis très sensible au bruit, je sursaute assez facilement. J’ai su plus tard que certains ont pensé à un éclairage qui avait sauté mais moi j’ai vraiment cru à des pétards. Les lumières se sont vite allumées et j’ai commencé à voir des gens se ruer vers la sortie de secours. Comme des dominos, on s’est mis à tomber et je me suis

retrouvée par terre. J’ai fermé les yeux un instant, le temps de me dire qu’il se passait un truc. Je les rouvre et il me semble voir ce mec au niveau du bar, tout en noir… Tout de suite après, j’ai senti une énorme chaleur me parcourir le corps. Je pousse un râle, puis un second, la conséquence d’une deuxième balle. Je referme les yeux. J’entends mon frère qui m’appelle mais je ne parviens pas à répondre. Je m’étonne des coups de feu : ce ne sont plus des rafales mais des tirs espacés. Sur le moment je saisis pas qu’il s’agit d’exécutions.

« Pas loin du cœur » Un moment, mon frère nous indique que les tueurs sont à l’étage et qu’il faut y aller. Mon amie et ma bellesœur saisissent l’occasion, moi j’essaie de me relever mais je tombe aussitôt. Mon frère m’encourage mais je ne parviens même pas à ramper… Il finit par me tirer par le bras, pendant qu’un des tueurs sur la scène continue à tirer dans le tas. On parvient finalement à se glisser dans le sas de secours. Je réussis à descendre les quelques marches vers la sortie et là je vois deux flics qui nous braquent. Derrière, ma belle-sœur et mon amie leur disent de ne pas tirer. Je parviens à marcher quelques mètres jusqu’au boulevard Voltaire et je finis par m’étaler devant le premier magasin. La douleur dans le ventre commence à être insupportable. Un gars dit à mon frère qu’il faut me déshabiller pour examiner la blessure.

« Sur le moment, je saisis pas qu’il s’agit d’éxécutions... » 18

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« J’AI PRIS CONSCIENCE QUE MON ANCIENNE

Quatre pompiers arrivent, me soulèvent et me transfèrent dans une annexe du Bataclan où on me prodigue les premiers soins, masque à oxygène, etc. On amène à côté de moi un type à qui on fait un massage cardiaque mais on ne parvient pas à le réanimer. L’heure du décès est annoncée… Un mec vient de crever juste à côté de moi… Je retourne la tête vers le plafond, j’essaie de gérer ma douleur qui devient insupportable. Ça hurle, les tirs continuent, c’est la cacophonie totale. Deux pompiers se relaient autour de moi. Il y a un flic aussi, très anxieux. Il prend mes lunettes et essuie la buée car il fait très chaud. À aucun moment je me dis que je vais mourir. J’attends que ça se passe, j’ai très mal. Je saurai plus tard qu’une balle est entrée par l’aine avant droite et une autre s’est logée sous le sein, pas loin du cœur. Finalement, les pompiers nous ressortent et je me retrouve allongée sur le bitume froid. Je regarde le ciel et les riverains sur les balcons. C’est surréaliste. On me met sur un


VIE EST FINIE » « On ne savait pas dans quel état j’allais me réveiller »

brancard et je pars en ambulance vers une caserne de pompiers. Je souffre, je réclame un calmant. Deux pompiers arrivent, puis un troisième, super beau, les yeux bleus. Il me rassure, me dit que la vie est belle, qu’il faut continuer à vivre. On me donne un peu de morphine mais ça ne me fait rien alors on m’en redonne, une dose de cheval cette fois avant de me transporter vers l’hôpital. Une chaleur fulgurante s’empare de moi, j’ai du mal à respirer, je vomis, je perds connaissance. Je me réveille vers 2 h du matin je crois, dans une énorme salle avec d’autres patients. Une infirmière m’explique que les blocs opératoires sont tous pris mais que mon tour viendra. Je préviens mon frère avec le portable d’un médecin, j’attends et puis… Et puis je me réveille quinze jours plus tard. J’ai fait une péritonite car la première balle a transpercé l’intestin, le tube digestif et le colon. Il a fallu m’éviscérer puis tout remettre, avec dix jours de coma. Plus cinq d’un réveil médicamenteux atroce, comme

un mauvais rêve qui dure cinq jours. Un moment, mon pronostic vital a été engagé, c’est ce qu’on a dit à mes parents. On ne savait pas quand ni dans quel état j’allais me réveiller. Je quitte la réanimation, les visites s’enchaînent pendant une dizaine de jours. Puis je commence à prendre conscience de ce qui m’est arrivé et du fait que l’hospitalisation va durer des mois. Je ne veux plus voir personne. Noël est là, je vois les pubs Ferrero à la télé et moi je ne peux même pas boire un verre d’eau. Lever les bras est une douleur. Je réussis à m’asseoir au bord du lit seulement mi-janvier au prix d’un effort inouï. Je me dis que je ne vais jamais réussir à remarcher.

« 17 anesthésies générales » Le 29 février, je subis une dernière anesthésie générale, la 17e. Dix jours après je quitte enfin l’hôpital. Depuis, je me remets doucement : séances de kiné, de psy… Parfois je me demande encore si ça s’est vraiment passé. Je ne sais pas trop où me situer, je n’ai plus les certitudes que j’avais : ma vie à Paris, mon boulot (Gwenn a repris son ancien travail à temps partiel thérapeutique en octobre, ndlr)… La balle a touché un nerf, ça provoque des douleurs telles dans les jambes que je ne peux pas marcher plus de quelques minutes. Depuis juin, j’ai pris conscience que mon ancienne vie est finie, j’en suis dans une nouvelle. Les gens sont passés à autre chose en France depuis

les attentats, leur vie a repris et moi je ne peux pas… Mais j’essaie : j’ai fait la fête de la musique, le festival de Binic, je retourne au stade supporter mon équipe de Guingamp, j’ai prévu d’aller voir des concerts à Paris, en novembre au Bataclan… J’appréhende la date du 13. Tous les 13 du mois d’ailleurs, c’est plus difficile. Je pense tous les jours aux attentats mais les 13 encore un peu plus. Je n’ai pas contracté de phobie même si j’ai beaucoup de mal avec les feux d’artifice : le bruit est tellement le même… Du fait de mon hospitalisation, j’ai pris conscience très tard de tout ce qu’il s’est passé cette nuit-là mais je suis toujours aujourd’hui en recherche d’infos sur le sujet… J’ai vu un docu relatant les événements – Zone Interdite je crois – en quatre fois tellement c’était éprouvant. Les jours de moins bien, je me dis que ma vie a été fauchée en plein vol pour dix minutes de concert, c’est injuste. Les tueurs ? J’ai du mal à les nommer. Ce sont de pauvres mecs qui pensent avoir des valeurs parce qu’on leur a monté le ciboulot mais ils ne sont rien. Je préfère garder tous les messages de sympathie reçus. On dit que c’est dans des cas pareils qu’on fait le tri parmi ses relations mais moi je n’ai pas eu à faire le tri : j’ai même reçu bien plus de soutien que ce que j’aurais espéré. Je ne pensais pas qu’autant de gens m’aimaient. » Recueilli par Régis Delanoë 19


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« JE NE ME VOIS PLUS Y FAIRE LA FÊTE »

CÉDRIC GLOAGUEN, 33 ANS, BOTSORHEL (FINISTÈRE) « Ce n’était pas ma première fois au Bataclan. J’y avais déjà vu dEUS, Brian Jonestown Massacre... Plutôt des bons souvenirs. Le 13 novembre, c’est avec un pote que j’y suis allé. On s’est retrouvé dans un bar à côté. Il m’a annoncé qu’il allait devenir papa, on a bu un verre et puis on s’est décidé à entrer dans la salle. Elle était déjà bien pleine. On s’est mis sur le côté gauche, pour avoir une bonne vue. Le concert commence et puis, au bout de quelques morceaux, mon pote me dit qu’il va pisser. Je ne l’ai pas accompagné, lui disant que je restais au même endroit. Une chanson passe, puis une autre… et là les terroristes rentrent. Au début, tu comprends pas trop ce qu’il se passe. Tu entends comme des bruits de pétard. Et puis, le mouvement de foule et les cris te font comprendre que c’est pas normal. T’as à peine le temps de réaliser que les gens te tombent dessus. J’ai rampé pour me mettre le plus possible sur la gauche. Quand j’ai relevé la tête, j’ai vu deux 20

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mecs. Un petit avec une casquette au niveau du bar et un grand habillé en noir, pile au milieu de la salle, qui tirait tout le temps. Je regardais dans quelle direction il canardait mais je ne voyais pas sur qui. Dans la salle, ça crie au début, puis le silence s’installe. T’entends plus que le bruit des balles, qui résonnent à fond. Quand t’es au sol, t’oses pas bouger. Je suis resté comme ça dix minutes. Et puis j’ai entendu une porte claquer et vu plusieurs personnes courir. C’était l’issue de secours. À ce moment, je ne savais pas où étaient les terrosites, je ne les voyais plus. Je me suis dit que c’était le moment où jamais pour me barrer. Une fois dehors, j’ai couru tout droit jusqu’au bout de la rue. Sur un balcon, y avait des meufs qui faisaient une soirée. Elles nous ont accueillis avec d’autres rescapés. On devait bien être une dizaine du Bataclan à l’intérieur. Des flics nous ont rejoints, des gens du Samu aussi. J’en ai profité pour appeler ma mère qui n’était pas au courant de ce qu’il se passait. Tant mieux à la rigueur. J’ai

eu ma copine aussi. Et puis plein de textos, de messages Facebook d’amis. Dont le pote avec qui j’étais venu au concert. C’est quand il était aux chiottes que les mecs sont entrés. Il a vraiment eu du bol, moins deux il les aurait croisés dans l’entrée. Il a réussi à s’enfuir quand les terroristes étaient dans la salle. Je suis rentré à 5 h du mat’ chez ma copine. J’ai pris un truc pour m’endormir mais j’ai pas dormi des masses. En me réveillant, je me suis mis à pleurer direct, c’était bizarre. Le lundi, je suis allé au boulot. J’avais pas envie de rester seul à l’appart à regarder les chaînes d’infos en continu. Je me suis remis rapidement dans mes obligations de travail. Ça peut paraître dérisoire ce genre de contraintes mais, aller au boulot, c’est une façon de reprendre un rythme normal. Je n’oublie pas aussi que j’ai eu la chance de sortir relativement rapidement de la salle. Cela me fait relativiser. Quand tu vois le nombre de décès, les gens qui resteront handicapés, moi à côté j’ai “rien”. Je ne me vois pas comme une victime, plus comme un rescapé à la rigueur. La soirée à l’Olympia pour terminer le concert, c’était une évidence d’y aller. Je n’avais aucune appréhension niveau sécurité, mais c’était particulier. Avec mon pote, on s’est pris une cuite, besoin d’évacuer sans doute. Par contre, je ne pense pas que je retournerai au Bataclan. Je comprends d’ailleurs pas les gens qui se sont précipités pour prendre leur place pour la réouverture. Il y a un truc qui me met mal à l’aise avec ça. J’y étais, je sais ce qu’il s’est passé et je ne me vois pas faire la fête là-dedans. » J.M


CE QUI A CHANGÉ DANS LES SALLES BRETONNES

DR

Selon une étude dévoilée mi-octobre par le Prodiss (le syndicat national du spectacle et de la variété), une grande majorité de Français se disent globalement « rassurés » par les mesures de sécurité prises dans les salles de spectacles suite aux attentats. Si elles expliquent ne pas avoir reçu de demandes particulières de la part des spectateurs, les salles bretonnes ont toutes adopté divers dispositifs, recommandés par les préfectures, pour renforcer leur sécurité. Cela s’est d’abord traduit par le contrôle des sacs à l’entrée, ainsi que des palpations (« Avant les attentats, j’étais plutôt contre mais aujourd’hui cela me semble un mal nécessaire », reconnaît Anne BurlotThomas, directrice du Manège et du festival Les Indisciplinées à Lorient). Côté agents de sécurité, beaucoup de salles avaient déjà un nombre jugé conforme. « Celui-ci est variable en fonction du type de soirées et du taux de remplissage, éclaire Ariane Eloy à La Carène à Brest. Nous avons au minimum deux agents de sécu et cela peut monter à quinze sur les grosses dates. »

Au 1988 Live Club à Rennes, ce sont huit personnes qui sont dédiées à la sécurité. « Un nombre suffisant mais indispensable pour gérer un établissement de nuit. Après, est-ce que cela suffirait en cas d’attaque ?, s’interroge Sylvain Le Pennec, le programmateur. C’est très dur à dire. Personne n’est jamais vraiment préparé à ce genre d’événement. » Reste enfin la sécurisation des zones sur l’espace public. Le point le plus délicat, surtout depuis l’attentat de Nice. Selon l’étude du Prodiss, 45 % des sondés estiment que les mesures ne sont pas suffisantes à l’extérieur des salles. « Nous essayons d’éviter les attroupements. On rappelle aux spectateurs que ce n’est pas nécessaire d’arriver trop en avance. Malheureusement, ce n’est pas vraiment suivi », expose-t-on à La Carène. « Pour la prochaine édition des Indisciplinées, nous aurons un dispositif anti-voiture bélier, ajoute Anne Burlot-Thomas. À cela va s’ajouter une mesure antivoiture piégée : il n’y aura pas de parking public en face de la salle et aucun véhicule ne pourra se garer à moins de 200 mètres. »

RÉOUVERTURE DU BATACLAN LE 16 NOVEMBRE Quasiment un an jour pour jour après l’attaque, la salle parisienne située boulevard Voltaire dans le 11e arrondissement va rouvrir ses portes. Le mercredi 16 et le jeudi 17 novembre, c’est Pete Doherty (photo) qui aura la lourde tâche d’inaugurer la seconde vie de ce lieu, refait quasiment à l’identique après des travaux de rénovation intérieure et extérieure démarrés en avril.

« Nous allons tenter de préserver sa chaleur et sa convivialité. Nous voulons maintenir l’esprit populaire et festif qui a toujours été le sien », déclarait alors l’équipe du Bataclan sur sa page Facebook. À ce jour, vingt autres dates sont déjà programmées : Youssou N’Dour, Marianne Faithfull, Nada Surf, Saez, The Flaming Lips, Alex Beaupain ou encore Skunk Anansie. 21


DOSSIER

EN TOUT CAS J’AI ESSAYÉ ! TENTÉ PAR UN DÉFI QUE SE LANCENT CHAQUE ANNÉE DES ÉCRIVAINS AMATEURS, JE ME SUIS MIS EN TÊTE DE RÉDIGER L’ÉQUIVALENT D’UN BOUQUIN EN UN MOIS CHRONO. ANGOISSE DE LA PAGE BLANCHE INTERDITE. ouer dans un groupe de rock, finir un marathon, atteindre le Mont-Blanc, explorer la barrière de corail, gueuler « Carhaix, ça vaaa ?! » sur la grande scène des Charrues… On a tous en tête une “bucket list” des choses à accomplir avant de mourir. J’en ai déjà réalisé certaines (monter les marches de Philadelphie façon Rocky : check) mais la plupart, pas encore. Dans le lot, certaines me semblent jouables alors que d’autres irréalisables. 22

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Écrire par contre, je sais faire. J’en ai même fait mon métier. Mais un article, c’est un texte court. Sauf exception, dans le cas de Bikini par exemple, ils ne dépassent pas les 10 000 signes (lettres+espaces). Pour vous donner un ordre d’idée, cet article, une fois terminé, fera dans les 7 500 signes. Or, voici l’objectif que je m’étais fixé : rédiger 50 000 mots en un mois. Pas 50 000 signes hein, mots ! Pourquoi ce chiffre ? Double raison. La première, c’est

qu’il s’agit justement d’un de mes “défis-avant-de-mourir” : écrire un roman. La seconde, c’est que c’est la règle de base du “NaNoWriMo”, contraction anglophone de National Novel Writing Month, littéralement le “mois national d’écriture de roman”. Le NaNoWriMo, qu’est-ce que c’est ? En 1999 aux États-Unis, une vingtaine d’écrivains amateurs décident de se lancer un jeu entre eux : écrire chaque année en novembre un roman


en un mois tout pile, soit globalement la durée qu’a mis Anthony Burgess pour rédiger L’Orange mécanique ou Conan Doyle pour son premier roman Une Étude en rouge. Les concepteurs du défi estimaient à 50 000 mots la limite pour considérer qu’un texte de fiction mérite d’être considéré comme un roman et non comme une nouvelle. Depuis, les participants ont augmenté de façon exponentielle et ils sont désormais des centaines de milliers à travers le monde à se lancer dans ce drôle de jeu chaque mois de novembre. Il n’y a rien de vraiment officiel, ni droit d’entrée ni prix, seul compte le plaisir de se dire « je l’ai fait ».

« Lâcher la bride » Sophie Dabat, qui habite Combourg, fait partie de ces “finishers”. « Je l’ai réussi une fois en deux tentatives, explique-t-elle. La grande force de ce défi, ce sont justement ses contraintes : vous avez un départ, une arrivée et du quantifiable à accomplir entre les deux. Ce cadre permet à ceux qui ont depuis longtemps ce fantasme de l’écriture de se lancer sans se chercher des excuses pour reporter la chose. » En gros, c’est un peu comme s’inscrire à une course à pied pour s’obliger à sortir s’entraîner. Aux dires de la Brestoise Maïté Boucqueau, trois NaNoWriMo à son actif, cet exercice aurait aussi pour avantage de démystifier l’acte d’écriture. « En France, on a cette tendance de croire au talent inné du romancier mais c’est faux. Un pianiste commence par réciter ses gammes, un peintre à apprendre le travail des couleurs… L’écrivain c’est pareil : il doit s’acharner à écrire, lâcher la bride, quitte à miser d’abord sur la quantité. » OK, mais encore faut-il avoir quelque chose à raconter. Sur ce point, c’est la romancière quimpéroise Nathalie de Broc, une bonne dizaine de romans 23


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publiés à son actif, qui rassure. « On a tous des histoires en tête plus ou moins bien définies. On rêve tous, non ? Les histoires c’est pareil. Le minimum, c’est d’avoir une idée de départ – le point A – et idéalement une chute – le Z. Mais entre les deux, vous pouvez faire cheminer vos personnages au gré de votre écriture ! L’improvisation fait partie du jeu. » Pour Maïté Boucqueau, il y a deux grands types de romanciers : les architectes et les jardiniers. « Les architectes sont les méticuleux qui bâtissent un plan et s’y tiennent en suivant la notice. Les jardiniers plantent une graine – l’idée de départ de l’histoire – arrosent juste comme il faut et attendent de voir ce qu’ils vont récolter. » Sophie Dabat recommande tout de même un minimum de préparation en amont de l’écriture. « Faites-vous par exemple des fiches de personnages : apparence physique, caractère, etc., afin de limiter les risques d’incohérence. Si vous inscrivez votre trame dans un contexte réel, n’hésitez pas à vous documenter pour éviter les erreurs historiques ou géographiques. » Le synopsis et les fiches mémos écrites, il faut maintenant avancer dans le travail de rédaction du roman. « Pour tenir la cadence des

50 000 mots en un mois, il faut partir sur un rythme d’au moins 1 600 mots par jour, soit trois feuilles A4 sous Word », calcule Maïté Boucqueau. Dès lors, pas le temps de niaiser, il faut foncer.

« Plusieurs heures par jour » « L’important, c’est d’aller au bout de ce premier jet. Forcez-vous à ne pas chercher la perfection en relisant tout à mesure », préconise Mikaël Tygreat, qui anime des ateliers d’écriture à Brest. Il faut avancer et vite, en vous mettant à la place du lecteur, qui doit être capté par l’histoire. Il y a un schéma-type qui peut aider les écrivains, éclaire-t-il : « D’abord installer une situation, y implanter un élément perturbateur, monter progressivement en puissance dans l’action jusqu’au climax, puis passer à la résolution des conflits jusqu’au retour à la normale. » On appelle ça un arc.

« Deux types de romanciers : les architectes et les jardiniers » 24

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Pour travailler son écriture et la rendre agréable à la lecture, il existe des coaches comme Natacha Sels, qui propose des stages de perfectionnement du côté de Saint-Malo. « Il faut sortir de l’image du romancier solitaire, assure-t-elle. c’est en groupe qu’on fait le plus de progrès. » Elle confie à ses apprentis des exercices pratiques, comme de devoir broder un texte à partir d’un seul mot puis de le lire à voix haute pour recueillir l’avis des autres. « Certains sont très bons dans l’écriture des dialogues, d’autres dans la description. Il y en a pour qui c’est difficile de passer du “je” au “il”, pour d’autres c’est la concordance des temps qui pose problème. Il ne faut pas se raconter d’histoires (sic) : écrire est un exercice fastidieux mais qui est vraiment à la portée de tous, à condition de le vouloir et d’accepter de faire les efforts pour travailler sur ses défauts. » Et moi alors ? Quel bilan personnel tirer de tous ces conseils et de ma tentative d’écrire un roman en trente jours ? On dit de l’échec qu’il fait partie de la réussite, alors considérons que j’ai beaucoup réussi… J’avais


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pourtant une bonne histoire en tête, que je me suis attachée à coucher sur le papier en produisant des fiches de description des personnages principaux. C’était un polar. Pour faire très bref : deux ados que tout opposent enquêtent sur un accident qui s’avère être un meurtre déguisé. Pas original du tout (coucou Stranger Things !) mais au moins tenais-je le début et un semblant d’intrigue pour me lancer. Problème : j’ai vite été dépassé par le temps qu’il fallait y consacrer. « Le NaNoWriMo pour un débutant, c’est plusieurs heures de travail par jour, estimait Sophie Dabat, pessimiste à mon sujet et qui avait bien raison de l’être. Mieux vaut avoir du temps devant soi, prendre des congés par exemple. » Ce n’était pas mon cas… Je me dis que la dizaine de pages de brouillon entamée à l’occasion de cette tentative ne demande qu’à être complétée à l’avenir, histoire de pouvoir raturer une bonne fois pour toute la ligne “écrire un roman” de ma bucket list et passer à l’étape “monter sur la grande scène des Charrues”. Allez, je le tente cet été. Régis Delanoë 25


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E. Robert-Espalieu

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NÈGRE LITTÉRAIRE : LA CAPE D’INVISIBILITÉ

Dans la grande famille des écrivains (romancier, essayiste, biographe, scénariste, poète… ), il est une pratique plus ingrate que les autres : celle de nègre. Le terme en luimême est tellement moche qu’il est souvent renommé en “nègre littéraire”, pour mieux l’éloigner de l’infâme insulte. Son origine remonte au 19e siècle, à l’époque où Alexandre Dumas était accusé par un de ses détracteurs, Eugène de Mirecourt, raciste patenté, d’avoir été aidé dans l’écriture des Trois mousquetaires par un de ses collaborateurs, un certain Auguste Maquet. L’expression est restée pour désigner l’anonyme qui écrit pour un autre en lui léguant tous les mérites. Chez les AngloSaxons, il est appelé “ghost writer”, écrivain fantôme. L’activité est tellement secrète que peu se vantent de la pratiquer. « Pas mal d’écrivains honorables bouclent leurs fins de mois ainsi », croit pourtant savoir l’un d’eux, Christian Mars, qui réside du côté 26

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de Morlaix depuis quelques années. Interrogé en fin d’été, il était d’ailleurs en résidence pour quelques jours sur l’île de Ré pour recueillir les mémoires d’une personnalité en vue d’une publication prochaine. Laquelle ? Mystère, répond celui qui a officiellement été le nègre de Brassens et de Barbara (« on peut le dire il y a prescription ») mais qui préfère aujourd’hui jouer la discrétion.

« Rien de glorieux » « La confidentialité est souvent inscrite dans les contrats. Il faut s’oublier complètement. J’ai souvenir d’un grand banquier dont j’avais écrit la biographie et qui a inscrit mon nom dans les remerciements pour ma relecture attentive ! C’était cocasse. » Christian Mars se dit ouvert à toutes les propositions. « Il y a des spécialistes en sport, chanson, économie… Je suis tout-terrain. Certaines rencontres sont belles, d’autres fois tu entends des choses

affligeantes. On n’est pas là pour juger mais pour relater. J’ai manqué un seul beau contrat : un président africain qui m’avait invité un mois chez lui mais j’ai dû renoncer à cause de problèmes intérieurs assez lourds. » Financièrement, les deals sont conclus au cas par cas. « Il y a une somme allouée au départ, puis ça tourne généralement autour de 50-50 pour les droits d’auteur. » Dans le milieu littéraire, l’un des nègres les plus fameux s’appelle Jean-François Kervéan. Au palmarès de ce Parisien à la famille bretonne, trois succès de librairie : les biographies de Drucker (350 000 exemplaires), de Loana (130 000) et de Nabilla (100 000 avant la sortie prochaine d’une version livre de poche). « Avec l’à-valoir de départ et ma part que je négocie au tiers des droits d’auteur, c’est intéressant. » Pas question de se mentir, poursuit-il, nègre est une activité alimentaire pour un écrivain. « On ne rêve pas de le devenir, ça n’a rien de glorieux. » S’il concède lui aussi un regret (« Le meurtrier Patrick Henry. J’étais en contact avancé avant que ça capote, il avait sûrement plein de choses à raconter »), la dizaine de biographies écrites dans l’ombre le satisfont néanmoins. « Loana, c’était extraordinaire, un phénomène de société, une vie totalement bouffée par la lumière. Et Nabilla, autre créature de la télé, beaucoup moins victime pour le coup : elle sait qu’elle passe pour une conne et gagne sa vie avec. Les deux mises à la suite disent quelque chose de notre époque. » R.D



PAPIER

CHASSEURS D’ORAGES

ILS SCRUTENT LES CARTES MÉTÉO EN ESPÉRANT QUE LE CIEL GRONDE. LEUR QUÊTE : LA PHOTO PARFAITE D’UN ÉCLAIR, D’UN NUAGE OU D’UNE TORNADE. ORAGES, Ô DES ESPOIRS ! 28

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Ronan Meur

Steven Baratié / Bretagnes-orages.com

PAPIER

l y a des événements qui vous marquent plus que d’autres. Pour le Morbihannais Steven Baratié, celui-ci s’est passé quand il avait 12 ans. Un coup de foudre, littéralement. « Une nuit, j’ai assisté à une tempête électrique. Pendant trois à quatre minutes, il y avait des éclairs non-stop dans le ciel. Ça dégageait une telle puissance et une telle luminosité que tu pouvais lire un livre en pleine nuit. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à me fasciner pour les phénomènes naturels extraordinaires. » Vingt-cinq ans plus tard, ce garçon, développeur web de profession, continue de guetter ce qu’il se passe au-dessus de sa tête. Steven fait partie des quelques “chasseurs d’orages” que compte la Bretagne. Dans sa besace : pas de fusil, mais un réflex. Pas de appeau, mais une appli météo sur son smartphone. Pas de gallinettes cendrées à capturer, mais des éclairs prêts à briller. Comme en cette fin d’après-midi de septembre

où il nous a donné rendez-vous à Plœmeur, près de Lorient, face à la mer. Cela faisait plusieurs jours qu’il prévoyait cette sortie. « Sur Internet, il y a plein d’outils et de sites (Meteociel et Keraunos notamment, ndlr) qui fournissent librement un paquet d’infos : images satellite, vents dominants, précipitations, impacts de foudre en temps réel… La fiabilité est plutôt bonne. Cela donne une prévision à 4-5 jours et, en général, une confirmation deux jours avant. Même si ce n’est jamais sûr à 100 %. »

#SkyPorn Avec son autoradio branché sur la friture des moyennes ondes (« ce truc-là, c’est radio orages. Tu peux y entendre les éclairs »), il passera toute sa soirée à surveiller les cellules orageuses en formation au large et les modèles météo sur son téléphone. « C’est souvent plusieurs heures d’attente pour un quart d’heure d’orage. Mais si tu as bien étudié les cartes

« Un joli ciel bleu, je te cache pas que ça m’ennuie un peu » 30

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et que tu as choisi le bon spot, logiquement ça le fait », explique-t-il alors qu’à 19 h 39 un premier gros flash vient illuminer le ciel. « C’est un éclair intra-nuageux, je les aime bien ceux-là. En photo, ça permet de bien faire ressortir la structure du nuage », indique Steven qui aime « l’adrénaline » de sa passion : « L’orage dégage une ambiance particulière. Le ciel s’assombrit, les oiseaux se posent, le calme règne jusqu’au moment où ça éclate. Cette force de la nature, ça me donne comme un coup de boost. Après, faut bien sûr ne pas se mettre bêtement en danger. Quand l’orage est au-dessus de moi, je rentre dans ma voiture. » Un discours également tenu par Christophe Russo, 43 ans, originaire de Lohéac entre Rennes et Redon. Lui aussi chasse les orages depuis qu’il est gamin. « Tu te rends compte que tu n’es rien face à cette puissance. Un joli ciel bleu, je te cache pas que ça m’ennuie un peu, je préfère l’esthétique des éléments qui se déchaînent », sourit ce commercial dans le BTP qui, avoue-t-il, adapte parfois ses tournées clientèle en fonction de la météo. « En moyenne, je fais deux à trois sorties par mois. La Bretagne


n’est pas réputée pour être une région à orages (contrairement au Sud-Est et à la Corse notamment, ndlr), mais au final ce n’est pas si mal que ça. » Et si les orages ne sont pas au rendezvous, le garçon en profite pour shooter les nuages (comme en janvier dernier où il a photographié un arcus, un nuage qui semble s’enrouler sur lui-même), des couchers de soleil ou, tout simplement, un joli ciel coloré. Et à voir nos comptes Instagram où le hashtag #SkyPorn compte plus de 14 millions de résultats, Christophe est loin d’être le seul zinzin de la photo céleste. Parmi ses plus belles chasses, il cite celle du 22 juin dernier. « Dans la zone Morbihan/Ille-et-Vilaine, près de 8 000 impacts ont été enregistrés cette soiréelà. Je suis resté sur le terrain de 17 h à 2 h du matin. À rouler entre Tinténiac, Martigné-Ferchaud, Bain-de-Bretagne et Lohéac. » Avec à la clé, un cliché où apparaissent sept impacts de foudre. Chasseur en Bretagne Sud, Ronan Meur, 25 ans, a lui aussi sa photo fétiche. « Je l’ai prise le 2 juillet 2015 à 4 h 42 à Guidel. On voit l’éclair qui déchire le ciel. À vivre, c’était fort. À la fois lumineux et très bruyant. J’aime ce côté son et lumière. Moi qui suis habitué des teknivals, je fais souvent le parallèle. » 31


PAPIER

Christophe Russo

Tony Le Bastard

S’il a lui aussi commencé par les éclairs et nuages (« le ciel constitue la moitié d’un paysage, il faut prendre le temps de l’apprécier »), le Costarmoricain Tony Le Bastard – aujourd’hui installé en Corse – a accroché un nouvel élément à son tableau de chasse : les tornades. Avec deux potes, il a déjà parcouru trois fois la Tornado Alley, région centrale des États-Unis propice au phénomène. Pour des journées pas si éloignées du film Twister. « Le matin, en fonction des cartes météo, tu choisis une zone où les paramètres te semblent favorables. Il y a trois conditions essentielles : l’humidité, l’instabilité et le cisaillement du vent. Après, c’est beaucoup d’heures de route pour t’approcher au maximum. Une fois sur place, il y a aussi le facteur chance : la zone de l’orage peut être vaste mais la tornade ne concerne qu’une toute petite partie », raconte cet ingénieur à Météo France.

« S’APPROPRIER UN ATTRIBUT DIVIN »

Sa tornade la plus proche, il l’a vécue à 300 mètres. C’était à Shawnee, dans le Kansas en 2011. « Le plaisir est dans son côté rare. Et aussi dans le côté dangereux. Ce n’est pas de la peur, plus de méfiance. Faut toujours avoir un œil dessus. » Des récits de voyage que Christophe Russo compte lui aussi vivre. En mai 2018, il projette d’y aller avec deux amis chasseurs. « Les tornades, c’est un peu le Graal. Durant nos trois semaines là-bas, on espère en photographier au moins quelques-unes. » Les États-Unis, Steven Baratié en a fait également sa prochaine destination. « Le 21 août prochain, il y a une éclipse solaire totale. Ce n’est pas la même science ni le même domaine, mais on peut y voir la même logique. Au final : c’est toujours le ciel qui nous fascine. »

La première du genre en France (il s’agit de la carte dite de Buache). On a ainsi Anouchka Vasak, universitaire, auteure de l’ouvrage pu faire un premier bilan scientifique et avancer Météorologies, discours sur le ciel et le climat. certains éléments. La grêle a laminé les champs de blé. Pourquoi les orages face à un phénomène Cela a causé un désastre nous fascinent-ils ? jugé anormal, voire agricole qui a eu une Il y aurait une explication apocalyptique. certaine incidence l’année de l’ordre anthropologique qui a précédé la Révolution. et mythologique : la foudre Y a-t-il eu dans l’Histoire est l’attribut de Zeus des orages célèbres ? Qu’en est-il et en s’en approchant, Je pense à l’orage du on a l’impression de 13 juillet 1788, un an avant de l’attrait esthétique ? Au 18e siècle, on commence s’approprier cet attribut la prise de la Bastille, une divin. Mais d’un point de date symbolique. Cet orage à être fasciné par la beauté vue plus terre à terre, les a fait l’objet d’une véritable de la foudre. Une esthétique théorisée par deux orages nous ont toujours enquête en France : des philosophes, l’Irlandais fait peur. Ils étaient témoignages de paysans Burke et l’Allemand Kant auparavant synonymes terrifiés par la foudre ont qui parlent d’esthétique du de dégâts agricoles et été recueillis à travers les sublime, caractéristique de désastres dans les campagnes. Une carte de cette époque. Tous campagnes. On observait qui retrace le parcours de un regard de terreur l’orage a même été réalisée. les deux disent qu’on 32

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Julien Marchand éprouve du plaisir face aux manifestations terrifiantes de la nature. On voit ainsi des artistes comme Joseph Vernet, Pierre-Henri de Valenciennes et William Turner peindre beaucoup de tempêtes et d’orages. Dans le passé, existait-il des chasseurs d’orages ? En quelque sorte avec les recherches scientifiques voulant comprendre ces phénomènes. Au 19e siècle, il y a notamment eu le scientifique Camille Flammarion qui a publié un livre assez fou Les Caprices de la foudre. On y retrouvait déjà des photos d’éclairs, des cartes, des cas stupéfiants d’empreinte de la foudre…



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À PARTIR DE L’ÉTÉ PROCHAIN, LA FUTURE LIGNE À GRANDE VITESSE METTRA MONTPARNASSE À MOINS D’UNE HEURE ET DEMI DE LA BRETAGNE. DE QUOI REBOOSTER LA POPULARITÉ DU TGV ? TCHOU TCHOUUUUUU. ouviens-toi, ce n’est pas si lointain. T’étais toujours au lycée, tu portais des sweats capuche et un sac à dos Eastpack. Les révisions rythmaient tes semaines et les sorties avec les potes tes week-ends. C’était les années sans bagnole, sans Blablacar, sans offre low cost de transport. Pendant les vacances scolaires, t’avais pourtant la bougeotte. Et pour aller à l’autre bout de la région ou carrément sur Paname, un moyen de transport s’imposait naturellement à toi : le train. Plusieurs éléments faisaient alors partie de ton environnement familier : la carte 12-25, la borne jaune (orange pour les plus vieux) pour composter (« retournez le billet » : rhaaaa), la voix de Simone Hérault (qui signe toutes les annonces en gare depuis 1981), le jingle « Ta-ta-tala » et ce bon vieux TGV Atlantique bleu et gris qui te faisait débarquer à Montparnasse sans tes parents

sur le dos. De quoi avoir la banane. Aujourd’hui, les choses ne sont plus tout à fait identiques. Si huit millions de voyageurs montent ou descendent d’un TGV en Bretagne par an, ce chiffre n’augmente plus vraiment. « Avant 2008, on progressait tous les ans de 2 à 3 % en terme de fréquentation. Mais le contexte n’est plus le même. La crise économique est passée par là et les gens ont revu leur mode de déplacement. Sont aussi apparus le covoiturage, les bus “Macron”… Chaque nouvel acteur prend sa part du gâteau. Mais il faut savoir que ce gâteau grandit car l’arrivée de nouvelles offres crée de nouveaux usagers. Actuellement, la demande globale de mobilité est en croissance », situe Thierry Quéré, directeur de projet TGV Bretagne. Si une certaine désaffection semble toucher le TGV, il pourrait bien repartir à fond les ballons dans les prochains mois. En juillet 2017, une petite révolution devrait le

rendre beaucoup plus sexy pour un paquet de voyageurs : la LGV, ligne à grande vitesse, qui sera mise en service entre Le Mans et Rennes. « Actuellement, sur ce tronçon, le train circule à une vitesse normale, entre 150 et 160 km / h. Là, on sera à 320 km / h. » Toujours plus loin, plus fort, plus vite (jusqu’au bout de l’extrême limite). En moyenne, cela permettra de gagner entre 30 et 45 minutes entre la Bretagne et Paris. La capitale ne sera alors plus qu’à 1 h 25 de Rennes (contre 2 h 04 aujourd’hui), 2 h 13 de Saint-Brieuc (contre 2 h 55), 3 h 25 de Brest (contre 4 h 11) 2 h 56 de Lorient (contre 3 h 38) et 3 h 31 de Quimper (contre 4 h 16). Des gains de temps qui devraient attirer 1,5 million d’usagers supplémentaires en Bretagne, estime la SNCF. Yann Muzellec, lui, fait déjà partie des habitués du TGV Atlantique. Installé depuis cinq ans en région parisienne, ce prof de physique35


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chimie originaire de Lannion ne compte plus les allers-retours effectués pour rentrer au pays. « Les premiers temps, c’était tous les 15 jours. Pour voir les copains et la famille. Aujourd’hui, avec le boulot et les obligations, c’est plutôt une fois par mois, en plus des vacances et des week-ends de grande marée, sourit le jeune homme de 29 ans pour qui le train constitue le meilleur mode de transport. Moins cher que l’avion si on réserve tôt, plus rapide et plus confort que le covoit’. » « Le TGV, c’est aussi moins galère que les cars type Ouibus, embraye Margaux Thorel, Brestoise de 23 ans, actuellement secrétaire à Paris, qui a pas mal fréquenté Montparnasse cet été. Avec le super beau temps, je rentrais tous les quinze jours. » Un trajet jusqu’en BZH que ces deux Bretons expatriés connaissent presque par cœur. « Il arrive parfois que je passe quasiment tout le parcours à regarder par la fenêtre, raconte Yann. Ça me permet de me mettre en condition pour le weekend. Quand la série de tunnels est terminée, psychologiquement j’ai quitté Paris. Tu passes ensuite des paysages de plaines à ceux de bocages

plus tu approches. Avant la première et Quimper, le projet d’un seul tracé étape bretonne : Rennes. » central avait initialement été imaginé. « Quand une convention est « Contrée reculée » signée en 1855 pour rallier Brest, En mai prochain, cela fera 160 ans on résonne à moindre coût. L’idée que la capitale bretonne est reliée à est alors de relier Rennes jusqu’au Paris par une ligne de chemins de centre-Finistère, en longeant une fer. C’était en 1857. « Si l’on com- partie du canal de Nantes à Brest. pare à d’autres régions françaises, Cette ligne serait passée par Montla Bretagne a été à la traîne dans fort-sur-Meu, Pontivy (alors nommée le développement ferroviaire. La Napoléonville, huhu, ndlr), Châraison ? Elle n’était pas considérée teaulin, jusqu’à Landévennec où les comme attirante, on ne voyait pas voyageurs auraient pris un bateau grand intérêt à construire une ligne pour rejoindre Brest. » de train jusque cette contrée recu- Un projet qui sera abandonné après lée. Les choses changent en 1842 que les villes de Saint-Brieuc et Morlorsqu’une loi relative à l’établisse- laix, places fortes du commerce à la ment des grandes lignes de chemins fin du 19e, aient gueulé pour avoir le de fer est votée. Deux ans plus tard, train jusque chez elles. « Cela aboutira une ligne Paris-Rennes est décidée », finalement à la construction de deux retrace Laurent Gouhlen, historien lignes : une au nord et une au sud. Le spécialiste du train, qui a collaboré à tracé définitif a été voté en 1859 par l’expo Bretagne Express qui se tient Napoléon III. On dit qu’il aurait été actuellement au Musée de Bretagne. sensibilisé par un voyage effectué un Si aujourd’hui deux grandes lignes an plus tôt dans la région. » parcourent la Bretagne jusqu’à Brest En 1865, après plusieurs années de travaux et de galère (notamment du côté de Plouaret où la dureté de la roche a ralenti l’avancée), la ligne Paris-Brest est enfin ouverte. Et le 25 avril, le premier train parisien

« On mettait 16 h 40 pour faire l’intégralité de la ligne » 36

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arrive dans la cité du Ponant. « On mettait 16 h 40 pour faire l’intégralité de la ligne », situe Laurent Gouhlen. De cette date à aujourd’hui, en attendant la LGV l’an prochain, le temps de parcours n’a cessé de baisser entre Paris et Brest : 10 h en 1908, 7 h 47 en 1953, 5 h 33 en 1989 (avec le premier TGV)… Avant donc les 3 h 25 en 2017.

« Tout est politique » Mais est-il possible de faire encore mieux ? Notamment sur le réseau breton où on a parfois l’impression d’avancer à deux à l’heure ? Si certains travaux ont déjà été effectués entre Rennes et Saint-Brieuc, permettant de rouler à 220 km / h et ainsi gratter 5 minutes, le gain de temps peut se faire par deux autres façons. La première est de mieux articuler les TGV et les TER pour diminuer l’attente sur les correspondances et – au final – réduire le temps de parcours global. « Pour cela, Lannion sera un bon exemple. Grâce à des offres bien associées en correspondance que ce soit à Guingamp ou Plouaret, on parviendra à gagner 53 minutes sur un Paris-Lannion », expose Thierry Quéré. 37


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La deuxième piste est de réduire le nombre d’arrêts en gare. « Le vendredi, nous allons mettre en place une offre symbolique avec un Paris-Brest en 3 h 13. Le train ne s’arrêtera pas à Rennes. Sa seule desserte sera SaintBrieuc. » Cool sur le papier mais cela ne se ferait-il pas au détriment des plus petites gares, qu’on imagine comme potentiel fusible pour gagner des minutes ? Prenons celle de Plouaret-Tregor, entre Morlaix et Guingamp. Une escale singulière, plus petite gare desservie par un TGV de toute la Bretagne, sans réelle équivalence sur le territoire national, d’après l’expérience de son chef de gare Yannick Jamet. « Pour moi qui suis arrivé dans la région il y a quatre ans, ça a été une vraie découverte. La Bretagne pour ça, c’est particulier… On sent qu’il y a une volonté politique derrière pour faire de ces grands axes des moyens de désenclaver certains secteurs ruraux. »

Si quelques gares (Redon notamment) continuent de batailler pour avoir plus d’arrêts TGV ou des horaires aménagés, d’autres ont eu l’assurance de conserver le même nombre de dessertes avec la LGV. C’est le cas de Plouaret qui gardera quatre arrêts TGV par jour,

deux dans chaque sens. Et pourra également compter jusqu’à 14 arrêts TER quotidiens. « Dans un cas de figure comme Plouaret, on est dans le cadre d’un vrai service public, estime Yannick Jamet. Si c’est rentable de maintenir un arrêt TGV sur place ? Il ne faut pas raisonner en ces termes.

Cinq ans à emprunter chaque jour de la semaine le même TER, le matin dans un sens, le soir dans l’autre, ça vous marque un homme. « Le TER Centre, c’est celui qui part de la région du même nom pour rejoindre Paris. Je le prenais de chez moi à Rambouillet pour aller à mon lycée à Versailles, sans rien intellectualiser, comme un réflexe, jusqu’à ce que la bulle éclate et que tout le ressenti que j’avais sur ce rituel sorte. En 35 minutes, j’ai écrit le texte de la chanson, sans jamais avoir à le retoucher ensuite. » Une sorte de blast qu’a connu Tim Dup – Timothée 38

de son vrai prénom – pour s’offrir TER Centre, son premier morceau en forme de carte de visite. Une ode de 3 minutes 52 au train-train... du train. « Des gens qui dorment, des chiens qui pissent, des femmes enceintes et des enfants bruyants. Le matin c’est bondé, le soir c’est blindé, ça pue, ça chante, ça s’lamente », raconte le jeune artiste de 21 ans dans un phrasé à mi-chemin entre hip-hop et slam, sur un fond de piano tout simple. « À la base c’est pas un thème excitant, hein. T’es pas à l’aéroport à partir pour les Maldives. La majorité

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Jim Rosemberg

« UN ESPACE-TEMPS SYMBOLIQUE DE NOTRE MODERNITÉ »

du temps, c’est pour le taf, la fac ou ce genre de plan chiant. Pourtant, quand t’y réfléchis c’est fascinant : t’es là, assis à côté de gens que tu connais pas, tu partages un court moment avec eux puis ils disparaissent de ta vie. On est quasi collé à des inconnus, tu les sens, tu peux entendre leur musique dans

les écouteurs, et en même temps y a une distance, ça reste des étrangers. C’est un espace-temps très symbolique de notre modernité. » Le 12 novembre à l’Ubu à Rennes, le 3 février au Roudour à Saint-Martindes-Champs (29)


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Pour ma direction, cette gare n’existe pas et il y a longtemps qu’elle aurait dû disparaître. Et pourtant, je peux vous affirmer qu’il n’y actuellement aucune inquiétude à avoir concernant sa fermeture. » La petite maison qui tient lieu de gare a d’ailleurs été entièrement rénovée il y a moins de trois ans, avec un nouveau parking et deux employés permanents qui s’occupent de l’aiguillage et de la sécurité des usagers. S’il y a eu par le passé quelques doutes concernant l’avenir de cette gare – avec des manifestations des voisins de cette commune d’à peine plus de 2 000 habitants –, ce n’est plus le cas aujourd’hui. « Peut-être, croit savoir Yannick Jamet, parce que l’actuel conseiller régional en charge des transports, Gérard Lahellec, est du coin (élu communiste originaire de Plufur, en plein pays trégorrois, ndlr). Je vous le dis : en matière ferroviaire, tout est politique. » Julien Marchand et Régis Delanoë Bretagne Express : Exposition jusqu’au 27 août au Musée de Bretagne à Rennes 39


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David Ctiborsky / Edendoc / Francetv nouvelles écritures

« UN BON ENDROIT POUR COMPOSER »

Thylacine, producteur angevin de musique électronique, a traversé la Russie en train pour réaliser son dernier album, Transsiberian, sorti fin 2015. Un “rail trip” de 9 000 kilomètres, entre Moscou et Vladivostok, nourri de rencontres au gré des arrêts.

temps de composer sur la durée. La Russie est aussi un pays que je ne connaissais pas du tout. Ça m’intéressait d’y aller vierge d’idée. Concrètement, comment s’est déroulé ton parcours ? Ça a duré un peu plus de deux semaines. En moyenne, c’était deuxtrois jours de train, puis deux-trois jours sur le terrain dans les villes où le train s’arrêtait. J’avais pris un peu de matériel avec moi : mon ordi, des cartes-son, un micro, un clavier. Je composais nuit et jour dans ma cabine. Pendant deux semaines, j’ai pu me couper totalement de toutes mes obligations. Personne ne pouvait véritablement me joindre. Pendant mon voyage, la seule chose que j’avais à faire, c’était ma musique. Se plonger entièrement dans un moment de création, ça fait du bien.

Comment est né ce projet ? C’est venu à la suite d’une réflexion : quel est le meilleur endroit pour composer et faire de la musique ? Je m’étais rendu compte qu’être enfermé dans un studio, ce n’était pas l’idéal. J’avais besoin de sortir. Vivre des choses pour ensuite avoir envie de les raconter. L’idée d’un voyage en train s’est alors rapidement imposée. C’est un bon endroit pour composer. C’est dur à expliquer mais avoir le paysage qui défile, ça aide. T’as le sentiment d’avancer, de ne pas être bloqué dans un silence pesant autour de toi. Tu as une vie sous tes yeux, Ce projet a été marqué par difféaussi bien dehors que dans le train. rentes rencontres au fil de ton voyage. Comment se sont-elles faites ? Pourquoi le transsibérien ? Ça s’est fait au feeling, le plus souvent Il s’agit de la plus longue ligne de de façon imprévue en fonction des train au monde. Ça me laissait le villes où on s’arrêtait. Ce projet a été 40

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beaucoup nourri par ces différentes rencontres, plus que je ne l’avais imaginé à l’origine. La plupart sont devenues des rencontres musicales. Les gens nous ont montré leur culture, leur musique… J’ai pu enregistrer pas mal de voix et de chants, que j’ai par la suite utilisés dans mes morceaux. Quelles rencontres t’ont particulièrement marqué ? Il y a eu un graffeur, rencontré à Kazan, qui m’a envoyé dans un petit village en pleine campagne, dans la taïga. Là-bas, on a rencontré des petites dames qui nous ont fait un concert dans une espèce de salle des fêtes. C’était hyper beau. C’était la première rencontre musicale du voyage. Sinon, il y a aussi eu l’épisode du chaman, au bord du lac Baïkal. J’ai assisté à des trucs carrément fous : cérémonie avec bouc égorgé et grand feu de joie… C’était complément dingue et surréaliste. Recueilli par J.M Le 12 novembre aux Indisciplinées à Lorient



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TAUPES OF THE POP

APRÈS AVOIR ASSURÉ LA PROGRAMMATION DE LA PLAGE À LA ROUTE DU ROCK, LE COLLECTIF LA SOUTERRAINE REVIENT EN BZH POUR LES CONCERTS DU MIDI AUX TRANS. DANS SES BAGAGES : REQUIN CHAGRIN, AQUASERGE, BARBAGALLO...

vec leur slogan « A french future archeology », La Souterraine arpente les bas-fonds de la musique francophone pour faire émerger ce qu’elle estime en être le meilleur. Vaste programme, mais c’est quoi au fond La Souterraine ? Un peu label, un peu diffuseur, un peu éditeur, un peu tout en fait, ce collectif publie des compilations couillues, belles et se foutant pas mal des standards de la musique. La plupart des artistes sont d’ailleurs non signés. Le tout avec un mot d’ordre : francophone. Orientés indie pop, mais pas fermés pour un sou, les fondateurs Laurent Bajon et Benjamin Caschera, respectivement Parisien et Toulousain, ont lancé le bouzin en 2014. À ce jour, ils comptent plus de dix compiles à leur actif. Alors quasi inconnus, les artistes rameutés sur ces disques valent tous 42

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le détour. « La Souterraine, c’est un objet mutant, éditeur compulsif de compilations de chanson française expérimentale en téléchargement libre, expliquent les fondateurs. Plus il y a d’inédits dans ces compilations, plus c’est impactant pour tout le monde. » Cette année, les Trans Musicales ont confié à ces deux garçons la programmation du Théâtre du Vieux Saint-Étienne (pour des brunchsconcerts) et les a invités à participer à la conférence “Pourquoi préférer chanter en français plutôt qu’en anglais dans les musiques actuelles ?”. Ce n’est pas leur première dans un festival breton. Cet été, La Route du Rock leur avait confié la prog’ de la plage de Bon Secours : Requin Chagrin, Halo Maud et Aquagascallo (réunissant Aqua Serge et Julien Barbagallo). Et pour labourer la scène francophone, Laurent Bajon et Benjamin

Caschera peuvent compter sur leurs propres oreilles, mais pas que : « Nous avons quelques informateurs qui nous remontent des noms, en Belgique et au Canada, un réseau s’est mis en place, on reçoit aussi beaucoup de sollicitations directement. Il s’agit juste de trouver le temps de tout écouter. » Visiblement, ils en ont trouvé pour découvrir Volontiers, nouveau projet rennais programmé aux Trans et présent sur leur compile, sortie fin août. « C’est Jean-Louis Brossard qui nous a fait écouter dix fois leurs trois titres dans son bureau en juin. Depuis, on aime beaucoup. Ils préparent un album, on espère l’héberger. » Brice Miclet Music & Food : du 2 au 4 décembre au Théâtre du Vieux Saint-Étienne aux Trans Musicales de Rennes


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PAS BLANCHE COMME NEIGE SECOND SPECTACLE SEULE EN SCÈNE, TÉLÉVISION, CINÉMA AVEC ÉRIC JUDOR… EN CETTE RENTRÉE, BLANCHE GARDIN, L’ANCIENNE DU JAMEL COMEDY CLUB, JOUE LES HYPERACTIVES ET CONTINUE DE CULTIVER SA PLUME TRASH.

JR Robert

l y a deux périodes à distinguer dans la carrière de Blanche Gardin. La première se passe avec le Jamel Comedy Club, qu’elle rejoint dès la première saison en 2006. « J’ai été repérée par Kader Aoun (créateur de la série H et du Burger Quiz notamment, ndlr). À l’époque j’étais éducatrice, je fabriquais juste quelques sketchs. Là, je rejoins un monde – le stand-up – que je ne connaissais pas et on se met à faire des grosses salles, des Zénith… C’est à la fois violent et très formateur. » Elle peaufine son style, de plus en plus trash. « Je ne soupçonnais pas la noirceur de ma plume », dit, en lâchant un petit rire, celle dont les spectacles sont interdits aux moins de 17 ans (« c’est moi qui ai demandé à le préciser, je suis très mal à l’aise quand il y a des enfants dans la salle »). Les portes de Canal et de Comédie! s’ouvrent pour Blanche Gardin, qui quitte la scène pour un temps et diversifie sa palette en jouant les comédiennes pour la série WorkinGirls. « Par rapport aux autres du Jamel Comedy Club, j’ai mis longtemps avant de lancer mon spectacle. Il a 44

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fallu cinq ans pour que je l’écrive. C’était pas censé être drôle à la base : j’étais en plein dans une rupture amoureuse qui m’avait déglingué la tête. Seule à 35 ans, j’avais besoin de faire un bilan de ma vie. Sauf qu’à mesure que j’écrivais ce bilan, ça partait dans du rigolo. Je peux pas m’en empêcher. » Ce premier one-woman-show, intitulé Il faut que je vous parle !, amorce la seconde partie de carrière de Blanche Gardin : plus indépendante, plus touche-à-tout encore qu’auparavant. « Là c’est un peu la folie. Il y a le spectacle, la télé toujours, le cinéma… » La Pierre-Emmanuel Barré au féminin sera en mars à l’affiche du prochain film d’Éric Judor, dont elle est également co-scénariste. « Une histoire d’écolos résistants en Ardèche qu’on a tournée cet été. C’était cool de quitter Paris et mon appart tapissé de post-it avec des bouts d’histoires, de sketchs, des idées… Écrire, c’est encore ce que je préfère. Observer les gens et écrire. » Régis Delanoë Les 3 et 21 novembre au théâtre de Cornouaille à Quimper


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BLACK IS BEAUTIFUL

AVEC LEUR ROCK PSYCHÉ BIEN DARK, LES GARS D’ULRIKA SPACEK NE SONT PAS LÀ POUR POSER DU LINO. Une déferlante de guitares : telle est l’impression laissée par Ulrika Spacek à ceux qui l’ont vu cet été à La Route du Rock. Un déluge de fuzz, du Brian Jonestown avec la voix empreinte de noirceur de Thom Yorke dessus. « Il y a de ça, confirment les deux leaders du groupe, Rhys Edwards et Rhys Williams, rencontrés après leur concert malouin. Il y a du shoegaze aussi, qu’on a beaucoup écouté quand on était ados. » Potes d’enfance du côté de Londres, c’est à Berlin qu’ils fondent Ulrika Spacek. « On s’étaient perdus de vue, c’est un peu un hasard qu’on se soit retrouvé. La musique nous a rapprochés de nouveau. » Depuis, un album est paru, le très recommandable The Album Paranoia, « le second est en route, on espère le livrer en février ». C’est tout ce qui est planifié jusque-là ? « Oui car on n’est pas dans le calcul. Les tournées, les interviews... Globalement c’est fun, on profite, on joue dans des endroits où on n’aurait jamais rêvé de jouer, devant des inconnus… En même temps c’est assez déstabilisant en fait comme truc, le “music circus”, mais on prend. Et puis si tout ça s’arrête un jour, ça ne nous empêchera pas de continuer à jouer pour nous, right ? » Le 4 novembre aux Indisciplinées à Lorient 45


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DO RÉ MI CONSOLE L’ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BRETAGNE S’APPRÊTE À REPRENDRE EN LIVE DES MUSIQUES DE JEUX VIDÉO : ZELDA, MARIO, FINAL FANTASY, CASTLEVANIA... TOP COOL ET TOP CLASSE, COMME L’EXPLIQUE MARC FELDMAN, SON BOSS.

Quels thèmes de jeux vidéo se prêtent particulièrement bien à une interprétation symphonique ? J’aime beaucoup la musique de World of Warcraft. Ainsi que celle de Zelda dont certains aspects me font penser à des thèmes celtiques sur lesquels travaille l’OSB. Certaines partitions sont formidables et permettent de mettre en lumière un orchestre et ses instruments. Pour Video Games Live, on retrouvera sur scène une quarantaine de musiciens de l’OSB. Est-ce naturel pour eux de reprendre ce genre de répertoire ? On les imagine plus enclins à interpréter du classique… Pour moi, l’expression “musique classique” est une tare. Cela me 46

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À l’avenir, vers quelles directions nouvelles pense se tourner l’OSB ? En février, nous allons faire un concert avec Jane Birkin, en hommage à Gainsbourg. On va ainsi s’attaquer à un répertoire populaire. Mais même dans les concerts “classiques”, nous essayons de faire Est-ce une façon malgré tout de des surprises, en faisant découvrir de valoriser les musiques de jeux ? nouveaux instruments par exemple. Elles n’ont pas besoin de l’OSB pour D’une façon plus générale, je veux être valorisées ! Il y a des millions que l’OSB soit un “hub”, un centre de gamers qui apprécient toutes de créativité. Que des artistes ayant ces bandes-son. Et s’il y a une valo- une sensibilité orchestrale aient enrisation, c’est celle de l’orchestre vie d’utiliser l’orchestre pour toutes symphonique moderne. Il y a beau- sortes de créations. coup de gamers dans la région qui ne connaissent pas l’OSB. Video Recueilli par Julien Marchand Games Live peut être une façon pour eux de nous découvrir. Le 22 novembre au Liberté à Rennes semble plus correct de parler de musique orchestrale où on va retrouver différents styles : du classique donc, mais aussi du romantique, postromantique, contemporain… La musique de jeux vidéo, elle, ne fait que s’inscrire dans cette continuité.

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u’est-ce qui a poussé l’Orchestre symphonique de Bretagne (OSB) à proposer Video Games Live ? Les musiques de jeux vidéo constituent aujourd’hui une nouvelle direction pour la musique symphonique et orchestrale. Pour moi, il s’agit d’un nouvel horizon à explorer. Video Games Live n’est pas une création de l’OSB, mais j’aimerais beaucoup qu’on fasse un jour la nôtre et que des compositeurs aient envie de faire des choses avec nous.


Caroline Ablain

VIVE LA FIN DU MONDE !

ET SI L’APOCALYPSE ÉTAIT UNE CHANCE ? LE METTEUR EN SCÈNE SIMON GAUCHET Y CROIT À BLOC. « Il y eut des éclairs, des voix, des tonnerres et un grand tremblement de terre. (…) Toutes les îles s’enfuirent, les montagnes disparurent. (…) Et quiconque ne fut pas inscrit dans le “livre de vie” fut jeté dans l’étang de feu… » L’Apocalypse de Jean ne fait pas les choses à moitié quand il promet la fin du monde. Quitte à y passer, autant que ça ait d’la gueule. Pour Simon Gauchet, jeune metteur en scène malouin, la lecture de ce texte biblique fut tout autre. « Il est en réalité très optimiste. L’apocalypse n’est ici pas synonyme de destruction totale mais plutôt d’une possibilité de construire un autre monde. » Cet ancien élève de l’école du Théâtre national de Bretagne en a fait une pièce, Le Projet apocalyptique, où les sept acteurs précipitent notre chute « pour voir ce qu’il y a après ». Au menu : catastrophe nucléaire, dérèglement climatique… « Notre capacité actuelle à nous autodétruire relie parfaitement le texte de Jean à notre époque contemporaine. Il est dur de ne pas se poser des questions quand on voit le monde dans lequel on vit. Je crois que ce moment de transition radicale peut faire naître une nouvelle mythologie. » Du 2 au 5 novembre au Théâtre du Vieux Saint-Étienne à Rennes, les 8 et 9 novembre au Théâtre de Lorient 47


VTS

LES INVENTEURS BRETONS POUR CEUX DONT LA SÉRIE PRÉFÉRÉE RESTE MACGYVER, CEUX QUI AIMENT PLONGER DES MENTOS DANS DU COCA ET CEUX QUI RÊVENT DE PARTICIPER AU CONCOURS LÉPINE, IL Y A POSSIBILITÉ DE REJOINDRE CETTE LISTE DES INVENTEURS BRETONS LES PLUS FAMEUX DE L’HISTOIRE.

RENÉ LAENNEC : LE STÉTHOSCOPE

BERNARD MARTI : LE MINITEL

La légende dit ceci : Laennec se promène du côté du Louvre et aperçoit des enfants jouer avec une poutre, l’un grattant une extrémité avec une épingle, ses copains s’amusant du son amplifié produit à l’autre extrémité. Eurêka ! Le stéthoscope était né. « En réalité c’est par pudeur qu’il a inventé cet objet, pour éviter de coller l’oreille à la poitrine des patientes », corrige Olivier Faure, membre du RHUM, le réseau d’historiens universitaires de la médecine. René-Théophile-Marie-Hyacinthe Laennec, né en 1781 à Quimper et docteur à l’hôpital Necker, fait pour la première fois usage de ce qu’il appelle le stéthoscope le 17 février 1816 exactement : au départ un simple rouleau qu’il perfectionne vite en un cylindre démontable de bois. Le stéthoscope moderne, avec membrane, tube souple et embouts viendra bien plus tard mais les bases sont posées et permettent une avancée médicale majeure dans le domaine respiratoire. « Par l’étude des bruits, il a notamment mis à jour les mécanismes de la tuberculose. »

En 1972, à Rennes, est créé le Centre commun d’études de télévision et de télécommunication (CCETT), à la croisée des chemins entre ORTF pour la télé et PTT pour les télécoms. Huit ans plus tard, Bernard Marti et son équipe mettent au point un premier terminal télématique, ancêtre d’Internet, qu’ils baptisent Minitel et expérimentent avec les journalistes français partis couvrir les JO de Moscou. « Pour qu’ils aient accès aux résultats, aux biographies des athlètes et aux règles sportives », expliquait l’ingénieur en chef Marti à Bikini en septembre 2011. Dans la foulée, les premiers boîtiers sont envoyés au grand public avec un système de gratuité qui fera beaucoup dans sa popularité. Il y en aura jusqu’à 6,5 millions en activité en France, avant sa disparition définitive en 2012 suite à l’arrêt du réseau X25 de Transpac, sur lequel la bécane s’appuyait pour faire circuler les informations. Fini donc le Minitel rose, 3615 Ulla et les recherches qui faisaient exploser la facture de téléphone de tes parents.

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novembre-décembre 2016 #29


JEAN-MARIE LE BRIS : LE PLANEUR

CLAUDE GARAMONT : LA POLICE “GARAMOND”

Né en 1817 à Concarneau, Jean-Marie Le Bris est toujours considéré comme un des pères de l’avion. « En réalité c’est plus l’ancêtre du planeur qu’il avait inventé, rectifie Thierry Le Roy, historien de l’aviation. Le problème, c’est qu’on n’a aucune preuve formelle que son engin a vraiment fonctionné. » Ce dont on est sûr, c’est que Le Bris, armateur de métier, se passionne pour l’étude des objets volants, à l’époque en plein bouillonnement. « Dans les années 1860, il va effectuer plusieurs essais avec un engin de son invention, une barque ailée. Le Bris était un marin et donc un spécialiste des objets à voiles. À ce titre, il s’est surtout intéressé au contrôle du vol, moins aux questions de propulsion et de portance. » Les rares schémas d’époque dont on a gardé trace laissent peu de place au doute : “L’Albatros” – comme Le Bris avait appelé sa barque volante – ne pouvait pas vraiment s’élever dans les airs. « Il y avait 300 kg à soulever sur chaque bras, c’était tout simplement trop lourd pour un pilote, en tout cas pas plus de quelques secondes. Mais en revanche le principe, la mécanique imaginée par Le Bris, tout était en place et c’est en ça qu’il est considéré comme l’un des pionniers. »

Dans la famille des anciens métiers, au côté des allumeurs de réverbères, des rémouleurs et des cochers, il y avait les tailleurs de caractères dans l’imprimerie et Claude Garamont en était un fameux. L’activité du Morlaisien d’origine qui a vécu au temps de François 1er ? Fabriquer poinçons et matrices pour les imprimeurs. Son jeu de lettres romaines resté sous le nom de Garamond (avec un D pour Garamondus, son pseudonyme) sert encore de référence aujourd’hui. Quelques décennies plus tôt, Jean Brito, natif de Pipriac en Ille-et-Vilaine et installé à Bruges, faisait lui aussi partie des pionniers de l’imprimerie. Il est surnommé le “Gutenberg breton”, en référence à celui qui est resté comme l’inventeur officiel des caractères métalliques mobiles en 1454.

CAMILLE PAPIN TISSOT : LA TSF

ALEXANDRE MASSÉ : LE BOUTON À QUATRE TROUS En 1872, après un hiver rigoureux où il voit tous ses proches choper la crève à force de galérer à maintenir leurs vêtements fermés, Alexandre Massé décide d’innover. Cet industriel quimpérois installé à Paris crée le bouton à quatre trous – plus résistant donc –, contre deux comme ils étaient tous produits jusqu’alors. Ne rigolez pas : cette invention, qu’il a exportée jusqu’en Amérique, l’a rendu richissime.

Originaire de Brest où il est né en 1870, Camille Papin Tissot (rien à voir avec JPP ni avec les montres suisses) est un pur produit de la marine. D’abord officier puis professeur à l’École navale de Brest où il a fait ses études, il s’intéresse rapidement à l’étude des oscillations électriques et à leur application dans le domaine maritime. Des recherches qui en sont alors à leurs balbutiements en cette fin du 19e siècle. C’est dans ce cadre qu’il établit, le 3 août 1898, la première liaison radio opérationnelle française en mer : 1 800 mètres entre un navire et un sémaphore. La TSF (transmission sans fil) française était née et, avec elle, allaient se développer les échanges entre stations radiotélégraphiques en morse, ce langage codé fait d’impulsions. Expliqué plus trivialement : de bip (pour les points) et de biiiip (pour les tirets). Pour info, SOS se dit « … - - - … ». On sait jamais ça peut servir. 49


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Marie Monteiro

RECOMMANDE

LYSISTRATA

JOURS ÉTRANGES

GUILLAUME MEURICE

PLUMES DE DINOSAURE

Le bon plan classique des Trans ? Les concerts gratos en aprèm à L’Étage avec une prog’ toujours chiadée. À ne pas louper, Lysistrata le samedi : du math-rock bien speed exécuté par trois gamins à peine majeurs. Même le nom est classe, inspiré d’une pièce antique d’Aristophane. Ça change des groupes en The.

Créée en 1990 par la chorégraphe Dominique Bagouet, cette pièce, aujourd’hui réinterprétée par Catherine Legrand, s’articule autour de cinq chansons des Doors, tirées du cultissime album Strange Days. Une bandeson parfaite pour évoquer les états et émois de l’adolescence. Let’s rock !

Pour la fachosphère, il est l’archétype du “journalope” : un chroniqueur France Inter qui se moque des fans de Morano ou des militants de La Manif pour tous rien qu’en les interrogeant innocemment. En dehors de la radio, Guillaume Meurice fait de la scène aussi. C’est évidemment recommandable.

Ce n’est désormais plus un mystère : la plupart des dinos étaient bien recouverts de plumes. Une révélation faite en 1996 après la découverte de nouveaux fossiles en Chine. Pour sa nouvelle expo, l’Espace des sciences présente quelques-uns de ces spécimens venus tout droit du Musée paléontologique du Liaoning. La classe.

À l’Espace des sciences à Rennes Jusqu’au 5 mars

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Ben Pi

Au Ponant à Pacé Le 26 novembre

Bikini

Au Triangle à Rennes Du 2 au 5 novembre

Ben Pi

Aux Trans à Rennes (L’Étage) Le 3 décembre

SAMBA DE LA MUERTE

EMPEREUR RENARD

FESTIVAL INVISIBLE

FEIZ NOZ MOC’H

Auteur en mars dernier de son premier album, Colors, le groupe caennais mené par Adrien Leprêtre (membre de Concrete Knives) fête l’arrivée de l’automne par une tournée qui l’emmène en BZH. L’occasion de découvrir en live sa délicate pop dont on ne samba pas (jeu de mot).

Aux Trans, on aime dénicher de l’exotique, du shoegaze togolais, de la cumbia lettonne ou du rap inuit. On n’en oublie pas pour autant la scène locale, dont les frangins Amiard, des Rennais qui ont bien révisé leur Ratatat. Le show du duo à la Green Room promet beaucoup.

Très bon concept que celui proposé par le festival brestois pour sa 11e édition : une première soirée “gentille”, orientée psyché pop (avec notamment Selector Dub Narcotic) et une seconde “méchante”, forcément plus bourrine, avec Père Ubu (photo), Jessica 93…

Vu cet été sous le chapiteau Gwernig aux Charrues, ce projet rassemble des musiciens bretons et gascons, portés par l’envie de revisiter le répertoire de ces deux territoires. Langues et instruments se mêlent pour une musique brute et rustique.

Le 3 novembre à Rennes, le 4 à Quessoy, le 17 à Brest

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Le 18 nov. à L’Échonova, le 24 au Novomax et le 3 déc. aux Trans

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À La Carène à Brest Les 18 et 19 novembre

Au festival Yaouank à Rennes Le 19 novembre




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