BIKINI AVRIL-MAI 2018

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AVRIL-MAI 2018 #36



TEASING

À découvrir dans ce numéro...

« JE CONSTRUIS L’AVION DE BARBIE » COCAÏNE ET OPIACÉS

SVINKELS BRUITS DE CHANTIER

MAI 68

«J’AI ASSISTÉ À UN CRASH AÉRIEN»

BEATBOX

PAYS BIGOUDEN

BON GAMIN VIN NATURE

«SEUL DANS UN BAR : UN RÊVE DE GOSSE»


ÉDITO

TÊTE D’AFFICHE : LA POLÉMIQUE Ça y est, le printemps est arrivé et, avec lui, cette période de l’année où les festivals de l’été dévoilent les uns après les autres leur programmation. Si Orelsan, Vald et Roméo Elvis sont bien partis pour truster les premières places des squatteurs de festoches cette année (belle victoire par K.O du rap francophone au passage), les trois gaziers pourraient se faire doubler par une invitée surprise : la polémique. Qu’elle soit justifiée, instrumentalisée ou bien complétement légitime, elle est venue ponctuer la récente actualité de nombreux rendez-vous : succession mouvementée à Art Rock à Saint-Brieuc, annulation de la tournée de Bertrand Cantat (qui maintient sa date à Mythos à Rennes mais raye toutes celles en festivals d’été, dont Fête du Bruit à Landerneau), appels au boycott et pétitions à l’encontre d’Orelsan, parité hommes-femmes toujours loin d’être atteinte dans les programmations, problème du harcèlement et des agressions sexuelles qui viennent pourrir la vie des festivalières… Au-delà du pur volet artistique, les événements sont aujourd’hui amenés à s’exprimer sur des questions loin de leur cœur de métier. Des débats et des confrontations de points de vue qu’il faut juger bienvenus. Comme l’a connu le football, les festivals représentent désormais un fait social qui élargit leur champ d’action. Les sujets propices aux polémiques y participent et permettent à chacun d’imaginer le festival qu’il souhaite voir exister et les valeurs qu’il défendra. De la musique oui, mais pas que. La rédaction

SOMMAIRE 6 à 11 WTF : festivals pour les kids, vins naturels, sampleurs du réel, parité dans les programmations... 12 à 23 « Aéroport de Rennes, deux minutes d’arrêt » 24 à 27 Sur les traces du tagueur cinéphile 28 à 31 Sur la plage abandonnée, cocaïne et opiacés 32 à 39 Les jours du grand soir 40 à 47 RDV : Svinkels, Rosaire, Tchaïd, Ichon, Saro... 48 & 49 L’âge d’or des discothèques bigoudènes 50 BIKINI recommande 4

avril-mai 2018 #36

Directeur de la publication : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Couverture : Gilles Bouquillon - Gamma-Rapho / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos lieux de diffusion, la CCI de Rennes, Michel Haloux, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - Espace Performance Bât C1-C2, 35769 Saint-Grégoire / Téléphone : 02 99 23 74 46 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2018.



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DANS QUEL FESTIVAL POUR LES KIDS ALLER ?

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LE COMPTE EST BON

NON, LA MUSIQUE POUR LES MIOCHES NE SE RÉSUME PAS À BIGFLO & OLI, LOUANE ET KIDS UNITED. LA PREUVE AVEC CES TROIS RENDEZ-VOUS QUI ALLIENT ÉVEIL CULTUREL ET EXIGENCE ARTISTIQUE.

Visions en été dans le 2-9, Treize au printemps à Rennes : Les Disques Anonymes organisent désormais deux festivals, histoire de multiplier les plaisirs. À l’affiche de la 2e édition du festival Treize : Bière Noire, Cult of Occult, Sister Iodine, Phèdre... Un programme noise music à apprécier entre oreilles adultes consentantes. Du 12 au 15 avril.

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ÇA PIQUE

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LA PETITE VAGUE Tête brûlée du hip-hop français depuis 20 ans, Grems vient de sortir son nouvel album Sans Titre #7. Un disque toujours en dehors des sentiers battus pour le papa de la deepkho, genre mélangeant rap et deep house. E-ffi-cace ! Le 7 avril au 1988 Live Club à Rennes.

CABINET DE CURIOSITÉS

sonik

C’est le rendez-vous des étrangetés musicales du Théâtre de Cornouaille. Pour sa 7e édition, le festival Sonik accueille notamment le spectacle Blind du sonneur Erwan Keravec, le ciné-concert jazz L’Heure suprême ou encore le mythique In C du compositeur minimaliste Terry Riley revisité par le collectif La Nòvia. Du 14 au 19 mai à Quimper. 6

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Ateliers musicaux, concerts, films d’animation et boom déguisée : c’est le programme bien coolos du rendez-vous jeunesse de La Nouvelle Vague. On retient le ciné-concert L’Écureuil coiffeur imaginé par Les Gordon, le spectacle hip-hop Boombap de Da Titcha et le concert-dessiné Chansons Dragon concocté notamment par Arnaud Le Gouëfflec, John Trap et Chapi Chapo. Quand et où ? Du 18 au 22 avril à La Nouvelle Vague à Saint-Malo

LA FÊTE

Une grande cour de recré. C’est la promesse de ce festival créatif et ludique imaginé par Le Triangle et l’Armada. Pour sa 8e édition, La Fête foisonne de propositions : le spectacle de danse Tetris d’Erik Kaiel où tout le monde s’emboîte (photo), le projet audio-visuel de science-fiction Allô Cosmos de Marc Blanchard et Fanny Paris, la boum de Nate & Jojo… Sans oublier les jeux de piste, les ateliers DIY… Quand et où ? Le 15 avril au Triangle à Rennes

YOUNG PHOENIX FEST

Pour sa seconde édition, le Young Phoenix Fest, le rendez-vous de La Carène à destination des 13-18 ans, promet le même esprit « fun et festif ». Tandis que Blutch (électro), Akatsukick (rap) et Sweet Monsters (rock) se succéderont sur la scène du club, le hall sera quant à lui investi par un paquet d’animations : danse hip-hop, atelier Polaroïd, sérigraphie sur t-shirts… Stylé. Quand et où ? Le 27 avril à La Carène à Brest



WTF

VINS NATURE (ET DÉCOUVERTES) DÉMARCHE VERTUEUSE, RESPECT DE L’ENVIRONNEMENT ET DES TERROIRS, PROMESSE DE LIMITER LE RISQUE DE MAL DE CRÂNE : LE VIN NATURE EST ACTUELLEMENT EN PLEINE BOURRE. QUELQU’UN A VU LE TIRE-BOUCH’ ? Rousselot du salon Des Baies dans la Baie : « C’est dans la lignée du succès des Biocoop et du retour aux produits fermiers conçus dans le respect de l’environnement. » Malgré tout, le vin nature reste encore très sent plus le goût du raisin que dans minoritaire (à peine 2 % du vignoble les vins conventionnels. Il respire français au dernier décompte). En le terroir, il est plus vivant, moins attendant d’être vendu en grande surstandardisé. Je dis souvent à mes face ? Pas pour tout de suite. « C’est clients que c’est comme réapprendre incompatible dans l’approche », le goût de la tomate avec des varié- estime Olivier Cochard. tés anciennes après avoir bouffé de l’industriel calibré. » Des Baies dans la Baie les 14 et 15 avril Une sorte d’anti-Baron de Lestac à Roz-sur-Couesnon, Vinicircus qui séduit un nombre grandissant du 27 au 29 avril à Guipel, Salon des de consommateurs, se réjouit Julien vins naturels les 28 et 29 avril à Groix DR

Le vin nature (ou naturel), c’est quoi ? Tentative de définition d’Olivier Guitton, du festival spécialisé Vinicircus : « Il faut la réunion de trois critères. 1/ Une culture de la vigne en bio ou biodynamie. 2/ Une vendange manuelle. 3/ Une vinification sans intrant chimique ou à des doses minimales (pas ou peu de souffre et de sulfite, levures indigènes). » Une démarche qui limite les risques de méchante gueule de bois (les intrants chimiques, c’est le mal) et redonne au vin son vrai goût, promet Olivier Cochard, caviste passionné à Histoires de Vins à Rennes : « On

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GALETTE COMPLÈTE

Parmi les récentes sorties d’albums : Now  & Here des Rennais de Santa Cruz (le 17 mai au Novomax à Quimper) ; Fire des Douarnenistes de The Red Goes Black (photo) (le 18 mai à Art Rock), Boombap du rappeur Da Titcha (les 15 avril à l’Échonova à Saint-Avé), Quercy-Pontoise des Ogres de Barback (le 13 avril aux Arcs à Quéven) ou encore Fire Inside des Vannetais de The Sunvizors (le 17 mai à l’Antipode à Rennes et le 1er juin aux Petites Folies à Lampaul-Plouarzel)… Miam miam ! .

DANCE MACHINE VOLUME 250 Drôle d’installation que celle de William Forsythe aux Champs Libres à Rennes. Dans Nowhere and everywhere at the same time, N°2, ce sont 250 pendules suspendus au plafond qui valsent et dessinent un ballet synchronisé. Contournant, évitant et épousant ces balancements, le visiteur s’invite alors dans la danse. Jusqu’au 6 mai. 8

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Vincent Bonnemazou

LES SAMPLEURS DU RÉEL

CAPTER LES SONS DE LA RUE OU DE LA NATURE POUR COMPOSER UN MORCEAU, C’EST POSSIBLE. LA PREUVE PAR TROIS. WOODEE Avec son projet Woodee, Erwan Dubois se définit comme un « musicien électronique de voyage ». Son kiff ? Enregistrer les bruits d’une ville et les transformer en musique. S’il est actuellement en Amérique du Sud où, pour chaque pays traversé, il produit un morceau, c’est par des captations à Rennes (métro, escalators…) que sa virée avait débuté. Bzzzzzzz ! Où ? À écouter sur sa page Facebook

MOLECULE Après son album 60° 43’ Nord enregistré sur un chalutier en pleine mer, le Cancalais d’origine Romain Delahaye, aka Molecule (photo), a mis le cap vers le Groenland pour composer -22,7 °C, sorti en ce début d’année. Au programme : vent qui siffle, glace qui craque… Brrrrrrrr ! Où ? Le 26 mai au festival Les 3 Éléphants à Laval

MISTRESS BOMB H Qui a dit que les bruits d’un chantier n’étaient pas mélodiques ? Pour son prochain disque I’m girl I’m proud, la Rennaise Mistress Bomb H a enregistré les sons de travaux de son quartier pour ses compos électro. Tac-Tac ! Bing-Bing ! Paf-Paf ! Où ? Vinyle dispo en juin 9


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FESTIVALS : À QUAND LA PARITÉ EN TÊTE D’AFFICHE ?

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LE ROI SOLEIL

Le brulant live de King Khan & The Shrines au Binic Folks Blues Festival l’été dernier n’est pas passé inaperçu : L’Échonova à Saint-Avé a la bonne idée de faire revenir l’IndoCanadien, désormais installé à Berlin (les frontières, c’est has-been), pour une date unique dans le coin, le 25 mai. Avis aux amateurs de rock soul psyché 70’s.

Marc Georgeault

BZZZZ BZZZZ

Connu pour ses pièces et ses installations monumentales, le sculpteur breton Marc Georgeault investit le centre d’art contemporain Les 3 CHA avec son projet INsect’ INside. Des bébêtes XXL en bois et métal pour une nouvelle perception de notre place dans la nature. Du 7 avril au 16 juin à Châteaugiron.

BOOM BOOM DANS LES OREILLES

made

Le dernier-né des festivals électro bretons est désormais bien installé au calendrier, avec pour sa troisième édition une solide programmation de valeurs sûres (Jeff Mills, Daniel Avery, The Driver, Derrick May...), mais aussi tout un tas de rendezvous en centre-ville : happenings, DJ set... Du 17 au 20 mai à Rennes. 10

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On dit souvent du monde politique qu’il est un parangon de machisme. S’il est vrai que les femmes y restent encore minoritaires, que ce soit à l’Assemblée (38,7 %) ou au Sénat (29 %), la tendance va dans le bon sens et pourrait inspirer une autre sphère a priori bien différente mais qui a elle aussi des efforts à fournir en la matière : celle de la musique et des festivals. « C’est un sujet en débat depuis quelques temps et nous y sommes très sensibles, assure Chloé Berthou-Lis, du Bout du Monde, dont la part des femmes dans la programmation oscille entre 18 et 25 % selon les années (en prenant en compte le ou la leader – en général au chant – pour les groupes). On aimerait atteindre 30 % dans un premier temps et augmenter ce chiffre au fur et à mesure. Le problème c’est qu’il y a plus d’hommes dans les propositions artistiques qu’on nous fait. C’est un cercle vicieux à basculer en vertueux : plus on s’intéressera aux femmes, plus les bookeurs en proposeront et plus il sera facile de les faire tourner. » Un point de vue partagé par Jeanne Rucet, des Vieilles Charrues, qui vante le line-up 2018 féminin de Carhaix (« Cœur de Pirate, Jain, Véronique Sanson, Angèle, Rebeka Warrior… J’ai pas l’impression qu’elles soient si minoritaires, même si on peut toujours faire mieux »). À la scruter de plus près, la prog n’affiche pourtant que 22 % d’artistes féminines…

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SI LES PROGRAMMATIONS RESTENT ENCORE LARGEMENT INÉGALITAIRES AU NIVEAU DE LA RÉPARTITION HOMMES-FEMMES, DES INITIATIVES VOIENT LE JOUR POUR ŒUVRER VERS UN RÉÉQUILIBRAGE. GIRL POWER, YES WE CAN.

Joran Le Corre, à Panoramas, souligne de son côté la féminisation en cours dans le milieu de l’électro : « Nina Kraviz, Amelie Lens, Ann Clue, Charlotte de Witte, Lena Willikens, Miss K8… Les filles représentent un quart de notre prog’ : on est sur la bonne voie même si ce n’est pas encore assez. Imposer des quotas ? Je ne suis pas forcément pour mais ce n’est pas complètement stupide non plus. S’il faut passer par là, alors pourquoi pas. » À l’initiative du mouvement Key Change, 45 festivals internationaux (dont le Midem en France) se sont engagés à une parité à l’horizon 2022. Un cap dès cette année dans l’objectif du Printemps de Bourges qui a décidé de mettre les femmes à l’honneur pour son édition 2018 (avec notamment une soirée d’ouverture 0 % mecs). « Ces initiatives doivent nous inspirer et ne doivent pas être un one shot sans lendemain », prévient Joran Le Corre. R.D



DOSSIER

« DEUX MINUTES D’ARRÊT... » ALORS QUE LE PROJET DE NOTRE-DAME-DES-LANDES A ÉTÉ ENTERRÉ EN CE DÉBUT D’ANNÉE, QUEL AVENIR DÉSORMAIS POUR LES AÉROPORTS BRETONS ? TCHOU-TCHOUUU ! 12

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Strot


DOSSIER

AÉROPORT DE RENNES : Y A-T-IL UN PILOTE DANS L’AVION ? L’ABANDON DE NOTRE-DAME-DES-LANDES AVAIT-IL ÉTÉ ANTICIPÉ ? Le 17 janvier dernier, le couperet est enfin tombé : la construction d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-desLandes (NDDL) ne se fera pas. Après plusieurs années de tergiversations et de débats enflammés, le Premier ministre mettait ainsi fin à un feuilleton initié en 1963, relancé en 2000 et qui depuis l’installation des premiers zadistes en 2009 avait pris un sérieux coup dans l’aile. Une décision qui – étonnamment – semble avoir surpris les élus locaux tant ils ont donné le sentiment de tomber de leur chaise à l’annonce d’Édouard Philippe. « Il n’y avait pas de plan B de notre part, avoue

sans sourciller Gérard Lahellec, vice-président de la Région Bretagne en charge des transports. Et ce, pour une raison toute simple : dès l’instant où la déclaration d’utilité publique de réalisation de NDDL a été prononcée en 2008, nous nous sommes positionnés par rapport à ce projet. Partant de là, nous avons travaillé en ce sens et nous n’avions pas de raison de faire autrement… Mais si on avait su le résultat final, la nature de nos discussions aurait été différente. Notamment sur la LGV où nous avons consenti certaines choses, en prévision du futur aéroport. »

UN MANQUE D’AMBITION ? Cette décision change-t-elle la donne quant au développement de l’aéroport de Rennes ? Pour le vice-président de la Région Bretagne (propriétaire de l’aéroport de Rennes, ainsi que de ceux de Brest, Quimper et Dinard), « l’abandon de NDDL ne modifie pas grand chose pour les aéroports bretons. Celui de Rennes ne se substituera jamais à la vocation qu’aurait dû avoir NDDL. Il va continuer son développement, indépendamment de cet épisode ». Un discours jugé petit bras par certains observateurs. C’est le cas de l’ADARB (Association pour le développement de l’aéroport de Rennes Bretagne) qui voit dans le crash de NDDL une 14

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formidable occasion d’adopter une stratégie plus ambitieuse. « L’aéroport de Rennes est sous-exploité : 725 000 passagers pour une zone de chalandise directe de 1,3 million d’habitants, ce qui est faible comparé aux aéroports de Brest et Nantes, expose Hervé Cavalan, président de l’ADARB. Il faut qu’on prenne notre place par rapport à Nantes-Atlantique qui est le principal concurrent. Surtout lorsque l’on sait qu’énormément de Brétiliens y vont pour prendre l’avion, faute d’offres à Rennes. Il faudrait également plus de rotations vers les hubs européens : c’est tout de même plus simple de tout faire à partir de l’aéroport de Rennes plutôt que de

PAS ASSEZ DE LIGNES ? Sur la saison printemps-été 2018, 28 destinations sont desservies en vol direct. Trop peu pour l’ADARB qui milite pour l’ouverture de cinq lignes nouvelles par an. « Un objectif que dépasse Nantes. Alors pourquoi pas Rennes, quitte à subventionner quelques lignes. » Un discours que ne partage pas Gérard Lahellec. « Faire venir des compagnies oui, mais pas à n’importe quel prix. Nous ne sommes pas dans cette facilité apparente qui consiste à donner de l’argent public à une compagnie qui, dès qu’il n’y aura plus de subventions, partira. » Parmi les dernières arrivées remarquées cependant, Easy Jet qui vient d’ouvrir un vol vers Lyon (en attendant une très probable ligne vers Genève). devoir prendre le train pour Paris, et ce malgré la LGV. » Face à ces arguments, Gérard Lahellec tient tout de même à rappeler que « Rennes est l’aéroport qui se développe le plus en France (+ 13 % de trafic en 2017, ndlr). Nous visons le million de passagers pour 2020 et les 2 millions pour 2030. Nous sommes dans une logique conquérante mais il faut rester réaliste et prudent ». Pour Gilles Tellier, directeur de l’aéroport de Rennes, l’abandon de NDDL risque cependant de booster un peu les choses. « D’ordinaire, une ligne met environ trois ans pour s’ouvrir, mais là ça va sans doute s’accélérer un peu. »


FAUT-IL L’AGRANDIR ? Gérard Lahellec l’assure : « L’aéroport de Rennes aura besoin d’investissements nouveaux : une aérogare mieux calibrée en prévision de la hausse du trafic et des resurfaçages de pistes. » Quid de l’allongement de la piste ? « Elle n’est pas forcément nécessaire dans l’immédiat, estime l’ADARB. Prenons l’exemple de l’aéroport de Bristol : sa piste est plus courte qu’à Rennes et cela ne l’empêche pas de traiter 7 millions de passagers par an. Cependant, on peut anticiper les évolutions technologiques : en passant des actuels 2 100 mètres à 2 500 mètres de piste, l’aéroport pourra faire atterrir de nouveaux types de machines. Je pense notamment à l’A321-LR, un avion à long rayon d’action, à capacité moyenne (230 places), qui peut faire du longcourrier. »

QUEL AÉROPORT DANS LE FUTUR ? « Du long-courrier à Rennes ? C’est une question de marché. Personnellement, je n’y crois pas trop... », juge Gérard Lahellec. À la question, comment imaginez-vous l’aéroport de Rennes dans 10, 15 ou 20 ans, le vice-président du conseil régional se montre en revanche plus enthousiaste. « L’aéroport de Rennes a des atouts colossaux pour le développement du point à point (aller d’une ville A à une ville B, sans passer par un hub tel que Paris-CDG, ndlr), je le vois d’ailleurs comme une future référence nationale. Pourquoi ? Car il a cette particularité d’être “presque” un aéroport de centre-ville. Voilà pourquoi il faudra mieux l’y connecter et développer l’intermodalité. » Avion, train, bus, métro : tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ! J.M 15


DOSSIER

« IL Y AVAIT DES AVIATEURS QUASIMENT DANS DR

Thierry Le Roy, historien, auteur de l’ouvrage Les Bretons et l’aéronautique.

La Première Guerre mondiale va par la suite changer la vision de l’aviation… En 1918, l’avion est perçu comme un outil de guerre. Pendant une dizaine d’années, les gens s’y intéressent Le premier aérodrome de Bretagne : donc peu. Mais avec la traversée de c’était quand et où ? Lindbergh en 1927, on commence à À Larmor-Baden, dans le Morbi- réfléchir à la relance d’une activité han, autour de 1908-1909. À cette aérienne. Des villes reprennent l’idée époque, l’idée est de créer des ter- de faire de l’aviation de tourisme. rains d’aviation pour faire venir les C’est notamment le cas à La Baule, sportifs et touristes parisiens. On Plouescat, Saint-Michel-en-Grève... imagine alors qu’ils viendraient dans On voit pousser des aérodromes de la région avec leur aéroplane… Mais plage, très faciles à mettre en place, il ça n’a pas été le cas. suffit de construire un simple hangar sur le côté. Pourquoi ? Jusqu’au début des années 1910, On voit aussi pousser des aéroles gens ne savent pas vraiment dromes dans les terres... naviguer. Ils ont peur de se perdre Des terrains, le plus souvent de et s’éloignent donc peu. Quand il y simples champs dont on abat les a des fêtes d’aviation par exemple, talus, sont investis par les aéroclubs. les avions arrivent souvent en train, La Bretagne n’est pas à la traîne. transportés dans des caisses, avant En 1939 dans la région, on recense d’être montés sur place. Et puis les une quinzaine d’aérodromes et près engins sont encore peu fiables sur le de 3 500 pilotes brevetés. Les aviaplan technique. On dénombre juste teurs n’étaient pas une denrée rare, quelques pilotes professionnels qui il y en avait quasiment dans chaque voyagent avec leur machine. patelin.

VERS OÙ DÉCOLLER ? RÉCAP’ DES VOLS POUR LA SAISON PRINTEMPS-ÉTÉ 2018 (HORS TOUR-OPÉRATEURS). 16

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Des aérodromes qui, en grande partie, existent toujours aujourd’hui… Tous ont été repris par l’aviation allemande durant la Seconde Guerre. En 1945, on se retrouve donc avec des superbes aérodromes, bitumés, bétonnés, avec de grands hangars, équipés de parkings et de balisage lumineux. La question se pose alors : les détruit-on sous prétexte que c’est allemand ou les

RENNES

DINARD

Lignes directes nationales : Paris-CDG, Lyon, Marseille, Strasbourg, Toulouse, Nice, Bastia, Ajaccio, Figari, Bordeaux Lignes directes internationales : Amsterdam, Londres Southend, Londres City, Southampton, Exeter, Manchester, Dublin, Cork, Barcelone, Madrid, Malaga, Palma de Majorque, Corfou, Fuerteventura, Palerme

Lignes directes internationales : Londres Stansted, East Midlands, Guernesey

BREST Lignes directes nationales : Paris-CDG, Paris-Orly, Bordeaux, Caen, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Toulon, Toulouse, Ajaccio, Bastia, Figari, Ouessant Lignes directes internationales : Barcelone, Héraklion,

Agadir, Marrakech, Birmingham, Southampton

QUIMPER Lignes directes nationales : Paris-Orly, Figari, Nice Ligne directe internationale : Londres City

LORIENT Ligne directe nationale : Paris-Orly Ligne directe internationale : Porto


Photos : DR

CHAQUE PATELIN »

garde-t-on ? On a opté pour cette dernière option. Et les aéroports dans tout ça ? Pour parler d’aéroport, il faut qu’il y ait une ligne commerciale. La première dans la région, c’est en 1939 à La Baule-Escoublac où, pendant l’été, Air France monte une ligne reliant Paris. Pour Rennes, Brest et Quimper, il faut attendre le début des années 60 pour que des lignes commerciales s’installent durablement. Un outil qui va ensuite se développer, encouragé par les élus et les chambres de commerce qui y voient un moyen de désenclaver la région et de dynamiser l’économie. Si dans les années 1930 on imaginait l’aviation se déployer sur le modèle de l’automobile où les gens se déplaceraient avec leur aéroplane privé, c’est finalement sur le modèle du train que l’avion va se développer, jusqu’à atteindre le trafic que l’on connaît aujourd’hui. Recueilli par Julien Marchand 17


DOSSIER

TUTO : CONSTRUIRE SON PROPRE AVION

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En gros ça se résume à un fuselage, deux ailes, les empennages – la queue de l’appareil – et le moteur, ce qu’il y a de plus cher. » Sauf pour lui qui a opté pour un moteur de… Citroën AX. « Racheté 150 euros sur Le Bon Coin, il a l’avantage d’être très léger pour un moteur diesel. » Les autres se sont acquittés d’un moteur d’avion spécialement conçu : un 15cv pour la Souricette de Gérard, un 80cv pour le Chouchenn de Louis (105 km / h de pointe pour le premier, un bon 220 pour le second). « Le reste, c’est juste du bricolage, jure Gérard. Le fuselage et les ailes sont conçus en contreplaqué, maintenu par des tasseaux de bois. Zéro vis, tout se fait à la résine époxy – qu’on appelle aussi colle marine. » Ces 2/ ALLER À CASTO (ET À LA CASSE AUTO) fournitures se retrouvent sur tous « Un avion, c’est plus simple qu’une les engins, même si Louis a préféré mobylette, assure Jean-Jacques. doter le sien d’ailes en carbone. « Construire un avion, c’est comme faire du modélisme, mais à l’échelle 1, pose le Brestois Louis Noblet, parti d’une feuille blanche pour se lancer dans l’aventure en inventant son biplace, baptisé “Chouchenn”. J’en ai noirci des carnets au crayon papier, en calculant toutes les cotes moi-même… Mais je suis un bricoleur fou dans l’âme, c’est pas la norme. » En effet, la règle veut qu’on suive un modèle en achetant des plans préexistants. Pour Gérard Develle, de Bruz, c’est le modèle Souricette, à 150 euros le manuel. Pour Jean-Jacques Ballot, autre Brestois, c’est le Gaz’Aile, moitié plus cher pour disposer de plus de 4 000 photos et plans. Ceux qui galèrent déjà à monter une armoire Ikea, laissez tomber.

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1/ CHOPER UN PLAN (OU PAS)

3/ AVOIR DU TEMPS (BEAUCOUP) Ancien ébéniste de profession, Gérard reconnaît que ça aide d’être habile de ses dix doigts, même si la tâche n’est pas insurmontable. « Je connais un gars qui s’est lancé sans jamais s’être servi d’un tournevis ou d’un marteau auparavant. Il suffit de se montrer patient. » Le nerf de la guerre d’un tel défi, reconnaissent nos trois bricoleurs. « Ah faut aimer se faire chier la vie (sic), confesse Louis.

« JE FABRIQUE L’AVION DE BARBIE GRANDEUR NATURE »

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sur Le Bon Coin. « Il m’est alors resté dans le garage un cockpit, jusqu’à ce que me vienne une idée géniale : et si je l’aménageais en jouet grandeur nature ? » Ses proches le prennent pour un fou mais lui est persuadé de la pertinence de son projet : retaper la cabine pour en faire… un avion Barbie. « J’ai déjà tout prévu : l’ouverture en plexiglas, une dinette avec un four deux plaques, un vieux guidon de moto pour le manche, des

roues de tracteur-tondeuse pour le train d’atterrissage… J’en ai pour une bonne centaine d’heures de travail. » Et pourquoi ? « Je vais le proposer à Mattel comme

objet de déco en magasin. Et en plan B, j’espère trouver des parents acheteurs, pour leur môme fan de Barbie et Ken. » Il a déjà son prix : « 10 000 euros, pas moins. »

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Didier Le Vourc’h est un doux dingue. Après vingt ans d’administration, cet habitant de Plouvara dans les Côtes d’Armor a décidé de changer de vie en tentant de la gagner avec sa passion : le bricolage. « Tu me donnes un canoë, j’en fais une étagère ; un gros aspirateur ça peut faire R2D2 ; avec des ailes d’avion je construis des bureaux. » Des ailes qu’il achète l’an dernier avec l’ensemble d’une épave d’avion pour 1 000 euros


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Tu n’imagines pas le temps qu’il faut. D’ailleurs j’ai arrêté de compter. » Ce n’est pas le cas de Gérard, qui estime y avoir passé « 1 500 heures, en neuf ans de 1998 à 2007 », ni de Jean-Jacques, « 3 000 heures à en chier pendant 3 ans et demi, au rythme de 3 heures par jour. C’est si énergivore qu’on estime à seulement 10 % le nombre de finishers parmi ceux qui se sont procurés des plans ».

4/ CONNAÎTRE LA LOI (ET KIFFER) Dernière étape : la phase de test et d’homologation, via l’obtention d’un certificat de navigabilité et une déclaration d’aptitude au vol à obtenir auprès de l’OSAC (Organisme pour la sécurité de l’aviation civile). « C’est comme un contrôle technique à passer tous les deux ans, pas tellement plus fastidieux », explique Gérard, dont l’appareil est le champion dans la catégorie petit budget : 6 000 euros au total en construction et équipement avionique de base (transpondeur, radio…). « L’entretien ? 90 euros par an pour changer deux bougies, le filtre à essence et deux joints. La consommation ? Celle d’une voiture, pas plus. » Régis Delanoë 19


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Se mettre en bout de piste et lever le pouce en espérant que le pilote s’arrête, c’est jouable ? Souhaitant tester l’avion-stop et voyager comme Nans et Mouts dans Nus et culottés, on s’est donc pointé un matin à l’aéroport de Rennes avec, dans notre sac à dos, une pièce d’identité, un caleçon de rechange et une brosse à dents (sait-on jamais, au cas où ça marche...). Parmi les vols programmés ce jour : Amsterdam, Londres, Toulouse, Barcelone… « Bonjour, ce serait possible de monter gratuitement dans un avion où il y aurait une place de libre ? » À cette question toute simple, l’hôtesse d’accueil, d’abord surprise, répondra après quelques secondes de réflexion : « Pour monter dans un avion, il vous faut un billet. Et, sans accord de la compagnie, je ne peux pas vous en fournir un… » On tente alors notre chance directement au comptoir d’enregistrement du vol HOP! pour Nice. « Non, impossible. Question de sécurité, d’assurances… Tentez à l’aéroclub. Peut-être qu’un pilote privé acceptera… » Sur cette piste annexe au sud de l’aérogare, un petit engin semble paré au décollage. Allez, il est pour nous celui-là ! Un enthousiasme vite douché par Jean-Marc Beaucamp, vice-président de l’aéroclub, qui tient la permanence ce jour. « Faire monter quelqu’un dans un avion est plus compliqué que ça en a l’air, annoncet-il d’emblée. Pour un pilote qui louerait un appareil de l’aéroclub, les seuls passagers autorisés sont la famille et les proches. Il y a une exception pour les baptêmes de l’air mais le vol est limité à 30 minutes, le tout dans un rayon de 40 kilomètres.

Photos : Bikini

ON A TENTÉ L’AVION-STOP

Et bien sûr, c’est payant. Mais ce n’est pas ce qui vous intéresse ? » Pas trop non. « Dans ce cas, il faut que vous trouviez un pilote propriétaire de sa machine. Là, libre à lui de vous faire monter, c’est sa propre responsabilité. »

BlaBlaCar aérien Même topo à l’aéroclub de Dinard où on a débarqué le lendemain matin, après avoir tenté notre chance à l’aéroport pour un vol à destination de Londres (« On va pas commencer à transporter les gens gratuitement », nous a-t-on gentiment fait savoir au guichet Ryanair). « L’été dernier, un jeune couple d’étudiants était venu nous voir pour savoir si on pratiquait l’avion-stop. On n’avait pas donné suite. Notre aéroclub, qui est une association, n’est pas assuré pour, indique Jean-Claude Ploux, le vice-

président. Quant au coavionnage, notre règlement ne nous le permet pas. » Le coavionnage ? Un mode de transport où les frais de vol sont divisés entre le pilote et les passagers à parts égales. Une pratique vouée à se développer : l’an passé, la fédération française d’aéronautique s’est associée avec la plateforme en ligne Wingly, sorte de BlaBlaCar aérien. Un site qu’utilise le Finistérien Bruno Jankowski, membre de l’aéroclub de Quimper, habitué à louer les avions de l’école de pilotage de Brest. « Avec une heure de vol facturée entre 120 et 200 €, cela permet de voler à moindre coût, même si ce n’est pas la motivation première. La preuve : depuis septembre, je ne l’ai fait que quatre fois ! Le coavionnage, ce n’est pas un Uber du ciel, on est davantage dans l’esprit d’un baptême. » J.M


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MONT AIR PARK : LE LOTISSEMENT DES PILOTES

À première vue c’est un lotissement classique, excepté trois choses : 1/ la proximité immédiate avec un aérodrome, 2/ la taille anormalement grosse des “garages” et 3/ les voitures et avions qui peuvent se croiser sur une route menant directement à la piste. Bienvenue à Mont Air Park à Monterblanc, près de Vannes, seul quartier de Bretagne – dix en France tout au plus – où les pilotes amateurs peuvent stationner leur avion chez eux et décoller quasi en pantoufles. « Ah ah, niveau sécurité c’est moyen mais techniquement oui c’est possible, reconnaît Yves Pranal, l’un des résidents (photo). En tous cas, tous les jours, comme on en a envie. » Un lotissement où les gens sortent plus souvent leur avion que leur voiture. « Et ce n’est pas un truc de gros riches mais de passionnés, coupe son voisin Alain Racoupeau. Certains avions coûtent à peine le prix d’une moto et les maisons ne sont pas luxueuses. » Le quartier a vu le jour en 2000 à l’initiative d’un ancien pilote, avec au cahier des charges une seule contrainte : chaque maison doit posséder son hangar à avion. Moins de vingt résidents vivent ici à l’année, loin des standards américains, pays de référence des airpark. « Là-bas c’est très populaire. Un exemple connu : John Travolta. Il s’était acheté un Boeing 707 qu’il stationnait chez lui. Il l’a vendu depuis. Un Boeing 707 quand même… » 21


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LE COCKPIT EST VIDE, QUE FAIRE ?

Imaginez-vous tranquillement installé à bord d’un avion de ligne, en plein ciel à près de 30 000 pieds d’altitude. Quand soudain, un steward vous informe que les pilotes ont mystérieusement disparu et qu’il n’y a plus personne aux commandes de l’appareil. Les bouuuuuules. Pour faire face à un tel scénario catastrophe, on a été tester le simulateur de vol de chez AviaSim, une entreprise située au Rheu près de Rennes, qui propose de prendre les manettes d’un Airbus A320. Nous voilà donc au sein du cockpit (« une

mière chose à checker : le pilotage automatique qui, théoriquement, peut même assurer l’atterrissage en cas de conditions de vol optimales. Cette fonction se situe sous le parebrise, dans un bandeau comportant divers interrupteurs. Parmi les plus importants, les boutons AP pour activer le pilote automatique, le bouton ATHR (qui va gérer la manette des gaz), la première molette à gauche pour ajuster la vitesse et la troisième pour régler l’altitude. Si jamais vous devez passer en réplique exacte », assure Patricia manuel, prenez alors le joystick Langlais, la responsable), manette sur votre gauche pour prendre les de gaz dans la main droite et joystick commandes. Gauche, droite, avant, de vol dans la main gauche. arrière : étonnement, cet engin de « Dans un cas pareil qui je vous 42 tonnes se manœuvre plutôt aiséassure n’arrive JAMAIS, insiste Oli- ment. « L’important, c’est d’avoir vier, le pilote instructeur d’AviaSim, un pilotage léger, par petits à-coups, la première chose à faire serait d’éta- conseille Olivier. Maintenant, fiezblir un contact radio avec quelqu’un vous à l’écran tout à gauche où s’afau sol. Il pourrait éventuellement fiche l’horizon artificiel (utile lorsque vous dire quoi faire... » Si le cock- vous êtes au-dessus des nuages, ndlr). pit regorge de boutons, quelques La seule chose qui vous reste à faire commandes de base peuvent vous dans ce possible cas de figure, c’est permettre de conserver votre vitesse d’essayer de garder les ailes droites de croisière et d’éviter le crash. Pre- et ne pas perdre d’altitude. » J.M

« J’AI ASSISTÉ À UN CRASH » Le 30 juillet 1998, une collision aérienne dans le ciel de Quiberon faisait 15 morts. Le journaliste Julien Beaumont était aux premières loges. « J’étais correspondant au Télégramme à l’époque et j’avais moi-même embarqué dans un avion privé pour prendre des photos aériennes du Norway, ex-paquebot 22

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France. D’emblée, mon pilote fait la remarque “dis-donc, y a du monde aujourd’hui”, je le sentais soucieux. Une bonne dizaine de petits appareils tournoyaient en l’air. Dans ce cas, la règle est de tourner dans le sens des aiguilles d’une montre à altitude différente. Un quart d’heure se passe et mon pilote me dit “tiens,

un gros arrive”. C’était un Proteus commercial, dont on saura plus tard qu’il faisait la liaison entre Lyon et Lorient avec 14 personnes à bord. A priori le pilote a voulu faire plaisir aux passagers en se détournant pour admirer le bateau. Se croyant certainement prioritaire, il n’a pas respecté la consigne et est arrivé plein face sur un Cessna avec

un seul pilote à bord. “Crash devant nous !”, m’a prévenu le pilote avant de vite rentrer à l’aérodrome. J’ai eu le temps de voir les débris tomber en mer. Je garde en mémoire cette violence, 15 morts en un instant. Trois ans plus tard, un nonlieu sera prononcé, l’enquête concluant que seuls les pilotes des deux appareils étaient responsables de cette collision. »



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C’EST L’UN DES MYSTÈRES LES PLUS FASCINANTS DE DOUARNENEZ. DES MILLIERS DE TITRES DE FILMS TAGUÉS DANS LA VILLE… MAIS QUI SE CACHE DONC DERRIÈRE CES INSCRIPTIONS OBSESSIONNELLES ? ON A REMONTÉ LA PISTE. TCHI-TCHAAAAA ! première vue, on ne les remarque pas vraiment. Pourtant, ils sont là. Un peu, beaucoup, partout. Nichés dans les interstices, angles morts et espaces vacants du paysage urbain. Blade Runner, Le Péril Jeune, Polisse, Les Goonies, Snatch, Les Tontons flingueurs, Plus belle la vie, Transformers… Des milliers de titres de films et de séries inscrits au marqueur sur les poubelles, bornes incendie, panneaux, gouttières… 24

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À Douarnenez, dans le Finistère, cela fait plusieurs années que ces étranges tatouages en lettres capitales fleurissent sans que personne ne connaisse ni leur auteur ni les raisons de son obsession cinématographique. Une drôle d’affaire qui, fin décembre, a connu un rebondissement avec l’interpellation du tagueur présumé : un homme de 44 ans, domicilié à Tréboul, une commune (aujourd’hui rattachée à Douarnenez) qui jouxte la cité balnéaire.

Cinéphile acharné ? Ancien gérant de vidéo-club ? Abonné Netflix ? À Douarn’, l’identité de ce graffitiste WTF interroge depuis longtemps et continue à nourrir les discussions. « Beaucoup de gens croyaient qu’on était derrière ces inscriptions, alors que non, pas du tout, jure Virginie Pouchard du Festival de cinéma de Douarnenez, chez qui on a naturellement été toquer pour la première étape de notre enquête. Personnellement, j’ai toujours trouvé ça cool.


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J’ai déjà fait plusieurs fois le tour de la ville avec mon appareil pour prendre des photos. C’est un peu comme un jeu de piste. Si j’ai déjà vu l’auteur ? Non jamais. Mais je me dis qu’il doit avoir une bonne culture ciné. Entre deux succès grand public, on trouve en effet quelques films plus pointus. Je pense notamment à Oublier Cheyenne (sorti en 2005 essentiellement dans les cinémas d’art et d’essai, ndlr). Pour ressortir ce titre, faut y aller quand même… »

Un code secret Si le centre-ville de Douarnenez présente un certain nombre d’inscriptions, c’est surtout à Tréboul qu’elles foisonnent. Au Café de l’Yser, bar PMU situé sur la place du marché, le tagueur cinéphile fait débat entre ceux qui comparent ces inscriptions « à un champignon à éradiquer » et ceux que cela amuse. « Moi je l’ai croisé une fois, indique Michel, accoudé au comptoir avec son verre de blanc. C’était un matin de bonne heure. Je l’ai pas bien vu mais c’était un grand maig’, en train d’écrire 25


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sur un panneau. » C’est aussi le cas de Marie, la patronne du bistrot. « Moi j’aime bien ces inscriptions. Je ne sais pas pourquoi il fait ça, mais ce n’est pas méchant. C’est sa façon de s’exprimer. Si je sais qui c’est ? Oui… Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il habite à Kermabon. » Dans ce quartier sur les hauteurs de Tréboul, pas un poteau ni un container sans le moindre marquage. Pas de doute, nous sommes bien dans le centre névralgique du phénomène tant les titres de films tapissent chaque centimètre carré du mobilier urbain. Plutôt dingo. Encore plus dingo : ces énigmatiques flèches et chiffres accolés à certaines œuvres tel un code secret : 12 " Le Pont de la rivière Kwaï ; 10 # Tatie Danielle ; 8 ! Bridget Jones… « J’ai essayé de les comprendre et de les déchiffrer, mais sans succès…, confesse Damien qui habite à Kermabon depuis trois ans. Le seul que j’ai réussi à décrypter, c’est le film Le Trou Normand avec une flèche vers la maison de mon ancien voisin, monsieur Breton. Je

nenez. « Ce n’est pas parce qu’on est fan de cinéma qu’on a le droit de mettre des titres partout. Cela dégrade des biens publics. La communauté de communes estime le préjudice à 85 000 euros et a donc porté plainte. Elle a naturellement « Ni DVD ni cassette vidéo » le soutien de la mairie. » Si le tagueur cinéphile reçoit la « Douarnenez étant un ville de sympathie de nombreux riverains cinéma, la municipalité aurait eu rencontrés lors de notre porte-à- tout intérêt à valoriser d’une façon ou porte (on espérait tomber sur lui, d’une autre ces inscriptions, estime malheureusement en vain), il ne quant à lui Damien. Surtout que le fait en revanche pas trop marrer résultat est plutôt beau. Une poubelle François Cadic, le maire de Douar- c’est moche à la base. Là, non. » sais pas s’il y a vraiment un lien, mais c’est le seul que je vois. » Plus simple à décoder : les films Speed et Taxi inscrits sur l’abribus, ou encore Seul au monde près de l’embarcadère pour l’île Tristan.

« UN TRAVAIL SAUVAGE, PROCHE DE L’ART BRUT » DR

Bruno Montpied, auteur, spécialiste d’art brut et des arts spontanés Comment avez-vous découvert ce graffitiste ? J’étais de passage l’été dernier à Douarnenez. Je flânais avec un ami dans les rues jusqu’à ce qu’il remarque ces drôles d’inscriptions sur un panneau. Au début, on n’y prête 26

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pas forcément attention mais quand on commence à les chercher, on en voit alors partout, dans des endroits marginaux, à la fois visibles et invisibles. C’est assez fascinant. Est-ce selon vous une démarche artistique ? C’est un travail sauvage, pas un travail d’artiste au sens classique. Nous sommes aussi très

loin du street-art : il n’y a ni code ni référence ni signature. L’auteur ne doit même pas se considérer comme un artiste. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une démarche intellectualisée de sa part. En ce sens, nous sommes très proches de l’art brut. Il s’exprime d’abord pour lui et ne cherche pas à rendre intelligible son message.

Existe-t-il ailleurs des cas similaires ? Cet art brut des inscriptions me fait penser à Alain Rault, un SDF désocialisé de Rouen qui écrit et grave des noms de personnes célèbres sur les murs, sur les portes... Le résultat ressemble un peu à celui de Douarnenez : les inscriptions sont foisonnantes, ça se superpose par moments, ce qui rend le tout abstrait.


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Si ces inscriptions présentent toutes les caractéristiques de l’art brut (lire par ailleurs), François Cadic ne partage pas le même enthousiasme. « Certaines personnes y voient un intérêt artistique, libre à elles. Mais c’est davantage un problème psychologique qui explique les agissements de cet individu. Les services sociaux ont découvert quelqu’un en situation de misère sociale qu’il faut aujourd’hui protéger et aider. Pour la plainte, ce sera au juge de trancher, mais dans tous les cas, il est insolvable, expose le maire qui précise que l’homme n’a pas expliqué ses motivations. D’autant plus qu’il n’a pas les moyens d’aller au cinéma et que, chez lui, on n’a retrouvé ni DVD ni cassette vidéo… » « Vu les films recensés, je pense qu’il s’agit d’un homme qui regarde le cinéma à la télévision, avance de son côté Bruno Montpied, spécialiste d’art brut qui a étudié cette affaire. Ce qui est marrant c’est qu’à Douarnenez chacun essaie de décrypter sa démarche. Mais je ne sais pas s’il faut vraiment essayer de l’expliquer. Lui seul par exemple sait ce que signifient les flèches et les chiffres associés aux films. À supposer que cela ait bien sûr un sens. Qui vous dit qu’il y en a vraiment un ? » Julien Marchand 27


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QUAND LES HABITANTS D’UNE ÎLE BRETONNE SE METTENT À DEALER DE LA DROGUE ÉCHOUÉE SUR LE RIVAGE : C’EST LE PITCH DE « HOLLY WEED », NOUVELLE SÉRIE D’OCS. DES ARRIVAGES STUPÉFIANTS QU’ONT DÉJÀ CONNUS QUELQUES COMMUNES DE BZH. ous sommes sur l’île de Trouedech, au large des côtes bretonnes. Derrière le charme de la vie insulaire, le village est en pleine galère : le nombre d’habitants chute inexorablement, ceux qui restent pointent au chômage et la commune est officiellement en situation de faillite. Une situation pas tip-top jusqu’au jour où un étrange paquet est découvert sur la plage. Une pêche miraculeuse. Ce sont bien des dizaines de ballotins de marijuana qui viennent de s’échouer. Que faire alors de ce butin ? Le rendre à la gendarmerie ? Le détruire ? Malgré les réticences du curé (le père Paul Jacques, huhu), les habitants de l’île décident de s’improviser dealers, histoire de renflouer les caisses une fois pour toute. Cette histoire plutôt zinzin, c’est le point de départ de Holly Weed, une série imaginée par Arthur Benzaquen 28

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dont la première saison vient d’être diffusée sur OCS. Une intrigue qui rappelle quelques souvenirs à la commune de Plouarzel, au nord-ouest de Brest. C’était il y a tout juste dix ans, le 19 janvier 2008. « Ce jour-là, un habitant est venu me voir car il avait trouvé durant sa promenade un sac empaqueté sur la plage de Porz-Tévigné. Une sorte de colis tout emballé de plastique, bien étanche, rembobine André Talarmin, maire de Plouarzel. À l’intérieur, il y avait plein de sachets remplis de poudre blanche. Je n’avais jamais vu de cocaïne avant, mais j’ai tout de suite compris ce que c’était. C’est le genre de chose qu’on a l’habitude de voir à la télé. En vrai ça fait drôle. » La gendarmerie est alors prévenue et analyse la marchandise. Poids total : près de 30 kilos, pour une valeur marchande estimée à 1,5 million d’euros. Pas mal. « Ouais, je me souviens bien

de cet épisode, je m’étais fait charrier par les collègues au boulot : non non, j’ai rien récupéré !, se marre encore Patrice qui habite une maison aux volets bleus surplombant la plage. J’ai l’habitude de courir le long de la


Fabien Campoverde / OCS

côte et je vois tout ce que la marée et les courants peuvent apporter : du plastique, des déchets, des poubelles… Quelques années avant, il y avait eu toute une cargaison de planches de bois, sans doute tombée d’un container, qui était arrivée comme ça… Mais la drogue c’est sûr que ça surprend toujours. On s’imagine le chemin qu’elle a parcouru. » Une origine qui, une décennie plus tard, reste encore inconnue. « Je n’ai jamais eu de retour de la part de la gendarmerie, fait savoir le maire. Sans doute des trafiquants qui s’en sont débarrassés par crainte d’un contrôle… C’est l’hypothèse la plus probable. » Pour Laurent Rinjonneau, responsable des opérations à la direction régionale garde-côtes de Nantes, affectée à la surveillance de la façade atlantique, trois autres cas de figure sont possibles dans pareil cas : « 1/ Le naufrage d’un bateau de trafiquants, les ballots flottent et dérivent en fonction des courants. 2/ Un conteneur qui bascule avec de la drogue à l’intérieur, ça peut arriver surtout en cas de tempête. 3/ Un transbordement qui tourne mal, d’un bateau faisant la traversée depuis l’Amérique latine vers un autre plus discret pour passer la Manche. »

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« On en remonte de la

saloperie dans nos filets » En 1998, il avait enquêté sur l’échouage d’un ballot de 25 kilos de cocaïne sur l’île de Béniguet, à Molène, sans suite. « L’urgence était de ratisser les plages pour éviter que des rôdeurs malveillants récupèrent d’autres ballots et les remettent en circuit. Hormis ce ratissage, difficile de remonter la filière… J’ai souvenir qu’on avait pu dater la marchandise en fonction des micro-organismes retrouvés sur le paquet. On avait aussi fait des relevés de courants marins et de trafic mais la tâche était vaste… » Tellement vaste qu’il est très rare qu’une suite judiciaire aboutisse. Les dossiers ont été classés sans suite à Plouarzel et à Béniguet, tout comme à Plouharnel, à l’embouchure de la presqu’île de Quiberon, où un promeneur avait découvert un ballot de 27 kilos de cocaïne le 21 janvier 2007. Ce promeneur, c’était Michel Fontana. Si sa santé ne lui permet pas de témoigner, sa femme Nicole le fait pour lui. « Mon mari fait partie 30

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d’une asso de sauvegarde des oiseaux. C’était un week-end de tempête, il craignait des dégazages sauvages et était parti sur la plage du Mentor en quête d’oiseaux mazoutés à soigner. » Avant de tomber sur un drôle de paquet. « Il l’avait ramené à la maison, on avait commencé à le déballer pour voir ce qu’il y avait dedans. Plusieurs couches de plastique, du gros scotch, et puis pour finir de la poudre. Ooooh, on s’est dit c’est pas normal ça… »

« Ils se sont servis » Au cours de ce même hiver, d’autres ballots seront retrouvés sur la façade atlantique (dont 130 kilos de marchandise rien que sur les côtes de Charente-Maritime). Si rien n’avait finalement permis de remonter à une filière de trafiquants, Laurent Rinjonneau estime que ces ballots échoués à l’hiver 2007 pouvaient provenir d’un conteneur en perdition. « Les grandes quantités retrouvées, le large périmètre, le gros temps qu’il y avait

eu : tout cela fait penser à cette piste. » L’affaire de Plouharnel avait en tout cas fait grand bruit à l’époque dans la commune. Jean-Noël Le Piouff, le truculent patron du Ty Bouchon, bar du centre-bourg, s’en rappelle : « Ah oui, je me souviens surtout qu’on l’avait bien chambré, Michel ! “Pourquoi tu l’as pas gardé pour toi ? Il y en avait pour une fortune !” Je rigole mais ça a été des emmerdes administratives après pour lui, il a été interrogé et tout. » L’épouse du promeneur poursuit : « Qu’est-ce que vous vouliez qu’on en fasse ? En profiter pour acheter une maison à notre fils ? Non bien sûr, ça ne nous a même pas traversé l’esprit. C’est de la drogue, une horreur qui tue des gens, il n’y avait pas d’autre choix que de la remettre aux autorités… » L’honnêteté des Fontana ne serait pas toujours la norme, aux dires d’anonymes venus discuter du sujet au Ty Bouchon. « On en remonte de la saloperie dans nos filets. De la drogue ? Oui ça peut, j’en connais à qui c’est arrivé. Je sais pas ce qu’ils en ont fait mais en tout cas ils l’ont pas refourgué aux flics… », étaye un client marin-pêcheur. Un témoignage qui n’étonne qu’à moitié Jean-Noël le patron : « Vous tombez sur un portefeuille plein de fric dans la rue, votre premier réflexe c’est quoi ? Le rendre ? Allons… Je vais vous raconter une anecdote : le restaurant à côté s’appelle Le Massena, du nom d’un navire rempli de caisses de rhum qui s’était échoué sur la plage Sainte-Barbe de Plouharnel au début du 20e siècle. Que pensezvous que les gens du coin ont fait ? Ils se sont servis. » Quand la mer paye sa tournée, difficile de la refuser. Régis Delanoë et Julien Marchand



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LES JOURS DU GRAND SOIR

SI LES ÉVÉNEMENTS DE MAI 68 ONT PROFONDÉMENT MARQUÉ LE PAYS IL Y A 50 ANS, LA BRETAGNE NE FUT PAS EN RESTE. BIEN AU CONTRAIRE : ET SI LA RÉGION ÉTAIT LE FOYER DE LA CONTESTATION ? CHRONOLOGIE D’UNE RÉVOLTE. on, Mai 68 ne se résume pas qu’à l’occupation de la Sorbonne ou aux manifestations du Quartier latin. Si la mobilisation parisienne cristallise l’imagerie de ces événements, c’est bien l’ensemble du pays qui fut touché par cette contestation. Bretagne comprise. Et ce, bien avant le printemps et ses appels à la grève générale. « Si on voulait 32

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être provocateur, on pourrait même dire que Mai 68 a débuté dans la région, affirme Christian Bougeard, auteur de l’ouvrage Les Années 68 en Bretagne paru en début d’année. Dès 1967, se déroulent des manifestations, notamment paysannes, qui allaient marquer la montée de la protestation… Et c’est à Bouguenais, près de Nantes, qu’a eu lieu la première occupation d’usine. »

Paysans, puis ouvriers, employés, commerçants et étudiants qui durant des semaines se mobiliseront contre le pouvoir gaulliste dans ce qui deviendra le plus grand mouvement de contestation sociale du 20e siècle en France. Avec, à la clé, un certain nombre d’avancées et d’acquis : hausse des salaires, instauration d’une quatrième semaine de congés payés et – plus symbolique


mais peut-être le plus fondamental – un basculement idéologique et une rupture culturelle. Cinquante ans après, quel inventaire pouvons-nous dresser ? Si Mai 68 semble loin et si les baby boomers, fers de lance du mouvement, ne symbolisent plus en rien la remise en cause du système (coucou Daniel CohnBendit !), un héritage subsiste-t-il malgré tout ? Oui, veut croire Christian Bougeard, particulièrement en Bretagne. « Quand on voit les manifestations violentes ces derniers temps à Rennes et Nantes, il y a toute une culture politique qui s’est transmise. Même chose avec les mouvements étudiants, Rennes 2 en tête. Globalement, la Bretagne a su garder cette volonté d’affirmer une identité et des revendications régionales face à un pouvoir central – à tort ou à raison – mal perçu. Le “Mai breton” participe à cet esprit de contestation qui persiste dans la région. » 33


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Christian Bougeard, historien, auteur des Années 68 en Bretagne paru chez PUR.

LE MÉCONTENTEMENT PAYSAN

Archives municipales de Quimper

« Pour parler de Mai 68 en Bretagne, il faut remonter quelques années en arrière, au début des années 60. À cette période, nous sommes en pleine modernisation de l’agriculture, ce qui fait naître des revendications de la part des paysans entre, d’un côté, ceux qui souhaitent une modernisation plus rapide et, de l’autre, les agriculteurs plus petits qui sont marginalisés par ces réformes de structure et l’entrée dans le marché agricole commun. Ils se considèrent

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mal traités et cela crée un mécontentement qui va s’installer. À partir de 1966, s’opère une évolution notable : les syndicats agricoles se mettent en contact avec les syndicats ouvriers traditionnels, la CGT et surtout la CFDT. De ce rapprochement, vont naître des manifestations régionales d’ampleur, spécifiques à l’Ouest, où les agriculteurs se battent sur la question des prix. En 1967, il y a une accélération de la mobilisation avec une première manifestation réunissant 7 000 personnes à Redon le 26 juin (photo). De façon pacifique avant que les choses ne s’emballent : occupation de la gare, forces de l’ordre qui interviennent de façon musclée, plusieurs blessés. »


CHT de Nantes / Coll. Le Paysan nantais

UNE VIOLENCE QUI S’INSTALLE « Quelques mois plus tard, une autre grande manifestation est programmée. Le 2 octobre 1967, dans le cadre d’une journée nationale d’action de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, ndlr), près de 15 000 personnes défilent à Quimper (photo). Un certain nombre de leaders paysans des Côtes-du-Nord et du Finistère étaient manifestement venus pour en découdre, armés de gros bâtons et de barres de fer. Cela a tourné à l’émeute. Des bagarres éclatent avec les forces de l’ordre, des voitures sont brûlées, les rues commencent à être dépavées, la loge de la préfecture est incendiée, la permanence du député gaulliste Marc Bécam est mise à sac… En tout, il y aura près de 300 blessés. Ces durs affrontements marquent les esprits, tout le monde est surpris par cette violence. On sent que ça peut être l’escalade. » 35


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Coll. André Marivin

OUVRIERS ET POPULATION ENSEMBLE DANS LA RUE

« Là-dessus, se greffent des mobilisations ouvrières pour défendre l’industrie traditionnelle. Comme à Fougères le 26 janvier 1968 (photo) où une journée “ville morte” est décrétée par le Front syndical fougerais pour soutenir les entreprises de la ville suite à la fermeture de trois usines de chaussures (un secteur qui à cette époque employait plus de 4 200 personnes à Fougères, ndlr). Une manifestation pacifique, largement soutenue par la population locale, qui rassemble en tout près de 6 000 personnes. Dans les rues, on voit notamment les gens défiler avec des pancartes en forme de cercueil. Le symbole est fort. Malgré le calme du cortège, on observe néanmoins quelques jeunes ouvriers spécialisés, plus véhéments, politisés, qui remettent en cause la forte discipline dans les usines. Ils ne supportent plus ce mode de fonctionnement qu’ils jugent quasi militaire et ils le font savoir. Ces travailleurs cherchent le contact avec les gendarmes pour montrer leur colère. » 36

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« L’OUEST VEUT VIVRE » « Tout ce mécontentement débouche sur une grande journée interrégionale d’action le 8 mai 1968 dans seize villes de Bretagne et des Pays-de-la-Loire, à l’appel de la CGT et de la CFDT, avec l’appui de la FEN (un syndicat enseignant) et de l’UNEF (un syndicat étudiant). Entre 70 000 et 120 000 personnes, du secteur public et privé, y prennent part : 16 000 à Quimper (photos), 25 000 à Brest, 7 000 à Rennes, 6 000 à Saint-Brieuc, 10 000 à Lorient… Toutes ces forces vives descendent dans la rue avec un slogan : “L’Ouest veut vivre”. Dans la région à l’époque, l’un des problèmes est le manque de débouchés

pour de nombreux jeunes diplômés, contraints de “s’expatrier”. Il y a une revendication de “vivre et travailler au pays”. Il se trouve que cette mobilisation se télescope avec les débuts du mouvement parisien (occupation de la Sorbonne le 3 mai, ndlr). Idem avec les universités où, dès le 6 mai, on commence à voir des piquets de grève à Rennes, Brest et Nantes. De nouvelles manifestations se tiennent le 13 mai (jour d’appel à la grève générale) et le 24 mai dans une atmosphère relativement calme. Dans leur ensemble, les Bretons rejettent la violence et les débordements qui, jusque-là, n’avaient concerné épisodiquement que le mouvement paysan. »


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Coll. Fondation Jean-Jaurès / MPG

Coll. Fondation Jean-Jaurès / MPG


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LA PREMIÈRE USINE OCCUPÉE

CHT de Nantes

« Au lendemain de la mobilisation du 13 mai, la grève continue à l’usine aéronautique Sud-Aviation à Bouguenais, dans la banlieue de Nantes (photo). Un noyau de militants trotskistes, qui avaient déjà fait des débrayages, prennent possession des lieux et séquestrent le patron pendant seize jours. Il s’agit de la première usine occupée en France. Cela va donner le coup d’envoi et enclencher une grève générale dans tout le pays où on comptera jusqu’à huit millions de grévistes. La Bretagne n’est pas à la traîne. Au plus fort de la mobilisation, 80 à 90 % des entreprises privées de la région sont en grève. C’est du jamais vu. »

REPRISE DU TRAVAIL ET MAJORITÉ RENFORCÉE

CHT de Nantes / Roger Monnier

« Cela peut sembler contradictoire mais la Bretagne était une région très à droite, avec un fort vote gaulliste. Dans un premier temps, la majorité des Bretons ne sont pourtant pas hostiles au mouvement. Mais après les accords de Grenelle les 25 et 26 mai, où des acquis sont garantis aux salariés, beaucoup de gens souhaitent un retour à la normale. L’UDR, le parti gaulliste de l’époque, va lancer les comités de défense de la République (CDR) et appeler à une grande manifestation pour soutenir le général. Le 1er juin à Nantes (photo), 20 000 personnes se rassemblent ainsi : électeurs de droite, conservateurs, grands notables et – plus étonnant – la vieille extrêmedroite. La reprise du travail se fera plus ou moins rapidement. À l’issue des élections législatives de juin 1968, la majorité sortira renforcée, les partis de gauche n’ayant pas su en profiter car dans l’incapacité à proposer une solution commune. » Recueilli par Julien Marchand 38

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« ON A PRIS DE LA BOUTEILLE »

DIX ANS APRÈS LEUR SÉPARATION, LES SVINKELS SONT DE RETOUR ! MUSIQUE, BIBINE, HIP-HOP, BRETAGNE... LE GROUPE LE PLUS ROCK’N ROLL DU RAP FRANÇAIS NOUS DIT TOUT AVANT LES DÉBUTS DE SA TOURNÉE, GÉNÉRALE BIEN SÛR ! près dix ans de pause, Svinkels se reforme. Pourquoi avoir décidé de remettre le couvert ? Baste : Depuis notre séparation, j’ai pas mal tourné en solo et, à un moment, l’envie s’est faite assez forte de remonter sur scène tous ensemble. Le gros déclic a été lors du concert hommage au chanteur de Parabellum, avec qui on avait fait le morceau Anarchie en Chiraquie. C’est là qu’on s’est vraiment retrouvé tous les trois. Et comme 40

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ça nous a plu, on s’est dit que ce serait sympa de se monter une petite tournée à l’ancienne. Pourquoi vous êtes-vous séparés en 2009 ? Nikus : Le groupe a commencé en 1993. Au bout d’une quinzaine d’années ensemble, à force de se côtoyer presque quotidiennement, il y a un moment où t’as des différends et tu t’embrouilles. Comme de nombreux groupes. Baste : Il n’y avait pas de divergences

musicales, c’était surtout humain. Mais je pense que si on avait eu un peu plus de succès, cela aurait généré moins de frustration. L’accueil de notre dernier album Dirty Centre a été mitigé, ça n’a pas aidé. Dirty Centre, vous l’avez vécu comme un échec ? Baste : Bah bizarrement pas du tout. On en était même plutôt fier. Déjà, c’est un album qui a été réalisé par Ludovic Bource. Un mec qui a gagné un Oscar et un César

David Reinhard

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pour la B.O de The Artist. On s’est éclaté à le faire mais les gens ont eu du mal à le digérer. Dessus, on jouait aux Ricains, le public l’a vu comme un album un peu trop commercial alors qu’il était proche de ce qu’on faisait d’habitude. Votre rap alcoolo-rigolo, ça a toujours été la musique que vous vouliez faire ? Xanax : On aimait bien faire la teuf, boire, rigoler… On est parti làdedans car c’était logique, on parlait de nos vies. Baste : Aux States, y avait Cypress Hill, House of Pain, Beastie Boys, Alkaholiks qui étaient dans cette veine. En France, le côté fumette était déjà bien présent, par contre le délire beaufs qui picolent, c’était carrément nouveau. Comment avez-vous été reçus par la scène rap de l’époque ? Baste : Quand on a commencé à faire des freestyles à Paris, les mecs hallucinaient qu’on parle de ça. C’était hyper frais et du coup ça nous a pas mal aidé pour faire nos premières dates. Xanax : Les rappeurs plus “street” nous ont jamais cassé les couilles. Notre taf était cohérent, on s’inventait pas une vie, on n’était pas moins respecté que d’autres mecs. Le fait que DJ Pone nous rejoigne a aussi aidé et nous a donné un certain crédit hip-hop. À cette époque, il était dans Double H, il était champion DMC... C’était pas rien. Baste : Malgré tout, y a toujours eu une petite incompréhension nous concernant. Pour certains, on accumulait les tares : picole, jeux de mots, franchouillards... Y avait des rappeurs qui aimaient plutôt bien le Svink mais pour eux c’était un groupe de rock. Dans le rap, y a toujours eu ce truc un peu lattant que le rock c’était “l’ennemi”. C’est assez rigolo avec le recul. Je me souviens 41


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notamment d’un reportage trop marrant sur IAM où tu vois Kheops s’énerver : « je cautionne pas ce morceau, c’est pas possible, c’est un sample de rock ! ». Le mec est hyper vénère, il se barre et tout. Alors que bon, tous les trucs de Def Jam, Run-DMC et même Public Enemy, c’est blindé de guitares.

mais on ne se fera pas un cubi. On est en mode machine de guerre là.

Votre plus gros souvenir de fête ? Baste : Quand on jouait dans les bars les premières années, c’était pas mal. Je me souviens d’un concert dans un bistrot au Pays basque. C’était un ancien hôtel. Après le concert, le patron nous dit « j’vous Ça n’a jamais été un frein votre laisse dormir ici, voici les clés, vous image de rappeurs rigolos ? faites ce que vous voulez, vous pouXanax : Au contraire, je dirais vez vous servir ». C’était un rêve que ça a été un accélérateur pour de gosse : se retrouver dans un bar trouver des dates car on avait une rien que pour toi toute la nuit. Tu musique qui mélangeait les styles fais ce que tu veux, t’inventes des et qui attirait un public bigarré. recettes de shooters et de cocktails. Baste : On “vendait” un état d’esprit. J’ai toujours d’ailleurs ce goût pour C’est ce qui a fait notre différence et les mélanges débiles. on était souvent dans le coin. À tel ce qui fait qu’on a eu un parcours. point que pas mal de gens pensaient Ça n’a jamais été un argument Pourquoi il n’y a pas eu de succès qu’on était Breton. – même si on aurait dû – mais dans grand public ? Nikus : On a aussi bossé avec le nos concerts la buvette fonctionnait Xanax : Ce n’était pas calibré pour. Il manager de Matmatah pendant une toujours super bien aussi. Encore aurait fallu être plus consensuel pour dizaine d’années. On avait besoin de dernièrement sur une de mes dates avoir un succès commercial. Avec quelqu’un qui connaisse le métier. solo dans un bar : quatorze fûts en nos morceaux où on répétait « j’suis En 1999, il nous a proposé de faire une soirée. Le patron du rade était foncedé » toutes les trente secondes, la première partie de Matmatah content. c’était compliqué de toucher les mass sur une grosse tournée. médias et le grand public. Baste : On était tous les deux des Y avait une différence entre ce que Baste : Prends l’exemple d’Orelsan. groupes assez jeunes, sauf qu’eux vous chantiez et votre mode de vie ? Plus il s’assagit et plus il cartonne. venaient de vendre un million de Baste : Non du tout, c’était assez Indépendamment de ça, on est aussi disques. Ils avaient des moyens rock’n roll. J’ai quand même fait arrivé au moment où le disque com- énormes, des salles énormes, un un infarctus… Après, on n’a jamais mençait à bien se péter la gueule. énorme public… Ils nous ont dépuété bourré sur scène lors de grosses Mais c’est grâce aux concerts qu’on celés de la tournée. On peut dire dates. Pour les concerts dans les a réussi à vivre de notre musique. qu’on a pris de la bouteille avec eux ! bars, c’est sûr qu’on faisait un peu Nikus : À l’époque, on n’avait pas moins gaffe… Et pour la tournée J’ai l’impression que vous avez eu encore Pone dans le groupe. Une qui arrive ? Avant de monter sur pas mal de liens avec la Bretagne… fois à Amiens, on s’est dit qu’on scène, on se prendra certainement Baste : Le fait qu’il y ait toujours allait mettre un faux DJ sur scène. un petit whisky à la Eddy Mitchell eu beaucoup de lieux pour jouer, On a alors pris notre pote Johnny, le roadie de Matmatah, qui s’est mis aux platines en faisant semblant de mixer. Il était assez expansif, ça marchait super bien. On a fait la blague sur deux ou trois dates.

« Seul toute une nuit dans un bar, c’était un rêve de gosse »

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David Reinhard

La présence de DJ Pone, c’était une condition sine qua non à la reformation ? Baste : C’était avec lui ou rien. Si on se reformait, c’était avec ce line-up. Pone, c’est le quatrième membre du groupe. La reformation, c’est juste pour une tournée ou des choses vont suivre ? Baste : À la base, l’idée était juste de caler quelques dates. Se faire un petit kiff en jouant nos morceaux préférés et que le public puisse nous retrouver sur scène. Mais au final on s’est dit que ce serait bien d’arriver avec quelques nouveaux sons. Nikus : Les nouveaux titres devraient sortir à l’automne. On s’y met doucement, les idées sont là. Baste : À quoi ça va ressembler ? On va forcément rester sur l’ADN du Svink : des textes qui jouent avec la langue et une musique bien patate. Recueilli par Julien Marchand Le 20 avril à Panoramas à Morlaix Le 21 avril à Mythos à Rennes 43


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EN AVANT ROSAIRE Dans un club de football, il y a toujours ce grand espoir du centre de formation qui fait fantasmer les supporters et qui n’attend qu’une chose : que l’entraîneur lui donne sa chance avec les pros pour enfin faire décoller sa carrière. Rosaire, c’est un peu ce petit génie de la Bretagne Rock FC : fondé en 2013 et très vite élevé au rang de grande promesse musicale, le groupe briochin sort seulement maintenant son premier album le 19 mai (intitulé Crystal Eyes, autoproduit et enregistré en analogique dans le classieux studio Kerwax de Loguivy-Plougras)

et se voit offrir une release party à domicile pour Art Rock. « On a déjà deux EP et pas mal de concerts joués un peu partout en Bretagne et ailleurs, mais c’est vrai que c’est un moment important qu’on vit en ce printemps 2018. On est vraiment satisfait de ces dix titres enregistrées dans des conditions idéales (deux extraits sont déjà en écoute sur YouTube, accompagnés de chouettes clips : Pretty Girl et To The Temple, ndlr). On a la chance de le défendre sur scène sur de belles dates, à nous d’en profiter », confie Louis, l’un des deux guitaristes de

Rosaire Music

ESPOIRS DU ROCK BRETON DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES, LES BRIOCHINS DE ROSAIRE SORTENT LEUR PREMIER ALBUM. DE QUOI METTRE ENFIN LA BALLE AU FOND DES FILETS.

cette formation très portée sur le bon gros rock à cordes (« De Canned Heat à Brian Jonestown Massacre en passant par les Doors et Primal Scream »). Louis, Simon, Lucas et Guirec – plus Érick, le cinquième Rosaire faisant office de manager et ingé son – ont 22 ans de moyenne d’âge et une belle envie d’en découdre en équipe première. Le 19 mai à Art Rock à St-Brieuc Le 26 mai à La Nouvelle Vague à St-Malo

Marc Domage

LA RUÉE VERS L’OR(IENT)

Après une première édition pleine de promesses, le festival Eldorado remet la gomme en ce printemps 2018. Quatre jours de création scénique pilotés par le Théâtre de Lorient faisant une nouvelle fois une belle part à la jeunesse, avec notamment à l’affiche Les Grands, pièce de Fanny de Chaillé où différents âges de la vie se rencontrent et se questionnent (photo). Ainsi que le projet Aymé(e) Désiré(e) de Julien Chavrial, spectacle musico-théâtral sur l’amour et les premières fois mettant en scène quatre jeunes comédiens. What is loooove ? Baby don’t hurt me, don’t hurt me, no mooore. Du 18 au 21 avril au Théâtre de Lorient 44

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DR

ÉLECTRO MOD KOZH

LA MUSIQUE BRETONNE 2.0 S’OFFRE UNE NOUVELLE TÊTE DE GONDOLE AVEC LE DUO ÉLECTRO TCHAÏD. Il y avait Krismenn et son breton rappé, il y a désormais Tchaïd et sa breizh électro. Pas étonnant que les deux projets artistiques se retrouvent dans la même écurie, celle du découvreur de talents « atypiques » Tangui Le Cras. « Atypique parce qu’on a en commun l’envie de représenter la musique trad tout en l’inscrivant dans une modernité, éclaire Youenn Lange, chanteur qui a grandi en région parisienne et découvert la Bretagne sur le tard. C’est une région qui m’a touché, et sa langue avec : rare, difficile mais belle. » En 2014, il croise la route d’Alexis Bocher, violoncelliste de formation, à l’occasion de la Kreiz Breizh Akademi, pépinière de talents locaux montée par Erik Marchand. « L’alchimie entre nous deux a vite pris, humainement et musicalement. » Pour ce projet Tchaïd (« aucune signification, juste un nom qui sonnait bien »), Alexis délaisse le violoncelle pour des machines électro qui accompagnent le chant de Youenn. « La musique bretonne est avant tout de la musique. On est à notre place dans les fest-noz mais aussi dans les salles de musiques actuelles et les festivals généralistes. » La preuve avec l’invitation aux dernières Trans et le soutien sans faille du Run Ar Puñs. R.D Le 26 mai à La Citrouille à Saint-Brieuc 45


RDV

BIEN SOUS TOUT RAPPEUR

AVEC SON NOUVEL EP, LE MONTREUILLOIS ICHON EST DEVENU L’UN DES RAPPEURS FRANÇAIS LES PLUS PROMETTEURS DU MOMENT. UN IMMENSE SOURIRE QUI CACHE UN CERVEAU HYPERACTIF.

DR

Ce qui frappe dans l’EP Il suffit de le faire d’Ichon, c’est d’abord la pochette : costard, coiffure stricte et sourire XXL. « À la base, j’ai pensé à Ken, le mec de Barbie. Je voulais être quelqu’un qui présente bien. » C’est vrai qu’il a tout pour plaire. Le garçon est jeune, fondateur de l’excellent label Bon Gamin et déterminé. Dans son premier projet Cyclique, paru en 2013, il contait ses galères quotidiennes. Un disque qu’il voit comme un point de départ. « À cette époque, j’étais dans la merde. Sur l’EP suivant, #FDP, j’ai compris que j’étais dans la merde.

Et sur Il suffit de le faire, j’ai choisi de sortir de la merde. » Résultat : un EP bien plus lumineux que les précédents. Mais ils ont tous un point commun : cette attirance presque mystique pour le bleu. « Je suis hypnotisé par cette couleur. C’est mon truc, mon délire.» Un délire qui assure une actuelle hype au gars de Montreuil, ville dont la scène rap bouillonne. Après Ichon, préparez-vous donc à voir débarquer Big Budah Cheez, Swift Guad ou encore Triplego… Go go go ! Brice Miclet Le 18 mai à Art Rock à Saint-Brieuc

Jimmy Leveillé

NOS RÉGIONS ONT DU TALENT

Un nouveau venu fait son arrivée dans la grande famille des festivals bretons : Le Désert Festival. Deux jours de rock au programme avec les valeurs sûres de la scène locale : Kaviar Special, auteur d’un très bon dernier album (photo), Bops, Leviathan, Electric Nettles... Ainsi que les Nancéens de The Wise Dude’s Revolver. Ça se passe à Maxent, dans le pays de Brocéliande, contrée d’Ille-et-Vilaine déjà connue pour son studio L’Abri 101 (où ont enregistré The Madcaps, Sapin, Druids of The Gué Charette...). Terroir rock’n roll AOP : validé. Les 25 et 26 mai à Maxent 46

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Gwendal Le Flem

PLAISIR BUCCAL

PRINTEMPS PLUS QUE CHARGÉ POUR LE RENNAIS SARO, NOUVELLE COQUELUCHE DU BEATBOX ÉLECTRO. Lorsqu’on évoque le beatbox, on pense généralement hip-hop. S’il a démarré dans ce registre, le Rennais Saro s’en est aujourd’hui détaché, faisant explorer à sa bouche un autre domaine : l’électro. « Un style que j’ai toujours voulu composer, explique-t-il. Le problème, c’est que je ne savais trop comment faire au début. Mais avec la machine que j’ai maintenant, c’est bon. » Cette fameuse machine, c’est un looper. Celle qui l’a aidé à retourner la foule des dernières Trans Musicales. Une bécane lui permettant de boucler ses propres sonorités buccales et, ainsi, de composer ses morceaux en live. Une technique qui visiblement a séduit les programmateurs des Vieilles Charrues puisque Tristan Coudray de son vrai nom vient d’intégrer la promotion 2018 du Label Charrues (avec Leska). Idem du côté du Printemps de Bourges où il représentera la Bretagne dans la sélection des Inouïs. De quoi voir plus loin pour le jeune homme qui, à la mi-mars, a assuré seul en scène la première partie de Parov Stelar au Zénith de Paris. En attendant son projet studio qui ne devrait plus tarder. B.M Le 13 avril au Manège à Lorient, le 3 mai à La Nouvelle Vague à St-Malo, le 5 mai au Run ar Puñs à Châteaulin et le 11 mai à La Citrouille à St-Brieuc 47


VTS

L’age d’or des discotheques bigoudenes IL FUT UN TEMPS OÙ LE SUD-FINISTÈRE AVAIT LA PLUS GROSSE CONCENTRATION DE BOÎTES PAR HABITANT EN FRANCE. UN RÉCENT DOCUMENTAIRE REND HOMMAGE À CETTE ÉPOQUE : L’EPOPÉE DES DISCOTHÈQUES EN PAYS BIGOUDEN. RETOUR SUR CE PHÉNOMÈNE AVEC VINCENT LE GALL, CO-RÉALISATEUR. PUT YOUR HANDS UP IN THE AIR !

DU BAL AU DANCING

Jusqu’au début des années 60, la jeunesse de France guinche encore principalement dans les bals de village, ambiance flonflons et accordéons. Une offre qui va se diversifier à cette époque des yéyés avec l’apparition des premiers dancings (à prononcer à la française), qu’on appellera ensuite discothèques. « Le Pays bigouden s’est vite engouffré dans la brèche avec deux

établissements pionniers : Le Trou à Loctudy dès 1962 puis La Chaumière à Sainte-Marine un an plus tard, éclaire Vincent Le Gall, co-créateur du documentaire avec Sébastien Kerdranvat. Ici, les bals de noces ont toujours été ouverts au public, ce qui a certainement contribué à rendre populaires ces espaces de fête où on se retrouve entre jeunes de différents villages. »

UNE DENSITÉ UNIQUE EN FRANCE En à peine vingt ans, le nombre de discothèques du secteur va exploser. « Une archive de FR3 datant de 1983 comptabilise 15 boîtes dans le Pays bigouden, un record national ! » Rappelons que ce coin du Finistère-sud compte 20 communes dont certaines ne dépassent pas les 1 000 habitants… « Certains gérants, comme Maryvonne Guiffant du Penty à Penmarc’h, vont ouvrir directement à domicile, dans leur propre maison d’habitation, avec du 48

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monde jusque dans le jardin les soirs de grosse affluence. » À l’époque, un tourne-disque, une boule à facette, un parquet et des bières-bouteilles suffisent à rameuter un max de monde, jusqu’à un premier gros coup d’arrêt : le drame du 5-7, du nom d’un dancing en Isère dans lequel périssent 146 jeunes lors d’un incendie en novembre 1970, obligeant l’État à imposer des normes de sécurité plus restrictives et contraignantes pour les plus petits établissements.

LE CALAO, UN PALACE FINISTÉRIEN En 1976, une nouvelle étape est franchie dans la jeune histoire des discothèques avec l’ouverture du Calao à Pont-l’Abbé. On entre alors en plein dans l’ère du divertissement et de l’hédonisme propres à la décennie qui va suivre, relate Vincent Le Gall. « Le gérant Michel Raphalen était un visionnaire qui avait pas mal voyagé, s’inspirant notamment de ce qu’il avait vu au Studio 54 de New York. Il sera l’un des pionniers en France à importer la techno, après la déferlante disco. » Les jeux de lumières gagnent en sophistication, la déco se veut futuriste, les toutes premières soirées mousse de Bretagne y sont organisées... Un Palace qui voit aussi la population des habitués évoluer : moins populo, plus VIP (Carlos, Eddy Mitchell, Miou-Miou ou Thierry Lhermitte parmi les estivants des boîtes du coin à l’époque). L’ambiance kermesse prolo des débuts cède sa place à une sorte de bling-bling qui ne dit pas encore son nom…


Photos : DR

MONEY, MONEY, MONEY « S’il y a eu plus de discothèques qu’ailleurs dans le Pays bigouden, c’est en raison de la richesse de ses habitants à l’époque. » Plein emploi des locaux et tourisme de masse font que le champagne coule souvent à flot à La Chaum’, au Penty, au Sydney, au Blue Night, au Menhir ou au Disco 2000. « Dans le docu, un ancien videur raconte que certains soirs, le tiroir-caisse est tellement plein que l’argent est collecté dans des sacs poubelle… » Une ambiance digne des meilleurs films de Scorcese : cols pelle à tarte, cheveux gominés et cendriers remplis à ras bord sur chaque table.

THE RISE AND FALL « La décennie 90 est celle du déclin, clairement, déplore Vincent Le Gall, qui termine son docu sur cette époque moins propice aux fiestas endiablées. Plusieurs facteurs l’expliquent : la répression policière bien plus sévère en matière d’alcool au volant, les années de crise économique, particulièrement dans le secteur de la pêche, des normes de sécurité de plus en plus drastiques mais aussi une autre façon de concevoir la fête, plus occasionnelle et plus ritualisée, ce dont ont bénéficié les festivals de musique par exemple. » Ne survivent aujourd’hui quasiment plus que les grosses discothèques, hypermarchés de la vie nocturne qui ont fait disparaître les dancings 1.0 type Penty. « Heureusement, il reste de rares survivants de l’époque, dont La Chaumière qui a récemment rouvert. » Pour danser sur les pas de vos parents ou grands-parents, vous savez où aller. R.D 49


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AGENDA

Frédéric Buyckx

Titouan Massé

Pierre Wetzel

Arnaud Dumont

RECOMMANDE

LES 40 ANS DU RUN AR PUÑS

FEU! CHATTERTON

SAINT-MALO ROCK CITY

ZVIZDAL

Place forte de la musique dans le Finistère, le Run ar Puñs prévoit une grosse nouba pour ses 40 ans. Quatre jours de fête avec The Inspector Cluzo, Sônge, Titi Robin, Layonz (photo)… Mention spéciale pour la soirée “concerts, cochon grillé, kouign-amann” : parfait pour se remplir l’estomac et les oreilles.

Après le succès en 2015 de son premier album, le quintet parisien revient avec L’oiseleur. Un disque toujours entre rock et chanson française, une nouvelle fois marqué par la qualité d’écriture d’Arthur, le chanteur. Élégant, poétique, habité, rageur : Feu! Chatterton n’a rien perdu de sa superbe.

Deux soirées de musique à fond les ballons et totalement gratuites. C’est la belle promesse de Saint-Malo Rock City qui, pour sa 5e édition, accueille notamment Pogo Car Crash Control, J.C. Satàn (photo), Totorro.... Parmi les jeunes pousses locales à découvrir : les Dinannais de Jet Teens et les Malouins de Sin Ross.

Mi-docu, mi-spectacle vivant : c’est un dispositif scénique original que propose la compagnie Berlin au public lorientais. La projection d’un film sur Tchernobyl, trente ans après l’accident nucléaire, agrémentée de jeux d’écrans et de maquettes. Le rétroprojecteur de ton prof d’histoire prend un coup de vieux. Au Théâtre de Lorient Du 23 au 25 mai

Lindsay Merlbourne

À La Nouvelle Vague à Saint-Malo Les 25 et 26 mai

DR

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Le 13 avril à Mythos à Rennes Le 14 avril à La Carène à Brest

Simon Gosselin

Au Run ar Puñs à Châteaulin Du 17 au 20 mai

HUNTER

BIFFTY ET DJ WEEDIM

DOOINIT

IDLES

Un couple assailli par une créature monstrueuse dont on se demande si elle est réelle ou fantasmatique. Un pitch de cinéma d’horreur mais c’est bien de théâtre dont il s’agit, avec Gabriel Legeleux (aka Superpoze) à la bande-son jouée en direct. La classe à Dallas.

Après avoir secoué les Bars en Trans en décembre, les deux affreux jojos du rap français sont de retour. Délire white trash et esprit punk : qu’on se le dise, Biffty et DJ Weedim ne viennent pas pour beurrer les sandwiches. Fans de Juliette Armanet s’abstenir.

Pour lancer le printemps musical, on peut toujours faire confiance à Dooinit, le très pointu et très cool festival de hip-hop rennais. Gros coup cette année avec la venue des mythiques M.O.P (photo), mais aussi de Large Pro, Overdoz… Un vrai débarquement US.

Révélation de La Route du Rock l’été dernier, les foufous d’Idles reviennent dans le coin jouer leur post-punk beuglé par Joe Talbot, chanteur captivant. Leur premier album s’appelle Brutalism et comment dire… ça tombe sous le sens. Attention chérie ça va saigner.

Au Quartz à Brest Les 23 et 24 mai

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Le 21 avril à Panoramas Le 26 mai aux 3 Éléphants à Laval

À l’Antipode, Ubu, Jardin Moderne... Du 3 au 8 avril

Le 19 mai aux Papillons de Nuit Le 20 mai à Art Rock à St-Brieuc




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