NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018 #39
TEASING
À découvrir dans ce numéro...
«JE NE SUIS PAS UN BISOUNOURS»
ÉPICERIES
VILAINE
PRISONS BON CHIEN CHIEN
«LA TOURNÉE DES GRANDS DUCS»
BOUDDHISTE
H A P P Y- WA S H I N G
ROOFTOP RAZZLE DAZZLE
PÉNICHE
«UNE MUSIQUE PLUS PUNK QUE LE PUNK»
ÉDITO
1 DE GAGNÉE, 333 DE PERDUES ? La nouvelle a fait son petit effet : fin septembre, un loup aurait été aperçu à proximité du lac de Guerlédan dans les Côtes d’Armor. Une observation qui marquerait ainsi le possible retour d’une espèce officiellement disparue depuis 100 ans en Bretagne. Et même si les naturalistes continuent d’émettre quelques réserves quant à ce signalement, tous s’accordent néanmoins à dire que ce n’est qu’une question de temps. A-houuuu ! Si on peut se féliciter de la supposée réapparition d’une espèce dans la région, celles disparues ou en risque d’extinction semblent susciter moins d’émoi. Sortie cette année dans une certaine indifférence générale, la liste rouge de l’OBPNB (Observatoire de la biodiversité et du patrimoine naturel en Bretagne) tire pourtant la sonnette d’alarme. Sur les vingt dernières années, 56 espèces (faune et flore) n’ont plus été revues dans la région. « Parmi les plus notables, le vison d’Europe et quelques oiseaux comme la sterne arctique ou la pie-grièche, précise François Siorat de l’OBPNB. Aujourd’hui, d’un point de vue global, on estime que 333 des espèces connues sont menacées, soit une sur cinq. Et quand on rentre dans les catégories, certains chiffres sont encore plus préoccupants, à l’image des oiseaux nicheurs dont près de la moitié (!) sont en situation critique. » Pour le spécialiste de l’OBPNB, le sort de ces derniers permet d’ailleurs de mesurer les changements de nos territoires. « Les oiseaux sont de bons marqueurs de l’aménagement urbain, de la transformation des zones rurales et des pratiques agricoles… Leur dédier des espaces protégés a par le passé permis de stabiliser certaines espèces, à l’image du fou de Bassan, mais aujourd’hui on commence à observer une baisse de leur nombre. C’est maintenant la nourriture (car activité humaine et réchauffement climatique) qui pose problème. Dans la biodiversité, tout est lié et il est grand temps de changer de braquet. » La rédaction
SOMMAIRE 6 à 11 12 à 25 26 à 29 30 à 33 34 à 37 38 à 45 46 à 49
WTF : darons du rock, rooftops, prisons, armistice, festivals de ciné... Plus belle la Vilaine Épiceries : en fin de course ? Les lobbyistes du bonheur J’irai dormir chez les bouddhistes RDV : Léonie Pernet, Delgrès, Itinéraires Graphiques, Crash Park, Fleuves, Lankum... La tournée des Grands ducs
50 BIKINI recommande 4
novembre-décembre 2018 #39
Directeur de la publication et de la rédaction : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Couverture : Gwendoline Blosse / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos partenaires, nos lieux de diffusion, nos abonnés, Michel Haloux, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - 1 bis rue d’Ouessant BP 96241 - 35762 Saint-Grégoire cedex / Téléphone : 02 99 25 03 18 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2018.
WTF
QUEL DARON DU ROCK VOIR ?
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COLLECTION CAPSULE
ILS ONT TOUS LES TROIS 60 ANS OU PLUS MAIS RESTENT DES RÉFÉRENCES DU ROCK, MEMBRES FONDATEURS DE GROUPES LÉGENDAIRES. LEURS CARRIÈRES SOLO LES AMÈNENT DANS LE COIN, IL S’AGIRAIT DE PAS LES LOUPER. HEY OH LET’S GO !
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Nouvelle recrue d’Ed Banger, le DJ et producteur Vladimir Cauchemar a bien cartonné ces derniers mois avec Aulos, morceau accompagné d’un clip totalement perché tout en flûte et WTF. Les zigotos du festival Capsule ont la bonne idée d’inviter le gazier pour une date au 1988 Live Club à Rennes le 22 novembre.
MICK HARVEY Ousseynou Cissé
CONSONNE CONSONNE VOYELLE²
Marion Mayer devient Praa et prend un nouveau virage musical, passant du folk à la soul. Un changement convaincant pour la Rennaise d’adoption qui multiplie les dates en cette fin d’année : le 15 novembre à l’Ubu à Rennes, Le 30 novembre à La Carène à Brest, le 24 novembre au 6PAR4 à Laval, le 7 décembre aux Trans Musicales et le 22 décembre à l’Espace Glenmor à Carhaix.
VERY HOTTE
ordure
Le réveillon de Noël est un grand classique des représentations théâtrales. Il y a eu la pièce du Splendid, devenue film culte. Il y a aussi Jusqu’ici tout va bien, récit choral qui donne envie de sortir les boules du carton. Du 15 au 17 novembre au Théâtre de Lorient. 6
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Cofondateur avec Nick Cave de The Bad Seeds en 1983, Mick Harvey (photo) a lâché son compère australien il y a dix ans pour divergences artistiques. Depuis, le multi-instrumentiste poursuit sa carrière, entre collaborations (notamment avec PJ Harvey, aucun lien, fils unique) et projets solos, réinterprétant Serge Gainsbourg en anglais avec quatre albums à la clé. I have come to tell you I’m going, Puppet of wax puppet of song, The sun directly overhead : impec pour réviser et kiffer du bon son. Quand et où ? Le 1er décembre au Manège à Lorient
PETER HOOK
THURSTON MOORE
Il a fêté ses 60 berges cet été mais Thurston Moore garde sa dégaine d’ado cool et dégingandé. Sa séparation d’avec son grand amour Kim Gordon en 2011 a signé du même coup la fin de Sonic Youth, que les deux avaient fondé en 1981. Depuis néanmoins, il entretient la flamme du plus fameux des groupes de noise rock, auteur de quatre albums imparables fin 80’s début 90’s : Daydream Nation, Goo, Dirty et Washing Machine. Le temps béni des K7 audio. Quand et où ? Le 18 novembre à La Carène à Brest dans le cadre du festival Invisible
Avec Joy Division, Peter Hook a révolutionné le son de basse (le riff de début de Transmission colle toujours des méga frissons, près de 40 ans après). Une avant-garde qui restera la marque de fabrique du Mancunien lorsqu’il cofonda New Order à la mort de Ian Curtis. Depuis, Hook s’est fâché avec ses anciens partenaires mais continue son aventure musicale avec le groupe The Light, piochant allègrement dans le répertoire de Joy Division comme de New Order. Il aurait tort de s’en priver. Quand et où ? Le 18 janvier à La Nouvelle Vague à Saint-Malo
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ROOFTOP : POURQUOI ÇA DÉCOLLE PAS ?
SIROTER UN VERRE SUR LE TOIT D’UN IMMEUBLE : LA PROMESSE DU ROOFTOP EST COOL MAIS SE FAIT RARE EN BZH. Si la formule cartonne dans les capitales européennes, elle peine à s’imposer en Bretagne. Dur d’y trouver des bars ou des restos disposant d’un rooftop (ou toit-terrasse). À vrai dire, il n’en existe qu’un, Le Vertige à Lorient (photo), qui a ouvert cet été : 7e étage et 220 m2 à ciel ouvert. De quoi ravir Bernard Chanard, le co-gérant. « La ville d’un côté, la mer de l’autre : l’intérêt, c’est la vue. » C’est vrai, mais du coup pourquoi y en a pas plus ? « La plupart des nouvelles constructions ne prévoient pas de toitterrasse. Nous, notre chance, c’est que cela avait été anticipé dès la conception du bâtiment. Pour développer le concept, la solution serait donc de travailler en amont avec les promoteurs. » Et pour les immeubles anciens ? La problématique s’est posée au cabinet d’architectes DTACC qui bosse actuellement sur l’hôtel Le Trinité prévu en 2020 à Rennes. « Il s’agit d’un bâtiment en réhabilitation. Ajouter une terrasse demande donc un travail délicat car il ne faut pas fragiliser la structure de l’immeuble, éclaire Jérôme Liberman qui pointe aussi le souci de la localisation. Le projet devait respecter le PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur) de la Ville, car situé dans le centre historique. Ceci pour assurer sa valorisation. » 7
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ANCIENNES PRISONS, NOUVEAUX PROJETS CENTRE D’ART, MUSÉE OU HABITATIONS DE LUXE : LES PRISONS BRETONNES QUI NE SONT PLUS UTILISÉES FONT L’OBJET DE RÉHABILITATIONS TRÈS DIVERSES. TROIS PROJETS RÉCENTS AU PARLOIR.
Fermée en 1990, la prison de Pontaniou est une verrue dans le paysage mais son rachat récent par un promoteur immobilier de luxe n’a pas plu à un collectif de passionnés d’histoire locale. Ils ont lancé un “Appel pour la conservation de Pontaniou” qu’Olivier Thomas, des Bâtiments de France, promet d’étudier. « C’est un bâtiment trop peu documenté pour juger s’il mérite d’être classé et donc protégé. »
Premier établissement carcéral à cellule individuelle d’Europe, la prison de Guingamp a été classée monument historique en 1997. Mais ce n’est que l’an prochain que s’achèvera sa réhabilitation en « salle d’exposition, centre d’art visuel, de résidence et de médiation culturelle, explique le maire Philippe Le Goff. Les travaux prévoient de garder la solennité du lieu tout en le rendant fonctionnel. »
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RENNES
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GUINGAMP
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Après la transformation de l’ancienne prison Saint-Michel en établissements de nuit, quel avenir pour l’ex-prison Jacques-Cartier ? « On aimerait qu’elle devienne un musée dédié à l’histoire de la justice », expose Christian Gentilleau, de l’asso Champs de justice. Un commissaire-enquêteur doit bientôt rendre ses conclusions au ministère de la justice, propriétaire des lieux, concernant la faisabilité du projet.
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AH AH AH
Le gratin du lol made in France s’est donné rendezvous dans nos contrées en cette fin 2018 : Thomas VDB (photo) avec son spectacle Bon ChienChien (le 23 novembre au Ponant à Pacé, le 6 décembre à L’Archipel à Fouesnant), Chris Esquerre avec Sur Rendez-vous (le 15 novembre au centre culturel Jacques Duhamel à Vitré) et, enfin, la géniale Blanche Gardin avec Bonne Nuit Blanche (le 8 décembre au Carré Magique à Lannion, les 15 et 16 décembre à L’Aire Libre à Saint-Jacquesde-la-Lande), déjà complet malheureusement.
MONOCHROME DE WHITEMAN Les Messins de Grand Blanc signent leur retour avec Image au mur, leur second album, toujours dans cette veine rock indé. Le 9 novembre à l’Ubu à Rennes. 8
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NARA
GRANDE GUERRE, GRANDS SPECTACLES
TROIS RENDEZ-VOUS FÊTENT À LEUR MANIÈRE LA FIN DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE IL Y A 100 ANS. BLACK BOHEMIA L’Orchestre symphonique de Bretagne rend hommage aux musiciens qui ont pris part aux combats. En première ligne, le célèbre bataillon afro-américain des Harlem Hellfighters (photo), mené par James Reese Europe, pionnier du jazz sur le vieux continent et star de ce Black Bohemia. C’est quand ? Les 10 et 11 novembre au Couvent des Jacobins à Rennes et le 17 novembre au Quartz à Brest
LA FLEUR AU FUSIL Des hommes ordinaires, partis « la fleur au fusil », découvrent l’horreur d’une guerre industrielle. Détruits, broyés, brisés, aliénés : ils y resteront ou rentreront transformés à tout jamais. Seul sur scène, le comédien François Boursier incarne les différents visages de ces soldats qui ne devaient pas être là. C’est quand ? Le 8 novembre au centre culturel de Liffré
FILM COURT Ce sont quelques pépites du cinéma d’après-guerre que projette le festival du Film Court de Brest lors d’une soirée spéciale “100 ans d’armistice”. Parmi les œuvres à l’écran : Shoulder Arms de Chaplin. Culte. C’est quand ? Le 10 novembre au Quartz à Brest 9
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FESTIVALS DE CINÉ : DU MONDE AU BALCON ÇA SE BOUSCULE POUR LES CINÉPHILES. DE NOMBREUX RENDEZ-VOUS DÉDIÉS AU 7 E ART DÉBOULENT PROCHAINEMENT. COURT OU LONG MÉTRAGE, FICTION OU DOCUMENTAIRE : LE PLAISIR EST MULTIPLE. Attention marathon : ce sont 369 séances qui sont programmées un peu partout dans la région, lors de ce temps fort qui chaque mois de novembre met les docus à l’honneur. En Bretagne, l’événement est piloté par les assos Daoulagad, Comptoir du doc, Ty Films et Cinécran. Valeurs sûres. C’est quand ? Du 1er au 30 novembre
Capote percée - Da Fonseca
MOIS DU FILM DOCUMENTAIRE
officielle (photo), jeune public, cinéconcert, sélection OVNI, productions régionales et un off bien léché : fat ! C’est quand ? Du 6 au 11 novembre à Brest
métrages et des rencontres avec un paquet de jeunes réalisateurs. Go go go pour les découvertes ! C’est quand ? Du 9 au 11 novembre au cinéma Le Beaumanoir à Josselin
FESTIVAL INTERGALACTIQUE DE L’IMAGE ALTERNATIVE
Indépendant, différent et atypique : c’est la belle promesse du festival de cinéma de l’association brestoise Canal Ti Zef. Une 17e édition sur le FILM COURT FESTIVAL COMBAT thème des “luttes et utopies” avec Pour découvrir la crème des courts Déjà la 6e édition de ce rendez-vous projections, rencontres, ateliers et métrages européens, direction Brest ciné en plein cœur du Morbihan. quelques surprises WTF. Yeah ! à l’occasion de la 33e édition du À l’affiche du festival Combat cet C’est quand ? Du 26 novembre au festival du Film court. Compétition automne : une trentaine de courts 9 décembre au Mac Orlan à Brest
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LE PÈRE NOËL CHEZ TON DISQUAIRE
Comme à chaque Noël, il y aura encore moyen de caler quelques bons skeuds de groupes bretons. Liste non exhaustive et forcément subjective des dernières sorties : Glissade Tranquille des Slow Sliders (photo) et leur surf pop, les premiers albums éponymes de Tally Ho ! (rock 90’s) et You, Vicious ! (électro rock), Adieu Bientôt de Columbine (rap qui cartonne), Mouvement de Mermonte (pop orchestrale) ou encore Songs for Marge de Fragments (electronica). Y en a pour tous les goûts.
YAOUANK : GROSSE RIBOUL Temps fort de la scène trad chaque fin d’année, le festival Yaouank ne déroge pas à la règle avec un menu XXL qui se termine par un fest-noz géant avec Plantec, Denez Prigent, Jean-Charles Guichen… Du 1er au 17 novembre à Rennes et dans le 35. 10
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DOSSIER
PLUS BELLE LA VILAINE
LONGTEMPS MAL-AIMÉE, LA VILAINE CONNAÎT ACTUELLEMENT UN RETOUR DE HYPE. UNE JOLIE REVANCHE POUR LE FLEUVE BRETON AUJOURD’HUI AU CŒUR DE NOMBREUX PROJETS. 12
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DOSSIER
n ne la trouvait pas belle, son nom était moqué, elle n’avait pas un joli look, personne ne lui prêtait attention. Jusqu’au jour où on s’est mis à la regarder différemment, dévoilant ainsi un charme plus qu’inattendu. Ce destin digne d’une héroïne de teen-movie l’après-midi sur M6, la Vilaine le connaît actuellement. Longtemps boudé et mal-aimé, ce fleuve (oui oui, il s’agit bien d’un fleuve), qui traverse le département d’Ille-et-Vilaine pour se jeter dans l’Atlantique, affiche aujourd’hui une cote d’amour qu’il était encore difficile d’imaginer il y a seulement quelques années. Au premier plan de cette passion affichée, la ville de Rennes qui multiplie les projets et réflexions : le jardin de la Confluence, le développement de l’îlot de l’Octroi, la suppression étudiée du parking Vilaine afin de découvrir le fleuve, les jardins flottants, les futures îles et plages de la plaine de Baud… Une série d’aménagements s’inscrivant dans “l’Année de la Vilaine”, un dispositif porté par sept communes de la métropole rennaise. « Notre volonté est de redonner au fleuve ses lettres de noblesse. Il est vrai que par le passé la Vilaine a été cachée, réduite autant que possible, éclaire Jean-Luc Gaudin, vice-président de Rennes Métropole, en charge de l’aménagement (lire par ailleurs page 16). Mais aujourd’hui les choses ont changé. Que ce soit de la part des habitants et des collectivités, il y a désormais une envie de s’accaparer cet espace naturel. »
Et de réhabiliter un cours d’eau constitutif de l’histoire rennaise. Comme le confirme Manon Six, conservatrice au Musée de Bretagne où se tient actuellement l’exposition Rennes, les vies d’une ville. « Au fur et à mesure qu’on construisait l’expo, on s’est rendu compte que le fleuve allait mailler notre propos. Cela commence tout d’abord à la fondation de la ville en -10 avant Jésus-Christ, car au croisement de la Vilaine et de l’Ille. Condate, le nom gaulois de Rennes, signifie d’ailleurs confluence. » Recherchée et prisée, la Vilaine connaîtra par la suite des rapports contrastés avec ses habitants : utilisée, pratiquée, exploitée, mais aussi redoutée, fuie, évitée. Une relation ambiguë observée par Pauline Guyard, commissaire de l’exposition Vilaine, une histoire d’eaux à partir du 1er décembre à l’Écomusée du pays de Rennes. « Quand on regarde les anciennes lithographies de la ville,
« Une envie de s’accaparer cet espace naturel » 14
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on s’aperçoit que la grande majorité des vues représentent l’eau. C’est dire l’importance qu’avait la Vilaine dans la vie des Rennais, que ce soit pour les activités économiques ou domestiques. Les usages y étaient nombreux : des pêcheries, des moulins, des lavoirs, des tanneries, de l’extraction de pierres… Mais en même temps, un fleuve c’est capricieux. Avec les épisodes récurrents de crues, la Vilaine va aussi devenir un ennemi ou un obstacle qu’on va chercher à maîtriser. Ce qui va entraîner à partir du 16e siècle les grands travaux d’aménagement, la canalisation, sa couverture dans le centre-ville... Tout cela va la rendre moins présente et donc plus méconnue. » Un drôle de destin pour le dixième plus long fleuve de France métropolitaine (225 kilomètres) qui prend sa source à Juvigné en Mayenne pour terminer sa course dans l’océan, après le barrage d’Arzal dans le Morbihan. Un itinéraire ponctué de péniches, de kayaks et de poiscailles que nous avons exploré de Rennes jusqu’aux portes de l’estuaire. Chemin de halage, nous voilà !
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KM 0 : PARKING VILAINE, RENNES C’est sur le goudron du parking Vilaine que notre road-trip à vélo démarre. Si la Vilaine est ici invisible, elle coule pourtant sous nos pieds. La couverture du fleuve, entamée au début du 20e siècle « dans un but presque social de mieux relier les quartiers riches du nord et les quartiers pauvres du sud », précise Pauline Guyard, s’est poursuivie jusque dans les années 1960 avec cette large dalle de béton, convertie en stationnement. Un usage qui aujourd’hui fait débat au sein de la municipalité rennaise. Trois options sont avancées : le laisser tel quel, le piétonniser ou alors le casser afin de dévoiler à nouveau la Vilaine. Fin septembre, un essai de végétalisation y a été tenté le temps d’un week-end : zéro voiture, pelouse, transats et projection en plein air du film E.T. C’est tant que ça de la science-fiction d’imaginer le parking ainsi ?
KM 0,5 : QUAI SAINT-CYR, RENNES Parallèle au très hype mail FrançoisMitterrand, le quai Saint-Cyr est la partie de Vilaine la plus visible pour les Rennais. La plus typique aussi, avec sa dizaine de péniches qui y stationnent. 15
DOSSIER
Parmi elles, la Péniche-Spectacle. Cette salle flottante est en fait constituée de deux bateaux reliés l’un à l’autre : « deux anciennes péniches qui transportaient du sable pour la construction, explique Annie Desmoulin, coresponsable des lieux avec Hugues Charbonneau. On a lancé l’affaire en 1985, quelques années après la fin des activités de batelleries sur la Vilaine. » Après avoir été utilisées pour trimballer de la marchandise pendant des décennies, les rescapées de la casse ont été transformées. En petit théâtre dans le cas de la PénicheSpectacle et en lieu d’habitation pour ses voisines de quai. Parmi elles, le Cenomans, propriété de Claude Fleurent, dit “Pépère”, qui nous a invités à visiter l’intérieur : un 100 m² plutôt cosy, dans un style très marine marchande (le clou : un couloir ré-
plique de ceux qu’on trouvait sur le Titanic, wow). « On n’est pas plus d’une vingtaine de pénichards sur la Vilaine, calcule cet ancien prof de dessin à la retraite. Ce sont toutes des péniches d’une même époque et aux dimensions similaires : fin 19e début 20e, 26 mètres de long pour 4,60 de large, le max pour passer les écluses étroites de Bretagne. C’est un mode de vie tranquille, quand on circule c’est à 10 km / h pas plus. Si tout le monde peut s’y plaire ? Faut quand même être un minimum bricoleur et aimer la batellerie sinon c’est pas la peine. J’en ai vu des petits jeunes faire semblant de s’y intéresser mais c’était surtout pour avoir une habitation originale… » Le folklore, très peu pour Pépère qui, à 69 ans, ne réaménagerait pour rien au monde dans son ancien appartement dont il a rendu les clés il y a plus de 30 ans.
KM 1 : MABILAIS, RENNES Si des bureaux, des logements et un resto s’y sont aujourd’hui installés, le bâtiment de la Mabilais, célèbre pour son design futuriste, son antenne de 80 mètres de haut et sa soucoupe surplombant les toits, a été jusqu’en
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« DES MOMENTS DIFFÉRENTS DU RESTE DE LA VILLE » Jean-Luc Gaudin, vice-président de Rennes Métropole en charge de l’aménagement et président de Territoires et Développement. Avec l’Année de la Vilaine, Rennes Métropole multiplie les projets autour de l’eau (plaine de Baud, îlot de l’Octroi, jardins flottants...). Pourquoi cet intérêt actuel pour le fleuve ? C’est le fruit d’une réflexion globale sur la place de la nature. 16
On s’est rendu compte que l’eau dans la ville pouvait apporter des secteurs de calme et créer des espaces paisibles où les gens peuvent prendre le temps de flâner et de se détendre. Cela favorise le bien-être dans la ville. Prenons l’exemple de l’aménagement de la zone de l’Octroi et du jardin de la Confluence à Rennes : c’est un lieu fréquenté car il offre des moments différents du reste de la ville. Cette préoccupation est partagée par toutes les métropoles qui ont la chance d’être
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traversées par un fleuve. Bordeaux, Lyon et Nantes par exemple ont toutes aménagé leurs quais en espace public. En plus du bien-être dans la ville, cette reconquête de la Vilaine peut-elle se traduire par de nouvelles activités économiques ? Des transports en commun sur la Vilaine ont pu être évoqués, mais les temps de parcours sont rédhibitoires avec les écluses. Quant au fret, c’est fini, il ne faut pas rêver. Cela a disparu avec l’arrivée du chemin du
fer, puis des transports routiers. Réétudier une remise en œuvre de péniches pour du commerce serait une utopie totale, pour des questions de temps, de coût, de volume… Et d’un point de vue touristique ? L’eau à Rennes n’aura jamais l’impact touristique du bord de mer. Ou de ce qui peut se passer sur d’autres gros fleuves français car les configurations sont différentes. On cherche simplement à valoriser ce cours d’eau. Cela contri-
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2008 le siège de la direction régionale de France Télécom. Un lieu d’innovations, conçu en 1973 sur les bords de la Vilaine, qui abrita ce qu’on appelait à l’époque le “Centre commun d’études de télévision et télécommunications”. Un laboratoire réunissant alors la crème bue à la qualité de vie des habitants et, forcément donc, à l’image de la ville. Les gens de passage en profitent mais nous ne développons pas cela pour attirer des touristes. Un travail de valorisation de la vallée de la Vilaine est pourtant effectué… Nous sommes là sur une volonté de redécouverte d’un patrimoine énorme. Tout le long de la Vilaine, il y a des richesses que la topographie locale ne nous permet pas de visualiser. En plus du chemin de halage, deux nouvelles voies vont concourir à rentrer dans l’épaisseur de la Vilaine. C’est un travail à long terme sur lequel on espère agréger les initiatives des collectivités et des projets privés afin de créer de nouveaux pôles d’intérêt, des activités, des lieux d’hébergements… Cela permettra d’explorer plus en profondeur la vallée. 17
DOSSIER
« Jamais un parcours aussi grand n’avait été aménagé » des ingénieurs en audiovisuel et téléphonie. Parmi les technologies qui y sont nées : la carte à puce, la prise Péritel, le cryptage de Canal Plus, le format JPEG, le Minitel... 3615 TROP LA CLASSE.
KM 3 : ROAZHON PARK, RENNES
KM 4 : SAINTE-FOIX, RENNES Le long du chemin de halage, une enfilade de murs de graff signale la présence juste derrière des locaux d’ASARUE, l’association de soutien au réseau urbain d’expression. « La Ville de Rennes nous a alloué cet espace un peu paumé mais où on se sent bien, reconnaît le président de l’asso Paul, aka Mya. On est au calme pour travailler nos techniques et préparer nos futurs murs d’expression. » Assez vaste, le cadre est même propice aux rassemblements éphémères : après avoir accueilli un event dans le cadre du dernier Made Festival en mai, ASARUE envisage d’organiser à l’avenir des “jam graffiti” : « Une buvette, une baraque à frites, un son, on met des murs à disposition et vient qui veut s’amuser avec nous. Une bonne idée, non ? » Si.
L’enceinte du Stade Rennais a retrouvé cette saison le goût de l’Europe. C’est d’ailleurs un soir de match d’Europa League contre Jablonec qu’on a tapé la discut’ avec Robert de Chez Lulu, le stand de galettes-saucisses le plus proche du fleuve. « On est là à chaque match depuis 1981. On a tout connu avec ce club : la première division, la deuxième, la remontée et maintenant l’Europe. » Et c’est bon pour les affaires ? « Pas vraiment car ça décale les matchs de championnat le dimanche après-midi : c’est pas terrible pour nous. La solution serait qu’ils soient sur le podium pour jouer KM 6 : ÉCLUSE D’APIGNÉ, LE RHEU le dimanche soir, mais on n’y est pas En quittant Rennes, Apigné est la encore… » première grosse étape sur le chemin de halage, avec ses étangs, son KM 3,1 : ROCADE OUEST, RENNES resto (fish’n’chips recommandé) et À quelques mètres de là, sous la son écluse, où vit et travaille Loïc rocade ouest qui enjambe la Vilaine, Bazillais. Ils sont treize éclusiers au on rencontre Psyké, sans domicile total employés sur la Vilaine, pour fixe qui depuis trois ans a posé son autant de ces édifices facilitant le pasmatelas sous l’édifice de béton. « C’est sage des bateaux. Le fonctionnement un endroit plutôt calme, assure-t-il. des écluses ? En gros, c’est un système Y a le bruit des voitures mais la nuit de double barrage qui est appliqué ça va. » Accompagné de ses deux pour faire passer le bateau d’un bord chiens (Malice et P’tit con), l’homme à l’autre, la manœuvre ne prenant de 39 ans reconnaît quelques matins qu’une poignée de minutes et quelques frisquets tout de même. « Y a un tours de manivelles. Pour la partie peu d’humidité avec le fleuve, mais historique, c’est Pauline Guyard de heureusement j’ai une grosse parka. l’Écomusée qui a fouillé pour nous On s’habitue à tout de toute façon... » dans les archives. « Au 16e siècle, il 18
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était capital de pouvoir transporter des denrées et des matériaux sur la Vilaine. Pour les Rennais, à une époque où le ferroviaire n’était pas développé, cela représentait un enjeu énorme. Les élus de la ville, alors constitués de bourgeois et de commerçants, y avaient des intérêts privés, alors ils ont multiplié les demandes auprès du roi afin de rendre le fleuve navigable. Neuf premières écluses ont finalement été construites en 1542 entre Rennes et Redon. À l’époque, il s’agit d’une révolution : jamais un parcours aussi grand n’avait été aménagé de la sorte en France. » Autre particularité des écluses du coin : elles sont gratuites pour ceux qui les empruntent, ce qui n’est pas le cas partout ailleurs. « C’est un choix de la région Bretagne, dont on est fonctionnaire territorial », précise Loïc, ancien de la DDE qui ne regrette pas son changement de job : « Je me tapais les bruits de circulation en permanence. Ici c’est le calme, la nature, les promeneurs… » Et une productivité pas trop violente, avec
une dizaine de passages de bateaux max par jour. La belle vie. Avis aux amateurs, l’accès au métier se fait sur concours de la fonction publique.
KM 6,2 : SLIPWAY D’APIGNÉ, LE RHEU
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Une péniche arrimée sur le flanc, tel un gros cétacé échoué sur une plage : c’est la vision qu’offre le slipway d’Apigné en activité. Cette cale maritime – la seule sur la Vilaine – est une sorte de garage à bateaux où ceux-ci sont extraits de l’eau pour être inspectés, entretenus et retapés. En l’occurrence, le jour de notre passage, c’est une antique péniche hollandaise de 33 tonnes qui est décapée par Bernard Chansel et Julien Brosse, spécialistes de ce type de chantier. « On achète des embarcations qu’on rénove pour du clé-en-main, éclaire ce dernier. Ce sont des centaines d’heures de travail et même plusieurs années entre l’achat de l’épave et la revente, mais la culbute financière est intéressante. D’autant plus si la Vilaine revient à la mode. » Pour preuve, le navire hollandais actuellement en chantier pourrait bientôt être
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DOSSIER
acquis par un promoteur souhaitant le convertir en bar flottant à Rennes, nous confient les deux artisans. Si dans quelques années vous vous retrouvez à boire une pinte sur l’eau du côté du quai Saint-Cyr, possible que ce soit sur cette péniche...
KM 8 : LILLION, RENNES Avec ces hautes buttes couleur ocre, on pourrait se croire dans un désert du Nevada. La sablière de Lillion offre une vue dépaysante. Un décor étonnant façonné par l’entreprise Lafarge qui y extrait sables et granulats pour la production de béton. Une activité qui dans les années 1960 tournait à fond la caisse : la vallée de la Vilaine a compté plus d’une centaine de sites d’extraction. Avant que la nature reprenne ses droits. « L’eau a depuis investi ces cavités, formant ainsi des étangs souvent difficiles d’accès, indique Pauline Guyard. Ce sont de magnifiques réservoirs pour la biodiversité, des oiseaux migrateurs par exemple viennent pour se reproduire. »
étonnant de voir une telle usine sur les bords de Vilaine et c’est à Champcors qu’on y trouve la doyenne, avec à sa tête Emmanuel Pivan, troisième de la génération à avoir repris l’affaire il y a six ans. « Les origines de la minoterie de Champcors remontent au 11e siècle. C’est l’un des derniers moulins de France qui reste entièrement hydraulique. On produit 8 tonnes de farine par mois qu’on revend notamment à des restaurants gastronomiques du coin. » S’il n’y a plus de grande roue, c’est encore KM 10 : CHAMPCORS, BRUZ la force de l’eau qui permet de faire Une minoterie, vous connaissez ? Il tourner poulies et courroies actions’agit d’une fabrique de farine. Pas nant le concassage du blé.
KM 19: L’ÉTRILLET, PONT-RÉAN S’il n’est pas étonnant de croiser des péniches et des canoës aux abords de la Vilaine, il l’est plus de se retrouver nez à nez avec un avion de chasse. C’est pourtant bien sur un Mirage 5 qu’on est tombé dans la cour de l’écodomaine de l’Étrillet à Pont-Réan. Un drôle d’engin qu’on doit à Didier Jousset, ancien cadre dans l’aéronautique, qui avec sa femme Emmanuelle a fondé ce lieu de création hybride et mouvant, mettant l’accent sur les projets locaux et innovants. « Parmi ceux qu’on accueille actuellement : un torréfacteur, un paysagiste, des designers… On vient aussi de planter
QUAND LES “VILAINES” SE BAIGNAIENT DANS LA VILAINE Qu’on le trouve joli ou pas, il faut bien admettre que le nom du fleuve n’est pas des plus heureux. Son origine est d’ailleurs toujours discutée. Pour certains historiens et spécialistes de l’étymologie, son appellation viendrait du breton 20
“ar ster vilen” (la rivière aux moulins) ou de “ar ster velen” (la rivière jaune). S’il apparaît sous le nom de “Visnonia” au 9e siècle, puis “Vicenonia” au 11e siècle, le fleuve est francisé en “Villaingne” au 15e siècle, puis “Vislaigne” et enfin “Vilaine”.
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Rien à voir avec un prétendu aspect disgracieux donc. Bien au contraire. Selon une légende du 12e siècle, on prêtait à la Vilaine des vertus magiques. À cette époque, les femmes rennaises avaient tellement la réputation d’être belles qu’on finit par attribuer
cette beauté aux eaux de la ville. La Vilaine embellirait toutes celles qui s’y baigneraient ! C’est ainsi que des jeunes filles, que leur famille estimait peu avantagées, y étaient conduites pour effectuer des « bains de Vilaine » et jouir de ses pouvoirs présumés.
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mille pieds de vigne pour, espérons-le, produire du vin nature. Parallèlement à tout ça, nous sommes également un lieu de résidence artistique, énumèrent les néo-ruraux. L’endroit multiplie les activités, il n’est pas mono-tâche : c’est notre façon de cultiver la biodiversité. »
KM 22 : LE BOËL, PONT-RÉAN S’il a aujourd’hui plutôt belle gueule, le moulin du Boël, situé sur la commune de Bruz, a bien failli disparaître. « Il y a cinquante ans, c’était une ruine. Il ne restait que quatre pans de murs, dont un qui s’écroulait et qui menaçait d’être emporté dans la Vilaine, fait savoir Jean-Yves Connen qui, en 1965, a créé une association de sauvegarde. On a refait toute la maçonnerie ainsi que la toiture. Ce qui a permis de le préserver, même si des travaux restent encore nécessaires : les huisseries, des ardoises, les infiltrations... » Des investissements que Jean-Yves espère possibles grâce au Loto du Patrimoine où, parmi la liste des sites retenus, figurait ce moulin datant du 17e siècle. « Mes arguments auprès de Stéphane Bern, que j’avais été voir après une conférence, ont dû marcher. Même si aujourd’hui je ne sais pas vraiment comment cela va se mettre en place. » 21
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« Pêcheurs, camping-caristes... tout le monde se mélange » KM 24 : LAILLÉ Si le pont de Laillé qui enjambe la Vilaine en direction de Guichen ne paie pas de mine, il a pourtant failli avoir un destin historique. Au printemps 1941, les Allemands, embourbés à quelques encablures de Moscou, décident de tourner en avance la prise de la ville. Il faut filmer la traversée d’un pont sur la Moskova : la Vilaine fera l’affaire. Laillé est alors désignée comme décor par la Universum Film Aktiengesellschaft, principal producteur de films de propagande nazi à l’époque. Pour les besoins de la scène, des champs de blé environnants seront brûlés et le pont maquillé avec du contreplaqué. Près de 1500 soldats passeront et repasseront devant la caméra pour immortaliser cette vraie-fausse prise de Moscou. Un film qui, indépendamment de l’issue de la bataille moscovite, ne sera jamais diffusé. La raison ? Un panneau routier “Bourgdes-Comptes 6,5 km”, oublié lors du tournage, y apparaissait.
KM 30 : BOURG-DES-COMPTES Besoin d’une petite halte pour la nuit ? Le camping des Deux Moulins est le pied-à-terre le plus indiqué pour poser sa tente et reposer ses guiboles. Ici, pas de piscine ni de salle de jeux mais le strict nécessaire pour un court séjour : 57 emplacements, une poignée de mobil-homes et des sanitaires entretenus par la tenancière des lieux, Aline Tigeot. Depuis trois ans, elle est la gérante de ce camping qui a vu le jour en 1970. « Des randonneurs, des camping-caristes, des pêcheurs, 22
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des ouvriers du coin et des habitués du circuit de Lohéac pas loin : tout le monde se mélange sans chichi chez nous. On est le seul ouvert à l’année en bord de Vilaine. »
KM 30,3 : BOURG-DES-COMPTES À deux pas du camping, niché sur les hauteurs, le château de Mont-Rive transperce les arbres et domine le chemin de halage. Une jolie bâtisse construite au 19e siècle, avec tuiles, façades couleur ocre clair et style néo-toscan. Bienvenue à Florencesur-Vilaine.
KM 37 : SAINT-SENOUX Si Laillé a pris des airs russes pendant la Seconde Guerre mondiale, le village de Saint-Senoux vous donnera également l’impression de vous trouver sur la place Rouge. Particularité de
ce bourg de 1 800 habitants : une église au style néo-byzantin coiffée d’un clocher à bulbes. Hashtag URSS sur Instagram.
KM 49 : GUIPRY-MESSAC Les coiffeurs n’ont pas le monopole des jeux de mots ou des noms débilos. Au moment de choisir le nom de leur établissement, les patrons de bistrots ne sont pas non plus les derniers. Exemple à GuipryMessac avec “L’Espace détente œnologique”, chaînon manquant entre le bar PMU et Yves Rocher. Un rade bon esprit qui fait face au pont, ancienne place forte de la route du sel sous François 1er. Héritage de ce passé de commerce fluvial, les odonymes glanés autour du pont, comme la rue des Saulniers (ancien nom des personnes travaillant dans les marais salants) ou la rue des Gabelous (douaniers chargés de récolter la gabelle, ancien impôt sur le sel). Ça c’est question jaune au Trivial Pursuit.
KM 66 : LANGON Reliant les communes de Sainte-Annesur-Vilaine et Langon, le pont de Port de Roche vient de fêter ses 150 ans sur le fleuve. Posé en 1868, cet édifice métallique de 76 mètres de long avait été présenté l’année précédente à l’exposition universelle de Paris. Avant d’être démonté pièce par pièce, puis reconstruit à Langon. En hommage à Napoléon III et à l’impératrice Eugénie, venus inaugurer l’exposition, les lettres “N” et “E” ornent les deux piliers centraux.
KM 78 : MASSÉRAC
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À l’extrême sud du département, où le fleuve sépare l’Ille-et-Vilaine de la LoireAtlantique, c’est un paysage digne du Mississippi ou de l’Alabama qui défile sous nos yeux. Un cours d’eau massif, des marais aux alentours, des herbes folles, des bateaux de pêche au carrelet… Un no man’s land (on n’y croisera ni Tom Sawyer ni Forrest Gump, juste du bétail) au cœur de nombreuses histoires. Parmi les plus notables, celle d’une citée immergée au lac de Murin, sur la com-
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KM 90,5 : REDON
mune de Massérac, à la confluence de la Vilaine et de la rivière le Don. Ou encore la légende des cloches englouties : celles de l’église SaintMelaine que les Vikings auraient volées lors du pillage de Rennes, avant que leur drakkar sombre dans le fleuve. Lors des jours de mauvais temps, on les entendrait toujours tinter…
KM 88 : SAINT-NICOLAS-DE-REDON
KM 82 : SAINTE-MARIE
KM 90 : REDON
Ouverte de mai à septembre, la paillote du Pont est un bar-resto qui permet une pause fraîcheur bienvenue. La tenancière Nathalie Année se charge de l’anecdote locale : « Le pont du Grand Pas, qu’on voit depuis la terrasse, est un édifice historique de 1912. Mais la légende veut que ce soit Gargantua qui ait effectué un grand pas pour passer d’un bord à l’autre de la Vilaine. » Que vient faire Gargantua dans ce coin de Bretagne ? « Alors là… mystère. »
Des pêcheurs, on en croise pas mal le long de la Vilaine. En cambrousse ou en ville. C’est le cas d’Ali, carreleur de métier, croisé à son spot préféré de street-fishing : au croisement avec le canal de Nantes à Brest. « Là je vais y passer l’aprèm, c’est peinard… Je pêche du carnassier : brochet, sandre, silure. Parfois je relâche ce que je pêche, parfois j’en donne. Perso je n’en mange pas mais il est bon le poisson de Vilaine. » Bien cuit plutôt qu’en sushi tout de même.
672 m de long, 25 de haut, 11 travées de béton armé et d’acier, une jolie courbe et une mise en service en 2002 : dites bonjours au viaduc de Saint-Nicolas-de-Redon, un édifice qui a une sacrée gueule vu d’en bas et qui mériterait presque son épisode dans Mégastructures sur RMC Découvertes.
« Les poissons de la Vilaine, perso je n’en mange pas... » 24
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Contre un impressionnant bâtiment industriel servant de support street-art, le musée de la batellerie est une étape incontournable pour s’instruire sur l’histoire de la Vilaine. Aux manettes depuis son ouverture en 1990 : Charly Bayou, intarissable sur l’activité fluviale passée et présente. « Le transport de marchandises a été remplacé par une activité plaisancière de tourisme. La Vilaine gagne à être connue, mais pas trop non plus : j’ai déjà navigué sur le canal du Midi et y a tellement de monde sur l’eau que les gens sont limite à se foutre sur la gueule ! Heureusement qu’ici on en est loin. »
KM 99 : RIEUX À mi-chemin entre Des Racines et des ailes et Indiana Jones, le château de Rieux offre un sacré spectacle au visiteur. Ses ruines se découvrent dans un dédale de sentiers, sur une butte surplombant le fleuve. Bien qu’abandonné il y a près de 400 ans, il impressionne avec quelques éléments plutôt bien conservés.
KM 107 : BÉGANNE On les voit de loin, ces quatre éoliennes de Béganne. Qu’ont-elles de particulier par rapport aux autres ? « Il s’agissait du premier parc éolien citoyen de France lorsqu’il a vu le jour en 2014, explique Edgar Wolf, responsable de l’asso locale Éoliennes en Pays de Vilaine (EPV), qui en a depuis initié d’autres à Avessac et Sévérac, non loin en Loire-Atlantique. La production du parc de Béganne – 18 millions de kilowattheures par an, de quoi fournir 4 000 foyers en électricité – est ensuite revendue : au réseau EDF et bientôt au fournisseur d’électricité renouvelable Enercoop. » Le consommer local est partout.
KM 109 : BÉGANNE Oh mais c’est un joli petit dolmen qui s’érige au lieu-dit du Rohello à deux pas du chemin de halage. Prends ça, Carnac !
KM 128 : ARZAL
Notre road trip s’achève à Arzal, où la Vilaine se jette dans l’Atlantique au niveau d’un impressionnant édifice : le plus grand barrage d’estuaire d’Europe, dont la construction a KM 117 : NIVILLAC été achevée en 1970. Si cette digue « J’aime les panoramas. » Si Hubert de 360 mètres de long a permis de Bonisseur de La Bath a prononcé mieux réguler le débit du fleuve et de cette phrase en contemplant le ca- considérablement limiter les crues, nal de Suez dans le premier volet à Redon et Rennes notamment, elle d’OSS 117, il aurait très bien pu la a aussi ses conséquences néfastes : dire à Nivillac. Construit en 1996 « Envasement en aval et assèchement pour absorber une partie du trafic du de plus de 10 000 hectares de marais pont de La Roche-Bernard (poke le en amont, ce qui a bouleversé l’écop’tit Grégory), le pont du Morbihan système », s’inquiète Robin Pohu, offre un point de vue vertigineux guide local. Le gazier fait visiter un sur la Vilaine grâce à un étonnant étonnant dispositif mis en place en escalier épousant l’arc de la struc- 1995 au cœur même de l’édifice : ture. 262 marches permettent aux une passe à poissons. « Concrètepromeneurs de franchir le fleuve et ment, c’est comme un ascenseur pour de faire des photos 27 mètres au- permettre aux civelles, anguilles et dessus de l’eau. Wahou. autres poissons de passer le barrage
pour aller de l’océan vers le fleuve et inversement, selon leurs cycles de vie. » Un ingénieux système qui permet de comptabiliser les espèces, et les derniers chiffres sont d’ailleurs assez alarmants : « On est à 41 kilos de civelles recensées cette année, contre des centaines de tonnes qui circulaient dans cette zone jusque dans les années 70. Pour les truites, c’est catastrophique : elles ont carrément disparu, on n’en a pas vu passer depuis un moment. Quant aux saumons, seule une dizaine a été aperçue au niveau de cette passe cette année. Des poissons qui, après avoir vécu dans la mer, retournent dans le fleuve où ils sont nés pour se reproduire. » Tels deux saumons, à notre tour de remonter la Vilaine, retour à Rennes ! Julien Marchand et Régis Delanoë
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FIGURE NOCTURNE DE NOS VILLES, LES PETITES ÉPICERIES RÉSISTENT TANT BIEN QUE MAL AU DÉVELOPPEMENT DES SUPÉRETTES DE PROXIMITÉ ET AUX ARRÊTÉS MUNICIPAUX SUR LA VENTE D’ALCOOL. BIENTÔT LA FIN DE « L’ARABE DU COIN » ? ennes, un jeudi soir en centre-ville. Alors que les étudiants enchaînent les pintes en terrasse et que la rue de la soif grouille déjà de monde, Ahmad Habib passe une soirée relativement calme dans son épicerie située au bout de la rue de Saint-Malo. Depuis 20 h, il n’a en effet plus le droit de vendre de l’alcool et, il l’avoue, le nombre de ses clients chute drôlement après cette heure fatidique. Il est bientôt 22 h et les entrées dans le magasin 26
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s’enregistrent au compte-goutte : un trentenaire qui vient chercher une bouteille de Coca, un couple en quête d’un sachet de pain de mie, deux petites jeunes qui prennent des canettes d’Oasis… C’est pas fou-fou, mais suffisant pour justifier les horaires tardifs, assure Ahmad. Plus tôt, l’épicerie affichait pourtant une autre ambiance. En cette fin d’après-midi de septembre, il fait encore chaud et c’est un ballet incessant de clients qui rythme les lieux. Avec pour tous la même direction :
les frigos aux étagères garnies de canettes. « Les bières fortes à 1 € les 50 cl, c’est ce que je vends le plus. Faut que je refasse régulièrement le stock dans la journée… », précise le gérant qui entame sa cinquième année dans cette boutique ouverte 7 jours sur 7, de 15 h à 23 h. Une vie que cet Afghan de 32 ans, arrivé en France en 2013, n’imaginait pas vraiment. « J’ai un diplôme en finance et comptabilité que j’ai obtenu à l’université de Kaboul. Mais j’ai commencé à travailler comme
interprète pour l’armée américaine et française. C’est comme ça que j’ai eu l’opportunité de venir en France avec ma femme, raconte-t-il dans un français impeccable. Et en attendant d’obtenir une équivalence de mon diplôme à l’école de commerce de Rennes, il fallait bien que je travaille. J’ai donc décidé de reprendre cette boutique. Le fond de commerce n’était vraiment pas cher et les risques limités : je me suis donc lancé. »
« Travailleurs, étudiants, SDF... » Une épicerie de quartier qu’il ouvre en novembre 2014 et dont près de la moitié des rayonnages est constituée de boissons alcoolisées. Vins et packs de bière en libre accès, bouteilles de spiritueux sur demande derrière le comptoir. « Si le week-end je vends un peu plus de produits de dépannage comme des pâtes ou du fromage, c’est grâce à l’alcool que les affaires tournent en semaine. Sans ça, je coulerais. » Une réalité économique qu’il est parfois dur de faire concilier avec les arrêtés municipaux encadrant les heures de vente autorisée. « Quand je vois les bars qui ont le droit de servir tard, je trouve que cela n’est pas juste. Les épiceries ne sont pas les seules responsables des problèmes d’alcool. C’est décourageant, mais j’ai pas le choix… » À quelques centaines de mètres de là, on retrouve Serkan Kobulan, employé depuis deux ans au “Marché Sainte-Anne”, une alimentation générale située sur la place du même nom. L’échoppe s’avère étroite, mais regorge de produits. Légumes, paquets de gâteaux, yaourts, conserves, riz, bonbons, charcuterie, lessive, boissons diverses et variées… Le tout dans une déco joliment foutraque où se mêlent colonnes à mosaïque verte, trophées sportifs et guirlandes de Noël (toute l’année bien sûr). « On est ouvert de 9 h 30 à 22 h tous les jours, ce qui 27
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nous permet d’avoir une clientèle variée : des personnes âgées, des travailleurs, des étudiants, des SDF… L’ambiance du matin n’est pas du tout la même que le soir, mais c’est quelque chose que j’aime bien, expose ce jeune homme de 34 ans qui malgré un chiffre d’affaires en baisse (« l’interdiction de la vente d’alcool après 20 h ne nous a pas fait du bien ») continue de croire en l’avenir de ces boutiques. Il y aura toujours besoin de petites épiceries comme la nôtre. Faut bien que les gens aient quelque part où aller pour faire leurs courses de dépannage. Comme le dimanche où c’est notre plus grosse journée. » Un avis partagé par David Dioclès qui, avec sa compagne Émilie Roy, a ouvert fin juin Les Fistons, son magasin à Morlaix. « On vient tous les deux du sud, une région où on trouve beaucoup d’épiceries de ce genre. Et à Morlaix (ville d’où ses
grands-parents sont originaires, ndlr), on s’était rendu compte que c’était un type de commerce pas du tout développé. On s’est donc dit qu’il y avait un créneau à prendre », retrace le jeune homme de 29 ans.
« De drôles de personnages » Un local de 18 m2 est alors trouvé au pied du viaduc. « Ce n’est pas grand mais on y trouve de tout. Je travaille même en direct avec des producteurs locaux pour les légumes, les fruits, la viande… Une offre que je tenais à avoir pour être une vraie alimentation générale et pas juste une épicerie de nuit. Même si en soirée je reconnais que c’est surtout de l’alcool que je vends. » Comme en ce vendredi soir où, jusqu’à 22 h, David verra défiler les fêtards de la ville en quête de munitions. Bière, vin, vodka, whisky, et quelques bouteilles de soda pour diluer tout ça. « Forcément, c’est un
« Les épiceries de quartier sont obligées d’évoluer » 28
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peu plus cher qu’au supermarché, mais pas tant que ça. Je fais justement attention à ne pas avoir des prix déconnants pour fidéliser ma clientèle. » Ouvert de 10 h à 23 h toute la semaine (« sauf le dimanche où je ferme à 21 h pour pouvoir regarder le match de l’OM »), l’épicerie de David et Émilie tourne bien. Plus que prévu même. « Le chiffre d’affaires est 50 % supérieur à notre prévisionnel. Ça nous permet de vivre tous les deux dessus, ce qu’on n’aurait pas forcément imaginé tout de suite, se félicite le gérant qui, pour l’instant, n’a pas eu de gros pépins à gérer. Quelques mecs bourrés et de drôles de personnages de temps en temps, mais il suffit d’être psychologue et de les prendre par le bon bout. Et si jamais ça dérape, le commissariat n’est pas très loin de toute façon. » Si les horaires décalés et les ouvertures le dimanche constituent la force commerciale de ceux qu’on appelle communément les “Arabes du coin” (qui aujourd’hui sont tout aussi bien Asiatiques qu’Européens), ces arguments ne laissent pas insensibles les
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géants de la grande distribution qui, depuis quelques années, développent leur offre de proximité par des supérettes au cœur des villes. À l’image de U Express ou de Carrefour City sur le pont jusque 22 h dans certaines villes, ainsi que le dimanche matin. « S’ils se mettent à ouvrir toute la journée du dimanche, on est mort », estime Ahmad. Une inquiétude que comprend Lahoucine Sliman, délégué régional de l’Union des commerces de proximité (UCP), même s’il se veut confiant pour l’avenir. « Le marché est en mutation, mais ce n’est pas une mauvaise chose. Que ce soit par les franchisés ou par les indépendants, l’offre de proximité se développe dans nos centres-villes. Ce qui est l’essentiel. » Au risque de voir les petites échoppes disparaître ? « Les épiceries de quartier sont aujourd’hui obligées d’évoluer. À terme, je pense que la majorité sera condamnée à rejoindre une centrale d’achat pour survivre. Ou alors à proposer des services nouveaux, comme le drive ou la livraison à domicile. Tôt ou tard, c’est désormais sur Internet qu’on ira chez l’Arabe du coin. » Julien Marchand 29
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LES LOBBYISTES DU BONHEUR
ALORS QUE LA PLANÈTE PART SÉRIEUSEMENT EN CACAHUÈTE, ELLES CONTINUENT DE CROIRE EN UN MONDE MEILLEUR. LIGUE DES OPTIMISTES, ÉCOLE DU POSITIF, FABRIQUE SPINOZA : DES ORGANISATIONS PERSUADÉES QUE L’ENTHOUSIASME PEUT CHANGER L’HUMANITÉ. VRAI MESSAGE D’ESPOIR OU TOTAL BULLSHIT ?
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e dérèglement climatique, Trump, le terrorisme, la disparition d’espèces animales, la montée des populismes, le Brexit, l’intégrisme religieux, le chômage qui ne baisse pas, les scandales alimentaires… Il suffit chaque jour d’ouvrir les journaux pour tirer froidement le même constat : le monde semble bel et bien partir en vrille et les raisons d’espérer des lendemains qui chantent apparaissent maigres, pour ne pas dire inexistantes. Dernier épisode en date, début octobre, avec le rapport du GIEC sur le réchauffement de la planète qui exhorte à des « mesures drastiques et immédiates » pour tenter de limiter les dégâts... Quoi, vous aussi vous pensez que cet énième signal d’alarme ne débouchera sur rien ? Dans ce contexte pas vraiment fun-fun-fun, dur de ne pas céder au fatalisme. Si cela est votre cas, sachez que vous n’êtes pas seul. Selon une étude de l’Insee parue en septembre, le moral des Français n’a jamais était aussi bas depuis plus 30
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de deux ans. Le pays ne compterait que 55 % d’optimistes, pire résultat mondial derrière le Japon (44 %). Si un pessimisme ambiant semble avoir gagné la société, certains continuent malgré tout de voir le verre à moitié plein. C’est le cas de la Ligue des optimistes, une association fondée en 2010 qui milite pour davantage d’enthousiasme dans notre quotidien. Le fondement de sa doctrine : le monde n’irait pas si mal (il ne se serait même jamais aussi bien porté, indicateurs mondiaux à l’appui) et en prendre conscience permettrait d’enclencher un cercle vertueux. Une philosophie qui, selon cette organisation soutenue par Erik Orsenna, Matthieu Ricard ou feu Jean d’Ormesson, pourrait s’appliquer dans tous les domaines : éducation, santé, environnement… Et aussi au travail, un thème développé lors d’une journée de formation organisée par l’antenne rennaise de l’association. En cette matinée d’octobre, ce sont près d’une dizaine de personnes qui ont répondu présent pour « développer l’optimisme dans l’entreprise, renforcer ses compétences et repartir avec la banane ! ». L’esprit Cogip.
« Un multiplicateur de résultat » Gérant d’un centre linguistique en Mayenne, Thibault Le Marié est l’un de ces participants. « Dans notre activité, nous accueillons beaucoup de cadres soit pour des stages d’anglais en immersion, soit pour des séminaires. Lors de nos séjours, nous travaillons cette question de l’optimisme car le volet émotionnel est un multiplicateur de résultat. Cela permet de “débloquer” certains salariés et ainsi de porter le développement de l’entreprise », témoigne-t-il alors que la salle se remplit peu à peu. Dans les rangs : des gérants de PME, quelques professions libérales, des personnes en reconversion… 31
« Bisounours » Un état d’esprit partagé par l’École du positif, une société (non reconnue comme organisme de formation agréé par l’État) basée à CessonSévigné, qui propose ateliers et séminaires pour faire du bonheur un outil de nos vies pro et perso. « Nous organisons différents stages axés sur la psychologie positive, la méditation pleine conscience, l’intelligence émotionnelle…, détaille Caroline Letourneau, formatrice au sein de l’institut. L’optimisme est quelque chose qui peut s’apprendre. Plusieurs études tendent à confirmer que les causes du bonheur s’expliquent à 50 %
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« Il s’agit de profils sur lesquels nous essayons d’agir car nous sommes persuadés que la pensée positive est un levier d’action efficace pour l’entreprise, aussi bien pour le bienêtre des salariés que pour la productivité de la société », expose Florence Duchamp, la déléguée de la Ligue des optimistes en Ille-et-Vilaine. De la pensée positive au travail, pourquoi pas, mais concrètement ça consiste en quoi ? « Il s’agit surtout de se réinterroger sur le management et le mode de fonctionnement : comment mieux communiquer, être moins dans le conflit, travailler les points forts de chaque salarié plutôt que d’essayer de corriger à tout prix ses points faibles… À l’échelle d’une entreprise, on met en pratique les préceptes de la Ligue : se concentrer sur les aspects positifs, croire en une amélioration et agir. »
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par la génétique, 10 % par notre environnement et 40 % par notre volonté. Cela constitue une marge de progression loin d’être négligeable sur laquelle on peut tenter d’agir. » Désolé d’être rabat-joie, mais vouloir cultiver à tout prix l’optimisme, n’estce pas justement symptomatique du fait que les choses ne vont pas si bien ? « Ce n’est qu’une question de perception, rétorque Florence Duchamp. Prenons l’exemple de l’agriculture : les pessimistes ne pensent qu’aux pesticides et à la pollution, alors que moi je me réjouis du développement du bio et des Amap. J’y vois des raisons d’être confiante en l’avenir. » Caroline Letourneau, qui se défend d’être « une bisounours », embraye : « On ne gomme pas les aléas de la vie. Tout le monde a des problèmes, on ne le nie pas. Mais plutôt que de se morfondre et s’attarder sur le négatif, on pense que se concentrer
« Le bien-être au travail ne se résume pas qu’à un baby-foot » 32
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sur ce qui va bien permet d’insuffler une dynamique profitable à tous. Les petits ruisseaux font les grandes rivières… »
« Happy-washing » Sourires obligatoires, Happy de Pharrell Williams dans les oreilles et smiley en signature de mail, donc ? « Attention non plus à ne pas tomber dans un happy-washing de façade où on occulterait les vrais problèmes. Le bien-être au travail par exemple, ça ne se résume pas qu’à un baby-foot ou un saladier de bonbons en libre service, mais plutôt à une question de reconnaissance, de valorisation, d’autonomie, de gouvernance, de liberté d’initiatives... », recadre Hélène Hijazi, animatrice de l’antenne finistérienne de la Fabrique Spinoza qui se définit comme « un think tank du bonheur citoyen ». Si cette Brestoise est bien consciente de « la récupération à tout-va de l’optimisme » et de son business, comme le dénoncent la sociologue Eva Illouz et le psychologue Edgar Cabanas dans l’ouvrage Happycratie, comment l’industrie du bonheur
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a pris le contrôle de nos vies sorti en août dernier, Hélène Hijazi veut croire aux bienfaits d’une prise de conscience globale. « La mission de la Fabrique Spinoza est de redonner au bonheur sa juste place et d’en faire un sujet de société auprès des pouvoirs publics et économiques notamment. » Des lobbyistes du positivisme qui s’activent auprès de leurs membres (« la section finistérienne compte une cinquantaine de sympathisants et organise des “happyritifs” deux fois par mois »), mais aussi auprès des employeurs. Avec parfois des mesures qui voient le jour. « Dernièrement, j’intervenais dans une grande collectivité territoriale de la région. En interrogeant les agents sur ce qui les rendrait plus heureux au travail, plusieurs suggestions et idées sont apparues. Et parmi celles-ci, une proposition s’est concrétisée avec la création d’un “forfait d’absence ponctuelle”, leur permettant de ne pas devoir se justifier en cas de retard occasionnel ou d’imprévu. » Le bonheur, vecteur d’acquis sociaux ? Allez, soyons optimistes. Julien Marchand 33
J’IRAI DORMIR CHEZ LES BOUDDHISTES
DEPUIS PLUS DE 30 ANS, L’UN DES PLUS IMPORTANTS LIEUX DU BOUDDHISME TIBÉTAIN EN EUROPE EST INSTALLÉ À PLOURAY, AU CŒUR DU MORBIHAN. LOIN DES MONTAGNES HIMALAYENNES, LA COMMUNAUTÉ Y A TROUVÉ UN APAISANT (ET ÉTONNANT) COCON.
ans l’émission J’irai dormir chez vous, Antoine de Maximy s’incruste chez l’habitant pour nous faire découvrir des cultures différentes. Il traverse le monde alors qu’il lui suffirait de rallier Plouray dans le Morbihan pour être transporté dans une autre civilisation. Cette commune de 1 100 habitants dispose en effet d’un centre bouddhique offrant aux visiteurs un grand voyage à très peu de frais. Hormis l’absence des cimes himalayennes en arrière-plan, remplacées par une forêt dense nichant la com34
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munauté dans un apaisant écrin, tout le décorum tibétain y est. Un jardin de méditation de 15 hectares, sur lequel sont érigés quelques monuments caractéristiques : un stupa, lieu de dévotion surmonté d’un dôme doré ; un temple d’une capacité de 600 places pour les prières du quotidien ; un moulin à prières renfermant 50 km de feuilles de papier enroulées sur lesquelles sont écrits des mantras ; ainsi qu’un lama lhakhang dans lequel est exposée une impressionnante collection de 300 statues représentant des maîtres bouddhistes, disciples et yogi.
La déambulation au sein de cet espace a de quoi déstabiliser. On est loin des églises en granit de nos campagnes, des toits d’ardoises et des champs à pâturage. Si loin et pourtant géographiquement si proche. Ce lieu est une énigme. Que fait-il là ? Qui y vit ? Qu’y font-ils ? Tel Didier Bourdon s’incrustant chez Skippy le grand gourou, nous sommes partis en reportage sur place. Notre guide pour les 24 heures est Jigmé Puntsok, un des huit religieux vivant là-bas. « Nous sommes une petite congrégation mais c’est ici le centre européen de la lignée Drukpa, une école du
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bouddhisme tibétain », explique-t-il. Un peu comme les catholiques disposent de différents mouvements les bouddhistes sont divisés entre courants correspondant à des zones géographiques : la Chine, l’Asie du sud-est et la zone himalayenne à laquelle se réfèrent les trois moines et quatre nonnes de Plouray. « Nous sommes dirigés par Drupön Nawang, un supérieur né au Bhoutan et installé depuis 1989 en Bretagne, poursuit Jigmé Puntsok (Philippe Jany de son nom de naissance). Ce centre a été fondé quatre ans plus tôt. »
« Pas une religion » Un petit rappel historique s’impose. Lors de l’invasion du Tibet par la Chine à la fin des années 50, des milliers de bouddhistes ont fui la répression et ont trouvé refuge dans les pays environnants, majoritairement le nord de l’Inde. C’est là qu’à la fin des années 70, des routards français ont appris l’existence de cette communauté en exil. « Parmi eux se trouvaient deux Bretons propriétaires d’une vieille ferme à l’abandon à Plouray, poursuit Jigmé. Ils ont soumis l’idée que nous y fondions une antenne en Occident et c’est ce qu’il s’est passé. » Si une quinzaine de lieux de culte de ce type existent désormais en France, celui de Plouray est l’un des plus importants, au point d’avoir reçu la visite il y a dix ans du Dalaï-Lama himself (lire page 37). La ferme a été rénovée depuis et les différents monuments bouddhiques ont été construits aux alentours. Entre les religieux et les laïcs vivant sur place à l’année dans des petites maisons de lotissement, c’est une communauté d’une vingtaine de membres qui a pris ses marques au cœur du Kreiz Breizh et vient grossir les rangs des 600 000 bouddhistes recensés en France. « Nous parlons à leur sujet de pratiquants plus que de croyants car le bouddhisme n’est pas une religion, précise Jigmé. Nous ne croyons pas 35
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en un Dieu mais en l’infaillibilité du karma, ou loi de cause à effet : nous créons la situation que nous vivons. » Trois méthodes sont recommandées pour « trouver l’état de sérénité » : dans l’ordre, se comporter en éthique (ne pas nuire aux autres, respecter l’environnement…), cultiver les vertus (bienveillance, amour, compassion…) et nourrir l’esprit (de sagesse et d’expérience intérieure). C’est cette troisième méthode qui a poussé Jigmé, d’origine lyonnaise, à devenir moine il y a vingt ans, à faire vœu de chasteté, à porter la tenue traditionnelle bordeaux, à se tondre les cheveux et à se consacrer exclusivement à la pratique par des techniques de méditation, de travail sur le souffle et autres exercices de yoga. Au quotidien, cela se traduit par des rituels de prières et d’incantations psalmodiées ou chantées. Des séances d’une à deux heures, entrecoupées de promenades, travaux manuels et
entretien des jardins (le centre vit du travail bénévole de ses adeptes, de dons et des gains qu’apporte la boutique de souvenirs située à l’entrée).
« Valeurs partagées de simplicité » « On mène une vie tranquille, loin du tumulte, ajoute Jigmé. Sans prosélytisme aucun » Ce que confirme Michel Morvant, maire de Plouray et qui l’était déjà quand la communauté s’est installée au milieu des années 80. « Bien qu’on soit en terre chrétienne, il n’y a jamais eu aucune tension ni suspicion d’un quelconque courant sectaire, assure-t-il. On a seulement dû faire un peu de pédagogie. Je me rappelle qu’une partie de la population n’avait jamais entendu parler des bouddhistes et croyait que je parlais de boulistes ! » Tous les habitants de la commune sont conviés à venir au centre lors des grands événements. « Tous ne répondent pas à l’invitation, il y a encore une méfiance qui
« Ma femme s’y rend parfois, ça lui fait du bien je crois » 36
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n’a pas lieu d’être, observe Samuel, entraîneur de foot du club local et actuellement employé sur place pour des travaux d’entretien. Les côtoyer n’a pas fait de moi un bouddhiste mais un sympathisant avec qui je partage les valeurs de simplicité. » Bernard, un retraité venant lui aussi régulièrement au centre donner quelques coups de main, abonde : « Ma femme se rend à quelques rituels parfois, ça lui fait du bien je crois. C’est pourtant une catholique mais les deux pratiques ne sont pas incompatibles. » La gentillesse des bouddhistes fait l’unanimité sur place mais leur extrême discrétion – qui confine presque à de la distance – finit par interpeler. Si Michel Morvant le maire assure de leur « très bonne intégration », aucun d’eux n’a pourtant jamais participé de près ou de loin à des activités associatives ou municipales du village. Depuis leur centre, situé à plus de 3 kilomètres du bourg dans le lieudit de Kerguzul, ils ne sortent que rarement, vivant presque en autarcie. Angélique la boulangère les voit peu (« en même temps je suis pas sûre que mes jambon-beurre soient trop dans leurs habitudes alimentaires… »), tout comme Marc l’épicier (« ils viennent vraiment pour du dépannage, pas plus, c’est dommage qu’ils ne participent pas plus à la vie locale »). « Pour les courses du quotidien, on se rend à Pontivy car c’est plus pratique. Et pour les repas plus importants on fait appel à un traiteur de Trémargat car c’est le seul du coin qui fait du végétarien », répond-on au centre. Les commerçants de Plouray savent ce qu’il leur reste à proposer sur leurs étals pour gagner de nouveaux clients. Régis Delanoë
Ville de Plouray
DALAÏ-LAMA : HÉLICO ET CHAPEAU BRETON
Le climax de la présence bouddhiste en centre-Bretagne ? Sans conteste la visite du Dalaï-Lama le 14 août 2008. « Sa sainteté devait déjà venir deux ans plus tôt mais il avait dû reporter. On l’attendait pour bénir notre centre », précise le moine Jigmé Puntsok. Si la lignée de celui qu’on traduit en français par “Océan de sagesse” n’est pas exactement la même que celle prônée par l’école Drukpa à Plouray, il s’agit dans les deux cas de bouddhisme tibétain et le Prix Nobel de la paix 1989 en est une figure incontournable. C’est en hélicoptère que le Dalaï-Lama est arrivé sur place voici dix ans tout juste. « Un événement, se souvient le maire Michel Morvant. C’est une personnalité charismatique, à l’aura impressionnante. » Une sorte de Yoda incarné qui s’était fait remettre pour l’occasion un tok, chapeau traditionnel breton qu’il avait porté le temps de la cérémonie et avait ramené en souvenir en quittant les lieux le lendemain après avoir passé la nuit sur place. Près de 5 000 personnes étaient venues le voir : des fidèles mais aussi quelques curieux voisins, dont Brigitte et Pascal, qui se rappellent surtout qu’un émetteur téléphonique avait été installé sur la zone pour l’occasion, afin de répondre aux exigences médiatiques de l’événement. « Depuis ce jour on n’est plus obligé de monter à l’étage pour passer un coup de fil, merci le Dalaï-Lama ! » 37
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MARCHE OU CRAVE AVEC SON NOUVEL ALBUM « CRAVE », LA PARISIENNE LÉONIE PERNET REDESSINE LES CONTOURS DE LA MUSIQUE HEXAGONALE ACTUELLE. UNE POP ÉLECTRONIQUE SOMBRE ET DANSANTE POUR UNE DÉMARCHE RICHE DE SENS.
Chill Okubo
orsque le premier single du nouvel album de Léonie Pernet est sorti au début de l’été, il était clair que cette artiste n’avait pas grand-chose à voir avec la nouvelle vague de chanson française qu’incarnent les Clara Luciani, Claire Laffut et autres Angèle. Le clip d’African Melancholia montrait le parcours d’un réfugié du Darfour, Mohamed, coursé par la police dans le nord de Paris, lieu où tant de destins fous comme le sien se croisent. Une vidéo forte, à l’opposé des stories d’Instagram sans beaucoup d’intérêt. « Ce clip, c’est se demander ce qu’est l’exil. Mohamed est passé par la Libye avant d’arriver en Italie. Quand on entend ces histoires, ces parcours, on peine à y croire tellement c’est hallucinant. Il nous paraît inimaginable d’entrevoir ce que certains humains font à d’autres humains. C’est un exil qui n’a pas vraiment de fin. » Non, Léonie Pernet n’est pas comme ses soi-disant semblables. Il y a quatre ans, celle qui approche grandement de la trentaine sortait Two Of Us, un EP qui la fera sortir définitivement du lot. À l’époque, elle vit avec excès. Trop de teuf, trop de love… « J’étais moins sérieuse qu’aujourd’hui. J’étais très amoureuse, et ça m’a 38
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pris beaucoup, beaucoup de temps. Parfois je faisais un peu trop la fête, j’avais du mal à m’en remettre. Et puis j’ai passé la seconde. » La seconde, c’est la composition de Crave (signé chez InFiné, label de Rone, Bachar Mar-Khalifé…), un album singulier, composé presque exclusivement de nuit (ça s’entend). Entre pop électronique et compositions linéaires, de la noirceur à la danse, Léonie Pernet parvient en douze titres à synthétiser sa formation classique, ses talents de batteuse (qu’elle a auparavant mis en exergue en intégrant le groupe de Yuksek) et d’auteure. Crave peut se traduire par “mourir d’envie”. « Ça interroge un creux que je trouve très poétique, très sombre, et surtout universel : l’aliénation à l’autre dans un contexte amoureux. J’ai une tendance à être très addict. Une mentalité d’accro, de malade affectif. Mais ça parle surtout de ma génération, qui est dans un craving complètement fou », estime la jeune femme dont le dernier single Butterfly s’avère aussi très addictif. Léonie Pernet est politisée, c’est indéniable. Ses clips, certes, mais aussi son activité de deejay qui l’a poussée auparavant à sortir une série de trois mixs équivoques : Le Mix Pour Tous, Le Mix Debout et Le Mix d’Entre Deux Tours. Trois sets engagés, que ce soit pour que justice soit rendue à Adama Traoré ou pour relater la montée du FN. « C’est un espace qui est clairement artistique et politique, avec un propos que je pourrais presque mettre à l’écrit. C’est un manifeste. » Brice Miclet Le 28 novembre à La Carène à Brest, le 29 novembre au Carré à Cesson-Sévigné, le 6 décembre au 1988 Live Club à Rennes dans le cadre des Bars en Trans 39
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LA POSSIBILITÉ D’UNE ÎLE 2010, c’est l’année où le metteur en scène Philippe Quesne avait fait sensation à Rennes en présentant La Mélancolie des dragons, récit d’apprentissage salué à Avignon. 2010, c’est aussi l’année de diffusion de la dernière saison de Lost, mère de toutes les séries actuelles, avec ses personnages ciselés, ses rebondissements XXL et son univers fascinant : celui de l’île déserte occupée par les survivants d’un crash aérien. Un scénario qui ressemble à la trame de Crash Park, pièce que Philippe Quesne va présenter en avant-première pour son retour à
Rennes. « Lost fait partie des sources d’inspiration, comme d’autres plus anciennes : Ulysse, Robinson, Jules Verne, La Tempête de Shakespeare…, énumère le dramaturge. La bibliographie est vaste car le sujet est inspirant. » Un espace clos (une île), des personnages qui ne se connaissent pas (les survivants), de l’action (le crash, la survie), de la philo (les questionnements sur la fragilité de l’homme) et du beau (la faune, la flore, la mer) : autant d’éléments qui, combinés entre eux, permettent de monter des histoires à l’infini. « L’île est un bout
Philippe Quesne
UN ACCIDENT AÉRIEN PLONGE LES SURVIVANTS DANS L’INCONNU D’UNE ÎLE DÉSERTE : LE PITCH DE LA PIÈCE « CRASH PARK » RESSEMBLE FURIEUSEMENT À CELUI DE LA SÉRIE MYTHIQUE « LOST ».
de terre où il faut tout réinventer, y compris les rapports sociaux. Le théâtre permet de jouer de la situation. » Avec Crash Park, Philippe Quesne privilégie la fable au drame, plongeant le spectateur dans un univers onirique de parc d’attraction pour, dit-il, « trouver la beauté en chaque situation». Voici qui s’avère aussi alléchant qu’un teasing Netflix. Du 8 au 10 novembre au Triangle à Rennes dans le cadre du festival TNB
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NAPOLEON MADDOX : IMPÉRIAL
Le brass band Bad Fat (on l’on retrouve des membres de Zenzile) a eu la bonne idée de convier le rappeur et beatboxeur Napoleon Maddox (photo) pour son nouveau set. Cuivres puissants, grosses percus et flow chaloupé : un mariage réussi qui viendra clore la 29e édition de Jazz à l’Ouest. Un festival où l’on retrouve également la délicate Coréenne Youn Sun Nah, le contrebassiste Kyle Eastwood (fils de Clint), le groove-funk de Dynamic Blockbuster, le pianiste londonien Alfa Mist ou encore la fanfare afro-jazz Ooz Band. Du 6 au 24 novembre à Rennes (MJC Bréquigny, Diapason, Carré Sévigné...) 40
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LA MUSIQUE BRETONNE SE RÉINVENTE. NOUVEL ÉPISODE AVEC FLEUVES QUI MÊLE TRADI ET ÉLECTRO. Krismenn, Tchaïd, Fleuves : intrinsèquement, peu de choses relient ces projets, si ce n’est qu’ils dépoussièrent tous trois la musique bretonne. « Notre contrat de base, c’est le respect de la danse, prévient Romain, membre avec Émilien et Samson de Fleuves, trio fondé il y a quatre ans suite à une victoire au concours des sonneurs de Gourin. On se revendique du tradi et on en est fier, mais on ne se refuse aucune autre scène. » Y compris celle des prochaines Trans, un festival pas forcément hyper porté sur le breizhou. « Le public y cherche de l’exotisme, pour une partie du public rennais on l’est tout autant qu’un groupe de cumbia sud-américain, s’amuse Romain. Et si Émilien apporte la caution BZH, Samson et moi venons d’autres univers, ce qui rend notre musique inclassable, et donc pouvant potentiellement être jouée partout. » Les Finistériens pratiquent en effet un son très moderne tirant vers l’électro à partir d’une base qui sent bon le plinn, l’an-dro et la gavotte. En clair, ce n’est pas parce qu’ils font de la musique bretonne qu’ils doivent se satisfaire de ravir un public d’habitués des salles des fêtes du Kreiz Breizh. « La musique bretonne, ce n’est pas du folklore. On veut en sortir. » Et la propager. R.D Le 3 novembre à Domagné (festival Yaouank), le 8 décembre aux Trans à Rennes, le 19 janvier à Beausoleil à Pont-Péan 41
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AUX RACINES DU BIEN
AVEC SON PROJET DELGRÈS, PASCAL DANAË RÉUSSIT LE MARIAGE DU BLUES DE LOUISIANE ET DU CRÉOLE DE SES ANTILLES D’ORIGINE. UNE UNION POUR LE MEILLEUR ET… LE MEILLEUR.
Mélanie Elbaz
Ancien membre de Rivière Noire (Victoire de la Musique en 2015), Pascal Danaë a déjà pas mal de kilomètres au compteur, avec également de nombreuses collaborations. Une carrière musicale bien remplie, jusqu’au petit coup de mou. « En 2011, je vivais une période compliquée de ma vie. Je me suis remis à gratter de la guitare, des trucs inspirés de vieux standards de Skip James ou de Robert Johnson. » L’inspiration revient et avec elle le désir de composer en créole, la langue de ses parents originaires de Guadeloupe.
« J’ai grandi en région parisienne dans une sorte de refoulement identitaire : les Antilles, c’était loin. Je manquais de repères, une figure tutélaire à laquelle me raccrocher. » Il la trouve avec Louis Delgrès, colonel d’infanterie ayant résisté au rétablissement de l’esclavage. Un personnage qui l’a marqué au point de nommer son nouveau projet musical Delgrès, en hommage. « Un blues caribéen qui va à l’essentiel, mais qu’on peut faire sonner très fort. » Le 4 novembre à Rennes (Ubu), le 15 décembre à Châteaulin (Run ar Puñs), le 15 février à Brest (Vauban)...
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LA B.O DE LA PRESQU’ÎLE
Installé depuis plusieurs années à Camaret, tout au bout de la presqu’île de Crozon, le musicien britannique Robin Foster continue de rendre hommage à sa région d’adoption. Après l’album PenInsular sorti en 2013, le guitariste dévoile en cette fin d’année le second volet de cette bandeoriginale territoriale. Térénez, Aulne, Trez Bihan, Roskañvel, Landévenneg... Autant de morceaux inspirés par les lieux et recoins de la péninsule finistérienne pour un postrock cinématographique, immersif, propice à l’imagination. «PenInsular II», sortie le 16 novembre 42
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Saint-Maur
GUERRE ET PAINT
LE FESTIVAL ITINÉRAIRES GRAPHIQUES MET À L’HONNEUR LE RAZZLE DAZZLE, L’ART DU CAMOUFLAGE MILITAIRE. De prime abord, tout oppose les mondes artistique et militaire. Pourtant, le premier a rendu bien des services à l’autre à partir de la fin de la Première Guerre mondiale, comme le raconte Frédéric Malette, directeur artistique du festival Itinéraires Graphiques : « Pour brouiller les radars des sous-marins allemands, la marine royale anglaise a demandé au peintre impressionniste Everett Warner de camoufler ses navires de motifs géométriques peints sur la coque. Et cela a fonctionné ! » Contribuant à la victoire des Alliés dans le conflit et à la popularité de cette technique dite “razzle dazzle”, ou camouflage disruptif. S’il n’est plus utilisé que de manière sporadique par l’armée, il a trouvé une continuité artistique avec le festival lorientais qui a décidé de lui rendre hommage cette année en invitant l’artiste et plasticienne Elsa Tomkowiak à habiller à sa manière l’ancien sous-marin nucléaire La Flore, aujourd’hui reconverti en musée. Le résultat ? « Un travail sur la lumière et la couleur pour travestir le réel et sortir du gris froid de la base marine où il est installé. » Parallèlement à cette installation, l’exposition Le Navire Invisible, sur cette même thématique du razzle dazzle, présente également les travaux d’étudiants des beaux-arts de Brest, Lorient et Quimper. R.D À Lorient jusqu’au 6 janvier 43
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NOUVELLE EIRE
AVEC LEUR NÉO-FOLK À L’ESPRIT PUNK, LES QUATRE DUBLINOIS DE LANKUM INCARNENT LA NOUVELLE GÉNÉRATION DE LA SCÈNE IRLANDAISE, À LA FOIS ENRACINÉE ET ÉMANCIPÉE. À L’IMAGE D’UN PAYS EN PLEINE MUTATION.
’est une nouvelle page de son histoire que l’Irlande ouvre depuis quelques années. Cadenassé depuis des siècles par l’emprise culturelle de l’Église, le pays a décidé en l’espace de deux référendums de lui signifier clairement son désir d’émancipation : en 2015 tout d’abord en votant à 62 % en faveur du mariage pour tous et, en mai dernier, avec 66 % de « yes » pour légaliser le droit à l’IVG. Si la société irlandaise est en pleine révolution, la musique traditionnelle de l’île verte affiche elle aussi 44
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un nouveau visage, à la fois forte de son héritage et portée par l’envie de se réinventer. Parmi les actuels fers de lance de ce mouvement, on trouve les quatre Dublinois de Lankum qui, après leur passage remarqué en octobre au festival du Grand Soufflet à Rennes, font leur retour en Bretagne en décembre à Brest. Un groupe composé de deux frères, Ian et Daragh, rejoints par Radie et Cormac, pour qui « la musique traditionnelle est plus punk que le punk ». Chanteur et joueur d’uilleann pipe (cornemuse irlandaise), Ian s’explique : « J’aime le
côté radical de nombreuses chansons folk : antimilitariste, contre l’autorité, pour un avenir féministe… Cette musique a un rôle social selon moi. C’est ce qui m’a d’ailleurs amené à elle : les premiers artistes irlandais que j’écoutais (Christy Moore, The Dubliners…) avaient une conscience sociétale et rebelle. Ils incarnaient la voix du peuple et c’est par la musique que celle-ci s’exprimait. Comme le disait justement le chanteur Frank Harte : “Quand ceux qui sont au pouvoir écrivent l’Histoire, ceux qui souffrent écrivent des chansons”. »
Rich Gilligan
Un répertoire traditionnel dans lequel Lankum s’est plongé pour ses deux premiers albums, Cold Old Fire paru en 2014 et Between the Earth and Sky sorti cette année (sur le classieux label Rough Trade). « On aime explorer les anciens recueils et découvrir de vieilles chansons qui évoquent la pauvreté ou le combat contre la privation. » Ce qui ne les empêche pas d’écrire sur les enjeux actuels et de pointer ce qui continue de clocher. « S’il a été réconfortant de voir le peuple irlandais se mobiliser lors des deux derniers référendums, cela ne doit pas occulter les autres problèmes. Comme cette crise du logement qui frappe actuellement notre pays. Des collectifs se mobilisent, multiplient les occupations… Un combat que nous soutenons évidemment. » Julien Marchand Le 15 décembre au Quartz à Brest dans le cadre du festival NoBorder 45
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LA TOURNEE DES GRANDS DUCS
EN L’ESPACE D’UNE DIZAINE D’ANNÉES, LE “COLLECTIF INFORMEL”, QUI RÉUNIT UNE DEMI-DOUZAINE DE PHOTOGRAPHES BRESTOIS, S’EST GLISSÉ DANS L’INTIMITÉ D’UNE SOIXANTAINE DE BARS DE LA VILLE. VIEUX RADES DE QUARTIER OU ÉTABLISSEMENTS PLUS JEUNES : DES LIEUX QUI, SELON JEAN-MARIE GRALL, À L’INITIATIVE DE CE PROJET, SONT PLUS QUE DE SIMPLES DÉBITS DE BOISSONS.
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Comment est née cette tournée des “Grands ducs” ? Une légende dit qu’il y a 365 bars à Brest, donc qu’on peut en faire un différent par jour pendant un an. Ca a été le point de départ. La blague, c’était de vérifier ça, même si on savait qu’il y en avait moins que ça (154 débits de boissons selon le dernier recensement de l’Insee en 2014, ndlr). On n’a évidemment pas fait un marathon complet mais c’était un prétexte pour découvrir des bistrots qu’on ne connaissait pas. On était une bande de potes, on faisait des photos et on buvait des coups : on a donc décidé de faire les deux en même temps. Avec un attrait particulier pour les bars de quartier, là où il y avait des histoires à raconter. Que vouliez-vous montrer à travers ces photos ? D’abord, on souhaitait immortaliser et fixer dans la mémoire des endroits qui se créent et d’autres qui disparaissent. Et puis, d’un point de vue plus global, il y avait aussi cette envie de réhabiliter les bistrots de quartier. Les gens peuvent en avoir un mauvais jugement et les trouver glauques, tristes… >>>
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L’idée c’était de faire ressortir le beau là où d’autres voient du moche ? On voulait montrer qu’un bistrot ce n’est pas qu’un endroit pour se bourrer la gueule. Après, on ne va pas occulter ce côté-là. Nous ne sommes pas des bisounours, on sait que certaines situations cachent des réalités pas forcément joyeuses. On peut trouver triste le fait qu’un bistrot soit une deuxième maison pour certains, mais il n’empêche que ça reste des lieux de socialisation importants. Si tu enlèves le bistrot à certaines personnes, elles n’ont nulle part où aller. Alors effectivement, elles picolent mais la patronne c’est leur pote, elle prend de leurs nouvelles, elle maintient un lien. Le rôle du tenancier ou de la patronne est central dans l’identité d’un bar… Un bistrot tient à la personne qui est derrière le comptoir. Quand t’allais au Scorpion 2 dans le quartier de SaintMarc par exemple, c’était pour JeanLouis, mort depuis, qui était transformiste en Dalida. Tu savais qu’il allait faire le show. C’est pour ça que dans les grosses enseignes où le patron n’est pas présent et où il y a une grande rotation dans les serveurs, l’ambiance est forcément différente.
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Que ce soit les bistrots de quartier ou les établissements plus jeunes, que représente le bar selon vous ? C’est très à la mode de parler de “tiers lieu”, un endroit qui n’est ni ton travail ni ton domicile. Y a pas plus tiers lieu que le bar, sauf qu’on ne l’appelait pas comme ça avant. T’y vas pour te poser après le boulot, voir des expos, écouter des concerts, faire des rencontres, boire un coup, te détendre… Parmi les nombreuses adresses brestoises, lesquelles vous ont particulièrement marqué ? Les bistrots du quartier Saint-Martin. C’est là qu’on s’est le plus marré. On y trouve aussi une grande diversité : Le Mouton à cinq pattes qui est plutôt un rade culturel ; Le Triskell Bihan et Le Café de la plage, des vieux bars qui ont été repris mais qui ont gardé leur esprit de quartier ; Chez Kim où tu tombes sur un patron incroyable qui joue de la guitare ; et bien sûr Le Comix, institution brestoise s’il en est. Recueilli par Julien Marchand Exposition « Les Grands ducs » jusqu’au 20 novembre au Grand Truc à Brest
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C. Raynaud de Lage
RECOMMANDE
DISIZ LA PESTE
FESTIVAL TNB
WARUM
RITUEL
L’auteur de J’pète les plombs en 2000 a bien évolué. Avec déjà une dizaine d’albums au compteur, le rappeur a élargi son horizon hip-hop en allant fricoter du côté du crunk et du rock. Avec Disizilla, son dernier album, Disiz plonge cette fois-ci dans l’électro pour un rap rageur et chanmé. Son seul concert d’automne/hiver est en BZH.
Pow pow pow : programme monstre pour le festival TNB qui, durant trois semaines, multiplie les propositions. Parmi celles-ci : la pièce Les Idoles de Christophe Honoré, le spectacle musical La 7e vie de Patti Smith (photo), ou encore la performance robotique Monkeys de l’Israélien Amit Drori… Encore, encore !
Amateurs de techno et d’hardcore, cette soirée concoctée par l’équipe de Panoramas est pour vous. Un casting de l’extrême où on retrouve le Hollandais Dr Peacock (présent à Panos cette année), le Britannique Vandal, le véner Darktek ou encore cette zinzin de Rebeka Warrior (photo). C’est du brutal.
Musique, tatouage, arts visuels : c’est le joli triptyque de Rituel, festival pluridisciplinaire et mutli-esthétique qui revient pour une seconde édition. Au menu : les concerts de Morena Leraba ou de Perera Elsewhere (photo), les expos de Elsa Adamus & John Azen, les sessions tattoo du talentueux Joseph Le Druide et La Guish…
Au Parc Expo à Morlaix Le 10 novembre
À Rennes Du 14 au 16 novembre
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Au TNB Du 6 au 24 novembre
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Aux Trans Musicales à Rennes Le 6 décembre
USÉ
LA FURA DELS BAUS
RENDEZ-VOUS
AHMED REVIENT
Cousin artistique de Jessica 93, le Picard Nicolas Belvalette partage avec lui le goût du DIY minimaliste. Avec son projet Usé (signé chez Born Bad, ça rigole pas), il y ajoute une touche de punk-électro-bricolo chanté en français, entre Strip-tease et Groland.
Depuis plus de 30 ans, La Fura Dels Baus est l’invitée fil rouge d’Art Rock à Saint-Brieuc. La troupe catalane fait son retour hors cadre du festival pour présenter Manes, son nouveau spectacle. Au programme, le même alliage de musique, de danse et de technologies.
Avouons-le, on a un petit crush pour Rendez-Vous, groupe qui revisite avec classe la cold-wave des années Reagan. Le son rétro-futuriste des Parisiens aurait parfaitement eu sa place à la belle époque du club newyorkais CBGB en première partie des Talking Heads.
Créé par le célèbre dramaturge (et philosophe marxiste) Alain Badiou dans les 80’s, le personnage d’Ahmed revient sur scène pour parler avec poésie et humour des questions d’identité et de la laïcité. Vous allez finir par vous aimer les uns les autres, bordel de merde ??
Le 16 nov. à La Carène à Brest Le 23 nov. à La Citrouille à St-Brieuc
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À Robien à Saint-Brieuc Les 8 et 9 novembre
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À L’Antipode à Rennes Le 22 novembre
À La Passerelle à Saint-Brieuc Du 27 au 30 novembre