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à 33 Mutine, 40 ans toujours pirate

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C’EST L’UNE DES RADIOS LES PLUS ATYPIQUES DE BRETAGNE. NÉE À BREST EN 1982, FRÉQUENCE MUTINE A SU CONSERVER SON ESPRIT ROCK ET JOYEUSEMENT FOUTRAQUE. UNE STATION DONT LES DÉFAUTS FONT LE CHARME, À L’IMAGE DE SA VILLE.

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uelle heure il est ? Oulah… 12 h 55… » C’est avec 25 minutes de retard que Cédric Fautrel et Anaëlle Abasq prennent l’antenne sur Fréquence Mutine. En ce mardi du mois de février, notre interview a – légèrement – débordé mais pas de quoi tracasser les deux animateurs du “Gomina Radio Show”, l’émission phare de la station brestoise. « C’est ça l’esprit Mutine », se marre Cédric (alias Gomina) en allumant sa bécane et en lançant le générique de ce programme dont il tient la barre depuis maintenant 18 ans. « Cette quotidienne, c’est un agenda culturel qui fonctionne à l’instinct et aux coups de cœur. Un rendez-vous un peu bordélique aussi », présente le quadragénaire avant de jouer à pleine balle Tarantula de Gus Englehorn, un musicien d’indie rock un peu perché. Et c’est vrai qu’il est bon ce morceau. Pendant plus d’une heure, s’entremêleront découvertes musicales, annonces de concerts dans les salles du coin et focus sur la scène locale émergente. Soit finalement un bon résumé de l’ADN de ce média qui fête ses 40 ans cette année. « Mutine a toujours été une radio de passionnés, faite par des passionnés et qui s’adresse, avant tout, à des passionnés », pose Gomina au moment de retracer cette histoire qui commence aux débuts des eighties. En novembre 1981, quelques mois après son élection comme président, François Mitterrand prend la décision de libérer les ondes de la bande FM, jusqu’alors soumises à un monopole d’État. Auparavant pirates, les radios deviennent « libres » et peuvent désormais se faire une place officielle sur les transistors. Dans l’effervescence de cette libéralisation, de nouvelles stations fleurissent dans tout le pays (2 000 radios sont recensées l’année qui suit le vote de la loi), y compris en Bretagne qui n’échappe pas au phénomène. Des vents porteurs qui poussent des habitants de Kérangoff, sur la rive droite de Brest, à se lancer eux-aussi dans le bain. « À l’origine, l’idée est de faire une radio associative de quartier, qui donne la parole aux Brestois. Ce sont des membres du comité d’animation qui portent le projet avec l’objectif de proposer, dans un premier temps, au moins une heure de direct par jour », rembobine Romuald Gervez, président de Mutine entre 1998 et 2016, qui siège toujours au conseil d’administration. Avec son architecture atypique (à michemin entre la soucoupe volante et l’essoreuse à salade), le centre social de Kérangoff fait alors office de QG, au cœur de ce quartier « ultra populaire » de l’ouest brestois. « À l’époque, c’était le quartier des rockies, situe Gomina. T’avais des gens branchés par le rock’n’roll et le rockabilly qui

se retrouvaient dans un bar juste à côté qui s’appelait Le Caboulot. Le genre d’endroit où tu pouvais voir débouler Vince Taylor (rockeur britannique, auteur du morceau Brand New Cadillac, par la suite repris par les Clash, ndlr) pour se prendre une cuite. » C’est dans ce décor et cette ambiance que Mutine émet pour la première fois le 22 février 1982. Des débuts bricolés, pour ne pas dire à l’arrache. « Quand tu démarres une radio, forcément t’as pas d’argent et t’y connais pas grand chose. Les mecs avaient réussi à récupérer l’ancien émetteur de Radio Plogoff qui avait servi lors de la mobilisation contre le projet de centrale nucléaire. Ça fonctionnait bien, super même, jusqu’au jour où ils ont reçu des coups de téléphone de gens qui appelaient de… Paris. L’émetteur était puissant et les mecs l’avaient mis à fond. Ils se sont faits retoqués direct. » D’abord baptisée Radio Kérango, la station prend rapidement le nom de Fréquence Mutine. « Cela caractérisait

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bien l’état d’esprit de la radio et son envie de mutinerie. Ça a toujours été son credo : être différente des autres, faire écouter des musiques qu’on n’entendait pas ailleurs, assumer une liberté de parole… Je garde notamment un souvenir des émissions “Valium”, “Fest-noz dans le cimetière”, “Anal paradise” ou encore ”Les libellules adultères”, développe Romuald qui, depuis près de trente ans, pilote l’émission “Backstage” dédiée à la new wave. Ado, j’écoutais pas mal la radio anglaise sur les petites ondes. J’avais l’impression de découvrir des groupes avant tout le monde et je trouvais ça fantastique. Ça m’a donné envie de faire pareil. » Un profil que partage la plupart de la quarantaine d’animateurs bénévoles qui font vivre la station. « Tous veulent transmettre et partager les choses qui leur plaisent. Nous ne sommes pas dans une recherche d’audimat, cela leur laisse donc la liberté de diffuser des choses différentes, parfois à la marge. C’est ce qui en fait une radio curieuse », se félicitent Gomina et Anaëlle, les deux salariés de Mutine, pour qui la principale mission de la radio reste « la défense des activistes de tout poil ». Un milieu culturel brestois dont ils se sentent à la fois observateurs et acteurs. « On essaie de l’accompagner au plus près et d’évoluer avec lui. En tant que média local, on participe forcément à son dynamisme. » Une scène qu’ils estiment méconnue. « Les gens qui ne sont pas de Brest ont toujours tendance à dire qu’il ne s’y passe rien, alors qu’il y a une richesse culturelle insoupçonnée. Ici, t’es en dehors des circuits de tournée des gros groupes. Du coup, on a une programmation alternative et indépendante. Avec des affiches souvent hyper pointues », juge Gomina.

« Cabossée »

En poste depuis une année à Mutine, Anaëlle confirme. « Pour faire le tour de la scène locale, ça prend du temps. Il y a un vivier assez incroyable d’artistes et de collectifs. En tant que journaliste, j’essaie de coller au mieux à la réalité musicale brestoise, et actuellement ce sont les milieux hip-hop et électro qui sont en plein boom. » Quid du rock ? « Il y a quelques bons groupes, mais ça vivote un peu malheureusement. Ça reste un petit microcosme. Il manque une ou deux locomotives pour porter cette scène et donner envie à d’autres de se lancer. Parfois, tu vois émerger un groupe prometteur qui sort un bon premier album et puis, sans savoir pourquoi,

«La liberté de diffuser des choses différentes»

le second reste dans les cartons », regrette Gomina qui pointe le côté « beautiful losers » de la ville. Une marque de fabrique qu’on pourrait également coller à Mutine ? Les deux salariés acquiescent. « Ce qui fait le charme de Brest, c’est qu’elle est cabossée. En ça, on trouve qu’on est à l’image de notre ville. On ne sait pas vraiment se mettre en valeur, mais le faudrait-il ? On n’en sait rien. » Une réflexion que partage Yannick Martin, programmateur de la salle de La Carène. « La radio a toujours su garder cette image très brestoise, sans chichi. Il y a un côté pirate et détaché des modes que la ville cultive à fond aussi. Dans un monde de la musique où tout est de plus en plus formaté, ce genre de radio fait du bien, explique celui qui, de 1991 à 2000, y a été animateur. J’avais une émission hebdomadaire plutôt rock indé qui a fini en post-rock expérimental. Mutine a contribué à mon apprentissage musical, en m’ouvrant les yeux sur des esthétiques que je ne connaissais pas. » Une radio à laquelle il reste fidèle (« je l’écoute toujours en voiture »), à l’affût des nouveautés locales. « Parmi les jeunes

Mélanie Le Goff artistes brestois que j’ai découverts à l’antenne : Peter Love et Toallita. Ils étaient invités pour parler de leur parcours, de leurs influences… Depuis, je les suis attentivement. » La Carène accompagne même désormais Peter Love sur sa préparation scénique et, inch’allah, ses futurs concerts. Une radio par laquelle sont passés de nombreux autres acteurs culturels brestois. À l’image de Yann Belin, disquaire et boss de L’Oreille KC (« De 1990 à 1996, j’ai co-animé l’émision “Elegia”, dédiée au post-punk. Ça m’a forgé musicalement. Ça représente mes plus belles années de jeunesse »), ainsi que l’auteur et musicien Arnaud Le Gouëfflec qui y a développé son goût du bizarre. Le garçon se souvient encore parfaitement de sa découverte de la station. « C’était en 1991, je venais d’arriver à Brest. Un jour, en tournant la molette de ma radio, je tombe sur une émission de death metal. Je n’avais jamais entendu de musique aussi violente, mais l’animateur était tellement passionné que je suis resté scotché, confesse celui qui passera aussi derrière le micro. J’y parlais de rock des années 60-70, avant de m’ouvrir à des choses plus expérimentales pour des portraits et des chroniques. » Des

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« diatribes radiophoniques » comme il les qualifie qui, selon lui, ont constitué un point de départ à l’écriture de son ouvrage Underground, sorti l’an passé, consacré aux artistes marginaux et autres rockeurs maudits.

« Ne pas être calculateur »

Quatre décennies de jolies histoires pour Mutine mais aussi des moments de galère et d’événements tragiques. Comme le décès soudain de Rémy Talec en novembre 2020, une des voix fortes de la radio où il officiait comme journaliste depuis vingt ans. « Un mec ultra cultivé, curieux de tout. Il était plutôt branché musiques sombres mais il allait sur toutes les formes d’art », raconte Gomina. « C’était LE monsieur culture underground de Brest », ajoute Yann Belin qui a participé à l’édition d’un vinyle hommage l’an passé. Un malheur qui s’est inscrit dans une situation compliquée pour la radio. Il y a encore quelques semaines, Mutine a cru devoir mettre la clé sous la porte. La faute à une subvention, le FSER (fonds de soutien à l’expression radiophonique), qui a été refusée dans un premier temps, avant d’être finalement accordée. « Elle est primordiale à notre fonctionnement puisqu’elle représente deux tiers de notre budget, éclaire Gomina. Pour débloquer la situation, nous avons donc dû activer nos réseaux politiques et institutionnels. C’est là qu’on s’est rendu compte que la radio était importante à leurs yeux. » Plus de peur que de mal, mais une belle frayeur qui met en lumière la fragilité économique d’un tel modèle (lire ci-dessous). « Toutes les radios associatives sont dépendantes de cette subvention. Surtout qu’on a 0 %

« UN TRAVAIL NÉCESSAIRE DE PROSPECTION MUSICALE »

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Le Boursicaud, directeur de la Ferarock

Fréquence Mutine fait partie du réseau Ferarock (la fédération des radios associatives de musiques actuelles). Sa situation est-elle représentative des 24 autres stations adhérentes (dont Canal B à Rennes et Radio Activ’ à Saint-Brieuc) ?

Quand on n’est pas une radio publique, il existe deux modèles de fonctionnement : soit le modèle commercial avec un financement quasiment lié à 100 % à la publicité. Soit le modèle associatif qui entraîne une fragilité économique. C’est pour cette raison que l’État a créé le FSER, un fonds de soutien pour les stations qui remplissent des missions de communication de proximité et pour qui la publicité représente moins de 20 % de leur budget. Sans cela, nos radios ne pourraient pas fonctionner.

La frayeur que s’est faite Mutine ne montre-t-elle pas les limites de ce modèle ?

Être une radio associative, c’est un choix militant. Il y a moins de contrainte d’audience, donc plus de liberté. Cette non pression économique permet de faire de la découverte et de la prospection musicale, en diffusant des morceaux différents, non calibrés, qu’on entend nulle part ailleurs. Un travail nécessaire : chaque semaine ce sont 60 000 titres qui sont mis en ligne sur Spotify. Pour rendre visible cette diversité au plus grand nombre, il faut des médias comme les nôtres.

Quels sont les autres leviers économiques ?

L’éducation aux médias, par l’organisation d’ateliers auprès de différents publics, constitue une part importante du budget de certaines radios. Avec, parfois, des salariés uniquement dédiés à ça au sein des structures. Il y a aussi l’organisation d’événements, comme peut le faire Radio Béton à Tours avec le festival “Aucard de Tours”. Mais il faut arriver à une certaine taille pour que cela soit viable économiquement.

de publicité à l’antenne, rappellent les deux salariés de Mutine pour qui le contexte Covid n’a évidemment pas aidé. À cause de la pandémie, on a dû annuler l’an passé notre foire aux disques (qui rapporte environ 10 % du budget de la radio, ndlr). Tout cela nous avait conduit à lancer une campagne de dons qui, il faut le dire, a trouvé écho chez les personnes âgées. L’émission d’accordéon “Balapapa” est leur rendez-vous du dimanche matin, elles ne voulaient pas qu’elle disparaisse. » Des coups de pouce ponctuels, en attendant des solutions plus pérennes ? Après quarante ans d’activité, Mutine sait qu’elle est « à la fin d’un cycle et au début d’un nouveau », à une époque où les habitudes de consommation radiophoniques évoluent (via le podcast notamment) et où les sources de financement sont amenées à se diversifier. « On doit davantage se positionner sur de la production de contenus et des projets subventionnés. Pour nous faire évoluer et monter en gamme », estime Romuald. « Cela peut aussi se traduire par des prestations d’éducation aux médias et des appels à projets », poursuit Anaëlle, 24 ans, qui incarne ce nouveau souffle. Un changement de braquet compatible avec l’ADN rock et – c’est un compliment – un peu branleur de Mutine ? Gardien du temple, Gomina se montre rassurant. « Se renouveler et se rajeunir n’empêche pas de garder son âme. On peut rester punk dans l’esprit tout en évoluant avec le temps et avec la ville. L’important est de rester authentique, de ne pas être calculateur, avec les qualités et les défauts que ça peut entraîner. On gardera alors cette fraîcheur que la radio a toujours eue. »

Julien Marchand

Foire aux disques de Mutine : le 17 avril à La Carène à Brest

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