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à 37 Le gallo au petit trot

DOSSIER

LE GALLO AU PETIT TROT

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LE GALLO EST UNE LANGUE EN SOUFFRANCE. SI LES BRETONNANTS SE MOBILISENT AVEC SUCCÈS DEPUIS DES DÉCENNIES, LES GALLÉSANTS PEINENT MÊME À DÉFENDRE LA LÉGITIMITÉ DE LEUR COMBAT. UN CONSTAT IRRÉVERSIBLE ?

a partait d’une bonne intention. Un cas concret de politique volontariste des pouvoirs publics. Le 4 janvier, la région Bretagne lançait un appel à projet baptisé “Productions musicales chantées en langue gallèse”. Objectif : accompagner de nouveaux projets d’œuvres artistiques interprétées en gallo, « avec jusqu’à 2 000 € de soutien financier », ajoute Kaourintine Hulaud, conseillère régionale déléguée à la langue gallèse. Pas le jackpot, mais de quoi a priori tout de même intéresser artistes et musiciens en devenir. Pourtant à la mi-mars, dix semaines après le lancement de l’appel à projet et à un mois et demi de sa clôture le 30 avril, le chargé de mission du dispositif Michaël Genevée n’avait encore reçu aucune demande. Pas un seul dossier complété. « Il ne faut pas baisser les bras pour autant, positive Kaourintine Hulaud. La Région a clairement élaboré une politique linguistique depuis 2003. C’est notre rôle de soutenir les deux langues de Bretagne : le breton ET le gallo. » « Un des gros problèmes du gallo, c’est qu’il n’est pas rattaché à un territoire identifié. La Gallésie, en soi ça n’existe pas. Il faudrait plu-

tôt parler de la Haute-Bretagne, qui correspond à l’Ille-et-Vilaine et à une partie des départements limitrophes. La langue bretonne, par sa terminologie même, est mieux identifiée. Au point que certains finissent par croire que c’est la langue historique de toute la Bretagne, alors qu’elle ne l’est que de l’ouest de la région », pose Jerom Bouthier, coordinateur de l’Institut du Gallo, structure créée en 2017 et qui se veut « l’acteur référent d’une politique linguistique en faveur du gallo ». « C’est la légitimité même du gallo en tant que langue qui est encore parfois trop souvent remise en cause », constate même le sociolinguiste Philippe Blanchet. Le chercheur rattaché à l’université Rennes 2 est pourtant formel : « Le gallo est une langue, aucun doute là-dessus. Elle est d’origine latine et a divergé du français depuis l’époque gallo-romaine. Ce n’est pas de l’ancien français, encore moins du mauvais français. Elle fait partie pleinement de la famille des langues d’oïl caractéristiques de la moitié nord de la France », au même titre que le Poitevin, le Picard, le Normand ou le Lorrain. « C’est une langue dotée de sa syntaxe, de sa grammaire et de sa conjugaison », ajoute Jerom Bouthier. « Si elle partage certaines similitudes avec le français, ça n’en reste pas moins une langue », insiste Kaourintine Hulaud, pour qui « on imagine mal les Catalans se voir reprocher de parler du mauvais espagnol ». En 2018, la Région publiait une vaste enquête sociolinguistique sur les langues de la Bretagne, avec plus de 8 000 personnes sondées. Il en résultait que le gallo possédait 191 000 locuteurs (à comparer avec les 207 000 locuteurs bretons déclarés). « C’est plus que ce qu’on pensait, commente Philippe Blanchet. Cela représente encore environ 10 % de la population de la Haute-Bretagne, en

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majorité des hommes, de milieu rural, avec une moyenne d’âge légèrement supérieure à 60 ans (70 ans pour les bretonnants, ndlr). » Si les résultats de cette étude se sont avérés plus encourageants que prévu pour les défenseurs du gallo, le sociolinguiste rennais tempère l’enthousiasme : « Les néo-locuteurs sont très peu nombreux et le renouvellement quasi inexistant. On arrive à la dernière génération de locuteurs de naissance. Si rien n’est fait pour inverser la tendance, la langue risque de s’éteindre. » Manu Bouthillier est une voix qui compte en Haute-Bretagne. Pour cette enseignante, conteuse et chanteuse du groupe Ramajes, le gallo a subi – et subit encore – une « double dévalorisation », coincé qu’il est entre le français et le breton. « Lorsqu’on parle notre langue, on se fait parfois encore répéter qu’on parle un mauvais français Et en plus, aux yeux de certains, on n’est pas des vrais Bretons parce qu’on ne parle pas breton. On est deux fois nuls. » Avec ses festoùnoz, son renouveau celtique initié depuis les années 70 et son réseau de militants important et structuré, le milieu bretonnant fait figure de voisin aussi admiré que jalousé. « Il ne faut pas se tromper d’ennemi, analyse Philippe Blanchet. Ce qui menace le gallo, c’est le rouleau compresseur centraliste du français. Mais force est de constater que la langue bretonne capte davantage l’attention, l’énergie et les moyens. En linguistique, on appelle cela une diglossie. » Soit l’établissement d’une hiérarchie de langues sur un même territoire. « Il n’y a pas de rivalité à avoir, mais il faut être particulièrement vigilant vis-à-vis du gallo qui se trouve encore plus fragilisé que le breton », concède Paul Molac, député du Morbihan mobilisé pour la défense des langues régionales.

« Marketing territorial »

Leader du groupe de punk Trouz An Noz, Nicolas Montfort chante alternativement en français, breton et gallo. « La démarche militante est encore plus forte avec le gallo qu’avec le breton car on sent que c’est encore parfois considéré comme une langue de ploucs, constate-t-il. Or c’est une langue légitime, plutôt cool à chanter en plus ! Très imagée, fournie en expressions. » « C’est clair que chanter gallo est un pied-de-nez à l’Histoire, revendique Gurvan Molac, chanteur du Beat Bouet Trio, groupe qui mélange rap et ragga, très présent en fest-noz. C’est très "roots" comme langue. Non seulement ça m’intéresse de la défendre mais elle colle totalement à

«Considérée comme une langue de ploucs»

notre style musical. Ça se rapproche de l’argot jamaïcain. » Le 15 mars, le Premier ministre Jean Castex était en visite à Rennes pour y signer la convention pour la transmission des langues de Bretagne. « Un carnet de route pour les cinq prochaines années en matière notamment d’enseignement et de communication pour faire progresser le nombre de locuteurs des deux langues », explique Bertran Obrée, responsable de Chubri, institut de transmission de la langue gallo. Mais pour ce linguiste et chanteur, la politique linguistique actuelle de la Région est discriminante. « J’en veux pour preuve que la nouvelle convention impose une signalétique bilingue en français et en breton des panneaux et bâtiments publics, avec le gallo en option. Sur le territoire de Haute-Bretagne où le gallo est la langue historique, c’est un nonsens. » Ce à quoi Manu Bouthillier conclut que « le breton a gagné la bataille du marketing territorial ». Même si une trentaine de communes ont décidé la mise en place de panneaux trilingues, parmi lesquelles Fougères, Lamballe ou plus récemment Saint-Brieuc.

Guillaume Ayer

« Le combat doit passer par ces symboles forts mais le plus important reste le volet éducatif, estime Jerom Bouthier. Pour faire vivre une langue, il faut un bain linguistique. » L’association Cllâssiers propose une méthode baptisée “15 minutes de galo châqe jou” pour promouvoir l’enseignement du gallo en primaire, avec actuellement 27 écoles concernés. Un chiffre réduit à 6 collèges et 2 lycées proposant une formation en gallo dans l’enseignement secondaire. Et à l’université Rennes 2, les cours de gallo attirent une dizaine d’étudiants seulement, tous niveaux confondus… « C’est inquiétant mais pas irréversible, assure Philippe Blanchet. Il ne faut pas baisser les bras, même s’il est clair qu’on ne réussira pas à mettre en place en quelques années un équivalent de Diwan pour le gallo. Depuis la dernière rentrée, on a des professeurs qui se forment pour enseigner à leur tour. Mais ce volet formation doit être alimenté par une attente sociale, sinon c’est artificiel. » Pour cela, Bertran Obrée a sa stratégie : « Il faut surfer sur la remise en question actuelle de la mondialisation et de la globalisation. Parler local, c’est comme manger local : c’est l’avenir. »

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