LE CADRAN
VISAGE DE LA MONTRE BRACELET AU 20 E SIÈCLE
Stern Frères Stern Créations
Un maître cadranier
Dr. Helmut CrottUn maître cadranier
Dr. Helmut CrottVisage de la montre bracelet au 20 e siècle
Le Cadran
C adran jauni sur un vieux mur
A ux rayons du soleil tu fixes l’heure
D éjà les rois vêtus de bure
R egardaient sur ta face le temps qui meurt
A ujourd’hui les hommes de ce temps
N e peuvent se passer de toi
S tern frères depuis déjà longtemps
S ’ingénie à t’embellir et te polir
T u es choyé comme il se doit
E ntre les mains des ouvriers
R egardons maintenant vers l’avenir, N oël est si vite passé
Georges Renand DiaboloLa fascinante histoire des cadrans Stern nous transporte au cœur des terroirs horlogers helvétiques et se confond avec l’histoire pluriséculaire de l’horlogerie suisse elle-même. Elle a duré depuis ses débuts à Genève en 1898 jusqu’à ce mois de juin 2016 où sera transcrit son dernier souffle. Étonnamment, l’ultime mention officielle dans les registres étatiques passe quasiment inaperçue. Ignorée même des médias horlogers, elle signe pourtant la fin définitive d’un nom prestigieux intrinsèquement lié à une époque riche en savoir-faire.
Hélas, elle signe aussi le début d’une lente et progressive perte de connaissances artisanales traditionnelles en matière de production de cadrans : des savoirs incarnés par un nom qui, sans conteste, a marqué bien plus que les esprits. Encore aujourd’hui, il n’est pas un collectionneur qui ne s’y réfère, de New York à Londres ou Moscou en passant par Hong Kong, Singapour, Tokyo ou ailleurs. Ce nom reste intimement associé aux montres les plus emblématiques du monde, grâce aux cadrans que l’entreprise a créés pour Rolex, Audemars Piguet, Vacheron Constantin, ainsi que pour tant d’autres grandes maisons horlogères, parmi lesquelles, évidemment, Patek Philippe.
Au-delà du prestige, l’histoire de la dynastie Stern est surtout touchante d’humanité. Certes, elle incarne des myriades de hauts et de bas et s’égrène au fil des embellies, comme des rafraîchissements conjoncturels. Cependant, elle regorge avant tout d’aspects profondément humains, mêlant tragédies et fragilités existentielles aux courages et à la force de caractère. À ce jour, personne n’avait entrepris de raconter par le détail et de manière à ce point documentée l’histoire si riche de la dynastie des cadraniers Stern.
L’univers du luxe – il n’y a rien de nouveau – a toujours été très perméable aux influences des climats économiques environnants. Un exemple me revient spontanément à l’esprit, celui de la fin du 19 e siècle où un grand nombre de montres de poche fabriquées en Suisse étaient destinées à la Chine ou la Turquie ; l’effondrement de ces marchés eut pour effet, de pénaliser très lourdement l’économie helvétique. Finalement, au su des crises auxquelles le secteur du luxe – et donc l’horlogerie d’excellence – se trouve régulièrement confronté, c’est l’histoire elle-même qui se répète. Dans ce sens, l’industrie du luxe ressemble à un bateau croisant en pleine mer, mais privé de voile : le navire est constamment obligé de s’adapter aux aléas des vagues, autant d’oscillations provoquées par une actualité faite de guerre et de paix, de marchés en tourmente, de fluctuations monétaires et bancaires… Dès lors, certains courants l’entraînent vers le rivage, d’autres l’en éloignent.
Je tiens toutefois à souligner jusqu’à quel point l’industrie de la fabrication de cadrans est encore plus exposée à ces mouvements et à ces tribulations que celle de l’horlogerie ellemême. En tant que premier visage du garde-temps, le cadran reflète de facto non seulement l’époque à laquelle il appartient, mais aussi l’évolution des courants esthétiques et techniques. Ainsi, lorsque les préférences du moment vont à des cadrans de structure métallique et non plus en émail, l’entreprise qui les fabrique est confrontée à l’inéluctable nécessité de s’adapter. De même, chaque période génère son lot de couleurs, de tailles, de finitions ou de matériaux spécifiques, obligeant le fabriquant à naviguer entre les écueils s’il désire arriver à bon port : à savoir, réagir aux grains, aux averses ou aux orages pour rester à portée des rives du succès. Telle est la trajectoire entrepreneuriale d’une dynastie à jamais liée à l’histoire de son pays, de l’horlogerie mondiale et, surtout, de la fabrication des cadrans de montre les plus aboutis.
En 1996, l’intégralité des actions de Stern Créations et de ses filiales est acquise par le groupe financier Orior holding SA.
On estime la valeur de la transaction à un montant compris entre 45 et 47 millions de francs suisses. Le bilan annuel que Stern Créations publie dans le Registre du Commerce de Genève pour l’année 1996 est à peu près de 50 millions, ce qui confirmerait la somme du rachat. Celui-ci concerne 260 collaborateurs.
La restructuration de 1981 avait eu l’avantage d’avoir conservé les mêmes personnes et employés au sein de l’entreprise. De la sorte, Stern Créations avait tiré profit de leur expertise dans leurs domaines d’activité respectifs, tout en sauvegardant la philosophie familiale Stern, ainsi que sa culture entrepreneuriale. L’œuvre d’André Colard y était pour beaucoup. Elle avait certainement permis de sauvegarder fidèlement ces valeurs historiques, humaines et culturelles et de faire en sorte qu’elles soient perpétuées même après l’acquisition par Orior SA.
La nouvelle holding propriétaire de la société n’a en effet aucune implication, ni expérience dans le secteur de l’horlogerie. Les acquéreurs sont donc vite confrontés à la complexité du métier de cadranier et réalisent que la maison ne peut être géré sans une connaissance pointue de cet univers. Malgré ce handicap, tout est entrepris pour protéger la réputation Stern et son image de maison traditionnelle, leader dans le haut de gamme. Dans une publication de 1997 émanant de la maison, j’ai retrouvé ces mots du directeur général de l’époque, Maxime Manera, qui témoignent cette posture :
Nous sommes pratiquement les seuls à fabriquer des cadrans de joaillerie avec des pierres ornementales ou semi-précieuses…
Il fait ici allusion au fait que Stern produit plusieurs centaines de milliers de cadrans par an dont seulement quelques cadrans joaillerie, par séries de 20 pièces au maximum.
Nous restons artisanaux car notre processus industriel est caractéristique de ce qui se produit dans l’industrie du luxe : il contient une très forte valeur ajoutée ; le savoir de l´esprit habite la main qui donne naissance à l´objet. Notre personnel est tellement spécialisé. Si le socle de nos compétences repose sur des techniques anciennes, la modernité se manifeste notamment par l’usage de machines numériques et l’accès aux technologies les plus modernes.
Fin juin 2000, c’est le Groupe Richemont qui rachète Stern Créations. Actif dans l’univers du luxe, le groupe dispose surtout d’une assise solide dans le monde horloger et possède notamment des marques comme Cartier, Vacheron Constantin, A. Lange & Söhne, Piaget, Jaeger LeCoultre ou Panerai…
Le nouveau propriétaire, dont l’habilité dans la reprise et la gestion d’enseignes de tradition est connue, se lance dans une restructuration qui tient compte des sociétés de sous-traitance qu’il possède déjà. Ainsi, il opère une répartition des départements de Stern et le conséquent transfert de leurs savoir-faire auprès d’autres unités. Il met de cette manière un point définitif à une histoire entrepreneuriale légendaire.
Pendant les dix-sept ans qui suivent l’acquisition, quatre à cinq directeurs différents se succèdent. Naturellement, nombre de clients de Stern Créations résilient leurs contrats, puisqu’ils ne souhaitent pas confier à un groupe concurrent leurs secrets professionnels, ni des projets dont la propriété intellectuelle doit être protégée, comme des prototypes ou des cadrans spéciaux.
On assiste dès lors à une baisse progressive des commandes venant de l’extérieur, bien que Rolex maintienne celles relatives à certaines gammes pendant dix ans encore. Voici un bel exemple de fidélité, surtout quand on sait qu’en 2000 la marque à la couronne se fournissait aussi chez l’éternel concurrent de Stern, la fabrique Beyeler.
En renommant, entre 2012 et 2014, les différentes entités Stern, Richemont adopte une nouvelle stratégie. Stern La Chaux-de-Fonds devient Procadrans et Stern Créations devient Manufacture Stern 1898 avant de fusionner avec la Manufacture Genevoise de Haute Horlogerie, une branche de Richemont qui produit calibres horlogers du groupe prétendant aux Poinçon de Genève.
En 2015, Richemont prend la décision de mettre fin aux 118 ans de l’histoire, du cadranier Stern et en juin 2016, la Manufacture Stern 1898 disparaît définitivement. Qu’est-ce qu’on a jeté mon Dieu mon Dieu déplorent encore des anciens collaborateurs Stern en 2019…
Je liste ici les diverses raisons sociales d’un fleuron de l’horlogerie suisse que l’histoire horlogère retiendra à jamais sous l’appellation « Stern Cadrans » :
1898 - 1902 Atelier Henri et Louise Stern
1903 - 1905 Atelier Stern Frères
1905 - 1907 Fabrique de Cadran Charles Henri Stern
1907 - 1931 Stern Frères société en nom collectif
1931 - 1981 Stern Frères SA
1981 - 2012 Stern Créations SA
1981 - 1996 Stern Créations SA (membres du conseil d'administration, marques horlogères)
1996 - 2000 Stern Créations SA (actionnaire : Orior Compagnie SA)
2000 - 2012 Stern Créations SA (actionnaire : Groupe Richemont)
2012 - 2016 Manufacture Stern 1898 (actionnaire : Groupe Richemont)
On compte pour la réalisation d’un cadran d’excellente qualité, plus de 50 opérations. Si complexe à fabriquer, mêlant critères esthétiques et dimensionnels, ce composant horloger qui est à la fois le visage de la montre et le premier de ses regards, méritait un livre. Certes, voici pour la théorie et la motivation première. Encore fallait-il prendre le taureau par les cornes et, pas à pas, démontrer à grands renforts d’explicatifs richement illustrés, à quel point cette complexité de réalisation s’articulait au fil d’une pluralité d’étapes, d’une somme d’opérations toutes plus fascinantes les unes que les autres. Des processus qui, cerise historique sur le gâteau de la connaissance, permettent de pister et de dater les progrès technologiques qui n’ont cessé d’intervenir dans ce secteur à part. Car, selon les volumes de production, les métiers manuels ont viré aux solutions industrielles, tandis que les standards et les pratiques ancestrales ont été revisités en langages technologiques.
Parce que tout passionné mérite de disposer de pistes nouvelles et d’éléments propices à nourrir sa soif de connaissances, cet ouvrage se devait de passer, après avoir parcouru une partie de l’Histoire horlogère suisse en compagnie du plus mythique des cadraniers, par le fascinant chemin de la concrétude en matière de réalisation de cadrans, un chemin propice à l’ingéniosité. D’autant que sur ce sujet, pourtant pilier de la perception dimensionnelle et esthétique de la montre, la maigre littérature existante a de quoi laisser le passionné sur sa faim. Et puis, d’autre part, si seuls quelques cadrans mythiques disposent d’une documentation en phase avec leur rareté ou leur valeur, comme les cadrans de la Nautilus de Patek Philippe ou de la Royal Oak d’Audemars Piguet, ils ne concentrent pas le spectre des techniques utilisées ni les délicates et complexes opérations qui, en fonction des époques, interviennent dans la fabrication des cadrans.
Le cadran vient de loin. Déjà dans l’Antiquité, artisans et artistes – les mots étaient alors en intime parenté –, travaillaient les métaux en maîtrisant des techniques immuables comme la gravure ou la ciselure. Gardiens de ces héritages, les cadraniers ont su s’approprier ce patrimoine de compétences, l’affiner et le dédier à leurs œuvres. Il faut dire que l’infinité des trésors de savoirs qui s’y mettent en résonnance donne le vertige et inspire le respect. J’en suis convaincu, et j’y ai puisé la force indispensable à ce projet, certaines de ces connaissances, les plus anciennes, sont appelées à disparaître puisque l’âge de ceux qui les détiennent, de ceux qui les ont pratiquées, est fort avancé. Heureusement, ceux que j’ai rencontrés ont encore la mémoire alerte et le vif désir de la placer au service de la transmission.
Je reste confiant que le curieux, soit probablement l’afficionado de demain, trouvera dans cet ouvrage de quoi nourrir son esprit : bon sens pratique, explications essentielles, perception des différences de qualité qui découlent de la diversité des techniques. Par exemple, être en mesure de déceler l’émaillé par rapport au laqué, le laqué plusieurs couches polies par rapport au vernis mat ou au simple laqué, le tour d’heures frappé à même le cadran par rapport à celui qui se crée à partir d’éléments rapportés, tel l’index en or ou en laiton coloré, tel l’usinage main par rapport aux techniques d’un usinage effectué par une machine à commandes numériques, sachant que les progrès de ces machines sont tels aujourd’hui qu’une telle différenciation relève de l’exploit.
C’est ce que la deuxième partie de ce livre propose : un parcours initiatique au monde luxuriant des techniques et de l’ingéniosité, un aller sans retour dans l’univers de la création maîtrisée, des origines de l’élégance et des arts du détail. Ce voyage transite par la présentation, relativement chronologique, des principales opérations qui se succèdent dans la fabrication des cadrans au 20 e siècle. Chacune est utile, elle participe à l’ensemble. L’un des savoir-faire du cadranier est justement d’en planifier précisément l’ordre, sachant que de cette planification dépend le résultat final et parfois le type de cadran.
La réalisation d’un cadran peut être divisée en différentes étapes regroupant des sous étapes. Il existe une multitude de manières de faire, en fonction du cadran, du fabricant et du choix du processus de fabrication. Chez Stern, les phases principales de fabrication d’un cadran étaient au nombre de trois.
L'ébauche, c’est la matière de base du cadran qui comporte déjà les formes et ouvertures principales, c’est-à-dire les pieds, la découpe du diamètre, les trous de centre et le cas échéant des compteurs, du guichet et de la lune. Il s’agit de l’étape avant la décoration. Grossièrement, l’ébauche correspond à l’étape de fabrication du cadran englobant toute forme d’opération destinée à enlever de la matière ou du copeau.
La décoration désigne un bouquet d’opérations réalisé à partir d’une ébauche de cadran et permettant d’obtenir un cadran décoré. Elle comprend les terminaisons consistant en un travail en surface de la matière sans enlever de copeaux comme le grenage, le satinage etc. et les mises en couleur, par exemple avec l’usage de couleur galvanique, de vernis, ou d’émail. S’y ajoute, si nécessaire, l’application de cette couche transparente de protection nommée zapon. Cette deuxième étape peut encore comporter des opérations de reprise d’usinage, comme par exemple la réalisation de perles ou encore du perçage des trous des pieds d’appliques.
La finition correspond aux dernières opérations qui consistent aux divers ajouts amenés sur un cadran : soit des indications apposées par décalque, soit si le cadran se compose de pièces rapportées tels des appliques – index, des chiffres romains ou arabes, des cabochons ou encore des bagues ou des guichets ; soit enfin, toutes les opérations d’assemblage ou de sertissage liées à ces mêmes objets.
É bauche bombée et polie d’un cadran Vacheron Constantin Patrimony : dans cet exemple on distingue le trou de centre et le diamètre découpé, l’ouverture guichet et l’emboutissage de son biseau.
Pages
Cadran décoré ici en terminaison opalin, couleur argentée et reprise des perles avec un burin de perlage.
Pages 148 - 175
Cadran terminé par décalque et appliques rapportées.
Pages 176 - 205
Chez Stern, jusque vers la fin des années 1990, une fois polies, les ébauches étaient d’office argentées par galvanoplastie. Cette très fine couche d’argent ajoutée s’avérait plus malléable que le matériau de base du cadran, ce qui offrait au cadranier un meilleur confort de travail et permettait d’obtenir une décoration finale de qualité supérieure.
Les terminaisons de très faibles épaisseurs ne seront toutefois que parfaitement visibles lorsqu’associées à des techniques de mises en couleurs de couches de l’ordre de quelques microns, c'est-à-dire obtenues par galvanoplastie ou par dépôt physique en phase vapeur ( PVD ). En réalité, le choix d’une décoration influence de manière radicale l’esthétique du cadran, tant sous l’angle de sa couleur définitive que sous celui de ses nuances, soit entre le mat et le brillant, soit entre les clairs et les obscurs.
La décoration poli miroir consiste à polir très légèrement la surface de l’ébauche cadran afin de lui donner de la brillance sans pour autant risquer d’en modifier la géométrie. Ce degré de polissage ou avivage de qualité supérieure fait parfois partie des opérations de décoration d’un cadran fini.
Dans les années 1950 la technique poli miroir était combinée avec la technique d’épargne pour des inscriptions de marque, de minuterie ou ce qu’on appelle un tour d’heure poli miroir épargné. De nos jours, une telle opération est rarement utilisée et reste limitée à de petites zones, tant le risque de rayer la surface rend délicate toute manipulation.
Finition épargnée poli miroir sur zone circulaire argentée positionnée, ici, entre le cercle des minutes et le cercle gradué des 5 secondes sur un cadran Stern Frères des années 1940.
À ses débuts en 1898, l’atelier Stern fabriquait principalement des cadrans en émail opaque monochrome, comme d’ailleurs en Suisse la plupart des autres cadraniers de l’époque. Ces cadrans étaient généralement de couleur blanche ou, plus rarement, de couleur noire.
En 1957, Stern Frères adapte sa structure de production aux exigences de la fabrication en série et se sépare de son département d’émaillage. À l’évidence, durant la période des années 1960 à 1990, les cadrans de fabrication artisanale en émail n’étaient plus à la mode. Ce n’est que durant les années 1990 qu’un regain d’attention pour l’émail signe le retour de ce matériau. L’intérêt va croissant et en 2000, Stern Créations aura fait revivre son atelier d’émaillage haut de gamme.
Le cadran émail monochrome ordinaire, également appelé bon courant, passait seulement par l’étape du perçage des trous pour les aiguilles des heures et des minutes, ainsi que de l’ouverture dédiée aux secondes, le dessus du cadran restant plat. Une technique considérée comme appartenant au haut de gamme consistait à fabriquer le cadran en plusieurs pièces. Des ouvertures traversantes étaient alors pratiquées sur l’ébauche cadran puis, une pièce émaillée cuite séparément était rapportée au dos du cadran afin de créer, par son emboîtage dans l’ouverture, un compteur ou une creusure de centre.
Différentes techniques d’émaillage proposées par Stern Frères entre 1898 et 1985 :
• Émail monochrome opaque pour une production en série. Entre 1898 et 1957, plus tard réalisé en sous-traitance.
• La technique de gravé-émaillé sera pratiquée dans les ateliers Stern entre 1898 et 1982. Les cadrans étaient gravés à la main et probablement déjà à partir des années 1950, ils le seront souvent par photogravure.
• Émail cloisonné libre ou émail cloisonné-champlevé de 1940 à 1960. Pour ces commandes essentiellement uniques, l’émaillage est sous traitée à un ou une artiste indépendant( e ), tout autre travail sur ces cadrans comme l’ébauche et la finition sera réalisé par Stern Frères.
• Émail champlevé et champlevé-cloisonné entre 1940 à 1982. Les différentes étapes de fabrication sont réparties comme auparavant.
• Émail translucide sur fond guilloché ou sur gravure basse-taille entre 1898 et 1985. Ces commandes de petites séries sont la plupart du temps réalisées dans les ateliers arts et métiers de Stern Frères.
• Émail en peinture miniature entre 1898 à 1960. Pour ces commandes essentiellement uniques, l’émaillage et sa peinture sont sous traités à un (e ) artiste, la fabrication de l’ébauche et la finition du cadran émaillé peint sont réalisés à l’interne chez Stern.
Ancienne fournaise à charbon dans laquelle la plaque du cadran passe à plusieurs reprises à des températures de 700 °C à 900 °C. Document provenant de la brochure du cadranier Fluckiger, éditée pour son jubilé de 100 ans. 5
Fabrication d’un cadran émail monochrome opaque avec compteur rapporté, mode d’emploi et chronologie des étapes
1. Plaque de cuivre avec soudage des pieds, désoxydation, redressage après étampage.
2. Contre émaillage du cadran, pour éviter les tensions. Laissons ici parler le maître LouisÉmile Millenet au travers d’un extrait de son livre Manuel Pratique de l’Émaillage Sur Métaux : Sous l’effet de la température relativement haute que nécessite la fusion de l’émail sur le métal ( température variant de 600 à 900° C ), l’une comme l’autre de ces matières se dilatent, la seconde beaucoup plus fortement que la première. En revanche, au refroidissement, l’émail et le métal se contractent, le second plus fortement que le premier. Il se produit alors, et tout particulièrement sur les grandes surfaces de métal, un déséquilibre qui se traduit soit par une déformation complète de l’objet, soit encore par la rupture complète ou partielle de l’émail. [ ] Cette opération justifie donc son nom de contre-émail, car, grâce à elle, le métal se trouve emprisonné entre deux couches d’émail 16
3. Émaillage monochrome opaque en plusieurs couches.
Les étapes critiques de cuisson peuvent être le théâtre de réactions indésirables, comme par exemple cet oxygène piégé dans la matière première qui se transforme sur la surface finie en bulles minuscules. Leur taille dépend autant de la qualité de l’émail brut que de son broyage. Ces impuretés visuelles étaient enlevées repiquées, pour prendre un terme d’émailleur, à l’aide d’une aiguille voire d’une petite fraise. Mieux, elles étaient souvent meulées, puis lapidées et recuites. Ensuite, afin de boucher les zones ainsi creusées, on appliquait une couche fine supplémentaire d’émail. Au fait de son savoir séculaire,
l’émailleur pratiquait le meulage final en s’aidant d’outils manuels en bois et de pierres spéciales, ce qui requérait une patience infinie et une habileté hors du commun. Il veillait à ce que son ouvrage s’effectue dans un environnement dénué de poussière afin d’éviter toute micro-rayure sur la surface du cadran. Suite à son déménagement à la Place des Volontaires à Genève en 1906, c’est à dire proche de l’une des rives du Rhône, l’atelier Stern bénéficia de la force hydraulique. Il s’en servit pour installer des systèmes de rotation de disques en bois de buis, entrainés par des poulies. Ces mécanismes permirent, entre autres grâce à l’adjonction régulière de sable calibré et d’eau, de rendre plus efficace le polissage des cadrans émail.
4. Décalquage ou peinture à la main des chiffres et des lettres en couleur émail.
5. Passage au four.
6. Optionnellement, application d’une couche de fondant.
7. Limage du cadran à son bon diamètre.
8. Perçage du trou de centre. À propos du perçage, deux chronologies cohabitent, correspondant chacune à une technique particulière. La première consiste à percer le cadran avant l’émaillage. Il en résulte un risque accru de voir se former de légères dépressions autour des trous percés. La deuxième technique, synonyme d’une qualité supérieure, consiste à percer le cadran une fois l’ébauche émaillée. Pour ce faire, il faut utiliser une perceuse et des fraises en diamants tout en osant se mesurer au risque de voir l’émail se fissurer ou s’égriser lors du perçage.
9. Découpage du compteur de seconde.
10. Emboitage et soudage d’un compteur émaillé rapporté.
Réalisé par Stern Frères en 1953
Dans les années 1950, Rolex a réalisé, en collaboration avec Stern Frères à Genève, quelques-unes des montres bracelets à cadran cloisonné champlevé les plus emblématiques. Celle-ci, avec son motif Caravelle, en fait partie. D’une beauté époustouflante, ce cadran comporte le dessin en émail multicolore d’un bateau grec historique sur les flots. Une œuvre qui a été conçue par l’illustre émailleuse genevoise Marguerite Koch, également auteur d’autres fameux cadrans en émail champlevé commandés par Stern Frères pour Vacheron Constantin et Patek Philippe. À noter que Madame Koch aura également travaillé quelque temps à l’interne chez Patek Philippe.
Certaines parties de la zone à émailler sur l'ébauche plate sont d'abord creusées (champlevé), puis l'ébauche en or jaune reçoit sa forme bombée. Le dos révèle le code frappé 103 389 correspondant au numéro de client Rolex, au poinçon de Stern Frères et à la référence de commande. Le N o 29 sommairement tracé dans le contre émail se rapporte à ce dessin Caravelle de l’émailleuse Margueritte Koch, reprís dans un des quatre tomes d’échantillons assemblés par Stern Frères au bénéfice de ses clients.
Notons que le contre-émail est appliqué de sorte à libérer les zones d’attache des appliques et que les pieds des index et de la couronne Rolex seront sertis par piquage deux points et non collés. Les traces noires, résidus de calamine et d’oxydation, résultent des multiples passages du cadran dans le four, lors de la cuisson de l’émail. Deux pieds en or jaunes brasé permettent sa fixation au calibre.
Décoration
Pour contenir l’émail, l’ébauche est champlevée dans sa plus grande partie à l’intérieur de laquelle l’émailleuse viendra coller, sur un fondant de base, les différents fils d’or minutieusement formés, afin de s’en servir comme cloisons du motif souhaité. Ensuite débutera le travail de l’émaillage, ici réalisé en plusieurs couches. La zone de perlage est satinée circulaire et les perles fraisées à la main. Les deux étoiles sont des paillons en or. Une couche finale d’émail transparent (fondant) permet de les coller et de protéger le motif émaillé.
Dans ce cadran cloisonné champlevé (page 242), les jeux de couleurs et leurs dégradés sont remarquables. Je noterai que les maîtres émailleurs, grâce entre autres à un important travail de superposition des couches d’émail, obtenaient des couleurs très vives et nuancées d’une qualité difficile à retrouver de nos jours.
Finition
La scène en émail de grand format intègre le tour d’heure constitué de la couronne Rolex et de 11 index en pointe à cinq facettes lapidées en or jaune. Voir pages 140 et 141 un exemple semblable d’émail cloisonné, mais en plus petit format. Notons que le perçage et le sertissage de ces appliques sur l’émail comportent l’inévitable risque de mettre en péril tout le travail réalisé jusque-là. Les inscriptions SWISS et Rolex sont réalisées en peinture noire par décalque.
Vieillissement
L’émail ne vieillit pas et est en parfait état.
Particularité
• Émail cloisonné champlevé de grand format.
Extrait du livre des Commandes spéciales Stern Frères répertoriant la commande n o 3389 et son dessin No 29 du cadran Rolex Caravelle
Cosmograph
Fabriqué par Singer en 1970
Général
Il existe peu de montres-bracelets vintage autant recherchées par les collectionneurs que la Rolex Daytona Paul Newman avec son cadran de style art déco si caractéristique. À l’origine nommé exotic dial, il sera rebaptisé Paul Newman lorsque les aficionados découvrent que le célèbre acteur et distingué pilote de course en a fait son choix favori. Notons que ce cadran Daytona, avec son marquage de compteur atypique, était exclusivement destiné au marché américain, mais que n’y ayant pas rencontré le succès escompté, il fut vite remplacé par le modèle classique. Créé au début des années 1970, le Cosmograph Daytona référence 6262 présente des adaptations techniques avec l’introduction du calibre Valjoux 727. Cette montre culte succède à la référence 6239.
Ébauche
L’ébauche est en laiton. Les trois compteurs sont creusés et la zone de la minuterie est inscrite sur un niveau légèrement plus bas que la partie argentée. Au dos du cadran, les deux pieds en cuivre sont fixés par soudage électrique. On y retrouve également le poinçon Singer et son logo SJ
Décoration
La réalisation deux tons, noir et argenté par bains galvaniques moyennant la technique d’épargne, est suivie d’une terminaison grenée sur toute la surface, y compris celle des compteurs préalablement azurés.
Le dos du cadran globalement oxydé est frappé Singer
Finition
Les inscriptions et les échelles du cadran sont décalquées en blanc, à l’exception du DAYTONA de couleur rouge. Les appliques rapportées des heures sont des plots carrés polis plats probablement en or blanc, munis d’un seul pied serti par piquage central. Les perles du tour d’heure en matière luminescente, à base de Tritium – comme l’indique le décalque T SWISS T – sont déposées accolées aux plots des heures.
Vieillissement
Protégée par un zapon, la face du cadran a particulièrement bien résisté au temps, contrairement à son dos non protégé qui se retrouve globalement oxydé. Les points luminescents ont viré de leur blanc d’origine vers une tonalité jaunâtre.
Particularités
• Cadran deux tons.
• Design de style art déco.
• Terminaison grenée.
Compteurs creusés et azurés avec leurs décalques blancs caractéristiques.
Le visuel du sertissage délicat des appliques est un indice d’authenticité d’un cadran
Vue d’une perle en Tritium accolée au plot de l’heure juste en retrait du petit escalier délimitant le plan incliné de la minuterie.