Hélène Fima-Leonardi
LE MAGICIEN
LE MAGICIEN DES MAILLARDET DES MAILLARDET l’aventure d’un automate hors du communhors L’aventure d’un automate 1
du commun
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Hélène Fima
© 2019 Watchprint.com Sàrl, La Croix-sur-Lutry Tous droits réservés. Toute reproduction, même partielle de cet ouvrage, est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photocopie, photographie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi sur la protection des droits d’auteur. ISBN 978-2-940506-27-9 Photo de couverture : Musée paysan de La Chaux-de-Fonds, Musée international d’horlogerie de La Chaux-de-Fonds Direction éditoriale : Fabrice Mugnier et Suzanne Wettstein Impression : Daneels Graphic Group, Belgique Pour découvrir toutes nos publications sur les montres et bijoux, consultez notre site Internet : www.watchprint.com
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TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1. LES MAILLARDET 1.1. Les débuts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1.2. Croissance et prospérité dans le sillage des Jaquet-Droz (1774-1790). . 10 1.3. Incertitudes (1790-1798) . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . . 17 1.4. Premières expositions d’automates à Londres (1798-1814). . . . . . . . . . . 23 1.5. Expositions en Suisse et en France (1800-1808). . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . 29 1.6. Atelier de Fontaines : la seconde génération (1808-1820). . . . . . . . . . . . . 33 1.7. Les dernières expositions (1837-1847). . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . 36 2. LE(S) MAGICIEN(S) 2.1. Les magiciens historiques . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . 41 2.2. Le Grand magicien du MIH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 3. CATALOGUE RAISONNÉ. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . 67 CONCLUSION. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. 125 ANNEXES 1. Notices biographiques des principaux membres de la famille Maillardet. 127 2. Sélection d’expositions d’automates Maillardet (1798-1843) . . . . . . . . . . 130 3. Transcription des lettres du Fonds Mairet & Humbert . . .. . .. . .. . .. . .. 155 4. Postérité au 19e siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180 SOURCES . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. 179 NOTES DE BAS DE PAGE . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. 179 Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
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INTRODUCTION Ce livre n’est ni une monographie, ni un dossier de restauration, ni non plus un catalogue. Mais plutôt l’étude approfondie d’un objet hors du commun. Car c’est ce qui nous plaît et nous motive dans cette aventure, reconstruire pas à pas l’histoire du magicien, réunir des sources multiples, pour mieux le connaître et le comprendre. Le Musée international d’horlogerie de La Chauxde-Fonds (MIH) possède de fabuleuses collections, parmi lesquelles un magicien automate réalisé par Maillardet à Fontaines. Cette pièce, d’une grande rareté, fut donnée au musée par Amanda Racine-Gallet en 1907. L’automate était en piteux état, il fut restauré par Louis Perrin-Jeanneret dans les mois qui suivirent. Quant à l’origine du magicien, il aurait été acheté à Porto-Rico par Jules Racine, environ 50 ans avant la donation au musée1. Or, et c’est ce qui rend ce sujet passionnant, un magicien quasiment identique fut découvert en 2006 dans une vente aux enchères parisienne2. Ce second automate, que nous appellerons « Magicien de Paris », fait en ce moment l’objet d’une restauration. Cette tâche de longue haleine représente pour nous une opportunité rare : la possibilité d’éclairer le premier magicien à la lumière du second, et par la même occasion de reprendre l’histoire des Maillardet afin de mieux comprendre le contexte de création des deux automates. Nous nous sommes donc lancés dans une réécriture de l’histoire de la famille Maillardet. En effet
l’étude de référence a été publiée par Alfred Chapuis en 1916-1917. Le sujet n’a jamais été repris de manière approfondie, hormis 26 pages consacrées aux Maillardet dans les Oiseaux de bonheur en 20013. Aujourd’hui nous reprenons et commentons les trouvailles de Chapuis, mais nous apportons également quelques sources inédites : la presse suisse et étrangère4, le Fonds Mairet & Humbert au MIH, les archives administratives du Musée d’horlogerie, et la relation entre James Cox et Jaquet-Droz vue à la lumière des travaux de Roger Smith. Si vous n’avez jamais entendu parler des Maillardet, ils sont surtout connus en tant qu’ouvriers des Jaquet-Droz. Or si nous examinons leur cas d’un peu plus près, nous constatons que cette discrétion s’explique par plusieurs facteurs. Tout d’abord, très peu de pièces signées sont parvenues jusqu’à nous. A cause bien sûr des outrages du temps, mais aussi parce qu’à la fin du 18e siècle les horlogers des montagnes neuchâteloises ne signaient pas systématiquement leurs créations. Les œuvres des Maillardet sont difficiles à identifier parce que bien souvent non signées, mais aussi difficiles à distinguer de celles d’Henry-Louis Jaquet-Droz parce que parfois proches des productions du maître. Une autre raison expliquant la méconnaissance commune au sujet de Maillardet est que nous n’avons pas affaire à une seule personne mais à une
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suis tournée vers l’horlogerie ancienne. J’ai été séduite par ces objets qui, grâce à leur fonction de garde-temps, transcendent leur statut purement utilitaire et décoratif ; et tout ce que cela implique au niveau social et philosophique. Quelle chance pour moi qui suis française, aujourd’hui installée en Suisse, de pouvoir étudier un sujet tel que celui-ci. Auquel quasiment personne depuis Alfred Chapuis ne s’est intéressé, dans lequel je retrouve la magie des garde-temps et la poésie des automates, des sources locales, mais surtout un objet totalement inédit. Reconstruire pas à pas l’histoire du magicien, essayer de l’appréhender en tenant compte d’un maximum de paramètres, mais aussi comprendre un peu mieux ces horlogers, écartelés entre leur condition modeste et leurs créations de rêve, tel est mon but. Hélène Fima-Leonardi
véritable entreprise familiale. Trois générations d’horlogers s’enchevêtrent entre 1760 et 1850, la première étant marquée par trois frères (Jaques, Henry et Jean-David), la deuxième par leurs fils et un gendre et la troisième essentiellement par un des petits-fils de Jean-David, Constant. Bien entendu les trois frères travaillaient ensemble, et les fils avec leurs pères. Il n’est donc pas aisé de s’y retrouver. Un point intéressant est la filiation existant entre James Cox, Henry-Louis Jaquet-Droz et Henry Maillardet. En effet James Cox est le premier à avoir initié les expositions de curiosités mécaniques à Londres, à un moment où il cherchait à donner un souffle nouveau à sa carrière. Henry-Louis Jaquet-Droz développe le concept en présentant ses automates à travers l’Europe, et enfin Henry Maillardet et son frère quelque vingt ans plus tard. Peut-être justement un peu trop tard. Nous allons commencer par brosser l’histoire de la famille Maillardet au tournant des 18e et 19e siècles, puis nous poursuivrons par une analyse approfondie des magiciens. Bien que ce ne soit pas l’objet principal de cette étude, nous avons aussi tenté d’établir un catalogue raisonné des œuvres des Maillardet comprenant les pièces conservées et celles mentionnées dans les sources. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais expliquer en quelques mots les raisons qui m’ont conduite à m’intéresser aux Maillardet. Après avoir étudié l’histoire de l’art, petit à petit je me
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Ill. 8 : Pendulette « lyre » à oiseau chanteur et automate, exemple de production des ateliers Jaquet-Droz pendant les années 1780. Signée « Jaquet-Droz & Leschot London ». Vers 1785. Dimensions : H. 90 cm. Musée d’horlogerie du Locle. © Musée d’horlogerie du Locle - Château des Monts, Le Locle, Suisse (Photo Renaud Sterchi).
horloger. Il est d’ailleurs rémunéré pour son travail, même si les biens appartenant à la société de Londres sont en théorie détenus à parts égales entre lui et Jaquet-Droz.
Rentrons à présent en Suisse, vers les deux frères restés à Fontaines. Une nouvelle distinction s’impose : bien qu’ils soient clairement identifiés comme horlogers penduliers à Fontaines, il semble que
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du commerce de la Chine… ; le vrai est que dans le temps que vous me marqués qu’on n’y vendrait rien, & que vous receviez les nouvelles les plus fâcheuses de la Chine pour vos objets, Mr David Duval annonceait à mon ancienne société […] qu’il venait de recevoir comptes de vente très avantageux de tout ce qui nous y restait & quoi que les remises qu’on lui fesoit étaient à 2 ans de vue, le bénéfice qui en a résulté sur ces pacotilles est immense & bien capable de suporter ces dilations [...] Cela a surpasé nos espérances »61.
l’établissage, la maison emploie des artisans à domicile qu’elle rémunère à la pièce. Seul l’assemblage est centralisé. De 1781 à 1804, Robert et Courvoisier occupent, pour la pendulerie seule, entre quarante et soixante artisans. Les inventaires indiquent une quarantaine de pièces en travail de 1784 à 1789 et une spécialité de pendules à musique et pendules cages à oiseaux64. Maillardet est mentionné dans les inventaires de la société en 1789 et 1791 pour des travaux de fonte et ciselure sur des cages à oiseau et pour la musique d’une pendule à « boëtte octogonne garnie de guirlandes sans niche ni médaillon »65. Nous pensons que la maison Robert & Courvoisier fait partie des « nouveaux débouchés » de l’atelier de Fontaines car dans un autre inventaire daté de 1783, il n’est fait aucune mention des Maillardet. Robert et Courvoisier sont les plus gros penduliers de la région et il serait étonnant qu’ils n’aient jamais fait travailler les Maillardet au cours de l’année 1783. Pendant les années 1780, les commandes Jaquet-Droz absorbaient vraisemblablement la totalité des capacités de l’atelier de Fontaines. Ce qui n’est plus le cas pendant les années 1790. Il existe certainement des dizaines de négociants chaux-de-fonniers pour lesquels les archives sont perdues. D’où la difficulté de se faire une idée claire sur l’activité des Maillardet. Mais heureusement, les Archives du MIH possèdent un fonds d’une grande richesse : le fonds Mairet & Humbert, avec notamment une série de lettres adressées par Jean-David et Jaques Maillardet à Messieurs Olivier Humbert & Mairet négociants à La Chaux-de-Fonds entre 1796 et 180166. Sur 40 documents, 37 émanent de Jean-David (voir Annexe
Dans les années qui suivent, Leschot abordera moins le sujet. La liquidation de l’hoirie JaquetDroz est terminée, et lui-même n’a pas de contacts directs avec le marché chinois. Cependant nous observons une sorte de glissement : petit à petit Maillardet va perdre la confiance et les faveurs de Leschot au profit des Duval. En effet les Duval sont les exécuteurs testamentaires de Jaquet-Droz à Londres, ce qui suppose une confiance et des relations privilégiées. Ils bénéficient d’une assise financière forte et d’un réseau commercial étendu reliant l’Europe à l’Asie et l’Amérique62. Enfin, bien qu’il soit difficile d’avoir un point de vue objectif sur cette question (notre seule source étant la correspondance de Leschot), il semble que Henry ne soit pas toujours très « correct » en affaires et sa relation avec Leschot finit par s’en ressentir. A Fontaines, le travail que lui procurent Leschot et Henry Maillardet ne suffit plus à faire tourner l’atelier familial. Jaques et Jean-David recherchent de nouveaux débouchés. Robert et Courvoisier de La Chaux-de-Fonds sont à l’époque les plus importants producteurs de pendules de la région63. Suivant le système de
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Ill. 11 : Pendule à jeu de flûtes signée Robert & Courvoisier, exemple de pièce pour laquelle Maillardet aurait pu réaliser le mécanisme. Vers 1780. Dimensions : H. 100 cm, L. 74 cm. Antiquorum, Genève, 24 avril 2004, lot 468. © Antiquorum.
faire les quatre pièces que m’avez demandez pour la fain du mois de mars prochain, Les deux grande cages [...] / La grande de Paris avec un oiseau posé au haut de la cage sur la cascade qui dessendra du haut embas avec 3 bassain [...] / Les deux cages hordinaire à deux oiseaux & à cascade [...], Le tout pour moitié contems en livran les pièces & l’autre moitié à six mois de terme. [...] Je vous facilite autems que posible espérant que nous auront une suite de faire ensemble. »67
n°3 pour la transcription intégrale de ces lettres). Nous avons déjà touché un mot plus haut du type d’objets fabriqués (pendules d’officier, jeux de flûtes, pendules à la parisienne). Ce qui nous intéresse ici est la toute première lettre, dans laquelle Jean-David s’introduit auprès de Mairet & Humbert : « Messieurs, N’aiant pas eu l’avantage de vous voir lundit soir comme le m’aviez fait espérer, je vient m’aquiter de ma promesse en vous avisant que je puis vous
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tateurs. D’une main il agite sa baguette divinatoire en même temps que de l’autre il lève et semble lire attentivement son livre ; Il abaisse celui-ci et tourne sa tête vers la grande rosace centrale dont il frappe la porte circulaire placée au milieu, d’un coup de son bâton magique : la porte s’ouvre laissant voir la réponse à la question posée. Le devin se tourne alors vers les spectateurs et fait un mouvement de tête. Puis il agite de nouveau sa baguette, frappe encore sur la porte et regarde devant lui, comme pour solliciter une nouvelle question. Il n’est pas possible de tromper le personnage et de le faire agir en feignant de mettre un tableau dans le tiroir ; dans ce cas il consulte son livre, mais donne à entendre par un mouvement de tête, que l’oracle restera muet. Ajoutons que cette remarquable pièce comprend aussi deux serins chantant et sifflant en duo, sautillant et battant des ailes. Au-dessous de la rosace est une étoile changeant six fois de couleur et, sur le dôme, une fleur qui s’épanouit en trois rangs de pétales tournant en sens inverse, et sur laquelle vole un papillon. » Enfin Chapuis relie cette paire de pendules aux comptes Jaquet-Droz : « La première impression nous fit reconnaître dans ces œuvres un travail des Jaquet-Droz ; mais il restait à étayer notre hypothèse. Une première indication nous a conduits à revoir les livres de commerce de ces artistes où nous avons relevé, dans l’« Inventaire général des meubles, effets, outils, fournitures, objets en travail de la Société Henri-Louis Jaquet-Droz et Henri Maillardet à Londres, fait le 17 septembre, pour le 1er octobre 1787 » : « Ouvrages en travail… une paire pièces à devins, 1000 L. Sterling ».
Ill. 21 : Magicien dit de l’ambassade hollandaise. Vers 1787. D’après Chapuis, 1928, p. 161.
celui-ci abrite le magicien qui se tient debout sur la plate-forme. On introduit dans le tiroir horizontal disposé sur la face antérieure du socle une tablette prise dans un des deux autres tiroirs placés sous le soubassement. Sur cette tablette est inscrite la question que l’on veut poser au devin. Celui-ci fait alors une profonde révérence aux spec-
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Si nous considérons la rareté de ces pièces, le nom du marchand qui les a vendues, dont on connaît les relations commerciales suivies avec la maison de Londres, et enfin le rapprochement des dates, toutes ces raisons sont, à nos yeux, des preuves suffisantes pour nous faire admettre que la « paire [de pendules] en travail » des Jaquet-Droz de 1787, est bien celle qu’achetait, huit ans plus tard, l’ambassade hollandaise à Canton. » Le lien qui est fait entre cette « paire [de] pièces à devin » mentionnée dans l’inventaire Jaquet-Droz de 1787 et l’histoire de l’ambassade hollandaise nous semble tout à fait plausible. Nous ajouterons simplement quelques commentaires se rapportant à notre typologie. Au niveau stylistique, les médaillons ovales de la base sont caractéristiques du style Louis XVI. De même pour le médaillon du mur encadré d’un ruban noué. Le décor dans lequel évolue le magicien, imitant une treille sur laquelle viennent s’enrouler des sarments de vigne, renvoie au goût des années 1780 pour le retour à la nature. Une datation des années 1780 est donc vraisemblable. Au niveau formel, nous relevons les éléments suivants : •• le tiroir placé dans la base, réceptacle pour les questions ; •• le magicien debout devant un mur muni d’une baguette et d’un livre ; •• l’ouverture d’un guichet dans le mur dévoilant les réponses. Par conséquent si ce magicien, tel qu’il est décrit par Chapuis, est bien celui réalisé dans les ateliers Jaquet-Droz de Londres, il peut être considéré comme l’ancêtre des autres magiciens dont nous allons parler à présent. D’une part il est le
plus ancien, et d’autre part nous retrouvons dans les autres les éléments clefs que sont les tiroirs à questions, la baguette et le livre, le mur et le guichet.
LE MAGICIEN DE LONDRES Il apparaît dans les expositions organisées par Henry Maillardet à Londres à partir de 1798 où il est décrit comme « un magicien, qui résout de nombreuses questions, par nulle autre assistance que les pouvoirs mécaniques »177. Dans un autre article de la même année, il est dit que « Richer et le petit diable sont dépassés par le petit magicien, qui déroute le diable lui-même »178. Cette allusion au diable nous incite à faire un rapprochement avec le Petit magicien du MIH, dont la terrasse possède une trappe dévoilant deux petits diables, l’un peint au dos de la trappe et l’autre surgissant de la terrasse. Mais nous possédons un témoignage encore plus intéressant : celui de Margaret Graves, de Bath, qui
Ill. 22a : Petit magicien du MIH, détail de la terrasse et de la trappe dévoilant le grand et le petit diable. © Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds.
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vivant à Edimbourg. Bien que la première édition de l’Encyclopédie ait été publiée à Edimbourg en 1830, d’après ce que nous avons trouvé le volume 2 dans lequel se trouve l’article Androïdes aurait été achevé vers 1808-1810. Et si l’on en croit Dalyell, il aurait lui-même assisté au spectacle : « Un personnage […] se tient au pied d’un mur. Il semble habité, personnifiant un magicien ou un devin, et tient une baguette magique dans une main, et un livre dans l’autre. Les questions sont déjà préparées sur des médaillons ovales, dont l’un est placé dans un tiroir […]. Il y a vingt médaillons différents, comportant tous des questions différentes, auxquelles les réponses sont apportées avec une précision incroyable. Ces médaillons, faits de fines ellipses de laiton, sont exactement semblables les uns aux autres […]. L’artiste a assuré l’auteur de cet article que les moyens par lesquels les différentes questions ou médaillons sont différenciés sont extrêmement simples, et a exprimé son étonnement qu’ils n’aient pas immédiatement été découverts lors de la première exposition. »180 Nous pensons que Dalyell aurait vu le spectacle pendant la tournée au Royaume-Uni entre 1802 et 1806 (voir pages 26-27). Ceci est confirmé par la lettre de Margaret Graves ci-dessus, qui décrit un magicien présentant les mêmes caractéristiques. Les diverses publicités et articles parus pendant les années suivantes ne nous apportent rien de plus, à l’exception de celle-ci, parue le 29 août 1811 à l’occasion d’une exposition à Cheltenham : « Le vieux magicien, qui répond aux questions, se lève, consulte son livre, agite sa baguette magique et désigne les réponses, est un exemple surprenant d’art mécanique. »181
Ill. 22b : Petit magicien du MIH, détail du petit diable. © Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds.
assiste au show en 1802 et décrit le magicien dans une lettre adressée à sa nièce : « Le diseur de bonne aventure est supposé être un chinois[?] à l’allure imposante ; il y a 30 ou 40 questions sur des pièces d’ivoire, parmi lesquelles on peut choisir ; si l’on met l’une d’entre elles dans un tiroir, Merlin [se lève] immédiatement de son siège, il dessine un cercle avec sa baguette, prend un air important, puis il frappe sur une paroi de son propre appartement et l’on reçoit une très pertinente réponse ; l’automate salue et vient se replacer sur sa chaise »179. Grâce à cette lettre nous savons que le magicien répond à des questions placées dans un tiroir ; il est assis, se lève, agite sa baguette, frappe sur un panneau et une réponse apparaît ; puis il salue et se rassoit. Un magicien assis est également décrit dans l’Encyclopédie d’Edimbourg de David Brewster, et plus précisément dans l’article Androïdes (volume 2) rédigé par John Graham Dalyell (17751851), juriste, antiquaire et naturaliste écossais
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Comme nous l’avons expliqué plus haut, Henry Maillardet se désengage personnellement entre 1805 et 1814 alors que les expositions se poursuivent régulièrement, probablement animées par d’autres. Arrêtons-nous un instant sur l’année 1825. Nous sommes dans le Gothic Hall de Haymarket à Londres. Le show est intitulé sobrement « Les Automates » mais il s’agit bien de la collection Maillardet car la musicienne est présente ainsi que dix autres automates : « Les Automates. La Femme Musicienne, ainsi que dix autres automates surprenants, y compris le Promeneur, le seul et unique existant, sont actuellement présentés au Gothic Hall, N°7, Haymarket, (près du Little Theatre). Par la grâce de leurs pouvoirs mécaniques (pour un coût de plus de £ 16’000), et par leur parfaite imitation de la nature, ils sont la parfaite expression du talent et du génie humain.
N.B. Le hall richement décoré est entouré d’une collection d’armures anciennes, comprenant les splendides tenues portées lors de magnifiques expositions jamais encore montrées au public. »182 Il pourrait certes s’agir d’une autre collection mais une estampe conservée au British Museum vient emporter nos doutes : sur cette gravure, datée 1826 et intitulée « The Automaton Exhibition, Gothic Hall, Haymarket », nous retrouvons la musicienne, l’écrivain-dessinateur, l’acrobate, le Promeneur mentionné ci-dessus, ainsi que le magicien. Par ailleurs le décor gothique et la collection d’armures sont clairement visibles183. Il ne fait donc aucun doute qu’il s’agit bien de la collection Maillardet. La manifestation se poursuivra régulièrement jusqu’en 1833184. Revenons à présent à la gravure de 1826 (ill. 23). Il a été dit que le magicien, que l’on aperçoit entre la Musicienne et le Promeneur, est en fait le Petit magicien du MIH (voir Catalogue raisonné : A3).
Ill. 23 : Gravure représentant l’exposition d’automates du New Gothic Hall en 1826. © Trustees of the British Museum.
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Nous pensons que le Grand magicien du MIH et le Magicien de Paris seraient ces deux derniers magiciens commandés par Gallet. Les dates gravées sur les ressorts (1837 et 1839) indiquent une date de création contemporaine et la réalisation de telles pièces ne se faisait pas en un jour. De plus le barillet du mouvement de pendule du Grand magicien du MIH est signé « Rabillier par moi Constant Maillardet fils mécanicien / Fontaines le 2 novembre 1841 »200, ce qui renvoie à cette note de rhabillage du 20 juin 1843. Enfin le fait que le Grand magicien du MIH parle espagnol et le Magicien de Paris français et anglais peut s’expliquer par le réseau commercial de la famille Gallet. En effet la fille de Julien Gallet, Amanda, est mariée à un fabricant d’horlogerie, Jules Racine, qui s’établit à New York où il représente l’entreprise de la famille Gallet. Parallèlement, la sœur de Jules Racine, Elise Racine, épouse Philippe Hecht, négociant domicilié à San Juan de Puerto Rico201. Il se peut donc que le Grand magicien du MIH ait été envoyé à Porto Rico et le Magicien de Paris à New York via le réseau commercial des familles Gallet et Racine.
Une autre conséquence est que nous ne disposons pas de photos du mécanisme, hormis la partie laissée visible par la scénographie du musée. Par conséquent nous utiliserons l’article de Chapuis et Wiget de 1946, qui nous fournit un descriptif ainsi que quelques photos202. Ces données nous servirons de base de compréhension et nous permettrons de faire quelques comparaisons avec le Magicien de Paris. Parallèlement le Magicien de Paris, découvert récemment dans une vente aux enchères, fait actuellement l’objet d’une restauration par M. Bernard Pouillon. Bien qu’il ait lui aussi été très malmené par le temps, aux dires du restaurateur son mécanisme serait dans un état beaucoup plus proche de l’original que ne l’est le Grand magicien du MIH. Les photos prises lors du démontage serviront de base pour cette étude. En l’absence de dossier de restauration, afin de compléter ces sources et n’étant pas moi- même technicienne, je me servirai des commentaires et remarques des horlogers ayant approché ces pièces, à savoir Aurélie Branchini et Masaki Kanazawa pour le Grand magicien du MIH et Bernard Pouillon pour le Magicien de Paris.
2.2. Le Grand magicien du MIH
Pourquoi le Grand magicien du MIH est-il attribué avec certitude à Maillardet alors qu’il n’est pas signé ?
Penchons-nous à présent sur le Grand magicien du MIH et voyons ce que peut nous apporter une comparaison avec le Magicien de Paris. Comme nous l’avons expliqué dans l’introduction, le premier a fait l’objet d’une restauration à son entrée au musée en 1907. Le fait qu’elle ne soit pas documentée nous amène à nous demander à quel point son aspect actuel est conforme à l’original. D’autant plus que, Chapuis le dit lui-même, il était dans un piteux état à son arrivée au musée.
Le magicien des Maillardet (peu importe lequel) est suffisamment bien décrit dans les sources de la première moitié du 19e siècle pour pouvoir le rapprocher du magicien actuel. De plus il n’a jamais été oublié et est régulièrement cité pendant la seconde partie du 19e siècle (voir Annexe n°4). Ensuite nous disposons tout de même de quelques
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Ill. 26 : Grand magicien du MIH. Par Auguste Maillardet. 1837-1841. Dimensions : H. 90 cm, L. 60 cm, P. 45 cm. Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds, inv. IV-129. © Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds.
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TYPE : MONTRE
RÉFÉRENCE : M1
Date : années 1790 Dimensions : Diam. 53,9 mm, Ep. 20,4 mm Localisation : Collection Hans Wilsdorf, Genève
Histoire Collection Gustave Loup en 1919 ; collection Hans Wilsdorf en 1944. Description Boîte en or émaillé et cerclage de perles. D’un côté du pendant on peut lire le chiffre 73 et de l’autre côté les initiales J.L.. Cette montre est signée sur le cache-poussière « Hry Maillardet / London ». La scène émaillée représente un cavalier empanaché debout auprès d’une jeune femme. Un serviteur lui amène son cheval. La femme porte la main à son cœur, il s’agit probablement d’un départ. On aperçoit un étang au premier plan et un arbre à l’arrière plan.
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CATA LO G UE R A I SO N N É
Cadran émaillé, deux aiguilles en forme de lance et grande seconde au centre. Mouvement à secondes mortes indépendantes : un rouage spécial actionne la grande aiguille de seconde. Ce rouage permet à la longue aiguille de battre la seconde. Il peut, au moyen d’une petite targette, être arrêté à volonté sans que cela gêne la marche de la montre. Echappement à cylindre avec coq gravé.
Commentaire Cette montre étant signée Henry Maillardet à Londres, elle a été réalisée après 1791, soit la période à laquelle Henry Maillardet commence à établir des pièces en son nom. Elle lui est fournie par Leschot à Genève (voir le commentaire sous M2). L’émail de la boîte est attribué à Jean-Louis Richter. Bibliographie Chapuis, 1916-1917, planche hors texte ; Chapuis, 1919, p. 64-65 ; Chapuis, 1944, planche 14, p. 91-94.
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