BSC NEWS
Couverture Jana Brike
N째79 - AVRIL 2015
BAIN DE JOUVENCE 1
La culture et/ou la province ? par Nicolas Vidal
Rodrigo Garcia, le directeur du Centre Culture et largement subventionné par National Dramatique de Montpellier- des fonds publics ? Doit-on y voir une suite à ses déclarations sur le site du suffisance ridicule, un mépris primaire quotidien espagnol El Païs*, me donne ou une stigmatisation plus inquiétante l’occasion d’aborder la question épipour un public qui n’est pas parisien neuse de la vision de la culture en Pro- donc pas sensible voir «beauf» ? vince. Ici, en France Outre que le propos est est taxé de provincial extrêment blessant, cette tout ce qui se situe en analyse me semble totaledehors de Paris avec ment erronnée. En quoi cette légère intonale public montpelliérain tion désobligeante (dont il est question ici ) (qui m’excède). serait moins averti, moins Il n’est pas question exigeant, plus rustre cultude débattre ici de la rellement ou simplement présence de la culture plus stupide que «l’auau sein des territoires dience» parisienne ? nicolasvidalbscnews mais plutôt de réfléchir La culture serait-elle au rapport qu’entretient soluble en province où « le provincial» avec la culture ( ou plus vivent des peuplades qui se contentent précisément du regard que portent les de peu et sont insensibles à la nouveaunon-provinciaux sur la culture dans les té ? provinces). Car la condescendance est une forme Si l’on s’en réfère aux propos de Rosévère de stigmatisation, cher Rodrigo drigo Garcia qui déclare que «les gens Garcia. La culture ne peut être l’alibi (de Montpellier) aimaient avoir leur qui vous permet de vous y complaire. petit théâtre de province, leurs oeuvres classiques qui les rassuraient, même Ce mois, la rédaction (en partie provins’ils s’endormaient dans leur fauteuil ciale) du BSC NEWS vous propose (avant son arrivée) », on est en droit de un numéro riche en découvertes et en se poser certaines questions. nouveautés culturelles car les indigènes Ainsi quelle est l’analyse la plus appro- de province sont capables, eux aussi, priée pour des tels propos venant d’un de s’intéresser à ce qui fait ailleurs, chez responsable d’un Centre Dramatique l’autre, au-delà des ses frontières admiNational nommé par le Ministre de la nistratives voire même à l’étranger ! * ELPAIS.COM - 16.04.2015 > http://cultura.elpais.com/cultura/2015/04/16/actualidad/1429171054_974380.html
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La vie de tous les jours par AndrĂŠ Bouchard
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Arts graphiques
JANA BRIKE
P.6
P.6 ENTRETIEN
STUART NADLER
P.26
Carnet de voyages
NICOLAS POUPON 4
P.44
Théâtre
P.6
P.36
Emmanuel Darley FOLK
JAWHAR
P.112
JAZZ
AGATHE IRACEMA 5
P.104
ILLUSTRATION - COUVERTURE
JANA BRIKE Jana Brike a 35 ans, est originaire de Lettonie et y réside encore aujourd’hui . Ses sources d’inspiration sont plurielles : le folklore des contes de fées, les films d’animation russes, la peinture réaliste classique, la culture pop occidentale et ses côtés mystiques, les enfants russes, les terrifiantes histoires de guerre et de déportation dont ses grands-parents ont été les témoins, l’étrange et pompeuse atmosphère des cérémonies de l’Eglise catholique, les performances des ballets de l’opéra... et toutes les douceurs et les amères réalités du quotidien. Sa principale source d’inspiration s’avère donc la vie, le sens qu’elle lui donne et ses réflexions sur l’état de l’âme humaine. Ses personnages, tous enfantins, semblent faits - comme l’indique l’une de ses séries de toiles - de lait et de sang ; leur blondeur, leur peau diaphane, le blanc de leurs yeux bleus azur en font des êtres en apparence fragiles dont les corps sont piqués de nervures rouges, de piqures, stigmates épidermiques de blessures plus profondes. Rencontre avec une jeune femme talentueuse du Nord-Est de l’Europe dont le propos est aussi poétique que passionnant.
Propos recueillis par Julie Cadilhac / photo DR
D’où est née votre envie de peindre? Vous souvenez-vous du moment où vous avez décidé d’en faire votre métier? Honnêtement, d’aussi loin que je ne me souvienne, j’ ai toujours été le genre de personne qui pensait que la beauté sauverait le monde et je savais que je ferais plus tard quelque chose de créatif. Quand j’étais petite, j’aimais les expositions d’art, les ballets, le théâtre, lire des livres, admirer des illustrations de livres, regarder des films et surtout des dessins animés. Donc, je savais au plus profond de moi que j’allais faire quelque chose dans ce domaine moi-même. J’adorais passer d’innombrables heures à imaginer et à produire quelque chose de créatif dans le calme de ma chambre. Donc, le choix de peindre est venu naturellement. 6
Travaillez-vous avec des modèles? Je n’ai pas dans mon entourage quelqu’un de spécial qui me servirait de « muse » et que je peindrais régulièrement. Pas vraiment. J’utilise des modèles de référence, comme certains amis qui ont des traits gracieux, ou mon fils. Mais c’est une démarche tout à fait aléatoire habituellement. En général, il y a certaines caractéristiques physiques qui m’attirent et que je recherche. Mais je ne peux pas vraiment expliquer lesquelles, la beauté est une impression personnelle et subjective, qui se ressent davantage qu’elle ne se justifie. Je me peins moi-même assez souvent. Pas sous la forme d’un autoportrait, plutôt en tant que référence « indirecte ».
Oedipus
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woodsman
Peter Pan
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Quelle a été votre formation? Elle a été très académique. Depuis l’école primaire, elle s’imprégnait déjà d’une orientation artistique très marquée. Et cela jusqu’à l’Académie des Arts de Lettonie, au département de la peinture. J’ai une Maîtrise en peinture. Avec quels outils, matières et supports travaillez-vous? Généralement j’utilise de la peinture à l’huile. J’aime essayer cependant de nou-
velles choses. Mais j’apprécie vraiment le processus lent et en quelque sorte méditatif de la peinture à l’huile chaque jour. C’est aussi parce que c’est la technique que je maîtrise le mieux, comme un artisan. Vous dessinez des enfants à la peau diaphane, aux yeux souvent très bleus et les cheveux blonds....le visage des enfants de votre pays, la Lettonie? Oui, mes modèles ressemblent généralement à ceux que je croise près de mon studio,
«« I have a Strawberry girl character that repeats itself. We made it into a limited edition sculpture this winter in Philippines. She is a young girl, not yet a woman, who is seen as this lush ripe delicious thing, ready to be consumed by society, and nobody seems to care that she is an individual, so she is face-less. » » 8
boy with the cold hands
Daedal
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« I love fantastic fairy tales not for the elements, but for the way they tell a story about life – not in a linear logical way easily understandable for the brain, but in a much more rich, versatile, multi-layered, poetical way, where nothing is as it seems. » en Lettonie. Il n’y a presque pas de mélange ethnique ici, où je vis pour des raisons historiques. Les classes sociales dépendent de la nationalité en Lettonie, pas du groupe ethnique auquel vous appartenez comme ailleurs. Comme je voyage beaucoup avec mes expositions d’art, j’ ai commencé à prendre des photos de modèles de référence d’ailleurs avec des caractéristiques différentes. Pour un projet à venir aux Philippines, cet été, j’ai peint la beauté des filles et des garçons philippins que j’ai rencontrés l’an passé. Une beauté plus sombre et plus profonde. Enfants dans les vagues, cheveux dans le vent, fleurs dans les cheveux, chevelure ébouriffée par le vent... Comment naissent vos images? Qu’est-ce qui les inspirent? Parfois, j’ai l’impression que je peins des enfants parce que je ne peux pas être une enfant moi-même. J’ai été élevée dans un environnement très contraignant avec des règles strictes, où il fallait se sentir
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coupable et honteux pour à peu près tout ce qui était considéré comme la décence de base par tous les autres gens. J’ai gardé ma nature et mon désir de vivre avec l’immédiateté d’un cœur ouvert bien caché au creux de mon sein. Je trompais l’enfant sauvage insouciante qui respirait pleinement à travers moi, je suis encore aujourd’hui en train de le faire. Je travaille en ce moment sur cette idée : le squelette de ma démarche artistique se concentrera sur ce thème. J’ai choisi de peindre des roses dans les cheveux plutôt que toute autre fleur , parce que toutes les petites filles sont des Briar-Roses - à la fois, fleur et épine. A propos de l’eau, j’ai vécu des rêves exceptionnellement vivaces d’ouragans, de tsunamis et de raz de marée toute ma vie. Je matérialise et résous ces rêves à travers mes peintures. L’eau est un symbole fort et a une signification archétypale spécifique - elle est synonyme d’émotion. Puissante, mystérieuse, parfois mortelle, accablante, incontrôlable. Et mes belles créatures
Self Portrait As A FallingAngel
crowning of a young queen
Don Quixote 2
mélancoliques, apparemment fragiles, mais qui ont un visage serein, sont debout au milieu d’une tempête, soit qu’elles n’ont pas vraiment remarquée, soit comme des maîtres ou des enfants-dieux - dans une posture semblable à la manière dont je me suis souvent sentie dans ma vie. Je dois ajouter que je ne vois pas l’environnement comme quelque chose d’externe à mes personnages. C’est un ouragan qui prend tout son espace dans leur âme. Il ne peut pas 11
être mortel jusqu’à ce qu’on le perçoive comme tel. On découvre aussi des queues qui donnent à vos « créatures» une certaine magie, un caractère hybride....êtes-vous amatrice de mythologie? de contes fantastiques? J’ajoute parfois certains éléments surréalistes qui donnent un aspect « irréel » à mes personnages, mais pas trop souvent. Les filles avec des queues
me servent à représenter une sexualité hermaphrodite, auto-suffisante et créative et une «altérité» avec laquelle elles sont à l’aise, mais je les peins rarement ainsi. J’ai un caractère qui se répète : celui de la « Fille-Fraise ». Nous l’avons créée dans une édition limitée sous forme de sculpture cet hiver aux Philippines. C’est une jeune fille, pas encore une femme, qui est considérée comme une chose délicieuse, mûre et luxuriante, prête à être consommée par la société, et personne ne semble se soucier qu’elle est une personne physique… donc elle n’a pas de visage. Je peins aussi des filles ailées: les ailes représentant la volonté de ceux qui cherchent à atteindre des endroits inaccessibles. Parfois, les ailes sont trop fragiles pour porter ou cassées ou utilisables. J’adore les contes de fées fantastiques; non pas pour leurs éléments caractéristiques, mais pour la façon dont ils racontent une histoire à propos de la vie - pas de façon logique, linéaire et facilement compréhensible pour le cerveau, mais de façon beaucoup plus riche, polyvalente, poétique, où se superposent des couches multiples et où rien n’est comme il paraît.
ger, rêver, ont les yeux fermés parfois et expriment une certaine gravité. Pourquoi? Je suis attirée par l’idée d’exprimer des histoires entières avec des moyens indirects et subtils, juste à travers le visage d’un personnage par exemple. Ce n’est pas une tâche facile. Les yeux, le regard sont très importants à capturer pour moi . La vue en tant que telle est une chose très particulière. Nous sommes habitués à penser le processus de recherche, de vision, comme une chose objective - on se dit que la lumière entre à travers nos lentilles oculaires d’une certaine manière et qu’elle nous permet de déchiffrer en toute objectivité «ce qui est à l’extérieur, juste là ». Je suis très attirée par l’idée que cela fonctionne tout autant dans l’autre sens ou même plus: que nous voyons nos sentiments personnels et nos pensées au travers des choses extérieures. Que nous créons des mondes en regardant avec nos yeux certes mais par le prisme de nos visions intérieures. Donc, ce regard vers l’intérieur est une chose que j’essaie de capter et de reproduire.
Si vous nous parliez de « After the End of Time », votre dernière série d’oeuvres? Vos personnages sourient peu ( sauf J’aime conserver un processus intuitif et ne Beekeeper’s Bride). Ils semblent son- pas tout intellectualiser . Il n’y a pas un mes-
« I am quite drawn to the idea that it works the other way as much or even more: that we see our personal meaning and thoughts out into things. That we create worlds by looking, through our in-sights. So this inwardly-driven gaze is one thing I try to capture. »
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After The End Of Time
Don Quixote
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You Jana Brike
Atalanti 14
Keeper Of The Garden
Peter Pan
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ÂŤ Also some metaphysical themes of a personal nature are present as always for me. The way I feel this time we live in. As if we have been walking a more or less linear path upwards a mountain for centuries and centuries, and now are at the end of the road that further leads to a destruction. Âť
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The day when time stood still
Edipus Rex 16
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« Have you noticed there are a lot, really a lot of fairy tales where a small red object, like an accent, plays the most important role to evolve the story? The red shoes that force a girl dance night and day without cease, a special red riding hood, a red flower that is most desirable gift for the Beauty, the red ripe strawberries that are requested from an orphan girl in the depth of winter by her stepmother, blood drops from piercing a finger in one way or another etc. And always the red accent is associated with some aspect of womanhood, maybe the three feminine blood mysteries in her destiny – first blood of puberty, blood of defloration, blood of birth-giving. » sage linéaire direct à déchiffrer. Mes peintures doivent être vues en quelque sorte comme des poèmes. À certains égards, « After the End of Time »est peut-être mon exposition la plus féminine, elle parle beaucoup des mystères de l’âme féminine. Même quand j’y ai peint des garçons, ils ne sont pas vraiment «moi», mais ces garçons sont des parties de mon cœur de femme - des fils, des amants, des héros protecteurs etc. Je cherche à saisir l’esprit pur d’une vraie femme sauvage dans son corps de jeune fille, son chemin, le procès, la catharsis, la mort et la renaissance symbolique. Mon intérêt réside dans ce que la sexualité féminine a de subjectif et d’inhérent, que je décèle comme une partie innée de l’espace de l’âme et de l’initiation à l’âge adulte et non pas comme un corps bien identifié et sexualisé. Mes personnages ne sont pas des Lolitas simples
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d’esprit que la culture populaire est habituée à décliner en clichés confortables - jeunes filles en toute sécurité asexuées elles-mêmes mais sexualisés pour le bien de l’imagination du spectateur. Cette approche n’est pas du tout attrayante pour moi. En outre, certains thèmes métaphysiques sont présents dans cette série. La façon dont je ressens le monde dans lequel nous vivons. Comme si nous marchions sur un chemin plus ou moins linéaire vers le haut d’une montagne depuis des siècles et des siècles, et que maintenant c’est la fin de la route qui nous conduit encore vers une destruction. Soit nous découvrirons que nous avons toujours eu des ailes bien qu’invisibles, et nous pourrons leur faire confiance et nous envoler vers le haut, ou bien nous nous tuerons en tombant des falaises. Oui, il y a quelque chose de ce sentiment et de cette pensée
The shared heartbeat
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Danae
dans le corps de « After the End of Time ».
notre vrai moi bien caché. Je me sentais comme à l’écoute de ce que la vie chante à travers nous, Dans une autre série, on découvre no- et j’ai essayé de trouver un sentiment d’appartetamment une enfant avec un fichu sur la nance à travers une variété de personnages qui tête et un bâton ( de roses) ou un garçon sont tous moi dans le sens le plus profond. qui repose sur le sable avec un casque militaire...pouvez-vous nous expliquer la Le blanc domine vos toiles, rehaussé (ou genèse de ces deux œuvres? sublimé) par des touches de rouge ou de Ces deux toiles font toutes deux partie de l’ex- bleu... on se trompe? position «Mes Vies parallèles», qui a été créée Il y a quelques années, mes peintures au dans une période de ma vie où j’ai soulevé cette contraire avaient l’habitude d’être très sombres. question attractive et urgente dans mon esprit: Autant dans les couleurs que dans les sujets. Que suis-je? Qui suis-je?. Je sentais vraiment Je suppose que la lumière est juste devenue fort cette réalité : «Je suis, je existe ». Mais es- une entité indépendante dans mes peintures, sayer de trouver et de répondre à - Que suis-je comme un personnage à part entière. Je ne exactement? - m’a semblé ouvrir une porte vers veux pas vraiment la voir comme la pureté d’un un vide sombre. Aucune réponse ne semblait autre monde mais plus comme une lumière de assez bonne, et tout semblait limiter cette pré- la compréhension, une conscience d’être qui sence urgente que je sentais au fond de moi: est très réelle et qui grandit. Les épreuves et soit je m’identifie à l’histoire de ma vie, mon les tribulations de la vie apportent une palette conditionnement social, ma personne sociale, de différentes couleurs. Les couleurs, bien sûr, mon nom, mon sexe, les cris de l’ego de ce que sont des codes sémiotiques précis que nous déje devrais être, etc. chiffrons tout à fait inconsciemment. J’ai donc créé cette exposition où j’ai joué librement, comme des enfants dans des jeux de A propos du rouge. J’utilise le rouge sous forme rôle. Là, j’y suis un million de pièces contradic- de petites taches, sous la forme d’un ruban ou toires du puzzle de mon cœur, toutes ensemble d’une rose dans les cheveux de la jeune fille. à la fois - à la fois un garçon et une fille, un Avez-vous remarqué qu’il y a beaucoup, vrairêve, peut-être un soldat qui peut mourir, une ment beaucoup de contes de fées où un petit religieuse qui pleure, un berger avec une canne objet rouge, comme un accent, joue le rôle le fleurie, un bûcheron solitaire dans la profon- plus important pour faire évoluer l’histoire? deur de l’hiver où toutes fleurs ont disparu, un Les chaussures rouges qui forcent une jeune sauveur, un jardinier, une épouse et la mère de fille à danser nuit et jour sans cesse, un chapetous ces personnages , et ainsi de suite. ron rouge spécial, une fleur rouge qui est le caJ’ai joué avec des personnages archétypaux, et deau le plus désirable pour une certaine Beaunon pas avec des professions de la société ou té, les fraises rouges mûres qui sont réclamées des occupations quotidiennes ; je n’ai pas uti- à une orpheline dans la profondeur de l’hilisé les masques de protection sociale qui sont ver par sa belle-mère, les gouttes de sang qui de vilains mécanismes de survie pour garder percent un doigt d’une manière ou d’une autre,
Apolo and Dafne 20
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etc. Et toujours l’accent rouge est associé à certains aspects de la féminité, peut-être les trois mystères féminins du sang dans son destin premier sang de la puberté, le sang de la défloration, le sang de l’accouchement. Le bleu est la couleur de la distance. Le bleu est la lumière qui ne nous atteint pas, mais s’obtient, dispersé, sur la route, dans les molécules de l’air. Tous les objets lointains semblent bleus en raison de l’atmosphère terrestre - le ciel, l’horizon. C’est une illusion d’optique, donc vous ne pouvez pas atteindre ce bleu. L’eau peu profonde est transparente mais les eaux profondes sont en bleu à cause de cette même lumière diffusée. Pas étonnant qu’il soit utilisé comme adjectif décrivant une certaine humeur en anglais ( to feel blue : avoir le cafard) . Pour moi, le bleu est la couleur du désir et de la nostalgie en raison de la distance et de la séparation. Mais vous devez vraiment profondément aimer quelqu’un pour savoir ce qu’est réellement la séparation. Le bleu est une couleur très très belle pour moi. Que vous apporte la peinture au quotidien? J’adore peindre !! Je suis habituée à le faire tous les jours depuis presque toute ma vie, et je suis constamment tentée de peindre encore plus. J’ai ri avec mes amis récemment à propos du fait que j’ai une protubérance solide qui s’est développée sur le majeur de ma main droite, à l’endroit où je pose le pinceau quotidiennement. Plus sérieusement, je me développe comme un sous-espèce d’humanoïdes homo-pictorae ou quelque chose du genre. (sourire) Diriez-vous que vous préférez vous exprimer en dessins qu’en mots…ou c’est complémentaire pour vous?
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L’utilisation de la langue est parfois très importante quand je donne des titres à mes peintures - ils soulignent certaines nuances. Parfois le titre vient avant la peinture, le plus souvent c’est l’inverse. Je souhaite insérer une grande quantité de pensées dans les titres d’exposition. Ils apportent habituellement une certaine signification personnelle qui fait sens pour moi et ajoute de la profondeur. Avez-vous des projets d’édition? d’exposition? Avez-vous déjà exposé en
France? J’ai un projet d’édition ; il n’est pas encore terminé. J’ai exposé en France dans des expositions collectives il y a de nombreuses années. J’aimerais vraiment revenir avec un projet plus vaste ! La France est si belle! Le site officiel de JANA BRIKE : www.janabrike.com
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ENTRETIEN
STUART NADLER PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS VIDAL / Photos J.BERTINI
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Stuart Nadler est un jeune écrivain au sens où il vient tout juste de faire paraître son premier roman en début d’année « Un été à BluePoint» aux Editions Albin Michel). Mais c’est sans compter sur cet incroyable recueil de nouvelles publié en 2013 « Le livre de la vie» (toujours chez Albin Michel) dans lequel Stuart Nadler s’affirme déjà comme un incroyable écrivain, maitrisant avec brio la complexité et l’ambivalence de la psychologie humaine. Les relations conjuguales, le désir, l’amour, les trahisons et les souffrances sentimentales deviennent sous la plume de Stuart Nadler de formidables histoires sur ce qui tourmente l’âme humaine lorsqu’il s’agit de sentiments et de passions. Une nouvelle voix puissante de la littérature américaine à entendre de toute urgence ! Stuart Nadler, pourquoi avoir choisi le genre de la nouvelle pour « Le livre de la vie» ? Etait-il selon vous le plus adapté pour traiter en profondeur des grands thèmes abordés dans votre livre ? J’ai commencé à écrire les nouvelles de ce qui deviendrait par la suite «Le Livre de la vie» quand j’étais étudiant à l’université de l’Iowa. Avant cela, j’avais passé dix ans à New York et écrit plusieurs textes, avant tout pour essayer de comprendre quel écrivain je voulais devenir, mais aussi dans l’espoir de trouver quelqu’un qui accepterait de les lire et de me donner son avis. Mon inscription à l’université de l’Iowa est la meilleure chose qui me soit arrivée ; j’y ai passé deux ans dans un studio minuscule et n’ai rien fait qu’écrire. Cela a également été l’occasion
de côtoyer de brillants écrivains tels que Marilynne Robinson, Ethan Canin et James Alan McPherson. À cette époque, j’étais déjà littéralement tombé amoureux du genre littéraire qu’est la nouvelle, et j’en ai écrit des dizaines pendant le temps qu’a duré mon séjour. Je ne l’ai pas fait dans un but précis, en réfléchissant en amont à un possible recueil qui les réunirait toutes, et en y repensant je crois que c’était une bonne chose. Les recueils que j’aime lire sont toujours, d’une certaine manière, le simple reflet des préoccupations d’un écrivain, et c’est bien ce qu’est Le Livre de la vie. À cette époque, je m’intéressais beaucoup à l’identité religieuse et au conflit générationnel qui oppose la tradition à la modernité. J’étais, et suis toujours, fasciné par la famille et par les questions de la fidélité et du péché. De ce point de vue-là, les
« Les recueils que j’aime lire sont toujours, d’une certaine manière, le simple reflet des préoccupations d’un écrivain, et c’est bien ce qu’est Le Livre de la vie »
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ler – un homme qui commence à tromper sa femme, un autre qui voit son mariage battre de l’aile. L’intérêt pour moi, évidemment, est de réfléchir à la façon dont ces personnages font face à leurs propres failles, leurs échecs et leurs erreurs. Quels compromis sommesnous prêts à faire pour vivre une vie « convenable » ? Je parle d’hommes et de femmes complexes, face à des situations complexes, qui doivent gérer des blessures et des peines qu’ils se sont plus ou moins auto-infligées. C’est une des choses de la vie qui me fascine, à titre personnel et en tant qu’écrivain.
sept nouvelles réunies dans le livre sont celles qui y répondaient le mieux. Diriez-vous que ces nouvelles ont un objectif initiatique pour chacun des personnages masculins dans le sens où ils apprennent ou comprennent quelque chose à la fin ? D’une certaine manière, je crois que tous mes personnages sont aux prises avec leur culpabilité et se débattent pour savoir quelle vie ils veulent mener. C’est un thème qui m’intéressait particulièrement au moment où j’ai écrit ces nouvelles et les deux romans qui ont suivi. J’essaye toujours de mettre en scène des personnages comme s’ils étaient saisis sur le vif à un moment charnière de leur existence, lorsque leur vie tout entière semble dérail-
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Quelle est l’importance de la communauté juive dans laquelle évolue les personnages, Comment cela influet-t-il sur leurs trajectoires et leurs tourments ? Ces nouvelles auraient pu-t-elles être écrites sans cette dimension religieuse ? L’influence de la foi et de la culture sur un individu est l’un des tous premiers thèmes auxquels je me suis intéressé quand j’ai commencé à écrire ces nouvelles. J’avais envie de me pencher sur la religion et sur le conflit qui oppose modernité et tradition quand on parle de foi véritable. J’ai grandi à côté de Boston, dans une société moderne et totalement laïque. Comme la plupart de mes personnages, et comme la plupart des gens aux côtés de qui j’ai grandi, je ne suis pas du tout pratiquant. Il est intéressant de souligner qu’il y avait, dans la petite ville où j’habitais, deux églises catholiques, une église luthérienne, une église baptiste, une église de la Science chrétienne, une église presbytérienne, une paroisse pour les congrégationalistes et une autre pour les épiscopaliens, une église unitarienne, deux synagogues, ainsi qu’un lieu de culte dédié à Jésus pour les Juifs. Et j’en oublie certainement, tout cela pour une ville d’à
« Quant aux dialogues de Droit de visite, je les ai en grande partie écrits sur des petits bouts de papier dans ma voiture, garée sur le parking d’un club de gym. Je ne savais pas vraiment ce que je faisais. J’essayais juste d’écrire. » peine 30 000 habitants… Cet environnement explique en grande partie pourquoi j’ai toujours été fasciné par le poids de la religion et le conflit entre foi et culture. Il n’est donc pas surprenant que j’aie spontanément abordé ces questions-là quand j’ai commencé à écrire. Comment l’assimilation de plusieurs générations redéfinit-elle l’identité religieuse de quelqu’un ? Pourquoi certaines personnes non pratiquantes commencent-elles à réfléchir en termes religieux quand elles doivent traverser une épreuve ? Dans la nouvelle Hiver en dents de scie, le conflit est générationnel et oppose un homme non pratiquant à son fils, qui l’est beaucoup plus. Dans Plus que béni, c’est un vieux rabbin qui se retrouve face à son petit-fils. Ces nouvelles-là sont inspirées par les conversations, les conflits et les gens autour de qui j’ai grandi à Boston, et sur lesquels il me paraissait naturel d’écrire.
plutôt comme des hommes et des femmes qui luttent. Qui doivent résister à la tentation, à l’aliénation familiale ou à l’addiction, qui doivent faire face à une relation de couple qui bat de l’aile. Tous pensent avoir trouvé une façon de s’en sortir, ou du moins le croient-ils.
Où avez-vous puisé la variété de ces histoires ? Je mentirais si je disais que j’avais en tête une idée précise de ce que serait ce recueil avant de l’écrire. Ce n’est pas du tout le cas ; à l’époque, j’essayais simplement d’écrire des nouvelles, des histoires. Le recueil a pris forme au fil des années, après de nombreuses ébauches non abouties, au moment où j’ai quitté Brooklyn pour l’Iowa, puis pour le Wisconsin, avant de rentrer chez moi à Boston. Certains passages de ces nouvelles ont été rédigés en Pennsylvanie et dans le Tennessee, et j’ai écrit les deux premières pages de Hiver en dents de Chaque personnage est aux prises avec scie chez ma belle-mère en Virginie, la veille une psychologie complexe par laquelle de Noël, alors que toute la maison dormait il se retrouve piégé dans une situation encore. Quant aux dialogues de Droit de vifamiliale, amoureuse et affective. Com- site, je les ai en grande partie écrits sur des ment avez-vous élaboré la psychologie petits bouts de papier dans ma voiture, garée de ces personnages tout en prenant soin sur le parking d’un club de gym. Je ne savais de dresser autour d’eux une situation cri- pas vraiment ce que je faisais. J’essayais juste tique dans laquelle ils perdent pieds? d’écrire. Je ne vois pas vraiment mes personnages comme « prisonniers » de quelque chose, mais
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moi, suite à l’élection de Barack Obama et à la crise économique qui engendrait tant de terribles conséquences. J’ai alors commencé à réfléchir au rôle que pouvait remplir la littérature dans un tel contexte. Je me suis demandé si j’accomplissais véritablement quelque chose en restant seul dans mon studio à écrire ce roman, et si celui-ci pouvait apporter quelque chose à la société. Cette question, et mon incapacité à y répondre, m’ont beaucoup préoccupé et sont finalement devenus une source de motivation.
Y-a-t-il une cohérence dans votre nouveau roman « Un été à Bluepoint» avec celui-ci ? Ou les deux sont très distincts ? Pendant les premiers mois d’écriture de ce livre, je pensais écrire un roman contemporain, qui se déroulait de nos jours, et c’est seulement lorsque j’ai commencé à creuser davantage, en me demandant qui étaient vraiment ces personnages que j’avais imaginés, que je me suis retrouvé à écrire la première partie du livre qui se passe dans les années 50. Au début, je n’avais nullement l’intention de m’attacher au portrait d’une certaine Amérique, même si l’idée d’écrire un roman social commençait à germer en
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Dans ce premier roman « Un été à Blue Point» , et comme cela a été le cas dans votre recueil de nouvelle « le livre de la vie», on vous sent très attaché à la relation père/fils. A quoi cela est-il du ? Qu’aimez-vous explorer dans ce rapport en tant qu’ecrivain ? Je suis fasciné par la famille en général, plus que par la relation père-fils en particulier. C’est le principal thème, je crois, autour duquel s’articule véritablement tout mon travail d’écrivain – ce que l’on attend de sa famille et les déceptions qui en découlent parfois, ce qu’implique vraiment l’amour inconditionnel, ou encore l’aliénation familiale dans ce qu’elle a de concret. Nous grandissons tous dans une famille que nous n’avons pas choisie, et ceux qui se marient poursuivent leur vie aux côtés d’une autre famille que, pour le coup, ils sont libres de choisir. De la même façon, on se fait des amis et on s’éloigne de certains d’entre eux, on se lie à d’autres familles que la sienne puis on s’en écarte au fil des années. Cette simple idée m’inspire énormément.
«Je suis devenu écrivain car j’ai grandi dans une famille bruyante et très animée, indisciplinée et pleine d’humour, qui débordait d’angoisses et d’amour et d’histoires formidables. De plus, j’ai toujours voulu écrire un livre qui retracerait la vie entière d’un personnage. La toute première chose que j’ai écrite pour ce qui deviendrait Un été à Bluepoint est une scène dans laquelle Hilly aperçoit son père qui marche dans une rue de Washington ; il le suit sur plusieurs pâtés de maisons, puis dans un bar où son père, tel que je l’avais initialement imaginé, le rejette et lui demande de le laisser tranquille à l’avenir. Je suis resté bloqué avec cette scène pendant un long moment, sans pouvoir continuer. Le conflit entre le père et le fils m’intéressait énormément. Et j’avais beaucoup de questions en suspens, auxquelles il me fallait répondre : Qui étaient ces gens ? Pourquoi étaient-ils si distants ? Pour quelle raison se trouvaient-ils à Washington ? Je savais déjà à ce stade qu’ils étaient riches, du moins le père. Cette scène est restée dans la version finale du livre, sauf que c’est Savannah qui se trouve face à Hilly et non son père Arthur. Tout le reste – les avions, la maison au bord de l’eau – a découlé de cette idée de départ. Le livre commence en 1947, une année que j’ai choisie délibérément puisque c’est à cette date que des joueurs noirs ont pu, pour la première fois, intégrer la ligue nationale de base-ball. À partir du moment où ce point de départ était établi, tout le tissu social qui sous-tend l’histoire de ce roman et le monde
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privilégié dans lequel évoluent mes personnages me sont venus comme une évidence. Quant à mon envie d’aborder le thème de l’amour entre deux adolescents, il m’a suffi de travailler à rebours dès lors que j’avais décidé que c’était Savannah que Hilly suivait, et non son père. Vous avez une maîtrise parfaite de la psychologie des personnages dans leurs tourments et leur rapports humains. Où puisez-vous votre inspiration ? Êtes-vous à ce point observateur ? Instinctivement, j’aurais envie de répondre oui, bien sûr. Je fais toujours attention à l’environnement et aux gens qui m’entourent, j’observe beaucoup, et j’en tire une grande partie de mon inspiration. Mais il faut bien avouer que je reste seul la plupart du temps, à travailler dans mon appartement… Alors, j’imagine ! Je suis devenu écrivain car j’ai grandi dans une famille bruyante et très animée, indisciplinée et pleine d’humour, qui débordait d’angoisses et d’amour et d’histoires formidables. Si je connais quoi que ce soit en psychologie, je l’ai appris à la maison, entouré de ma famille – même si mon ancien thérapeute désapprouverait certainement ce que je viens de dire… !
Entre votre recueil de nouvelles et ce premier roman, l’élaboration des ces différentes psychologies vous a-t-elle paru plus difficile sur un format court ou plus long ? Ces deux genres littéraires sont aussi difficiles l’un que l’autre ! Sérieusement. Plus les années passent, et plus je trouve qu’écrire est difficile. Le travail vous rend plus humble. Les livres formidables qu’écrivent d’autres écrivains aussi. L’ambition d’un roman, l’attention et le temps qu’il demande… ce n’est pas tenable ! Mais réussir à maîtriser la concision de la nouvelle et à écrire une quinzaine de pages pour que s’en dégage une sorte de beauté captivante dès la première ligne, cela tient tout autant du miracle ! Certains jours, quand je suis chez moi et que je vois mes livres dans ma bibliothèque, j’ai du mal à croire que j’ai réussi à en terminer un seul. Pourtant, bien sûr, une partie de moi merveilleusement désespérée reste fascinée par l’intemporalité et la futilité d’écrire un bon livre dont les gens se souviendront longtemps. C’est pourquoi je continue à écrire.
Le livre de la vie de Stuart Nadler
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Un été à Blue Point de Stuart Nadler Roman - 432 pages - 22,90 € Collection Terres d’Amérique Editions Albin Michel
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CIRQUE
Mélissa Von Vépy Mélissa Von Vépy, après avoir suivi une formation au Centre National des Arts du Cirque pendant cinq ans, a choisi de développer sa recherche autour de l’aérien en lien avec le théâtre et la danse. Si elle travaille auprès de metteurs en scène et chorégraphes comme Zimmermann & de Perrot, Guy Alloucherie, Sumako Koseki, elle a monté également sa propre compagnie : Happés théâtre vertical. Dans VieLLeicht, Croc, En Suspens et ses autres créations, elle est à la fois la conceptrice et l’interprète. Son nouveau projet se nomme « J’ai horreur du printemps» et se veut un hommage à l’une des bandes-dessinées majeures de Fred, Le petit cirque. Poétique, surréaliste, cruel, mélancolique et tendre tout à la fois, comment Mélissa Von Vépy a-t-elle choisi de mettre sur le plateau ce récit, considéré comme un chef d’œuvre du neuvième art, des aventures du forain bourru et de son épouse Carmen? Comment sortir des cases et exprimer avec justesse le mélange d’humour et d’absurde propre à l’univers de Fred? Mélissa-Carmen nous dit tout avec simplicité et naturel...
Propos recueillis par Julie Cadilhac / photo DR La genèse du projet « J’ai horreur du printemps » , c’est d’abord la lecture de l’album de Fred on suppose? Cette bande dessinée «Le Petit Cirque» m’accompagne depuis l’enfance grâce à mon père qui était fou de BD. L’idée d’en faire un spectacle-concert hommage, est venue de Stéphan Oliva, compositeur-pianiste avec qui j’ai créé «Miroir, Miroir» en 2009 pour Les Sujets à Vif du Festival d’Avignon. En quelques mots, comment qualifieriez-vous cette bande-dessinée? C’est la route, les gens du voyage, tirant leur maison roulante, ils marchent sans but, ils avancent. Sur leur parcours, des rencontres insolites : funambules-migrateurs, trapézistes-espions, plante carnivore à dompter…
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Le ton est cruel, l’ambiance aride. Les dessins de toute beauté servent un imaginaire très singulier, une poésie brute. Mettre en plateau une oeuvre de bd, c’est un sacré challenge…que vous avez relevé suite à d’autres initiatives que vous avez vues et qui vous avaient convaincue? Oui, c’est un vrai challenge ! Stéphan Oliva a
composé il y a quelques années une pièce musicale pour «Little Nemo» de Winsor McCay ; l’équilibre entre la création vidéo et le concert était très réussi. Pour ma part, c’est une première. Il faut oser penser que l’on saura apporter une dimension de plus (scénique et musicale) à cette oeuvre géniale en elle-même ! C’est avec un respect de passionnés et de grands admirateurs de cette BD que nous avons abordé la recherche. Ce qui n’a pas empêché une sensation de grande liberté, au contraire : un tel univers force l’imaginaire. Le fait d’avoir créé à notre tour de la matière scénique et musicale, nous place dans une forme de prolongement de l’oeuvre de Fred, en rien nous ne cherchons à l’imiter, l’adapter où la «déplacer». Sur scène, il y aura des projections-vidéos avec lesquelles des performers joueront? «J’ai horreur du printemps» est une plongée dans les paysages imaginaires de Fred, par la projection de ses dessins, la musique, et les errances de Carmen et Léopold. Dans cet univers, avec les quatre musiciens, petit orchestre au bord de la route et comme étant là de toute éternité, j’interprète Carmen, devenant le double vivant de ce personnage à la fois sauvage et nonchalant. En cette silhouette fantomatique, j’ai composé différentes séquences, lui prêtant d’autres «moments de vie» que ceux dessinés par Fred. J’évolue tant au sol que suspendue, à même l’écran parfois, pour me fondre dans l’image.
Cet album réunit une trentaine de courtes histoires qui se déroulent sur une planche (toujours cette petite famille de forains sur les routes : Carmen, Léopold et leur enfant). Nous avons choisi de projeter intégralement sept d’entre elles au cours du spectacle, comme autant de tableaux qui se déploient, tramés de séquences scéniques ou purement musicales. Induit par la forme même de la BD, le récit n’est pas continu ; on plonge par moments dans un monde plus abstrait, de sensations, La bande-dessi- de paysages. Ce serait comme être sur la route avec née, c’est d’abord eux, marcher, écouter, imaginer ; parfois des évéun récit... que nements se présentent, des rencontres. vous avez choisi de raconter com- C’est également un univers graphique…avezment? vous travaillé particulièrement les jeux de lu-
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mières, les points de vue etc? Le vidéaste Maxime François a réalisé une captation des cases, qui - au travers des cadrages et des rythmes- rend ces planches sensibles et vivantes, comme le ferait l’œil du spectateur sur la page. La scénographie, construite par Neil Price, et les costumes de Catherine Sardi ont été entièrement conçus d’après les dessins de Fred, des lavis à l’encre noire. La lumière est un élément essentiel, réalisée par l’éclairagiste Xavier Lazarini, complice de longue date, qui cisèle l’espace esthétiquement mais surtout le densifie, donnant corps à ces étendues arides, aux humeurs de Carmen...
très instinctivement, en écho aux sensations perçues. C’est une musique intérieure, aussi puissante soit-elle. Nous avançons ensemble, ajustant minutieusement nos partitions respectives puis il rouvre des fenêtres d’improvisation : cela insuffle du vivant, impose une écoute constante, aiguise ce qui se joue lors de chaque représentation. Après «Miroir, Miroir» en duo, nous voulions pour cette création une plus large palette sonore : un orchestre, dont les très grands musiciens qui nous rejoignent -Claude Tchamitchian, Ramon Lopez, Christophe Monniot- semblent, par leur présence, véritablement sortis du «Petit cirque» !
Il y aura également de la musique, un quartet de jazz, c’est bien ça? Pourriez-vous nous dire un mot sur le travail de Stephan Oliva? Stéphan Oliva compose régulièrement à l’image (cinéma, BD), et pour la scène. Il écrit d’abord
S’il fallait rentrer ce travail dans une catégorie des arts vivants, vous diriez que c’est... du théâtre-cirque? Les étiquettes me sont pénibles ! Mais pour une fois, j’ai plaisir à positionner cette pièce comme appartenant au monde du cirque : c’est bien de
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cette merveilleuse poésie absurde qu’il s’agît ! C’est aussi un concert ; pour situer et décloisonner, je dirais : un «spectacle-concert en hommage au Petit cirque de Fred» !
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Les représentations en 2015 - 2016 ( en cours )
J’ai horreur du printemps 11 et 12 avril 15 CRÉATION Noisiel, La Ferme du Buisson, Scène nationale 3 oct 15 Perpignan, Théâtre de l’Archipel, Scène nationale 6 et 7 oct 15 Alès, Le Cratère, Scène nationale 13 nov 15 Théâtre de St-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale 23 au 29 nov 15 Genève - CH, Théâtre AmStramGram 12 au 15 jan 16 Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse 19 au 23 jan 16 Nantes, Le Grand T 22 mars 16 Montpellier, Théâtre Jean Vilar / La Verrerie d’Alès, PNC-LR (option) 29 mars au 2 avril 16 Chambéry, Espace Malraux, Scène nationale (option) 10 au 12 mai 16 Grenoble, MC2 Scène nationale
THÉÂTRE
EMMANUEL DARLEY Elvis Aaron Presley est né dans le sud des Etats-Unis ; s’il rêve, petit, d’être camionneur, la guitare que lui offre son père annonce déjà qu’il sera un jour la star du rock que le monde entier connaît. Dès qu’il se met à chanter ses airs du Mississipi, il a du succès, et davantage encore auprès des filles. La gloire arrive à grands pas mais dans l’ombre, toujours, Elvis garde le souvenir douloureux de son jumeau mort, Jessie Garon. Emmanuel Darley, dramaturge émérite depuis une quinzaine d’années, a eu envie d’écrire sur une légende au succès démesuré, un être pris au piège dans «une histoire sans doute trop grande» et qui doit affronter une double réalité, celle des paillettes, de l’idolâtrie des fans et de la richesse et celle de la solitude et de cette culpabilité intestine due à ce double, mort trop tôt. Elvis ( polyptyque), à travers cette légende du rock, interroge « quelque chose de l’être, du paraître, de la présence, de la solitude, du dérisoire.» Une pièce au propos universel au coeur d’un récit d’une d’exception. Rencontre avec l’auteur - et le metteur en scène ! - d’une pièce qui remet Elvis sur scène
Propos recueillis par Julie Cadilhac / photo DR Vous avez débuté votre carrière en écrivant des romans, pour vous consacrer ensuite davantage au théâtre : qu’est-ce qui, dans l’écriture dramatique vous a séduit tout particulièrement? Le travail sur la langue, la langue orale, le mélange, oui, entre ce que l’on dit, la parole entendue et puis la pensée intérieure, la musique qu’on peut faire entendre des mots et des silences, le rapport au corps. Et puis aussi le travail en équipe; écrire c’est assez solitaire alors quand ça passe au plateau, ce que j’aime, c’est ça, les énergies différentes qui se mêlent pour créer un spectacle. Diriez-vous que votre écriture a quelque chose de profondément dramatique qui fait que, même lorsque vous écrivez un roman, le texte résonne comme au théâtre? Oui c’est assez juste. Disons que la rencontre 36
avec le théâtre a changé beaucoup de choses dans mon approche de l’écriture et que les romans écrits ensuite, Un des malheurs et Le bonheur, s’en ressentent assez fortement dans leur structure et leur langue. Je suis allé, pour ces deux romans, vers un travail polyphonique, construit autour de voix multiples. Cela donne, je crois, une écriture musicale, rythmée, pleine de silences et d’images. Parlons d’Elvis Polyptyque : « Le point de départ de ce projet, c’est une envie, un questionnement autour de la peinture de la Renaissance, des retables en particulier. » Pourriez-vous nous en dire davantage? J’ai une grande passion pour les retables, les polyptyques, ces tableaux de la Renaissance en plusieurs panneaux, un grand central et plein d’autres autour, comme des témoins, peinture religieuse dont j’ai eu envie de me servir comme
point de départ, comme une structure. Pas forcément l’envie d’écrire sur le Christ, plutôt de travailler sur une idole, quelqu’un davantage de mon époque, tout en gardant cette idée de la Passion. Je voulais depuis un moment écrire sur la musique, sur l’Amérique, Presley m’est assez vite venu à l’esprit. Imaginer une pièce sur une idole, presque une icône, invite à questionner les deux facettes d’un personnage : son image publique et son intimité? Qu’avez-vous mis en opposition? L’idée est d’entendre la parole intérieure d’Elvis, ce qu’il pense, la peur et les doutes, les emballements. Ce qui s’anime autour de lui. De suivre des éléments bien réels de son parcours et de se glisser dedans. Il y a par ailleurs un personnage important dans la pièce, c’est le frère jumeau mort (mort-né) d’Elvis.
Je ne sais pas trop. Pas sûr même que ça se manifeste dans l’écriture. C’est le point de départ. C’est sans doute visible dans le spectacle, dans la scénographie et la mise en scène mais dans l’écriture même, je ne sais pas trop. Une grande scène, quelques pages et puis des plus courtes, une petite page à peine.
Et, puisque vous avez participé également à la mise en scène, comment cela s’incarnet-il sur le plateau? Comment se manifeste concrètement cette explication de vous : « A travers la figure centrale, à travers son évolution et sa fin, interroger quelque chose de l’être, du paraître, de la présence, de la solitude, du dérisoire et ramener le spectacle à une surface comme celui d’un tableau. » ? Visuellement, dans les tableaux différents qui apparaissent, je veux dire dans l’espace, avec les corps des acteurs et puis avec la lumière et un traD’un point de vue textuel, comment se mani- vail sur la vidéo. feste ce « dialogue » entre la figure d’Elvis et Quand on a vu - ou lu- votre Mardi à Moles polyptyques de la Renaissance ? 37
noprix, il est difficile ensuite d’oublier cette Marie-Pierre tant votre écriture sait mettre en lumière l’intime, réussit à exprimer dans ses silence ou dans ses mots de tous les jours l’indicible et le terrible…Elvis est aussi un personnage écorché sur lequel pèse un fardeau ; est-ce pour cela qu’il vous plaît? Pour composer un texte dramatique, avez-vous besoin d’un personnage sur lequel pèse un « fardeau »? Ce qui me plait, oui, dans ce personnage, du moins ce que j’en imagine, c’est la dimension trop grande, trop lourde de sa réussite. Le mélange du bon garçon, et de le sauvagerie une fois sur scène. Ce que m’intéresse c’est la lumière et puis l’ombre. Je crois qu’un texte - quel qu’il soit - a besoin d’un accroc, d’un accident, d’un mystère pour avoir du relief, pour être intéressant. Souvent, oui, les personnages qui me donnent envie d’écrire sont à côté, dans une marge, ou bien ont une zone d’ombre intérieure.
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Enfin, qui incarnera Elvis? Pourquoi le choix de ce comédien? C’est un garçon qui se nomme Yan Tassin. Ce n’est pas un rôle facile. Ce ne sont pas des rôles faciles – il y en a deux, Elvis et son frère jumeau. ELVIS (POLYPTYQUE) Texte d’ Emmanuel Darley Mise en scène - Gilone Brun / Emmanuel Darley Assistante à la scénographie et aux costumes : Anne-Sophie Grac/ Assistant stagiaire à la mise en scène: Noric Laruelle Scénographie - Costumes - Gilone Brun Lumières – José Victorien Espace sonore – Manu Deligne Avec Emeline Bayart, Heidi Becker-Babel, Vincent Leenhardt, Dominique Parent, Yan Tassin (comédiens), Manu Deligne (musicien) Production Cie Un pas devant l’autre Prochaines dates:
Les 6 et 7 mai 2015 au Théâtre Paris-Villette Du 19 au 22 mai 2015 à la Manufacture / CDN Nancy-Lorraine
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INTERVIEW
LÉA WIAZELMSKY PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUELLE DE BOYSSON / PhotO NATHALIE SANCHEZ 40
Clara a 27 ans. Elle est serveuse dans un bistrot où Clément, un vieux monsieur, déjeune seul une fois par semaine. Ils s’attendent, s’observent, s’apprivoisent comme le petit prince et le renard. Intriguée et attirée par cet homme qui pourrait être son grand-père et lit des romans, Clara se prend d’affection pour lui. Des liens se tissent entre ces deux êtres que tout sépare. Pourtant, comme souvent dans les histoires d’amitié, des fils secrets les unissent. Clara cache une tristesse et des blessures que les garçons de son âge ne peuvent effacer, Clément, une histoire douloureuse que le temps ne lui a pas permis de surmonter. Tous deux portent le poids des drames de la Seconde Guerre Mondiale. Peu à peu, chacun va dévoiler à l’autre son vrai visage et lui apporter bonheur et sérénité. Clara découvre en Clément le grand-père qu’elle n’a jamais eu. A travers Clara, Clément reconnaît la petite fille dont il rêvé. Une magnifique leçon de vie, l’histoire d’une amitié où chacun transmet à l’autre ce qu’il a de meilleur. Sensible, juste, tendre, écrit avec le cœur, ce roman est un des meilleurs du printemps. Une romancière est née. François Mauriac, son grand-père et Régine Deforges, sa mère, seraient fiers d’elle. Comment vous est venue l’idée de cette rencontre entre Clara et Clément ? L’idée de cette rencontre entre Clara et Clément m’est venue il y a quelques années lorsque je travaillais encore dans un restaurant pour arrondir mes fins de mois. Je m’ennuyais derrière mon bar, et j’ai imaginé cette histoire ; celle de deux êtres aux âges bien différents, perdus dans leurs douleurs secrètes. Avez-vous déjà vécu une amitié avec un homme de l’âge de Clément ? Malheureusement, je n’ai pas fait une si belle rencontre, sans doute est-ce pourquoi j’ai eu besoin de me l’inventer. Mais j’ai eu un grand père formidable ! Parlez-nous de Clara ? Comment avez-vous crée ce personnage ? Sa tristesse lui vient d’une culpabilité qu’elle n’a pas à porter, d’un secret familial mal gardé. Elle a besoin de se faire payer, comme pour racheter la faute commise par son grand-père.
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D’où viennent sa tristesse et ses blessures ? Clara me ressemble un peu… surtout dans ses goûts d’un autre temps, et dans ce sentiment de n’être pas née à la bonne époque ! Mais je n’ai pas sa noirceur ! Clara existe surtout dans le regard de Clément Clément, lui aussi cache une histoire douloureuse. Quelle fut sa vie ? Qu’attend-il de ce lien avec Clara ? Clément, a lui tout perdu à cause de la barbarie humaine et n’a fait que survivre toutes ces années, jusqu’à sa rencontre avec Clara. Elle va lui montrer qu’il peut encore être heureux, et lui donner ce sentiment unique d’être grandpère et d’avoir ainsi une famille. Pensez-vous que nous nous récréons une nouvelle famille, pour Clara un nouveau grand-père ? Je crois qu’on peut se créer une famille de cœur ! J’ai pleins de cousins , d’oncles et de tantes que je me suis trouvée. L’amitié intergénérationnelle et la transmission vous semble-t-elle être une valeur forte aujourd’hui ? J’ai un amour et un respect immense pour les personnes âgées, elles ont tant de choses à nous apprendre, à nous donner. Mes grands parents ont été de vrais piliers ! Comment avez-vous écrit ce roman ? J’ai écrit ce roman en plusieurs temps et en plusieurs années. J’écrivais d’une manière totalement irrégulière. Je savais ou j’allais, donc je n’étais pas pressée de quitter mes personnages,
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surtout Clément que j’aime tant ! Avez-vous des projets ? Au cinéma, à la télévision, un nouveau roman en cours ? Oui, j’ai quelques projets dont j’attends confirmation… Je suis un peu superstitieuse, je n’en parle pas. Et pour un nouveau roman, j’ai une idée que j’ai commencé à mettre sur le papier. Parlez-nous de ce nouveau prix Regine Deforges de Limoges. Et si vous le souhaitez de votre chère maman. C’est formidable que ce prix voie le jour ! Ma mère aimait beaucoup ce salon ! Que puis-je vous dire sur elle, si ce n’est qu’il est très dur de vivre sans elle. Ce fut un tel soleil…
Le vieux qui déjeunait seul Léa Wiazemsky Editions Michel Lafon 176 pages 14,95 euros
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CARNET DE VOYAGES
NICOLAS POUPON
Aimez-vous voyager? Quel type de voyageur êtes-vous ? Contemplatif et béat devant les merveilles plurielles qu’offre le monde? Frénétique et boulimique de découvertes ? Que rapportez-vous de vos voyages? Des méga-octets de photographies numériques qu’il faudra classer, trier, un jour...qui n’arrivera sans doute jamais? Des croquis dans un bloc-notes qui vous accompagne partout? Des objets qui nécessiteront davantage de ménage sur les étagères? Juste des images précieusement stockées au fond de votre mémoire? Nicolas Poupon,lui, a imaginé un carnet de voyages qui regroupe plusieurs destinations dans lesquelles il a la volonté d’affirmer qu’il n’a vécu qu’en touriste : New York, Atlanta, l’Inde, le Mali, Pékin, le Sénégal, Budapest, Prague, Bratislava... Ici(s) est un recueil de dessins et d’impressions fort attractif pour de multiples raisons : il semble , en effet, que la vie y ait pris toute sa place; on y entend les bruits de la ville, on perçoit la chaleur du soleil qui étreint l’épaule dénudée, on devine l’ambiance qui électrise une rue, une place. Avec autant de simplicité que de talent , Nicolas Poupon nous invite au voyage, offrant à nos yeux ravis mille occasions d’observer le monde et sa diversité. Coup de coeur pour ce bouquin volumineux de grande qualité graphique!
Propos recueillis par Julie Cadilhac / photo DR Quel a été la genèse de ce carnet de voyage? Simplement l’occasion d’éditer un travail au long cours? Tous ces dessins, et bien d’autres encore dormaient effectivement dans des carnets qui s’accumulaient chez moi depuis 15 ans pour les plus anciens. Comme l’exercice du carnet de voyages est sûrement le moment où je prends le plus de plaisir à dessiner, cela se ressent dans les dessins
« Parmi les carnets de voyages que j'ai pu lire ou parcourir, j'ai parfois eu la sensation qu'il y avait un décalage entre des propos qui tendaient vers le lyrisme ethnologique, et le temps véritable visiblement passé sur place. » 44
teur que j’étais plus que cela : un touriste. Parmi les carnets de voyages que j’ai pu lire ou parcourir, j’ai parfois eu la sensation qu’il y avait un décalage entre des propos qui tendaient vers le lyrisme ethnologique, et le temps véritable visiblement passé sur place. Je suis un touriste qui voyage avec son sac à dos, et qui dessine, ce qui oblige parfois à s’arrêter et à regarder plus longtemps (et intensément ?) certaines choses, et qui doit certainement faire Le titre «Ici (s) carnet d’un touriste en voyage» aussi qu’on en rate d’autres. , additionné à votre préface et à la dédicace à Georges Simenon, c’est une volonté d’insister On trouve des dessins nécessitant des techsur le fait que vous n’êtes qu’un observateur niques différentes dans ce carnet... pas uniextérieur? Qu’on ne trouvera pas ici autre chose quement des crayonnés. Sont-ce des dessins que vous effectuez sur place? De mémoire? Ou que l’envie de voyager soi-même? N’ayant jamais passé plus de 2 mois d’affilée dans portez-vous un énorme sac à dos pour ne pas les pays dans lesquels j’ai voyagé, il m’aurait semblé être à court de matériel? tout simplement malhonnête de faire croire au lec- À l’exception de 6 «dessins» à l’acrylique que j’ai réalisés d’après photos à mon retour, tous les dessins sont faits sur place. Pour les com« Le dessin en voyages a ceci de magique qu’il peut positions en 6 cases, les jus transformer pas mal de plans «galère» en moment d’aquarelle ont eux aussi été de dessins agréables où le temps finit par passer tout posés après coup (afin d’unifier un peu ces «6 cases» dont seul. » qui sont, selon moi, ce que j’ai fait de mieux graphiquement (même s’il est totalement stupide de comparer ça à des dessins du «Fond du Bocal»par exemple). Alors oui, je finissais par me dire que c’était vraiment dommage, et je suis très heureux que les éditions Scutella aient pris le risque de faire ce gros livre qui revient sur ces 15 années de voyages et de dessins.
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certains sont séparés de plus de 10 ans), de même évidemment pour les aplats de couleur à l’ordinateur derrière certains dessins (qui eux font partie de tout le travail de maquette visant à rendre «ICI(S)» le plus dynamique et le plus agréable possible à la lecture) Cependant, pas besoin d’un énorme sac à dos. Quelques feutres pinceaux, une trousse bien remplie (crayons noirs, de couleurs, et quelques craies grasses), et une boite d’aquarelles suffisent pour tous les dessins présents dans ce recueil. A New-York, à Austin, à la Nouvelle-Orleans, au Sénégal etc... vous dessinez les gens dans leur quotidien...diriez-vous que c’est un peu le paradoxe du touriste : fuir son quotidien pour partir trouver de la poésie dans celui des autres? Je ne crois pas fuir mon quotidien, qui me plait plutôt bien dans l’ensemble. Quand j’en ai l’envie, et les moyens financiers, je vais à un endroit qui m’attire, et comme j’aime bien dessiner… Des visages, des phrases entendues souvent, des images fortes et récurrentes - comme les chiens errants en Inde-, des anecdotes...Les ingrédients d’un carnet de voyage idéal selon vous? Parce qu’ils sont les seuls moyens de restituer une atmosphère, une ambiance? Il ne me semble
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pas que j’abuse des chiens errants en Inde (il me semble qu’il n’y a qu’une page sur 320 qui les représente) de fait, il y en avait pas mal, pas tous bien en point, et je les ai dessinés, mais je me méfie de ce genre d’images un peu trop «romantiques», ou trop attendues d’un pays. Maintenant, je n’y échappe certainement pas complètement, vu, comme dit plus haut, que je ne suis qu’un touriste. J’essaye juste de garder un peu de recul par rapport à tout ça, tout en restant à l’affut, et à l’écoute de ce qui se passe autour de moi. Les petits textes qui accompagnent certains des voyages témoignent - j’espère - de ce recul, et me permettent d’apporter un peu d’humour à l’ensemble
Je pense que tout dépend bien évidemment de qui est derrière le crayon, ou l’appareil photo. Par contre, il est évident que le dessin a cet avantage en voyages que contrairement à la photo, il n’est quasiment jamais perçu comme un vol, car les gens voient le côté «laborieux», et qu’il est souvent amusant pour eux de voir le dessin en train de se faire. C’est pour cette raison qu’il n’est pas rare de se retrouver dans certains pays qui n’ont pas une pratique très répandue du dessin (ils ont des problèmes un peu plus important à gérer au quotidien en général) avec 15 personnes derrière soi qui assistent au «spectacle», commentent le dessin en train de se faire, en rigolent...
( y compris évidemment quand je pousse les propos généralisants du touriste que je suis à l’excès).
Pour ce qui est de restituer une ambiance, les 6 cases (parfois présentées dans le livre par 9, par 12, ou par 15) étaient justement une tentative dans ce sens (représenter dans chacune des 6 cases de la composition un détail du lieu dans lequel j’étais à ce moment là, pour essayer d’en rendre au mieux l’atmosphère, et associer un titre à chacune de ces 6 cases. Titre qui va permettre soit un décalage, soit Vous citez Flaubert « pour qu’une chose soit une meilleure compréhension du lieu représenté) intéressante, il suffit de la regarder longtemps»... Vous auriez une anecdote, là, sous la main? Pourquoi, selon vous, le dessin crée-t-il peutêtre davantage de réalisme que la photogra- Le dessin en voyages a ceci de magique qu’il peut phie? Il semble, en effet, qu’il instaure une transformer pas mal de plans «galère» en moment relation de proximité, d’authenticité alors que de dessins agréables où le temps finit par passer la photo crée une distanciation malgré elle... tout seul. Vous êtes coincé dans une gare routière
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seul, ou à trois, ou pré parez- vous à ce qu’on vous fasse, à juste titre, la gueule…) Titre : ICI(S) Editions: Scutella Auteur: Nicolas Poupon Prix: 30€
au milieu de rien, vous ne savez même pas quand partira le prochain bus pour votre destination (3, 4, 5 heures ?), et vous êtes comme moi d’une nature plutôt, voire très impatiente, je vous conseille le dessin. La musique est souvent présente dans vos pérégrinations. Vous assistez à des concerts notamment quand vous voyagez...vous êtes un amateur de musique? Lesquelles? Le jazz? J’aime la musique en général, et j’aime surtout dessiner pendant un concert, où, si l’on a la chance de pouvoir se déplacer par rapport à la scène, il y a forcément plein de beaux dessins à faire. On suppose que ce carnet ne marque pas la fin de votre carrière de touriste ( sourire). Quelle a été votre dernière destination? Mon dernier voyage était la semaine précédant Angoulême. C’était en Islande, et c’était une surprise pour mon anniversaire. Je n’ai su qu’à l’Aéroport où j’allais, et j’ai très peu dessiné sur place car nous étions deux, et que le séjour en Islande était très court. (Si vous voulez dessiner en voyages, partez
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ROMAN DÉJANTÉ
Jean Collette, travailleur du texte De France Inter à Canal +, la mode est aux affligeantes gugusseries belges. Par bonheur, le roman hallucinant, inclassable et réjouissant d’un authentique non aligné vient sonner la fin de la récréation. Par Marc Emile Baronheid
comédie qui a pour décor la ville de Vervieux et plus particulièrement deux théâtres voisins et concurrents. Les faits remontent à l’aube des années septante, comme on dit dans la patrie d’un cinéaste suisse pré-post-moderne qui va peser sur des événements brassant un délicieux et foutraque mélange des genres. Hubert Hubert enfourchera sa Marie-Rossinante pour Le héros : Hubert Hubert. On songe à se lancer dans une épopée de Damol’ Humbert Humbert mithridatisé par clès qui doit un peu, voire beaucoup « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes au frère Léon de l’Institut des Ecoles reins. Mon péché, mon âme ». Et donc chrétiennes. Surtout que l’action doit l’œuvre d’un nouveau lolitaphile ? composer avec les obsessions texRien n’est moins sûr. Jean Collette, tuelles du romancier, déterminé à auteur en quête de personnages, a éla- agrémenter le récit d’emprunts choisis boré une méthode nouvelle pour les selon le procédé du vogelpik, variante dénicher et en agrémenter son récit. flamande de la méthode lescurienne On peut, sans travestir la démarche, la chère à Queneau. Il y en a exactement qualifier d’aléatoirement rigoureuse. 141, introduits sans états d’âme, inspiLe lecteur en découvrira les méandres, rés peut-être par la fabrication du foie rituels, répétitions, contraintes, vagras, d’où, pour ce délire d’initié, un peurs, pâmoisons, petites morts côté je t’attendrai à la porte du gavage. subreptices, au détour d’une tragiLes noms des donateurs involontaires
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ne sont pas dévoilés : banque du sperme et Collette, même combat, d’autant que certains y voient l’avènement d’un genre nouveau : la littérature échangiste. D’où ce côté roman à clés, situé dans la ville où sommeillent des archives de … Queneau. Aussi roman à Clay ? Le Cassius du titre est un cousin sous-germain-des-prés de Philippe Clay, parfait homonyme du chanteur, fils naturel et non reconnu de l’inventeur du tir au pigeon d’argile. Les deux George (Perec et Le Gloupier) peuvent aller se rhabiller. Même s’il situe son roman à l’époque où Mao Zedong construisit le chemin de fer reliant la Tanzanie à la Zambie, Collette n’est pas l’homme de douze métiers et treize rizières. Il excelle dans le
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cinéma, le théâtre, le journalisme, les quiproquos (il ne peut s’aventurer dans un bain turc bruxellois sans se faire accoster par un « are you Big Moustache ? »). Cette folie curieuse fera date car, à n’en pas douter, le roman du XXIe siècle tient là son Farceur Cheval. « Cassius Clay surpris et peiné par la mort de Malcolm X », Jean Collette, L’Age d’Homme, 15 euros
MATZNEFF
L’après-minuit d’un faune Gabriel Matzneff est l’antithèse de Dale Carnegie. Son grand œuvre pourrait passer pour « Comment se faire des ennemis », tant son sens païen du divin (« toutes les jeunes personnes qui, au cours de ma vie, m’ont murmuré « je t’aime » sont des parcelles vivantes de la lumière du Christ » *) lui donne l’aisance de poignarder le dédain de Paris, dont le vrai poids des médisances est celui de la paille jetée au vent. Par Marc Emile Baronheid
Tant ceux qui le lisent à la dérobée que ses inconditionnels ont toujours oscillé, voulant qualifier l’ascète et le gourmet, entre orgueil exorbitant et ambition assumée. Soit, mais nul ne résiste à l’appel de livres abondamment vilipendés par les jaloux, les psychorigides institutionnels et les fantassins d’une profession qui a troqué la plume contre une 52
toge d’hypocrisie, enrageant de son impuissance à adopter une hygiène de vie autrement plus voluptueuse que la sarabande trappiste. Les nouvelles publications attiseront encore le débat. Le Journal 2009-2013, au prologue subtilement désenchanté, porte un titre à faire blêmir d’envie tous les poètes. Certes, les élans ivres, les envolées voluptueuses cèdent parfois du terrain aux ombres portées de l’ascèse et Matzneff est tenté de tenir la bride plus courte, de composer l’après-minuit d’un faune. Mais c’est pour réaffirmer plus subtilement que ses mœurs dites dissolues consolent diablement des pénitentiels miasmes des punaises de sacristie. Il faut de temps à autre avoir pitié de son époque. Vient aussi un roman, autre manière de faire son balluchon par le truchement de protagonistes à la rêveuse harmonie. Une bombe à retardement menace de la pulvériser. En première ligne : Nil (Nicolas Razvratcheff), promis à porter le fardeau d’un secret traversant des vies menées à grandes guides et des inconsciences plénières , des véroniques cristallisées dans une lettre adressée in tempore suspecto au capitaine SS Brun-
ner. Gabriel Matzneff y déploie un style LA LETTRE et une maîtrise AU éblouissants, à CAPITAINE BRUNNER l’aune d’une vie ROMAN menée cent coudées au-dessus de The Catcher in the Rye. Nil en dit aussi long sur Gab la RaLA TABLE RONDE fale que bien des pages des journaux intimes. Simplement, les stigmates ont choisi des géographies plus graves, promesse que nous n’en avons pas fini avec le dernier nabab du premier amour. Gaudeamus igitur. GABRIEL MATZNEFF
MATZNEFF
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vermillon, 8,70 euros
« Mais la musique soudain s’est tue – Journal 20092013 », Gallimard, 26,50 euros « La lettre au capitaine Brunner », La Table Ronde, 17 euros (*) « Le taureau de Phalaris – Dictionnaire philosophique », La Table Ronde, coll. la petite
LITTÉRATURE
Quoi d’autre ? Par Marc Emile Baronheid / C.Hélie Gallimard
Le saviez-vous, Mark Twain (1835-1910) ne jurait que par la vente par souscription, son instinct marchand lui dictant d’aller débusquer le client en son gîte, plutôt que de l’attendre derrière la vitrine d’une librairie. Des représentants payés à la commission faisaient du porteà-porte, en faveur d’une œuvre difficile à identifier, caractérisée par un éclectisme, une forme, un contenu en passe de défier toute tentative de saisie de l’unité. A une déambulation aléatoire dans les écrits indépendants de l’écrivain, les concepteurs de ce volume ont préféré la réunion de quatre textes dans lesquels s’exprime son inspiration mississipienne. Trois d’entre eux sont accompagnés de l’intégralité des 652 illustrations qui figuraient dans les publications originales. Twain tel qu’en lui-même …
par son ancien propriétaire, le facteur du village ». Le jardin comme représentation du réel ? Miroir de l’imaginaire ? Les deux à la fois ? Les réponses se cachent dans les pages des auteurs qu’elle convoque, de Balzac à Gide, de Bobin à Flaubert, en passant par Proust, Hugo ou Stendhal. Aussi Colette, Modiano et quelques autres, accaparés par un reflet de l’âme, le miroir d’une nostalgie, l’envie d’un monde débarrassé de l’ivraie. Les souvenirs ont la santé fragile ; les rêves sombrent parfois dans le bassin du Jardin du Luxembourg. Une promenade historique et un itinéraire de papier invitent au voyage éphémère parmi les jasmins, les giroflées, les épines et les serments d’amour.
Pour qui a apprécié, dans « La Grande Librairie », la substantifique moelle des entretiens entre Philip Roth et François Busnel, toutes les autres évocations sont frappées de moAvec destie. Les rencontres de l’auteur américain et rd a im Gall de J. Savigneau, Au quotidien, Evelyne Bloch-Dano règne sur un sa groupie de longue jardin à l’architecture traditionnelle, « voulue date, n’y échappent pas. Tout de même, Busnel a 54
neau Josyane Savig
Philip
Roth
galamment offert un strapontin à cette coutumière des exercices d’admiration, voire de vénération. Voici que paraît l’intégralité de cette construction, par laquelle Philip Roth permet à sa vestale, entrant chez Gallimard, d’approcher les ors de la République des Lettres. Ce n’est pas rien. On attend à présent que Mme Savigneau vienne à résipiscence au bénéfice de l’étincelant Angelo Rinaldi. Mais peut-être estce la dimension impériale du Corse qui donne de l’urticaire à son opposante, d’autant que le justicier de l’Express n’hésita pas à tailler des croupières au sage du Connecticut, résolu désormais à s’atteler à ne rien faire. AR a écrit à propos de Roth : « le ressassement, chez un créateur, est le gage de sa sincérité ». Une belle occasion, pour Mme Savigneau, de persister et signer. Si elle était une créatrice. « Œuvres », Mark Twain, éditions publiée sous la direction de Philippe Jaworski, avec la collaboration de Thomas Constantinesco. Le volume contient : préface, chronologie,
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notes sur la présente édition ; La Vie sur le Mississipi ; Aventures de Huckleberry Finn ; La Tragédie de David Wilson le Parfait Nigaud ; notices et notes ; bibliographie. 58 euros, prix de lancement. « Jardins de papier – De Rousseau à Modiano », Evelyne Bloch-Dano, Stock, 19,50 euros « Avec Philip Roth », Josyane Savigneau, Gallimard, 18,50 euros
POLARS
Polars pour tous les goûts Par Marc Emile Baronheid
©Philippe Quaisse
Boris Berezovsky (BB), Américain, flic à San Francisco, apprend le suicide de … Boris Berezovsky, oligarque russe, dont il ignorait l’existence. Puis le flic découvre que ses parents étaient en contact avec le Russe. Par ailleurs, BB est sur la piste de Ferris Holme, un tueur psychopathe. Une enquête difficile, bientôt contrariée par l’agression de son père Vladimir. Elle serait l’œuvre de services secrets étrangers et d’autant plus incompréhensible que, pour BB, ses parents sont des citoyens tranquilles et ano-
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dins. À quel point Holme cultive-t-il le dérangement mental ? Jusqu’ici, il a roulé tout le monde dans la farine. Seul BB paraît capable de mettre à mal une redoutable capacité de nuisance et un système de défense qui n’offre nulle aspérité à laquelle s’accrocher. Un duel s’engage, malheureusement pollué par l’odyssée de l’autre Boris. Une bipolarisation superflue qui agace plus qu’elle n’attache. En matière de dopage des sportifs, on appelle cela un produit masquant. « Danser avec le diable », Maud Tabachnik, Albin Michel, 20,90 euros La Dame en Noir ne s’embarrasse pas de Chanel n°5. Ses fragrances de prédilection seraient plutôt le 6.35, voire le 7.65. Toujours séduisante, elle célèbre ses noces de platine avec Gallimard et un lectorat à la fidélité relative, en dépit de l’usure du temps, de choix pas toujours inspirés, et des assauts opiniâtres de la concurrence. Comme souvent rue Gaston-Gallimard, les ré-
un peu partout dans le monde, racontant « des guerres ouvertes et sanglantes, des conflits plus secrets, contre la terreur, le trafic de drogue, et des combats intimes, avec soi-même, pour rester debout et survivre ». Du second, cinq romans sont rassemblés en 702 pages. Une manière, pour cet volutions de palais sont lentes, sans être inadepte de l’efdiscutables. Ainsi, les continuelles modifica- fort court, de rejoindre la mode des thrillers tions de format et de présentation ne raviront épais comme des briques. Mais Pouy est bien pas les inconditionnels des emblématiques davantage qu’un auteur. Il a multiplié les apjaquettes et couvertures cartonnées de la pre- paritions, créant des collections, recueillant mière heure. Les publications du trimestre, des dividendes sitôt réinvestis dans des enqui ponctuent la célébration des 70 ans de la treprises parfois douloureusement aléatoires. Série Noire, allient paisiblement classiques Incarnation de la force tranquille, parfois et quasi modernes. Deux épais volumes l’atmauvais exemple du talent galvaudé, JB est testent. A ma droite, DOA à ma gauche JBP. un anar qui, dans la postface, affiche en glousIl faut au premier 675 pages pour déployer sant « Je déteste Léo Ferré » et observe avec un roman choral, âpre, histoire d’aujourd’hui une tendresse de papier émeri l’avènement qui met en scène des citoyens clandestins,
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Masson, actuel directeur de la collection, y va d’un pieux « J’espère que la Série Noire restera toujours ce clou rouillé qui sort de la chaise, ce gros sel que l’on appose sur les plaies. La Série Noire a un grand avenir devant elle dans la mesure où tous les jours un peu plus, le monde qui se dessine devant nos yeux ressemble à une vaste Série Noire ». « Pukhutu primo », DOA, série noire Gallimard, 21 euros « « Tout doit disparaître », Jean-Bernard Pouy, série noire Gallimard, 24,50 euros. Ce volume regroupe des romans parus entre 1984 et 1998 : Nous avons brûlé une sainte. La pêche aux anges. L’homme à l’oreille croquée. Le cinéma de papa. RN 86.
des « petits loups qui apprennent à lire et à écrire dans un seul but : remplacer tous les vieux cons qui s’étalent sur les étals devant leurs yeux jaloux et impuissants ». Impuissants ? « Tout doit disparaître » est davantage qu’un baroud d’honneur. Plutôt une injonction du genre : on se calme, jeunes débiles ; et on salue les vieux cons… Soucieux de laisser souffler les calibres et d’instaurer une paix des braves, Aurélien
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Né à Epinal en 1978, Nicolas Mathieu signe son premier roman. Il est social, il est noir, il évoque le déclassement, la fin de l’espoir – en supposant sans trop de conviction qu’il y avait eu un début. Tout commence par une fermeture d’usine et l’éparpillement d’une centaine de travailleurs aux quatre vents de l’indifférence patronale. Quand on n’a plus rien à perdre, on peut devenir imprévisible. Un seul exemple : Martel, syndicaliste estimé par ses collègues et caillou dans
la chaussure de la hiérarchie. Sa situation financière, déjà délicate, menace de devenir intenable. Il faut réagir, vite, enterrer certains scrupules, accepter d’avoir partie liée avec des individus peu recommandables et pas du tout regardants sur les méthodes. L’histoire d’un monde qui finit et bascule du mauvais côté de la vie. « Aux animaux la guerre », Nicolas Mathieu, Actes Sud, 22,50 euros
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CULTURELLEMENT SPORT
Au bout de soi-même Par Pascal Baronheid
Le sport a inspiré à la littérature quelques-unes de ses pages les plus épiques. Voici des ouvrages dont l’ambition première est de rendre hommage à la sueur, à la détermination, à la solitude du champion.
Courir est mon plaisir. Courir est un besoin. Courir est une liberté insolente. Mais attention ! Courir peut rendre prisonnier. Ce sont quelques éléments de cette ode à l’effort, d’un voyage historique depuis la bataille de Marathon dans les coulisses d’une des courses parmi les plus fabuleuses. L’auteur, journaliste, a couru près de 20 marathons dans le monde. Il n’a donc pas
son pareil pour inciter à la rencontre de ces merveilleux fous gambadant, suant avec le sourire, ahanant avec un rictus inquiétant. Contrairement à la course de fond du roman, le marathon ne tolère ni le plagiat, ni les méandres sournois dits de l’intertextualité. L’angoisse de la page blanche du coureur, c’est le mur de la défaillance « Le mollet, lourd comme un âne mort, n’en peut plus, n’en veut plus. Ce n’est pas une sensation de crampe. Plutôt un raidissement général. » Une affaire d’hommes, de vrais ? Pensez-vous ! Alors que les jeux panhelléniques leur étaient interdits, sous peine de mort, les femmes y ont fameusement acquis droit de cité. Avec en plus cette grâce, cette légèreté qui nous font envie. Mais en retour, leur souffrance apparente est plus spectaculaire, sinon déme60
surée. A travers son héros, Thomasson emmène le lecteur sur le parcours mythique du marathon de Paris. Les 42 kilomètres sont autant de stations d’un chemin de croix pour les téméraires, les impréparés, les sans grade, les obscurs, ou les jalons d’un sentier de la gloire pour les collectionneurs de médailles, les héros
et divas des podiums. Un roman qui, paradoxe éclatant, se lit au sprint (ah les performances dans un fauteuil…) ! Le sport spectacle étant devenu une course à l’armement financier, les nations symbolisant l’impuissance économique n’ont plus guère voix au chapitre. Et donc, elles cultivent la nostalgie, si leur passé le permet. La Belgique : une terre d’élection en la matière. Francorchamps, 1954. Un garçonnet de neuf ans attend le moment de remettre des fleurs à Juan Manuel Fangio, vainqueur du Grand prix de Belgique. Le déclic d’un destin d’exception ? Il s’appelle Jacky Ickx et possèdera un des palmarès les plus éclectiques de l’histoire du sport automobile : trente saisons de sports mécaniques, deux fois vice-champion du monde de Formule 1
(et 8 victoires), une cinquantaine de succès dans les épreuves d’endurance et le titre de « pilote du siècle » dans la discipline, en plus du surnom « Monsieur Le Mans », champion Can-Am aux Etats-Unis, vainqueur d’un Paris-Dakar, etc… Son contemporain capital : Eddy Merckx, alias le Cannibale, le plus beau palmarès cycliste de tous les temps avec 525 victoires, dont son premier Tour de France le 20 juillet 1969, jour où Neil Armstrong posa le pied sur la lune. Jacky et Eddy ont droit l’un et l’autre à un album retraçant leur vie, leur carrière, leurs prodiges. Des photographies spectaculaires, rares ou précieuses, agrémentées de commentaires éclairés balisent leurs exploits et rappellent à quel point ils imposèrent leur emprise au monde entier. Aussi des parcours tout de fairplay, de classe, de talent, de volonté. A l’occasion de leur 70 ans, une exposition montre à Bruxelles ce que sacrifier et dominer impliquent. L’un chatoie désormais sur le Rocher de Monaco ; l’autre a appris à maîtriser le peloton des pétrodollars, pour amplifier le rayonnement international de son sport. « 42 km 195 », Bernard Thomasson, Flammarion, 18 € « Jacky Ickx », texte Pierre Van Vliet, Racine, 35 € « Eddy Merckx 69 », Tonny Strouken et Jan Maes, Racine, 39,95 € Exposition “70 ans Eddy Merckx – Jacky Ickx”, Trade Mart Brussels, jusqu’au 21.06.2015 (www. merckx-ickx.be) €
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ROMAN
« La philosophie de l’arme à feu…. »
Nishikawa est un étudiant fragile ; au milieu de l’insipidité, de l’ennui et de l’absurde de son quotidien, il essaie de donner une perspective, un sens à sa vie. Il consomme sans intérêt ni envie, aussi bien des canettes de café chaud que des jeunes femmes. Les rues sombres, les parcs publics désertés, les lumières blafardes sous la pluie, c’est tout l’environnement préféré de Nishikawa. Au cours d’une de ses singulières promenades, il découvre près d’un cadavre l’arme qui l’a tué, un revolver aux effets subliminaires : «Ma vie était terne. Que, dans cette banalité, l’arme constitue un stimulant me semblait évident. J’appréciais aussi sa sobriété. Elle incarnait, avec une économie de forme qui frisait presque la cruauté, l’acte de faire feu. Elle était faite pour blesser, conçue pour ôter la vie, fabriquée de sorte à faciliter ce geste,
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aisée à tenir, dépouillée de tout superflu. Elle m’apparaissait comme le symbole même de la mort, Thanatos en personne. Mais pourquoi ce symbole me séduisait-il ?» Est-ce l’érotisme de l’arme, sa virilité, sa nature sécurisante qui va justifier ce jeu fusionnel entre le jeune homme et le révolver ? «Le révolver est apparu, toujours d’une beauté à couper le souffle. En comparaison la fille de l’autre jour ne valait rien. Cette arme était tout pour mon être actuel, et elle renfermait peut-être aussi tout mon devenir. «Jusqu’où va le mener cette compagne dangereuse, destructrice ?» L’impression que suscite généralement une arme est liée à la mort et au crime. [….] Mais l’arme avait proliféré en moi, jusqu’à me phagocyter totalement, ce que j’avais délibérément accepté.» Une obsession hante Nishikawa, celle d’utiliser le révolver, «Mais l’arme voulait que je tire. L’arme était tout mon être. Sans elle, j’étais insignifiant, elle m’inspirait un amour violent. […] Alors j’ai pensé que je n’utiliserais pas l’arme. C’était elle qui m’utilisait, j’étais un simple élément de son dispositif de mise en marche.» Dans ces décors noirs où «Les murs suintaient la tristesse ; l’air était vicié», le révolver va exercer une passion incontrôlable, ravageuse et sans retour sur notre « héros ». Dans le monde de Nishikawa se croisent les drames et les tragédies avec un enchaînement naturel effrayant, et un détachement terrifiant. Un beau roman, étrange, subtil, qui plonge le lecteur dans une atmosphère inquiétante,
malsaine, étouffante parfois. Avec des phrases courtes, épurées, l’écriture est sèche, directe, froide ; «Rien n’a d’importance. Rien, nulle part.» Titre : Revolver Auteur : Nakamura Fuminari Edition : Philippe Picquier Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako
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PHILOSOPHIE
La Commedia Dell’Arte Par Sophie Sendra
La Commedia dell’arte est devenue, au-delà du sens lui-même de ce qu’elle est dans l’histoire de la littérature, une expression qui exprime l’exagération des sentiments, des réactions, face à une situation. Si on regarde de plus près la définition, on constate qu’il s’agit d’un théâtre de « gens du métier », d’une pratique théâtrale exécutée par ceux qui maîtrisent la comédie. Au milieu du XVIII°siècle, cette pratique théâtrale a une spécificité, elle pratique l’improvisation et le jeu des masques, très en vogue pendant les deux siècles précédents. Ce jeu très particulier est en totale opposition avec un théâtre plus académique attaché au texte, à la littérature, à la lettre. Il ne repose que sur la performance des acteurs, les gestes, la grandiloquence. Tous sont reconnaissables aux masques qu’ils portent : vieillards, amoureux, amoureuses, bouffons, soubrettes, chanteurs, danseurs etc. L’un d’entre-eux est reconnaissable entre tous : Arlequin avec son costume bariolé et sa batte.
Jeu de dupe Le bouffon le plus célèbre du théâtre est sans nul doute Arlequin, mais rares sont ceux qui en connaissent l’origine. Mis à part le fait qu’il est d’ori-
gine italienne, il est par ailleurs un zanni, un bouffon qui aurait pour point de départ un célèbre diable français, Hellequin – d’où l’origine quelque peu déformée de son nom – qui se trouvait à la tête d’une troupe d’esprits malins. Le visage de Arlequin est donc recouvert de suie dans un souci de représentation de mauvais coups fomentés par son esprit diabolique. Il sera remplacé par un masque noir. Il semble toujours bénéficier d’une image positive, drôle que l’on ne prend pas vraiment au sérieux, très certainement à cause de son costume fait de losanges, de couleurs chatoyantes, d’une batte dont on soupçonne parfois un usage à la Scapin – puisque Molière luimême s’inspirera de Arlequin dans de nombreuses pièces. Ce personnage de la Commedia dell’Arte change au fur et à mesure du temps. Au début, il est balourd, candide, lourd et pas-
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sablement grossier : les farces étaient faites de cela. Il change dans le temps littéraire pour devenir plus profond, amoureux à ses heures et moins préoccupé par la grivoiserie qu’auparavant. Il va même devenir agile et acrobate averti.
Du nom propre au nom féminin Arlequin inspira Marivaux, Molière, Verlaine, mais ses bouffonneries ont du lasser. Voir déambuler un être qui feint pour obtenir ce qu’il veut, qui sautille en tous sens et qui se dissimule derrière un masque n’inspire plus. Les Pantalonnades – issu de Pantalon, personnage inspiré d’Arlequin – ne séduisent plus. Géronte – du grec géron qui signifie « vieillard » - ne fait plus rire, il devient bête avec l’âge, de plus en plus candide, il succombe même aux tromperies de son fils
jusqu’à ce qu’il le démasque, sans pour autant convaincre quiconque. Arlequin ne fait plus recette et fin XIX°siècle il n’est plus qu’un souvenir littéraire. Il ne se rappelle à nous que par son habit et ses pitreries. Les Arlequinades, c’est autre chose. Ce nom féminin très péjoratif désigne une action ridicule, une bouffonnerie, une œuvre stupide, saugrenue, risible, mijaurée, piètre, une pantomime qui traduit une incapacité à dire avec un langage articulé ce que l’on ressent. Et si Arlequin n’avait pas disparu ? Et si Géronte renaissait de ses cendres ? Ce personnage représentant la vieillesse dans ses aspects les plus négatifs est une
sorte de Tatie Danielle : tour à tour têtu comme une mule, confondant le vice et la vertu, d’une dureté sans égale avec ses semblables, méchant à souhait, il n’obtiendra qu’une chose, celle de se faire rejeter par tous y compris de sa progéniture qui tend à lui ressembler avec le temps.
S’il fallait conclure
La littérature nous apprend tout : les comportements humains, les relations complexes, l’art de la tromperie, celui de la manipulation etc. Le théâtre nous apprend comment les mettre en scène. Mais cette littérature nous apprend-elle ce qui peut se passer ou s’inspire t-elle de ce qui se passe déjà ?
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Mystère... Tant qu’Arlequin était considéré comme un bouffon agité, on ne lui prêtait pas d’attention particulière. Devenu Géronte, il est victime de ses arlequinades et redevient un personnage de littérature sur lequel on s’interroge à nouveau, à moins que ce soit un nouveau Pantalon, victime de ses deux filles désobéissantes... une histoire de politique théâtrale sans doute.
ROMAN AMÉRICAIN
Kevin Canty signe un roman atypique où s’entremêlent les histoires de personnages ballotés vigoureusement par l’existence. « Toutes les choses de la vie» ne correspond pas, et ce à plusieurs égards, à une fiction sentimentale calibrée. Elle laisse au contraire une large part à la prose et la disgression poétique pour mieux nous plonger au plus profond des travers humains en ce qu’ils sont nobles ou misérables. Un roman étonnant. Par Nicolas Vidal / photo Victor Schiferli
Kevin Canty nous enchante avec ce roman singulier tant les voix intérieures des personnages prennent parfois le pas sur l’histoire et sur les rapports directs qu’ils entretiennent. Lire « Toutes les choses de la vie» revient à plonger progressivement dans une myriade de situations où les indi-
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vidus se cotoient à des stades différents de leurs existences. June et LR sont de vieux amis. Chaque année , à la même date, ils se retrouvent au bord de la rivière pour évoquer le passé et célébrer à leur manière la mort du mari de June, Taylor, disparu dix ans plus tôt. Alors que RL divorcé tente de composer avec sa fille de vingt ans, il retrouve son amour de jeunesse qu’il tente de sauver de l’inéluctable destin que son cancer lui promet. June, quant à elle, veuve de Taylor, prend la décision de se donner une nouvelle chance. Petit à petit, la trame essaime derrière elle plusieurs personnages qui se retrouvent embarqués dans une farandole
de sentiments, d’émotions et de désirs Toutes les choses de la vie de Kevin Canty non assumés. C’est en cela que Kevin Canty a su dans un écrin poétique éton- Edition Albin Michel 336 pages - 22,90 euros nant peindre une déclinaison délicate Collection Terres d’Amériques et sensible des travers et des faiblesses humaines au coeur du Montana. À lire et à savourer. « Etre toute entière, être présente, galoper à travers les prairies immaculées et les branchages morts, emportée par la vitesse, le temps réduit à l’instant, rien que le geste, l’harnmonie entre le cheval et le cavalier, la course folle et rien d’autre que cet instant, ni rêves ni souvenirs ni désir, rien que la vitesse et la femme qui disparaît dans la vitesse »
Entre maux et mots, le corps parle A fleur de Peau
Docteur Guy Dominique Lanternier Certaines pathologies ont évidemment des origines psychologiques. On le sait, on en parle et pourtant la médecine actuelle soigne les symptômes mais rarement leurs causes profondes. C’est ce manque que met à jour le Docteur Guy Lanternier, docteur en médecine et dermatologiste. Pour lui, le dialogue est indispensable pour comprendre comment telle personne développe telle maladie ; on éviterait ainsi des traitements médicamenteux coûteux et souvent inefficaces.Une prise de position forte étayée par de nombreux témoignages de spécialistes qui a pour vocation de réveiller les consciences.
EDITIONS LA LETTRE ACTIVE - 14 EUROS - 148 PAGES www.lettre-active.com 67
ROMAN
D’un autre temps… Par Félix Brun - Photo David Ignaszewski (c) koboy
Une atmosphère de conte ; au milieu de la Creuse profonde, un vieux château décrépit et chancelant sous le poids des siècles, une vielle servante vacillante, un couple de métayers rugueux et durs au labeur, et leur fils Guillaume… le décor est planté, intemporel, mystérieux. Madame de la Villenière essaie de régner sur ce petit monde, engluée dans son histoire, son passé, son veuvage et la disparition de son enfant Corentin. Cette vieille aristocrate désargentée, aux traits 68
ingrats, aux humeurs changeantes, aux manières emportées et fougueuses, semble sortir d’un autre âge. « Derrière cette laideur quelque chose de noble subsiste, une grandeur inaltérable, un mépris pour les vicissitudes. C’est le masque d’une divinité barbare venue d’un temps où la statutaire était encore maladroite. » Guillaume, collégien de quatorze ans, est fasciné par Madame qui va le prendre sous sa coupe afin qu’il possède «les valeurs essentielles de notre civilisation.» Madame est un personnage original ; « Tuer un ragondin ou faire un signe à la statuette d’un homme crucifié ne fait pas de différence. » Elle va consacrer à Guillaume une éducation à l’ancienne fondée sur la spiritualité, à la limite parfois de la manipulation : «Moi, de Dieu, je peux me passer, c’est tout ce qu’on a créé autour de Lui pour Lui faire part de notre existence : ces monuments, ces églises, ces textes si savants, ces costumes, ces musiques, ces chants, ces tableaux.[….]Pour finir, mon garçon, je n’ai pas besoin de Dieu, j’ai besoin de la religion.» Madame porte son secret, celui de la mort de son fils Corentin, à l’âge de quatorze ans... et « le monde qu’elle traverse n’a aucune réalité à ses yeux.» Jean-Marie Chevrier entraîne le lecteur dans une confrontation permanente entre les acteurs du roman, les classes sociales, la terre
et l’esprit, le monde moderne et le passé, avec la nature en miroir, les marécages, les austères forêts, les découvertes macabres et féeriques. Les non-dits, les silences, les huis-clos alimentent une tension, une tragédie, un malheur prémonitoire. Un beau roman à l’écriture ciselée, sensible, poétique, comme dans les contes de ces contrées aux énigmes et mystères envoûtants et ensorcelants. Titre : Madame Auteur : Jean-Marie Chevrier Edition : Albin Michel Parution: Août 2014 Prix: 16€
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EDITION
LE PETIT MONDE DE L’ÉDITION Par Emmanuelle de Boysson
Les prix littéraires ne sauveront pas la librairie où les people adorent dédicacer leurs bouquins écrits par des nègres sous payés, mais ils ont le mérite de mettre en lumière les livres. Que c’était triste d’apprendre la mort de la navigatrice Florence Arthaud dans un accident d’hélicoptère en Argentine durant le tournage d’une émission de télé-réalité. Elle venait de finir deux livres de souvenirs : « Cette nuit, la mer est noire », publié chez Arthaud, maison fondée par son père, et « Rencontres avec la mer » (Vents de sable). Elle avait aussi imaginé « Petit hérisson rêve de la mer », un album illustré par Gwendal Blondelle, pour sensibiliser la jeunesse à la protection des littoraux (11 juin au Sablier). Première et seule femme à avoir gagné la Route du Rhum, la petite fiancée de l’Atlantique rêvait d’organiser une régate pour les femmes des pays de la Méditerranée. « Merci de m’avoir donné la force de partir au loin et d’être libre », écrivit-elle à son père. Autre chose qui nous attriste : les petits libraires ferment les uns après les autres. Après des années de combat, la librairie L’Imaginaire de Lorient, l’une des plus anciennes librairies indépendantes de Bretagne, a fermé définitivement. La mythique librairie La Hune deviendra une «galerie-librairie» dédiée à la photo. La librairie de Brive, 70
les Trois épis, sera rachetée par Cultura suite à une décision de justice. Malgré les initiatives comme celle des « 48h BD » (3 et 4 avril), où 216 000 exemplaires d’une sélection de 12 bandes dessinées seront diffusés à 1€ dans les librairies partenaires de l’opération en France et en Belgique, la concurrence avec les ventes en ligne s’avère impitoyable et les libraires s’insurgent contre les avantages fiscaux dont Amazon bénéficie. Les prix littéraires ne sauveront pas la librairie où les people adorent dédicacer leurs bouquins écrits par des nègres sous payés, mais ils ont le mérite de mettre en lumière les livres. Eh oui ! A chaque restaurant son prix. Le prix des Hussards doté par Guy Martin (Grand Véfour) et Alain Frances (Maison Mettez) a été remis à Sylvain Tesson pour « Berezina », (Ed Guérin). Michel Déon a rendu hommage à Jacques Laurent à qui Alain Cresciucci (auteur d’une biographie sur Antoine Blondin parue chez Gallimard) a consacré une biographie : « Jacques Laurent à l’œuvre » (Pierre -Guillaume de Roux). Ne pas oublier celle de Bertrand de Saint Vincent, ce
franc tireur qui fut le premier à tirer (Jacques Laurent, Julliard, 1995). A quand une réédition ? Le Prix Vialatte 2015 a été attribué à Jacques A. Bertrand pour sa « Brève histoire des choses » (Ed. Julliard) et l’ensemble de son œuvre. Le jury se compose de deux jurés permanents, Pierre Vialatte et Jean Brousse, représentant du Groupe Centre-France, et de cinq temporaires, renouvelés tous les deux ans : Nathalie Crom, journaliste (responsable des pages littéraires de Télérama), Josyane Savigneau, Paul Fournel, (Président), Baptiste Liger, (Lire, L’Express, Technik’art, Têtu), Augustin Trapenard, (Le Grand journal sur Canal+ et France Inter). Le mot de Paul Fornel : « Le jury a souligné le lien manifeste de cet ouvrage avec les chroniques d’Alexandre Vialatte, y compris « la poussière et le plumeau » et a apprécié le talent de l’auteur à scruter le quotidien le plus anecdotique pour en extraire de la littérature. Il a tenu à saluer également l’ensemble d’une œuvre marquée de mélancolie, de gravité et d’humour dans laquelle les situations les plus graves sont transcendées par un discret sourire et une irréprochable écriture. » Quelques mots sur « Azadi », de Saïdeh Pakravan : Azadi signifie liberté en persan. Nous sommes à Téhéran en juin 2009, les élections ont été truquées. La colère s’empare de la jeunesse. Raha, retrouve ses amis étudiants dans des manifestations, malgré la répression féroce qui sévit. Arrêtée, violée, elle est à l’image de cette génération pleine d’énergie en Iran et dans le monde islamiste soumise à l’intégrisme, à la dictature, à l’arbitraire. Une Antigone qui défend la justice, la liberté, celle de tous, celle des femmes ! Il est 71
vrai qu’ici, les femmes ont le droit de s’exprimer. Audrey Pulvar publiera le 30 avril « Mon rêve français », chez Plon où elle ne cache rien de sa vie personnelle et professionnelle. Rama Yade attaque : son « Anthologie regrettable du machisme en politique », sortira en mai aux éditions du Moment. Elle y cite les « bons mots » des politiques machos et y défend… le combat des femmes. Du côté des éditeurs, chapeau à Grasset. Sous la houlette de Charles Dantzig, la maison lance une nouvelle revue, Le Courage – parce qu’il en faut pour écrire et combattre contre soi - et une collection homonyme. Parmi les livres à paraître dans la collection : une fiction biographique sur Jean-Michel Basquiat par Pierre Ducrozet. Peintre américain d’origine haïtienne dans la mouvance underground, Basquiat fut le protégé d’Andy Warhol et mourut un an après lui, en 1987. Il avait 27 ans. Et puis, il y a des petites maisons qui deviennent grandes. Nichées sur une falaise à Sainte-Marguerite-sur-Mer en Normandie, les Editions des Equateurs crées par Olivier Frébourg tiennent le cap. L’éditeur-écrivain qui publie aussi bien des textes rares comme le splendide Uruguay de Supervielle ou des jeunes romanciers comme Flore Vasseur, peut se réjouir du succès de « Bienvenue au Moyen Âge », de Michel Zink, de « Putain de retraite ! » d’Antoine-Pierre Mariano, de « Velaszquez », d’Elie Faure et d’ « Avis non autorisés »… de Françoise Hardy. Ca bouge dans l’édition. Jocelyn Rigault sera le prochain directeur de J’ai lu. A 39 ans, il quitte la direction de La Martinière pour remplacer Anna Pavlowitch partie en janvier pour s’occuper d’un pôle de littérature
générale chez Flammarion (groupe Madrigall), qui réunit le département littérature. Il y aurait des changements chez Flammarion où Teresa Cremisi, directrice générale de Madrigall, chargée du développement éditorial, en liaison avec Gilles Haéri pour Flammarion et Yvon Girard pour Gallimard, prendrait du champ pour laisser les rennes à Gilles Haéri. Rappelons qu’Antoine Gallimard et Teresa Cremisi sont des complices de longue date. L’éditrice italienne est restée seize ans aux côtés du patron de Gallimard, avant de rejoindre, en 2005, Flammarion, racheté en 2012, pour 250 millions d’euros. Alors que sous la pression commerciale les éditeurs se centrent sur la publication d’auteurs à gros tirages, les éditions Carpentier dirigées par Pierre-Olivier Souverain lancent une collection de premiers romans : « Trois jour »s de Laurence Barry, une déclaration d’amour à la famille. « Alzahel ou les nuits que Shahrâzâd n’eut l’audace de conter » de Bruno Carlisi (li-
braire indépendant à Landerneau), roman d’aventure, conte fantastique. « L’enfer à bout touchant » de Marie Beyer, (15 mai), thriller à Tahiti, un rituel macabre dans la forêt polynésienne. L’édition a encore de beaux jours devant elle !
L’amour a cappella Mathias Ollivier
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LES PRESSIONS, LES MANIPULATIONS, LE CONFORMISME AU COEUR DU SYSTÈME DANS UNE BIOGRAPHIE EXPLOSIVE ! UN TÉMOIGNAGE SANS CONCESSION ! Plus d’informations ici ! 72 EDITIONS ART ACCESS- 18 EUROS - 408 PAGES
Les choix
de Julie
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JEUNESSE
Du vintage pour les plus jeunes! Au t r e m e n t Vintage est « une collection pour découvrir les perles de la littérature de jeunesse du monde entier, des classiques injustement oubliés ou jamais publiés en France, qui se distinguent par leur force littéraire et leurs qualités graphiques. Tout un patrimoine riche et foisonnant qu’il est nécessaire de transmettre aux lecteurs d’aujourd’hui et de demain». L’Histoire de la petite dame qui aimait le bruit a été publiée pour la première fois en 1943 aux Etats-Unis et n’avait jamais traversé l’Atlantique jusqu’à aujourd’hui . Il y est question d’une dame qui a toujours vécu à la ville et qui, lorsqu’elle se retrouve à la campagne, a besoin de bruits autour
d’elle. Elle n’a de cesse, alors, d’accueillir toutes sortes d’animaux pour faire résonner sa ferme d’un vacarme qui lui sied...et devinez quel animal est le plus constant dans le bruit? Les éditions autrement ont choisi de garder les images originellement en noir et blanc de cet album mais en les rehaussant, ça et là, de touches de couleur. Un résultat pertinent! « Ouaf Ouaf! fit le chien en arrivant, et ce joyeux aboiement ravit la petite dame.» Histoire de la petite dame qui aimait le bruit Auteur : Val Teal Illustrateur: Robert Lawson Éditions: Autrement Collection: Vintage Prix:14,50€ Dès 3 ans
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notre indépendance éditoriale 74
JEUNESSE
Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai à quel siècle tu appartiens... gentleman pour le théâtre ou s’enturbanner en six étapes, s’initieront au langage des éventails ou au langage des fleurs... Ludique, coloré, didactique sans être pesant, cet album va devenir un indispensable de toutes les bibliothèques. Fort utile, en effet, pour tous les carnavals, costumes de théâtre à créer sur le pouce, exposés...Parents, prenez-en note! La grande saga de la mode et du costume Éditions Casterman Écrit par Jana Sedláčková Illustré par Tomski & Polanski, Jan Vajda et Stépán Lenk Prix: 14,95€
De la préhistoire à aujourd’hui en passant notamment par l’Egypte ancienne, la Grèce antique, les Barbares, la Chine ancienne, la Renaissance, le style baroque, l’Empire, l’époque victorienne, la BelleEpoque, les années 20/30/40/50/60/70/80 et 90, tous les secrets sur les modes du vêtement,de la chaussure, de la coiffure et du bijou sont à trouver dans ce bouquin intelligent...tout cela décliné avec autant de véracité historique que d’espièglerie humoristique. Les enfants y apprendront notamment comment draper un chiton, s’habiller en
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JEUNESSE
Lucia et la magie du flamenco Une histoire au coeur de l’Espagne, aussi poétique que rayonnante. Porté par les mots enveloppés de magie de Johana Dierickx-Brax et les illustrations chatoyantes de Justine Brax, le jeune lecteur entreprend un voyage attrayant au pays du flamenco. A n’en pas douter les adultes se laisseront aussi charmer par les superbes toiles composées de collages papier, de peintures à l’acrylique et de motifs créés au Posca ! À offrir! « Lucía enfouit son visage dans les robes. Si seulement le temps pouvait s’arrêter ici, avant que Mama se fâche, avant que Mamie Maria-Luisa défende sa cause, et, surtout, avant qu’elle regrette de ne Lucia est une petite fille tétanisée au fond pas y être allée.» du placard de sa maman; il faut dire que, ce soir, elle doit danser le flamenco et Lucia, petite danseuse de flamenco même assumer une partition en solitaire Éditions: De La Martinière Jeunesse et elle est a très mal au ventre à cause du Une histoire de Johana Dierickx-Brax trac. Que dira sa mère si elle n’y va pas? Illustrée par Justine Brax Lucia a un médaillon autour de son cou, Dès 6 ans une petite pièce d’or qu’elle ne quitte ja- En librairie le 2 avril 2015 mais et qui l’emporte dans d’étranges rêves lorsqu’elle la serre très fort contre sa paume. Un médaillon qui permet peutêtre d’exaucer ses voeux les plus chers mais qui lui révèle surtout le pouvoir de la danse sur les esprits des hommes.
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JEUNESSE
Attention à l’épouvantable microbe! moristique en compagnie d’André Bouchard! Après le lion, l’abominable sac à main et le louuuuhouu, un nouveau monstre aussi affreux que désopilant prend la vedette. Et, petits et grands vont apprécier cette récréation livresque à sa juste valeur ; comme dans ses précédents albums, il y règne un humour décalé et une indécrottable espièglerie fort séduisants. Impossible de ne pas adopter Ernest! Mais gaffe quand même...si vous commencez à voir un chat bleu en train de prendre son bain... « Je vous présente l’être le plus dangereux jamais vu sur Terre. Il est mal élevé, il est moche, il est... Que se passe-t-il? ...Vous ne voyez rien? ... Normal, il est MI-NUS-CU-LE! Attendez un moment, je vais chercher le microscope...» Ernest maitre du monde Éditions: Seuil Jeunesse Auteur: André Bouchard Prix: 13,50€ Ernest est vraiment vraiment vraiment une Dès 4 ans calamité pour l’humanité toute entière. Il En librairie le 2 avril 2015
faut s’en méfier et ne surtout pas s’en approcher! Pour preuve? N’avez- vous jamais entendu conter les misères qu’il a fait subir au pauvre professeur Plöck? Gare! Si Ernest réussit à s’immiscer dans votre cerveau, il vous fera entreprendre les actes les plus stupides mais aussi les plus dangereux ! C’est parti pour une nouvelle aventure hu78
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BANDE DESSINÉE
« Je suis quand même content que tu sois venue»
L’histoire débute au Brésil au début de la deuxième grossesse de Patricia. Fabien est un papa déjà comblé avec sa première fille, Louise, et est un peu angoissé, comme tous les parents, parce que c’est le jour de la première échographie où l’on vérifie la clarté nucale du fœtus. « La clarté nucale, c’est le décollement qui apparaît entre la peau et la colonne vertébrale du bébé au
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cours du premier semestre de grossesse. Cette mesure permet notamment d’évaluer le risque de malformation et de détecter l’existence de certaines maladies chez le bébé. Et en particulier la trisomie 21 ( ou syndrome de Down).» Lorsque le gynécologue annonce que tout va bien, Fabien se sent heureux....cependant, Patricia et lui-même jouent-ils de malchance ou est-ce le destin qui est en route, malgré les examens nombreux et leur retour en France, ce n’est que quelques jours après la naissance de Julia que les médecins leur annoncent que Julia est une enfant « spéciale» comme l’on dit au Brésil. Si Patricia s’effondre dans la tristesse, son amour pour Julia ne cesse de grandir dès qu’elle peut être en contact avec elle. Pour Fabien, tout est plus compliqué et il faudra du temps, de l’aide et les sourires adorables de la petite Julia pour vaincre les angoisses et la douleur d’un père qui se trouve face à une fille qu’il n’attendait pas. «Ce n’est pas toi que j’attendais» est un album bouleversant parce qu’on s’y exprime avec autant de sincérité que d’amour. Il évoque tout le désespoir, la violence et la colère qui ont secoué l’âme d’un papa durant les premiers mois de vie de sa petite fille trisomique. C’est un témoignage qui touchera tout le monde et permettra
de faire évoluer sans aucun doute le regard encore trop compatissant, maladroit et forcément blessant des gens sur cet handicap. Julia, «l’enfant bisou», trouve sa place dans une famille aimante et souriante....et si la vie réserve des surprises, l’amour assurément vainc tout. Un album qui vous arrachera des larmes à coup sûr mais qui, à l’instar du rendez-vous que Julien et Patricia ont avec le Docteur Lebrun, rendra plus léger tous ceux qui vivent une situation similaire, s’apprêtent à avoir des enfants et sont emplis d’inquiétude ou tout simplement vivront cette «aventure humaine» comme une nouvelle preuve que la différence n’est pas une fatalité quand l’intelligence et la sensibilité ouvrent les yeux et révèlent les trésors et les potentiels que recèlent chaque petit coeur qui bat. Et merci à Fabien Toulmé d’offrir à ses lecteurs quelques photos de «sa princesse»...une conclusion attendrissante et souriante qui achève de conquérir son lecteur!
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Ce n’est pas toi que j’attendais Auteur: Fabien Toulmé Éditions: Delcourt Parution: octobre 2014 Prix: 18,95€
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BANDE DESSINÉE
Glenn Gould : « Reste avec moi et tiens-toi à distance» à l’excès, perfectionniste et exigeant, et qui entretient - pour l’anecdote- avec son tabouret de piano, bricolé par son père, une relation si fusionnelle qu’elle était souvent source de tracasseries pour les techniciens du son chargés des enregistrements audio. Une biographie sensible qui invite, avec délicatesse et poésie, à rencontrer un génie solitaire ; un voyage au cœur des émotions et de la musique qui passionnera même ceux qui n’avaient qu’une idée vague du destin et du rayonnement artistique de cette star planétaire. Truffé d’analepses, d’anecdotes, d’inserts et de vignettes fantasmagoriques, cette biographie recèle une dimension onirique puissante qui en fait un ouvrage fort séduisant!
Né en 1932 à Toronto et mort suite à un accident vasculaire cérébral en 1982, Glenn Gould était un pianiste, compositeur, homme de radio, écrivain et réalisateur canadien. Célèbre pour ses interprétations au piano du répertoire baroque, en particulier pour ses deux enregistrements des Variations Goldberg de Bach, ce virtuose était plus à l’aise avec les animaux que les humains, avec un micro qu’avec un public et abandonna ainsi rapidement sa carrière de concertiste afin de se consacrer aux enregistrements en studio et à la production d’émissions de radio pour Radio-Canada. Sandrine Revel offre un portrait émouvant d’un artiste hors-normes, hypocondriaque 84
Glenn Gould, une vie à contretemps Éditions: Dargaud Auteur: Sandrine Revel 128 pages - prix: 21€ En librairie depuis le 20 mars 2015
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« Je mourrai comme j’ai vécu, avec un sentiment de profonde liberté»
Sartre, Jean-Paul Sartre. Beaucoup, peutêtre, n’en sauraient guère plus qu’Albert Dupontel dans son sketch du bac de 1990 sur le philosophe qui a fait naître la notion de l’existentialisme. Mathilde Ramadier et Anais Depommier proposent de réparer tous nos manques : deux
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auteures talentueuses pour narrer l’existence d’un homme engagé - voilà qui ferait grand plaisir à Simone de Beauvoir! De son enfance bourgeoise, choyé par sa mère et son grand-père, à l’école normale supérieure et ses premiers postes de professeur, de sa rencontre avec Paul Nizan à « l’amour nécessaire» qu’il porte à son «castor», la libertaire et brillante Simone de Beauvoir, de la fondation de la revue des Temps Modernes à la volonté de faire acte de résistance sous Vichy, des voyages en Allemagne, aux EtatsUnis, en Chine, à Cuba à la lente prise de conscience d’une réalité communiste qui ne colle pas avec les principes idéalistes, cette biographie est passionnante de bout en bout! Les dialogues, bien sûr, nécessitent une concentration particulière puisque l’on n’y côtoie que de brillants esprits mais néophytes et connaisseurs sauront jouir de cette biographie attrayante qui donne envie de (re)plonger dans la Nausée, les Mots ou encore Le deuxième Sexe ou Les Mandarins. En effet, l’importance
accordée à l’amante de Sartre ajoute au caractère vivant et foisonnant de cet album. En outre, un arbre généalogique de la famille du philosophe ainsi qu’un index en fin d’album réunissant tous ceux qui ont côtoyé Jean-Paul Sartre et Simone de Beaucoir Beauvoir ont un côté pratique et pédagogique fort utiles. L’idéalisme chevillé au corps, le féminisme et le goût pour le questionnement et la vie intellectuelle font battre le pouls de cet album et laissent derrière eux un parfum étrangement nostalgique...un coup de coeur ! Sartre. Une existence, des libertés. Éditions Dargaud Scénario: Mathilde Ramadier Dessin: Anais Depommier 136 pages Prix: 17,95€ En librairie le 20 mars 201s.
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BANDE DESSINÉE JEUNESSE
Une fable philosophique au coeur des montagnes
l’attendre - s’il le peut. Une quête initiatique racontée avec beaucoup de sensibilité et de poésie au travers des mots aussi accessibles que spirituels de Séverine Gauthier et le graphisme tendre et attrayant d’Amélie Fléchais. Voilà une fort jolie histoire ,narrée en mots et en cases, qui séduira assurément petits et grands. On ne saura trop dire pourquoi ni comment mais il semble que sur le dos du vent-oiseau, le coeur soit plus léger, la réalité du deuil plus supportable et la magie de l’enfance renouvelé! L’homme montagne Éditions Delcourt Jeunesse Scénario: Séverine Gauthier Dessin: Amélie Fléchais Prix: 10,95€ En librairie le 18 mars 2015 A partir de 6 ans Il était une fois un petit garçon qui avait un grand-père qui se préparait à faire son tout dernier voyage et l’enfant ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait pas accompagner son aïeul. Alors son grand-père lui explique que les montagnes qu’il porte sur son dos commencent à peser trop lourd et que le vent ne suffit plus, aujourd’hui, à le porter. L’enfant propose d’aller à la rencontre du vent pour solliciter son aide et Grand-Père accepte de 92
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LES TOUT-PETITS
Lion contre Ours! ÉNORME secret? Une histoire espiègle qui fera rire les tout-petits à coup sûr! Titre : Comment cacher un lion à Mamie Éditions: Les albums Casterman Auteur: Helen Stephens Traduction: Rémi Stefani Prix: 13,95€ Dès 3 ans En librairie le 4 mars 2015
Iris a un lion, un lion aussi énorme que doux qui lui tient office de peluche vivante. De quoi faire rêver tous les enfants de la planète! Ce week-end, c’est Mamie qui vient la garder. Comment va-t-elle faire pour lui cacher ce compagnon de taille? Heureusement Mamie est tellement myope qu’elle ne s’aperçoit de rien! Ah vraiment, cette Mamie! C’est un phénomène... D’ailleurs, que cache-t-elle dans l’énorme malle qu’elle a pris soin de monter dans sa chambre, qui émet des grognements bizarres et semble nécessiter beaucoup d’attentions chaque soir? Mamie aurait-elle elle aussi un
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Les maîtres inquisiteurs:
Une nouvelle série concept d’héroïc fantasy à découvrir chez Soleil
Obeyron est le pire inquisiteur qui soit : intransigeant, ne tolérant aucune déviance et aucun vice, il fait subir aux criminels des tortures dont ils lui sont rancuniers jusqu’à la mort. Maitre inquisiteur pour lutter contre le crime, depuis que la grande guerre qui a ravagé le monde d’Oscitan est terminée, il ne rend des comptes qu’à la Justice et ses méthodes sont si controversées qu’elles vont lui jouer de très vilains tours! Les inconditionnels de la série Elfes dont l’univers a été créé par Jean-Luc Istin n’hésiteront pas puisqu’il est ici aussi aux commandes de l’Empire du Nord-Oscitan. Un graphisme impeccable, un scénario enlevé, tous les ingrédients indispensables sont présents pour débuter avec pertinence cette nouvelle série. Obeyron est tout aussi infréquentable et brut de décoffrage que son elfe Jaren est conciliant et sage. Ce duo en contrepoint séduira à n’en pas douter tous les amateurs du genre! Six tomes. Chaque album réunissant une équipe d’auteurs différents. Dans chaque tome, une enquête avec deux personnages : un inquisiteur ancien mage et son elfe. Le sixième tome permettra de lier les dix caractères présentés dans les tomes précédents dans une ultime démarche pour démasquer leur ennemi commun.
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Titre de la série: Les maîtres inquisiteurs Tome 1: Obeyron Éditions: Soleil Collection: Héroïc Fantasy Auteurs: Olivier Péru & Pierre-Denis Goux 56 pages
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THE DEEP END
QUANTUM
Skinny Chick Records
Effendi Record
Jamila ford
Emie R. Roussel TRIO
UN POISSON DANS LE DÉSERT World Kora Trio Passe minuit
Jamila Ford a commencé les scènes jazz en tant que choriste d’artistes de premier plan comme Mélody Gardot. Puis la chanteuse a décidé de se lancer solo dès le début des années 2000. The Deep End est sa dernière production qui s’appuie sur 5 titres ( 4 reprises et 1 composition) où l’on retrouve avec plaisir Jamila Ford et son chant assuré, élégant tout en délicatesse. On attirera votre attention sur ce délicieux Silencio, composition originale de Jamila Ford qui, teinté de bossa nova, laisse une belle impression du talent de la chanteuse à nous étonner dans les mois à venir. Déjà une valeur sûre !
Emie R. Roussel Trio étonne par la justesse et la maturité de son jeu dans ce nouvel album Quantum. Lorsqu’on prend la définition de Quantum, tout laisse à penser que ce projet tendra vers une forme minimaliste. Bien au contraire, il répond à un véritable projet musical emmené par la pianiste Emie où chaque note est pesée avec soin autour des 9 pièces qui composent cet album qui ravira avant tout les amateurs de jazz mais pourrait s’étendre à un public plus large pour ceux qui prendront le temps de l’apprivoiser.
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On pourrait se demander qu’est ce qui rapproche le violoncelle, le Kora (instrument africain) et des percussions : le World Kora Trio sous la houlette de l’américain Eric Longsworth (violoncelle) accompagné de Chérif Soumano (Kora) et de David Mirandon ( percussions) se sont associés pour proposer un ovni musical, suprenant au premier abord mais qui se laisse rapidement apprivoiser. Entre Jazz et musique du monde, le World Kora Trio innove.
MEDIA LUZ
Jean-Marie Machado Dave Liebman, Claude Stötter & Quator
PROSPECT HILL
TIME & THE RIVER
DixieFrog
OKEH MUSIC
Dom Flemons
DAVID SANBORN
La Buissonne
On ne le dira jamais et les exemples sont infinis. La musique est bien souvent une histoire de rencontres, de partages et d’affinités. C’est encore vrai avec Media Luz où le pianiste Jean-Marie Machado et le saxophoniste Dave Liebman ont convié sur ce nouvel album Claus Stötter ( Trompette) et le Quatuor Psophos pour nous donner à écouter un Jazz de chambre à la confluences des inspirations européennes et américaines. Un projet sous clair-obscur de sons et d’influences. À découvrir.
Retour aux sources de la musique folklorique avec Dom Flemons qui a quitté les Carolina Chocolate Drops ( qu’il a fondé) pour se lancer sur les routes avec son Prospect Hill chargé d’émotions et de cette sève sucrée et folk du rêve américain. On vous recommande très ardemment d’écouter Dom Flemons et de découvrir le très beau clip « Too Long (i’ve been gone» morceau phare de son album. Visitez l’Amérique de Dom Flemons !
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David Sandborn et Marcus Miller se retrouvent pour ce nouveau projet, eux qui n’avaient rien entrepris ensemble depuis 1999 sur l’album Inside (Elektra). Les revoila réunis sur Time and the river où David Sandborn insuffle avec son saxophone alto la belle consistance de ce projet. Marcus Miller finit de porter à l’équilibre les 9 morceaux de l’album. La chanteuse Randy Craword se joint notamment au projet sur windmills of your mind ou elle apporte cette de sensualite a un morceau qui l’exige. A decouvrir.
ALFAMA
NOËMI WAYSFELD & BLIK AWZ RECORDS
DEE DEE’S FEATHERS
DEE DEE BRIDGEWATER & IRVIN MAYFILED
MODERN TIMES YONATHAN AVISHAI JAZZ & PEOPLE
OKEH MUSIC La fascinante Noëmi Waysfeld avait chanté dans son premier album « Kalyma» la complainte des déportés du goulag et des prisonniers sibériens avec une puissance qui lui avait valu avec sa formation Blick ( «regard» en Yiddish ) un enthousiasme retentissant pour son travail. Elle revient cette foisci avec son nouveau album Alfama et les ruelles de Lisbonne où elle interprête merveilleusement une déclinaison de Fado. De l’Europe centrale à Lisbonne Noëmi WaysFeld nous fait vivre une immersion totale des émotions qui laisse sans voix. Coup de coeur !
Dee Dee Bridgewater qui ne souhaitait pas vieillir sur scène continue pour notre plus grand plaisir de se produire et de se lancer dans de nouveau projet à plus de 60 ans. Comme quoi les grandes voix résonnent toujours. Cette fois-ci, elle s’associe au trompettiste Irvin Mayfield qui a fondé The New Orleans Jazz Orchestra pour un nouvel album consacré au swing et aux grands airs de la Nouvelle Orléans. Dee Dee ‘s Feathers est un album déjà incontournable où Dee Dee Bridgewater resplendit sous le jeu élégant d’Irvin Mayfiled et de son orchestre !
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On n’accompagne pas le contrebassiste Omer Avital ( que nous avions reçu dans le BSC NEWS) sans une once de talent. Yonathan Avishai est de ceux qui ont entouré la fabuleuse épopée d’Omer Avital. Et comme la musique le réclame l’indépendance frétille chez certains musiciens qui comme Yonathan Avishai a décidé de lancer son trio. De là est né Modern Times Trio dans lequel s’ouvre un espace de finesse où chaque note a sa résonnance. Voilà un album joué sans artifice qui laisse apprécier le style rigoureux et soigné de Yonathan Avishai. Un très beau disque !
PAST PRESENT FUTURE DAFUNIKS
SOUL GUMBO
RAPHAEL WRESSING PEPPER CAKE RECORDS
MICHEL REIS QUARTET DOUBLE MOON RECORDS
UNDERDOGS RECORDS
Le nouveau projet des Dafuniks se prêtera bien aux premières effluves du printemps avec ses reflets Soul et son groove magnétique. La recette de la réussite ? De la soul et du hip-hop, des breaks beats et des instruments pour lier la mélodie. Le morceau Danse figure déjà comme la bonne piste qui devrait tirer ce nouvel album sur les rives du succès. Convient à tout le monde surtout en cette période de premières douceurs. N’attendez pas pour vous procurer Past Present Future !
CAPTURING THIS MOMENT
Un autrichien fou amoureux de la Nouvelle-Orléans qui revient avec dans ses bagages un album détonnant enthousiasmant, c’est à peu près les ingrédients magiques de ce Soul Gumbo proposé par Raphael Wressing qui a invité pour l’occasion des deux musiciens de choix pour l’accompagner sur ce nouveau projet. Le guitariste Alex Schultz et le saxophoniste Craig Handy sont de la partie pour donner tout son équilibre à cet album. Frottez-vous au Soul Gombo ( autrichien...) 103
Michel Reis n’est pas un inconnu dans les colonnes musicales du BSC NEWS. Nous en avions parlé lorsqu’il était l’une des pièces maitresses de l’excellent trio luxembourgeois Reis-Demuth-Wiltgen (label laborie Jazz). Aujourd’hui, Michel Reis revient en tant que leader du Paris Quartet qui propose un nouvel album en 14 compositions écrites spécialement pour la totale (et libre) expression des musiciens. Projet intéressant réservé tout de même à un public d’avertis.
JAZZ CLUB
Agathe Iracema Une voix envoûtante
Agathe Iracema est franco-brésilienne, élevée dans la musique en général et dans le Jazz en particulier. La jeune chanteuse vit littéralement pour la musique. Ce nouvel album «Feeling Live» de sa formation Agathe Jazz Quartet est une démonstration formidable de talent, de fraîcheur, de maîtrise et de plaisir. Elle nous a accordée une longue interview où elle évoque à coeur ouvert son indissociable bonheur musical de ce qu’elle est au plus profond de son identité.
Propos recueillis par Nicolas Vidal - Crédit photos Lu... & Jean Freeztz / Véronique Vial 104
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Pourquoi votre choix pour cet album s’est-il posé sur un programme hybride entre reprises et compositions ?
J’ai eu la chance de commencer à chanter dans ce Quartet très jeune, vers 15 ans. À l’époque, j’écrivais déjà quelques poèmes, des textes et quelques chansons de temps en temps. Mais je ne m’imaginais pas du tout les dire sur scène. Il faut dire que j’ai placé la barre très haute dès le début. Nous avons monté un répertoire de standards de Jazz avec le contrebassiste Juan-Sébastien Jimenez qui était déjà un musicien aguerri. Il m’a proposé toute une série d’arrangements qui m’ont beaucoup enthousiasmés, avant de me présenter à des musiciens professionnels. Quelques mois plus tard, le Agathe Jazz Quartet donnait son premier concert au Café Universel Jazz Club. J’ai commencé à apprendre le métier sur le tas. Cela a mis du temps avant de proposer mes premières compositions ‘’ Believe in Romance’’ et ‘’Mister perfect game’’ notamment .. J’ai passé beaucoup de temps, et j’ai pris beaucoup de plaisir à déveloper tout ce qui touche au travail d’interprétation, de diction et d’improvisation. Avec les années, j’ai peu à peu pris de l’assurance et j’ai commencé à proposer quelque chose de plus personnel. J’ai toujours été énormément inspirée par les propositions de Sébastien Jimenez et je continue de travailler avec lui pour développer mes idées et les mettre en forme. Nous avons co-écrit la plupart des arrangements de ce nouveau projet, certains ont été entièrement ré-arrangés par J.S Jimenez 106
comme ‘‘Soflty as in a morning sunrise», Un vrai coup de coeur. À ce jour, Il y a quatre (dont trois nouvelles) compositions dans le répertoire. Je continue de travailler sur de nouvelles compositions, et de nouvelles idées d’arrangements. Comme beaucoup, j’adore reprendre de vieux morceaux et les faire revivre sur scène, comme reprendre de grands Hits. Lorsque l’inspiration est au rendez vous, je trouve naturellement une façon de les réinterpréter à ma manière. Une fois que je connais la chanson, ça me vient tout naturellement ou je cherche autre chose. Quoi qu’il en soit, je cherche comme beaucoup à créer quelque chose d’authentique et d’unique. J’aimerais composer d’avantage.. Le temps fait son oeuvre. En attendant, je m’essaie chaque jour à l’éveil de cette impulsion créatrice naturelle. À travers la musique, la peinture, ou sous n’importe quelque autre forme que ce soit.
Quand êtes-vous tombée amoureuse de la musique, Agathe Iracema ? J’ai toujours aimé la musique aussi loin que je me souvienne.
D’où vient le titre de l’album Feeling Alive ?
C’est le titre de l’une des compositions de l’album que j’avais commencé à écrire il y a quelques années déjà. Un premier jet resté sur le côté, repris et développé tout au long de l’élaboration de ce projet. C’est un morceau qui parle de mon rapport à la musique, et plus implicitement de mon rapport au public. De cette force qui m’anime, qui nous rassemble les uns autres autour de ce projet,
et de la musique en général. Il y a eu un petit temps de réflexion, mais une fois l’album enregistré, le Titre «Feeling Alive» sonnait comme une évidence. C’est une déclaration, un souhait, un vœu d’allégeance à la musique et l’amour. Et une façon de dire merci à la vie et à tous ces gens qui soutiennent ce projet de près ou de loin. Cet album, c’est un peu l’aboutissement de 7 années de travail avec le Agathe Jazz Quartet. Le témoignage de belles leçons de vie, et l’envie de les partager avec qui veut.
Comment définiriez-vous vos racines musicales et quelles places ont-elles dans votre musique ?
Bonne question ... Je m’enracine encore un peu plus chaque jour... ( rires). Ayant grandi dans une famille de mélomanes, j’ai eu la chance d’entendre une grande diversité de genres musicaux et ce, dès mon plus jeune âge. Je dansais avant même de savoir vraiment marcher.. J’en déduis 107
que j’ai toujours été sensible à la musique. C’est cette sensibilité qui me porte aujourd’hui. Née en France d’origine Brésilienne, j’ai eu la chance de grandir avec une double culture. Cela ouvre sur beaucoup de choses. Une infinité de chose, à découvrir et redécouvrir. Alors j’ai un peu de mal à prendre racine parfois, j’aurais plutôt tendance à partir dans tous les sens, là ou bon me semble. J’aime l’idée de pouvoir passer d’un genre à un autre. D’un style à un autre. Mais ce n’est sûrement pas la meilleure façon de développer quelque chose de concret. Alors, j’essaie de me concentrer sur une chose à la fois. Certains verront ce projet comme un exercice de style. Mais pour moi, c’est bien plus que ça. J’y mets toute mon âme. Je me suis véritablement passionnée pour les chanteuses comme Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Nat king cole, Carmen Macrea, Nina Simone, Cab Caloway... La liste est très longue.. Mais j’ai aus-
si été profondément touchée par des musiciens comme Kenny Barron, T.Monk, Horace Silver, Chet Baker, Dave Brubeck, Marie-Lou Williams et les musiciens qui les ont accompagnés. Là aussi la liste est longue. Je n’en finis pas de découvrir les merveilles proposées par les artistes qui ont marqués les grands courants musicaux americains des années 1930 aux années 1980. Et ne parlons même pas de la Motown, du rock et ses différents courants ! Il y a tellement de choses dont je suis fan. J’aime tout ce qui donne envie de croquer la vie à pleine dents ou qui aide à mieux la comprendre et mieux la vivre. C’est là tout l’intérêt de la musique, non? C’est cela qui me donne des ailes ! Et si je me suis lancée à fond dans un quartet de Jazz, c’est parce que c’est une musique qui m’a emplit jusqu’au plus profond de mon âme, un moyen d’expier ma souffrance et mes peurs. C’était aussi pour moi une musique de grand ! (rire) - Et je voulais être une grande! (rire) mais
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surtout une musique de liberté, et de joie de vivre avant tout même s’il existe un foule de contre exemples. Quand je vois la considération et la place du jazz aujourd’hui à l’échelle planétaire, comme un vestige figé, à conserver tel quel et qui subsiste à travers les grandes légende du jazz encore vivantes et les virtuoses, les interprètes contemporains des standards de jazz. J’ai envie de faire partie des gens qui le défendent comme une musique actuelle, pour ce qu’il est, et non pas ce qu’il a été afin de mieux le comprendre et de le partager. Les artistes comme Esperanza Spalding ou Gregory Porter me donnent de l’espoir. Cette musique m’a apporté tellement de réconfort et m’a fait tellement de bien. Quand je vois que la musique la plus diffusée aujourd’hui est la musique commerciale, cela me donne envie de me battre. Je n’ai même pas l’impression d’avoir le choix. J’espère faire un jour partie des artistes qui ramèneront une
suis revenue le voir alors qu’il passait au New Morning à Paris quelques mois plus tard. J’ai eu la chance de pouvoir discuter avec lui et son équipe, et cette discussion s’est soldée par ses paroles : « Si tu a besoin d’un Tromboniste, voilà mon numéro de téléphone» j’ai tout de suite sauté sur l’occasion!
Quel rapport entretenez-vous avec le chant ? Auriez-vous pu jouer d’un instrument ?
musique honnête et éthique sur le devant de la scène, la musique digne de l’héritage des grands noms qui ont marqué l’Histoire de la Musique, et qui nous sauvent aujourd’hui de la misère culturelle. comme celle de Stevie Wonder! Si j’ai un idole, c’est bien lui ou Djavan! Pour moi ils sont tout ce qu’un musicien peut espérer être.
Pourquoi ce choix d’inviter Nicolas Folmer (trompette) et Mr Funk Trombone Fred Wesley sur cet album ?
Nicolas Folmer, c’est la bonne fortune. Une rencontre, des connaissances communes avec Rémi Vignolo qui nous ont mis en relation. Cette rencontre s’est faite naturellement. On s’est dit que ce serait super un solo de trompette sur «Go lost». Ensuite, le nom de Nicolas est très vite revenu dans les esprits et nous avons eu la chance de pouvoir faire ça avec lui. Fred Wesley, j’ai eu la chance de faire une des ses premières parties. C’était la première prise de contact. Je
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J’aime toucher à tous les instruments. Je ne sais pas vraiment comment et où trouver le temps d’approfondir la pratique d’un instrument en particulier afin de pouvoir m’accompagner, ni lequel. Je joue donc un peu de piano, un peu de guitare, un peu de percussion. J’aime m’essayer à la batterie, à la basse. J’ai fait de la contrebasse au conservatoire pendant deux ans mais je ne n’en ai pas retenu grand chose. La pratique s’oublie bien plus vite que le vélo. Le chant, c’est une approche beaucoup plus directe et beaucoup plus spontanée. J’ai dépassé de loin le niveau que je peux avoir avec un instrument depuis longtemps. mais je ne désespère pas qu’un jour, on entende autre chose que de mes cordes vocales. En attendant je cherche les musiciens qui me parlent et qui m’inspirent.. Et j’ai de la chance. Je trouve!
Sur scène, vous semblez prendre un plaisir immense à chanter jouant avec votre propre voix. Est-ce le cas ? Bien sur! Je chante et je joue aussi. Dans l’interprétation, il y a un peu d’acting. Mais je joue ce qui me plait. Personne ne m’impose de choix artistique. Je n’ai aucune raison de faire sem-
blant de prendre du plaisir. et je ne fais pas que chanter la joie et la bonne humeur. Je chante également ma colère et mon indignation aussi, je chante ma tristesse. En somme, je chante la vie!C’est loin d’être que de plaisir. Car «tout ce qui n’est pas un plaisir et une expérience» Plaisir ou pas, c’est de l’Amour!
De quelle chanteuse de Jazz vous sentez-vous le plus proche ?
Je ne sais pas. Je ne me considère pas exclusivement comme un chanteuse de Jazz. Et je ne souhaite en aucune cas être madame Bis, J’essaye de faire ma sauce et j’assaisonne avec un peu avec les artiste que j’aime. Mais ils sont trop nombreux pour en faire une liste détaillée.
Si vous deviez mettre en avant un seul morceau de cet album qui vous représente le mieux, lequel serait-il ? Feeling alive
Agathe Jazz Quartet Feeling Alive Neu Klang Records www.agathe.nanacola.fr
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LE JAZZ-CLUB.COM
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FOLK
Jawhar Propos recueillis par Nicolas Vidal - Photos Lale Akat HIGHRES
Son propos est riche. Son univers musical est aussi épais que sa conscience aïgue de la liberté. L’artiste tunisien Jawhar se défend des étiquettes qu’on tente de lui coller et revient avec un nouvel album «Qibla wa Qobla» aux accents folk. Comme un retour aux sources, Jawhar dit luimême qu’il cohabite «avec le sensuel et le sacré». Il est avant toute chose un artiste tout en sensibilité et en réflexion. Une belle découverte entre les mots, la poésie et les notes ! 112
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En quoi votre album est quelque un album profondément folk ?
j’ai juste continué à le faire plus tard avec un vrai instrument quand je suis parti à l’étranger et que j’avais du temps pour moi et enfin une guitare entre les mains... Tout en continuant à découvrir des choses, et c’est vrai que Nick Drake a été un vrai coup de foudre. Je l’ai écouté pour la première fois chez un ami et ce dernier, en voyant l’effet que cela avait sur moi, m’a tout de suite passé le coffret des 4 disques en disant « tu le gardes tant que tu veux », et je suis rentré illico m’isoler avec le Nick. J’avais l’impression de découvrir un frère dont je ne soupçonnais pas l’existence… Mais plus globalement, je me suis vite senti chez moi dans ce qu’on appelle le folk. C’est donc tout naturellement que ces deux univers ou ces deux cultures se retrouvent aujourd’hui dans mes chansons, ma culture musicale d’enfance et celle que je me suis choisie et forgée plus tard…
Qu’est ce qui vous a poussé à explorer vos racines à l’aide de ces influences musicales ?
Pouvez-vous nous éclairer sur le titre de votre album ?
Si on considère que le folk englobe quelque chose de plus large et plus universel que le folk américain ou anglo-saxon alors oui, c’est un album folk. Pour moi, le folk c’est de plus en plus cet art de développer un univers et un propos avec juste un instrument et une voix. Dans ce sens, Cheikh Imam ou Dahmane Harrachi font en quelque sorte du folk, bien que plus concrètement le premier s’inscrit dans un courant de «musique engagée arabe» et le deuxième est clairement un des piliers du « Chaâbi algérien », et finalement la musique engagée (protest song) et chaâbi (populaire, for the folk!) sont deux aspects qui ont construit l’identité du folk au départ... Mais c’est vrai que, musicalement parlant, mon folk à moi se tourne plus du côté d’un Nick Drake ou d’un John Martyn...
C’est un cheminement qui s’est fait tout seul. Il n’y avait pas vraiment de choix prédéfini mais une résultante d’un parcours personnel. J’ai grandi en Tunisie donc ma première culture musicale se trouve du côté d’Oum Kalthoum ou Marcel Khalife, c’est ce que mes parents écoutaient quand j’étais gosse. Plus tard, je me faisais des cassettes en écoutant la radio dans ma chambre, j’appuyais sur « rec » à chaque fois qu’un truc me plaisait, c’était surtout du rock et de la variété. Et c’est encore plus tard en partant à l’étranger que j’ai découvert le chaâbi algérien et les auteur-compositeurs anglo-saxons qui m’ont vraiment interpellé. Ce qui m’avait frappé dans le folk occidental ou même la musique pop en général c’est cette liberté et cette possibilité d’exprimer quelque chose avec peu, avec peu de bagage technique en tous cas. Je viens d’une culture où si on n’a pas commencé le chant ou un instrument avant l’âge de 11 ans, on ne peut pas prétendre à devenir musicien, un peu comme en Inde, j’imagine ou ces pays où la musique est une discipline très codée... Hors, toute mon adolescence, je ne jouais pas encore d’un instrument mais je me sentais déjà musicien dans l’âme et je composais quelque part dans ma tête...
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Qibla Wa Qobla veut dire «le baiser et l’orientation de la prière». Mais c’est pour moi avant tout un titre musical. Je cherchais un titre qui puisse sonner indépendamment du sens qu’il devait véhiculer, et de sa langue originelle ; qui puisse être prononcé en arabe ou en français ou en russe tout en continuant à sonner, presque au mépris du sens. Peut être une façon de dire que la musique est plus forte que l’intellect… Ensuite, au niveau du sens justement, j’ai trouvé qu’il représentait bien mon univers, avec cette cohabitation du sensuel et du sacré, deux aspects assez présents dans mon écriture...
Quel est pour vous le fil rouge entre l’Orient et le Folk ?
Je ne sais pas, il peut difficilement y avoir un fil rouge entre une chose aussi vaste que l’orient et une chose aussi spécifique que le folk. Par contre si vous me demandez quel est le fil rouge entre un Cheikh Imam et un Nick Drake je dirais la solitude, la solitude d’un homme face au fossé qui le sépare d’un monde qu’il ne peut embrasser, car le premier est aussi aveugle (physiquement) que le deuxième est timide, et tous les deux cherchent à combler ce fossé en se créant un nouveau monde avec une voix
Cet album a-t-il une valeur particulière dans votre carrière ?
Oui, carrément. Il a une valeur très symbolique. C’est à la fois mon retour à la musique après une longue absence suite au premier album, « When Rainbows Call My Rainbows Fly », et les divers questionnements qu’il a suscité en moi, et du coup aussi un retour aux sources… Après, il ne faut pas donner trop de poids aux symboles car ils deviennent vite des fardeaux. Donc vivement la suite…
Quel regard portez-vous sur la Tunisie aujourd’hui quelques temps seulement après l’attentat du Musée du Bardo ?
et un instrument… C’est quand même intrigant, des fois je me demande à quoi ça ressemblait le premier homme qui a commencé à taper sur un objet et à chanter… Quelqu’un m’a déjà posé la question « pourquoi on chante ? », c’est une question que pourrait poser un enfant, et pourtant les enfants chantent sans se poser de questions…
On lit que votre présentation que vous avez réinventé la chanson d’amour tunisienne. Quelle portée cela a pour vous ?
Haha... je me trimballe cette « réputation » depuis la pièce Hobb Story dans laquelle j’ai en effet essayé d’écrire des chansons d’amour qui soient en rupture avec la chanson carte postale qui envahit les ondes et les satellites orientaux… C’était une pièce sur l’amour et le sexe dans le monde arabe. Un sujet qu’on a voulu traiter loin des clichés, à travers des vrais faits divers qui montraient la complexité, les tabous et la violence dans les rapports (ou les non-rapports au sein des sociétés arabes). J’ai donc choisi d’écrire les chansons de la pièce dans une langue tunisienne très vernaculaire et j’ai essayé de faire en sorte que la complexité et la violence soient présentes dans mes « chansons d’amour ».
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C’est un peu difficile de décrire mon sentiment car on devient un peu insensible tellement le pays nous a fait passer par des sentiments contradictoires ces dernières années. Indépendamment des attentats qui auraient pu se passer dans n’importe quel autre coin de la terre et qui font partie du tableau général du monde aujourd’hui et du paysage politique maussade qui le régit, je suis triste de voir que finalement pas grand chose a changé en Tunisie, que ceux qui sont animés par une volonté de changer les choses sont toujours mis à l’écart. Déçu que pas une seule voix de la génération des opposants de Ben Ali ne soit sortie du lot, que pas une seule n’ait été portée par tous les démocrates unis, qu’il a fallu qu’un monsieur de plus de 80 ans vienne chatouiller la bonne vieille nostalgie bourguibienne des tunisiens pour qu’ils se décident à voter utile pour contrer les islamistes. Nous avons voté utile et maintenant ceux pour qui on a voté font leur vie de politiciens, ils font des alliances utiles notamment avec les islamistes, des marchés utiles, des protocoles utiles, etc, au mépris des aspirations des votants, tout ça ne changera pas, c’est une vie avortée d’avance que celle de la politique…
On lit de vous que vous êtes également dramaturge et comédien. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Oui, le théâtre a toujours été là, mes parents en ont fait et ils nous emmenaient voir des pièces assez
souvent. Tout comme la musique je m’y suis mis assez tard, en quittant le nid familial pour l’étranger, ça faisait partie des choses qu’il fallait que je fasse seul et dans un environnement neuf et neutre. D’abord à l’université en langue anglaise puis au conservatoire et ensuite j’ai un peu travaillé en tant que comédien sur quelques projets. Depuis quelques années, je travaille surtout avec Lotfi Achour et Anissa Daoud au sein d’une compagnie que nous avons fondé pendant la création de notre première pièce commune Hobb Story, qui a été ma première rencontre avec le public tunisien et un déclencheur pour l’écriture en arabe pour moi. Il y a deux ans nous avons fait une adaptation très libre de Macbeth en tunisien pour le World Shakespeare Festival. Je jouais le rôle de Maczine (ben ali en Macbeth), je composais la musique et les chansons, et je me suis aussi beaucoup investi dans l’écriture dramaturgique de la pièce. J’ai une écriture particulière, assez musicale je pense… j’ai aussi écrit une autre pièce que je n’ai pas exploi-
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tée ou donnée à mettre en scène, elle attend dans un tiroir…
Si vous deviez définir votre album en 2 mots, que diriez-vous ?
Je l’ai déjà fait dans le titre : Qibla et Qobla . Pour ce qui est de mettre des adjectifs ce n’est vraiment pas de mon ressort. Le peu de recul que j’ai ne peut qu’être biaisé. J’aime entendre ce que les gens y projettent par contre.
Ou pourra-t-on vous voir sur scène dans les prochaines semaines ? Je serai au Pan Piper à Paris le 27 avril.
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JAZZ CLUB
Rose Betty Klub
Une jeune formation qui assume le côté vintage et puls une aisance démoniaque et une candeur revigorante ! C verte que nous avons fait pour vous ce mois-ci avec le R enflamme les scènes montpelliéraines ( et au-delà ! )dep est l’année de leur premier album « Good». Il était don BSC NEWS s’y intéresse. Réjouissant ! Propos recueillis par Nicolas Vidal - photos Hélène Berly 118
satile du Swing avec C’est la belle dÊcouRose Betty Klub qui puis 2011. Mais 2015 nc le moment que le
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Pourquoi d’abord ce choix dans le nom de votre groupe ? Le personnage de Rose Betty est venu dès le départ, cette fille un peu pin-up, avec de la gouaille, comme dans les revues ou les comédies musicales de l’époque. Venant du théâtre, je ne pouvais m’empêcher d’inventer des personnages et de donner des noms aux musiciens. Cela me faisait rire de leur réinventer ainsi une vie, tout comme les musiciens de l’époque pouvaient avoir des noms de scène ou des surnoms : «Duke» Ellington, «Lady Day», Nat «King» Cole. C’est naturellement que j’ai nommé notre petit ensemble «Klub», comme à l’époque des Hot Clubs, et comme je créais ce Klub, il s’est appelé Rose Betty Klub. Le K du Klub est un clin d’œil à ma compagnie de théâtre qui s’appelle Klub Klamauk, dont la ligne artistique est le théâtre musical live. D’où vous vient cette attirance pour la musique des années 20-50 ? On peut se poser la question de nos jours de savoir pourquoi on aime cette musique, mais c’est parce que le jazz, le swing sont avant tout de la très bonne musique ! Et c’est une musique de jeunes ! Les musiciens qui la jouaient n’avaient bien souvent qu’une vingtaine d’années, et remplissaient les clubs et les ball-rooms, les boîtes de nuit de l’époque. C’est une musique extrêmement populaire qui faisait et qui fait encore swinguer les gens ! Par ailleurs, j’ai toujours été fan des vieilles comédies 120
musicales de Broadway. Chanter, danser, jouer, c’est ce que j’aime dans la vie, depuis toute petite.
Quand a vu le jour le Rose Betty Klub ? Car vous avez commencé dans une forme trio. Qu’est ce qui vous a poussé à passer au quartet puis en quintet en si peu de temps ?
Rose Betty Klub a commencé réellement en 2012 en quartet. Nous avons été un duo pendant que nous montions le répertoire et un trio pour un premier concert, mais ces formules n’ont été que des étapes à la création du groupe, ce n’était pas le Rose Betty Klub à proprement parler. Le Rose Betty Klub a donc été un quartet pendant sa première année d’existence, nous cherchions notre son et nous affinions notre répertoire. Parfois, nous utilisions une caisse claire et un charley, notre pianiste étant aussi batteur, nous avions des morceaux avec piano et guitare, d’autres sans le piano ou la guitare quand les garçons se mettaient derrière la caisse claire. Le son changeait et ça nous amusait. Bien entendu la présence d’un batteur est vite devenue une nécessité, et nous sommes devenu quintet en 2013, le Rose Betty Klub dans sa forme aboutie.
Est-ce que le Rose Betty Klub revendique un Jazz Swing Style Pin UP car tout semble l’indiquer lorsqu’on
se plonge dans votre univers ?
super classe et raconter des bêtises, pouvoir Oui le jazz swing années 50 c’est le style Rose parler aux gens librement. Je suis en improviBetty Klub. J’aime ces années pin up, mar- sation constante et c’est très plaisant. quées par une vague de renouveau et de rock n’roll. C’est l’apparition d’une jeunesse débridée, c’est Elvis qui fait envoler les jupes des Votre notoriété s’étend peu à peu et filles, les jeunes qui crient et qui se lâchent de fort belle manière. A quoi attricomme jamais ! buez vous votre succès aux commandes J’aime incarner Rose Betty, voir les sourires d’une formation qui propose une style des gens qui aiment cet univers décalé, être
musical qui pour notre époque pourrait apparaître comme vintage ?
Le Rose Betty Klub se situe entre le jazz, le swing, et le rock n’roll. C’est dans les années 50 que la guitare amplifiée explose, c’est l’apparition du rock n’roll. C’est cette énergie que le Rose Betty Klub distille, l’énergie du rock n’roll, cette énergie qui prend au corps. Voilà pourquoi le public aime, les gens en ont besoin, les gens se défoulent. Et puis le public n’est pas dupe, même si les radios continuent d’abreuver les foules avec de la soupe, les gens savent reconnaître la bonne musique comme ce jazz vintage.
Vous venez de sortir « Good » votre nouvel album. Quelle saveur a-t-il ? Celle de la maturité ? Du plaisir renouvelé ? Ou les deux ? Nous sommes très contents d’avoir enfin sorti notre album, ça a été beaucoup de travail. Avec «Good» nous avons vraiment trouvé le son Rose Betty Klub, avec les arrangements bien jazz, teintés
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de rock n’roll, grâce au duo piano / guitare. C’est pour nous le premier vrai album du Rose Betty Klub.
ger de la bonne humeur et de l’énergie un peu partout !
On a pu lire çà et là qu’une fièvre du swing serait en train d’envahir Montpellier avec la naissance de plusieurs formations qui le pratiquent. Quel est votre avis à ce sujet ?
Rose Betty Klub GOOD
Montpellier est la ville du swing, tout le monde joue, tout le monde danse ! Nous sommes une grande famille de musiciens, nous nous connaissons tous et passons beaucoup de temps ensemble pour jouer ou faire des jams. C’est très agréable et stimulant. Quel avenir voyez-vous pour le Jazz Swing dans les mois à venir ? Pensez-vous que cela puisse revenir à la mode ? Je pense que cette musique a un bel avenir. C’est vrai que c’est très à la mode. Le phénomène s’étend aussi beaucoup à la danse, les gens adorent se retrouver pour danser. Je trouve que c’est très chouette, cela recrée des liens.
Après la sortie de cet album, quel est votre espoir le plus fou pour 2015 ? Nous espérons jouer de plus en plus, voyager avec cette musique, et propa-
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premier album sorti en mars 2015 Sutdio Reynald Evrard Avec Marie Nosmas ( Rose Betty), Jon Da Costa Ferreira ( Jony Mustang), Kenny Wild ( Karl Moussavou), Naîma Girou ( Brigitte Parker), Gabriel Rigaud ( Joe Valentine )...
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EXPOSITION
Harry Potter :
une exposition qui va ensorceler tous les Moldus! Par Florence Yérémian
Le printemps s’annonce ensorcelant à la Cité du Cinéma: après l’exposition Star Wars Identities de 2014 , les immenses plateaux de Saint-Denis accueillent cette année les costumes et décors d’Harry Potter : une collection fantastique qui ne manquera pas de séduire tous les Moldus et apprentis sorciers de France! Tradition oblige, vous ne pouvez être admis officiellement à Poudlard qu’en faisant partie d’une des quatre maisons. En entrant dans la première salle de l’exposition, il vous est donc demandé de poser la tête sous le Choixpeau magique afin qu’il puisse désigner la vôtre: élève de Gryffondor, Serpentard, Serdaigle ou Poufsouffle, vous voici soudain face à la réplique de la locomotive du Poudlard Express en partance pour un très beau cheminement dans le monde d’Harry Potter. L’immersion commence face à une galerie de portraits peints où figure le tableau 124 40x60 HP - fond vert.indd 1
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mouvant de l’inimitable Grosse Dame. Une fois entré dans la chambre d’Harry vous allez vous lancer dans une sorte de parcours à la recherche de tous les objets magiques qui sillonnent la saga. Parmi les affiches d’Azkaban et les livres de divination vous découvrirez, bien sur, le Nimbus 2000 d’Harry, le Vif d’or, les Horcruxes de Voldemort, la coupe de feu, sans parler des véritables Reliques de la mort ! La seule chose manquante dans ce foisonnement d’objets légendaires est peut-être la Pensine de Dumbledore qui permet d’entreposer les souvenirs des sorciers…
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Au niveau des costumes, on ne peut être mieux servi : entre les uniformes scolaires et les tenues sportives de Quidditch se distinguent la sublime redingote du Professeur Gilderoy Lockhart, la robe en cuir de Bellatrix Lestrange (Quelles finitions!) ou la cape du puissant Krum sertie de boucles en forme de griffes. Notre préférence va cependant au costume de bal de Ron Weasley (divinement ridicule ce Ronron!) et aux si symboliques chaussures vernies de Neville Londubat! L’ensemble de ces accessoires présente un très grand souci du détail et de la finition que l’on doit au couple de designer Miraphora Mina et Eduardo Lima. Depuis le premier opus d’Harry Potter, ces deux Britanniques ont imaginé et créé tous les objets se rapportant à la saga. Il en va ainsi des décors de tournage dont certains sont également reproduits au sein de l’exposition : vous pouvez y croiser des pièces de l’échiquier géant, traverser la forêt interdite avec ses horribles araignées
ou vous installez confortablement dans l’énorme fauteuil d’Hagrid au sein de sa rustique cabane. La plupart des enfants ont néanmoins pour préférence la salle de botanique du Professeur Chourave où ils sont invités à arracher des Mandragores interactives pour les faire hurler hors de leurs pots. En traversant les salles successives au son de la musique de John Williams, le spectateur a vraiment l’impression de déambuler entre les épisodes. Même si les acteurs ne sont pas représentés sous forme de personnages de cire (et heureusement !), les principales figures mythiques du monde de Potter sont là: aux côtés des elfes de maison Dobby et Kreattur, apparaissent ainsi Fumseck le phénix, Firenze le centaure, sans parler de Buck, le magnifique hippogriffe aux plumes
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blanches. Les amoureux de sensations auraient apprécié plus de Mangemorts et de Détraqueurs - histoire de se faire quelques frayeurs… - mais ne nous plaignons pas car cette exposition est un parfait prolongement de l’aventure Harry Potter toutes générations confondues. On pourrait toutefois lui reprocher un manque d’humour ou d’interactivité : les enfants auraient adoré s’enfuir face à un énorme Basilic mécanisé jaillissant de sa grotte et les ados ne se seraient pas fait prier pour siroter des potions bouillonnantes à la sortie du parcours! Concernant les parents, qu’ils se préparent justement à sortir leurs cartes bleues car la traditionnelle boutique finale va les ruiner: entre une baguette magique, une carte du maraudeur et des
HARRY POTTER L’EXPOSITION Cité du Cinéma 20, rue Ampère - 93200 Saint-Denis Métro: Carrefour Pleyel Bus: 139 - Rue Ampère Du 4 avril au 6 septembre 2015 En semaine: 10h30-19h30 Les WE, vacances et jours fériés: 9h3020h Nocturnes les 1ers vendredis du mois jusqu’à 21h30 Dernière entrée: 1h30 avant fermeture Billetterie et site de l’exposition: harrypotterlexposition.fr tonnes de chocogrenouilles, ils chercheront de toute évidence une cape d’invisibilité pour échapper à la dure réalité consumériste du monde des Moldus!
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