BSC NEWS
Crédit : Guillaume Bianco / Soleil/Métamorphoses
N°68 - AVRIL 2014
Prends garde, Ami Lecteur!
Ici l'imagination n'est pas en porte-à-faux ! 1 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
Prends garde , Ami Lecteur... L’édito
Par Nicolas Vidal
her ami lecteur, comme nous aimons à la dire dans ce nouveau numéro du BSC NEWS MAGAZINE, prends garde ! Prends garde à ne pas te faire imposer des choix, prends garde à ne pas te laisser tenter par quelques livres à la mode qui ne te conviendraient point. Prends garde à ne pas écouter de félonnes sirènes qui te murmurent des conseils de lecture douteux. Ne te laisse pas abuser par les faiseurs de gloire littéraire. Fais tout ce qu’il est en ton pouvoir pour éviter le margoulin qui te promet belle littérature. Ne te laisse pas distraire par celui qui est obnubilé par la forme plutôt que par le fond. Car la couverture ne fait pas un livre et l’instrument ne garantit pas le talent du musicien. Fuis l’emberlificoteur qui cherche à séduire certains de nos feignants instincts pour vendre sa camelote théâtrale. En somme, donne congé à tous ceux qui tentent de refourguer une
C
marchandise peu ragoutante, estampillée culture. Ne sois pas dupe. Car il faut aussi savoir se prévenir de certains intrigants qui cherchent à imposer la vision parfois courte de leurs horizons culturels. Ainsi, ne te laisse pas abuser des réclames vulgaires pour quelques artistes mondains qu’il est de bon ton de vénérer. Garde toujours fièrement ce libre arbitre qui fait de toi un lecteur en pleine possession de son jugement. Fais le valoir à qui de droit pour porter vaillamment les valeurs fondamentales que sont la curiosité et la liberté de ce que bon te semble. Converse avec les guides et les éclaireurs. Congédie les Ayatolhas et les gourous de propagande. Pour ce nouveau numéro du BSC NEWS MAGAZINE, nous te proposons, cher ami lecteur un large horizon, où sous le ciel azur, s’offrent à toi de nombreuses découvertes culturelles à ton seul choix de plaisir ou d’indifférence.
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La vie de tous les jours par Bouchard
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ÉCRIVAIN US - P6
MATT LENNOX ILLUSTRATION - P26
Laura Galbraith BANDE DESSINÉE - P35
François Ayroles NOUVEAU THEÂTRE - P 14
Hotel Modern & Arthur Sauer EXPO - P168
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INDIENS Des plaines
JAZZ CLUB - P136
TaKUYA KURODA JAZZ CLUB - P142
MACHA GhARIBIAN JAZZ CLUB - P148
LUCA AQUINO THÉÂTRE & JAZZ - P152
JIZZY EXPO - P162
STAR WARS IDENTITIES
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Littérature US
MATT LENNOX Une histoire de la rédemption Par Nicolas Vidal / Photo D.R
Le premier roman du jeune auteur canadien Matt Lennox nous entraîne au coeur de l’Ontario dans une petite ville où une microsociété est établie selon des codes et des dispositions ancrées depuis longtemps. Leland King, qui vient de purger dix-sept années d’incarcération dans une prison de haute sécurité, revient chez lui car sa mère est gravement malade. Ce retour est l’essence même d’une trame qui se décante au fil des pages où il est question de rapports sociaux, de mensonges et de... rédemption. Un premier roman enlevé et brillant de Matt Lennox qui nous donne les clés de son histoire avec une maturité étonnante.
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GALERIE
« Je suis naturellement intéressé par le côté sombre de la nature humaine et, quand j étais stationné en Afghanistan comme soldat, j y ai souvent été 7 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014 confronté »
« Il était important pour le livre que ce soit une petite ville où tout se sait, tout se voit. » Pour un premier roman aussi passionnant, on se demande toujours quelle est la genèse d’une telle histoire. S’appuie-t-elle sur des éléments personnels ou est-elle issue de votre imagination seule ? Mon roman est presque entièrement fictif, mais j’écris toujours sur des sujets et des gens qui me tiennent à coeur. Je crois que ceux qui me connaissent sont à même de repérer des éléments familiers ici ou là, mais l’histoire que je raconte sort de mon imagination. Cela dit, le personnage de Stan Maitland est basé sur un homme que j’ai connu. Il s’appelait Stan Miner et c’était un ami de mon grand-père, un ancien boxeur qui était devenu officier de police dans une petite ville du nord de l’Ontario. Mon grand-père m’a raconté de formidables histoires sur cet homme, et je m’en suis servi pour jeter les bases de mon personnage. Vous avez choisi une petite ville de l’Ontario comme décor de votre roman. Celle-ci est un personnage à part entière tant sa dimension sociale agit directement sur les personnages. Était-ce un choix délibéré dès le début de l’écriture ou aviez-vous aussi songé à fixer votre
trame dans une ville plus importante ? Absolument, bien qu’il s’agisse de fiction, cette petite ville est basée en large part sur celle où j’ai moi-même grandi, Orillia, dans le nord de l’Ontario et d’où viennent des écrivains tels que Stephen Leacock et Gordon Lightfoot. Il était important pour le livre que ce soit une petite ville où tout se sait, tout se voit. Si vous connaissez Orillia, il y a des choses qui vous seront familières dans le livre, des lieux, une atmosphère. C’est une petite ville qui pourrait être américaine ou encore française, et qui pour le personnage de Leland King représente son foyer, l’endroit d’où il vient, comme c’est le cas pour beaucoup d’entre nous. Matt Lennox, c’est une question qui me brûle les lèvres. Que vous a apporté votre séjour en Afghanistan au sein de l’Armée canadienne ? Autrement dit, est-ce que votre roman comporte dans son essence des idées, des impressions ramenées de là-bas ? Ou en est-il totalement épuré ?
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« La rédemption est une chose importante, c est l essence d une seconde chance, d une possibilité de tout reprendre à zéro. » Il est difficile de dire s’il existe un lien ou une influence directe sur mon écriture du temps passé dans l’armée canadienne. Je suis naturellement intéressé par le côté sombre de la nature humaine et, quand j’étais stationné en Afghanistan, j’y ai souvent été confronté. L’arrivée de Leland King dans cette ville natale introduit votre roman et nous plonge directement au coeur même de la mécanique que vous avez installée. Ainsi, Leland King entre dans le roman comme il entre petit à petit dans la vie de tous les personnages. Était-ce votre première idée d’introduction du roman ? Ou bien est-ce que cette première scène s’est imposée à vous ? La première scène que j’ai écrite, celle que j’avais en tête dès le début, est l’une des dernières du livre. Je ne savais pas vraiment dans quoi je m’étais lancé à ce moment-là. Je suivais juste une intuition et c’est à partir de cette scène que le roman s’est développé. Et cette scène d’ouverture du livre, c’est en fait la deuxième scène qui s’est imposée à
moi, celle où Leland King revient chez lui après des années d’absence. Et je savais en l’écrivant que c’était le début de mon roman. Comment vibre en vous le thème de la rédemption, et ce personnellement, Matt Lennox ? Comme écrivain, je suis avant tout intéressé par ce qui tourne autour de la vie, de la mort, du bien et du mal. Je dirais que ce qui m’intéresse ce
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« J ai tendance naturellement, je crois, à créer des atmosphères ténébreuses, mais il ne faut pas en abuser et je préfère provoquer chez un lecteur la réflexion davantage que la dépression » sont les différences entre les gens biens qui font quelque chose de mal et les gens peu recommandables qui peuvent aussi faire le bien. Dans ce contexte, la rédemption est une chose importante, c’est l’essence d’une seconde chance, d’une possibilité de tout reprendre à zéro. J’aime explorer cette zone d’ombre d’un point de vue philosophique, mais rien dans ma vie personnelle ne m’y rattache forcément. L’ambiance de votre roman, et c’est très régulièrement repris dans les articles déjà parus, confère une saveur toute particulière à la trame. Comment avez-vous appréhendé cela d’un point de vue stylistique, mais également fictionnel en tant que véritable personnage ? La comparaison avec James Gray revient d’ailleurs très souvent. Les premières moutures du manuscrit étaient bien plus sombres encore, y compris avec une fin plus dramatique. Martha Magor, mon agent, a attiré mon attention et m’a dit qu’il faudrait peut-être ajouter quelques p e t i t e s t o u c h e s d ’ e s p o i r. L e s changements étaient minimes, mais
je crois qu’ils étaient importants. J’ai tendance naturellement, je crois, à créer des atmosphères ténébreuses, mais il ne faut pas en abuser et je préfère provoquer chez un lecteur la réflexion davantage que la dépression. Comme décririez-vous le rapport qu’entretien Leland King avec la religion, incarnée notamment par Barry ? Pour moi, Lee a une relation assez terre-à-terre avec Dieu et la religion, un rapport assez simple. Je pense qu’au fond, c’est un laïc dans le vrai sens du terme. Barry a une relation alambiquée avec la religion, alors que c’est son métier en quelque sorte. Il est souvent à côté de la plaque, même si ses intentions sont bonnes au départ. Comme on le dit si bien : “L’enfer est pavé de bonnes intentions” et je pense que c’est vrai dans son cas. Alors que Lee est déjà en enfer sur un plan métaphorique, il n’en est pas moins quelqu’un qui entretient une relation saine et simple avec Dieu et le fait religieux. On sent que Leland King est poussé par une volonté déterminée de se
︎©JEAN-CLAUDE GAL / -Galerie 10 - BSC NEWS MAGAZINE N° 68 -Daniel AVRILMaghen 2014
" En tant qu écrivain et en tant que lecteur, je pense que ce sont les choix des personnages qui donnent à la littérature son énergie, sa tension et sa raison d être." racheter auprès de sa famille, de sa vie et de son passé. Mais on sent poindre un fatum tout au long du roman qui le conduit à des décisions et à des choix qui seront tragiques à la fin. Est-ce le cas Matt Lennox ? Sur un plan philosophique, je rejette l’idée de fatalité ou de destinée toute tracée. Je ne crois pas que cela soit fondé et ça ne me plaît guère. Je tenais d’ailleurs à ce que Lee (Leland King) partage ce point de vue. En d’autres termes, c’est toujours nous qui, à un moment donné, faisons tel ou tel choix. Sinon, nous serions les victimes passives d’un dieu cruel et insensible, comme Job dans l’Ancien Testament. Ce qui pour le coup serait profondément déprimant... Il fallait dans le roman que Lee ait la possibilité de faire des choix, parfois bons ou mauvais, et qu’il en assume pleinement les conséquences. En tant qu’écrivain et en tant que lecteur, je pense que ce sont les choix des personnages qui donnent à la littérature son énergie, sa tension et sa raison d’être. Leland King n’est-il pas, au-delà d’être le personnage central,
l’antihéros même, le porteur également d’un passé difficile pour tous les gens de son entourage ? On pense notamment à sa confession finale auprès de Pete. Je ne sais pas comment répondre à cette question. J’ai écrit ce livre, et j’ai créé ce personnage de Leland King, et j’ignore encore maintenant si c’est un type bien qui a fait de mauvais choix ou quelqu’un de mauvais qui en a fait des bons. J’ai de l’affection pour cet homme, mais il me met un peu mal à l’aise, encore aujourd’hui. Lorsque Leland King rencontre Helen, l’espoir d’une rédemption renaît puis s’étiole au fur et à mesure de cette relation charnelle qu’on perçoit comme amoureuse ou du moins affective dans un premier temps. N’est-ce pas un moment important du roman ou la fatalité commence à fait son oeuvre dans le rapport qu’à Leland aux femmes et à la société en général ? L’idée derrière la relation entre Lee et Helen, c’était de montrer à quel point il était déphasé vis-à-vis des autres et de la vie normale, après
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ces longues années passées en prison. Je tenais à montrer que quelqu’un comme lui, malgré toutes ses bonnes intentions, pouvait être utilisé sans même s’en apercevoir. Quand il s’en rend finalement compte,il y a cette bouffée de colère en lui et cette scène à la fin du livre où il règle ses comptes avec Helen. En découvrant la vraie nature de Lee, Helen prend peur et elle a toutes les raisons de le craindre. Dans la relation entre Pete et Leland King, est-ce que le jeune garçon n’est-il pas quelque part, la dernière chose qui rattache Leland King à la rédemption et à la volonté de s’en sortir? Oui, absolument, la vie de Pete est inextricablement liée à celle de Lee. Ce garçon est le dernier choix que Lee aura à faire dans sa vie et je laisse le lecteur décider si c’est un bon ou un mauvais choix. Dans cette volonté de rédemption, n’est-ce pas la fatalité qui pousse malgré lui Leland King à un épilogue tragique ? Comme je l’ai dit auparavant, je rejette l’idée de fatalité. Leland King est un homme qui prend des décisions et fait des choix comme n’importe qui. Ses choix ont des conséquences qui mènent le livre là où il va, comme nos propres
choix déterminent nos existences. Ceci étant dit, il est important d’admettre que Lee n’a pas eu de chance : il est né dans une famille pauvre, il a perdu son père très tôt, etc. Mais si on doit admettre que les circonstances peuvent être importantes, à la fin ce sont les choix que l’on fait qui sont importants. Le policier Stan n’en est-il pas, du moins l’instigateur, mais l’indicateur régulier tout au long du livre ? Mon éditrice canadienne décrit Stan Maitland comme le “centre moral” du roman. Je n’y ai pas pensé en l’écrivant, mais après coup je pense que c’est une bonne définition. Stan représente à mes yeux l’équilibre entre la justice officielle (celle des lois et de la société) et la justice naturelle, une morale personnelle peut-être. Celle qui consiste à prendre la bonne décision au bon moment, même quand les circonstances ne sont pas réunies. D’une certaine manière, Stan est le Virgile du Dante de Lee. Au-delà de sa trajectoire personnelle, Leland King n’est-il pas finalement l’élément qui dynamite le destin d’autres personnages ? On pense à Pete
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en premier lieu, Emily ou celui de ses complices. Je pense que le destin de Lee a un terrible impact sur la vie de sa mère et de sa soeur, mais peutêtre était-ce inévitable. Pour moi, Pete est l’unique bénéficiaire du dernier acte vraiment libre de son oncle. Si vous deviez donner l’une des clés de cette rédemption en tant qu’auteur de ce roman, quelle serait-elle ? La décision plutôt que la fatalité, là encore. Décider de faire ce qu’il faut et le faire vraiment. Pour finir, travaillez-vous sur un autre roman, Matt Lennox ? Je travaille sur un nouveau roman et je ne devrais pas tarder à le terminer. Le personnage principal est videur dans une boîte de nuit d’une petite ville de l’Ontario. Il est un peu tiraillé entre sa famille et
ses amis, ce qu’il doit aux uns et aux autres, tout en se demandant ce qu’il veut vraiment faire de sa vie.
▶︎ Rédemption de Matt Lennox Collections Terres d’Amérique Editions Albin Michel Traduit de l’anglais (canadien) par France Camus-Pichon
RÉDEMPTION Le premier roman de Matt Lennox à gagner sur le BSC NEWS > Cliquez ici 13 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
Nouveau théâtre
Hotel Modern & Arthur Sauer
La Grande Guerre en direct Par Julie Cadilhac / Photo D.R
En 1997, Arlène Hoornweg et Pauline Kalker, artistes hollandaises, fondent la compagnie Hotel Modern. Un an plus tard, elles accueillent un nouveau partenaire, Herman Helle. Ensemble ils imaginent une forme de théâtre unique, le film d’animation en direct. La Grande Guerre, leur première création commune, leur a valu un grand succès international (Allemagne, USA, Canada, Angleterre...). Avec des clous rouillés, du terreau, des brins de persil et de la sciure, ils donnent vie aux paysages du front de l’Ouest. On y vit notamment un bombardement provoqué par un bruleur à gaz et les images filmées et projetées en direct sont surprenantes de réalisme, comme vous pourrez déjà le constater avec la galerie de photos. Ces trois artistes ont demandé à Arthur Sauer d’imaginer une bande-son pour accompagner ce "récit vivant" de la Grande Guerre. Rencontre avec cette compagnie au dispositif passionnant.
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GALERIE
Herman Helle est un artiste plasticien de formation qui s'est intéressé peu à peu aux extraordinaires possibilités que générait le mariage de la vidéo et de vos pratiques artistiques? Pourrait-on expliquer ainsi la création du collectif Hotel Modern? Arthur Sauer: Après avoir terminé l ' a c a d é m i e d ’ a r t , H e r m a n a conçu des maquettes pour des architectes et des urbanistes. Il avait l’habitude d'utiliser des objets spéciaux et extraordinaires pour concevoir ses maquettes, comme des blaireaux de rasage pour les buissons ou encore des tailles-crayon pour les conteneurs maritimes. Pauline et
Arlène avaient déjà fondé Hôtel Modern et Pauline a eu l'idée d’utiliser des maquettes d'Herman dans le théâtre. Arlène Hoornweg : Nous avions déjà fait une première performance , City Now, un spectacle à propos d'un jour et d’une nuit dans une ville. Les bâtiments étaient faits de grosses boîtes de carton et des petits pains et des haricots faisaient office de voitures et de bus. Nous avions utilisé, entre autres, des bananes et des b o u t e i l l e s d e p a r f u m p o u r les personnages qui vivaient dans la cité. Cette performance se faisait sans caméra.Ce n’est qu’après qu’Herman a acheté une
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caméra et a expérimenté dans son atelier en mettant la caméra en face de ses maquettes, et qu’il a vu la puissance évocatrice de ce dispositif. C'est ainsi qu'il a eu l'idée de faire un spectacle à propos d'un paysage. Cela a donné lieu à The Great War. Et après cela, nous avons utilisé cette forme, que nous appelons film d'animation en direct, dans d'autres spectacles. La combinaison de caméras, de maquettes et de marionnettes nous donne l'occasion de raconter des histoires sur des milliers de personnes, de villes, de paysages… en bref, sur l'humanité.
D'où vient le nom du collectif? Arlène Hoornweg : Le nom provient d'un ancien hôtel à Enschede, une ville aux Pays-Bas où Pauline a séjourné une fois. Nous avons aimé le nom, car à chaque nouvelle production, nous travaillons avec des hôtes différents, des artistes visuels, des musiciens. Et c’est un nom international. Arthur Sauer, vous êtes compositeur. Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce projet? Arthur Sauer: Herman m'a appelé pour me demander si je voulais écrire quelque chose pour un
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orchestre symphonique , pour accompagner les images en direct qu'il allait faire. Avant cela, je n'avais fait que du son intégré avec un piano pour un film en noir et blanc , et je trouvais dommage que personne ne puisse voir comment les sons étaient faits . J'avais aussi fait un spectacle de théâtre musical basé sur un texte de Witold Gombrowicz appelé " Histoire " qui parlait à la fois de la première et de la seconde guerre mondiale . Pour cette pièce, j’ai fait des recherches sur les deux guerres mondiales , et j’ai eu l'idée que la performance ne devrait être faite que sur une de ces guerres . ce sont surtout les lettres que j'avais lues des soldats de la première guerre mondiale qui étaient très
frappantes . Ainsi, lorsque Herman a appelé ,plusieurs idées se sont réunis immédiatement . J'ai dit à Herman que s’il allait faire les images en direct sur scène , je ferais le son sur scène , et donc le concept de l'animation en direct a obtenu sa forme . Quels sont les différentes étapes de création d'un projet de ce type? Arthur Sauer : Etape 1, la recherche. Ce que j'ai trouvé intéressant, c'est que la grande guerre a été la première guerre technologique: avions, sous-marins, la guerre chimique, des mitrailleuses, des chars, camouflage, etc . Chacune de cette technologie apporte son propre son avec elle. Alors j'ai commencé à rechercher des
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enregistrements effectués lors de la première guerre mondiale. Une des choses que j'ai trouvée était un enregistrement de la première attaque au gaz moutarde, enregistré par le fils du propriétaire de la maison de disques "His master's voice» (le label avec le chien qui regarde à l’intérieur d’un gramophone). Son fils est mort pendant l'enregistrement, car le vent soufflait dans leur direction et ils n'avaient pas pensé à cela. La dernière chanson de la per formance est également un enregistrement effectué à la fin de la grande guerre. Arlène Hoornweg : Nous avons travaillé pendant environ 8 mois sur la Grande Guerre. Nous avons d'abord développé le concept; nous l'avons
fait avec le compositeur Arthur Sauer. Après Herman a eu l'idée de faire un paysage en direct depuis la caméra, et la guerre mondiale un thème, Arthur a apporté entre autres l'idée de faire des sons en direct avec le film d'animation en direct. Nous avons eu l'idée d'utiliser les lettres des soldats en voix off, nous avions donc des personnages dans la performance auxquels on pouvait s’identifier. Arthur Sauer : La deuxième chose est de penser à ce qu'il faut faire avec le son. Je voulais mélanger des sons réalistes avec des sons qui étaient de toute évidence pas réalistes (comme des noix de coco pour la course de chevaux, bien que, parfois, le public s'habitue à des sons qui ne sont pas
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du tout réalistes, et même parfois, le public considère la version irréaliste plus réaliste que la la chose réelle, en raison de l’habitude qu’on lui a donnée...). Cela brouille la ligne entre le réel et l'imaginaire. Arlène Hoornweg : La troisième chose, c'est que j’ai proposé de se rendre à certains endroits où la guerre avait eu lieu . Il y a un couple de Hollandais qui a écrit un livre de voyages au sujet de ces lieux , et on est allé quatre jours dans les endroits qui semblaient les plus intéressants . Après ces quatre jours, nous sommes revenus avec l’intuition de ce que nous voulions faire passer à travers la scène . Nous avons trouvé un café en Belgique sur la colline 60 ( si je me souviens bien) qui possédait des
vues de bois avec des photos stéréo qui n’avaient pas été censurés (contrairement à tout le matériel documentaire que nous avions vu avant ). Une des images était un arbre nu, dans un paysage nu, et un cheval pendu au sommet d’un arbre. Cette image est utilisée (avec un homme dans l'arbre ) dans la performance. En Champagne, nous avons trouvé des grenades, et la chaussure d'un soldat allemand (nous l’avions vu la première fois au musée de Péronne , elle avait des rivets sur la semelle). Nous avons fait beaucoup de recherches, nous sommes allés à la Belgique et dans le Nord de la France pour voir les vestiges de la guerre et trouver des livres, des lettres et des photos . Les
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livres de l'historien Lyn MacDonald , avec des entrevues avec des anciens combattants nous ont beaucoup inspirés. Après, nous avons fait le scénario , étape par étape . Nous avons dû trouver ce qu'il fallait utiliser pour le concevoir ensuite: quand utiliser du texte, quand utiliser des images et comment les combiner avec le son pour raconter l'histoire que nous voulions raconter. Arthur Sauer : A côté de cela, nous avions aussi la nécessité de réfléchir et de répéter la logistique, parce que nous faisons le film en direct; nous faisons un montage en direct. C'est aussi une partie très compl iqué e à tra v ai ll e r. J' ai proposé de répéter en trois
périodes. Au début de la première période, j'ai été invité par un festival du film pour faire une per for mance au festival. Ce festival était dans le même bâtiment que l'atelier de Herman. Nous avons donc changé notre programme et travaillé trois jours certaines scènes, et c'est ce que nous avons présenté au public. Pourquoi avoir voulu aborder le thème de la Grande Guerre? Êtesvous un passionné d'histoire? un artiste qui pense qu'il est important de raviver les souvenirs pour ne jamais oublier les erreurs du passé? Arlène Hoornweg : La guerre joue un rôle important dans nos vies.
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Nous n'avons jamais connu la guerre nous-mêmes, mais nos parents oui, tous de différentes façons. Dans la Grande Guerre, nous voulions montrer ce que c'est que d'être dans une guerre et comment la guerre est une chose terrible. Arthur Sauer : Je suis en quelque sorte un passionné d'histoire, j'ai eu la meilleure note de l'histoire de la musique au conservatoire. Je pense que l'histoire est intéressante car elle dit d’où nous venons. Je ne pense pas que l'histoire se répète dans un sens littéral, il y a toujours une sorte de progrès, mais les hommes sont des animaux têtus, avec quelques reptiles qui sont toujours là malgré l'évolution. Qui a écrit le texte de La Grande Guerre? Est-il né en même temps
que les "trouvailles" plastiques? ou bien en amont? ou en aval? Arlène Hoornweg : Nous avons utilisé différentes sources pour les textes. Nous utilisons de véritables lettres d'un soldat appelé Prosper, qui a combattu dans WW1. Un ami de Herman a trouvé tout un paquet de lettres de ce soldat dans une boutique d'antiquités et nous les a données. Nous avons également basé sur des entretiens d’anciens combattants. Il s'agit d'un texte d'un livre de Max Beckman et du livre Westen Nichts Neues par l'écrivain allemand Erich Maria Remarque. Votre collectif a remporté de nombreux prix. Comment expliqueriez-vous cette adhésion et engouement pour votre concept? Les spectateurs
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expriment-ils leur vif désir de voir des formes nouvelles sur scène? ou sommes-nous une génération de l'image qui a besoin de retrouver, même sur les planches, l’écran? Arthur Sauer: Je pense que cela a à voir avec le sujet et aussi avec la façon dont ce sujet est amené à la vie (l’animation est effectivement « le fait de rendre vivant »), et le fait que le concept de tout faire en direct (le making off ..., et le film en même temps) est un principe directeur qui le fait fonctionner comme une forme d'art. Arlène Hoornweg : Je pense que c'est la combinaison de la forme que nous utilisons, qui est tout à fait unique et les histoires que nous racontons, qui sont universelles. Nous utilisons une forme ouverte, nous invitons les gens à venir voir, à
s’ouvrir et à être surpris. Dans la forme que nous utilisons, nous ne s o m m e s p as e x h au s t if s , n o us sommes toujours en train de jouer avec la suggestion. Nous laissons un espace pour le public pour qu’il utilise sa propre imagination. Le public est souvent si surpris qu'il est ému par notre performance même s’il sait que nous n'utilisons que des marionnettes, le persil et un village fait de papier, ou des pains et des bananes et des noix de coco.
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LA GRANDE GUERRE Compagnie / Metteur en scène HOTEL MODERN ET ARTHUR SAUER Auteurs : Herman Helle, Pauline Kalker, Arlène Hoornweg Scénario et mise en scène : Herman Helle, Pauline Kalker, Arlène Hoornweg Avec : Trudi Klever, Maartje van den Brink, Anouk Driessen, Laura Mentink Création son et perfomance live : Arthur Sauer Technicien : Joris van Oosterhout
Dates de représentation en 2014 - Le 15 avril à Delft ( Pays-Bas) / De Veste - Les 16 et 17 avril à Sortie Ouest à Béziers ( France) - Les 24 et 25 avril à Forbach / Le Carreau ( France) - Les 29 et 20 avril au Het Perron à Ypres ( Belgique) - Du 14 au 17 mai au Théâtre National de Toulouse ( France) - Du 21 au 24 mai à Amsterdam (PaysBas) / Frascati - Du 24 au 26 juin à Londres au Lift Festival ( Angleterre) - Les 5 et 7 juillet à Essen ( Allemagne)
Le site de la compagnie : www.hotelmodern.nl
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Suivez quotidiennement l’actualité de la culture sur le
BSCNEWS.FR 24 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
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ILLUSTRATION
Laura Galbraith Propos recueillis par Julie Cadilhac / CrĂŠdit-photo: Bryant Castro
!  s p m e t n i r p  e l  r u o p  r u e l u o c  a l De  Laura Galbraith aux illustrations pĂŠtillantes donne envie de dĂŠlaisser les tenues sombres et sĂŠrieuses et se vĂŞtir - enfin! - de teintes souriantes qui annoncent, comme des hirondelles enjĂ´leuses, le soleil et l’Êclosion des fleurs ! Une interview à butiner!Â
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Et si d’abord, vous vous présentiez à nos lecteurs? Je suis née à Miami, en Floride, de parents jamaïcains. J'ai grandi en compagnie de beaucoup, beaucoup d'immigrants de première génération qui venaient pour la plupart des Caraïbes. Je pense qu'être élevée dans cet environnement a contribué à cet amour
de la couleur que vous trouverez dans mon art. J'ai déménagé ensuite à Baltimore, dans le Maryland pour mon diplôme de premier cycle, puis me suis déplacée rapidement à Brooklyn pour y vivre. Je partage aujourd’hui un appartement avec mon mari Nate Bear (natebearart.com) et vit avec deux chiens et… un bébé!
« J'ai grandi en compagnie de très nombreux immigrants de première génération qui venaient pour la plupart des Caraïbes. »» 28 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
Comment êtes-vous devenue dessinatrice? Je ne me souviens pas d’un jour où je n’avais pas envie de créer quelque chose. Cette prédisposition pour l’art, c’est une de ces choses que je n'ai pas réalisées avant un certain âge. Quand j'étais plus jeune, ma mère pensait que ce serait un excellent moyen pour m'aider à me poser et me tenir tranquille, de retracer par exemple mes mains et mes pieds sur des morceaux de papier ... mais lentement, ça s’est transformé en une nécessité… pour
impressionner les amis de la maternelle, pour décorer les bibelots que ma grand-mère recueillait ... et cela a évolué jusqu’à vouloir en faire un travail pour vivre. Quelles sont vos principales sources d’inspiration? Mes sources d'inspiration sont multiples : la mode, la nature, les artistes du passé, et les artistes contemporains . Je pense que ma page sur le réseau social Pinterest est un bon exemple de mes différents intérêts! Oh! j'ai oublié de
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mentionner mon obsession de la couleur. Je suis constamment obsédée par dif férentes combinaisons de couleurs, qui finissent généralement par dicter l'humeur et la convivialité du dessin avant même que je commence à dessiner! Je crois que l'inspiration est un de ces éléments-clé qui est toujours en évolution, et donc, mes inspirations sont ainsi en constante évolution ! Mais en général, elles ont tendance à être orientées vers les quatre sources que j'ai énumérées plus tôt. Quels sont vos mentors en matière d’illustration? Beaucoup d’artistes influencent mon art! J'aime Klimt, Yoshitaka Amano et Junko Mizuno, qui ne sont que quelques-uns de mes nombreux favoris. Je suis aussi très inspirée par les artistes de l’Art Nouveau.
Vous faîtes beaucoup de « handlettering » : pourriez-vous expliquer à nos lecteurs de quoi il s’agit et dans quel cadre produisez-vous ce genre de travail artistique? Je pense que la société s’est trop attachée aux polices de caractère, super propres et monotones (la plupart des polices d’ordinateur) ces 10 dernières années, et c'est agréable de voir un retour à une police dessinée à la main. J'aime créer des logos faits à la main et imaginer des signes, avec un crayon et de l’encre, au lieu de créer des designs stériles et formatés. Je pense que la sensation de fait-main donne vraiment un sentiment plus personnel et intime que les logos bien nets qui étaient plus à la mode au début de cette décennie. Sur quel support, avec quels outils et matières concevez-vous vos dessins?
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Je préfère utiliser des crayons pour dessiner, et un pinceau et de l’encre sumi pour terminer. Quant à la couleur, j'aime généralement réunir le traditionnel et le numérique comme vous pouvez le c o n s t a t e r. J'aime les dégradés et l'ordinateur est un excellent outil pour obtenir des couleurs flous et ultra dynamiques dans mon travail. Il y a, dans vos images, beaucoup de mouvement m a i s également souvent une impression de flou… parce que vous représentez des rêves? Oui, une chose qui prévaut dans ma vraie vie et dans mon art est le monde du rêve. Je trouve que les rêves sont très révélateurs de quel genre de personne vous êtes , de ce que vous voulez être ou devenir dans la vie. Le thème du rêve convient bien à mon art en ce sens que mon travail est toujours le résultat,
pour moitié, d’une réflexion consciente de ce que je veux pour le dessin, et d’une part plus floue où je laisse l’imagination me mener. (un peu comme la façon dont un rêve peut par fois ne pas avoir de sens sur le moment, mais quand on se le rappelle une fois que l’on est éveillé, il révèle p l u s d'informations qu’on ne l’avait imaginé plus tôt) Avez-vous déjà exposé en France? et en Europe? Quelles sont vos actualités? Non jamais, mais j'espère un jour! J'ai un ou deux shows prévus pour cette année mais qui ne sont pas encore finalisés. C’est que Laura Galbraith est une toute jeune maman qui a de quoi bien occuper ses prochains mois...
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BANDE DESSINÉE
François Ayroles Propos recueillis par Julie Cadilhac / crédit photo DR Après trois ans d’études à l'École européenne supérieure de l'image à Angoulême, François Ayroles débute comme auteur dans la revue de bande-dessinée des éditions Autrement et dans la revue Lapin, éditée par L'Association. Lorsqu’on découvre qu’il est un membre de l’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle), son dernier oneshot, intitulé « Une affaire de caractères » sonne comme une évidence pour un créateur habitué à se donner des contraintes de forme et/ou de fond. « Une affaire de caractères » narre les aventures d’un livreur et poseur de bandeaux et enseignes, du nom de Ramon Hache dans la ville de Bibelosse. Entièrement investie par des obsédés des mots, de poésie et de littérature, cette ville est riche en personnages atypiques et hauts en verbe ! Or, horreur suprême!, soudain, une succession de meurtres étranges sont commis en quelques heures dans cette bourgade pacifique. Qui est le serial killer qui imagine ces mises en scène étranges? L’inspecteur Edgar Sandé réussira-t-il à démêler le mystère et à ne pas trop s’en laisser conter? Rencontre avec la plume et le pinceau de cette fiction aussi décalée que poétique où la logique croise le fer avec l’imagination et la case flirte avec les divagations littéraires… Un ouvrage propre à séduire tous les amoureux des Lettres, même ceux qui n’ont pas l’habitude de côtoyer les planches! 35 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
"Alors que j'ai un penchant particulier pour concevoir des histoires "muettes", je voulais me confronter à la présence du texte dans la bande dessinée...» criminelle avec un fort rapport avec la "lettre" s'est rapidement imposée.
Quand on regarde les titres de vos précédentes éditions "les parleurs", " les penseurs", "les lecteurs" ou même votre collaboration pour "Les plumes", on se dit que cette histoire était peut-être en gestation depuis longtemps dans votre tête...ou l'on se trompe? Effectivement, j'ai commencé d'y travailler il y a une dizaine d'années (avant la parution des titres que vous citez). Alors que j'ai un penchant particulier pour concevoir des histoires "muettes", je voulais me confronter à la présence du texte dans la bande dessinée, que ce soient les façons particulières qu'ont les personnages de s'exprimer ou en tant qu'élément physique (les lettres de l'enseigne, la forme des corps des victimes, etc.). L'idée d'une histoire
Cette histoire est-elle née d'une fréquentation amusée et/ou assidue des cercles littéraires, d'ateliers d'écriture... ou tout simplement d'un goût prononcé pour la littérature? Non, je n'ai pas de telles fréquentations. Je suis uniquement un lecteur que de nombreux écrivains ont marqué ( leur œuvre, mais aussi leur vie et leur personnalité). Cette bande-dessinée est à la fois un hommage et une parodie du monde littéraire, non? Plus hommage que parodie, je dirais, non pas au monde littéraire en général mais à certains écrivains particuliers (Raymond Roussel, Perec et l'OuLiPo). J'utilise souvent des artistes que j'admire comme modèles pour mes histoires.
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"Le récit s'inscrit dans la tradition du roman policier à la Agatha Christie"
Seriez-vous tenté d'imaginer un ouvrage du même genre qui rendrait hommage au neuvième art? J'ai déjà fait quelques livres (trois) sur la bande dessinée qui sont des recueils de dessins humoristiques censés montrer des auteurs historiques dans des moments clés. J'ai par ailleurs des projets de bande dessinée mettant en scène des auteurs (fictifs). C'est une bande-dessinée qui est née de multiples petites idées que vous avez compilées au fur et à mesure? Par exemple, comment est venue l'idée des jumeaux qui se partagent les bulles ou du personnage de Tézorus? Des idées de personnages sont venues avant le principe de
l'intrigue (des crimes alphabétiques), comme le personnage de l'inspecteur qui s'inspire d'Edgar P. Jacobs, l'auteur de Blake et Mortimer. Par la suite, j'ai dû trouver des personnages pour remplir certaines fonctions. Les jumeaux libraires en font partie. L'idée de la bulle "coupée en deux" est venue très naturellement, comme l'image d'un œuf monozygote qui se partage en deux. Cette histoire au royaume des mots, à la fois poétique et absurde , est aussi une vraie enquête policière : est-ce le premier "polar" que vous imaginiez? Je ne suis pas sûr que ce soit un polar. Le récit s'inscrit dans la tradition du roman policier à la Agatha Christie. Dans ce genre, l'accent est mis sur l'intrigue et sa résolution alors que dans le polar l’intrigue est secondaire, c'est l'ambiance et la psychologie qui comptent. La dimension ludique du Whodunit, avec son côté Cluedo, me convenait parfaitement. J'ai voulu toutefois ne pas complètement jouer le jeu en révélant au lecteur qui est le coupable avant la fin. L'énigme
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n'était qu'un prétexte à faire vivre cet univers de bande dessinée. Ce choix d'un graphisme avec des couleurs pastel et où le blanc domine, est-ce pour donner un aspect intemporel à cette fiction? Oui, c'est un peu ça. Je voulais donner un côté un peu étrange tout en sortant de certains clichés de l'histoire policière. D'où le côté méridional de la végétation, par ailleurs. Enfin, quand les lecteurs pourront-ils vous rencontrer et échanger avec vous leurs impressions sur Bibelosse? Des dédicaces ont déjà eu lieu et d ' a u t r e s v o n t v e n i r. J e s e r a i notamment au salon du livre de Narbonne à la mi-mai.
"La dimension ludique du Whodunit, avec son côté Cluedo, me convenait parfaitement. »
Une affaire de caractères François Ayroles Editions Delcourt 16,95€ 72 pages
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POLAR
Méfaits et gestes
POLARS PAR MARC EMILE BARONHEID
Deux romans américains, pétris d’efficacité et un coup de poing français, journal de bord d’une défonce irrémédiable. Le temps n’est plus où l’on croyait utile de conseiller aux âmes sensibles de s’abstenir. Ex-Marine revenu d’Irak, Spero Lucas est enquêteur pour l’avocat Tom Petersen, qui le recommande à l’un de ses clients. C’est Anwan Hawkins, incarcéré mais qui continue de gérer son trafic de drogue depuis sa cellule. Et c’est parti pour « Une balade dans la nuit ». Lucas doit retrouver la trace de deux colis mystérieusement disparus. Consciencieux et efficace, Spero sait aussi se ménager des respirations hédonistes. Par exemple avec la jeune et engageante stagiaire de l’avocat. Aussi dans les bars de Washington qui proposent
des bières belges. Son truc c’est la Stella ; les enquêteurs savent pourquoi. Mais se laisser distraire d’une enquête passablement délicate ne va pas sans inconvénients. Spero réalise qu’il a perdu de vue l’objectif de sa mission. Un bon petit recadrage et ça repart. S’il n’aime pas tuer, notre homme apprécie encore moins que des truands retors et vicieux s’acharnent à vouloir le supprimer. Lui qui espérait avoir mis un terme à ses exploits irakiens va devoir réutiliser les bonnes
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vieilles méthodes, connues pour leur efficacité.
car l’homme qui a humilié Grace est un criminel violent et Spero aurait bien besoin de toute sa lucidité pour l’affronter.
Dernier en date des romans de Pelecanos traduits en français, « L e d o u b l e portrait » voit Spero tenter de retrouver la trace d’un tableau qu’un amant indélicat a dérobé à Grace Kincaid. Comme à chaque fois, le Marine défroqué ne travaille pas que pour la beauté du geste. Il demande une modeste commission de quarante pour cent de la valeur récupérée. Les petits boulots subsidiaires, ça fait sacrément bouillir la marmite. Dès qu’il en a l’occasion, Spero engage des vétérans de l’armée américaine qui tentent de redonner un sens à leur vie. La rencontre d’Amanda, une splendide femme … mariée, trouble la sérénité du détective. Sous ses gros biscottos palpite un cœur à la t e n d r e s s e insoupçonnée. Le moment tombe mal,
Chemin faisant, il adore sortir du cadre strictement polardeux et raconter les aspects de Washington, sa ville qu’il aime au point de l’avoir choisie pour cadre exclusif d’une vingtaine de romans. Autres coquetteries, l’étalage de goûts musicaux assez confondants et la plaisir de détailler la tenue vestimentaire des protagonistes. Spero en fashion victim : inattendu, n’est-il pas ? Et en prime, certains le cataloguent parmi les adeptes du roman social. * *
*
Ses potes l’ont baptisé Eckel, un surnom dû à sa ressemblance présumée avec les corbeaux d’un dessin animé. Sa vie n’a rien d’une belle histoire, depuis qu’il a mis les veines dans l’engrenage de la drogue. Une lente et longue descente aux enfers. « J’ai les jambes ankylosées, ce matin, et j’ai un mal de chien à me mettre debout. Je remarque les restes de vomissure sur le sol et je me rends compte que j’en ai sur moi. Ça pue. Je ne perds pas un temps précieux à me laver. J’enfile aussi vite que possible un sweet crade manches longues, bien sûr, mais sans gerbe, des chaussettes raides et puantes et mes tennis ». Il a connu l’aisance quand, avec ses comparses, il multipliait les coups crapuleux; puis la roue a tourné. Même son amoureuse s’est éloignée, ravagée à son tour par la reine blanche. A force de brûler ses vaisseaux, on se retrouve, nu et sans canot, au milieu d’un océan de boue. Gilles Vigneault
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chante les pays où l’argent rigole avec la mort et où l’amour danse au fond de la mer. C’est le premier roman de l’auteur à paraître à la Série Noire, qui a rarement aussi bien porté son nom. Maravélias a choisi d’envoyer ce manuscrit très personnel à deux éditeurs dont il apprécie le catalogue : Rivages et Série Noire. Aurélien Masson, directeur de collection de la SN, a été le premier sur la balle. Il a lu tout de suite ce récit reçu au cœur du mois d’août 2013, a appelé son auteur le surlendemain, et quelques mois plus tard La faux soyeuse est édité chez Gallimard. Il faut espérer que Maravélias n’ait pas déjà tout donné. L’écriture sait épouser les courbes sinusoïdales d’un récit âpre, allant à l’abattoir le cœur en fête. Le style en déroutera plus d’un, mais le réalisme est à ce prix. « Pourtant, on se défonçait de plus en plus. A tel point que, souvent, on
avait la rame d’aller taffer. Savoir qu’on allait se casser le cul à se faire un appartement pour revenir avec trois merdes nous démotivait. On préférait glander. ».
« Une balade dans la nuit », George Pelecanos, superbement traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elsa Maggion, Livre de Poche, 6,90 euros « Le double portrait », George Pelecanos, Calmann-Levy, 19,90 euros « La faux soyeuse », Eric Maravélias, Série Noire/Gallimard, 16, 50 euros
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POÉSIE
Jaccottet enfin, Jaccottet déjà CHRONIQUE PAR MARC EMILE BARONHEID Photo © ABL FD
La Pléiade, c’est un peu le Nobel français de littérature, à ceci près que le second est réservé aux écrivains vivants, alors que la première accueille généralement des disparus. Adoubé par la bibliothèque la plus bcbg, Philippe Jaccottet en est-il l’hôte légitime, ou un visiteur peu assis et mal debout ? Le volume a été élaboré conformément au souhait de Jaccottet (né en 1925). Il réunit celles de ses œuvres, en prose et en vers, que l’on peut qualifier d’ « œuvres de création ». On les distingue ainsi des ouvrages critiques, des proses de voyage, d’une poignée d’écrits de circonstance, des traductions (Thomas Mann, Musil, Ungaretti, Hölderlin, Homère …), qui incarnent pourtant un pan considérable de son travail. On pense à un article comme Une transaction secrète, à des
monographies centrées sur Rilke ou Gustave Roud. C’est sans conteste dans le poème que l’écrivain suisse est le plus souverain. Solaire, aime-t-on à dire, alors qu’un piètre chroniqueur a cru bon de qualifier sa poésie de scolaire. Ce n’était même pas une coquille, seulement une bourde. De la nigauderie considérée comme un crime de lèse-majesté … Voici 56 années de tutoiement de l’ineffable, des poèmes de L’Effraie (Gallimard, 1953) à la prose de Couleur de
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hautain (on est aux antipodes des poses d’un Gracq) des soubresauts ou des purulences de son temps. Il écartera l’abjection du nazisme et du fascisme. Il entendra à distance - mais concerné - les événements de mai 68, préférant à l’adhésion le lent travail du doute. Une manière de contre-courant vital. « La difficulté n’est pas d’écrire, mais de vivre de telle manière que l’écrit naisse naturellement » (La Semaison, 1976). Le passeport pour Jaccottet : une invitation au voyage pour le pays où l’on n’arrive jamais, puisque « le plus simple est aussi le plus lointain ». Les nuages se bâtissent en lignes de pierres l’une sur l’autre légère voûte ou arche grise.
terre (Fata Morgana, 2009 – avec des dessins d’Anne-Marie Jaccottet). L’ordre du volume est soumis à la chronologie des parutions ; c’est le voeu de l’auteur. De la préface à la chronologie, l’appareil qui accompagne les textes est suffisamment légitime pour qu’il soit inutile de – mal – le commenter. Il excelle à per mettre une approche et une compréhension de l’œuvre, en déterminant les contreforts de son inspiration, la parole des aînés qui allaient le féconder. Ainsi la prose de Bashô, dans laquelle il a trouvé la sente étroite par laquelle cheminer, inlassablement. Ce seront aussi le haïku, le spectacle de Grignan et les autres modèles dont le commentaire tente ici de clarifier la présence dans l’œuvre. L’homme, lui, prendra le parti de la clarté, de l’exigence, d’un retrait nécessaire mais nullement
Nous pouvons porter peu de chose à peine une couronne de papier doré; à la première épine nous crions à l’aide et nous tremblons (Pensées sous les nuages, 1983) « Œuvres », Philippe Jaccottet. Edition établie par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon. Préface de Fabio Pusterla. n° 594 de La Pléiade, Gallimard, 59 euros, prix de lancement jusqu’au 30 juin 2014. Le couronnement de Jaccottet a galvanisé les ambitions de ses contemporains. Certains les clament haut et fort. Les plus habiles intriguent auprès d’Antoine Gallimard par missi dominici interposés. Il se dit que le salonnard Jean d’Ormesson serait parvenu à ses fins. Avec Mireille Dumas pour diriger la collection ?
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HISTOIRE
Une singulière rencontre Franco-russe Marie-Pierre Rey relate avec talent et clarté un épisode un peu oublié de notre histoire, celui où le 31 mars 1814, Alexandre 1er, le tsar, entouré du roi de Prusse FrédéricGuillaume III et du prince Schwarzenberg représentant l’empereur d’Autriche, entre dans Paris. C’est le résultat de la campagne de France qui vient clore le reflux des armées françaises amorçait en Russie en 1812. CHRONIQUE PAR Régis Sully / Photo Didier Pruvot - Flammarion Marie -Pierre Rey relate avec talent et clarté un épisode un peu oublié de notre histoire, celui où le 31 mars 1814, Alexandre 1er, le tsar, entouré du roi de Prusse FrédéricGuillaume III et du prince Schwarzenberg représentant l’empereur d’Autriche, entre dans Paris. C’est le résultat de la campagne de France qui vient clore le reflux des armées françaises amorcé en Russie en 1812. Si le tsar se retrouve à Paris c’est en grande partie dû à sa volonté, passant outre les avis
de son entourage qui penchait pour un arrêt des combats une fois le territoire de l’empire russe libéré. Car Alexandre 1er a l’ambition d e d é b a r r a s s e r l ’ E u r o p e d ’ u n p ay s hégémonique et de rétablir par là un continent où l’équilibre des puissances serait un facteur de paix. L’ambition du tsar ne s’arrête pas là, loin d’imposer le retour des Bourbons sur le trône de France, il compte laisser les Français régler la question. C’est en grande partie Talleyrand qui fera pencher la
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balance vers la restauration des Bourbons donc en faveur de Louis XVIII. Non seulement cet autocrate n’avait pas opté d’emblée pour le retour pur et simple de la dynastie déchue mais il va une fois le choix du régime arrêté déployer beaucoup d’ énergie pour forcer le nouveau pouvoir à s’accommoder de l’air du temps, c’est à dire le pousser à élaborer une constitution et à garantir un certain nombre de libertés. Le 1er mai 1814, à Compiègne, Alexandre 1er rencontre Louis XVIII et l’invite à dater son règne du jour où il sera proclamé roi. Ce conseil en dit long sur l’état d’esprit du tsar. Lors du premier traité de Paris Alexandre 1er fera en sorte de ne pas trop pénaliser la France ainsi aucune indemnité n’est exigée. Il essaiera de rendre l’occupation de la capitale par ses troupes la moins douloureuse possible.
Pendant son séjour à Paris, le tsar ne dédaigne pas les mondanités jusqu’à fréquenter Joséphine de Beauharnais ainsi qu’Hortense, sa fille. Marie-Pierre Rey restitue avec érudition les relations entre les occupants et les Parisiens. La France et les Français avaient en la personne du tsar un homme bienveillant à leur égard. Mais si ces derniers doivent beaucoup au tsar, les Russes ne sont pas sortis indemnes de ce séjour en France, certains y sont restés définitivement, d’autres, des officiers, contaminés par les idées libérales seront à l’origine de la création de sociétés secrètes qui fomenteront le complot de décembre 1825. Le 3 juin 1814 Alexandre 1er quitte Paris en laissant le soin à Pozzo di Borgo, son ambassadeur de veiller à la sauvegarde des dispositions libérales du régime et à l’amélioration des relations franco-russes. Il reviendra dans la capitale de la France fin juin 2015 mais dans des circonstances plus sombres car l’épisode des cent-jours avait considérablement irrité les coalisés. En dépit de la situation, Alexandre tentera de limiter les sanctions mais la confiance placée précédemment dans Napoléon le discrédite aux yeux de ses alliés. Passionnant de bout en bout Marie-Pierre Rey restitue un tsar ouvert sur son époque, désireux d’instaurer un équilibre entre les grands pays du continent européen où la Russie occuperait toute la place qui lui revient. A lire.
■Un Tsar à Paris
de Marie-Pierre Rey Editions: Flammarion Collection: Au fil de l’histoire Prix : 22€
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ROMAN
Des dangers d'une croisière en Antarctique CHRONIQUE PAR JULIE CADILHAC
Bernadette Fox vit à Seattle avec Elgin Branch dans une demeure aux allures excentriques et à la s a l u b r i t é approximative. Leur fille, Bee, est un petit génie au cœur d'or. Bernadette n'est pas très sociable et a du mal à supporter la mentalité des autochtones qui l'entourent; elle surnomme d'ailleurs " les bestioles" les mères d'élèves de l'école de sa fille et s'en méfie comme de la peste. Supportant de moins en moins d'entrer en contact avec d'autres que ses
proches, elle a d'ailleurs décidé de profiter des services d'Internet et c'est une certaine Manjula Kapoor, basée en Inde, qui exécute toutes ses demandes: du rendez-vous pris chez le dentiste à l'achat de vêtements chauds pour une expédition en Antarctique... Bee a, en effet, demandé comme récompense à ses excellents résultats une croisière en famille au Pôle Sud: le début du cauchemar pour Bernadette et la raison suffisante pour sa disparition? Nous n'en dirons pas plus pour n e p a s g â ch e r l a s ave u r délirante de ce roman. Maria Semple a choisi de raconter cette histoire selon le point de vue de Bee; le livre s'avère la restitution des divers
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documents que compilent l'adolescente pour donner au lecteur quelques clés d'explication du comportement farfelu de sa mère. Charmés par ce personnage haut en couleurs et en humeurs mais également par la galerie de personnages singuliers qui gravitent autour d'elle, nous vous conseillons vivement cette fiction qui a littéralement conquis The New York Times, The Observer mais également Le magazine Littéraire, Le Figaro Magazine, Marie-Claire ou encore Elle. Résolument féminin ( mais pas que!), Bernadette a disparu vous promet des heures de lecture distrayantes durant lesquelles Maria Semple évoque de surcroît, avec intelligence et drôlerie, la dépression, les incompréhensions qui peuvent naître au sein de d'un couple, les préjugés ou encore la difficulté d'être un bon parent.
" Il semblerait que nous en ayons terminé, lui a dit maman. Alors pourquoi ne repartiriez-vous pas par le trou dans la clôture qui vous a permis de vous faufiler chez moi, et, tant qu'on y est, ne remettez plus les pieds dans mon carré de choux." Elle a fait demi-tour pour retourner au Petit-Trianon en claquant la porte. Et moi je me disais: " T'es la meilleure, maman ! " Parce que c'est ça, le truc. Peu importe ce que les gens disent sur elle aujourd'hui, elle savait vraiment rendre la vie amusante. "
■Bernadette a disparu
de Maria Semple Traduit de l'américain par Carine Chichereau Editions: Plon / Collection: Feux croisés Prix : 21€
Bernadette a disparu
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Illustration
Raconte-moi Léonard de Vinci... Par Julie Cadilhac
Qui était Léonard de Vinci? Si La Joconde viendra fleurir les lèvres de tous les interrogés, si d'autres ajouteront La Cène à leur réponse, voire même seront fiers de préciser qu'il n'était pas qu'un peintre talentueux mais aussi un scientifique et un humaniste,
peu savent qu'il était aussi ingénieur, sculpteur, architecte, urbaniste, musicien, philosophe, botaniste, scientifique et même écrivain. Rival de Michel-Ange, né vingttrois ans après lui, cet artiste du XV ème siècle incarne à lui seul l'archétype de l'homme de la Renaissance et c'est à ce " monument-là" que le génial Benjamin Lacombe a eu l'audace de s'affronter....pour le plus grand plaisir de tous ceux qui aiment qu'on leur raconte de belles histoires vraies. De celles où l'universel embrasse le singulier, où le Beau flirte avec la nécessité, où l'Amour est contraint par les interdits et les procès de l'Inquisition. Léonard aimait un petit voyou des rues dont il pardonnait les caprices et les exubérances de diva. Salaï, son petit diable,
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était son amant, son assistant, sa Muse et sa respiration. Le tome I , Il Salaino, du diptyque de Benjamin Lacombe et Paul Echegoyen, débute aux premiers pas de Salaï dans l'atelier du Maître jusqu'aux coups frappés à la porte du même lieu quinze ans plus tard par Francesco Melzi qui viendra s'immiscer dans ce couple passionnel.
Une bande-dessinée documentée, pleine de délicatesse et d'élégance, dans laquelle sont aménagés des pauses oniriques superbes et où la biographie se dévêt de ses revers fastidieux pour enfiler une parure tantôt grise, tantôt sépia, aux coutures espiègles et aux motifs attrayants. Tandis que l'esprit jouit de la narration fluide et pertinente du scénario, l'œil a de multiples occasions de se pâmer, notamment devant certaines planches géniales dont celle de la découverte de la Cène inondée dans le couvent Santa Maria ou encore le premier point de vue qui représente le Grand Canal vénitien. L'on s'entiche rapidement de ce Léonard de presque 50 ans au visage ridé mais rayonnant de jeunesse, caractéristique propre à la stylisation de son démiurge. Hommage à un être dont la légende est immortelle? Pied de nez à de longs siècles qui le représentaient toujours comme un vieillard? Voilà un ouvrage de fort belle
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facture que l'on ne saurait trop vous conseiller de découvrir! " - Dix florins! Mais qu'allezvous donc faire de toutes ces perdrix? - Ah ah , regarde Salaï!.. Il n'y a rien de plus beau qu'un envol
■ Léonard et Salaï
Léonard et Salaï Partie I: Il Salaïno Storyboard, Scénario, Peinture, Dessin et couleurs: Benjamin Lacombe Aide au Story- Board, Dessin des décors: Paul Echegoyen Editions: Soleil Collection: Noctambule Prix: 17,95€
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LÉONARD & SALAÏ T.1 PAGES COMMENTÉES
BENJAMIN LACOMBE Cette planche révèle en quelque sorte les coulisses de la création de la Cène... Il y a un côté assez vertigineux dans l’idée de reproduire l’une des œuvres majeures de l’Histoire de l’humanité. J’ai trouvé amusant – en opposition à cet aspect un peu mystique – de montrer la légèreté de Salaï qui s’occupe, avec pour seul désir de quitter ce sombre cloître... Pour les dialogues, j’ai souhaité qu’on soit au plus près des pensées de Léonard : en case 3, la phrase qu’il prononce est l’une de celles qu’il avait notées dans l’un de ses codex. Il est toujours difficile d'écrire sur un personnage réel dont on a finalement très peu d'éléments sur sa vie intime, il y a toute une part de fiction, d'interprétation... mais par chance, il y a aussi parfois de réels éléments comme ici que l'on peut rapporter. J'ai essayé de jongler au mieux avec tout ça lors de la réalisation de ce livre. Graphiquement, sur cette planche, on peut voir deux techniques bien différentes. Une technique narrative liée à la bande dessinée – aquarelle et crayon sur papier – et une technique plus picturale – gouache et huile – notamment utilisée pour la ré-interpretation de la Cène. Ce changement de technique a deux fonctions : en premier lieu, la mise en valeur des œuvres de Léonard et le fait de pouvoir, par l’entremise de ces images en double page, clôturer un chapitre, créer un moment de pause. En effet, la technique à la gouache et à l’huile étant plus élaborée, le lecteur a tendance à rester plus longtemps sur l’image, à se perdre dans les détails. Si cette technique n’aurait pas été adaptée à la partie bande dessinée car elle aurait saccadé, ralenti la lecture, elle est parfaite dans cette fonction de respiration, m’autorisant ainsi des images plus picturales, plus symboliques...
PAUL ECHEGOYEN Lors de nos séances de story-board, j'ai suggéré à Benjamin de faire une ambiance nocturne, avec une Cène éclairée à la bougie. En effet, Léonard s'est beaucoup abîmé la vue durant ces nombreuses années à travailler la nuit... Heureusement pour nos yeux, cinq cent ans plus tard, nous avons la chance d'avoir l’électricité ! Pour le décor, la Cène étant perchée à plusieurs mètres au-dessus du sol, il a fallu créer un échafaudage en le suggérant dans l'obscurité. Sur de nombreuses planches, mon travail du dessin en valeurs de gris plus trait m'a permis de suggérer formes que l'ambiance d'une scène, le 55qu'au - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68autant - AVRILles 2014 but étant de faciliter le travail sur la lumière avec la mise en couleurs de Benjamin.
BENJAMIN LACOMBE Cette double planche était à la fois importante dans l'album et assez difficile à réaliser d'un point de vue de la mise en scène et du dessin. Côté dessin, c'est la reconstitution de la bataille d'Anghiari qui a été une sacrée gageure. Il ne reste de cette fresque monumentale qu'un tout petit morceau de celle copiée par Rubens, et quelques esquisses dans les carnets de Léonard. Il m’a donc fallu – après un travail de recherches assez long – essayer de reconstituer la composition et la dessiner avec toute sa complexité dans les convolutions et circonvolutions. En effet, de nombreux éléments clés devaient apparaître : l'ampleur et l'ambition du projet (raison pour laquelle j'ai voulu un si grand panoramique qui court sur deux pages), la rivalité avec Michel-Ange et l'importance du projet pour regagner l'estime et la confiance de ses mécènes et de fait, la difficulté de la désillusion lorsque finalement le projet devra être abandonné par Léonard, à bout de souffle. Se côtoient ainsi dans cette double planche, de très hauts rêves de grandeur et de terribles sentiments d'échec. Pour le découpage, j’ai souhaité démarrer par un très grand panoramique en contre plongée, qui permettait de mettre en avant l’ampleur du projet, qui après une succession de plans – des hauts, des bas – se termine en un petit panoramique en plongée comme une réduction à l’infime du plan et du projet de départ. On termine sur Léonard, petit dans un grand espace, Salaï le consolant...
PAUL ECHEGOYEN Cette double page est importante, et assez dramatique, dans le scénario. Il s'agissait de représenter la destruction par un violent orage de la bataille d'Anghiari, en cours de réalisation au Palazzo Vecchio de Florence. Une fois la grande case panoramique des trois panneaux terminée sur le mur Est de la Salle des Cinq-Cents (anciennement Salle du Grand Conseil), j'avais hâte de voir l'intégration des personnages et du crayonné de la bataille... Aujourd'hui, je trouve le résultat final très réussi, et c'est à mon avis l'une des cases de l'album où notre travail à56 4 mains mieux ! - BSCs'illustre NEWSleMAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
BENJAMIN LACOMBE Cette planche montre bien le rôle qu'a joué Salaï dans la vie de De Vinci. En plus de l'assistant, de l'amant, il a été un véritable soutien pour lui. On y voit un flashback d'un moment important dans la vie de Léonard, qui démontre bien l'injustice dont il a souvent été victime : la République toscane le consulte, avec un collège d'artistes locaux, pour déterminer un emplacement au David de Michel-Ange ; tous s'accordent alors à vouloir le placer sous la loggia à l'abris des intempéries, pourtant seul Léonard est accusé de vouloir cacher l'œuvre de Michel-Ange qui restera un ennemi à jamais. Pour qu'on comprenne bien qu'il s'agisse d'un flashback, j'ai joué sur un contraste entre des camaïeux de gris assez froids pour les moments au présent et ce, afin de renforcer l'aspect dramatique de la scène, et des camaïeux de bruns, plus chauds, pour le passé. J'ai dû retravailler un peu les crayonnés de décors qu'avait réalisés Paul - non parce qu'ils n'étaient pas beaux, mais parce qu'ils ne correspondaient pas à la narration. C'est souvent la difficulté avec la bande dessinée : on ne doit pas nécessairement dessiner ce qui ferait joli, mais aussi se plier à la narration, au parcours de l'œil et à l'efficacité de ce qu'on souhaite raconter.
PAUL ECHEGOYEN On ne le voit pas sur les pages finales du livre, mais derrière chaque personnage se cache la continuité du décor, excepté sur les cases de gros plans. Sur cette planche, par exemple, Benjamin a recomposé la première case en recadrant mon décor par soucis de clarté et de lisibilité. C'est parfois frustrant d'avoir passé beaucoup de temps à dessiner quelque chose qui ne se verra pas, mais c'est important de savoir s'oublier un peu pour rester au service de la narration, et donc du lecteur !
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ROMAN
fantasmagories poétiques
CHRONIQUE PAR LAURENCE BIAVA
« Catherine Andrieu appartient à la race nervalienne des poètes grâce auxquels « le songe s’épanche dans la vie réelle » - irrépressiblement, par coulées, par àcoups ». C’est une poésie onirique, envoutante et érotique, nourrie des mythes anciens et de magie noire. C’est une poésie opaque qui évolue dans un univers fait de fantasmagories : l’identité révélée y est double, imprécise, les choses et les êtres qui y sont décrits appartiennent au monde irréel, fluctuant. On s’y perd avec bonheur. I l y a d e u x r é c i t s p o é t i q u e s : Chaosmose, raconte le personnage de 58 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
Zaha qui porte en elle le chaos. Le chaos que mentionnait Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra». Zaha est une femme sans visage, elle est un peu étrange, voue un culte aux créatures du diable, elle meurt dans les eaux d’une rivière et sa mort préfigure celle du Saint-Homme. Le personnage de Zaha finit par totalement se dédoubler, comme dans une transe chamanique, suivant les lois du rêve et de l’inconscient, rompant avec le principe de réalité, principe cher à l’auteur. L’eau insaisissable et fuyante est également le sujet principal de cette première partie, car son évocation prolonge le sentiment hypnotique qui se dégage de la prose. Nouvelles lunes est un recueil de poèmes oraculaires et médiumniques. Il est divisé en deux parties : La légende et D’ailleurs et d’aujourd’hui. Il présente les événements de la légende du roi Arthur dans un ordre bien précis. De l’illusion d’optique, et du style elliptique des poèmes se dégagent le sentiment d’être à la frontière de deux mondes : le réel et le fantasque, où l’homme, toujours, se dissout, mais où les forces de la nature le dominent. Ainsi cette lune, ce croissant de lune qui deviennent rouges, zébrant le ciel d’encre.
Encore invisible pourtant derrière la montagne Sa silhouette sombre se découpait dans la lumière Même en ombre chinoise on devinait son sentiment poignant de solitude Les autres prêtresses la rejoignaient leur souffrance dessinant de petits nuages blancs Dans l’air vif de la nuit Les sensations de vertige se dissipaient peu à peu. Elle put prendre place devant l’autel de pierre où elle déposa le Graal en argent… La prose très habitée et très imagée de Catherine Andrieu est un régal. On aime ces petites évanescences, cette poésie à la fois sombre et éclatante, ces réminiscences nourries de vestiges, miroirs et métaphores qui transfigurent nos drames contemporains.
■ Nouvelles lunes/chaosmose Catherine Andrieu Editions du Petit Pavé 89 pages
Le vent avait dissipé les brumes Vers l’Est, elle vit le ciel s’illuminer tandis que s’élevait la lune
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ROMAN
Sensuelles variations CHRONIQUE PAR LAURENCE BIAVA / Photo Jacques Fournel
Magali Brénon raconte dans son dernier livre les tribulations d’une femme prête à en découdre avec son ardent désir. Elle décrit avec acuité et sans faiblesse de rythme ce qui fait écart entre deux personnes et s’aiguise à l’exigence impérieuse de la jouissance. Ces fragments poétiques sont composés d’une multitude de courts chapitres qui expriment chacun une carte du tendre différente. Tour à tour, la narratrice
s’ouvre, se soulève : elle s’infléchit, elle remonte, elle s’émeut, elle bascule, elle cartographie, elle roule, traverse, contient, déborde, bouscule, module et s’ébat chaque fois dans un rapport à l’autre et à la nature avec laquelle son corps réclame l’étreinte. « Mon corps épouse à présent le lieu du contact, une dépression au ras du sol et de plusieurs hectares, vestige d’une rencontre explosive. Mes eaux superficielles ont tari le magma et le cratère partiellement s’est
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comblé. Je suis une eau dormante, vouée à disparaître ? » A chaque chapitre, ces fragments élégiaques racontent un paysage, ses toponymes miraculeux incarnés en roches et en flux, en massifs et rivières où se déploient une merveilleuse végétation robuste et le cœur indigène. Chaque fois, l’éveil du désir s’y écrit donc, comme dans un jardin d’Eden, et chaque phrase est une éruption à elle seule, fusionnant élégamment avec l’autre qui suit.. Le relief du texte passe d’un lent réchauffement des sensations aux accélérations brusques des émotions. Aux détours inattendus : puy de Sancy, Uruguay, lacs bordés de gentianes où l’on vient se baigner, le lecteur beat devant tant de beauté finit par fusionner totalement avec cette vestale nue plus que dénudée, offrant son corps aux éléments,
à « son troupeau d’amants ». A la moitié du texte, surgit un nom, Marcello, et deux autres Montevidéo et la Dolce Vita qui ne vont cesser de s’alterner, dans une suite ininterrompue de petites phrases, et c’est alors un monde qui se donne tout entier, magique et magistral, sujet aux variations les plus brutales, les plus offertes. Toutes les phrases prosaïques, extrêmement travaillées et ciselées, épousent les contours ainsi dessinés, brûlant d’une ardeur qui transforme les corps en espaces telluriques. Alors, dans cette ode au désir charnel exploré par de savantes métaphores (où cumulent, les éruptions, les incandescences, les fournaises, les lacs de feu, les coulées de lave, et auxquels répondent en alternance, le ruissellement des torrents, la pluie, des fontaines « de Trévi », les cascades, l’écriture particulièrement littéraire, se fait sensuelle mêlant désir et érotisme et se présente comme une réponse aux textes mélancoliques, bruts et idéalistes de JeanLouis Murat. « Par la cassure le magma gicle, et sur les pentes s’épanchent les laves. Au nord, le fracas des versants brûlés. L’air soufflé par le cratère d’explosion traverse mes surfaces désertiques, et les coulées redéfinissent le paysage intérieur/extérieur. Creusant des trous et des reliefs elles laissent apparaître des lacs, et autant de mortes fontaines. Sur la paierre et le feu, l’eau, bleutée a la même teinte que ma peau. » Magali Brénon est une voix nouvelle dans le paysage littéraire français et ce texte allégorique où tout bouge en
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permanence, évoluant au rythme du désir flamboyant de la narratrice, est immense. Sa voix, son allure, sa grâce brillent de mille feux, : sa personne toute entière est cernée par les murmures de la nature et des individus qui se rappellent tout le temps à elle, ou qu’elle va chercher, en écho au fil du rythme des saisons et des atmosphères, de ses vie intérieure et extérieure, quand elle revient du temps des songes. Bel ouvrage qui livre un corps à cœur émouvant et unique aux volutes très ancestrales, harnaché, vivant, élaboré, sans imitation. Avec une écriture à vif.
■ Jamais par une telle nuit Magali Brénon
Roman 172 pages Editions Le Mot et le Reste Prix :16,95 €
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E-BOOK
IRÈNE FRAIN Propos recueillis par Emmanuelle de Boysson / crédit photo ® Irène Frain a choisi le numérique pour faire paraître sur IPAD «Beauvoir, l'enquête», les coulisses de son livre, «Beauvoir in love » paru chez Michel Lafon, récit de la folle passion de Simone de Beauvoir et de l’écrivain américain, Nelson Algren. Elle nous explique pourquoi ce choix. Et pourquoi elle y croit.
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Pourquoi avez-vous décidé de vous aventurer vers le numérique pour « Beauvoir Enquête » ? Qu’apportezvous de nouveau par rapport à votre livre ? Parce que les écrivains sont toujours allés là où les bonnes âmes leur ont dit qu’ils n’avaient rien à faire : làbas, ils ont tout à faire! J’ai donc décidé de m’aventurer dans le « l à - b a s » d u numérique. Et en quelques semaines, il est devenu mon « ici ». L'idée était de raconter les coulisses d’un des mes livres, « Beauvoir in love », récit de la folle passion qui, à l’aube des années 50 et dans un décor de roman noir, attacha Beauvoir à l’immense écrivain américain Nelson Algren. Pour écrire mon livre, j’avais enquêté entre Paris, Chicago et les archives d’une université de l’Ohio. J'avais vite accumulé un trésor de pépites documentaires inconnues filmé, photographié, enregistré, noirci sur le vif des pages d’esquisses et de notes. Et vécu un véritable petit polar littéraire, car la vraie histoire des amants ne coïncidait jamais avec la version officielle, celle qui faisait de Sartre le seul vrai grand
amour de Beauvoir. Mais non ! Même après leur rupture, et jusqu'à sa mort, l'ardente Simone n'a cessé d'aimer Nelson. Bien entendu, elle le niait farouchement, n'empêche, elle ne se séparait jamais de l'anneau qu'il lui avait donné le 10 mai 1947, au matin de leur première nuit d'amour… En me rendant aux USA, j’ai découvert, intacts, les lieux de cette passion longtemps cachée, et même débusqué le photographe qui avait réalisé en 1950 les célèbres clichés de Beauvoir nue. Mes lecteurs, qui m ' é c r i v e n t beaucoup, n'ont pas cessé de me demander de leur relater cette palpitante enquête. Seul le numérique permettait ce partage. Ainsi est né "Beauvoir, l'enquête". Dans les marges de mon récit, photos, les bouts de films, les illustrations sonores sont mises à disposition du lecteur à moindre coût — à peine 8 euros — et il se crée ainsi un aller-retour entre le livre imprimé — "Beauvoir in love", le roman vrai de cette passion qui paraîtra d'ici quelques semaines en poche — et son contexte concret, l'écrivain en prise à ses interrogations
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et à la réalité du terrain. Mais le lecteur peut aussi faire le chemin inverse, partir du livre imprimé, et, après sa lecture, aller chercher sur sa tablette le récit du "making-of" du livre… "Beauvoir l'enquête", texte numérique en format court, est en quelque sorte le "bonus" de "Beauvoir in love". Que vous apporte de plus le numérique ? Un partage différent avec mes lecteurs. Une sorte de "réalité augmentée" du livre papier. Sans le numérique, tous les trésors que j'avais découverts sur cette histoire seraient restés dormir dans ma cave. Avec les images, les sons, les photos, les films, le passé devient extrêmement vivant. Pour inventer ce texte — car pour l'instant, il n'y a pas de modèle — je me suis emparée des fabuleuses échappées offertes par l’outil multimédia, moi l’écrivain né du papier et dans le papier. Avec trois exigences : plaisir, clarté et
respect du lecteur. On peut être vivant sans démagogie! Et de façon assez surprenante, après cette aventure, je me sens infiniment mieux inscrite dans le sillon multimillénaire de la littérature. Je m'explique : à chaque fois que les outils et les supports de l’écriture ont changé — aux tablettes de cire de l'Antiquité a succédé la plume d’oie, quel bond technologique ! Puis ce fut le stylo à plume lui-même remplacé par la machine à écrire et le traitement de texte, les écrivains se sont appropriés de ces outils chaque fois innovants et les ont mis au service de leur créativité. Inventer, quel bonheur ! Le même que celui du surfeur au sommet de la vague. Ma vague à moi, ce sont les temps qui changent. Ils changent, bon, et alors? Au lieu de me lamenter et me laisser aspirer par le siphon négatif de la nostalgie, ma politique, c'est : on au sommet de la vague, on utilise à fond son énergie et ses ressources et on y va!
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A-t-il plus d’impact ? Pour l'instant, je n'en sais rien, c'est trop tôt. On reste de toute façon tributaire de l'équipement des lecteurs en tablettes. En France, il reste encore assez faible. Mais justement, ce qui m'intéresse aussi dans cette expérience, c'est qu'elle s'inscrit dans la durée. Une fois que le texte est en ligne, il est pérenne, contrairement au livre papier qui, lui, est tributaire des problèmes de distribution, stockage, pilon, etc... Est-ce un média qui risque de remplacer peu à peu le livre papier ? Je crois à la complémentarité. Pour moi, le numérique et le papier ne s'opposent pas, ils s'accompagnent. Souvenez-vous de ce qu'on disait de la télévision dans les années 60: " Elle va tuer la radio!" Cinquante ans plus
tard, la radio est toujours là, bien vivante, car elle fait appel à l'imaginaire de chacun et les gens, dans la brutalité pragmatique du monde contemporain, ont de plus en plus besoin de média qui sollicitent cette fonction essentielle de notre cerveau. Le livre imprimé, à cet égard, est un support inestimable. Êtes-vous une adepte ? Lisez-vous sur Ipad ? J'y lis des documents, jamais des romans. C'est d'ailleurs à partir de cette constatation que j'ai conçu "Beauvoir, l'enquête". Je me suis tout simplement dit: « Toi, qu'est-ce que tu aurais envie de découvrir sur ta tablette au sujet de Beauvoir et de son amant américain ? Quelles photos, quels films, quelles musiques, quels décors réels restés secrets
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jusqu'ici? » Le support numérique, pour moi, obéit à une curiosité qui demande une satisfaction de curiosité avide et parfois immédiate. Le support papier, à mon sens, relève d'un plaisir différent. Dans le roman, l'imaginaire du lecteur est primordial. Je trouve que le côté " machine" de la tablette est bien moins propice à l'essor de l'imaginaire romanesque. Pourtant je pense être très décomplexée devant les outils technologiques puisque j'ai été la première romancière française, en 1984, à utiliser un traitement de texte.
■ Beauvoir in Love
Allez vous publier directement sur ipad certains de vos livres ? Non, je ne suis pas une femme de système. Encore une fois, l'essentiel est de choisir le support adapté au message et à son contenu: "Beauvoir l'enquête" est un document, une œuvre de passeur sous format court et vivant. J'en reste pour mes romans à la même politique : publier sur support papier et support numérique simultanément.
✪✪✪ ▶ LE BSC NEWS EST AUSSI UN 68 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014 SITE D ACTUALITÉS QUOTIDIEN CLIQUEZ ICI - WWW.BSCNEWS.FR
Irène Frain
Editions Michel Lafon Pagination: 372 pages Prix: 22 € Disponible en eBook
INTERVIEW
Quand tout bascule.... Par Emmanuel de Boysson / Photo Hélène Bamberger
Paris 1910 : au moment de la grande crue, la poétesse Anna Akhmatova découvre la ville inondée avec son mari. Elle rencontre par hasard Modigliani. L’artiste mène une vie de bohème, ses tableaux ne se vendent pas. Ils vont s’aimer, le temps d’un séjour, sous le signe de la passion de l’art. Elisabeth Barillé évoque ce Paris de Montparnasse, la Russie et ces êtres épris de beauté, avec ardeur, avec profondeur, dans une langue élégante portée par l’amour de la poésie, de la peinture et des passions impossibles. Comment est née l’idée de ce livre ? D’une visite que j’ai faite au musée Anna Akhmatova à St Pétersbourg, il y a quatre ans. Le projet d’un livre sur mes origines m’avait lancée dans un long voyage de huit semaines en Russie. Je m’étais arrêtée à St Pétersbourg, que je connais assez
bien, pour souffler un peu. J’avais entendu parler de ce musée et surtout d’Anna Akhmatova. Ma grand-mère lisait ses œuvres. Durant mes études de russe, j’avais même tenté de traduire en français quelques poèmes de jeunesse, les plus accessibles. Sa vie tragique avait épousé tous les
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Le dessin d’Anna par Modigliani à l’origine de leur rencontre à Paris en 1910
drames de l’histoire russe depuis la Révolution d’Octobre jusqu’aux atrocités du stalinisme. Il y avait aussi sa beauté, une beauté surmontée sur la mélancolie, le goût du malheur, toute une fatalité qui me la rendait fascinante évidemment. Le musée était désert, je ne m’y attendais pas, Akhmatova est une gloire dans son pays, mais le plus étonnant m’attendait sur un mur du salon : un dessin la représentant. Un dessin de Modigliani, je l’ai compris aussitôt, son trait est très reconnaissable. On y voyait Anna de profil, allongée sur un divan. Cette tendresse de la touche, était-ce
l’amitié, était-ce l’amour ? Où, quand, comment s’étaient-ils rencontrés ? Les livres commencent souvent par des énigmes…. Racontez-vous votre enquête ? Le principal axe concernait évidemment les archives laissées par Anna Akhmatova. Je me suis rendue à Saint-Pétersbourg pour m’y plonger, avec l’espoir un peu naïf sans doute de mettre la main sur cette correspondance évoquée dans le texte qu’elle a écrit sur Modigliani vers la fin de sa vie, en 1958. J’ai dû déchanter quand la conservatrice du fonds m’a annoncé que cette correspondance était introuvable et que tout
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portait à conclure qu’elle avait disparu quand la poétesse avait détruit une partie de ses archives personnelles dans les années trente. Une mesure de prudence, alors, dans un pays totalitaire, à une époque absolument gouvernée par la peur. To u t c e q u i t é m o i g n a i t d ’ u n attachement aux valeurs du passé pouvait être retenu à charge. Pour Staline, cette artiste décadente n’avait rien d’une citoyenne exemplaire : son mari avait été fusillé comme monarchiste en 1921, son fils faisait l’objet d’arrestations répétées, c’était une orgueilleuse, une solitaire, une exaltée, une ténébreuse. Le régime n’aimait guère ces personnalités complexes… Cette amitié amoureuse a-t-elle vraiment existé ?
Évidemment ! Je n’aurais jamais écrit ce livre si j’avais eu le moindre doute. À défaut des précieuses lettres, j’ai retrouvé des témoignages de l’époque, j’ai eu aussi le privilège de contempler d’autres dessins d’Anna par Modigliani. Le musée les détient jalousement dans un coffre… Parlez-vous du Paris de Montparnasse d’alors ? Le quartier est tout neuf, le boulevard Raspail vient d’être percé, les automobiles commencent à damner le pion aux fiacres, les autobus aux omnibus à chevaux, le métro vient d’inaugurer sa fameuse ligne NordSud. Désormais on peut traverser Paris en beaucoup moins de temps qu’il en fallait quand Gertrude Stein allait poser pour Picasso. C’était aussi le début d’une certaine liberté des
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Le portrait d’Anna peint en 1911 par Nathan Altmann
mœurs, les audacieuses se promenaient en jupes-culottes, cela avait frappé la jeune Russe… Voilà pour l’image superficielle, mais j’ai voulu donner aussi une tonalité moins attendue. Anna rencontre Modigliani en 1910, l’année de la grande crue du siècle. Quand elle arrive gare de l’Est, l’électricité n’a pas été rétablie partout, les Parisiens sont toujours sous le choc. Anna découvre une ville beaucoup plus sombre et complexe qu’elle ne l’avait imaginée quand Paris n’était encore pour elle qu’un nom magique. De la vie à Saint-Pétersbourg à cette époque C’est le deuxième axe du livre : l’effervescence intellectuelle de ce côté-
là du monde. Les Russes connaissent tous Matisse, Picasso, Soutine, Apollinaire, mais peu de Français connaissent Ilya Répine, Alexandre Benois, Valère Brioussov, ou le critique et peintre Maximilian Volochine. L’ogre Volochine : le plus parisien des rapins russes, disait-on de lui, car il passait sa vie entre les deux capitales et n’avait de cesse de faire se rencontrer les deux cultures. Au début du XXe siècle, SaintPétersbourg entendait bien rivaliser avec Paris sur le plan intellectuel. Les salons littéraires pullulaient. Les librairies, installées sur le côté ensoleillé de la perspective Nevski regorgeaient de nouveautés. Loin d’être confinées aux rôles de potiche ou de muse, les femmes maniaient la plume comme journalistes, critiques, romancières et poètes. Anna Akhmatova entendait bien les supplanter toutes. Elle y a réussi. Amedeo Modigliani est resté dans la légende comme un artiste dévoré par l’alcool. Ce n’est pas du tout la vision de votre livre. En 1910, Modigliani a 26 ans, cela fait six ans qu’il vit à Paris, il n’a pas encore connu la gloire, mais le docteur Paul Alexandre, son premier mécène, loue déjà son talent exceptionnel. Apollinaire, qui sévit comme critique d’art au journal L’Intransigeant a remarqué ses toiles au Salon des Indépendants. Elles ne se vendent pas, mais elles font parler d’elles. Ce n’est pas si mal. Modigliani a donc toutes les
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Montparnasse 19. C’est contre cette vision grotesque à ses yeux qu’elle sort de son silence et se met à écrire sur lui. Ses souvenirs sur son « cher Modi. » s’ouvrent sur ces lignes : « Je crois sur parole ceux qui le décrivent, bien qu’il ne soit pas celui que j’ai connu (…) Il m’avait l’air enserré dans un cercle de solitude. Venant de lui, je n’entendis aucun nom connu, ami ou peintre, aucune plaisanterie. Je ne le vis jamais ivre et il ne sentait pas le vin. » On ne peut pas être plus claire…. Vous êtes vous-même d’origine russe. En quoi vous êtes-vous sentie des affinités avec ces deux artistes ? Je ne sais pas si cela compte. Ces deux artistes sont deux grands chercheurs d’or, deux êtres hantés par l’absolu. On n’a pas besoin d’avoir du sang slave pour être sensible à cette quête impossible…
raisons de s’estimer encore capable de « sauver son rêve ». Son grand rêve, en l’occurrence, n’est pas tant d’être peintre que d’être sculpteur. Brancusi l’encourage. Quand il rencontre Anna, Modigliani ne connaît pas encore le découragement et la détresse. S’il boit, c’est pour s’amuser, pour provoquer, pas pour se détruire. Akhmatova sera d’ailleurs révoltée par le portrait caricatural que le cinéaste Jacques Becker impose en 1958 dans
■ Un amour à l’aube. Amadeo Modigliani Anna Akhmatov d’Elisabeth Barillé 205 pages 16,90 € Editions Grasset
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ROMAN
d’une rive à l’autre PAR Laurence Biava / Photo DR
« Une séparation » est la dernière pièce de Véronique Olmi dont le théâtre, de Chaos debout, à Mathilde, est monté en France et à l’étranger par les plus grands metteurs en scène, et couronné par de nombreux prix. «Cela va vite, une séparation. Il suffit d’un mot pour défaire des mois, des a n n é e s d ’ a m o u r, c ’ e s t c o m m e dynamiter sa maison, on craque une allumette, et tout s’effondre ». Cette courte pièce raconte dans un dialogue ininterrompu la rupture qu’entament un homme et une femme d’une quarantaine d’années après un
long bout de chemin passé à vivre ensemble. C’est la femme qui, un matin, raconte pourquoi elle s’est levée avec la ferme intention d’écrire une lettre de rupture. L’homme reçoit la lettre et refuse la séparation. S’enchaînent les évocations multiples et variées de situations vécues à deux, les bribes de dialogue, les colères : les reproches fusent, avec son lot de bons et mauvais souvenirs, et les signes avant-coureurs qui peuvent expliquer e t j u s t i fi e r p o u r l a f e m m e , l a séparation, et la peur pour l’homme de se voir ainsi quitté sans raison à priori valable, obligé de se retrancher seul, avec un système de défense moribond,
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sont légion. L’un et l’autre finissent par se dire, par s’écrire, par s’avouer pourquoi ils se sont aimés, pourquoi ils se quittent, comme s’ils se livraient une dernière bataille, perdue d’avance, on s’en doute. « Nous aurions du mettre autant de soin à vivre ensemble, que nous en mettons à supporter l’absence. Jamais nous ne nous sommes écrit. Jamais nous ne sommes adressés à l’autre avec autant de précautions ». Le tour de force de Véronique Olmi est d’explorer le sentiment amoureux dans toute sa globalité, sa passion et sa palette de sensations, du moment où l’amour naît jusqu’à celui où il s’éteint. Sans ne jamais tomber dans la caricature facile ou la comédie vaudevillesque de circonstance, l’auteur nous entraîne dans les méandres de la solitude, de la crainte d’être abandonné : les postures de façade des uns et des autres sont passées au scalpel…Jusqu’au jour où tout explose et vole en éclats. La faute à l’inattention que l’on se porte, aux réflexes conditionnés, à l’habitude qui nous habite… Les mots de Marie résonnent comme une fin nécessaire, irréversible.. Chaque lecteur se retrouve en Paul, chaque lectrice en Marie, et si possible,
chacun se lit dans les deux protagonistes. Pour ceux qui ont déjà aimés, le contraire est impossible. La beauté de ce texte réside aussi dans l’espoir et l’espérance qu’il convoque au sein de toute conjugalité. Être libre ensemble, est-ce possible ou non ? Ici, les anciens amants sont en quête de devenir. Ils vont se laisser une seconde chance. Envisager la séparation était une manière de se prouver à soi et à l’autre l’essence et le but de son existence. Une lettre, deux lettres, des hôtels à Nice, et Marie est en quête de repères, d’empreintes, de retrouvailles… Comment dire que la séparation est une petite mort qu’il est impossible d’envisager sans éprouver le sentiment de se perdre totalement. D’être anéantis par le chagrin. Un grand petit livre. Déchirant. Décapant.
■Une séparation Véronique Olmi Editions Albin Michel 71 pages
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INTERVIEW ÉPISTOLAIRE
UN HOMME LIBRE CHRONIQUE PAR SOPHIE SENDRA / Photo DR
A l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage « Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? » (Éditions Les Liens qui Libèrent), le psychanalyste et Professeur Émérite Roland Gori a accordé une interview épistolaire à notre journaliste Sophie Sendra. Lorsque la philosophie rencontre la psychopathologie, la psychanalyse, le débat autour du bonheur et de la liberté s'engage. Entre langage et concept, bon sens et humanisme, critiques et poésie, Roland Gori nous pousse à réfléchir sur la condition humaine, le monde dans lequel nous vivons, sur le lien social et notre relation à l'Autre. Le 04 Mars 2014 Cher Roland Gori, C'est à l'occasion de la lecture de votre ouvrage Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? (Éditions Les Liens qui Libèrent, 2013) que je me suis dit que je n'avais jamais entretenu de relation épistolaire avec un « psy ». Ce dernier terme n'est pas péjoratif, mais reflète votre parcours lié à tout ce qui concerne le psychisme humain. Ce qui m'a interpelé dans votre ouvrage c'est tout d'abord le titre : évocateur d'une philosophie plus que d'une psychanalyse au premier abord. C'est une question qui pourrait être posée aux futurs bacheliers ! On ne s'attend pas à retrouver une critique de vos propres collègues psychiatres ou encore des nouvelles technologies que nous qualifions de « progrès techniques », mais qui n'ont rien de progressistes selon moi... en tout cas dans la relation à l'autre et au monde.
Être « mondain », au sens propre du terme, c'est autre chose... Ce qui m'intrigue également c'est le terme « culpabilité ». Vous exprimez l'idée selon laquelle la technologie « disculpe » celui qui l'utilise - vous pensez aux réseaux sociaux et à leurs dérives sans doute - et propose ainsi une forme de « négation » de l'autre : selon vous il faut reconquérir la culpabilité afin de ne pas oublier la présence - même virtuelle - d'autrui, cet alter ego, cet autre nous-même. La notion de « culpabilité » fait appel à un sentiment religieux selon lequel il faudrait se sentir en faute ; celle-ci a également fait partie d'une « stratégie » politique pour mieux tenir les peuples. A ce mot de « culpabilité », je préfère celui de « responsabilité » qui fait écho à la notion de citoyen autonome dans sa pensée. De plus, la psychanalyse a été peu avare de cette « culpabilité », en insistant sur celle des mères vis à vis de l'enfant par
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exemple. Heureusement, elle a revu sa copie... Enfin, ne faudrait-il pas passer de cette « culpabilité fondatrice du lien social » dont vous parlez, à une « responsabilité dans le lien social » ? Ces petites réflexions de départ ne sont qu'un petit aperçu des questions qui s'accumulent sur mon bureau. En parlant de bureau, je pose toujours cette ultime question à mes correspondants : « Dis-moi à quoi ressemble ton bureau, je te dirai qui tu es ». Alors Monsieur Gori, une petite description s'impose... A très bientôt, Sophie SENDRA Le 06 Mars 2014 Chère Sophie Sendra, Vous me voyez très honoré d’être le premier « psy » avec lequel vous entreprenez un échange épistolaire. C’est une lourde « responsabilité » - sans culpabilité pour autant ? - à laquelle je me trouve invité, et j’ose espérer ne pas me révéler trop inégal à la tâche.
D’autant que certaines de vos remarques concernant la psychanalyse et la culpabilité des mères qu’elle distribuerait allègrement me font craindre de votre part quelques préjugés défavorables à l’égard de ma discipline. N’ayez crainte j’ai une profonde aversion pour les interprétations générales des symptômes comme pour toute psychologisation des problèmes sociaux ! D’ailleurs en la matière les psychanalystes n’ont pas le monopole de l’ignorance épistémologique, de l’imprudence des interprétations du monde et de ses misères…Aujourd’hui ce seraient plutôt les biologistes, économistes, généticiens et neurocognitivistes qui ne se privent pas de s’abandonner à cet « état paresseux du savoir » que le médecin philosophe Canguilhem nommait une « idéologie scientifique » ! Seuls les contenus des discours à la mode changent, l’opium de l’idéologisation des savoirs demeure ! A propos d’opium, oui vous avez raison j’ai choisi un titre assez philosophique pour mon dernier bouquin. Je vous l’accorde cela fait un peu sujet de bac : « Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? »… Mais reconnaissez quand même chère Sophie, si je puis me permettre cette adresse familière, que l’on a jamais autant glosé sur le bonheur que ces derniers mois où il n’a jamais autant été incertain ! Vous connaissez la phrase de Prévert : « j’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant » ! Alors tout ce tintamarre aujourd’hui accroit ma conviction qu’il a vraiment foutu le camp… Et qu’en lieu et place on vous promet la sécurité, qui n’est que sa part la plus congrue, réduite aux acquêts des misères sociales. Telle est la thèse de
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l’ouvrage : depuis que l’abondance, comme la belle arlésienne, se fait attendre on ne peut plus vous promettre des lendemains qui chantent, faire le serment de vous protéger de la misère, elle est déjà là, alors on vous jure que l’on finira par vous protéger des plus misérables d’entre nous, de ces gueux étranges et étrangers…qui vous empêcheraient d’aller pointer tranquillement à Pôle Emploi ! Puisqu’a contrario des siècles précédents on ne peut plus vous promettre le Paradis sur terre, pour demain et pour vos rejetons, on va au moins vous promettre un purgatoire bien peinard ! C’est là où il faut voir l’articulation de ce discours de promesse avec la fabuleuse exigence des techniques qui pensent pour vous, vous fournissent les modes d’emploi de votre vie comme elles vous fournissent les prescriptions des actes professionnels que vous devez accomplir, sans réfléchir et sans état d’âme, pour pouvoir être accrédité comme « bon » professionnel ! Vous n’avez qu’à suivre les modes d’emploi et les règles de bonnes pratiques et vous serez bien « évalués » !!! C’est par là que passe aujourd’hui cette soumission sociale librement consentie que permet l’évaluation qui, sous toutes ses formes, normalisent, contrôlent, formatent et mutilent les individus comme les peuples ! Il suffit de s’identifier aux machines, d’apprendre leurs langages (informatique par exemple), de faire corps avec elles jusqu’à la nausée d’une copulation consentie et vous serez « heureux », heureux de ne plus avoir à penser, à décider, à vous embarrasser des états d’âme moraux ou politiques. Vous avez déjà vu, vous, votre ordinateur se mettre en grève pour des motifs politiques ou sociaux, se rebeller contre votre pouvoir immoral ou abusif ? Non, vous n’accordez à votre ordinateur
que la panne, le dysfonctionnement, l’obsolescence ou le bug… Eh bien demain il en sera de même pour des humains ! C’est ça l’avenir de la psychiatrie depuis que de l’autre côté de l’Atlantique ils ont trouvé ce truc génial qui consiste à en finir avec les palabres des psys, leurs sempiternelles querelles de diagnostic, en les obligeant à suivre les protocoles des machines, à se comporter comme des ordinateurs vivants ! Bientôt d’ailleurs on n’aura même plus besoin de psy puisque le patient pourra dialoguer directement avec son ordinateur qui lui « crachera » son diagnostic et sa prescription comme on prend son café le matin au distributeur du bureau. Et puis comme le patient aura de plus en plus son mot à dire, l’avenir c’est qu’il puisse lui même doser sa prescription comme on le fait pour le sucre du café ou la couleur du préservatif… c’est à de telles choses, chère Sophie, que l’on peut juger que l’on est en démocratie ! Il se fait tard et je ne peux davantage m’expliquer sur la délicate question de la culpabilité qui a fait le fond de commerce des religions et autres magisters. Sans que l’on puisse pour autant jeter le bébé de cette culpabilité fondatrice du lien social avec l’eau du bain des religions, je ne saurais me résoudre comme vous à la diluer dans la responsabilité. Certes la notion de « responsabilité » que vous proposez à la place de celle de la « culpabilité » est plus souriante, attractive, up to date, mais elle minore le rapport ambivalent, empreint d’amour et de haine, que le sujet humain nourrit pour son semblable. Le social nait de ce besoin humain d’impliquer l’autre dans ce qui nous arrive, de joies et de peines, à partir de ce moment là émerge l’amour comme la haine. Donc la culpabilité. La culpabilité est le fruit de notre infatigable
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« besoin de causalité » qui nous fait attribuer une « étiologie sociale » à ce qui arrive… Mais j’ai peur de vous lasser, chère Sophie, en devenant un peu compliqué ! Il est temps d’aller ranger mon bureau… vous me demandez de le décrire ? Impossible ! J’en ai au moins deux ou trois sur lesquels s’entassent livres dossiers et toutes sortes d’objets inutiles qui me feraient suspecter par les « nouveaux psychiatres » du DSM5 de patient atteint de « syllogomanie » (compulsion à accumuler des objets inutiles). Mais entre nous, chère Sophie, c’est leurs classifications que je trouve totalement inutiles et délirantes. Quant à mon bureau…je m’en fous j’écris la plupart du temps sur les tables du salon ! Bien à vous Roland
Le 06 Mars 2014, Cher Roland, Je viens tout juste de recevoir votre lettre. Je prends la plume – le clavier – pour vous répondre avant d'oublier mes premières impressions. Peut-être que cette lettre sera écrite en deux fois car j'ai un article à écrire en urgence.
Nuls préjugés de ma part vis à vis de la psychanalyse, tout au plus un petit « pic » afin de connaître votre sentiment, puisque vous êtes – semble t-il – freudien. Pour commencer, il faut que je précise ma pensée. Les psychanalystes n'ont pas, en e f f e t , l e m o n o p o l e d u « c e r c l e herméneutique », les philosophes peuvent aussi souffrir d'un excès d'interprétations métaphysiques, ou d'interprétations tout court, les éloignant ainsi des préoccupations humaines. Lorsque l'ouvrage de Michel Onfray « Le crépuscule d'une idole » est sorti en librairie, j'ai écrit un petit article intitulé « L'Affaire Onfray » dans lequel j'expliquais que ce qui était contenu dans l'ouvrage n'était pas inconnu des universitaires (la psychanalyse était, à mon époque, enseignée obligatoirement aux étudiants en philosophie) et que, pour ma part, rien de tout cela ne me scandalisais. Mais que, ce qu'oubliait Michel Onfray, c'était le contexte historique, socioculturel de l'époque Freudienne, le fait que les prémisses d'une recherche sur l'homme doivent forcément se préciser avec le temps, et que le mérite de Freud – et d'autres – était d'avoir recentré l'interrogation sur l'humain, parallèlement aux autres sciences. Le bémol que je faisais en revanche, était à l'égard de certains psychanalystes qui, appliquaient aveuglément un dogmatisme absurde sans prendre en compte les avancées de la recherche. Je pense notamment à cette aberration – selon moi – du traitement psychanalytique des autistes, alors qu'ils doivent être pris en charge par une structure adaptée faite de psychomotriciens, de pédopsychiatres etc. Un autre exemple est assez parlant, celui des bipolaires – ou PMD* – qui se voient
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prescrire des anxiolytiques et des séances chez des psychologues non adaptés pour ce genre de cas. Je suis en accord avec votre idée selon laquelle il s'agit d'une « idéologisation », un « opium » dont certains psys sont victimes. Mais il n'y a pas qu'eux. Les Américains et leur standardisation biologicopsychologique font également des dégâts. La catégorisation des « symptômes » de l'enfance est un scandale sanitaire d'une grande ampleur. Un enfant qui s'agite un peu est purement et simplement aliéné par une sur-médicalisation, « classé » comme souffrant d'une hyperactivité. A la sortie du lycée, vous devez remplir un questionnaire type « profil psychologique », et si vous avez ressenti la moindre déprime, les moindres « idées noires » - répandues à l'adolescence – cela vous suivra dans vos demandes futures, vous serez classé « à risques ». Je p e n s e q u ' u n t rava i l d e f o n d e t pluridisciplinaire, sans « églises », est nécessaire et permettrait sans doute de meilleures approches. Quant au bonheur, il est sur toutes les bouches de ceux qui participent aux programmes de télé-réalités. « C'est que du bonheur ! » est une des phrases qui revient le plus souvent. Désormais, l'accomplissement ultime est d'être vu. Le bonheur tend à se réduire à l'ombre et à la lumière des « projecteurs », en dépit de l'impact pour l'autre et, a fortiori, pour soi. Les technologies de « l'extimité » poussent l'individu à croire qu'il Est, et qu'il « partage » sa vie, qu'il a des « amis », qu'il a de la notoriété ; il alimente le Big Data pour Être de toute éternité ; il croit participer à son paradis futur et ainsi, pense laisser son emprunte dans l'Histoire. « Je
deviens quelqu'un – de bien – puisque je suis vu » quoi que je fasse. En disant « Être, c'est être perçu », Berkeley ne supposait certainement pas que le sens de cette phrase en prendrait un tout autre que celui qu'il lui attribuait. Vous précisez le sens que vous attribuez au mot « culpabilité », il est emprunt « d'affects », de sentiments. La précision était nécessaire car pour moi, il a un autre sens : la repentance perpétuelle. A se sentir coupable « à l'avance », ou à tout moment, nous laisse présupposer de la douleur de l'autre, on ne se permet plus rien, ni révolte, ni vérités dites et exprimées. Le mot « responsabilité » implique le fait de « répondre » de ses actes, de « garantir » sa pleine conscience de la société dans laquelle on se trouve. Faire ceci ou cela ici, peut ne pas être admis ailleurs et inversement. Si on se sent toujours « coupable », on n'ose rien, ni ici ni ailleurs. Alors qu'être « responsable » implique de répondre de ses actes sans pour autant être en « faute », mais plutôt dans l ' e r r e u r. C e t t e d e r n i è r e e s t s o u rc e d'apprentissage ; la faute, la culpabilité, vous suivent sans pour autant vous permettre de les dépasser. En quelques mots, je pense que vous et moi pensons la même chose, que nous avons le même objectif, que nous considérons le monde, l'humain – et cette vision peu engageante de l'avenir – sans définir tout à fait les termes de la même manière. Mais ce qui compte comme le disait Kant « c'est de tendre vers » un même but. En parlant de DSM, avez-vous lu l'ouvrage de Michel Minard « Le DSM-ROI, la psychiatrie américaine et la fabrique des Diagnostics » (Éditions Ères) ? Il est vraiment
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excellent, il permet de compléter les idées développées dans votre livre. Enfin, si mon ordinateur parlait, il vous dirait que le mot qui revient le plus dans mes écrits c'est le mot Liberté, et qu'il s'apprête à faire grève pour cause « d ' a c c u m u l a t i o n c o m p u l s iv e d e synonymes » à ce terme si malmené en ce moment ! Bien à vous, Sophie * NDLR : Psycho-Maniaco-Dépressif. Le 07 Mars 2014 Chère Sophie, Je viens de perdre la lettre que je vous avais adressée ce matin par un geste maladroit que mon ordinateur s'est refusé à excuser. Ce genre de "bête" est impitoyable et mérite bien son nom ! Donc je reprends le cours d'une correspondance dont je maudis qu'elle se fasse par machine interposée ! Mais il est vrai que le courrier postal n'est plus sûr depuis que l'on a plus ou moins privatisé ses services. Oui, chère Sophie, je suis freudien, freudien impénitent, mais aussi un peu lacanien, beaucoup winicottien, un zeste marxiste, intensément foucaldien, passionnément arendtien, raisonnablement canguilhemien, sérieusement adornien, prudemment bourdieusien...et il m'arrive même d'être gorien! C'est vous dire que j'ai quelques "compagnons de vérité" comme disait Barthes, mais pas "une morale d'état civil", comme disait Foucault. j'adore les lectures intertextuelles, suis totalement transtextuel et ne m'en cache pas. Les
censeurs s'étonnent que l'on puisse se référer à Heidegger et quelques lignes après à Simondon... ou que l'on puisse se rouler dans le texte de Platon et dire sa passion pour Nietzsche...c'est qu'en la matière la confusion de genre est mal vue par les moralistes qui gardent la vertu des académies. Oui vous avez mille fois raison le "dogmatisme" de certains psychanalystes, l'arrogance de certaines de leurs prises de position a fait beaucoup de mal à la psychanalyse. Mais attendez demain lorsque s'imposera dans l'opinion publique les "délires" biologisants expliquant votre inclination amoureuse par votre taux d'ocytocine ou la plus grande fidélité des épouses par leur propension à, dans l'amour et la fécondation, expulser un ovule quand leurs conjoints dispersent sans retenue des millions de spermatozoïdes! Et encore je n'évoque ici que quelques stéréotypes bien rodés...Vous verrez quand on aura complètement réduit l'humain aux modèles neuro-économiques dans quelles situations burlesques nous nous retrouverons ! Il suffit de se reporter aux nouveaux modèles du neuro-marketing pour nous faire craindre le pire dès lors que vous ne serez pas seulement incitée à consommer tel ou tel produit bien disposé à votre portée, bien chimiquement balisés pour vous, rien que pour vous, mais que l'on fera de même au moment des élections politiques ou des sélections amoureuses ! La vie scientifiquement organisée renverra, en matière de prescriptions disciplinaires, les régimes totalitaires du XXe siècle au magasin des Antiquités !
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Alors oui, il convient d'être extrêmement prudent quand on approche la question complexe et douloureuse de l'autisme. je rappellerai d'ailleurs, a contrario de certaines déclarations tapageuses des uns et des autres, que d'une part Freud comme Lacan se sont montrés prudents en matière d'étiologie, de psycho-génèse, renvoyant à la chimie le soin de découvrir les causes qui nous échappent encore, et que d'autre part rien ne dit qu'une cause organique exclut tout traitement psychique. Ce n ' e s t p a s p a rc e q u e certaines maladies ont des origines génétiques que l'on va exclure l'aide psychologique apportée aux patients. Cette question de l'autisme est complexe et le tintamarre médiaticopolitique brouille le débat plus qu'il ne participe à le clarifier. Je n'ai pas de compétence particulière dans ce domaine et ne prendrai donc pas position, mais je trouve scandaleux que ce soit un pouvoir politique qui décrète le bien fondé d'une thérapeutique ou d'une théorie. On pourrait en rire si les choses n'étaient pas aussi douloureuses. Après la "psychothérapie d'État" voilà que Mme Carlotti nous fabrique une "pédopsychiatrie sous garantie
du gouvernement". C'est dangereux cette manière dont le pouvoir politique utilise les questions de santé aujourd'hui, et se mêle de dire la "vérité" de la science. La seule chose que je m'autoriserai à dire dans ce domaine est d'ordre épistémologique : les diagnostics ne sont pas des "réalités naturelles", mais résultent de "transaction" sur le "marché" des e x p e r t i s e s e t d e s t r ava u x scientifiques. Il est possible que plusieurs pathologies soient aujourd'hui rassemblées confusément sous l'étiquette d'autisme, et le tintamarre actuel ne facilite pas les interrogations et les recherches. De même pour les "bipolaires" que l'on nommait naguère "maniaco-dépressifs", je ne suis pas sûr que l'on ait beaucoup gagné au changement d'intitulé! Enfin, comme vous le savez, je suis très réservé sur ces intitulés des nouvelles (!?) classifications psychiatriques que je trouve simplistes et surtout réifiantes! Une chose est sûre, si un patient a besoin de médicaments, et je n'y suis pas opposé, il est important qu'il lui soit bien prescrit et par quelqu'un de compétent! Alors oui, en matière de traque féroce et précoce des jeunes enfants je pense comme vous que c'est un "scandale sanitaire", mais aussi politique et culturel! Je suis comme mes amis de Pas de zéro de conduite* pour une "prévention prévenante" et non pas "sécuritaire". C'est à dire que l'on ne devrait
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jamais dissocier le diagnostic du soin en psychopathologie. C'est un des plus beaux apports de la psychanalyse dans ses meilleurs moments. Entrer dans l'avenir à reculons comme on le fait dans cette prévention prédictive des "troubles du comportement", considérant l'avenir comme un reflet du passé, c'est le symptôme d'une société résignée, qui n'a plus confiance en elle, dans ses valeurs et dans ses dispositifs d'éducation et de soin. Alors, chère Sophie, est-ce peut être la raison pour laquelle aujourd'hui il est tellement question de "bonheur"... Et aujourd'hui c'est un véritable tapage! Plus la promesse d'abondance s'éloigne, plus la croissance se fait attendre comme la belle arlésienne, plus on en parle! j'ai aussi tendance à penser que les notions bruyantes dans l'opinion publique sont les fantômes, les revenants des expériences mortes. Adorno disait que l'on avait découvert la psychologie des personnes au moment où les relations interpersonnelles étaient en train de disparaitre. Je signe et persiste quant à la culpabilité dont pour moi la notion de "responsabilité" constitue le visage plus souriant, plus domestiqué en somme. La culpabilité ne fait pas qu'inhiber, elle peut pousser à l'acte : on peut être criminel par sentiment de culpabilité ou encore tomber en amour pour, disait Lacan, "échapper à l'ombre du vieux avec la barbe"! Notre désaccord provient d'un malentendu : vous parlez du sentiment conscient de culpabilité et je parle, moi, d'un sentiment inconscient de culpabilité. C'est peut-être
ce même sentiment inconscient de culpabilité qui me pousse à prendre soin de l'autre dans le lien social, dans l'amour comme dans la haine. Vous connaissez cette phrase de Romain Gary : "on a toujours besoin des autres, on ne peut pas passer sa vie à se détester soi-même". Ah l'inénarrable Onfray ! je vous l'ai gardé pour la fin. Ce n'est pas tellement qu'il ait oublié de tenir compte du contexte social et culturel de la découverte freudienne, c'est qu'il a totalement manqué de rigueur dans sa critique. C'est une bonne ch o s e d e c r i t i q u e r l a psychanalyse, cela peut aider à faire avancer ce qu'elle a de plus original en la dépouillant de ses scories idéologiques. Il y a chez Wittgenstein, chez Popper même des critiques très pertinentes, très fécondes. Mais chez Onfray c'est du speed dating avec l'œuvre, lue en quelques semaines et sans méthode. Dans ses propres affabulations il commet quelques erreurs de taille : il confond deux patients de Freud (l'homme aux loups et l'homme aux rats), attribue à Freud l'échec d'un traitement qu'il n'a jamais entrepris (Anna O), ou l'accuse non seulement d'avoir couché avec sa belle-sœur (pourquoi pas?) mais en plus de l'avoir contrainte à avorter à l'âge respectable de 58 ans... Onfray déverse un tombereau de haine sur ce pauvre Fr e u d a c c u s é d e t o u s l e s m a u x : d'escroquerie, de perversité, de manigances, d'ignominies, combinant une passion pour l'argent et le sexe,
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"conquistador" qui aurait fait fructifier son "fonds de commerce" en refilant à l'humanité entière ses propres complexes!! Chanson connue, largement entonnée à longueur de décennies par les "tueurs de Freud", depuis le médecin anti-sémite Dr Gauthier jusqu'au Livre Noir de la psychanalyse** en passant par DebrayRitzen. Il n'empêche, comme l'a dit un jour Ian Hacking, on ne rêve plus de la même manière après Freud. Il y a une nouvelle façon de fabriquer le sujet humain, une autre anthropologie, plus tragique, fabriquée à l'antique dans un conflit impossible entre les désirs les plus sauvages et la culpabilité la plus civilisatrice. Mais comment demander à M. Onfray, qui avait déjà fait d'Eichmann un disciple de Kant et de Charlotte Corday une héroïne romaine et vierge, de se livrer à une analyse critique et sérieuse! Monsieur Onfray fait partie de ces intellectuels reconnus par l'audimat de leurs ventes et le marché médiatique plus que par leurs pairs et la rigueur de leur démarche. Cette dépendance, cette hétéronomie comme disait Bourdieu, les contraignent à satisfaire aux exigences du spectacle et de la marchandise, et à prétendre "déboulonner une idole" à coup de marteau sophistiqué. Non, restons sérieux et laissons M. Onfray à ses affaires. Il se fait tard, chère Sophie, et j'ai déjà été trop bavard pour me permettre quelques remarques sur "votre" liberté qui révolterait votre ordinateur - c'est normal avec un nom pareil - mais puis-je au moins vous demander s'il s'agit de celle des modernes ou de celle des anciens? Bien à vous Roland
*NDLR : Le collectif, Pas de Zéro de conduite pour les enfants de 3 ans !, Aux Éditions Eres. **NDLR : Aux Éditions 10/18 Le 13 mars 2014 Cher Roland, J'ai déjà vécu ce genre d'aléa quant à la perte d'une lettre...ah ! Les actes manqués, quelle plaie ! L'impalpable, l'incontrôlable, l'irrécupérable sont des sources d'angoisses profondes... je vous taquine un peu cher Roland. Il existe des philosophes énervés – dont je fais partie – je viens de découvrir qu'il y a des psys énervés. Ce verbe est pour moi positif. Le public imagine toujours le philosophe comme quelqu'un qui ne s'énerve jamais, ou qui ne le doit pas, comme quelqu'un de sérieux, qui écoute uniquement de la musique classique, qui s'éclaire à la bougie, qui vit dans une grotte loin du monde etc. Pour les psys, c'est un peu la même image : une personne zen, qui ne hausse jamais la voix, qui parle doucement dans un bureau sombre et qui, à chaque fois que vous dites un mot, pousse le réflexe lacanien à son paroxysme de l'analyse jusqu'à décortiquer le fait qu'après le mot, il y a le silence, et que ce dernier – que vous avez malheureusement laissé échapper - est « une invitation positive à se lancer dans une vie faite d'imprévus » un « si-lance » ! Et bien, je suis heureuse de vous avoir contacté ! Vous êtes parfaitement révolté. Ce qui explique les références que vous donnez. La lettre a ceci de particulier qu'elle est à la fois un « champ des possibles » (Edgar Morin) et un exercice « restreint ». Elle ouvre les fenêtres d'une longue conversation et réduit dans le même temps, telles des
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persiennes, la vue d'un paysage, celui de l'échange direct et de la conversation. Malgré la frustration de ne pouvoir développer autant qu'on le voudrait, elle est sans doute bien meilleure qu'une « gastronumérique » en 140 caractères ! Ainsi, je suis d'accord sur le fait que nous n'avions pas, jusqu'ici, le même point de départ quant à la culpabilité. Votre analyse est juste – je n'en attendais pas moins d'un analyste ! -. Il existe d'autres points d'accords entre nous : votre littérature très philosophique. Cette transtextualité empêche tout dogme et tout paradigme de s'installer durablement, elle permet de « voyager » en liberté, de construire, de déconstruire, de reconstruire loin des conservatismes et d'une « supposée logique » dirait Thomas S. Kuhn. A propos de la science du comportement envahissant les rayons des supermarchés, elle existe aux USA depuis de nombreuses années et est présente dans la restauration rapide. La France avait pris du retard en la matière mais elle semble se remettre « à niveau ». En ce qui concerne les pathologies, l'approche paradigmatique empêche les travaux d'avancer. La possibilité de causes non neurologiques est écartée, sans doute parce qu'on confond les relations de causes à effets – on pense que la cause est neurologique, qu'elle provoque des troubles de l'alimentation par exemple, alors que ce sont des troubles intestinaux qui peuvent être la cause de troubles neurologiques - . Nous sommes « matière et esprit » et en reniant l'approche biologique, nous oublions la matière et en privilégiant l'esprit nous renions notre enveloppe. Nous ne connaissons que 5% du fonctionnement de notre cerveau (c'est à
l'échelle de ce que nous connaissons de l'Univers), ce qui laisse une belle marge d'erreurs quant aux diagnostics et à l'influence de celui-ci sur le reste de notre corps. Plus nous découvrons et plus la découverte de notre ignorance est grande. Vous me posez la question de savoir ce que j'entends par « liberté ». Elle n'est pas l'absence de contrainte, elle n'est pas non plus un détachement complet de souffrances comme le disait Epictète ; elle n'est pas plus liée à la « loi » comme pour Kant ou pour Voltaire. Je me situe dans une sorte de bon compagnonnage avec plusieurs courants de pensées. Un soupçon de Spinoza qui considère que comprendre quelles sont les raisons qui façonnent notre condition c'est être libre – on se libère par l'acceptation de certaines nécessités - ; une pincée de Raymond Aron qui explique que la liberté c'est « ne pas être empêché de » ; un zest de libre-pensée, c'est-à-dire une autonomie de la raison face aux dogmes de tout poil. Être libre c'est connaître. On se libère par l'acquisition de la connaissance de soi et du monde. Savoir que l'on est esclave et de quoi, c'est connaitre la possibilité d'être libre ou l'impossibilité de l'être, mais c'est avant tout comprendre, être autonome et décider pour soi, par soi de notre condition sans jamais omettre l'autre dont on ne peut se détacher. Pour finir, vous me faites penser à quelqu'un dans votre façon d'aborder votre discipline. Vous l'exercez avec passion, vous critiquez une partie de ceux qui l'exercent et vous ne cessez de croire en son bien fondé, son utilité. Vous désirez la réformer pour le bien commun. Vous êtes un psy « énervé » comme l'est un homme politique, un certain J-L M...(!?)*
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La « liberté positive » consiste, selon le philosophe américain Isaiah Berlin, à « prendre part aux décisions publiques »... cela ne vous rendrait pas Heureux d'y participer ? Car votre ouvrage est « Politique » si on lit entre les lignes... Bien à vous, Sophie * NDLR : En référence à l'intervention de Roland Gori, le 18 mars 2012 à la Bastille, au meeting de Jean-Luc Mélenchon Le 14 Mars 2014 Chère Sophie, Ah mais c’est un vrai débat qui s’engage avec vous ! Tout d’abord je n’appelle « acte manqué » que ce qui se révèle comme tel ! Ce qui veut dire qu’un acte maladroit n’est pas forcément un « acte manqué » et que pour être élevé à la dignité d’une « formation de l’inconscient », un acte manqué doit se révéler un « discours réussi » ! C’est dire, comme vous l’avez compris, que je déteste la machinerie i n t e r p r é t a t iv e q u i a d i s q u a l i fi é l a psychanalyse en faisant croire que tout avait du sens, de préférence sexuel ! Cette forme de pensée magique, affine à la paranoïa, ne m a r ch e q u e d a n s l a c u r e c o m m e heuristique, méthode favorisant l’appel au transfert, encore convient-il de ne pas en abuser ! Mais en dehors du « baquet » de la séance de psychanalyse il vaut mieux s’abstenir de donner du sens à tout et je crois bien d’ailleurs qu’une psychanalyse « aboutie » devrait convaincre intimement l’analysant qu’il n’y a pas d’Autre « lecteur de pensée », et faire son deuil d’un tel Autre, supposé savoir ce qui se passe en lui, ou connaître le sens « profond » de ce qu’il dit ! J’ai écrit un petit bouquin là-dessus il y
a presque vingt ans pour limiter et valider le champ de la psychanalyse proprement dite : « La preuve par la parole. Essai sur la causalité », publié d’abord aux PUF, puis réédité chez ERES. Oui nous sommes bien d’accord, me semble-t-il, quant à la nécessité d’éviter la pensée simpliste, et l’exigence de devoir prendre en compte le corps et l’esprit. D’ailleurs qu’est ce que le psychisme si ce n’est le travail exigé par le corps de devoir être « pensé », dit, communiqué ? C’est pour cela que Freud a inventé ce concept génial de « pulsion », bien trop souvent méconnu au profit du « sens » ou du « signifiant » ! Alors que les pulsions ça n’arrête pas de jouir d’une manière ou d’une autre. Vous connaissez Ferenczi, chère Sophie ? Il était fou comme un lapin, mais quel génie ? Si la psychanalyse tend à être remplacée par toutes ces « cognitiveries » de supermarché c’est bien aussi parce que les psychanalystes ont perdu cette fougue poétique et révolutionnaire du début ! Même si Freud était un peu « réac » en politique, quel révolutionnaire cet homme ! Un savant, érudit, nourri de culture classique, contemporain d’une modernité qu’il est en train de démolir bien malgré lui pour ouvrir le champ de la postmodernité. C’est amusant d’ailleurs de voir comment il recule presque d’effroi face à ces surréalistes qui l’ont élu comme leur « pape » !! Vous me trouvez énervé comme JL M ? Ah bon ? Contrairement à JL M je n’aime pas Onfray ! Et de plus je n’ai aucune antipathie pour le Président Hollande, même si j’avoue ma profonde déception devant son manque d’audace et de volontarisme !
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Quant au champ du « politique », chère Sophie, il s’agit de s’entendre sur ce terme et distinguer comme Roland Barthes « le » politique et « la » politique. Vous souvenez vous de ce merveilleux passage de Barthes écrivant : « Le politique est à mes yeux un ordre fondamental de l’histoire, de la pensée, de tout ce qui se fait, de tout ce qui se parle. C’est la dimension même du réel. La politique, c’est autre chose, c’est le moment où le politique se convertit en discours ressassant, en discours de répétition. (…) » et il ajoutait : « il n’est pas question de liquider la politique au profit d’une dépolitisation pure et simple. Ce qu’on cherche, c’est un mode de présence dans le discours du politique qui ne soit pas ressassant. » Qu’ajouter à cela chère Sophie ? Vous savez tout. Mon acte c’est de poser qu’il y a du politique dans la manière d’exercer nos métiers et de construire du savoir. Et j’échange avec tous ceux qui le souhaite là-dessus, quelle que soit, ou presque, leur appartenance à la politique. Vous voyez, je suis moins énervé que « passionné »… A bientôt chère Sophie et bon dimanche Roland Le 21 mars 2014 Cher Roland, Voici donc la « redoutable » dernière lettre. Moment délicat où l'échange s'arrête mais pas la réflexion. C'est également le moment où, telle une partition, le crescendo annonce la fin en apothéose. Votre « acte manqué » ne serait donc q u ' u n « h a s a r d e x t é r i e u r » s a n s signification latente (Freud) ? Vous verrez,
mes petites taquineries vont finir par vous manquer... L'heuristique est proche de la maïeutique et en cela vous et moi avons la même approche, celle de guider sans imposer, de laisser l'autre dans sa liberté de découvrir et de s'interpréter dans son ontologie. La Politique dont je parle est celle – et cela ne vous aura pas échappé – qui comporte une belle et majestueuse Majuscule. Comme le disait très justement Roland Barthes l'écriture est « le langage littéraire transformé par sa destination sociale » et en cela, votre ouvrage me semble éminemment Politique, au sens noble du terme. Ainsi, certains mots qui reviennent souvent dans votre ouvrage le montre : « Politique, bureaucratie, social(e), idéologie, défenses des libertés publiques, néo-libéral(isme), démocratie » etc. Au travers des idées que vous défendez, vous tentez en effet de nous traduire ce que doit être l'équilibre entre l'unicité et la pluralité, de mettre en avant cette harmonie perdue qui semble être bafouée par les « mots valises », les expressions globalisantes et le « vide de pensée » dont parlait Hannah Arendt lorsqu'elle décrivait la stupidité bureaucratique et « l'obéissance constante » qui en découle. Votre projet serait de « produire la liberté politique, le désir de liberté qui fait naître les révolutions ». Cette reconquête d'une « liberté perdue » passe selon vous par une mise en avant du lien social qui semble se déliter. Il est possible alors de changer le titre de votre ouvrage : « Faut-il renoncer au lien social pour être heureux ? ». La réponse possible à cette question pourrait être : non car
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notre liberté à tous passe par le lien avec l'Autre. Par lui, je suis libre car il me montre mon humanité, il me reflète comme je me reflète en lui. L'humanisme serait de considérer l'autre comme l'Ingenuus, c'est-à-dire celui qui est « né libre ». L'Autre me rend libre par ce lien qui m'unit à lui. Être Heureux serait donc de remettre les « pendules » à « l'heure », la « bonne heure » de l'humanité. Les tensions internationales actuelles semblent dérégler les horloges de cette « volonté politique » de « gommer les différences singulières, concrètes, les contextes historiques (…) au profit d'un traitement de masse ». Ce que vous expliquez sur les souffrances psychiques peut être ramené à une volonté plus globale des politiques d'asservir les peuples par une mondialisation englobante, vorace qui digèrerait le pluriel dans la masse par la contrainte. Beaucoup de peuples mènent en ce moment des révolutions qui tentent d'inverser cette tendance de manipulation des masses. Ces peuples veulent être « autonomes ». Que pensez-vous de ces volontés qui s'expriment de par le monde ? Cette ultime question n'est en fait qu'un leurre car il m'en reste une petite dernière à vous poser. Pouvez-vous me décrire un de vos petits moments de bonheur, celui qui met « le Sujet Roland Gori » le plus en accord avec le monde ? Je tenais à vous remercier de m'avoir accordé ces moments épistolaires et, qui sait, peut-être qu'un jour vous partagerez un de mes moments de bonheur, celui de boire un petit café au milieu d'une terrasse ensoleillée. Bien à vous, Sophie
Le 23 Mars 2014 Chère Sophie, Oui nos échanges épistolaires vont certainement me manquer, mais peut-être aurons nous de nouvelles occasions d’échanger si votre proposition de partager un café à une terrasse ensoleillée n’est pas pure « offre de gascon » comme l’on dit ? Au fait connaissez-vous l’origine de cette expression que je trouve un peu « raciste » quand même ?! « Raciste » au sens étymologique bien sûr de « racine ». Comment peut-on lier un caractère moral ou psychologique à des « racines » culturelles ? Concernant le concept d’« acte manqué », il est pour moi assez bien précisément délimité : il procède du statut de « formation de l’inconscient », de « discours réussi », comme se plaisait à le dire Jacques Lacan. Ce qui, vous l’admettrez aisément chère Sophie, signifie tout simplement qu’il a un sens et qu’il s’adresse à quelqu’un, à un Autre. Mais comment savoir en dehors du cadre d’une séance à quel Autre il s’adresse et quel sens il peut avoir ? Bien audacieux qui s’y risquerait. C’est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, je considère un lapsus linguae comme un lapsus linguae et rien de plus, un acte raté comme un acte raté, du moins jusqu’à ce que la suite des choses me prouve le contraire. C’est peut être cette prudence toute épistémologique qui m’évite, du moins autant que je le peux, l’idéologisation du savoir psychanalytique. C’est sans doute ce qui m’a, au moins en partie, évité cette terrifiante psychologisation des problèmes sociaux dans laquelle tombent certains psys. On a vu encore récemment, à propos du mariage pour tous, comment certains psys se sont autorisés à faire de la
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psychanalyse un guide des bonnes mœurs ! Non, à s’intéresser au champ social et politique autant le faire à découvert, sans le masque grotesque de l’« expert », à pensée « nue », comme tout citoyen nourri de ses expériences de vie au sein desquelles la mémoire professionnelle tient son rôle. Alors du coup je vous le concède, chère Sophie, mon livre est politique, oui Politique. Quant à la question de l’unité et de la pluralité du social, vous connaissez la réponse d’Hannah Arendt que vous citez : v i s e z e n p o l i t i q u e l e s « p l u r i e l s singuliers » que sont les citoyens véritables ! On retrouve la trace d’Aristote faisant de la politique le lieu d’un « piquenique » où chacun apporte son écot…, j’emprunte cette référence à mon amie Barbara Cassin lorsqu’elle s’interroge sur le « faire consensus » en politique : à la métaphore d’un Platon qui concevait l’organisation de la Cité sur le modèle d’un corps humain dont le tyranphilosophe serait la tête, Aristote préfère celle du « pique-nique » choisissant en somme ce que nous appellerions « l’intelligence collective ». Votre question sur la volonté d’autonomie des peuples est difficile mais je vous dois, chère Sophie, de ne point m’y dérober ! Alors en un mot comme en cent, je vous dirais qu’elle résulte de ce grand mouvement d’homogénéisationf ra g m e n t a t i o n q u i c a ra c t é r i s e l e s processus de civilisation de la mondialisation. L’homogénéisation des cultures que produit la transformation de la planète en marché mondial donne accès à des informations, à des biens, à des valeurs et à des habitus qui conduisent les populations à réclamer leur « part de gâteau », à vouloir s’éloigner de
la misère et à revendiquer une liberté politique qui fût pour l’Occident le message des Lumières. C’est la face « lumineuse » de la mondialisation. La face « sombre » c’est que tout ce qui constituait les valeurs d’un peuple vole en éclat et sombre dans « les eaux glacées du calcul égoïste ». Du coup inévitablement à cette violence inerte des institutions, transformées en entreprises « m u l t i n a t i o n a l e s » ou d’accompagnement des champions économiques multinationaux, répond la violence des traditions, de l’obscurantisme religieux à la revendication ethnique en passant par le nationalisme. En somme notre présent subit la double violence d’un avenir auquel nous n’étions pas préparé, écrit à l’ « encre sympathique » (pour jouer sur les mots) d’une mondialisation qui efface sans cesse les traces, et d’un passé révolu, obsolète, dernier rempart de la nostalgie d’un temps qui n’existe plus. C’est bien pourquoi nous devons inventer une nouvelle voie qui n’emprunte ni le chemin de l’effacement de l’espèce humaine et de son avenir de robots, ni celui des fantômes du passé. Faute de quoi, de nouveau l’Europe des Lumières finira par être celle des « couvre-feux », comme disait Camus. Ah, chère Sophie, vous voilà bien indiscrète que de me convier à vous faire part d’un souvenir personnel, à vous décrire un « moment de bonheur » du « sujet Roland Gori »… Je joue le jeu. C’était il y a un peu plus de vingt ans à Sienne à la fin du mois d’août où j’ai éprouvé ce « sentiment océanique » dont parle Freud, et qui me paraît si proche de cette conception du bonheur décrit par Camus dans Noces à Tipasa, cette
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« harmonie » d’un homme avec la nature, lui-même et les autres. C’est ce bonheur là qui fait l’accord d’un homme avec la vie qu’il mène, que je revendique. J’avais rencontré Marie José quelque temps auparavant et ce fût très vite le « coup de foudre ». Nous naviguions en Italie autant qu’il nous était possible de le faire et j’étais sous le charme de l’entendre avec aisance parler un italien que je lui enviais. Nous avions passé la journée à visiter le Dôme, la pinacothèque, à marcher dans cette ville dont la place est une vasque, une coquille toute féminine qui vous engloutit avidement vers son centre. Il me semble qu’en son centre il y a un puits ou une fontaine, je ne sais plus. Ce soir là nous avions diné dans un restaurant du Palio, là où les quartiers s’affrontent deux fois par an dans un tintamarre de clameurs, de couleurs et de violence. Sans doute y avais-je un peu trop bu, à moins que ce ne soit l’ivresse de l’amour. Nous nous sommes allongés sur cette place de Sienne main dans la main, côte à côte, à même le sol comme les cavaliers du Palio qui montent à cru leurs chevaux. Il faisait très chaud, le ciel était très bleu, plein d’étoiles, comme foisonnant de lucioles recouvrant la voûte du Paradis dont j’avalais, Valpolicello aidant, merci Dante mon ami, l’harmonie sensible. C’est le bleu du ciel qui m’envoûtait. Je ne saurais dire plus précisément. Curieux ce bleu si fort, presque sorti d’un tableau du Quattro cento, arraché à la robe de la Vierge de la Chapelle Sixtine. Ce bleu m’enveloppait dans une épaisseur à la fois érotique et paisible, chaleur, alcool, étendue infinie de l’amour qui vous fait exister. J’étais comme absorbé par la voûte céleste, enveloppé par le doux amour des moments qualifiés, avec des éclats
sonores, visuels, picturaux mêmes (le Duccio me poursuivait de ses Christs immolés), des odeurs chaudes et lascives, des murmures complices qui ne se promettent rien de plus que ce qu’ils ont déjà tenu. Ce soir là à Sienne j’ai été heureux. J’avais rencontré un sentiment d’exister. Voilà, chère Sophie. Je vous quitte sur cette confidence. Roland
S'il fallait conclure Les échanges montrent parfois qu'au-delà des différences d'approches, les sciences humaines visent un même but : mettre en valeur l'humanité qui nous caractérise tous. En dénonçant l'inhumanité du monde qui nous entoure, Roland Gori met à mal un système englobant qui tente de nous priver de notre liberté et de notre sens critique. L'interrogation, le questionnement, l'échange peuvent ainsi être considérés comme Les seuls Liens qui Libèrent, c'est pour cette raison qu'il ne faut surtout pas renoncer à lire et à connaître pour être heureux !
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E D N O I T O M O R P LA E R V I L E R VOT R E U G I T A F S U O V SANS I C I T N A EN CLIQU 91 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
ROMAN
La fin du monde a du retard Par Nicolas Bodou / PHOTO P.Matsas - opale Le complot, voilà bien un sujet d’actualité. C’est donc avec ce sujet au combien vaste que revient Jean-Marcel Erre pour son cinquième roman… « En l’an 5115 du calendrier hindou, à quelque deux millions de centimètres du nord de Paris, protégé des extraterrestres, des betteraves et des Picards par des murs épais, un établissement de standing offrait à l’être en perte de repères de regarder le monde sous un angle neuf. C’était un lieu de paix où le citadin stressé pouvait rompre avec le rythme infernal de la vie moderne ; un espace humaniste où l’on acceptait son
prochain sans discrimination ; un éden hors du temps où des anges immaculés vous ramenaient aux choses essentielles à l’aide de potions magiques aux couleurs acidulées. Un lieu sans métro, sans boulot, mais avec beaucoup de dodo. La clinique psychiatrique Saint-Charles. Trois toqués au guide Dumachin. » C’est dans ce décor paradisiaque que commence l’aventure d’Alice et Julius, deux amnésiques. Alice, seule rescapée de son mariage qui a fini en explosion, décimant tout le monde sauf elle.
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Les séquelles de cet « weddingapocalypse » sont terribles, outre une amnésie totale, Alice n’éprouve plus aucune émotion. Julius, quant à lui, a l’intime conviction qu’un complot de grande ampleur se prépare. Il alimente d’ailleurs un blog régulièrement à ce sujet (www.la-fin-dumonde-a-du-retard.com), où il échange avec d’autres fans ainsi que d’autres adorateurs de la théorie du complot. En effet, une organisation secrète, que personne ne connait, nommée Tirésias prépare un sale coup. Julius en est persuadé. Le duo parvient à s’échapper de la clinique Saint-Charles. Une folle course poursuite va alors s’engager, cahotant de rebondissements, en rencontres
improbables, emballée dans une bonne dose d’humour. Alice et Julius ne seront pas seuls dans cette aventure. Ils seront aidés par Ours, un geek allumé, persuadé comme Julius qu’un complot se prépare et convaincu que l’hygiène est superflue dans cette quête de vérité. Le commissaire Gaboriau, à deux doigts de la retraite, est chargé de les retrouver Aidé de son fidèle adjoint Matozzi, jeune lieutenant qui incarne la nouvelle génération et grâce auquel Gaboriau, ne regrette pas du tout de quitter la police. On croise aussi dans cette odyssée, des vieux soixante-huitards tenant un hôtel dédié à l’amour libre ; « l’Hôtel de la révolution accueillait une clientèle d’habitués qui trouvait ici des draps presque propres, de l’eau presque chaude et des femmes presque jeunes. » Les frères Volfoni (évidemment un hommage aux Tontons), des paparazzis peu inspirés, des marginaux vivant dans les égouts, persuadés d’être les survivants de l’apocalypse… Avec ce nouveau roman, nous voilà replongés dans l’univers jubilatoire de Jean Marcel Erre, composé de personnages loufoques, légèrement désaxés aux prises avec des situations bien improbables. Une course poursuite sans temps mort accompagnée d’un style burlesque qui emmène le lecteur très loin aux confins des mystères de l’humanité. J.M Erre joue cette fois-ci avec la vérité et les croyances de chacun. Où est le vrai ? Avec cette idée en soubassement qui incite à croire qu’au fond c’est une question de point de vue et de santé mentale.
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Jean-Marcel Erre construit chaque page avec dose d’humour toujours égale, sans jamais égarer le lecteur. Et c’est là toute sa force narrative, car l’ensemble est incroyablement drôle, les dialogues sont épiques servant une trame rondement menée. Les pages défilent vite, la lecture est rapide, et quelques pauses sont toutefois recommandées pour se reposer les zygomatiques. « Il est des matins où l’on se lève avec une féroce envie de dépasser sa condition, avant de s’apercevoir que le petit a vomi sur son doudou kangourou. Il est des jours où l’on s’affranchirait volontiers des limites étriquées de la morale judéo-chrétienne si on n’avait pas rendezvous pour le contrôle technique de la Twingo. Il est des moments où l’on s’émanciperait avec joie de son surmoi
castrateur pour vivre pleinement ses désirs, mais pas tout de suite parce qu’on doit poster le tiers provisionnel avant minuit. Ces actes de révolte libératoire, certains ont eu le courage de les assumer jusqu’au bout. Ils ont pour nom Prométhée, Sisyphe, Icare ou Frankenstein. Ils ont dérobé le feu aux dieux, déjoué la mort, volé près du soleil ou crée un être vivant. Avant que tout ça ne se termine par un sordide trafic d’organes, une épuisante livraison de rocher en haute montagne, un crash aérien au large de la Crète ou un harcèlement moral par une créature verdâtre et suturée. »
■ La fin du monde a du retard Jean-Marcel Erre
Editions Buchet Chastel. 416 pages. 20 euros. PUBLICITÉ
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LES CHOIX DE JULIE BD/MANGA/ JEUNESSE
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BANDE DESSINÉE
Prends garde
Guillaume Bianco fait partie de ces auteurs qui ont l'art magique de nous replonger en enfance. Tous ceux qui connaissent son personnage emblématique, le fameux Billy Brouillard, seront ravis de découvrir qu'il a décidé de
Ami Lecteur ! donner aux pages consacrées aux mystérieuses sciences dont Billy a le secret une vie propre et indépendante. Voilà donc que le premier tome de L'Encyclopédie Curieuse et Bizarre va éclore dans toutes les bonnes librairies le 23 avril et il est consacré…. aux fantômes! Vous y apprendrez notamment comment les reconnaître, le nom de quelques fantômes de renom ( le Fantôme de chiffon, Le fauteuil qui fume, L'esprit d'Ezilda, La fille de l'eau), quelques récits effrayants à propos de ces affreux responsables de nos cauchemars mais aussi des "trucs et astuces fantomatiques"! Voilà un ouvrage indispensable dans toutes les bibliothèques qui se respectent ( et aussi celles qui ne respectent pas ,d’ailleurs, car elles trouveront de quoi s'accommoder de l'humour décalé de son auteur). De plus, pas besoin de connaître le fameux Billy Brouillard pour les aborder ( même si les bleus auront sans nul doute envie de faire sa connaissance ensuite),
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car cette suite de v o l u m e s encyclopédiques abordent des thématiques universelles (et, après les spectres, Guillaume Bianco parlera des sorcières, des monstres, des vampires, des chats...on a hâte!). Un tome qui conviendra à tous les âges , de 9 à 99 ans, et donnera de multiples occasions de partager en famille. Intelligent et drôle : voilà deux qualités intrinsèques de cet ouvrage attrayant! Hou, Hou, Hou, vous les entendez?! Inutile de résister! Laissez les voies de l'imaginaire vous charmer de leurs effrayantes ombres spectrales !
■L ’ E n c y c l o p é d i e
Curieuse et Bizarre par Billy Brouillard
Volume 1 - Les Fantômes Auteur : Guillaume Bianco Editions Soleil - Métamorphoses Date de parution: 23 avril 2014 Prix : 14,95 €
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JEUNESSE
Sacrés fossiles!
A tous ceux qui s'imaginent que les fossiles sont des cadavres secs et sans intérêt, ce petit bouquin intelligent répond: détrompezvous! Les fossiles "sont des instantanés de vie" et au gré de huit chapitres aux noms amusants, Martial Caroff va vous le prouver! Des stromatolites, fossiles les plus vieux visibles à l'œil nu, aux bivalves, mollusques marins qui ne datent pas de la dernière pluie... des céphalopodes dotés de tentacules autour de la bouche aux ichtyosaures, vertèbrés sauropsides... pour sûr, il y a de quoi apprendre des dizaines d'informations passionnantes sur Dame Nature! Un ouvrage qui plaira aux passionnés de sciences naturelles mais pourra être de surcroît un outil bien utile pour trouver de nouveaux quolibets pour alimenter les disputes de la cour de l'école ....que le maître ne pourra pas sûrement pas blâmer!
Espèce de trilobite à 3 lobes! Tu n'es bon qu'à te nourrir de vers! Théropode déplumé! Va voir à l'ère du dévonien si j'y suis! Avouez que ça a de l'allure, non?
"Au pied du volcan, ce jourlà, les arbres faisaient leur strip-tease. Une harde de cerfs observait, peut-être, la feuille d'érable tournoyant dans le vent d'automne. Iraitelle à droite ? À gauche ? Elle finit par se poser sur la surface du lac, avant de rejoindre au fond les diatomées qui s'y accumulaient lentement. Un niveau clair pour la belle saison, un niveau noir riche en matière organique quand arrivait l'automne, 0,3 cm pour un an : une pile de diatomites, c'est un calendrier!"
■Les fossiles ont la vie dure!
Textes: Martial Caroff Illustrations: Benjamin Lefort et Matthieu Rotteleur Editions : Gulf stream Collection: Dame Nature Prix: 16€ Dès 10 ans.
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© Benjamin Lefort, Gulf Stream Éditeur, 2014
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JEUNESSE
Vive la ferme! sur les poules qui se ruent sur le potager et remuent toute la terre, excitées par le nombre de vers frais qui y pullulent...mais il y aussi le cochon du voisin qui est avide de patates ou encore les vaches du pré d'a côté qui profitent d'une défaillance de clôture pour mettre le potager sans dessous-dessus! Pas une mince affaire de faire pousser des légumes! En tous cas, cette histoire colorée et amusante donne des envies de se mettre au vert! Un album de saison!
Lorsque le vieux Pettson décidé de créer son potager, son jeune chat Picpus est drôlement enthousiaste! Lui va faire pousser des boulettes de viande. Tandis que Pettson plante des carottes, des pommes de terre et d'autres légumes de saison, l'espiègle animal espère bien que, dès le lendemain, il pourra ramasser des boulettes par grappe...C'est sans compter
" Cette histoire commença par un beau matin de printemps. Dans chaque arbre les oiseaux chantaient au diapason, les bourgeons avaient éclos; partout de petites créatures voletaient, rampaient et s'affairaient, l'air était empli de cette douce mélodie de la nature qui se réveille après un long hiver."
■Grabuge au potager Auteur: Sven Nordqvist Editions: Autrement Parution: 19 mars 2014 Prix : 12,50€ Dès 5 ans
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BANDE DESSINÉE
Malpasset : quelques cases pour ne pas oublier!
De nombreux auteurs du neuvième art, depuis quelques années, se sont tournés vers la bd-reportage ou bd-témoignage et il faut reconnaître que les expériences sont souvent aussi heureuses que pertinentes. La démarche de Corbeyran et Horne est de surcroît louable car elle permet de nous remettre en mémoire et d'affiner notre connaissance de la plus importante
catastrophe civile du XXÈME siècle en France : le 2 décembre 1959, le barrage de Malpasset , situé dans le Var, a cédé; une vague de 50 millions de mètres cube d'eau s'est abattu sur la ville de Fréjus et plus de 400 personnes ont perdu la vie. À cause, très certainement, de négligences humaines, conséquences de raisons politiques et économiques. Les deux auteurs sont allés à la rencontre des survivants et c'est une véritable leçon de courage qui nous est donnée de lire tant on y croise des êtres que la vie a traumatisés et malmenés et qui ont tout de même retrousser leurs manches pour construire leur avenir sur des ruines de boue et de désolation. Georges, Simone, Annie, Pierre ( né la veille du drame),Denise, Ruby, Louis, Fernand, Daniel, Huguette, Alfred, Michèle ou encore Jean-Paul nous aident à comprendre les causes et les conséquences de ce drame mais ont aussi l'occasion d'exprimer leurs regrets vis à vis d'une époque où l'on ne pensait pas à mettre en place des cellules psychologiques, leurs colères vis à vis des mauvaises langues qui ont accusé certains survivants de profiter des dons envoyés du monde entier.... certains évoquent aussi
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l'intégrité du maire d'alors André Léotard, remise plusieurs fois en cause à l'époque,la visite de Charles de Gaulle qui leur a serré le cœur, et surtout les derniers souvenirs qu'ils ont gardés d'un père, d'une m è r e o u d ' u n fi a n c é , disparus lors de la c a t a s t r o p h e . . . E n fi n
d'ouvrage, un recueil de photos et de documents finissent de confirmer le talent de portraitiste de Horne et émeut par sa convivialité et son authenticité. Un livre-témoignage à adopter !
■Malpasset (causes et effets d'une catastroph
Textes: Corbeyran Dessins: Horne Editions: Delcourt Collection: Mirages Prix: 18,95€
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e)
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JEUNESSE
Bécassine est de retour! Bécassine est née en 1905 sous le crayon d'Emile-Joseph Pinchon et c'est dans le premier numéro de La Semaine de Suzette qu'elle fait sa première apparition. La petite Bretonne "venue se placer à Paris" a été au départ inventée pour combler la page blanche qu'un auteur malade ne pouvait assurer, puis son s u c c è s immédiat a fait
qu'elle a eu droit à de nouvelles aventures. Dès 1913, Caumery devient son scénariste officiel et jusqu'en 1952 elle sera dessinée par J.P Pinchon. Cette jeune fille au grand cœur est un des premiers personnages de la bande-dessinée moderne française, à mi-chemin entre les histoires dessinées d'alors et la bande dessinée telle qu'on la connaît aujourd'hui. C'est dans les années 70, avec Chantal Goya et sa chanson naïve et entêtante " Bécassine, c'est ma cousine" qu'elle ressortira un peu des c a r t o n s o ù l e t e m p s l ' ava i t enfermée. C'est donc avec curiosité et intérêt que l'on découvre la réédition de nombreuses de ses planches par les éditions Gautier-Languereau. Et, à n'en pas douter, voilà des albums qui ne seront pas offerts qu'à des enfants! Grands-parents et parents en effet apprécieront avec la nostalgie qui s'impose cette récréation du neuvième art.
108 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014 © 2014, Gautier-Languereau/ Hachette Livre
L'occasion également d'aborder avec les plus jeunes l'Histoire, d'analyser les situations mises en scène et d'affiner leur esprit critique en leur faisant déceler la subjectivité du scénariste et ses discours patriotiques ( les soldats français sont souvent présentés comme des héros, le "Boche" est l'ennemi à abattre... même avec une tapette pour la poussière! ) mais aussi les relations d'incompréhension entre Paris et la province. Bref! Bécassine mobilisée, Bécassine pendant la guerre, Bécassine chez les alliés : trois livres republiés avec leur couverture d'origine, à l'occasion du centenaire de la Grande Guerre, que nous vous conseillons vivement. Renouez donc avec Bécassine et son oie sous le bras, son franc-parler, ses maladresses verbales et son air gauche attendrissants!
"M.Bertrand est ici depuis quelques jours, avec sa femme, qu'on appelle Mme Thérèse, pour la distinguer de l'autre Mme Grand-Air, ma maîtresse. Madame, la mienne, m'a permis d'entrer au salon pendant que M.Bertrand racontait ce qui est lui est arrivé à lui et à Zidore, à leur retour au front, après le mariage. C'était émouvant comme un cinéma."
■Bécassine
Texte de Caumery Illustrations de J-P Pinchon Editions Gautier-Languereau Prix d'un album: 12,80€
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BANDE DESSINÉE
Les multiples visages du Caire Pino Creanza a séjourné à plusieurs reprises au Caire entre 2008 et 2011. Son œil de touriste s'est progressivement modifié en celui d'observateur, attentif et sans préjugés, aux mutations de la capitale de l'Egypte et, de croquis en fragments d'histoires, il a créé ce Cairo Blues où il joue les reporters et nous fait découvrir les multiples facettes d'une ville fascinante. Voilà un ouvrage passionnant pour quatre raisons essentielles : les textes sont d'abord d'une grande qualité et tentent d'être le plus objectif possible pour permettre au lecteur de se faire une idée personnelle du Caire. On saluera ensuite la pertinence du graphisme : Pino Creanza s'est appuyé sur de nombreuses photographies , tout particulièrement sur celles du journaliste, activiste et blogueur Hossam El-Hamalawy ( www.arabawy.org ), du reporter Andrew Burton ( www.andrewburtonphoto.com),
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du photographe allemand Steffen Diemer ( www.steffendiemer.com) ou encore du photographe Michel Setboun ( www.setboun.com). Choisissant de n'utiliser que du noir et blanc rehaussés de sépia, il instaure dans ses vignettes une atmosphère chaleureuse et pleine de vitalité. Ce livre pourrait ainsi faire office de guide de voyage tant ses dessins sont vivants ; on y perçoit , en effet, la respiration d'une ville, ses heures de chaleur, ses mouvements intrinsèques. On visite en compagnie des explications de l'auteur les mosquées, le nilomètre de Rodah, la ville des éboueurs, les habitations dans des cimetières ou sur les toits des maisons mais aussi " les petites felouques et les bateaux touristiques modernes qui se disputent le Nil" et " le centre ville du Caire, petit Manhattan africain". Enfin, ce récit graphique donne l'occasion de mieux comprendre et de
pouvoir réfléchir à ce qui se déroule en Égypte aujourd'hui: Pino Creanza nous montre un Caire aux multiples visages, miroir des tensions qui traversent tout le pays : des manifestations sur la place Tahrir à l'activisme des blogueurs, de l'Affaire Talaat Moustafa à la chute de Moubarak, l'occasion de reprendre l'Histoire et de l'aborder avec pertinence...sous l'angle du neuvième art.
■ Cairo Blues
Editions: Rackham Hors Collection Auteur: Pino Creanza Prix: 19€ En librairie le 14 février 2014
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BANDE DESSINÉE
Paris, Paris, quand tu nous tiens! Ah Paris! Que d'agitation et de monde pour une jeune femme fraîchement débarquée de province! Constance Deprez vient d'échapper du couvent auquel ses parents, maintenant défunts, l'avaient condamnée après qu'elle ait accouché suite à une union illégitime. C'est l'heure pour la jeune femme de retrouver l'enfant qu'on lui enlevé et elle est prête à tout, même à engager des voyous pour un rapt sordide . Dans un Paris bouillonnant de fin du XIXeme siècle, elle va rencontrer un adolescent des rues, nommé Darius, et son célèbre protecteur, le caricaturiste André Gill. Ces trois personnages réussiront-ils à retrouver le fils de Constance? L'enfant aura-t-il envie de suivre sa mère, aux revenus modestes, et de quitter la vie
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privilégiée et aisée que lui offre sa famille d'adoption? Constance trouvera-t-elle sa place dans ce Paris bourdonnant et frénétique? Une histoire poignante où l'amour est aussi sincère que violent et dont aucun des principaux protagonistes ne sortira indemne. Une fresque romanesque passionnante, au scénario pertinent et au graphisme attrayant. La belle Constance irradie de fragilité gracieuse sous le pinceau de Marie Jaffredo et l'on se promène avec plaisir dans le Paris des grands travaux d'Haussmann. On y croise ainsi Émile Zola, Paul Cézanne, Édouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir, Nadar et l'on se plait à côtoyer cette compagnie d'artistes passionnés et à brûler d'impatience avec eux en espérant
l'élection de Léon Gambetta comme député. Un one-shot de qualité où l'on entend battre le cœur de la Seine et des parisiens lorsqu'une jolie marchande de fleurs les aborde avec ses bouquets colorés...un album de saison, même si le drame guette!
■ Les damnés de Paris
Scénario: Michaël Le Galli Dessins et couleurs: Marie Jaffredo Editions: Vents d'Ouest Prix: 22€
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JEUNESSE
Parfaitement drôle! parfait! Ce dernier remet en question leurs manières de vivre et.... au bout d'un m o m e n t fi n i t p a r a g a c e r l e s c i n q compères...non mais! Qu'il se mêle de ses affaires! Un album espiègle qui fera mourir de rire les petits assurément! L'écriture de Béatrice Alemagna est en effet fort amusante, jouant avec des mots du langage familier ( pas grossier attention! ) et n'oublie l'importance de la répétition, chère aux petits. Ses illustrations atypiques, faites de bric et de broc, sont pleines de détails à dénicher! Un livre à découvrir et à partager! " Ces cinq-là ne faisaient pas grand-chose dans la vie. Surtout, ils n'avaient pas très envie de faire quoi que ce soit. Ils habitaient une maison brinquebalante qui aurait pu s'effondrer d'une minute à l'autre. Ils discutaient doivent pour savoir lequel était le plus nul d'entre eux. Cela les amusait beaucoup."
C'est l'histoire de cinq drôles de personnages que la vie n'a pas gâtés; le premier a le corps tout troué, le deuxième est plié en deux, le troisième est toujours mou et fatigué, le quatrième a " le nez en Les cinq malfoutus bas et les pieds en l'air" et le dernier est le Auteur: Béatrice Alemagna Éditions: Hélium plus raté de tous. Ils jouent souvent à savoir Prix: 14,90€ qui est le plus nul des cinq et ça les fait A partir de 4 ans beaucoup rire... jusqu'au jour où débarque un empêcheur de tourner en rond : un être 120 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
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JEUNESSE
Enfants pas parfaits cherchent parents de même facture! Imaginez un monde où l'on pourrait troquer ses parents contre d'autres plus compréhensifs, plus patients, moins bosseurs, moins tête en l'air, moins amoureux, moins égoïstes, plus cuisiniers, moins végétariens....bref, un monde idéal où les enfants ne seraient pas victimes du hasard et des mauvais choix des cigognes! Élisabeth Brami s'est amusée à énumérer plus de quarante s i t u a t i o n s problématiques sous forme de petites annonces enfantines... mais revendicatrices! Un exemple? " Fille de divorcés -11ans- abandonnée par "vrai papa" oubliant de passer la prendre en bas de l'immeuble de sa maman, cherche papa remplaçant pour WE et petites vacances. (Maman sans amoureux, assez
dépressive, mais si affinités, possibilité relation...)" Un petit bouquin qui amusera les enfants et sera l'occasion peut-être de faire réaliser à certains parents que si l'autorité est nécessaire et que ce ne sont pas aux e n f a n t s d e d é c i d e r, l e u r progéniture n'est quand même pas obligée d'être la victime de régimes alimentaires spéciaux, de situations sentimentales changeantes etc. Un album parfait pour éveiller l'esprit critique et réfléchir ensemble à ce qu'est un parent idéal!
Enfants cherchent parents trop bien (pas sérieux s'abstenir!) Texte: Élisabeth Brami Illustrations: Loïc Froissart Editions: Seuil Jeunesse Dès 5 ans Prix: 13,5€ Parution: 10 avril 2014
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JEUNESSE
La Lune au pays du Matin calme le schéma traditionnel du conte. En compagnie des délicieuses illustrations d'Aurélia Fronty, l'on voyage à dos de Tigre-blanc, sur des surfaces moirées et douces et l'on a presque l'impression de sentir, à la fin de l'histoire, le sourire de la lune réchauffer notre visage. A offrir!
Il était une fois une jolie princesse qui dépose, le soir de la fête de la Lune , un bol rempli d'offrandes pour l'astre luisant. Mais soudain, un horrible dragon des mers surgit et avale d'une bouchée la perle de la n u i t . L a p r i n c e s s e Yo n g - h e e e s t farouchement décidée à la sauver de ce monstre marin et,en chemin, va rencontrer la Terre, le Vent et la Nuit qui vont l'aider à secourir la Lune. Voilà un bien joli conte qui séduira enfants et parents par sa poésie et sa structure narrative parfaite pour se familiariser avec
" Ce soir, c'est la fête de la Lune! Alors, quand la Nuit déroule son voile marine et qu'elle apparaît enfin, blanche et parfaite comme une perle qui vient de naître, Princesse Yong-hee allume sa lanterne pour lui faire signe. Puis elle dépose un bol rempli d'offrandes pour la remercier d'avoir si bien protégé son pays pendant toute une année. "
■ Princesse Yong-hee et la perle de la nuit Texte: Agnès Bertron-Martin Illustrations: Aurélia Fronty Editions: Père Castor Prix: 13,50€ Parution: 9 avril 2014 Dès 5 ans
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Illustration de Aurélia Fronty extraite de Princesse Yong Hee © Flammarion Jeunesse, 2014
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JEUNESSE
Foi de samouraï ! cette fable délicieuse! A l'aide d'un graphisme tout de jaune, orange et noir ( ou presque!) vêtu, Dedieu y est une fois de plus aussi pertinent que drôle! " Un cheval au pas Dans la chaleur de la nuit Un samouraï vient Tous les chats sont gris C'est l'heure des ombres suspectes Des soupes sur le feu "
■ Le samouraï et les 3 mouches ou comment l'intelligence se joue de la force
Auteur: Dedieu Editions: HongFei Prix: 11,90€
Un brillant samouraï est très souvent exposé au danger, tout le monde sait cela. La jalousie guette et les concurrents ont la dent dure. Dedieu nous raconte ainsi l'histoire de l'un d'entre eux qui trouve une solution fort pertinente pour éviter les combats et prouver sa supériorité en évitant les bains de sang! Impossible d'éviter l'inévitable dites-vous? Lisez donc 126 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
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BANDE DESSINÉE
Bienvenue chez les Verdelaine! C'est l'histoire de cinq sœurs qui ont perdu leurs parents dans un accident de voiture et qui essaient, bon gré mal gré, de prendre la vie du bon côté. Il y a Charlie, l'ainée, qui a renoncé à ses études et qui est devenu le chef de famille; elle a un amoureux " officiel" qui vient tout juste de finir ses études de médecine et qui se n o m m e B a s i l e . Ju s t e après, Geneviève, à tout juste 16 ans, a endossé le rôle de maman de substitution; elle est belle et douce et apaise les bobos de chacun. Puis il y a la peste Bettina, 14 ans, rouquine adolescente qui se moque de tout le monde mais qui finira bien par être punie de son orgueil de belle fille. Hortense, du haut de ses 11 ans, discrète et très
brillante, passe ses journées dans les livres et tient un journal intime. Enfin il y a la cadette, Enid, qui n'est pas toujours très heureuse de faire partie de cette grande fratrie. Toutes les filles bavardent, en secret, avec le fantôme de leurs parents et il n'est pas rare de les voir débarquer dans une case pour soutenir l'une ou l'autre de leur progéniture. Vous l'aurez compris: dans la Vill ´Hervé qui surplombe l'Atlantique, on essaie d'avoir du courage et de l'optimisme, même si les fins de mois sont dures. Aussi,
lorsque l'insupportable Tante Lucrèce débarque, on retient sa respiration et l'on attend patiemment que "L'Emmerdeuse" et son swamp-terrier déguerpisse....et l'on se passerait presque de son chèque au montant
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ridicule dont on doit toujours se sentir redevable. Dans le tome 1, les filles recueillent pour quelques semaines une certaine Colombe - aux yeux bleus à tomber à la renverse - qui va rendre Bettina folle de jalousie et Enid tente d'expliquer quels sont ces bruits effrayants qui entourent leur maison lorsque le vent souffle fort. Dans le tome 2, Hortense décide de se mettre au théâtre pour pallier sa timidité et sa sauvagerie grâce à sa nouvelle amie, Muguette, qui est gravement malade.... Voilà une série qui nous a littéralement charmés ! En compagnie des sœurs Verlaine, on rit, on s'attendrit, on a le cœur qui se serre et l'on adopte si rapidement cette famille que chaque fin de tome est une séparation déchirante. Voilà une histoire pétrie de tendresse et de bonne humeur qui séduira assurément parents et enfants! Se concentrant sur des situations du quotidien, ce récit peut offrir ,de surcroît, l'opportunité de discuter avec
ses enfants sur de nombreux sujets qui peuvent les préoccuper et peuvent s'avérer une entrée vers la lecture, aussi intelligente qu'accessible, pour les enfants plus réticents à la lecture. Une série Coup de Cœur ! Ne passez pas à côté!
■Quatre sœurs
De Cati Baur d'après Malika Ferdjoukh Tome 1: Enid Tome 2 : Hortense Editions: Rue de Sèvres Prix d'un tome: 15€ A partir de 9 ans.
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ToutE l’actualité du Jazz concentréE sur un seul site www-le-jazz-club.com
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Takuya Kuroda Propos recueillis par Nicolas Vidal photos D.R
Takuya Kuroda fait partie de ces jeunes artistes qui constituent déjà la nouvelle scène new-yorkaise du Jazz. Arrivé à New York, au début des années 2000, Takuya a laissé exploser son talent en jouant avec les plus grands tout en façonnant une patte musicale bien à lui. Rising Son vient de paraître chez le prestigieux label Blue Note sous la 136 producteur - BSC NEWS MAGAZINE - AVRILUn 2014régal ! direction du célèbre José- N° 68 James.
Comment s’est déroulée votre arrivée aux USA ? C’est suite à ma première visite ici en 2000 que j’ai décidé de m’installer à New York. Lorsque j'ai vu le niveau de musiciens à New York lors de Jam Session, cela m’a profondément inspiré et attiré. Heureusement, j'ai été accepté par la suite dans la Jazz New School où j’ai postulé en 2003. Très rapidement, je me suis adapté à ma nouvelle vie, à une nouvelle langue et à une nouvelle culture pour la musique. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec le Jazz et plus particulièrement avec la trompette ? J’ai commencé à jouer de la trompette à 12 ans. Mon frère jouait déjà du trombone à l’école que nous
fréquentions. Cela n’était pas un choix de ma part que de jouer de la trompette, mais un ami de mon frère m’a poussé à essayer et à jouer. Quelles sont vos inspirations musicales et qui vous ont peut-être amenées sur ce chemin ? Count Basie , Clifford Brown et depuis que je vis à New York, je citerai sans hésiter Roy Hargrove, Stevie Wonder, Erykah Badu ou Blue Mitchell. Pouvez-vous nous en dire plus sur le titre énigmatique de votre album ? "Rising Son" est comme une métaphore pour moi, mais aussi pour ma carrière. Jose James m’a proposé ce nom et j’ai immédiatement adoré. Lorsque l’on regarde le soleil, on le voit, mais on ne peut pas dire précisément s’il est en
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au long de cet album. J'ai composé des chansons en associant de nombreux genres différents comme le Hip-hop, la Soul, le R & B, l’afrobeat et le jazz... Je suis très h e u r e u x q u e vo u s a i m i e z l e mélange.
mouvement. Pourtant, c’est le cas. Car en 24 heures, il se déplace et revient au même endroit. Ma carrière, et plus spécialement pendant ces 11 dernières années passées à New York, s’est construite étape par étape. J’ai grandi pendant cette période pour en arriver là où je suis maintenant. Comment vivez-vous le fait de sortir ce premier album chez le label Blue Note ? C'est un rêve, en fait car je n'ai jamais osé penser que je pourrais sortir cet album chez BLUE NOTE. Toutes sortes de sentiments m’ont envahi comme le bonheur, la surprise, le stress, la nervosité, mais aussi la confiance... Aujourd’hui, je me sens si heureux de partager ce travail et cet album. Rising Son est aux carrefours de plusieurs genres musicaux que vous maniez à merveille pour en faire un très bel album. Est-ce là votre conception de la musique ? Avec Jose James, le producteur, j’ai joué une musique qui m’a plu tout
Quel est votre rapport avec la Soul ? On pense notamment au morceau « Everybody loves the Sunshine », unique morceau de reprise de l’album. Mon rapport à la Soul ? Je ne suis vraiment pas bon pour parler de la musique selon des genres. Mais Roy Ayers, Donny Hathaway, Al Green, Curtis Mayfield, Aretha Franklin, Ray Charles, pour n'en nommer quelques-uns, sont des héros de la musique que j'ai beaucoup apprécié en les écoutant. Pouvez-vous nous parler des musiciens qui vous entourent dans Rising Son ? C'est tout le groupe en totalité et surtout celui de José James. Kris Bowers : Jose l'appelle souvent "le jeune génie ". Car il l’est. J'oublie parfois son âge lorsque je le regarde jouer. Il a compris tout le langage du traditionnel jusqu’au moderne et tout le genre de musique en général. Corey Roi : Nous avons joué avec Corey ensemble pendant très longtemps. Il est l' un des meilleurs non seulement en tant que joueur de trombone, mais aussi compositeur, arrangeur et également chanteur . Salomon Dorsey : Il a contrôle fou et total de la basse à la fois acoustique
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et électrique. Il m'a beaucoup aidé sur la production de cet album. Il n'est pas seulement un bassiste, il voit toujours la musique à partir d’angles très différents sur la base de l’incroyable volume de connaissances dont il dispose. Nate Smith : L'un des meilleurs batteurs de ce monde. Il est très présent sur Rising Son. J'apprécie vraiment son pouvoir et sa créativité Lionel Loueke : Je suis très fier de travailler avec lui. Il est l'icône du jazz et de la musique pour longtemps ! Jose James : Je ne pense pas avoir besoin de le présenter. En tant que producteur, nous sommes en osmose sur l’essence et à la direction à donner à cet album. Globalement, je suis vraiment heureux que nous ayons pu réaliser cet album ensemble avec de tels musiciens.
Que vous a apporté le ville de New York dans votre musique ? Je ne sais pas ce que ma musique serait hors de New York, car cette ville est un véritable enseignement pour moi. J’en apprends chaque jour un peu plus ici à New York. Où pourra-t-on vous voir prochainement en concert ? Nous devrions jouer à New York dans les prochaines semaines. Nous serons au Japon à la fin du mois de Mai et en Europe en juillet. Car nous avons hâte de nous produire sur scène.
■Rising Son Takuya Kuroda (Blue Note)
Takuya Kuroda
Quels ont été leurs apports dans ce projet ? Ils ont été essentiels. Quelle place donnez-vous à cet album dans votre carrière, Takuya ? Tous les albums que j'ai fait dans le passé sont tous numéro un pour moi. J'ai toujours essayé de saisir ce que je suis et qui je suis à un moment donné. Donc je suis très satisfait de la façon dont cet album a été bâti et amené à terme. Mais, bien sûr, celui-ci est sorti chez Blue Note. Et cela est une impression très spéciale pour moi.
Gagnez «Rising Son» l’album du jeune prodige new-yorkais sur le BSCNEWS.FR
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MACHA GHARIBIAN
Au carrefour du texte et du jazz Propos recueillis par Nicolas Vidal Crédits photos : © DR
Macha Gharibian a puisé dans ses origines et malaxé son talent avec son insatiable curiosité pour créer Mars, un premier album brillant. Fille de Dan (Bratsch) elle a été à bonne école lorsqu’il s’agit de musique, d’influences, de swings et de mélodies pour débroussailler cet Eden que sont les frontières du Jazz repoussées chaque jour, toujours plus loin. Macha Gharibian nous plaît et elle nous dit pourquoi. 142 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
Macha, où avez-vous rencontré le Jazz ? À New York ? Quand et comment cela s'est-il passé ? Ma rencontre avec le jazz a eu lieu à New York. Je venais du monde classique. J'étais déjà fascinée par Bojan Z, Aziza Mustapha Zadeh... En 2005, après la tournée avec Titus, j'ai eu envie de m'éloigner de mon univers classique, et de partir loin, New York m'attirait. J'ai découvert l'école de Ralph Alessi, il organisait un stage, je ne connaissais aucun des musiciens qui enseignaient, mais l'esprit que dégageait cette école m'a attirée. J'ai loué un appartement depuis Paris et je suis partie. À mon arrivée j'ai senti que j'allais vivre quelque chose de fort, la vie new-yorkaise quand on est de passage a quelque chose de grisant. Manhattan, Brooklyn, ses rues, la vie agitée, les clubs, la musique, les musiciens. J'y étais pour faire un stage, je faisais mon trajet chaque jour en métro sur le A train pour aller au City College au-dessus de Harlem, et je retrouvais Ralph, Jason Moran, Gerald Cleaver... Au piano, je découvrais la liberté après avoir joué des années de la musique écrite. Ralph, Ravi et d'autres musiciens comme Craig Taborn, ont renversé ma manière d'aborder la musique et l'improvisation. ça m'inspire encore aujourd'hui. Lorsque l'on se plonge dans vos secrets culturels, on y découvre que vous aimez William Blake que vous écrivez pour le théâtre et que vous vous produisez dans de nombreux univers musicaux. Dans quelle matière est faite la passion de Macha Gharibian pour la musique ? Dur de répondre à cette question. J'ai grandi avec la musique, ça a commencé très petite, car il y avait un piano à la maison et j'ai joué petite. Puis j'ai pris des cours, mon professeur m'a transmis le plaisir de jouer Chopin, Brahms,
Rachmaninoff... Je les ai aimés très tôt. Et bien sûr il y avait Bratsch, mon père, les concerts, et toute la musique que j'entendais à la maison. Ça forge les oreilles. Vers 18 ans j'ai découvert Messiaen, puis Dutilleux, Ligeti, qui m'ont patiemment fait glisser vers le XXe siècle et le jazz ! Parallèlement à mes études à l'École Normale, j'étais un peu dans le monde du théâtre. J'ai rencontré des metteurs en scène, et à travers eux des auteurs, et leur poésie. Puis Simon Abkarian m'a proposé d'écrire pour son spectacle et c'est parti de là, j'ai commencé à écrire des musiques pour la scène, et quitter progressivement le classique pour aller m'amuser un peu sur scène. Et ma façon d'écrire a évolué avec ces projets, puis après avec la musique de film. Tout ça ce sont des rencontres, un peu d'exploration, de curiosité, d'hommes et de femmes inspirant qui m'ont fait me poser quelque part. À quelles influences aimez-vous vous rapporter ? Sont-elles plus théâtrales que musicales ? Mes influences sont avant tout musicales, orientales, arméniennes, le jazz dans son
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"En concert, j'aime raconter un peu, donner juste de quoi emmener le public avec nous, mais le laisser faire son propre voyage."
époque moderne, et le monde d'aujourd'hui ! Le théâtre est un plateau où raconter quelque chose, transmettre une pensée, alors peutêtre qu'il m'influence aussi. J'aime donner du sens à mes actes. Mais parfois il n'y a pas de sens ou du moins pas volontaire et qu'importe. En concert, j'aime raconter un peu, donner juste de quoi emmener le public avec nous, mais le laisser faire son propre voyage. Quelle est la part de vos racines arménienne dans votre travail ? Je suis sensible à la musique arménienne, sa force mélodique, sa poésie, son histoire, et la langue. J' y reviens souvent et c'est dans ma nature, le tragiquement gai... Mais je suis attirée par tellement d'autres choses. Je suis née en France, donc j'aime aussi le bourguignon et la poule au pot ! Mais le jazz me surprend tellement que j'ai envie de creuser dans cette direction, et comme j'aime mélanger, il y a des influences qui se croisent, et les morceaux deviennent quelque chose que je n'ai pas soupçonné au départ. C'est la force du travail en groupe aussi, avec Théo et David, on cherche ensemble, je propose des textes, des envies, des compositions, et eux proposent à leur tour, c'est un processus qui se construit ensemble. En ce moment, je joue avec pas mal d'autres musiciens, j'enregistre, ça va
de Miles Davis à des créations de répertoires, je chante des choses nouvelles aussi, dans un esprit plus urbain et j'adore ça. La critique semble unanime pour dire que cet album Mars est au carrefour des influences. Quel est le fil rouge de cet album pour lier entre eux tous ces horizons très différents ? Je n'ai pas eu de réponse avant d'enregistrer l'album, excepté celle du voyage. Et la réponse est venue en studio, l'univers construit avec les musiciens prenait tout son sens, chacun avec sa part instrumentale apportait le fil conducteur, David Potaux-Razel avec sa guitare, ses pédales, ses effets et son univers assez rock, Fabrice Moreau avec sa pertinence et ses propositions rythmiques, Théo Girard et son flow tout doux qui nous ramène un peu dans la chaleur de la maison. J'aime ce que chacun a apporté et raconté dans ce disque. Le fil rouge, c'est cette planète rouge derrière moi qui m'attire et je n’ai aucune idée de ce que je vais rencontrer ! Quel est l’apport de votre père dans votre carrière ? La chose la plus importante qu'il m'ait transmise, c'est la confiance en ce métier. Et c'est vraiment important. Avoir vu mon père sur scène depuis
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"New York, c'était la découverte de la liberté, mon premier long voyage en solo, loin du poids des racines aussi, puis les rencontres nouvelles, où parler une autre langue fait penser autrement, voir son chez soi d'un autre oeil, se découvrir." petite, voir Bratsch encore sur scène aujourd'hui, ça me fait aborder ce métier avec sérénité et lucidité. Parce qu'on sait bien qu'il y aura des moments super et des moments de vide. Je repense à notre premier voyage en Arménie ensemble, en tournée avec Bratsch et Papiers d'Arménie, c'était en 2006. C'était la première fois que nous partions en Arménie, lui comme moi. C'était un moment exceptionnel, découvrir ensemble ce pays. On avait enregistré un album ensemble un an avant, en 2005, à mon retour de New York. C'était mes vrais débuts de chanteuse, je me considérais avant tout comme pianiste puisque j'avais toujours travaillé cet instrument. Il m'a poussé à chanter plus, et m'a donné envie de continuer. Et puis, toute cette culture, la musique, la cuisine, le partage, le bon vivre.... Depuis l'album «Mars», il est plus en retrait, et me regarde me construire. C'est rassurant, ça rend serein d'avoir un regard bienveillant posé sur soi. Et celle New York ? Vous déclarez dans une interview que la ville «vous a ouvert les oreilles » ? Pouvez-vous nous en dire plus ? New York, c'était la découverte de la liberté, mon premier long voyage en solo, loin du poids des racines aussi, puis les rencontres nouvelles, où parler une autre langue fait penser autrement, voir son chez soi d'un
autre oeil, se découvrir. Quelle agréable sensation... New York m'a ouvert les oreilles, car je découvrais la musique et tout un pan de la culture jazz en live, avec ses excès et ses subtilités. Mes oreilles n’étaient pas habituées à ce son, c'était nouveau pour moi, et ça a fait sauter des barrières. Quel est votre rapport au chant, Macha ? Est-il complémentaire de votre jeu au piano ou le considérezvous comme une autre facette de votre personnalité musicale ? Je n'ai pas de réponse à cette question, je chante du texte, des mélodies, ou des poèmes quand ils me parlent et que j'ai envie de les partager. Certains morceaux chantent simplement avec le piano, d'autres avec la voix, parfois les deux... Mais je ne sais pas me définir de ce côté..... Pouvez-vous de nous parler de votre rapport à la poésie qui s’immisce dans chacun de vos textes ? Avezvous une histoire particulière avec elle ? J'aime les mots, leur musicalité, et comme tout musicien, je suis sensible au rythme qui se dégage d'un texte. Le poème de William Parker vient de son recueil «who owns music» que j'avais trouvé à New York. Peu de temps avant, j'avais écrit la mélodie de Ritual Prayer, mes mots ne trouvaient pas leur place. Il y avait ce poème initialement appelé Dancer. Il
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y fait référence dans le texte original à Martha Graham, Merce Cunningham. Je l'ai chanté en concert, et il y a eu cette rencontre entre son texte et ma voix, voilà tout simplement comment ça s'est produit... Je ne soupçonnais pas pouvoir aller sur ce terrain avec ma voix., Ensuite, j'ai tenté encore l'expérience avec d'autres poètes, et le phrasé de William Blake a quelque chose de savoureux. Plusieurs de ses poèmes m'ont inspiré des chansons. Son écriture est ciselée et rythmée. J'en ai choisi un pour l'album. Depuis je glane des poèmes ici et là, je découvre, on me conseille. Lire de la poésie, c'est un moment intérieur où on laisse échapper ses pensées... On a pu lire aussi que vous avez travaillé avec Simon Abkarian sur la mise en musique de deux de ses pièces. Comment s’est articulé votre travail sur ces mises en scène ? Simon Abkarian a des envies très fortes, et c'est quelqu'un qui a une vision intense avec beaucoup d'idées. Il fallait réagir vite pour répondre à sa demande, et le résultat était déroutant, car très musical et subtilement théâtral . J'allais piocher dans mes souvenirs: Mendelssohn, Haydn, une pièce du compositeur grec Constantinidis, des choses écrites ou improvisées en répétitions. Pour Titus, j'avais proposé une étudetableaux de Rachmaninoff, une pièce démoniaque qui collait au personnage d'Aaron, le Maure. Celle qu'on appelle le petit chaperon rouge opus 39 N6. C'était mon moment favori de la pièce.... Pour Mata Hari
aux Bouffes du Nord, j'ai ajouté à des pièces écrites, Art Tatum, un ou deux standards et un moment musical de Rachmaninoff. C'était somptueux de le jouer dans ce théâtre. Cette famille d'acteurs m'inspire et j'aime travailler avec eux. Et le théâtre a finalement été avec Simon, mon première territoire d'exploration. Si vous deviez définir Mars en deux mots, lesquels choisiriez-vous ? Navette spatiale.... pour finir avec un peu d'humour .. Où pourra-t-on vous voir sur scène dans les prochaines semaines ? Je serai le 5 mai au New Morning car Dominique Fillon m'a invitée à venir jouer avec Céline Bonacina que je vais rencontrer, je m’en réjouis déjà. Puis le 17 mai à Conflans-SainteHonorine, le 22 mai à Marseille Cri du port, le 24 mai à Vitrolles, le 12 juillet à Parthenay, 19 juillet au Chateau de Ratilly (89)
■Mars
Macha Gharibian Bee Jazz
www.machagharibian.com
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BSC NEWS MAGAZINE
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LUCA AQUINO Propos recueillis par Nicolas Vidal photos / P.Darmon
Luca Aquino a le parcours singulier d’un artiste qui se situe à la conjonction parfaite de la liberté et du talent. Découvert par Paolo Fresu, Luca Aquino a le mérite d’être un autodidacte loin des codes et des conventions, qui joue au plus près de la beauté. Une singularité à découvrir de toute urgence ! 148 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
Pour ce nouvel album, Luca Aquino, pouvez-vous nous expliquer le titre ? Le titre de l’album “aQustico” avec un “Q” majuscule renvoie à la fois à la notion d’acoustique, de musicalité douce. C’est à la fois un jeu de mots avec mon nom aQuino. Ce lot a surgi de lui-même et m’a plu tout simplement.
Remontons en arrière dans votre vie. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec la musique via Mile Davis ?
Le son de Miles, avec celui de Chet, étaient les seuls qui me provoquaient une émotion. J’avais quelques difficultés à apprécier les autres trompettistes et j’aimais le Sax contralto, la douceur de Lee Konits. Puis l’album “Red Clay” de Hubbard me fit changer d’idée. Le musique de Miles était assez voisine des musiques “Rock” que j’écoutais à l’époque.
Comment est née votre histoire d’amour avec la trompette alors
qu’on sait que vous vous êtes également essayé au saxophone alto ? Mon oncle est saxophoniste et il avait une vieille trompette dans sa cave. Et je dois dire que je fus chanceux, car je pus en jouer immédiatement. Ce fut un moment magique, inoubliable comme un premier baiser ou l’idée même de “’la première fois”.
La grande majorité des musiciens que nous recevons dans le Jazz Club du BSC NEWS MAGAZINE ont souvent bénéficié d’une solide formation musicale dans leur jeunesse. Cela ne semble pas le cas pour vous, car vous êtes un autodidacte. Qu’est-ce qui explique d’après vous ce parcours jalonné de succès ? Je n’ai jamais fréquenté les conservatoires, car j’ai commencé à jouer de la trompette à l'âge de vingt ans et qu’en pareille hypothèse, mon parcours aurait été différent. À l’époque j’étais étudiant en économie, et après avoir
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obtenu mes diplômes, j’ai décidé de vivre de la musique et c’est ainsi que j’ai fréquenté les séminaires de Paolo Fresu pour pouvoir rapidement intervenir comme sideman et co-leader dans diverses formations. Le jazz ne peut pas s ’ e n s e i g n e r. C ’ e s t u n e m u s i q u e spongieuse qui vit du présent et tu ne peux être jazzman seulement si tu sais et tu ressens ce qui t’arrive et ressens au moment présent.
Pouvez-vous nous parler de l’apport de Paolo Fresu dans votre carrière ?
Paolo Fresu m’a appris à écouter autrement, à donner de la fraicheur aux sons que j’aimais avant de les jouer. À la base, j’étais assez influencé par le Jazz traditionnel, mais, après avoir fréquenté ses formations, je me suis mis également à étudier l’électronique, pour ensuite enregistrer mes premiers albums “Sopra le Nuvole” et “Lunaria” pour Universal. Ce fut une belle opportunité d’avoir Paolo comme professeur, puis collègue, ami puis producteur. C’est une très belle personne, altruiste et sensible.
On sent une grande volonté de singularité dans votre jeu qui refuse la comparaison et les modèles de trompettiste. D’où vous vient cette liberté, Luca Aquino ?
Ma référence première, pour ce qui concerne ma sonorité, est certainement Chet Baker. Son son et son souffle m’ont toujours inspiré. Puis Jon Hassel m’a littéralement changé la vie et après avoir collaboré avec lui, j’ai enfin pu trouver “mon” son .
Vous venez du rock. Pouvez-vous nous parler de cette route qui vous a mené jusqu’au Jazz ? J’écoutais AC/DC, Ramones, Sid Vicious, Off Spring, Nofx et d’autres. J’ai commencé à écouter du jazz à cause de l’instrument qui m’est tombé dans les mains. Quelle chance ! Une des particularités du Rock est le traitement des sonorités. Tout est toujours bien produit à l’avance. Il est difficile d’écouter un album de rock qui aurait un son médiocre et il est bon que nous, jazzmen, prenions aussi leur exemple, pour grandir et évoluer. J’aime en particulier les Doors et, à ce propos, j’enregistrerai en juillet prochain à
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l’occasion des prochaines dates de concert. Nous avons grand plaisir à jouer ensemble sur scène.
Si vous deviez résumer votre album en deux mots, quels seraient-ils ? Réservé et sincère.
Où pourra-t-on vous voir sur scène dans les prochaines semaines ? Je termine actuellement ma tournée en Italie et à la fin du mois d’avril, j’entamerais une tournée au Japon avant de revenir en Europe. Paris, avec mon quartet, mon nouvel album qui sera produit par Bonsaï Music de Pierre Darmon et Tuk Music de Paolo Fresu. Les Doors furent les précurseurs du Punk, de l’Hard Core et du Rock progressif à la fois et j’aurais grand plaisir ne pas me cantonner à souligner pas seulement leur côté “maudit”. Je ne peux me résoudre à penser que des jeunes artistes d’à peine vingt ans ne pouvaient ne parler que de mort, serpents et drogues. Dans leur musique, il y a des aspects plus doux et colorés.
■aQustico Luca Aquino Bonsai Music
Comment Luca Aquino conçoit-il ce nouvel album dans sa carrière ? Est-il un accomplissement de son talent ou un cap vers autre chose ?
Je venais d’enregistrer 4 albums très teintés d’électronique et aQustico , qui auraient du être une simple parenthèse, semble en revanche être devenu à ce stade, l’album le plus important de ma carrière. J’ai donné une nouvelle voix au son de mon instrument. Demain, mon prochain album “Overdoors” devra suivre un frère aîné, plus expert et mature.
Un mot sur votre complicité avec Carmine Ionnna pour ce nouvel album ? Carmine est un musicien extraordinaire et génial. Avec aQustico, nous avons fait une belle tournée et de nouveaux morceaux déjà rodés, prêts à être joués à
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L’histoire de Jizzy Propos recueillis par Nicolas Vidal Crédits photos : © Pikébook
Rachel Ratsifay et Églantine Jouve ressuscitent la légende du chanteur Jimmy Scott dans un spectacle à la croisée des arts entre jazz, théâtre et lecture. Rencontre avec deux personnalités déterminées à faire survivre un héritage important de la musique noire américaine.
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Rachel Ratsifazy, chanteuse Rachel, on vous connaît déjà sur la scène du jazz français. Quelle est la genèse de ce projet ? À l'origine il y a des mots, un texte, écrits par Patricia Duflot, auteur du livre "Jizzy" dont s'inspire le spectacle. Ce livre est luimême inspiré du film documentaire "If you only knew" sur la vie de Jimmy Scott, chanteur de jazz du 20e siècle malheureusement assez méconnu. L'histoire de sa vie, romancée à travers "Jizzy", a donc été mise en scène autour du chant, de la musique et du théâtre pour créer de toutes pièces ce projet original. Touchée à la fois par le style musical de l'époque, par la personne de Jimmy Scott et, du fait de mes influences et de mon parcours artistique, j'ai été sollicitée pour cette aventure et répondu présent tout naturellement.
Quel sera votre rôle sur Jizzy ? Je suis interprète de standards de jazz, à l'image de Jimmy Scott. Églantine Jouve, comédienne, narre son histoire à travers le texte de "Jizzy". Cette narration théâtralisée est ponctuée de passages musicaux avec ou sans ma voix. Comment appréhendez-vous l'histoire de Jimmy Scott ? Elle me touche... Elle illustre toutes les difficultés de l'époque pour un musicien et plus généralement pour un homme noir. En plus de ce contexte particulier, Jimmy Scott est atteint d'une maladie rare qui l'empêche de muer. Sa voix fragile qui au début le met à l'écart, lui donnera une singularité et révélera bien plus tard tout son talent. En tant que femme noire, chanteuse de jazz, je n'ai pu qu'être sensible à cette histoire.
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Comment se déroule votre collaboration avec Églantine Jouve sur ce portrait musical de Jizzy ? De par nos expériences professionnelles, Églantine et moi partageons la scène avec beaucoup de ressenti et de complicité. La richesse de ce projet réside dans l'interaction entre nos "disciplines" respectives. En effet, à certains moments du spectacle, Églantine prend le rôle de chanteuse quand de mon côté, je donne vie à un texte. Travaillez-vous sur un nouvel album actuellement ? Je suis en phase d'écriture et de nouvelles rencontres musicales afin d'élaborer mon nouveau projet. Sur scène, je joue actuellement mon dernier album "Out of this World" avec de très belles scènes en perspective telle que le festival Radio France au Domaine dÔ les 16 et 17 juillet, Jazz à Beaupré, 1ère partie de Monty Alexander le 11 juillet et l’ARCHEOS Jazz festival en 1ère partie d'Ibrahim Maalouf le 27 juin
J’ai également d'autres dates à d é c o u v r i r s u r m o n s i t e www.rachelratsizafy.com
THEÂTRE DE PEZENAS 7bis rue Henri Reboul
www.ville-pezenas.fr
JIZZY
Portrait Concert de Jimmy Scott Une histoire de Jazz en Amérique Par le Théâtre de Pierres D’après « JIZZY » écrit par Patricia Duflot, aux éditions Domens.
Vendredi 18 avril 2014 20h30
INFORMATIONS / RESERVATIONS 04 67 32 59 23 – 06 07 31 18 26
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Églantine Jouve, conception et récit Quelle est l'origine de ce projet atypique ? À la base c'est toujours une histoire de rencontres... Je co-dirige avec des amis le Théâtre de pierres de Fouzilhon, et avec Culture Jazz, nous travaillons sur le même territoire. Pendant un an, nous avons coaccueilli des concerts de jazz que Culture Jazz nous proposait. Un jour ils sont venus voir un de mes spectacles, une lecture de correspondances mise en espace et en musique, entre Albert Camus et Jean Sénac autour de la Guerre d'Algérie. Une semaine plus tard, ils m'ont présenté le récit de Patricia Duflot qu'ils souhaitaient depuis longtemps porter à la scène. J'ai toujours aimé le travail de mémoire, presque documentaire, alors évidemment la démarche de cette auteure m'a touchée, car elle mêle sa vision romancée de Jimmy Scott avec
l'histoire du jazz, elle décrit très bien de quelle manière cette musique révolutionnaire est directement liée au contexte socio historique de l'époque, à tout ce mouvement de révolte et de libération des noirs Américains. J'ai donc intégré l'équipe et grâce à eux, moi qui ne suis ni ch a n t e u s e n i m u s i c i e n n e , j ' a i l'occasion de connaître quelle joie c'est que de faire partie d'un groupe de jazz ! Comment vous êtes-vous immergée dans cette personnalité du jazz ? La forme du spectacle est un peu particulière, ce n'est pas une pièce de théâtre, je n'incarne pas un personnage, mais des mots. J'essaye de trouver la distance du conteur qui donne juste assez d'énergie et d'émotion pour faire naître ses personnages dans l'imaginaire du spectateur. C'est une histoire que je cherche à partager. Pour donner au mieux ces mots, il faut connaître leur poids. Alors je me documente un maximum : la vie de Jimmy Scott bien
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sûr, les intentions de l'auteure dans telle ou telle partie, connaître les personnages que je présente : Ray Charles, Chet Baker, Louis Amstrong... Quel a été le fil rouge de ce travail dans votre équipe ? Après avoir travaillé sur l'adaptation avec Serge Casero et l'auteure elle même, la construction du spectacle s'est faite sur scène directement, avec tous les musiciens, de manière assez instinctive. Il n'y a eu pas de metteur en scène à proprement parler sur ce projet, c'est un travail collectif dont le fil rouge a été essentiellement de trouver la cohésion musicale du spectacle et le juste dosage entre musique et texte. Nous avons fait de multiples essais afin de percevoir à quels moments ceux-ci devaient se superposer, s'entrecroiser ou bien agir indépendamment. Le résultat final est étonnant : est-ce un récit qui traverse un concert ou le contraire ? Ni l'un ni l'autre, c'est un concert-récit, et nous ne voulons surtout pas trop théâtraliser la forme, car pour partager notre passion du jazz quoi de mieux qu'un vrai concert et son a m b i a n c e s p o n t a n é e , ch a u d e , jubilatoire, sensuelle? Le public entre vite dans le jeu, il réagit, applaudit, siffle, on pourrait être dans n'importe quel club de jazz dans le monde ! Bien sûr, nous avons été très attentifs au choix des morceaux, ils ne s'agissait pas d'illustrer de manière didactique le texte ou d'en respecter rigoureusement la chronologie, mais à la fin du spectacle les gens auront entendu à la fois des standards que Jimmy Scott a chantés durant sa carrière, mais aussi toutes sortes de morceaux ou improvisations qui donnent à rendre compte de la
multiplicité infinie de courants et d ' i n fl u e n c e s d i f f é r e n t e s q u e contiennent le jazz. Parallèlement à ce travail collectif, j'ai fait quelques séances de répétition avec le metteur en scène Pierre Barayre afin de trouver dans quel axe travailler. Où et quand pourra-t-on découvrir ce projet ? À Pézenas, le 18 avril au Théâtre historique. il s'agit de notre 5e représentation, pour la suite on ne sait pas encore, on espère qu'il y en aura beaucoup d'autres ! Portrait concert du chanteur américain Jimmy Scott d'après le roman de Patricia Duflot Ed. DOMENS
Conception et adaptation: Eglantine Jouve et Serge Casero Une création Culture Jazz co produite par le Théâtre de pierres, avec l'aimable soutien de la ville de Pézenas Chant : Rachel Ratsizafy, Récit: Églantine Jouve, Batterie: Séga Seck, Piano : Cédric Chauveau, Saxophones : Serge Casero Régie lumière/vidéo : Laetitia Orsini Régie son : Olivier Soliveret Direction d'actrice : Pierre Barayre
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David Fettmann Quartet - prelude (DOuble moon records) David Fettmann pour son premier album en tant que leader vient avec Prelude et nous emmène sur des rivages que le Jazz emprunte peu trop souvent. De belles compositions où ce quartet navigue avec une aisance séduisante sans jamais outrepasser ni le snobisme ni la facilité. Un bel opus qui augure de beaux lendemains qui swinguent pour David Fettmann.
Kris bowers - Heroes +Misfits ( Universal JAZZ )
On ne remporte pas le très prestigieux prix Thelonious Monk sans quelques prédispositions musicales. C’est le cas du jeune prodige Kris Bowers, l’une des pousses de la jeune garde jazz américaine qui nous enivre de nouveaux horizons et ouvre le Jazz à de belles et contemporaines influences. Kris Bowers ne s’interdit rien dans cet album en allant picorer çà et là des sons, des genres, mis en harmonie avec de nombreux artistes. Une belle preuve d’audace mariée à un génie en devenir. Réjouissant !
Ambrose Akinmusire - The Imagined savoir is far easier to paint ( BLUE NOTE) Nous vivons une époque formidable pour le Jazz tant le talent de cette nouvelle garde américaine impressionne, revigore et offre de magnifiques perspectives musicales. Ambrose Akinmusire (comme Takuya Kuroda ou Kris Bowers) revient avec un nouvel album aussi envoûtant que la brillante carrière qu’il mène depuis quelques années aux côtés des plus grands. Un album exigeant, mais magnifique alors prenez votre temps.
SHAHIN NOVRASLI - BAYATI ( BEE JAZZ ) Il y a parfois des albums qui émergent comme cela brutalement à notre connaissance et, avec lesquels, on se régale tellement qu’ils passent en un éclair à une écoute admirative presque névrotique tellement elle est en luxuriante. L’album Bayati du trio amené par Shahin Novrasli, pianiste et compositeur azerbaïdjanais est une petite comète Jazz qui n’a pas fini de faire parler d’elle. Un moment de bonheur !
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Heaven - Robert Francis & The Night tide (Membran )
Après son succès avec « Junebug », Robert Francis, le jeune californien, qui a pris un peu de bouteille depuis, revient avec Heaven du haut de ses 26 ans. Voilà un album qui s’accapare avec gourmandise de nombreuses influences tout en sachant garder la fraîcheur adolescente d’un folk un poil romantique et qui saura se marier avec vos prochaines soirées de printemps.
THOMAS DE POURQUERY - SUPERSONIC ( Quark/L'Autre Distribution) Il y a quelque chose d’un peu étrange dans cet album lorsque l’on se retrouve immergé dans les douze morceaux totalement survoltés de Supersonic. Thomas de Pourquery a convié pour ce projet six musiciens touche-à-tout pour donner à ce voyage musical une folie singulière et expansive d’un morceau à l’autre en hommage à Hermann Poole Blount appelé Sun Ra. Ça part dans tous les sens et ça ne laisse pas indifférent. Tentez Supersonic !
SANTALEGRIA - LA TROBA - Kung-fù ( CHESAPIK )
À quelques courtes encablures du printemps, ne cherchez plus l’album qui vous donnera la grinta dès le petit matin ! La Troba est une espèce de grande fanfare folklorique où les rythmes fusent entre la troba, le kung-fù et la rumba catalana. C’est chaud, plein d’allégresse, ça remue, ça secoue et ça vous soulève vers le plaisir d’écouter des airs venus d’Espagne. Succombez à Santalegria !
Stéphane Tsapis - Charlie and edna ( CLOUD ) Stéphane Tsapis fait partie de ces musiciens engagés sur de nombreux projets, parfois très différents mais qui sait revenir avec grâce et candeur à sa fibre personnelle. Charlie and Edna galvanise la route qu’il suit avec une belle harmonie équilibrée, un jeu délicat et précieux qui ne sombre jamais dans l’autosatisfaction. Un bien beau moment de jazz qui s’écoute avec délicatesse et satisfaction.
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ROY NATHANSON’S - SOTTO VOCE ( YellowBird) Un projet tout à fait étonnant que nous propose Roy Nathanson dans ce Sotto Voce où les frontières semblent avoir été minutieusement enlevées et où les artistes présents sur l’album ( Curtis Fowlkes, Tim Kiah, Jerome Harris...) s’en donnent à coeur joie pour nous convier à un voyage de 10 chansons où la singularité et les sonorités diffèrent avec brio et harmonie. Une belle surprise !
LIGNE SUD TRIO - C.GAUBERT/A.CECCARELLI/J.TOP ( Cristal records ) Une belle ballade aux côtés de Ligne Sud Trio, menée avec classe par trois hommes du Sud qui ont décidé de se réunir et de mettre en musique toute une foule de thèmes qui leur tient à coeur. Dans une harmonie charmante, les morceaux s’égrènent dans un album équilibré, juste et passionnant. Car le Sud ne se réduit aux clichés éculés qui reviennent malheureusement trop souvent. Le Sud est également une terre de jazz raffiné. À découvrir.
VINCENT PEIRANI & EMILE PARISIEN - BELLE EPOQUE (ACT MUSIC)
Voilà une Belle époque terriblement séduisante sur laquelle nous vous recommandons de vous arrêter. Vincent Peirani et Emile Parisien correspondent formidablement bien dans ce duo où l’harmonie s’incarne à merveille entre deux instruments, deux personnalités et deux pattes. Voilà une belle Époque comme une «cascade sonore étourdissante». Cet album est absolument l’un de nos coups de coeur ! À se procurer d’urgence !
SOPHIE ALOUR - SHAKER ( NAÏVE ) Le nom de l’album est à l’image de ce qu’il contient. Shaker est une profusion d’allégresse musicale emballée par la pétillante Sophie Alour. 10 morceaux de belle facture qui enchaîne les accords sur des reflets groove entraînants. Shaker est un mélange de son, mais également de musiciens avec lesquels Sophie Alour a su bâtir un bel album à son image, frais et dynamique.
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EXPOSITION PAR FLORENCE G.YÉRÉMIAN
De quel côté de la Force êtes-vous? Jusqu’au 30 juin 2014, la Cité du cinéma initiée par Luc Besson vous invite à un voyage interactif au cœur de l’inégalable univers de la Guerre des Etoiles. L’occasion de découvrir de rares archives en provenance du Musée Georges Lucas mais aussi de comprendre à quel personnage de la Saga vous vous identifiez le plus… « Je suis ton père… »
Les coulisses de Star Wars
Quelle personne sur terre ne connait cette Afin de combler les fans - et de les faire fameuse réplique dite par Dark Vador à patienter jusqu’à la sortie du prochain Luke Skywalker dans le cinquième opus de épisode prévue fin 2015 ! - , l’équipe Star Wars? Même la toute dernière canadienne de X3 Production a conçu une génération d’enfants au berceau continue exposition itinérante réunissant plus de encore aujourd’hui d’être happée par la 200 pièces issues du Lucas Arts Museum. plus grande saga cinématographique du Au fil de maquettes, de dessins d’archives, XXe siècle. d’affiches ou de costumes originaux, vous 162 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
aurez l’occasion unique de sillonner les coulisses de cette fabuleuse épopée galactique. Parmi les multiples Jedi et droïdes présentés, vous pourrez croiser l’irrésistible R2D2, la figure d’Han Solo pris dans la carbonite, le Taloscope d’Obi-Wan Kenobi permettant de mesurer le taux de midichloriens ainsi que toute une série de masques et d’armes ayant appartenu aux Stormtroopers. Outre les multiples maquettes dont celle de l ’ i n é v i t a b l e Fa u c o n Millenium - vous aurez le loisir d’admirer des plans de combat ou le vaisseau d’Anakin grandeur nature. Cernés par la grandeur de Vador et la sagesse de
Maître Yoda, vous aurez enfin la chance de décortiquer les dessins de Ralph Mc Quarrie qui a conçu tout l’univers graphique de Star Wars : parmi ses planches, ne ratez pas les premières esquisses de Dark Vador ou les étonnantes versions de Yoda qui devait initialement porter le nom saugrenu de « Minch » !
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Une quête identitaire Parallèlement à cette approche plutôt visuelle et esthétique, cette exposition vous propose également de réaliser un voyage à l’intérieur de vous même. Muni d’une oreillette et d’un bracelet interactif, vous allez parcourir chacune des salles en côtoyant les personnages de la saga et en répondant à des
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questions réparties sur plusieurs bornes. Par le biais de ce cheminement personnel, chacun d’entre vous sera invité à explorer les recoins de sa propre identité à travers la notion d’espèce, de fonctionnement génétique ou d’héritage familial. A la fois ludique et psychologique, cette quête identitaire vous fera revivre des moments clefs des six épisodes de la Guerre des Étoiles et se conclura en fin de piste par un portrait-robot de votre propre « personnalité starwarsienne». Vous saurez ainsi définitivement de quel côté de la force vous vous placez…
Star Wars identities ? Une plongée dans les coulisses de la Saga, entre fiction et réalité. Profitez des vacances pour y emmener vos enfants : vous constaterez à quel point ces têtes folles sont beaucoup moins sérieuses que leurs parents lorsqu’on leur annonce q u e l e u r p r o fi l fi n a l e s t c e l u i d e Chewbacca…
STAR WARS IDENTITIES La Cité du cinéma de Saint-Denis Plateaux 8 et 9 - 20, rue Ampère 93200 Saint-Denis - Métro Ligne 13 - Station Carrefour Pleyel Bus 139 - Station rue Ampère - RER D - Station Stade de France - Saint Denis Jusqu’au 30 juin 2014 - Tous les jours de 10h30 à 20h Nocturne le vendredi jusqu’à 21h30 Réservations: www.starwarsidentities.fr 165 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 68 - AVRIL 2014
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EXPOSITION PAR ÉLODIE CABRERA
Les Indiens, artistes des Plaines Exit les westerns et les peaux peinturlurées. Jusqu'au 20 juillet, l'exposition « Indiens des Plaines » présente au Musée du Quai Branly 140 œuvres appartenant aux plus grandes collections américaines et européennes. Un voyage dans le temps et les herbes hautes sous le signe de l'étonnement. Robes à franges, coiffes à plumes et calumets de la paix, les Indiens ont bel et bien débarqué au Musée du Quai Branly, mais en laissant au placard les stéréotypes du cinéma. Déambuler dans cette exposition, à la scénographie sobre et minimaliste, c'est prendre une claque à chaque pas. L'oeil s'arrête sur une robe
bleue recouverte de milliers de perles et d'épines de porc-épic, puis glisse sur une parure de plumes vert pomme et rose fushia en forme de soleil, pour finalement caresser du regard une sublime sculpture de cheval. On apprend au passage que c'est pour rendre hommage à son canasson décédé que le guerrier taillait
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Comanches, Cheyennes et Sioux
cette statuette. Ou que les personnages peints sur une peau de bison racontent l'histoire d'une célèbre bataille. Et les anecdotes se suivent sur les petits encarts qui accompagnent chacune des 140 œuvres rassemblées exceptionnellement pour cette exposition. « Une première pour le public européen », assure Gaylord Torrence, commissaire de l'exposition et fondateur du département dédié aux Indiens d'Amérique du Nelson-Atkins Museum, au Kansas, dont il est le conservateur en chef.
Pour ajouter quelques cordes à l'arc de la connaissance, plusieurs panneaux sont placés sur le parcours afin de mieux comprendre la répartition des Indiens des Plaines. Ce vaste territoire s'étendait des Grandes Rocheuses au bassin du Mississippi, et des provinces canadiennes du Saskatchewan jusqu'au Texas, soit le cœur des Etats-Unis actuels. Apaches, Sioux, Blackfeet, Comanches, Cheyennes ou encore Pawnees, au total près d'une vingtaine de tribus se partagent ces terres. De longues périodes de paix s'entrecoupent de guerres inter-tribales fratricides, mais la Conquête de l'Ouest sera de loin la plus meurtrière. Un choc des cultures rythmé par les épidémies et les échanges commerciaux. Dans notre imaginaire, un Indien sans son cheval n'est pas un Indien. Pourtant, l'animal à crinière est importé par les Espagnols et c'est seulement à partir du XVII ° siècle que les peuples des plaines se l'approprient. De quoi bouleverser leur société : la chasse au bison et les grandes traversées sont facilitées, dans certaines tribus la sédentarisation laisse place au
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nomadisme. D'autres outils et matériaux originaires du Vieux C o n t i n e n t f o n t ra p i d e m e n t tourner la tête aux Indiens. Les perles de verre, par exemple, deviendront l'emblème de leur culture et décorent dès le début du XX° siècle une multitude d'accessoires : jambières, vestes, pare-flèches, poches à tabac... Bientôt chaque centimètre de cuir est recouvert, comme cette magnifique valise réalisée par Nellie Two Bear Gates pour sa fi l l e a fi n q u ' e l l e g a r d e e n mémoire l'histoire de son clan. Langage figuratif Tout au long du parcours, on comprend combien la culture amérindienne a su s'adapter, se renouveler et même se préserver au contact des colons. On a tendance à l'oublier, mais les Indiens n'avaient pas d'écriture propre. Chaque dessin sur peau de bison est donc une archive au même titre que les peintures rupestres des grottes préhistoriques. Lorsqu'ils découvrent le papier et les crayons de couleur, leur réflexe est le même : ils croquent les rites spirituels ou consignent les événements marquants dans « les comptes d'hiver », sorte de calendrier en forme de jeu de l'oie. Sur plusieurs feuilles à grands carreaux, jaunies par le temps, se détachent des
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personnages rassemblés sous des tipis ou dansant en cercle. On voit ainsi apparaître les premiers fusils, preuve du commerce avec les Européens. Le Musée du Quai Branly nous propose un véritable voyage dans les contrées des peuples à plumes, dont on ressort fasciné tant le raffinement de leur savoir-faire nous saute à la figure. L'exposition s'ouvre sur les œuvres les plus récentes (1965 à nos jours) et défend une culture toujours vivante malgré une reconnaissance tardive. C'est seulement depuis une quarantaine d'années que les expositions se multiplient à travers l'Amérique du Nord. Quant au Musée national des Indiens d'Amérique, situé en plein cœur de Washington, il s'est ouvert en 2004.
En partant, on jette un dernier coup d'oeil à une sublime coiffe à cornes et crinière rouge feu, puis une autre petite couronne d'où s'échappent deux tiges, façon oreilles de lynx. Seraient-ce les scalps de « Max et les Maximonstres » ?
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INDIENS DES PLAINES Exposition du 8 avril au dimanche 20 juillet 2014 Quai Branly, 37 quai Branly 75007 Paris Horaires: Du lundi au dimanche de 11h à 21 heures tarif plein 9 € / tarif réduit 7 €
ToutE l’actualité du Théâtre concentréE sur un seul site www.autheatrecesoir.fr
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