BSC NEWS N°55 - FÉVRIER 2013
de faire dans la
dentelle
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Travis Louie©
© Couverture Davor Vrankic
L’Art
L’édito
de NICOLAS VIDAL
Une quête culturelle auSSI passionnante que frustrante Au retour du Festival International de la Bande dessinée de la ville d’Angoulême, il y a toujours cette impression multicolore, artistique et chamarrée qui prédomine tant la concentration de talents et de nouveautés y est importante. Cette année encore, la réputation du festival n’a pas failli. Le plaisir est à son comble lorsqu’il s’agit de flâner de table en table pour dénicher ce qui fera votre bonheur. On suit la courbe rectiligne des stands, on s’arrête là en s’avançant vers la pile posée là, on ouvre un album, on ferme celui-là, on en feuillette un autre et on tombe amoureux du quatrième. Tantôt on échange avec l’auteur, tantôt avec l’éditeur qui semble avoir la moitié de votre âge o u b ie n le d o u ble m a is vo u s accroche toujours avec une passion débordante de la bulle. Peu importe que le stand soit grand, petit, long, ramassé voire raplot, on
est à Angoulême et on prend le temps de butiner, de découvrir et de fouiner. Tout autour, un puissant bourdonnement de gens qui se régalent, qui commentent et qui s’interpellent de table en table. Ici, on parle toutes les langues et on se comprend avec la même : celle de la BD. Vous voici plongé dans le coeur battant de la Bande Dessinée. Puis il est déjà l’heure et vous vous faufilez prudemment pour rejoindre l’amphithéâtre où se déroule dans quelques minutes la rencontre dessinée. Cependant, elle se tient à l’opposé de là où vous êtes. Le plaisir est partout à Angoulême mais le temps n’est pas extensible. Une fois arrivé sur place, une foule se presse face à l’entrée et vous tentez d’estimer la capacité d’accueil de l’endroit pour savoir si vous aussi, vous aurez une chance de participer à l’événément tout en gardant à
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l’esprit que l’exposition d’Andreas fait partie de vos priorités ou encore celle d’Uderzo in Extenso. En fait, participer au Festival de la Bande dessinée Angoulême est une merveilleuse quête culturelle qui vous enchante autant qu’elle vous frustre de ne pas être permanente. Pour ce 55ème numéro du BSC NEWS MAGAZINE, nous avons ramené de belles choses d’Angoulême que nous avons pris soin d’associer à une très dense
sélection culturelle - littéraire, musicale et illustrative - qui, nous l’espérons, vous ravira.
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DAVOR VRANKIC p.17
GUY DELISLE p.107
julie birmant p.73
JUL p.7
BRIGITTE KERNEL p.53
JEAN STERN p.33
4 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
CATHERINE HERMARY-VIEILLE p.46
ELINA DUNI p.151
SPÉCIAL ANGOULÊME p.101
CHINA MOSES P 141
Susie Arioli p.157
Razerka Ben SadiaLavant p.85
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BANDE DESSINÉE
JUL Vous aimez vous abandonner avec délectation au creux des pages accueillantes d'auteurs narcissiques, égocentriques, allumés, décalés, inspirés, fantaisistes, polémiques, rêveurs…? L'odeur du livre tout juste imprimé, le bruit des pages tournées, le contact des nervures d'un dos, la vue d'un titre enlevé exalte votre enthousiasme? Pas de doute que vous laissez vadrouiller un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, vos oreilles du côté de La grande Librairie sur France 5 le jeudi ou le dimanche! Y sévit un crayon-trublion qui se complaît à croquer avec malice et intelligence l'actualité littéraire , complice de François Busnel, grand Manitou de la Question. Jul commente par ses dessins les causeries plus ou moins de haute volée, les convergences et divergences d'opinions esthétiques, les explications pratiques et théoriques à propos du doux ( dur?) métier d'auteur. Jul est un croqueur d'instants génial ; Au coeur même de l'Ordre des Plumes émérites et des Chéri(e)s des Muses, là où tout se veut ordre et beauté, Jul distille un parfum de rébellion graphique, sème la dérision, désacralise pour mieux vanter…ben oui, tiens! et si le rire sauvait la littérature? Vous ne l'avez pas croisé à Angoulême? Grossière erreur de goût cher lecteur! Hic et nunc, l'occasion de réparer votre cruel manque d'orientation festivalesque ( quoi? qu'est-ce qu'il a mon néologisme?) , de vous laisser littéralement séduire par l'humour et la pertinence de l'auteur de La planète des sages, Silex and the City ou encore Le président de vos rêves et de vous précipiter dans les bras de la première librairie venue pour vous compromettre délicieusement avec Sa Grande Librairie! 6 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
Texte Julie Cadilhac / Photo Chloé Vollmer / Portrait de Jul par Arnaud Taeron
Si vous pouviez concevoir l'émission idéale en outrepassant les contraintes temporelles et spatiales (ouvrons les tombes et les frontières si nécessaires!), quels invités rêveriezvous ou auriez-vous rêvé de croquer à la Grande Librairie et…. à propos de quels ouvrages? Mon point de vue de dessinateur n'est pas le même que mon point de vue de lecteur... Mes "cibles" préférées sont les écrivains célèbres, médiocres et vaniteux... Mais il est vrai que pouvoir rencontrer des génies admirables serait aussi une chance : il faudrait panacher... Alors mettons (il en faut 4 par émission ) : Hitler pour "Mein Kampf", Mao pour "Le Petit Livre Rouge"... et Nicolas Bouvier (excellent iconographe en plus d'être un génie poétique), et Arthur Rimbaud qui foutrait le bordel sur le plateau !
Ecrire et être orateur, deux capacités qui ne vont pas toujours de pair, si? Quels auteurs vont ont surpris en ce sens? C'est vrai que Modiano est la parfaite illustration de l'autisme médiatique et de la grandeur littéraire ! D'autres sont très mineurs voire ringards, mais excellents causeurs (les académiciens genre d'Ormesson ou de Obaldia par exemple...)... Alors les oiseaux rares ? James Ellroy, Umberto Eco, par exemple, ont été magnifiques... François Busnuel explique dans la préface que votre présence au sein de l'émission allait dans le sens de "dissoudre l'esprit de sérieux"? Une s a c r é e responsabilité, non?! Quelle est votre recette? Je travaille toujours dans un esprit satirique, dans la presse et en bandedessinée : je n'ai aucun mal à transposer cette disposition naturelle à l a
"Quel plaisir de transgresser les convenances et de dégonfler les vanités, en étant payé pour ça " 7 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
Kruger and his Attack Bunny 11x14" acrylic on board As ogres age they diminish in size and start to become slightly feeble-minded. They begin to have difficulty maintaining employment as henchmen and leverage agents. There were humans who used to prey on the elderly ogres with thoughts that 8 -such BSCemployment. NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013 when they moved into retirement they might have hidden treasures from In order to protect themselves communities, ogres often adopt attack animals like wolves or falcons. Kruger was slightly more well off than the average retiree so he was able to acquire a vicious attack rabbit that was always perched upon his head.
"La télé reste un concurrent féroce au livre, même une émission littéraire : dans le tourbillon des existences modernes et chronométrées pour le travail et l'aliénation de la consommation, c'est toujours une heure de moins pour la lecture " critique et à l'humour en direct à la télévision. Et c'est vrai que cela fait tache bien souvent, dans le monde compassé et révérencieux des Lettres françaises. Mais quel plaisir de transgresser les convenances et de dégonfler les vanités, en étant payé pour ça et en plus en entendant rire les spectateurs (subtil et exquis plaisir narcissique pour le dessinateur !) Dessiner à La Grande Librairie, c'est une façon de contribuer à la résistance de l'objet-livre? Êtesvous soucieux en ce sens? Tiens, je n'y ai jamais pensé... En fait, non : publier un recueil de ces dessins, oui, ça c'est faire vivre le livre, les libraires, etc. En revanche, la télé reste un concurrent féroce au livre, même une émission littéraire : dans le tourbillon des existences modernes et chronométrées pour le travail et l'aliénation de la consommation, c'est toujours une heure de moins pour la lecture !
On a souvent l'impression que la littérature appartient à un cénacle parisien assez fermé, une idée qui semble ne pas avoir lieu d'être en bd….votre collaboration avec François Busnuel est-elle une façon de combattre cet élitisme littéraire? J'ai eu une formation ultra élitiste, ultra intello, ultra parisienne : le microcosme littéraire ne m'a donc jamais fait rêver, et je suis aux premières loges pour le tourner en dérision... Le pendant de cela, c'est que je n'ai jamais diabolisé ce milieu, j'ai toujours savouré ses bons côtés et ri de ses travers, sans en faire tout une affaire. Mais c'est vrai que j'aime exister à la marge : intello de service dans la bd, dynamiteur dans le monde des Lettres. Le luxe, c'est ça : être dedans ET dehors, et n'avoir à craindre personne dans le maillage du pouvoir et de l'influence. La bande-dessinée se prend certainement moins au
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sérieux, et c'est plutôt agréable... mais il y a aussi le monde du dessin de presse, de l'animation : chaque milieu et chaque profession a ses codes et ses coquetteries, de toute façon. 6. Et pour quel bilan: arrivez-vous à attirer un public plus varié? Je ne crois pas que mes dessins à La Grande Librairie attirent particulièrement le public de la b a n d e - d e s s i n é e v e r s c e g e n re d'émission. En réalité, mes lecteurs sont plutôt des littéraires qui n'ouvrent pas trop de bd. En revanche, les spectateurs ne sont pas habitués à l'irrévérence envers les romanciers : je pense qu'il y a une jubilation particulière à voir profaner certains monuments un peu trop pompeux... Vos dessins sont truffés de références littéraires classiques…Jul, un grand lecteur dès l'enfance? A vrai dire, je n'ai jamais hiérarchisé mes lectures : j'ai lu très très (voire trop trop) tôt des classiques, en même temps que Gotlib, Franquin, Edika... J'ai souvent du mal à accréditer la distinction entre grande culture et culture populaire : vivre dans son époque, c'est mélanger l'héritage du passé et l'écume du présent, non ? Alors, oui, je suis un fervent lecteur, plutôt d'auteurs morts finalement (ils sont plus nombreux), et étrangers (ils sont plus étranges)... Et la notion de "référence" est fondamentale dans mon travail : l'humour de mes albums et de mes dessins repose souvent sur des décalages, des collisions, où tout
ce qui constitue le réel a sa place. F l a u b e r t , M i c h e l B e r g e r, B r i c e Hortefeux, Voltaire, Zadig et Voltaire, c'est ça la vie ! Si vous deviez citer une émission qui vous laissera un souvenir indélébile ( agréable ou désagréable), laquelle serait-ce et pourquoi ? Je me suis tellement marré pendant l'émission où Brigitte Fontaine qui présentait un recueil de ses textes illustrés par Sempé est sortie des rails et s'est mise à arpenter en maugréant le plateau en tous sens parce qu'elle ne pouvait pas fumer et qu'elle craquait, tandis que François Busnel essayait tant bien que mal de gérer le chaos... Et puis les émission où Roberto Saviano arrivait avec huit gardes du corps, à cause des contrats mafieux sur sa tête, et qu'il plongeait son regard noir dans les yeux de Busnel. J'en ai encore des frissons. Lors de ces émissions en direct, le stress est intense, j'imagine, puisque vous devez assurer un certain nombre de dessins quoi qu'il arrive…pour éviter la panne d'inspiration, vous vous préparez des dessins sous le coude? Vous est-il arrivé en 4 ans d'être "sec", "sans inspiration"? C'est une crainte que j'ai à chaque fois, mais comme par miracle, le déclic finit toujours par avoir lieu... Ayant reçu les livres, ayant révisé l'itinéraire des invités, je suis assez
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«J'ai eu une formation ultra élitiste, ultra intello, ultra parisienne : le microcosme littéraire ne m'a donc jamais fait rêver, et je suis aux premières loges pour le tourner en dérision...» préparé, et j'ai parfois des idées de gags en tête avant de démarrer... C'est dans les bons pots qu'on fait les meilleures confitures, dit-on…est-ce avec les meilleurs livres que vous avez conçu les "meilleurs" dessins selon vous? Les Classiques sont suffisamment riches pour être un inépuisable réservoir de dessins... mais les gros navets aussi ! En réalité, ça dépend beaucoup de ma forme du moment. Une grande librairie avec des scénaristes et des dessinateurs consacrée à 9ème Art aurait-elle son public? Vous enthousiasmerait j'imagine? Pas mal de dessinateurs sont déjà venus à la Grande Librairie : Moebius, Sfar, Bilal, Blain, Sempé, Tardi... Je n'aimerais pas cloisonner les genres : au contraire, voir assis côte à côte un romancier, un dessinateur et un historien, là ça devient intéressant. L'humour et la littérature font-ils toujours bon ménage? Certains auteurs se sontils offusqués de vos dessins? Il semble en effet que si l'auteur de bds pratique
beaucoup l'autodérision, l'auteur de romans pratique l'autosatisfaction ( sans faire de généralités). Mis à part Alaa el Aswany, sans doute pour une question de traduction mal comprise, personne n'a jamais fait d'esclandre, mais c'est vrai que j'ai vu quelques sommités avaler des couleuvres grosses comme un Goncourt en s'efforçant de trouver un dessin drôle... Quand on regarde vos dessins, une évidence s'impose comme un postulat inaltérable : pour comprendre vos clins d'oeil, il faut avoir en commun des trésors de références littéraires…Sans culture, on est isolé, on ne peut pas partager rire…malgré vous, vous évincez un peu ceux qui ne lisent pas..pourriez-vous imaginer de concevoir un ouvrage qui viendrait repêcher les nuls en lecture? Lorsque j'ai publié La Planète des Sages, Encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies, j'avais en tête l'idée de transmettre énormément de savoir autour de la philo, sans jamais exclure de lecteurs, même lorsqu'il n'avait aucune référence en la matière... Ici, c'est
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différent : l'auteur est présent, on parle d'une oeuvre en particulier... Mais pourtant j'ai sélectionné dans ce recueil les dessins qui pouvaient généralement être compris par tous ou presque. C'est vrai que ma mère est un peu passée à côté des blagues sur "Hello Kitty" ! Quelles actualités pour Jul cette année 2013? Dans quelles émissions retrouvera-t-on vos dessins ? des parutions en projet? des dédicaces? Je suis maintenant à la tête d'un projet pharaonique, mené dans la plus pure tradition dictatoriale : la deuxième saison de mon dessin animé "Silex and the City" pour ARTE. La diffusion est attendue pour septembre 2013, et j'espère pouvoir achever le tome 4 des aventures des Dotcom pour arriver en librairie au même moment... Sauf si le calendrier maya s'est trompé de 6 mois au sujet de la fin du monde...
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ILLUSTRATION
DAVOR VRANKIC Davor Vrankic est un artiste croate, né à Osijek, qui vit et travaille entre Paris et New-York. Son médium de prédilection? une mine de plomb avec laquelle il aime à imaginer des images de toutes tailles en ne travaillant à partir d'aucun modèle. Utilisant la surexposition, le flou, le grand angle et d'autres techniques visuelles, il crée des univers étonnants qui donnent souvent une impression de "chaos". Davor explique dans sa biographie internautique que "son intention est de créer une sorte d'image virtuelle, en utilisant toutes les expériences visuelles, qu'il a assimilé de la peinture classique, de la bande dessinée, du cinéma, de clips vidéo et de la photographie. Il associe le cadre de l'image du cinéma et les distorsions de la lentille de la caméra à la peinture flamande." Ayant contribué à des expositions personnelles ou de groupe à Paris, New-York, Amsterdam, Bruxelles, Los-Angeles, Londres (ou encore en Hongrie, en Croatie, en Italie) et fait l'objet d'articles dans de nombreuses parutions ( pour le New-York Times, Libération, Artension et d'autres supports français et étrangers), nous souhaitions aussi mettre à l'honneur son univers singulier, peuplé d'êtres chimériques et souvent inquiétants, qui se développe au sein d'un graphisme ultraréaliste. Promenez votre oeil au creux des nombreux visuels dispatchés dans son interview : vous y verrez combien l'utilisation des petits traits dans le dessin permet à l'artiste de pousser sa technique, proche du photoréalisme, et de donner davantage l'impression de "réel" à ces images étourdissantes de sens.
Texte Julie Cadilhac / Crédits photo Michel Lunardelli & Vladimir Koncar
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Vous avez suivi les cours de l'Ecole des Beaux-Arts de Sarajevo puis ceux de l'Ecole de Zagreb et enfin ceux de la Faculté d'Arts Plastiques de Paris VIII : quels enseignements y avez- vous appris qui , aujourd'hui, vous servent quotidiennement dans votre art? A l' Ecole des Beaux - Arts de Sarajevo j'ai suivi des cours de facture très classique: dessins de nature morte et le nu. C'était une pratique qu'à l'époque je ne trouvais pas très intéressante mais aujourd'hui, avec le recul, je la vois comme une expérience très utile. En troisième et quatrième année, je suis passé à L'école de Beaux Arts de Zagreb où l'enseignement était complètement différent; très minimaliste et conceptuel. A ce moment là, j'ai commencé une série de grands dessins au plume qui étaient construits uniquement avec des lignes verticales et horizontales, géométriques et minimalistes. Cette expérience géométrique m'a beaucoup aidé pour comprendre l'importance de la composition et de l'organisation de l'espace. En arrivent à Paris, les deux expériences précédentes se sont fusionnées; on peut dire ,d'une certaine manière, que sur cette construction géométrique j'ai rajouté les figures. L'enseignement à Paris VIII a été presque exclusivement
théorique et conceptuel. A cette époque, j'avais déjà commencé à utiliser la technique de la mine de plomb sur papier et l'enseignement que j'ai suivi à Paris m'a permis d'approfondir mes réflexions là-dessus. On peut dire que chacune de ses expériences a été très enrichissante pour ma démarche artistique. On songe à Rabelais quand on regarde vos images, vous l'a-t-on déjà dit? Oui, je me souviens que dès mes premières expositions en France les gens se référaient souvent à Rabelais, ainsi qu'à Bruegal et Bosch. Mais paradoxalement, mes influences à l'époque étaient complètement diffèrentes concernant la littérature et la peinture classique. Cette notion de démesure et de délire venaient plutôt des formes subculturelles qui étaient mes premières influences. Sur votre site, on découvre plusieurs séries de toiles : pourriez-vous nous expliquer par exemple la genèse de "Painters &Co? De temps en temps, j'aime bien me lancer dans une série de dessins de petit format comme c'est le cas avec la série Painters & Co ( 50 x 32,5 cm); c'est une formidable exercice du style
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et aussi un terrain d'expérimentation. Sur un petit format, je me sens beaucoup plus libre de rechercher des nouvelles choses qui, plus tard, peuvent être appliquées sur les grands formats. Vu que dans l'inconscient général le peintre représente le cliché de l'artiste, je voulais jouer avec cet archétype d'artiste qui semble contaminé par son psychisme , en le traitant de manière drôle, ironique et cruelle en même temps.
Celle de Highnoon également? High Noon est une série de dessins de très grands formats dans lequel ,en même temps, le spectateur est dominé par le personnage du dessin et en même temps le personnage dessiné est traité comme s'il était dominé, comme s'il était sous le regard de quelqu'un. J'ai pris le titre High Noon en voulant faire allusion à un règlement du compte ( le film High Noon en français Le train sifflera trois fois) mais, contrairement au film où existait un véritable adversaire, dans le dessin on ne sait pas si le personnage sera confronté avec quelqu'un où s'il est seulement confronté avec luimême, comme si le véritable danger se trouvait dans son propre intérieur. Ça peut être une métaphore d'un homme emprisonné par son propre enivrement. Si vous deviez citer des mentors en arts plastiques, quels noms surgiraient?
Vingt ans avant, c'était beaucoup plus facile de mentionner les noms des artistes qui ont influencé mon travail! Ce qui me touche aujourd'hui, ce sont des oeuvres individuelles réalisées par des artistes très différents, très souvent des artistes que je ne connais pas. En réfléchissant rétrospectivement, mes premiers influences visuelles viennent du monde subculturel des années soixante-dix, quatre-vingt: de la BD, du dessin animé, du cinéma. A l'époque, je lisais toutes sortes de BD mais avec le temps, l'intérêt pour le dessin est devenu le pôle plus important dans le choix de la lecture; j'admirais le Prince Vaillant de Hal Foster, Flash Gordon de Alex Raymond, autant que Richard Corben, Jacovitti, Jean Giraud. Vers dix-sept ans j'ai commencé à feuilleter des livres d'art et c'est à partir de ce moment -là que je découvert les tableaux de Géricault, Le Radeau de la Méduse et les grandes compositions de David. Plus tard, quand je me suis installé à Paris, j'allais souvent au Louvre juste pour voir un de ces tableaux. J'admirais les peintres e s p a g n o l s : Ve l a s q u e z , G o y a e t particulièrement Ribera. Chez les peintres Flamands, c'étaient Hugo Van Der Goes avec sa minutie et son hyperréalisme décalé flamands mais aussi pour la psychologie profonde et mystique de ses personnages. J'aimais beaucoup le fraîcheur et l'élégance du dessin de Hockney et les visages de Chuck Close avec leur présence troublante. Francis Bacon (avec son traitement de l'espace et la figure
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humaine) et Louise Bourgeois, les artistes qui transcendent leurs histoires personnelles en créant les oeuvres emblématiques d'une époque. Parmi les auteurs de plus jeune génération, il y a Tom Friedman et Sara Sze pour leur processus creatif alchimique qui consiste à transformer des matières et des objets quotidiens en constellations magiques. Ces deux artistes abordent le problème des espaces et des matières - qui traduisent le caractère complexe de notre temps - sans employer un discours socio-politique. Dans The Anatomy Lesson, Vous avez travaillé sur l'espace et sur les perspectives dans le but d'aspirer le lecteur dans le dessin…concrètement, comment mettez-vous cet effet en place?
A partir de The Anatomy Lesson, j'ai commencé à appliquer l'effet de grand angle, des perspectives avec raccourci très radical. Avant, les compositions étaient construites de manière assez classique, le changement est venu très intuitivement. Ce n'est que plus tard que j'ai réalisé que la notion de l'espace était l'élément le plus important qui manquait à mon travail. Au début , la construction de l'espace était basée sur deux points de fuite. Après, dans certaines grandes compositions, j'ai mélangé plusieurs points de fuite en créant un effet proche d'explosion spatiale. Mais je n'ai pas appliqué la loi de la perspective à la lettre, j'ai mélangé divers effets de manière très intuitive pour créer ma propre logique de l'espace.
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Vos images mettent en scène des personnages et des situations grotesques… une façon d'ôter le masque du monde et d'en montrer son vrai visage? Peut être imagine-t-on le monde moins grotesque qu'il ne l'est vraiment. Je ne sais pas si j'essaie d'ôter la masque du monde ou si j'essaie plutôt d'ôter les lunettes qui nous transforment la véritable image de nous-mêmes. Vos images fourmillent de détails… êtes-vous un angoissé de la page blanche? Le détail est plutôt la manière de s'approcher au plus près du sujet, de le matérialiser, de lui donner la vie. Je commence le dessin souvent sans esquisse, sans utiliser la documentation photographique. Alors, la surprise pour moi est plus grande quand l'inconnu devient à l a f i n u n e é v i d e n c e p re s q u e hyperréaliste. L'utilisation de détails me permet de donner cette présence troublante aux sujet s que je réalise.
Pas de couleur parce que le monde que vous peignez est déjà "haut en couleur" ? Quand j'ai essayé d'utiliser la couleur dans la peinture j'étais préoccupé par d'autres problématiques picturales. L'intérêt qui en est resurgi a été totalement diffèrent des problématiques que j'ai traitées avec le crayon en noir
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et blanc. Le résultat de ma peinture était très basé sur des matières proches de la peinture de Bonnard, Karel Appel, Soutine, Jean Dubuffet. Parfois j'ai mélangé les couleurs avec d'autres matières; du plâtre, des tissus. Le caractère du graphite me convient mieux. La douceur et le velouté du graphite introduit le spectateur plus facilement au sujet. Quels outils et matières utilisezvous? J'utilise toujours la même mine de Pentel 2B, 09 mm; j'aime bien dire 2B or not 2B. J'utilise également diffèrentes sortes de papier; Da V i n c i , A rc h e s , C a n s o n q u e j'achète en grands rouleaux vu qu'en général, j'aime bien surtout dessiner les grands formats. Dans cette démarche, j'aime bien l'idée d'exploitations d'un outil minimal pour créer des oeuvres monumentales proches de la peinture. La question de la perspective est essentielle dans votre univers pictural: vous voulez inciter le
"J'utilise toujours la même mine de Pentel 2B, 09 mm; j'aime bien dire 2B or not 2B. "
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"Je pense qu'une oeuvre doit traduire le sentiment principal d'une époque. Elle ne le traduit pas en abordant tout simplement des thèmes sociopolitiques.A mon avis, l'esprit de notre époque se manifeste dans la construction de l'espace de mon image. Cet espace qui se propulse vers le spectateur peut être symboliquement "la fuite en avant" très caractéristique de notre temps. " spectateur à modifier son regard sur le monde? ou vous aimez simplement déformer la réalité? Je pense qu'une oeuvre doit traduire le sentiment principal d'une époque. Elle ne le traduit pas en abordant tout simplement des thèmes sociopolitiques. A mon avis, l'esprit de notre époque se manifeste dans la
construction de l'espace de mon image. Cet espace qui se propulse vers le spectateur peut être symboliquement "la fuite en avant" très caractéristique de notre temps. Un mélange de plusieurs perspectives créent un sentiment étrange; en même temps, on peut apercevoir les plus petits détails dans le dessin, mais
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"UnE des caractéristiques les plus importantes d'une oeuvre d'art est sûrement sa capacité à surprendre le spectateur, à bousculer sa perception et ses habitudes. J'espère secrètement que c'est le cas avec mes dessins et que ça se traduit par un sentiment d'étrangeté dont on me parle souvent ." J'espère secrètement que c'est le cas avec mes dessins et que ça se traduit par un sentiment d'étrangeté dont on me parle souvent .
l'image d'ensemble nous échappe. L'espace de l'image est dans un mouvement perpétuel. Vos personnages cultivent l'étrange et le monstrueux….pourquoi? Un des caractéristiques les plus importantes d'une oeuvre d'art est sûrement sa capacité à surprendre le spectateur, à bousculer sa perception et ses habitudes.
On finit par se demander si toutes ces images ne sortent pas directement de cauchemars où les visages s'étirent, deviennent des grimaces, les êtres se métamorphosent, se gigantisent ou rapetissent…on se trompe? Certainement qu'une partie des images proviennent de mes propres obsessions. Le problème dans l'art survient quand l'oeuvre devient trop renfermée sur elle- même. Elle doit transcender toutes les frustrations et les élever au niveau d'un symbole
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universel. D'autre part, mes personnages subissent aussi la pression d'un espace en expansion, qui les transforment, les compriment ou les propulsent violemment vers l'extérieur de l'image. Ce sont les personnage étirés entre le passé dont ils n'arrivent pas à se détacher et le futur avec lequel ils vivent depuis dejà longtemps. Enfin, dans quelles parutions peut-on retrouver votre travail de dessinateur? Avez-vous des expositions en France ou à l'étranger en perspective dans les mois à venir? En ce moment j'expose quatre dessins de grand format à la Halle Saint Pierre dans le cadre de l'exposition de
groupe HEY! Moderne Art & Pop Culture qui sera ouverte jusqu'au 23 août 2013. Pour le 7 mars, je prépare l'exposition individuelle In the house, there were two of us à la galerie ALFA à Paris. Dans le Salon de dessin contemporain Drawing Now 2013, je vais exposer un dessin-installation interchangeable intitulé Home variations. Il s'agit de dessins de format 200 cm x200 cm où chaque dessin est constitué de 12 modules (dessin 50 x 65cm) et il sera possible d'appliquer un module d'un grand dessin à l'autre.
"Mes personnages subissent la pression d'un espace en expansion, qui les transforment, les compriment ou les propulsent violemment vers l'extérieur de l'image. Ce sont les personnageS étirés entre le passé dont ilS n'arrivent pas à se détacher et le futur avec lequel ils vivent depuis dejà longtemps." Le site de Davor Vrankic www.davorvrankic.net
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Contre feux
JEAN STERN
Texte Nicolas Vidal/ Photo DR
Jean Stern est l’auteur d’un ouvrage qui, au premier abord se lit comme une histoire sociale et économique des médias depuis la Libération. Puis très rapidement, l’ouvrage prend la consistance rugueuse et âpre d’un brulôt contre les médias et leurs relations avec les grands patrons. Entre liberté de la presse, crises de contenus et financement des journaux, Jean Stern, lui-même journaliste, pose les enjeux d’un nouvel éco-système médiatique dont il analyse les pièges, les enjeux, les rapports de force et les objectifs. Selon lui, il faut repenser le monde de la presse en inventant de nouveaux médias et en réhabilitant le vrai travail du journaliste. Rencontre avec Jean Stern, une personnalité à contrecourant qui défend un discours iconoclaste sur la presse. Vous venez de publier chez La Fabrique une histoire de la presse française depuis la Libération. D'où est partie cette idée ? L'idée du livre revient à mon éditeur Éric Hazan, mais j'ai déterminé son angle. Je voulais faire le récit de la défaite de deux générations de journalistes, celle de la Libération justement qui a cru en une autre forme de presse, libérée de la tutelle de l'argent, puis celle de Mai 68 qui s'est nourrie du même rêve. Ce
double échec pose effectivement question, car la crise actuelle de la presse est d'abord une crise de contenus, provoquée par les propriétaires actuels des journaux, les hommes les plus riches de notre pays, qui se révèlent diablement avares quand il s'agit de financer leurs journaux. C'est le récit de cette duperie que j'ai voulu raconté. Les années que j'ai passés à Libération ou à La Tribune ont nourri mon récit, à la fois factuel et personnel.
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Benjam n
Lacombe 33 - BSCrecueillis NEWS MAGAZINE - N° 55Cadilhac - FÉVRIER 2013 Propos par Julie Photos Alyz
Ray Caesar/Gallery House
Le titre est pourtant rugueux. On pourrait s'attendre à un brûlot sur l'état de la presse actuelle mais cela va au-delà avec une analyse historique et sociale approfondie. Qu'est ce qui a dicté ce choix du titre ? Mais tout simplement parce que je le pense ! Les patrons de la p r e s s e nationale, par ailleurs des industriels du luxe, de l'armement ou du numérique, des banquiers d'affaires sont mauvais d'un point de vue technique, car ils ont laissé les jour naux s'enfoncer dans un appauvrissement continu de la qualité des articles, en supprimant les moyens des journalistes, quand ce n'est pas en supprimant les journalistes tout court, via une cascade de plans sociaux ou de départs plus ou moins négociés. Mais ils sont aussi mauvais d'un point de vue moral, ils ont détruit l'idée même d'indépendance de la presse, l'alignant dans une
morne plaine de sujets rabâchées et rendant presque impossible les enquêtes, le reportage, le travail en profondeur, ce qui fait la noblesse du journalisme. Quand on écrit deux ou trois articles par jour, difficile d'aller sur le terrain... N'avez-vous pas craint que cela classe votre ouvrage dans un genre trop étroit pour la portée du livre ? J'espère bien que non. D'abord mon livre n'est pas cher ! Ensuite, la presse est un sujet qui concerne au premier chef le public, les lecteurs. Et puis je suis un modeste journaliste, pas un théoricien. Cela dit, il me semble évident que la situation é c o n o m i q u e actuelle de la presse doit entraîner une réflexion bien plus vaste, sur la financiarisation de la société, sur le pouvoir accablant de l'argent, bref sur le cynisme absolu du capitalisme. Toujours plus pour l'actionnaire, toujours moins pour le salarié : c'est une règle hélas assez commune, aujourd'hui... Vous dressez un portrait sans concession de l'évolution de la
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presse française. Quand pour vous s'est fait le basculement vers une logique purement économique et de capitaux ? Dans les années 80. Les années fric. La presse quotidienne s'est lancé dans une course à la publicité contre la presse magazine. Il est vrai que des groupes comme celui de Jean-Luc Lagardère, né de la fusion de Hachette et Filippacchi, affichaient alors une insolente prospérité. Les dirigeants de la presse quotidienne ont eu la folie des grandeurs. Il fallait toujours plus de pages en couleurs, de cahiers, de suppléments, sans pour autant se soucier des lecteurs. Or le gonflement du chiffre d'affaires ne venait pas tant des lecteurs que de la pub. La crise venue, le château de cartes s'est effondré. Alors les milliardaires sont venus à la rescousse. C'est d'ailleurs un paradoxe de noter que c'est un milliardaire « de gauche » Jérôme Seydoux, qui a été le premier à a c q u é r i r u n q u o t i d i e n , « d e gauche » lui aussi, Libération. Comme en plus cela rapport de l'optimisation fiscale, selon le délicieux terme employé, pourquoi se gêner ? Des journaux sous
contrôle, et cerise sur le gâteau, moins d'impôts à payer ! Pensez-vous que cette capitalisation des médias a tendance à effacer les lignes éditoriales au sein des rédactions et à créer une uniformisation ? C'est pas tant à mes yeux une uniformisation qu'une banalisation. La presse française a toujours eu une tendance à être plus conformiste et le manque de moyens aggrave cette tendance. Mais ne confondons tout de même pas presse écrite et presse audiovisuelle : on n'en est pas à rabâcher du vide en boucle, comme certaines télévisions d'information dites low cost, ce qui a l'avantage d'être clair... Selon vous, peut-on encore parler d'indépendance des médias français ? Non, les principaux médias français sont sous contrôle, et l'on voit bien les limites que cela leur impose. Un simple exemple ? L'Echo de Bruxelles, à ne pas confondre avec Les Echos propriété de LVMH, et donc de Bernard Arnault, a publié dès la mi-octobre 2012 des
« les principaux médias français sont aujourd’hui sous contrôle, et l'on voit bien les limites que cela leur impose » 35 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
"La presse française a toujours eu une tendance à être plus conformiste et le manque de moyens aggrave cette tendance." 36 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
Ray Caesar/Gallery House
les affaires de Bolloré ? Celles de Lagardère ? Des banques d'affaires comme Lazard ou Rothschild & Cie ?
informations sur les holdings et les constructions fiscales du milliardaire en Belgique. C'est l'homme le plus riche de France, mais aussi d'Europe, et c'est aussi l'un des plus gros annonceurs de la presse. Et bien, ces informations sont passées quasi inaperçues en France. Il a fallu attendre la mi-janvier pour que Libération les reprenne, dans une relative indifférence du reste de la presse... à commencer par Les Echos. Et qui raconte dans le détail
Vous évoquez dans votre ouvrage "les journalisme managers". Quand cet emploi est-il apparu dans la presse française ? Je crois être le premier à l'utiliser. Deux hommes incarnent parfaitement ce terme : d'abord Serge July à Libération dans les années 80. Il permettra à son équipe de faire le meilleur journal possible, le plus créatif, et j'y ai passé les plus belles années de ma vie professionnelle, donc je l'en remercie. Mais il lancera ensuite le journal dans des diversifications hasardeuses, qui finiront par lui coûter son indépendance. JeanMarie Colombani au Monde, aura une stratégie différente, avec l'acquisition de nombreux titres et la volonté de constituer un groupe mais au final le résultat sera le même, Le Monde perdra son indépendance. Ces journalistes managers, c'est très français, dans la presse anglo-saxonne, les fonctions sont très distinctes, tout comme d'ailleurs les propriétaires,
«Le Web permet aujourd'hui l'émergence de médias diversifiés, qui sont en train de trouver leurs modèles économiques.» 37 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
qui ne sont certes pas des anges, mais sont des industriels de la presse, c'est leur métier principal. Pensez-vous que l'apparition de nouveaux médias uniquement sur internet, appelés Pure Player, puissent-ils être une source d'espoir pour l'avenir de la presse ? O u i , c e r t a i n e m e n t . L e We b permet aujourd'hui l'émergence de médias diversifiés, qui sont en train de trouver leurs modèles économiques. Mediapart ainsi, sur un modèle reposant uniquement sur l'abonnement, refusant toute publicité, gagne ainsi de l'argent, tout comme le grand ancêtre, Le Canard Enchaîné... Je suis frappé du nombre de sites internet, à Paris et dans la plupart des régions, qui se développent de façon autonome. Il y a là une grande créativité, et pas mal d'audace rédactionnelle. Heureusement qu'à Marseille il y a maintenant Marsactu pour nous informer des frasques de Bernard Tapie à La Provence.
Pensez-vous au contraire que chaque succès d'audience déchaîne les ambitions des repreneurs et se soldent forcément par un rachat ? On verra bien, mais cela se produit quand le modèle économique est d'abord publicitaire, c'est l'exemple récent du rachat de Rue89 par le groupe Perdriel. On pourrait l'éviter, mais il faut réfléchir à un nouveau statut pour la presse, tel que quelques hommes, comme Hubert BeuveMery, avaient tenté de l'imaginer dans les années 60, en prêchant hélas dans le désert. Aujourd'hui, il faut penser à des société de presse à but non lucratif, des fondations, du financement par les lecteurs. D'après vous, le lectorat a t-il une part de responsabilité dans cette situation ? Certains éditeurs ou directeurs de journaux nous disent aujourd'hui que la presse papier va devenir un produit de luxe, mais c'est déjà en grande partie le cas. Difficile de reprocher aux lecteurs de dépenser 1,60 euro par jour pour acheter des journaux sans
« Aujourd'hui, il faut penser à des sociétéS de presse à but non lucratif, des fondations, du financement par les lecteurs. » 38 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
New Paris
information, sans enquêtes et même souvent sans points de vue. Face à l'offensive de l'offre gratuite, sur le web comme sur le papier, la presse nationale n'a pas su évoluer, en grande partie par manque d'investissement des propriétaires. Et aussi parce que l'Etat, l'opérateur de l'organisme chargé de distribuer la presse en France, Presstalis, à savoir le groupe Lagardère et enfin les éditeurs ont négligé depuis de nombreuses années ce qu'on appelle le niveau 3, c'est à dire le marchand de journaux, le kiosque. Plus de 500 kiosques ferment chaque année et cela s'aggrave, plus de 1000 en 2012... Or quand un kiosque ferme, 70% de ses ventes de journaux s'évanouissent. Il y a moins de 27 000 points de vente de presse en France, contre 90 000 en Allemagne. Et maintenant le blocage vient du refus de l'opérateur et des éditeurs de payer pour le plan social de Presstalis. Lagardère a perdu plus de 700 millions d'euros dans le marketing sportif ces dernières années, mais va pleurnicher auprès de l'Etat pour lui faire payer ses échecs dans la distribution. Pour des hommes qui sont par ailleurs des défenseurs achar nés de l'économie de marché et du « libéralisme », c'est paradoxal. C'est surtout, à mon sens, un signe supplémentaire de leur cynisme absolu.
Vous agitez la menace d'une prépondérance prochaine des fermes de contenus. Quelles sont les dispositions selon vous qu'il faudrait prendre afin d'éviter cela ? Se battre, reprendre son destin en main. La profession de journaliste est une profession d'individualistes. On ne s'en sortira pas sans penser collectif. Plus facile à dire qu'à faire certes, mais en même temps tout est sur la table. La manière dont les éditeurs français se sont couchés devant Google, pour 60 millions d'euros, qui iront à une poignée de titres, les plus gros bien sûr, est un nouveau signe. Il aurait fallu plutôt changer la fiscalité des holdings, sujet qui est au cœur de mon bouquin, et qui concerne Google, Apple, Amazon, mais aussi Pinault, Arnault, Dassault, Niel, Pigasse, Rotschild, bref tout ces milliardaires propriétaires de notre presse. Eux, les fermes de contenus ne les dérange pas, au contraire, Dassault et Pigasse ont investi dans une ferme de contenus à la française. Un milliardaire de « droite », un millionnaire de « gauche », on voit bien que le débat n'est pas idéologique... François Hollande avait promis pendant sa campagne une grande réforme fiscale, on l'attend. Mais il s'agit peut être de paroles en l'air, une grande spécialité des socialistes français...
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Quel est votre sentiment sur les récentes entrées de plusieurs journalistes au sein même des arcanes du pouvoir ? Ce n'est pas tellement nouveau, il y a toujours eu des journalistes pour passer de l'autre côté. Je suis plus frappé par cette idée elle nouvelle que les jour nalistes puissent être des « marques » et sauter d'un média à l'autre, en leur apportant une supposée notoriété acquise la plupart du temps dans les médias audiovisuels. Vous concluez votre ouvrage par ces mots : " Les journalistes sont condamnés à se trouver de nouveaux horizons s'ils ne veulent pas finir broyés à la ferme (…). Balayer les médiocres du paysage, oublier les patrons, enfin. Retrouver la parole et la rage d'écrire." Quels pourraient être ces nouveaux horizons à découvrir ? Inventer de nouveaux modèles, cela veut dire aussi se penser à une autre échelle. Réhabiliter ce que les Américains appellent « small is beautiful ». Et puis, et sans doute surtout, réfléchir à une nouvelle organisation de la société, et cela s'appelle la révolution. Le libéralisme débridé, l'Europe sans contrôle, cela donne de la pensée unique, du conformisme, de la presse soumise et formatée, mais aussi de la
spéculation sur la viande de cheval qui se trimballe dans toute l'Europe pour finir en « bœuf » dans des lasagnes surgelés. Alors contre cela, inventons de nouveaux médias, comme vous le faites vous-même. Jamais la presse française n'a été aussi créative que ces dernières années. Causette, les revues comme XXI ou Charles, de nombreux sites comme Ragemag, autant d'inventions prometteuses. Il y aura des morts sûrement, mais en attendant, tous ces journalistes ont compris qu'ils n'avaient rien à apprendre de milliardaires « mécènes » qui n'ont que leurs propres interêts dans leur viseur, certainement pas ceux d'une presse libre, innovante et indépendante. Pour finir, quel message auriezvous envie de faire passer à de jeunes journalistes qui débutent dans le métier ? Attachez vos ceintures et accrochez-vous ! Et puis battezvous, refusez cette indifférence brumeuse qui a marqué ma génération, et nous a fait perdre le contrôle de journaux que pourtant nous avions tant aimés. > « Les patrons de la presse nationale. Tous mauvais » de Jean Stern - Editions La Fabrique -
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Livre
LA FOLIE DES SENTEURS Nouvelle venue en librairie, une Strasbourgeoise laisse entrevoir plus que des promesses et s’affranchit des codes habituellement dévolus aux premières œuvres romanesques. Après vingt pages de son roman, on se prend déjà à souhaiter le suivant. LIVRE PAR MARC EMILE BARONHEID / Photo DR
Un palace de la Riviera. Une gouvernante d’étage entame sa ronde, son lourd trousseau de clés à la ceinture et, contre la hanche, le bloc-notes qu’elle cale pour griffonner les consignes au personnel. Ici elle vérifie le correspondancier, là elle entrouvre la couverture en pointe sur chaque oreiller ou s’assure que pas même un fil de tabac ne subsiste dans les tiroirs, ailleurs elle fait comme si elle ne voyait
pas que l’homme ayant demandé son aide pour allumer le téléviseur vient d’enlever son peignoir. Une tâche mécanique qui la soumettrait à la tentation maniaque - elle ne supporte pas que l’on pénètre dans sa propre chambre – n’était sa folie des senteurs. Les parfums des clientes la magnétisent. Alors elle ouvre les flacons, les hume intensément, poussant l’audace jusqu’à en appliquer une goutte au-dessus du
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ensemble olfactive, jubilatoire et raffinée. Les mots déboulent, les adjectifs jaillissent, dans le même temps que les phrases sont ajustées à la taille, sans rembourrages ni falbalas. « Il est fin, il est pâle, impeccablement peigné, une mèche longue et lisse ceint son crâne comme un bandeau blond de sable. Il porte un pantalon court en lainage fin, de couleur chanvre – peut-être une culotte à la mode ancienne d’Autriche - , une chemisette blanche. Ses bras reposent le long de son corps, ses mains abandonnées sur le coussin de velours rouge, il a de longs doigts graciles. Ses chaussettes blanches remontent très haut, juste sous les genoux ». pli du coude. Puis elle les répertorie dans une manière d’herbier voluptueux. Une cliente qui a remarqué son trouble lui laissera même un fond de flacon. Cadeau ou humiliation ? On ne sait comment la narratrice le ressent, mais on imagine qu’il n’est pas étranger à la manière dont se termine l’odyssée esthétique de celle qui est l’esprit nomade des couloirs silencieux, la janissaire des turbulences cachées de la bourgeoisie rêveuse. Une brèche infime dans le quotidien sclérosé d’une femme normale ou une étape essentielle dans l’échappée belle d’une sensualité souterraine ?
Ce roman paraît dans une collection dirigée par la romancière Catherine Guillebaud. Elle accueille des plumes en devenir, que des maisons nanties, moins défricheuses et plus calculatrices, s’ingénieront plus tard à débaucher. Le catalogue en témoigne, qui fait honneur à Arléa. « Une saison », Sylvie Bocqui, Arléa « 1er mille », 14 euros
L’écriture va l’amble avec le récit. La relation de Sylvie Bocqui au vocabulaire et à la syntaxe est tout
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Entretien
Catherine Hermary-Vieille
Un siècle captivant Par Emmanuelle De Boysson / Photos Patrick
Gaillardin
Deux cousines, deux destins de femmes : Anne-Sophie Le Tellier est mariée à seize ans à Charles de Vieilleville. Viviane rejoint les Sœurs de la Charité. Devenue veuve, son amant entraîne AnneSophie dans l’affaire des poisons. Son second mari entre dans le cercle des dévots. La jeune femme perdra ses illusions. Derrière les ors de Versailles et le luxe de la noblesse, Catherine HermaryVieille dévoile la misère du peuple français. Elle dénonce l’intolérance religieuse, défend les grands chrétiens, comme Vincent de Paul. Elle trace le portrait d’un Louis XIV despotique et intolérant, fustige madame de Maintenon et madame de Montespan, met en valeur les Précieuses et l’admirable Jeanne Guyon, mystique enfermée des années à la Bastille. Le siècle de Dieu vous fascinera, vous fera vibrer, vous captivera.
Pourquoi avez-vous choisi deux XVIIIème siècle sous des angles cousines si différentes, comme très différents. On a trop héroïnes de votre roman ? longtemps privilégié la société Parce que ces deux femmes me aristocratique au détriment des permettaient d'évoquer la innombrables misérables qui 44 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013 société française des XVIIème et constituaient la majorité des
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français. A Versailles on pratique un christianisme d'apparence sans grande compassion pour les humbles, mais le siècle voit aussi de magnifiques figures de vrais chrétiens comme Vincent de Paul, fondateur des Filles de la Charité. Vous êtes-vous inspirée de personnages ayant existé pour Anne-Sophie (la Brinvilliers) et Vivianne ? Sinon, comment sontelles nées ? Mes deux héroïnes se sont imposées au terme d'un long travail de documentation. Je voulais des personnages qui aient accès au soleil comme aux ombres. Il fallait aussi qu'ils puissent être proches des innombrables victimes du despotisme religieux de Louis XIV : les protestants et les mystiques en particulier. Sur le sort des galériens j'ai lu d'effrayants récits et la biographie, les œuvres de Jeanne Guyon m'avaient captivée. A travers ses écrits, je me suis rapprochée de Fénelon puis bien sûr de Bossuet, de leur rivalité allant jusqu'à l'obsession. A travers elles, avez-vous voulu parler de la condition de la femme au XVIIe, de ces mariages arrangés pour l’une, de la voie de l’abnégation pour l’autre ?
Les femmes sont paradoxalement les figures de proue du siècle de Louis XIV [avec Fénelon] Mademoiselle de Scudéry, Ninon de Lenclos, madame de Sevigne sont des femmes cultivées, indépendantes, à l'encontre de mesdames de Montespan et de Maintenon qui vivent pour le roi et par le roi. Les désillusions d’Anne-Sophie sont elles à l’image d’une monarchie sur le déclin, d’un monarque despotique ? Reçue a la Cour, Anne Sophie côtoie les courtisans. Elle ne gardera pas longtemps ses illusions et se tournera vers des êtres qui partagent ses affinités profondes. [Elle n'a pas de ressemblance avec madame de Brinvilliers toujours " sous influence "] A la fin du roman, lors de sa dernière visite à Versailles, elle s'y sent totalement étrangère. Pensez-vous que la fiction soit la meilleure voie pour appréhender l’histoire ? Pour la première fois dans ma carrière d'écrivain je mêle la fiction à l'histoire. Mais la vérité historique est essentielle, c'est elle qui conditionne les personnages qui s'y intègrent. Fénelon, Jeanne Guyon, Bossuet sont des personnages austères, Les intégrer dans un récit, les rend
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plus vivants, plus familiers et, j'espère, plus faciles à comprendre. Pensez-vous que les Précieuses, Melle de Scudéry (Sapho), Ninon de Lenclos et les autres sont des pionnières, des féministes avant l’heure ? ( elles étaient pour l’amitié hommes/ femmes, contre le mariage, pour la réforme de la langue…) Ces dames étaient incontestablement des pionnières [comme le fut George Sand au siècle suivant] Mademoiselle de Scudéry eut une gloire européenne, Ninon de Lenclos ne prit jamais d'amant par intérêt. On est loin des " lionnes" du siècle suivant. Elle aimait qui elle voulait, quand elle voulait et réussissait à transformer ses anciens amants en amis fidèles. Madame de Maintenon qui fut l’amie de Ninon fut-elle en partie responsable de l’abolition de l’Edit de Nantes ? Que pensezvous de cette femme que la Palatine appelait « la vieille ripopée » ? Je ne nourris pas une grande admiration pour madame de Maintenon. Certes, elle a surmonté dans sa vie bien des épreuves, mais elle est fondamentalement intéressée. Amie intime de madame de
Montespan, de Fénelon, de Jeanne Guyon, elle les abandonnera sans le moindre état d'âme quand il s'agira de son propre intérêt. Rien ni personne ne peut lui faire risquer sa position à la Cour. Elle a certainement sa part de responsabilité dans la décision désastreuse du roi d'abolir l'Edit de Nantes. Cette décision privera la France d'une élite et enverra des milliers d'innocents aux galères. La Palatine m'a amusée. Elle garde à la Cour un esprit moqueur, une langue acérée. Sa vision des évènements grands et petits est très intéressante comme l'est son acharnement à accabler madame de Maintenon qu'elle haïssait. [Elle n'était pas par ailleurs, la seule. Des pamphlets extrêmement virulents circulaient contre elle]. Comment travaillez-vous ? Je commence par lire une très abondante documentation [entre 6 et 9 mois de surprises et de bonheur] L'intrigue s'impose alors d'après personnages et évènements qui m'ont semblé majeurs. Pour ce livre, avez-vous fait beaucoup de recherches et lesquelles ? Qu’avez-vous appris de nouveau, vous qui savez tout sur le Siècle de Dieu ?
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J'ai énormément appris au cours de mes recherches sur des aspects négligés ou moins connus du siècle de Louis XIV, notamment sur sa volonté d'écraser tout ce qui n'était pas dans la droite ligne du catholicisme gallican. J'ai découvert aussi avec surprise l'existence pitoyable du peuple des ombres : mendiants, prostituées, enfants abandonnés. J'ai pris conscience aussi que le roi avait ruiné la France avec ses guerres incessantes et sa folie des grandeurs à Versailles [l'argent venait des impôts qui écrasaient le peuple]. Cette paupérisation, cet absolutisme aveugle ont fait le lit de la révolution qui éclatera 74 ans après sa mort, une génération.
trône et lui a délégué tous pouvoirs, celui d'écraser les mauvais chrétiens en particulier. Certains l'acceptent, d'autres commenceront à remettre en question cette monarchie de droit divin.
La religion est-elle un outil du pouvoir au XVIIe ? La religion officielle, le catholicisme gallican, est très puissante. Le roi nomme les évêques qui sont à ses ordres. Maitre absolu, il se prend pour Dieu, Dieu qui l'a placé sur le
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BSC NEWS MAGAZINE 48 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013 ET SUIVEZ L’ACTUALITÉ CULTURELLE EN TEMPS RÉEL
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Sélection littéraire
Des IDées de lecture LIVRE PAR EMMANUELLE DE BOYSSON / Photo DR « Stanislas ou un caprice de Joséphine », de Philippe Séguy (Flammarion).
Grand reporter à « Point de Vue », Philippe Séguy est l'auteur de biographies : « Mylène Farmer », « Fabiola, reine des Belges » ou « François Bayrou » et de romans, « Le Vent du Sud », « Portrait de Claire en bleu Marine » et « Et embrasser la liberté sur la bouche ». Son dernier roman historique nous entraîne à la fin du XVIIIe siècle, dans l’Orne. Stanislas Reverdin a dix-sept ans. Fils d’un marquis et d’une paysanne, ce bâtard a l’ambition de devenir portraitiste à la Cour. En pleine Révolution, il monte à Paris. Lors de la Terreur, il est fait prisonnier, se lie à Valentin, un voyou, et à Joséphine de Beauharnais. Recruté par Barras, Stanislas est entraîné dans une série d’intrigues… jusqu’à l’arrivée de Bonaparte. Philippe Séguy connaît
tout du XVIIIe siècle. Mille détails, une é c r i t u r e fl a m b o y a n t e , d e s rebondissements : « Stanislas », ce portrait d’un Rastignac avant l’heure touchant et fringant, vous captivera, vous emballera. « Savannah Dream », de Cécilia Dutter, Albin Michel.
Julien, sociologue au CNRS et écolo converti, se fait débaucher par CocaCola. Il s’enrichit, émigre aux Etats-Unis avec femme et enfants. Grisé par sa nouvelle position sociale, il se laisse séduire par Maud. Cette philosophe mi ange mi démon l’ensorcelle. Notre bon père de famille tombe dans les affres de la passion. Une autopsie de l’adultère, de ses tourments délicieux. On est sur le fil, jusqu’au bout de ce voyage de tous les dangers… à Savannah, dans le vieux Sud où : « Elle a gagné son ultime pari : fixer son empreinte dans l’épaisseur du présent pour l’éternité ».
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Prix littéraire
Le Prix Lilas LIVRE PAR EMMANUELLE DE BOYSSON / Photo DR
Mercredi 29 janvier 2013, le jury du Prix de La Closerie des Lilas s’est réuni afin d’établir une première sélection de 12 romans de femmes parus à la rentrée de janvier 2013. La seconde liste sera déterminée lors de la réunion du 26 février 2013. Le Prix sera remis le mardi 9 avril 2013. Le Prix de la Closerie des Lilas, créé en 2007, poursuit avec toujours autant d’enthousiasme sa mission : soutenir, faire connaître une littérature féminine de qualité. Par souci d’indépendance et d’ouverture, la volonté des fondatrices a été d’instituer un jury invité différent chaque année qui rassemble des femmes du monde des arts, des lettres, de la presse, des sciences et de la politique. Le Prix de la Closerie des Lilas est d’abord une histoire d’amitié, de passion partagée pour la littérature.
Le jury invité en 2013:
Lydia Bacrie, France Cavalié, AnneClaire Coudray, Sophie Davant, Arielle Dombasle, Françoise Héritier, Nathalie Rykiel, Delphine de Vigan. Le jury permanent :
Emmanuelle de Boysson (Marie-Claire, romancière), Adélaïde de ClermontTonnerre (Point de Vue, romancière), Carole Chrétiennot (cofondatrice du Prix de Flore), Stéphanie Janicot (Muse, romancière), Jessica Nelson (Au Field dans la Nuit, romancière), Tatiana de Rosnay (romancière). Première sélection : Les Traversées, de Solange Delhomme (Denoël) Heureux les heureux, de Yasmina Reza (Flammarion)
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Deux étrangers, d’Emilie Frèche (Actes Sud) L'atelier des miracles, de Valérie Tong-Cuong (J.C. Lattès) Sombre dimanche, d'Alice Zéniter (Albin Michel) Une faiblesse de Carlotta Delmont, de Fanny Chiarello (l'Olivier)
Mourir est un art, comme tout le reste, d'Oriane Jeancourt Galignani (Albin Michel) Ecoute la pluie, de Michèle Lesbre (Sabine Wespieser) Tout s’est bien passé, d’Emmanuèle Bernheim (Gallimard)
Une saison, de Sylvie Bocqui (Arléa) Mouche, de Marie Lebey (Léo Scheer) L'Enfant de Calabre, de Catherine Locandro (Héloïse d'Ormesson)
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Jeanine Ghirardelli
Un chien, après l’orage Editions Edilivre 9782332488527 11,50 euros 44 pages
Un chien, après l’orage comporte plusieurs histoires qui se complètent et qui donnent envie d'en découvrir chaque parcelle. Quelquefois la pensée court plus vite que la réalité. Chacun se retrouve à la fin de l'aventure avec un petit brin de nostalgie. Mais la vie est là, elle nous attend, elle nous ouvre les bras. Jeanine Ghirardelli est née en 1956, dans un village des Bouches-du-Rhône. Après l’obtention de son certificat d’étude, elle connaîtra le travail d’usine et les cuisines des restaurants cependant l’envie d’écrire reste au fond de son cœur. Elle écrit depuis l’an 2000.
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Entretien
Brigitte Kernel ressuscite Andy Warhol
Par Emmanuelle De Boysson / Photos DR
Andy Warhol, né le 6 août 1928 à Pittsburgh en Pennsylvanie et mort à New York le 22 février 1987, appartient au pop art, mouvement artistique dont il est l'un des innovateurs. Il est connu dans le monde entier par son travail de peintre, de producteur musical, d'auteur, par ses films d'avant-garde, et par ses liens avec les intellectuels, les célébrités d'Hollywood ou les riches aristocrates. S’il a fait de la pub un art, il a compris la société du spectacle. Ses portraits de Marilyn, de Mao… ont fasciné, mais est-il un véritable artiste, comme Picasso, Bacon ou Balthus ou un imposteur ? Ecrivain et journaliste, Brigitte Kernel anime l’émission : Lire avec, sur France Inter, de 0h50 à 1h du mardi au vendredi. Elle a choisi de se mettre dans la peau d’un « Andy » inattendu. Nous sommes en 1968, quelques semaines après l’attentat qui a failli coûter la vie de Warhol. Pour se venger du peu d’attention portée au manuscrit d’une pièce de théâtre, Valerie Solanas, militante féministe, a tiré sur Andy dans le hall de la Factory. Les balles lui ont transpercé le poumon, la rate, l’estomac, le foie et l’œsophage. Déclaré pendant un temps cliniquement mort, Warhol s’en tirera de justesse ; il ne récupérera jamais vraiment. Brigitte Kernel parle en son nom. Andy se rend à onze consultations chez un psy. Sur le divan, le survivant tente de comprendre celle qui a voulu le tuer, confie ses angoisses, avoue sa difficulté à assumer sa vie sexuelle de gay. Brigitte Kernel réussit à faire revivre cet être entre Shadows et sunlights, à comprendre ses contradictions, ses tiraillements entre Eros et thanatos. Comme si c’était lui. Pourquoi avez-vous choisi Andy Warhol ? Au départ, une collection, celle d’Amanda Sthers : tous sur le divan. David Foenkinos s’est mis dans la peau de Lennon chez le psy, Amanda dans celle de Liberace, Delphine de Malherbe, dans celle de Colette. Amanda m’a convaincue d’entrer dans la tête d’un personnage très connu. Elle
parlait si bien de sa collection que ça m’a a donné envie. D’autant que nous nous apprécions beaucoup et sommes lectrices l’une de l’autre. Andy s’est imposé. Un pari difficile pour une femme mais j’étais fascinée par sa vie, par ce que j’ai découvert. A son enterrement, le curé de Pittsburgh a rendu hommage à un Warhol pratiquant (il
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allait à la messe plusieurs fois par semaine), un homme généreux qui donnait la soupe aux pauvres. Imaginez la tête des superstars de la Factory. Ils le croyaient libéré de tout, rock, marginal à succès. Beaucoup ignoraient aussi qu’Andy vivait avec sa mère, qu’il priait avec elle tous les jours et qu’elle signait parfois ses toiles. Il avait une peur terrible d’être dans le péché.
l’envahissait et l’entraînait dans une impasse. Il a été harceleur, intrusif. Il a réussi à entrer chez la mère de Truman Capote, à l’interroger sur son fils jusqu’à ce qu’elle le jette dehors en lui disant qu’il avait un problème. Andy était tombé amoureux de lui en découvrant son visage sur la couverture d’un roman. Lui qui craignait l’enfer l’a vécu sur terre.
On a pourtant la sensation qu’il était menait une vie sexuelle très libre A la Factory, tout était exhibé. Andy filmait ses superstars en train de s’embrasser, de se laver, de se faire couper les cheveux, de danser ou de se caresser. Et puis il y a « Blow J o b » q u i n o u s montre à quel point, il aimait les choses enfouies, cachées. En fait Warhol est un être entre ombre et lumière. Une position sociale forte et une personnalité fragile. Quand j’ai vu ses films à Pittsburgh, j’ai senti à quel point tout était comme empêché en lui. J’ai compris qu’il y avait un décalage terrible entre ce qu’il disait, ce qu’il aimait qu’on lui raconte – la sexualité des autres – et ce qu’il vivait. Il a du beaucoup souffrir car il tombait amoureux fou, au point d’être dans un état de fixation, obsédé par celui qui
Il était extrêmement sensible… Une sensibilité bridée à l’extrême. Une sexualité qui le tourmentait. Comme s’il devait braver les interdits de son éducation, de sa mère, de la religion. Il menait un combat contre ses démons, contre son double : il était à la fois ange et démon. Vous avez écrit un roman, non une biographie, vous aviez donc toute liberté… Par la fiction, il est plus facile de poser des hypothèses bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une bio ou d’une étude de Warhol, mais d’une histoire avec un suspense psychologique. La liberté d’écrire est un régal. La fiction m’a permis de prendre du recul, ce qui permet une position plus neutre. Vous êtes allez à Pittsburgh…
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J’y suis allée deux fois et je me suis trouvée prise dans le monde effervescent de l’art encore très présent là-bas. Il y a encore de belles tentatives artistiques autour de Warhol… J’avais besoin de sentir les choses, de voir les maisons dans lesquelles il a vécu, de découvrir l’univers modeste dans lequel il a grandi. Il me fallait découvrir les églises où il se rendait, assister à des messes, entendre les chants, marcher sur ses traces. Comme lui et sa famille, j’ai repris ses chemins à pied (devenu riche, Andy détestait prendre un taxi). En voyant le grand escalier qui descend d’Okland vers Pittsburgh, l’idée de la fin de mon récit est venue. J’avais lu qu’enfant, il avait été choqué par la vision d’un jeune garçon pratiquant une fellation à un homme. C’était facile de composer l’histoire… Qu’est ce que vous avez appris sur Andy Warhol finalement ? En 1986, à New York, j’ai croisé Warhol à la sortie d’un restaurant à la mode, je ne l’ai vu que de dos. Ce souvenir est resté en moi comme une image volatile mais présente. Dans le restaurant, des gens avaient dit : « Il est si malheureux ». Ca m’a intriguée. J’avais gardé chez moi la fameuse litho représentant Depardieu, publiée par Vogue dans les années 80. Elle m’a été volée. Peut être avais-je envie de trouver une image plus nette de Warhol. Vous avez écrit ce livre à Montréal et à Pittsburgh…
Oui, j’avais besoin d’être sur ce làbas pour écrire. Warhol a souvent exposé à Montréal. Pittsburgh, c’était son enfance, son adolescence, sa maladie, la danse de Saint-Guy qui l’empêchait d’aller à l’école, là où il a commencé à devenir un fan de Shirley Temple (son rêve fut d’avoir une poupée à son effigie et à son nom). Il était fan de Presley, de Marilyn, de Clark Gable dont il a plus tard acheté les chaussures. Il est resté un fan jusque la fin de sa vie. Il n’en revenait pas quand il avait quelqu’un de connu au téléphone. Et pourtant, il était tout aussi célèbre. Vous situez l’action après que Valerie Solanas ait essayé de l’assassiner. Pourquoi ? C’est le moment où sa vie bascule. Il ne peut plus se contrôler. Il se remet au prix de souffrances atroces et se lance dans une production artistique énorme. Il se disait en pleine irréalité, un « mort vivant ». C’était pour moi l’époque charnière idéale pour qu’il aille chez un psy. La morale de tout ça, s’il y en a une… Ne tombons pas dans les affres de la passion. Quant au sujet d’actualité, le mariage gay, il faudrait que la religion révise ses tablettes car « aimons-nous les uns les autres » ne veut en aucun cas dire « sacrifions nos amours parce qu’un dogme ne les aime pas ». V o s d e u x r o m a n s , « F a i s - m o i oublier » et sa suite « A cause d’un
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baiser », (Flammarion), ont connu un beau succès. Vous pensez continuer à nous raconter l’histoire de Léa et de son amie ? Il y aura un tome 3. Je suis attachée à ces jeunes femmes. Savoir que ces livres sont appréciés est d’une douceur inouïe.
de la radio afin de venir tous les soirs. Amélie Nothomb s’est lâchée en imaginant venir nue, à la nage, pour rejoindre le studio. Bernard Pivot a fait six émissions. De jeunes auteurs avaient les yeux mouillés d’émotion.
Vous produisez et animez « Lire avec » sur France Inter cette année, quels sont els moments forts ? Cette émission devient une sorte de happening pour les auteurs que je reçois. Il se passe toujours quelque chose que je n’attends pas. Les écrivains se détendent – vu l’heure tardive ! Philippe Djian a voulu installer un lit de camp dans le couloir
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Les quarantièmes hésitants D’aucuns tentent d’imposer le concept « 2013, année de la neurasthénie ». En voici déjà l’antidote. Certes, Montana n’en est pas à son coup d’essai et il a marqué son territoire, mais arpenter la drôlerie avec sérieux ne souffre pas le moindre relâchement. LIVRE PAR MARC EMILE BARONHEID / Photo ©Astrid Di Crollalanza
Flétrir par ailleurs le cynisme des éditeurs qui débauchent froidement les auteurs après que les petites structures aient essuyé les plâtres n’interdit pas de saluer le pragmatisme de Cyril Montana. Révélé dès 2003 par « Malabar trip », paru à l’enseigne d’une officine dont Anna Gavalda est l’arbre qui cache la déforestation, Montana a choisi de porter désormais la casaque de l’écurie de Jean-Edern Hallier et Nadine de Rothschild. C’est que, passé un certain cap, le dilettantisme fait long feu. Le roman se déroule en une suite de tableautins doux-amers, dans lesquels la douceur de vivre le dispute à un amalgame de cynisme, de gauloiserie légère, de lucidité sociale, agrémenté
d’un zeste de naïveté hérité de parents authentiques baba cool. Il n’y a pas à dire, être élevé au fromage de chèvre indigène laisse des traces collatérales. Le narrateur a une femme et deux enfants qui lui procurent des émotions contrastées. Il travaille dans l’immobilier, en faune arriviste et hypocrite. Surtout, il est un ado prolongé et le grand bond en avant vers ses quarante ans n’ira pas sans une pluie d’interrogations existentielles. Montana est capable de réussir le grand écart entre le récit goguenard d’une incursion clandestine en francmaçonnerie et la disparition de sa grand-mère, qu’il raconte avec cette sobriété qui dilate l’émoi. La grande
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affaire de son narrateur, ce sont les femmes. C’est insensé ce qu’elles peuvent l’accaparer, le perturber, l’obnubiler. Il leur voue un culte inculte. Plus il les approche, plus lui apparaissent l’inconfort et les aléas de leur commerce. Juge et partie, il autorise le censeur à accorder au prévenu des circonstances atténuantes : « E n r e n t r a n t à l a m a i s o n , j e culpabilisais d’avoir fait le con à Compiègne avec la Vanessa. Puis, j’ai relativisé en me disant que je n’avais pas vraiment fauté. Disons, juste un peu dérapé /…/ Je suis un mec et, comme tous les mecs, il y a un queutard qui sommeille en moi ». La faute aux femmes ? Le narrateur noie le poisson : « Les femmes, elles, sont souvent d’une intégrité fatigante ». Passé maître dans l’imbrication du désir, de l’élégance, de la culpabilité, Montana est un digne disciple d’Apollinaire tel que Desnos l’entrevoit dans son essai « De l’érotisme ». Un agent immobilier qui se respecte doit avoir l’œil et le bon. On le
reconnaît à son souci du détail. Croisant une clown à la combinaison en polyamide jaune et étoiles bleues, il est tombé en arrêt devant la forme de ses seins de taille moyenne en poire et, par innocent réflexe professionnel, s’est demandé si cette petite boule qu’il distinguait « était bien son téton qui pointait, ou un défaut de fabrication de son costume ». Un cas d’école, à n’en pas douter. Ce n’est pas le seul élément du registre de l’émotion selon Montana. Evoquant ses proches et les moments cruels ou tendres du quotidien d’un homme de quarante ans, il sait mettre le lecteur de son côté. La lectrice aussi, guère dupe de ce bonobo de pacotille. C’est ce qui s’appelle tenter le diable.
« Je nous trouve beaux », Cyril Montana, Albin Michel, 15 euros « De l’érotisme », Robert Desnos, L’Imaginaire/ Gallimard, 6, 90 euros
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DONALD RAY POLLOCK, PREMIÈRE... LIVRE PAR NICOLAS BODOU
Donald Ray Pollock, désormais célèbre grâce au brillantissime « Le diable tout le temps », a publié quelques années auparavant un r e c u e i l d e n o u v e l l e s ; « Knockemstiff », du nom de sa ville natale. Paru en France il y a trois ans, il est aujourd’hui réédité en format poche. L’occasion de découvrir les débuts de cet incroyable écrivain qu’est Donald Ray Pollock. Knockemstiff est une petite bourgade de l’Ohio ; lieu maudit des dix-huit nouvelles de Donald Ray Pollock
« Quand les gens en ville parlent de consanguins, en réalité ce qu’ils veulent dire c’est qu’il arrive de se sentir seul s ». Donald Ray Pollock
Dix -huit nouvelles poisseuses, glauques, dans cette autre Amérique. Knockemstiff, ici, la cruauté est un art. Ici, on tue le temps en détruisant le peu d’humanité qu’il reste.
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Le peu de rêve osant s’aventurer là-bas est vite balayé par la réalité des fantômes peuplant ce bout du monde. L’alcool, la drogue, la misère sexuelle, la violence sont les pierres angulaires de cet édifice putréfié. « Tout est compliqué quand on est en vie, même pour les experts » Chaque page nous plonge un peu plus dans une noirceur infinie. Tant de laideur est insoutenable, voir impossible, même l’enfer ne semble pas vouloir d’eux. C’est peut-être cela qu’est Knockemstiff, un lieu entre le ciel et l’enfer, où ces êtres èrent en attendant d’être emportés. Donald Ray Pollock, semble voué l’existence dans ce récit, à une chute vertigineuse dans les méandres de l’abject.
Mais cette étrange réalité est servie par une écriture électrique, qui saisit à chaque phrase. Une écriture violente, qui emporte, secoue et jette quiconque au fond d’un terrain vague,. Une prose qui pénètre l’âme. Abattus par la misère, résignés mais pas encore morts, voilà ce qu’ils sont condamnés à être. Donald Ray Pollock leur donne le temps du récit le droit d’exister et leur offre un ultime soubresaut avant une fin inévitable. Knockemstiff De : Donald Ray Pollock. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Garnier. 256 pages. 9,10 Euros. Editeur : Libretto 07/02/2013
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DISPARITION
C’EST VITE DIT par PASCAL BARONHEID
ROTH
J.-B. PONTALIS
AVANT
GALLIMARD
Pontalis_Avant.indd 1
15/11/11 15:07
de l'imposture. »
« Quand j'étais psychanalyste débutant, je me demandais ce que je faisais là : de quel droit ? Je dis souvent que se prendre pour un analyste est le commencement
Jean-Bertrand Pontalis – qui vient de s’éteindre à 89 ans et passe pour un des papes de la psychanalyse en France – dans une interview à Psychologie). Entre autres faits d’armes, JiBé Pontalis a créé la collection L’un et l’autre aux éditions Gallimard, dont il est, comme auteur, une figure estimable du catalogue contemporain.
GARCES
« Écrire, c’est « La garce n’a pas avo i r t o u t l e son pareil pour temps tort. Tous atteindre son but, vos brouillons l a fi n j u s t i fi a n t racontent toujours les l’histoire de vos moyens. Et échecs. Je n’ai malheur à ceux ou plus l’énergie de celles qui la frustration, tenteraient de plus la force de s’opposer à sa m’y confronter. Car écrire, c’est volonté : elle sonnerait l’hallali être frustré : on passe son temps à sans plus attendre et ajouterait, écrire le mauvais mot, la mauvaise d’une main, de nouveaux scalps à phrase, la mauvaise histoire. On se sa collection, tout en se repoudrant trompe sans cesse, on échoue sans le nez de l’autre » cesse, et on doit vivre ainsi dans une frustration perpétuelle ». Jean-Noël Liaut, dans son « Eloge des (Philip Roth, dans une interview garces », galerie de portraits de aux Inrockuptibles – son dernier chattes de gouttière, chasseuses roman paru : « Némésis », d’héritiers et autres femmes couguars, de Madame de Merteuil aux sœurs Gallimard, fin 2012, 18,90 eur) Gabor -2013 Payot, 13,50 euros. 62 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER
CHAT
CABRIOLETS
« … l’annonce de la mort de Maurice Girodias dont nous reçûmes la nouvelle en plein été toscan et celle plus douloureuse encore du chat Simon, qui fut, pour ceux qui s’en souviennent, un très grand chat … » (Colette Lambrichs, dans la lettre d’information des éditions La Différence, janvier 2013)
«En termes de durée, mon attachement le plus remarquable reste une collaboration d’une bonne dizaine d’années aux Nouvelles littéraires./ …/ A considérer qu’aux meilleures saisons je reçus /…/ cinq cent francs par chronique, et deux cents aux moins bonnes, c’est-à-dire beaucoup plus longtemps deux cents que cinq cents, il apparaîtra que la critique littéraire n’est pas une activité dont on peut raisonnablement
attendre qu’elle offre à ses pratiquants des cabriolets grand sport ». François Nourissier, dans l’avant-propos à un choix d’articles et de critiques livrés à la presse entre 1962 et 1978 – des pages de très haute tenue, dont le temps ne démentira ni la pertinence, ni la généreuse cruauté. Un vade-mecum par e x c e l l e n c e ) . « L e Cycliste du lundi », essais, éditions La G ra n d e O u r s e , 2 7 euros
BIBLIO TECH
LECTURE André Bay, ancien directeur littéraire des éditions Stock , qui était aussi écrivain, est mort le 14 janvier. Il avait 96 ans. Quand il publie la première traduction française de Tendre est la nuit, de Francis Scott Fitzgerald, ses premières lignes donnent le ton. "Avant d'en parler, écrit-il, il me faut faire un aveu personnel. Il m'arrive de haïr, ne fut-ce qu'un instant, les gens qui n'aiment pas certains livres... " Pendant toute sa carrière, il privilégiera, dira-t-il, " les livres dont la lecture [l]e change. Tant pis si cela heurte Saint Germain des prés. » (Le Monde)
Une bibliothèque sans livres ? Quelle idée étrange ! Et pourtant, ce projet révolutionnaire se concrétisera en 2013 avec l’inauguration de la première bibliothèque exclusivement numérique. Biblio Tech ouvrira ses portes à l’automne prochain, à San A n t o n i o , Te x a s . S i p l u s i e u r s universités et bibliothèques municipales américaines proposaient déjà des livres numériques, la grande nouveauté de ce projet réside dans le fait qu’il n’y aura pas un seul livre papier dans cette bibliothèque publique. Cette entreprise, estimée à plus d’un million d’euros, a été approuvée par les autorités régionales. ( in Lettres numériques n° 74)
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Livre
L’hymne à la voix Marie Nimier publie des romans depuis 1985. On a su très vite qu’elle allait durer, progresser, s’imposer. Il a fallu dix-neuf ans pour qu’un prix Médicis légitime les augures. Pour certains c’est le début de la décrue. Pas pour elle, qui a secoué de ses épaules le poids de l’écume médiatique et avance désormais au seul gré de ses envies, l’air de proclamer « et s’il me plaît à moi d’être inattendue ? ». LIVRE PAR MARC EMILE BARONHEID / Photo D.R
Je est un autre que M a r i e N . : A l e x i s Leriche, passablement honteux d’être fils de boucher, mais récupéré par un narcissisme qui fera sa force machiste, en même temps qu’il sera le défaut de sa cuirasse. « J’étais beau, tout le monde s’accordait à la dire ». Alexis s’émerveille de la faculté des femmes à jouir plusieurs fois,
alors que lui s’endort sur le métier, incapable d’y remettre son ouvrage. Frappé d’hyperacousie, il va se diriger vers le commerce des voix, en compagnie de son meilleur ami et de deux jeunes femmes : la superbe Delphine et la disgracieuse Zoé. Leur idée : proposer à des firmes une publicité sonore, à la place des
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sempiternels boniments et autres prospectus éculés. Ça fonctionne au bagout, au bluff, aux relations. L’argent afflue. Alors, heureux Alexis ? Pas trop, car il est amoureux de l’une, inaccessible, et résigné à l’autre, par défaut. Malgré son menton fuyant qui détruit toute tentation romantique, Zoé va révéler des capacités insoupçonnables et même assurer à Alexis un très acceptable repos du guerrier. Tout l’édifice romanesque est bâti sur les hésitations, les saccades intimes, les oscillations d’Alexis. Le dérangement mental n’est jamais loin et l’art de Marie Nimier se déploie dans la justesse et l’équilibre entre farce et questionnement, dans sa manière de démontrer la réversibilité de la formule « les femmes sont des hommes comme les autres ». Alexis devient presque pathétique le jour où il viole le journal intime de Zoé et se livre, nolens volens, à sa propre analyse. Marie Nimier atteint sa cible en plein coeur : l’homme
nouveau, peu assis et mal debout entre sexe et désir, taraudé par un genre égarant et capricieux. Pour l’anecdote, la petite entreprise finit par battre de l’aile. L’un des associés songe à réaliser un magazine érotique parlant, arrièrepetit-neveu de l’inoubliable téléphone rose. L’œuf de Colomb ? Peut-être. Dommage que l’histoire s’arrête là. On rêvait déjà d’un aparté entre Zahia et Lionel Jospin, Christine Boutin et Dodo la Saumure, Amélie Nothomb et Joey Starr. « Je suis un homme », Marie Nimier, Gallimard, 17,90 euros
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Philosophie
La bête féroce
La première phrase du Discours de la Méthode de René Descartes met en avant l'idée selon laquelle « Le bon sens est la chose la mieux partagée ». Cette phrase explique, en substance, que si nous avons une « méthode » pour diriger nos pensées, notre Raison, nous découvririons à coup sûr que nous possédons tous, sans exception, un « bon sens ». Jusque là, nous dit Descartes, nous ne savons pas utiliser celui-ci correctement. Par Sophie Sendra Depuis le XVIIe siècle, nous aurions pu constater une évolution de la pensée humaine, un avènement de la réflexion, un épanouissement du « bon sens ». Les nombreux ouvrages sur l'intelligence, sur la capacité à raisonner, montrent cet engouement pour « bien savoir conduire notre pensée ». Ce foisonnement de publications en tous genres éloignerait de fait ce que l'on appelle communément la bêtise, source de tous les maux, de tous les rejets de l'autre, de toutes les ignominies. Nous savons tous ce que ces mots (maux ?) veulent dire. En sommesnous si sûrs ? Pour le savoir, il faut regarder du côté de l'étymologie.
La Bêtise Si étonnant que cela puisse paraître, le mot « bêtise » doit son origine au mot « biche », du latin « bestia » qui désigne à la fois un animal en général, mais aussi une « bête féroce », terrestre la plupart du temps. Le sens du mot « bête » a fini par désigner ce qui est « méchant » et dans le latin ecclésiastique, donna le mot « bestialis », bestial. Quand on regarde cette étymologie, ce qui est frappant c'est que nous passons de la « biche », animal fort sympathique, doux, révélé par Walt Disney dans Bambi en 1942, à une « bête féroce », méchante, qui inspire le danger, la peur. Comment est-il possible de « glisser » à ce point d'un sens à un autre ? L'opposition est ici frappante.
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Si nous allons plus loin, le mot « bêtise » vient du mot « bêta » (bêtard) et donna ainsi par « glissement » bêtisier, bêtifier, abêtir. La bêtise serait donc le fait d'être « bêta », une bête bestiale, féroce, abêtie par sa méchanceté. La biche faite de douceur n'est plus, elle montre son vrai visage : elle est agressive, mauvaise, elle oublie son propre « sens », celui de la représentation de la douceur. Crétinisme et Stupidité Le mot « crétin » est apparu au XVIIIe siècle et désignait, en dialecte savoyard, « les goitreux débiles mentaux, nombreux jadis dans les endroits reculés ». Au départ, c'était un mot de compassion vis à vis de ces êtres ignorants et innocents. Ce mot prit par la suite un sens péjoratif. Le benêt était atteint de « crétinisme », de « stupidité ». En grec, le mot « stupide » à pour origine « (s)teu » qui veut dire « frapper », qui donna « tupos », c'est-à-dire un « coup » ; l'image est donc la suivante : « être marqué d'un coup », être « stupéfait », qui donna stupidus, « être frapper de stupeur ». Le crétin est donc stupéfait, frappé de stupeur par à peu près tout ce qui se présente à lui, étant donné son ignorance et l'absence de « bon sens ». Il aura peur de tout ce qu'il ne connait pas, il sera stupéfait. Il pourra même, par réflexe de défense, devenir une « bête féroce », faire preuve d'une « bêtise » sans nom. Il ne sera pas « apte à discerner » le « bon sens », la Raison, de l'illusion des préjugés et du savoir que l'on tient pour vrai alors qu'il ne s'agit que de croyances ; il sera abêti. La biche pour laquelle nous avons de la
compassion deviendra la bête. Ignorance et Ignominie « Gnô » en grec veut dire « connaissance », c'est la « Gnôsis » ; ainsi « connaître » se dit « gignôskein ». Être « apte à discerner » le bon sens dont nous parlions se dit Diagnôstikos, un diagnostic. Par simple logique, ignôtus, c'est l'inconnu. Le crétin, digne de bêtise est un ignorant qui s'ignore. Il pense faire un bon diagnostic et tient pour vrai ce qui n'est que croyances et a priori. Il est donc un « ignare », terme apparu au XIVe siècle. Les Ignorantelli était le nom que prirent, par pure humilité, les Frères de Saint-Jean de Dieu, puis ce terme fut appliqué par dérision aux Frères des écoles Chrétiennes. Le bon sens voudrait donc que l'on se dise « ignorant », mais cela ne semble bon que pour les personnes ayant une Raison ou une certaine humilité. Mais alors où se trouve l'Ignominie ? Ce « in » (privatif), et ce « nomen » (renom), que nous pouvons traduire par « déshonneur », cette « ignominie », est bien là. Elle est celle de constater qu'à la moindre occasion, l'être humain peut devenir « la bête féroce », lorsque l'autre est différent. Celle qui, si douce et pleine de compassion, se révèle stupide lorsqu'elle est confrontée à l' « au-delà de l'eau » comme le disait Blaise Pascal dans ses Pensées, confrontée à ce qu'elle ne connait pas, lorsqu'elle est ignorante. L'ignominie veut nous faire croire qu'elle est une parole d'amour alors qu'elle n'est que
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haine et rejet ; elle est un déshonneur, celui de certains à vouloir faire croire par leur ignorance, que d'autres sont des bêtes immondes, indignes de la nature humaine. La biche faite de douceur révèle son vrai visage, l'amour qu'elle dispense pour les siens n'est pas bon pour les autres. Tel Narcisse, ce qu'elle croit voir chez les autres c'est elle-même, c'est son déshonneur, qu'elle contemple.
ego, cet autre qui n'est que le même que soi, tout en étant différent. La tolérance est le seul mot qui puisse retirer le déshonneur engendré par des « petites phrases », des mots qui n'ont rien de « grands », mais tout du « petit » et de l'ignoble. Assister à une telle bêtise qui n'a de but que de créer un climat anxiogène est ignominieux.
S'il fallait conclure Mon « bon sens » m'interdit de nommer la « bête féroce » dont je parle, mais je pense qu'en ces moments de grandes déclarations, ceux qui ont des croyances devraient s'interroger sur la teneur de leur savoir au risque de rejeter cet alter-
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Histoire
« C’est simplement là que les régimes européens les plus meurtriers accomplirent leur œuvre meurtrière » CHRONIQUE PAR REGIS SULLY
Timothy Snyder délimite l’objet de son étude avec précision dans le temps et dans l’espace. Il s’agit des territoires qui se situent à l’est de l’Europe couvrant les régions qui ont été sous la botte nazie et la férule soviétique entre 1933 et 1945. Ils s’étendent de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine, la Biélorussie et les pays Baltes. Ces terres ont été le théâtre d’une violence de masse jamais vue dans l’histoire. 14 millions de personnes y ont été massacrées. Les victimes, essentiellement des Juifs,des Biélorusses des Ukrainiens,des Polonais,des Soviétiques et des Baltes, ont toutes été des civils. Mais attention prévient l’auteur qui légitime ainsi son étude, l’histoire singulière de telle ou telle population ne saurait expliquer ce qu’il lui est arrivé. « Souvent c e q u i a r r iva à u n g r o u p e n ’ e s t compréhensible qu’à la lumière de ce qui
est arrivé à un autre». Regrouper et mettre en relation ces massacres est l’objet de ce livre et donne une vision particulière de cette période. Dans les années 1930, les tueries de masse ont été presque exclusivement le fait de l’Union soviétique. La collectivisation des terres agricoles, les prélèvements exagérés sur les récoltes pour exporter le surplus afin de financer l’industrialisation, furent réalisables qu’avec le concours d’un a p p a r e i l r é p r e s s i f e f fi c a c e a u t a n t q u ’ i m p i t o y a b l e . L’ U k r a i n e a é t é particulièrement touchée par la répression. Une famine effroyable y sévit, qui fait écrire à l’auteur que « mourir de faim avec un peu de dignité était hors de portée de presque tout le monde ». Pour l’Ukraine, à la fin de 1933, il dénombre 3,5 millions de morts en comptant les exécutions et les victimes de la famine. À cela il faut ajouter plusieurs milliers
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d’Ukrainiens envoyés au Goulag. La deuxième vague de tuerie de masse,dans ‘les Terres de sang’, repérée par l’auteur date des années 1936-37 où les Koulaks et les Polonais vivant en Union soviétique furent les victimes principales du NKVD, désignés comme les boucs émissaires des ratés de la politique de Staline. Exécutions, déportations ont été souvent le lot des citoyens soviétiques qui avaient la nationalité polonaise. L’auteur évalue à 257 000 le nombre de victimes et qualifie cet épisode de « massacres ethniques ». Le régime communiste établissait un lien entre appartenance ethnique et loyauté. Curieusement, les d é m o c r a t i e s occidentales prêtèrent davantage attention à ce qui se passait dans l’Allemagne nazie que dans la patrie du socialisme qui avait eu l’habileté d’apparaître comme la championne de la lutte contre le fascisme. Difficile de la critiquer sans vouloir apparaître comme un suppôt du fascisme. Le pacte germano-soviétique d’août 1939 amorça une autre série de massacres dans les « Terres de sang ». En effet, des clauses secrètes permirent, après l’invasion de la Po l o g n e e n s e p t e m b r e 1 9 3 9 p a r l’Allemagne nazie, de partager la Pologne entre Allemands et Soviétiques. De part et
d’autre de la ligne Ribbentrop/Molotov il y eut une volonté commune d’éliminer les élites polonaises . Ainsi du côté allemand, les Einsatzgruppen accomplirent cette tâche avec zèle. Ils s’illustrèrent également dans la chasse aux juifs. Les Soviétiques de leur côté déportèrent en priorité les officiers polonais et firent preuve de beaucoup plus d’efficacité dans l’élimination des cadres de la nation p o l o n a i s e . De septembre 1939 à juin 1940, les Etats soviétique et allemand avaient tué 200 000 citoyens polonais et en avaient déporté près d’un million ». Si de 1933 à 1938 les tueries de masse ont été le fait exclusivement de l’Union soviétique, de 1939 à 1941 elles furent le fait des deux puissances totalitaires. En revanche de 1941 à 1945, l’Allemagne nazie fut seule responsable de la quasitotalité des massacres. Il faut dire que l’affaire avait été pensée. Les dirigeants allemands avaient planifié la colonisation de l’Union soviétique jusqu’à l’Oural. Ils avaient prévu que 31 à 45 millions de Slaves devaient disparaître. Si l’Union s ov i é t i q u e s n ’ ava i e n t p a s e n d i g u é l’offensive allemande les ‘Terres de sang’ l’auraient été davantage. Cependant les terres conquises par l’armée a l l e m a n d e n ’ é ch a p p è r e n t p a s a u x
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massacres ni à la famine. Cette dernière fut délibérée, il fallait nourrir en priorité l’armée et la population allemande. L’Ukraine fut particulièrement touchée. « Les pelotons de soldats allemands ressemblaient aux brigades communistes d’une décennie plus tôt, s’emparant d’un maximun de nourriture aussi vite que possible.». Les massacres touchèrent d’abord les prisonniers de guerre soviétiques. L’auteur évalue à 3 millions le nombre de morts dans les camps. Ensuite les populations civiles de l’Ukraine jusqu’au pays Baltes furent l’objet de massacres par représailles bien souvent comme en Biélorussie où les habitants étaient pris entre les partisans et les forces d’occupation. Reste que la population la plus visée était les juifs, exterminés par les Einstzgruppen aidés par des gens du cru qui avaient été persécutés précédemment par NKVD. Ensuite fin 1941 les‘Terres de sang’ accueillirent les camps d’extermination de Belzec,Sobibor,Majdanek et Treblinka où de nombreux juifs de ces régions furent gazés ; sur 3 millions de juifs polonais tués au cours de l’Holocauste,7% trouvèrent la mort à Auschwitz. Près de 1,3 million furent exterminés à Treblinka(700000), à Belzec( 400000) Sobibor(150000) et à Majdanek(50000). En juin 1944 l’offensive soviétique ouvrit la route de la Pologne. Seulement les Polonais qui connurent l’occupation soviétique avant celle de l’Allemagne ne voyaient pas d’un bon œil l’arrivée des troupes soviétiques. L’occupation de 1939 et la brutalité des Soviétiques étaient restées vivaces dans leur souvenir. Le massacre de Katyn était connu. L’armée intérieure pour asseoir la souveraineté de la Pologne face à l’avancée de l’Armée rouge déclencha
l’insurrection à Varsovie en août 1944. Elle se solda par un massacre des Polonais et la destruction de la capitale par les Allemands. Staline, dont les troupes campaient sur la Vistule, ne trouva que des avantages à cette situation et notamment l’anéantissement des résistants polonais qui auraient pu être un obstacle à l’installation d’un régime communiste en Pologne. D’ailleurs le NKVD exécuta les rescapés de l’armée intérieure en entrant dans Varsovie en janvier 1945. Cette histoire des‘Terres de sang’ éclaire d’un jour nouveau ce pan de l’histoire de l’Europe et permet de comparer les deux systèmes totalitaires qui ont tour à tour dominé cet espace. On lira avec le plus grand intérêt le chapitre conclusion de ce livre passionnant. ➤ Terres de sang
Timothy Snyder Editions Gallimard 27 €
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BANDE DESSINÉE
JULIE BIRMANT
Sur les planches ce soir! Texte Julie Cadilhac/ Photo D.R Avant d'être scénariste de bandes-dessinées, Julie Birmant a d'abord été metteur en scène à l'école de cinéma de Bruxelles, l'insas, et a notamment co-dirigé plusieurs numéros de la revue Alternatives Théâtrales. De retour en France ensuite, elle a fait des chroniques théâtre et des reportages dans "Carnet Nomade"pour France Culture, est devenue dramaturge pour quelques festivals de théâtre puis productrice de documentaires de création à France-Culture encore. Son premier scénario, Drôles de femmes, dessiné par Catherine Meurisse, raconte ses aventures au pays de femmes célèbres de caractère comme Amélie Nothomb, Anémone ou encore Yolande Moreau. Actuellement c'est en compagnie de Clément Oubrerie qu'elle raconte en vignettes la jeunesse haute en couleurs du peintre Pablo Picasso. Une petite merveille à laquelle l'on a immédiatement succombé et dont on vous propose de rencontrer la plume sensible et brillante ....qui nous offre une parenthèse à Paname, au début du vingtième siècle, tout à fait grisante! Quelle a été la genèse de ce projet éditorial? L'idée de départ était de retrouver le Montmartre des années 1900. C'est mon quartier. J'y suis née, je l'ai vu changer, d'aucuns diraient perdre son âme. Hé bien non, puisque des fantômes y planent aux heures bleues de l'aube, aux heures désertées par la neige ou les tempêtes. Parmi ces fantômes, j'ai rencontré celui de Fernande Olivier, nom qui sonne assez familier accolé à celui de Picasso, mais flou. Passant
chaque matin devant la place du Bateau-Lavoir, j'ai voulu un jour en savoir plus, et j'ai dégotté les "Mémoires intimes" de cette femme. J'ai tout de suite été séduite par sa voix, celle qu'on percevait entre les lignes. Elle était authentique, fine, farfelue... Et soudain j'ai pressenti qu'elle avait dû jouer un rôle crucial dans la transformation de la peinture de son amant, le jeune Pablo Picasso fraîchement débarqué de Barcelone. C'est alors que j'ai commencé mon enquête. Et j'ai plongé dans cette
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époque où Montmartre était encore agricole, peuplé de vaches, de maréchaux-ferrants, sur le versant nord, c'était une friche appelée le maquis... c'était une sorte de république libre aux portes de la ville où s'abritaient aussi une colonie de poètes et d'artistes métèques, parmi eux, la colonie espagnole avec en son centre, Picasso, le prodigieux. Quels sont les règles pour éviter qu'une leçon d'histoire de l'art devienne ennuyeuse? Quels ont été les écueils que vous avez voulu éviter? Ma narratrice est une femme. Une femme que tous ont aimé, qui a séduit les poètes et les grands peintres en devenir de l'époque. Il fallait réussir à montrer ce qui la rendait désirable, et ce n'était uniquement plastique — Fernande n'est pas une beauté classique. Et puis, avec Picasso, quand on est proche des sources, difficile d'être ennuyeux. Ce n'est que passion, rage de peindre et enthousiasmes poétiques, le tout cerné d'amis excentriques, profonds et subversifs. On peut lire sur la quatrième de couverture du tome 2 " Qu'on se le dise, tout est vrai dans cette histoire!". A partir de quels documents avezvous travaillé pour sélectionner toutes ces anecdotes colorées et romanesques? Mes documents sont nombreux. J'ai vite lu les biographies classiques, mais
ceux que j'ai retenus, ce sont les témoignages, les poèmes de Max Jacob et d'Apollinaire, et puis les livres éclairants d'une autre compagne de Picasso, Françoise Gilot, qui disent beaucoup sur la façon étrange qu'avait le peintre d'aimer les femmes. Combien de tomes sont prévus pour raconter la vie passionnante de cet artiste? Et peut-on connaître leur nom? Sont-ce les rencontres amicales ou amoureuses, selon vous, qui ont fait évoluer l'art de Picasso? La série comptera 4 tomes. Picasso était une éponge, et il a eu la chance de rencontrer à cette époque des personnalités exceptionnelles qui l'ont nourri. Max Jacob (tome 1) l'a nourri au sens premier du terme, puisque le poète a travaillé pour entretenir son ami plongé dans sa Période Bleue dont aucun marchand ne voulait. Apollinaire (tome 2), ensuite, qui est son alter ego de la Période Rose, alors que tous deux sont des mal-aimés qui rêvent de gloire et de conquérir la femme désirée. Gertrude Stein est la troisième rencontre décisive de Picasso. En faisant son portrait, qui va lui valoir de sacrées suées, Picasso pose les bases de sa modernité. Elle apparait déjà dans le tome 2, Apollinaire. Après avoir réussi à peindre son portrait, Picasso est de taille à rencontrer son seul grand rival, Henri Matisse. Leur rencontre a lieu dans le Pablo tome 3 à paraître le 26 avril. Elle augure entre les deux artistes
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surnommés parfois Pôle Nord et Pôle Sud une rivalité acharnée qui est autant une émulation qu'une compétition... Le quatrième tome clôturera la période Montmartroise de Picasso. Ce sera l'invention du cubisme, le triomphe inespéré de Picasso qui, de réprouvé, deviendra une star, et... la fin de son histoire d'amour avec Fernande. Elle était une aube nouvelle apparue dans la peinture en 1905, elle deviendra un visage décomposé en formes géométriques, pas mieux traité qu'un compotier. Triste ? Sans doute un peu, mais aussi formidable accumulateur d'énergie, et clownesque toujours, comme l'est l'étrange et inclassable banquet
donné par Picasso chez lui en l'honneur du Douanier Rousseau.
Enfin, si vous deviez citer une anecdote liée à Picasso qui met en exergue l'idée que vous vous faîtes du personnage, laquelle serait-ce? Picasso est changeant. Je l'aime malaimé, totalement hypnotisé par le clown Grock qui est en 1905 son modèle absolu : apparemment maladroit, en vérité un prodige d ' a d re s s e , c h a m p i o n d e b o x e , toréador occasionnel adulé et tombeur de ces dames.
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Roman jeunesse
CATHERINE CUENCA Texte Julie Cadilhac/ Photo D.R Originaire de Lyon, Catherine Cuenca est une passionnée d'Histoire. En 2001, elle est remarquée avec son premier roman historique "La marraine de guerre" qui évoque les relations épistolaires qu'entretenaient certaines femmes volontaires avec des hommes au front lors de la seconde guerre mondiale pour leur donner un soutien moral. Après avoir travaillé en bibliothèque plusieurs années durant lesquelles elle continue de faire crisser sa plume, elle exerce aujourd'hui à plein temps le métier d'écrivain. Son style,romanesque et vif, a tout pour séduire les adolescents. Après une série mettant en scène une jeune adolescente du XXIème siècle, qui, grâce à un passage temporel, va vivre La Révolution Française à coeur battant, Catherine Cuenca débute chez Gulfstream une nouvelle série intitulée Le mystère de la tête d'or…. Vous rappelez-vous de la première fois où vous êtes dit " je serai romancière"? L'idée s'est précisée vers 14-15 ans, alors que j'écrivais des histoires depuis déjà plusieurs années. Pourquoi avoir ciblé le lectorat jeunesse? Avez-vous déjà écrit pour un public adulte? Ayant commencé à écrire très jeune, les héros de mes histoires étaient, assez logiquement, des personnes jeunes. Mes premiers textes s'orientaient vers les 10-15 ans et mon rêve était de les publier dans l'une de
ces collections de romans pour la jeunesse que je dévorais à l'époque: Castor Poche, Le livre de poche jeunesse... Après la parution de mon premier roman en 2001 au Livre de poche jeunesse, j'ai réalisé que la littérature jeunesse me convenait très bien et j'ai continué à écrire pour ce public. Pour le moment, je ne me vois pas changer de "cible". Quelles sont les recettes selon vous pour captiver l'attention des jeunes? A mon sens, un roman ne s'écrit pas en suivant une recette. J'obéis à mes envies. En partant d'une période
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Mérovingiens. Ce sont des périodes que je n'ai encore jamais abordées et qui m'inspireront peut-être une histoire, un jour.
historique qui m'intéresse, je laisse les idées venir et je les organise pour former une intrigue cohérente. Puis je me mets au travail en espérant que les lecteurs auront autant de plaisir à lire mes histoires que j'en prends à les écrire. Vos romans sont toujours liés à l'Histoire ( la Révolution, la première guerre mondiale etc): pourquoi? L'Histoire m'a toujours intéressée. La manière dont les gens vivaient dans le passé est fascinante. Les temps révolus, justement parce qu'ils ne sont plus, comportent une part de mystère, propre au romanesque. J'aime recréer une période historique dans un roman. C'est un peu comme partir à l'aventure. Existe-t-il une autre période historique que vous affectionnez particulièrement et sur laquelle vous n'avez pas encore écrit et vous avez en projet d'écrire un ouvrage? La Gaule celtique, mais aussi l'époque du haut Moyen Age: le temps des invasions dites "barbares" et des
Chacun de vos romans nécessite un travail documentaire préalable assez important, on suppose? J'ai besoin de maîtriser pleinement une période historique pour pouvoir en parler avec aisance. Je me documente beaucoup en amont, dès que les premières idées arrivent, mais aussi pendant l'élaboration de l'intrigue, pour développer certains passages, m'assurer que les situations imaginées sont crédibles. Dans votre série Le passage des lumières, le dernier tome s'achève sur un mystère qui laisse présager peutêtre une suite, on se trompe? Je termine toujours mes romans sur une action, un dialogue ou une ouverture. Le point final n'en est donc pas vraiment un. Le lecteur est libre de poursuivre l'histoire dans sa tête. J'ai bien sûr ma petite idée sur l'évolution des événements. Mais aucun projet de suite n'est prévu actuellement. Vos histoires sont souvent teintées de romantisme…qui trahissent la nature fleur bleue de l'auteur? Les sentiments tiennent une place importante dans la vie. C'est pourquoi ils sont souvent présents dans mes romans, tout comme la violence, l'engagement... Ce sont des éléments qui font partie de la vie. Ils ne reflètent
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"J'aime recréer une période historique dans un roman. C'est un peu comme partir à l'aventure. donc pas forcément le caractère de l'auteur. Vient de paraître une nouvelle série "Le mystère de la tête d'or": pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet? Je parlais avec des amis du parc de la Tête d'Or à Lyon et je me suis interrogée sur l'origine de ce nom. C'est ainsi que j'ai découvert la légende de la Tête d'Or, un trésor médiéval enfoui dans des marécages, à l'emplacement du parc actuel. A la même époque, je venais de relire Pauline d'Alexandre Dumas, un roman typique du mouvement littéraire romantique, avec une héroïne et des paysages tourmentés, une atmosphère gothique. J'ai aussitôt imaginé une chasse au trésor dans des lieux hostiles et mystérieux, au début des années 1800, en pleine période romantique.
Et si vous nous en présentiez ses personnages? Jeannot, 12 ans, et son cousin Riri, 10 ans, vivent pauvrement à Lyon, dans les marais qui bordent la rive gauche du Rhône. Ils espèrent améliorer leur quotidien en mettant la main sur la Tête d'Or. Ce sont deux garçons intrépides, débrouillards et bagarreurs. En dépit des dangers, ils vont aller jusqu'au bout de leur quête. C'est un roman qui fait peur? vous aviez envie d'explorer davantage encore le côté fantastique? J'espère que ce roman peut faire peur. J'ai énormément travaillé l'atmosphère dans la veine gothique. Il faut dire que les rues de Lyon au XIXe siècle, humides, sombres et brumeuses, se prêtaient très bien à ce genre d'ambiance.
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Combien de tomes sont prévus pour cette série? Il s'agit d'une trilogie. Le premier tome, Le trésor de l'Isle, est sorti le 17 janvier 2013. Le tome 2 sortira en mai, le tome 3 en novembre. Mêler l'Histoire au Fantastique, une recette, justement, pour séduire le lectorat adolescent? Encore une fois je ne travaille pas à partir de "recettes". J'espère que Le mystère de la Tête d'Or rassemblera autant les amateurs de romans historiques que les lecteurs de romans fantastiques. Enfin, si vous deviez citer une oeuvre qui vous a marqué à cet âge, laquelle serait-ce? Etant ado je lisais beaucoup. J'ai eu de nombreux coups de coeur, mais aucune oeuvre ne m'a marquée plus qu'une autre.
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Théâtre
Razerka Ben SADIA LAVANT
Texte Julie Cadilhac/ Photo Crédit-photo: DR / Crédit-illustration et conception: Eric Martin Razerka Ben Sadia-Lavant est metteur en scène. Dès 1999, elle crée la Compagnie Objet Direct. Après avoir monté plusieurs pièces d'auteurs contemporains dont Un garçon sensible et Le Projet H.L.A de Nicolas Fretel, elle crée ensuite L'Homme assis dans le couloir de Marguerite Duras, puis s'est tournée vers Shakespeare et la langue élisabéthaine avec Timon d'Athènes ( 2011) et en 2013 s'attaque à Othello. Après avoir mis des "baskets" au dramaturge anglais et fait jouer Timon d'Athènes par des figures qui s'exprimaient en joutes verbales rythmées par la musique, Razerka Ben Sadia-Lavant imagine "Les amours vulnérables de Desdémone et Othello" librement inspirée de la pièce de Shakespeare et dans laquelle elle souhaite insister sur l'équilibre fragile à maintenir pour l'homme civilisé entre culture et barbarie, montrer que "dans Othello, c'est la différence culturelle du Maure qui révèle l'importance de la culture" et que si l'amour nous élève, il peut aussi nous conduire à la barbarie. Comment a-t-elle conçu cette histoire qu'elle voit fonctionner "comme un thriller" dans lequel Iago " à la façon d'un joueur de poker, (..) parie sur sa virtuosité à miser le destin des autres"? Qui a-telle choisi pour interpréter les mythiques personnages mêlés à cette terrible machination amoureuse? Ici même les réponses pertinentes d'une84artiste engagée. - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
C'est la deuxième fois que vous montez Shakespeare. Après Timon d'Athènes, Othello…qu'est-ce qui vous séduit particulièrement chez ce dramaturge? Ce qui me plaît particulièrement dans ces deux pièces, c'est leur rapport au verbe, à la parole. Dans Timon d'Athènes, Shakespeare fait mourir le personnage principal en le faisant se taire. La mort est donc représentée par la fin de la parole. Symboliquement tant qu’ il y a de la parole, il y a de la civilisation ; c'est le verbe qui crée. A l'inverse, dans Othello, la parole détruit : c'est elle qui va plonger le personnage principal dans la folie et provoquer la destruction de son monde.
Vous aviez monté un Timon d'Athènes version slam? Cela signifie-t-il que vous aimez dépoussiérer les classiques? Dans quelle mesure prenez-vous des libertés avec le texte original? Vous aviez auparavant travaillé sur des textes d'auteurs contemporains essentiellement ; diriezvous que Shakespeare est un des dramaturges classiques les plus modernes qui soient et que c'est pour cela que vous l'avez choisi? Le temps n'a pas d'emprise sur Shakespeare ; on ne peut pas parler de modernité ou de désuétude de cette auteur puisqu'il est universel et intemporel. Je ne pense donc pas qu'il ait besoin d'être dépoussiéré, d'ailleurs je n'aime pas beaucoup cette expression tout comme je déteste les endroits trop propres. Le théâtre de Shakespeare n'est pas un théâtre de produit fini, aseptisé, sous vide; il nous offre simplement la possibilité de nous réintroduire chez lui dans sa propre poussière. J'ai le sentiment, après des années à travailler sur cet auteur, d'être dans un dialogue continuel avec lui. Je ne considère cependant pas son œuvre comme un livre sacré auquel on ne pourrait pas toucher. C'est pourquoi le texte d'Othello est effectivement une réécriture, réalisée en collaboration avec Manuel Piolat Soleymat, mais qui reste proche de la version originale. Ma liberté vient d'une certaine condensation de l'action pour éviter les redites ou les
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descriptions trop précises nécessaires à l'époque de l'écriture de la pièce - à l'image de ce qu'avait aussi fait Orson Welles dans son film. On oublie parfois que le second titre d'Othello est "Le maure de Venise". Dans quelle mesure avez-vous choisi d'insister sur les origines arabes du personnage et pour quelles raisons? Lorsque j'ai décidé de mettre en scène Othello, j'ai tout de suite eu l'envie de remettre l'Orient au centre du projet. La richesse , non seulement de la culture arabe mais aussi de sa langue, me touche par sa beauté mais aussi pour son apport aux arts et aux sciences. Le monde n'est évidemment pas un tout uniforme et s'est d'ailleurs créé à l'origine par la rencontre de deux entités dans le big-bang. L'histoire a ensuite été jalonnée par une succession de cycles de destruction et de lumières. Comme ce fut le cas pour
la Renaissance qui a succédé à l'obscure période de la seconde partie du Moyen-Age ; ce qui contre balance la destruction, c'est la renaissance par la culture et les arts et c'est précisément cela qui m'enchante dans le monde et que je souhaite porter à la scène. L'idée étant de répondre à la question « qu'est-ce qui menace les civilisations ? » Par ailleurs, dans un monde comme le nôtre où la notion de frontière est complexe et en p e r p é t u e l l e évolution, la figure de l étranger ne peut pas se résumer à la couleur de peau ; c'est aussi les codes de langage et de comportement. Que signifie donc aujourd'hui être étranger dans une même ville, en partageant les même lieux publics ? Comment avez-vous choisi votre distribution? Qu'apportent , selon vous, les comédiens que vous avez sélectionné aux personnages incarnés? Le théâtre doit ressembler à ce que je rencontre quand je sors de chez moi
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et ce qui me saute aux yeux, c'est que le monde est composé de gens tous différents. Je considère aussi que le théâtre n'est pas un lieu d'uniformisation mais , qu'au contraire , il doit rendre compte de cette diversité, celle qu'on rencontre sans l'avoir créée. Pour incarner Othello, je cherchais une figure contemporaine du guerrier Maure intégrée à la société vénitienne et mon choix s'est porté sur le rappeur Disiz. Je considère le rap comme l'un des médiums principaux de la revendication. C'est un des endroits où l’on a le courage de prendre à bras le corps la réalité du monde, il y a quelque chose de dynamique, combatif et c'est une réponse créative aux dysfonctionnements, à la manière de la chanson réaliste pour le début du siècle mais avec un rythme d'aujourd'hui. Pour traiter la complexité du personnage de Iago, j'ai souhaité quelqu'un qui pouvait offrir du relief au rôle et éviter l’écueil de la simple fourberie manipulatrice. Othello doit pouvoir donner le bon Dieu sans confession à Iago. Je cherchais donc un comédien alliant virtuosité et poésie et c'est naturellement que j'ai fait appel à Denis Lavant. J'avais aussi une interrogation concernant Emilia, la femme de Iago, dont j'avais du mal à identifier ce qui pouvait la pousser à aimer son mari et à trahir Desdémone , avant de déceler la frustration qui existait chez elle. J'ai donc décidé, en faisant appel à Claire Sermonne, d'en faire un personnage
jeune, beau, à l'inverse des habitudes de traitement du personnage, et qui est enchaîné par Iago à cause de l'amour insatisfait qu'elle porte en elle. Othello est d'abord une histoire d'amour qui finit en tragédie. Comment avezvous choisi de montrer ce basculement d'Othello dans la barbarie? Ce qui fait basculer Othello, c'est la force de la parole, la puissance du verbe développée par Iago, c'est à dire un élément immatériel qui a pourtant une emprise concrète sur les choses. Dans l'idée de remettre la culture maure au centre du projet, j'ai aussi souhaité qu'Othello ressente physiquement ce basculement en jouant sur l'idée de transe que l'on peut retrouver chez les Gnaouas par exemple. Vous affirmez vouloir faire de Desdémone une héroïne tragique et pas une simple victime : comment cela se concrétise sur le plateau? La notion de victime n'est pour moi pas associée à Desdémone. C'est une femme qui s'inscrit dans un parcours qui devient tragique par le complot de Iago. Desdémone n'est pas Iphigénie, ce n est pas son essence d'être une victime, elle ne possède aucun caractère sacrificiel. Elle n’ est pas née victime, elle le devient en luttant jusqu'au bout pour ce en quoi elle croit et en ça, elle est une héroïne tragique.
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Dans votre mise en scène, vous Après avoir passé plusieurs mois en ajoutez de la musique et de la danse: compagnie de cette pièce, quelle(s) à des fins purement esthétiques? leçon(s) en retenez-vous? Que Je considère l'Art, ou les arts, comme souhaitait faire comprendre une palette de couleur et je n'ai pas Shakespeare selon vous? envie d'en restreindre ma gamme. Si je Leçons??? Shakespeare n'est pas l'utilise entièrement, c'est non moraliste. Il interroge, il met en scène seulement dans un but esthétique mais ce qu'il ne comprend pas, ce qui aussi pour raconter l'indigne, ce qui lui quelque chose. Il y échappe. Si cela Les Dates a, par exemple, un nous parle, cela moment de danse devait très Les 12,13 et 14 mars au Théâtre de qui représente la probablement lui Nîmes ( Création) tempête qui sévit parler à lui. Les 19,20 et 21 mars à la Scène pendant le voyage Je pense que si Nationale de Sète et du Bassin de vers Chypre; dans Shakespeare avait Thau ce cas, le recours à cherché à donner Les 26 et 27 mars au Théâtre Liberté une autre discipline des réponses aux à Toulon me permet de problématiques qu'il Les 9 et 10 avril à l'Espace des Arts à f i g u r e r pose, elles seraient Chalon-sur-Saône esthétiquement a u j o u r d ' h u i l'agitation de la Le 12 avril à La Ferme des Bel Ebat à dépassées. Guyancourt mer mais c'est aussi, La question du par la pulsion des Le 16 avril au Théâtre de l'Archipel - r a c i s m e , par Scène Nationale de Perpignan corps, le signe exemple, n'est en annonciateur de p a r t i e qu'une Du 14 au 29 septembre : reprise au ce qui va se passer projection de notre Théâtre Nanterre-Amandiers chez Othello. L'idée part dans le texte de est toujours de Shakespeare croiser les énergies puisqu'il était pour mettre en relief, en avant , d'usage que la République de Venise d'autres facettes du texte: la musique fasse appel à des généraux étrangers également et plus précisément le oud pour gouverner ses lointaines contrées. peuvent être des éléments signifiants S i l ' o n d e v a i t t o u t e f o i s t i re r u n très forts. Ils participent à la poésie du enseignement du travail de spectacle et donc à cette mise en Shakespeare, cela pourrait être que avant de la beauté du monde. pour pouvoir raconter, il faut observer en profondeur.
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La scénographie et les costumes insistent-ils eux aussi sur la présence de deux mondes qui s'aiment ou s'affrontent , c'est à dire l'Occident et l'Orient? Comment et pourquoi ce choix? Je le répète c'est notre interprétation actuelle qui place cette pièce au centre d'un clivage Orient Occident. Hormis, Iago, qui, en plus d'être raciste, est aussi e t s u r t o u t m i s o g y n e , c e c l i v a g e n’apparaît pas ou peu. Certes, l'enseigne d ' O t h e l l o c h e rc h e à a g i t e r c e t t e différence pour retourner les gens contre Othello mais mis à part le père de Desdémone, qui est surtout un père trompé, il n'arrive pas à s'appuyer sur cette différence pour mettre en place sa stratégie machiavélique. Il y a un conflit dans la pièce entre Venise et l'empire ottoman, mais pour ce qui est d'Othello
vis à vis de Venise, nous sommes en présence de deux mondes qui cohabitent. C'est un aspect du texte que l'on peut retrouver dans la scénographie qui évolue pour l'arrivée dans l'orient mais sans se transformer complètement. De même, les costumes sont un alliage d'éléments qui appartiennent à l'un et l'autre monde et sont constitutifs de l'identité des personnages.
L’actualité du théâtre sur le bscnews.fr
Retrouvez chaque semaine sur le bscnews.fr 89 - BSC NEWS FÉVRIER 2013 de comédiens, des chroniques deMAGAZINE pièces,- N° 55 des- interviews de metteurs en scène et de nombreuses personnalités du théâtre.
Une romance contemporaine CHRONIQUE PAR MÉLINA HOFFMANN / Photo DR
« Trois jours plus tard Objet : La pause est finie ! Chère Emmi, nous avons fait une pause de trois jours sans mails. Je trouve que nous pourrions nous y remettre. Je vous souhaite une bonne journée de travail. Je pense beaucoup à vous, le matin, le midi, le soir, la nuit, entre-temps, à chaque fois un peu avant et un peu après – et aussi pendant. Je vous embrasse, Leo. » Une adresse mail mal recopiée, un courrier adressé à un mauvais destinataire, et voilà comment ce qui aurait dû n’être qu’un banal courrier administratif se transforme en point de départ d’une interminable correspondance entre un homme et une femme dont les chemins n’avaient – à priori – aucune raison de se croiser. Leo Leike et Emmi Rothner ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais vus et ne savent absolument rien l’un de l’autre. Deux parfaits étrangers en somme. Pourtant, un jour de janvier, c’est dans la
boîte mail de Leo qu’arrive par erreur un mail d’Emmi demandant la résiliation de son abonnement à un magazine. Un mail auquel Leo décide de répondre pour avertir la jeune femme de sa mégarde. Tout aurait pu s’arrêter là. Mais il n’y a pas de hasard dit-on… Ainsi, de trait d’humour en douce provocation, les mails se succèdent, se rapprochent, se bousculent ; Emmi et Leo tentent de se deviner sans rien se révéler de leurs vies respectives ; les mots valsent, se taquinent, se fuient, se rattrapent, s’enlacent, s’agrippent, s’écorchent... Le jeu de séduction s’installe, le lien se crée. Les « Cordialement » deviennent des « bises », qui se changent peu à peu en « je vous embrasse », puis en « je vous embrasse très fort », de même que la signature de la jeune femme - E.Rothner se mue en Emmi Rothner, avant de devenir Emmi, puis ‘votre Emmi’. « Je n’arrive pas à dormir. Vous ai-je déjà parlé du vent du nord ? Je ne le supporte pas quand ma fenêtre est ouverte.
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J’aimerais bien que vous m’écriviez encore quelques mots. Juste « fermez la fenêtre alors ». Et je pourrai vous rétorquer : je n’arrive pas à dormir avec la fenêtre fermée. » L’étreinte se resserre entre ces deux êtres dont ni les corps ni même les regards ne se sont jamais rencontrés ; le plaisir de mails échangés se fait besoin, la dépendance s’installe, puis se pose naturellement la question de la rencontre, et cette crainte de rompre ce que ce lien a d’impalpable. Ils se lancent alors un défi : se donner rendez-vous dans un café bondé, et se reconnaître, sans savoir à quoi ressemble l’autre, et avec l’interdiction de s’aborder. Mais y sont-ils vraiment prêts ? Sauront-ils se retrouver audelà des mots ? Existe-t-il une place pour eux quelque part, ailleurs que dans cet espace virtuel ? Didier Glattauer nous offre une romance contemporaine diablement efficace que l’on dévore d’une traite ! Une histoire originale, tendre, pleine de fraîcheur ; des répliques pétillantes, piquantes ; des personnages auxquels on s’identifie sans mal et qui nous offrent le délicieux spectacle des premiers temps de l’amour, de ses craintes, ses hésitations, ses impatiences, ses angoisses, ses impossibilités aussi parfois. Au fil des pages, on se laisse envelopper dans une sorte de cocon douillet, une bulle de douceur qui nous fait oublier tout ce qui se passe autour, et on se sent immédiatement devenir - nous aussi !- accros à ces mails, à leur ton taquin et passionné, à la magie de cet amour épistolaire à priori complètement improbable et pourtant crédible. « Emmi, vous me hantez. Vous me manquez. J’ai le mal de vous. Je lis vos mails plusieurs fois par jour. Votre Leo. »
On lit le sourire aux lèvres, on a le cœur qui se serre un peu parfois, on devine l’angoisse, on devient Emmi, ou Leo, et on savoure chaque nouveau mail comme s’il nous était adressé. Et puis on guette notre boîte mail, au cas où… Un livre drôle, rythmé, tendre, dont on a beaucoup de mal à se défaire. Mais heureusement, Léo et Emmi n'ont pas dit leur dernier mot. La Septième vague les guette...
➤ Quand souffle le vent
du nord
Daniel Glattauer Editions Le livre de poche
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Le chef-d’oeuvre d’un génie littéraire CHRONIQUE PAR MÉLINA HOFFMANN / Photo DR
« Je suis les faubourgs d'une ville qui n'existe pas, le commentaire prolixe d'un livre que nul n'a jamais écrit. Je ne suis personne, personne. Je ne sais ni sentir, ni penser, ni vouloir. Je suis le personnage d'un roman qui reste à écrire, et je flotte, aérien, dispersé sans avoir été, parmi les rêves d'un être qui n'a pas su m'achever. » Voilà un livre qui coupe le souffle, un ovni littéraire qui nous chahute avec douceur et violence tout à la fois, sans plus quitter notre quotidien. Et on se demande pourquoi on ne l’a pas eu entre les mains avant. Avant tous les autres, avant aujourd’hui, avant le reste aussi. Encore faut-il être prêt à ingérer ces quelques 600 pages de prose agonisante et désordonnée, et à plonger dans les tréfonds de l’âme humaine, là où git l’être dans sa nudité la plus absolue, là où l’on évite généralement de s’aventurer. Mais il suffit d’y prêter un œil pour être littéralement ensorcelé par ce qui se dégage de grandiose et de fascinant de l’œuvre posthume de ce célèbre poète portugais du XXème siècle. Ce livre est en réalité le journal qu’a tenu Fernando Pessoa tout au long de sa vie
sous l’identité d’un modeste employé de bureau de Lisbonne, Bernardo Soares, l’un de ses nombreux homonymes. Il y impose une langue et un style singuliers, ne respectant aucun cadre, aucune structure, et transcrivant de manière complètement brute et décousue les tourments qui l’habitent, ses réflexions sur la vie, l’humain, l’amour, l’Art... La prose de Fernando Pessoa a ceci d’extraordinaire qu’elle dépeint les choses, les êtres, la vie en général, avec une lucidité étourdissante. La réalité semble littéralement habiter ses mots ; les impressions et les sensations se dessinent sous sa plume tels des paysages. Une conscience exacerbée qui lui rend l’existence presque insoutenable. « Qui donc me sauvera d'exister ? Je gis ma vie. »
On se surprend pourtant, parfois, à lui envier cette lucidité tant elle semble par ailleurs le libérer de quelque chose. Un quelque chose qui pourrait ressembler à l’espoir, finalement...
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Avec une humilité désarmante et même une indifférence avouée à son égard, il nous livre ses angoisses les plus profondes, sa vision sombre du monde, son dégoût des hommes, son ennui face aux sensations et aux émotions, sa douleur d’exister. Fernando Pessoa assume sa vie comme une perpétuelle errance, une inconsistance à laquelle seul l’Art peut donner un sens, et porte en lui une profonde tristesse qui donne à toutes choses un goût prématuré de nostalgie, une douce amertume. Cette intranquillité qui l’habite nous gagne également un peu plus à chaque page, et pourtant, il émane de toute cette grisaille de l’âme quelque chose de lumineux, de réconfortant. La plume de Pessoa est à ce point gorgée de poésie que même les mots les plus douloureux ressemblent à des caresses, et qu’une fois la lecture terminée, on y revient sans cesse puiser ça et là un peu de cette douceur. « Un froid angoissé pose ses mains glacées autour de mon pauvre coeur. Les heures grises s'étirent, s'interminabilisent dans le temps ; les instants se traînent. » Passionné, pessimiste, affamé d’une affection qu’il n’a jamais reçue, celui dont le nom signifie ‘personne’ en portugais – ça ne s’invente pas ! - se considère comme n’étant fait que d’inachevé et de renoncements, rêvant de disparaître, non pas au sens de mourir, mais au sens métaphysique de ‘non-exister’. A mi-chemin entre le rêve éveillé et la folie, Pessoa touche du doigt l’impalpable, traduit en mots des sensations à la lisière de l’indicible. Il cherche à se vivre pleinement autant qu’à se fuir. Cette impossibilité le plonge dans une réelle incapacité à vivre et l’amène à privilégier le rêve et l’espace confortable de sa liberté intérieure.
« Vis ta vie. Ne soit pas vécu par elle. Dans la vérité et dans l'erreur, dans le plaisir et dans le dégoût de vivre, soit ton être véritable. Tu n'y parviendras qu'en rêvant, parce que ta vie réelle, ta vie humaine, c'est celle qui, loin de t'appartenir, appartient aux autres. Tu remplaceras donc la vie par le rêve, et ne te soucieras que de rêver à la perfection. Dans aucun des actes de la vie réelle, depuis celui de naître jusqu'à celui de mourir, tu n'agis vraiment : tu es agi ; tu ne vis pas : tu es seulement vécu. » Ce livre est le chef-d’œuvre d’un génie littéraire, rien de moins. On ne se remet pas complètement d’une telle lecture et des questionnements philosophiques et métaphysiques qu’elle pose. On y laisse un bout de soi, on en ressort transcendé, habité par quelque chose de nouveau. « Je voudrais que la lecture de ce livre vous laisse l'impression d'avoir traversé un cauchemar voluptueux. » Fernando Pessoa n’aurait pas pu mieux s’y prendre ! Aucun cauchemar n’a jamais été aussi doux, et aucun réveil n’a jamais donné à ce point l’envie de se rendormir.
➤ Le livre de l’intranquilité
Fernando Pessoa
Editions Christian Bourgois
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DU CÔTÉ DE SAINT MALO... BANDE DESSINÉE PAR JULIE CADILHAC
Cézembre est une histoire librement inspirée des événements historiques qui se sont déroulés pendant la bataille de la libération de Saint-Malo en août 1944. Hommage à tous ceux qui ont décidé de résister et de se battre pour la liberté et hommage graphique à cette belle ville bretonne, elle est déjà par le choix de ses thèmes toute destinée à nous séduire. Basée sur l'île de Cézembre, l'armée allemande tente de repousser la progression des troupes américaines. Ewan, Corentin, Théo et Marie ont très envie de participer à la Résistance et c'est au travers de leur destinée que l'auteur a choisi de raconter cet épisode historique. La première partie de ce diptyque est riche en rebondissements et l'idée de parler de l'Histoire par l'intermédiaire des petites
histoires personnelles des personnages , si elle n'est pas originale reste efficace. Le début pourra être ,pour certains, un peu poussif avec la présence d'une narration en deux langues ( français-allemand) mais plaira aux amateurs d'Histoire pour les nombreux détails et anecdotes qui y sont semés. Une fiction au coeur de la tourmente de la seconde guerre mondiale à découvrir!
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Titre: Cézembre Première partie Editions: Aire Libre Auteur: Nicolas Malfin
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SUCCOMBEZ À BEAUTÉ ! BANDE DESSINÉE PAR JULIE CADILHAC
Morue n'est pas une jolie jeune fille, ce n'est rien de le dire, et son odeur est peu ragoûtante. Un jour , cependant, une fée lui accorde la beauté. Un présent extraordinaire qui va vite se révéler un cadeau empoisonné car, si son incroyable beauté fait de Morue une princesse adulée de la gent masculine, elle déclenche des pulsions de jalousie meurtrières fort préoccupantes auprès des femmes et des amoureux délaissés; Morue devient de surcroît un trophée qui excite les chasseurs les plus rustres. Un anti-conte de fée d'une grande drôlerie qui utilise les clichés du
genre pour mieux les malmener. Morue est capricieuse, légère, peu finaude et tous ses agissements ne sont pas sans conséquences sanglantes…le lecteur est le seul à avoir l'exquise chance de voir le vrai visage de la princesse; toutefois cette imposture cocasse joue même des tours aux lecteurs puisque les personnages ne sont pas si simplistes que dans les contes et déroutent souvent les hypothèses de lecture. Côté graphisme, le découpage assez serré et le style assez naïf,assortis d'un trait fin et de couleurs constituées d'aplats et teintes pures, vont vous séduire également! A découvrir absolument! Titre de la série: Beauté Tome 1: Désirs exaucés Tome 2: La reine indécise Edtions: Dupuis Dessin: Kerascoët Scénario: Hubert
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SPÉCIAL ANGOULÊME
par Julie cadilhac
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Au bonheur des planches 2013 fêtait les 40 ans du Festival d'Angoulême et son succès grandissant est ô combien révélateur de l'importance que prend le 9ème Art dans la culture aujourd'hui. Il faut reconnaître qu'il existe une atmosphère dans la ville charentaise comme on n'en trouve peu ailleurs. Un flot continu et souriant de lecteurs se déplace de place en place pour décrocher la dédicace d'un auteur chéri ( 150 éditeurs étaient présents) , assister à un concert dessiné, une projection, une rencontre internationale ou découvrir l'une des nombreuses expositions proposées. Voilà bien le dilemme à Angoulême: il est impossible
de tout faire en 4 jours et l'on repart, l'esprit bouillonnant de traits de crayon enthousiasmants et de phylactères farceurs, un peu frustré tout de même. Cette année, Albert Uderzo et Leiji Matsumoto ( créateur d'Albator et Galaxy Express 999) se sont partagés la vedette lors des rencontres internationales. Outre la qualité des propositions, on soulignera aussi que l'accueil chaleureux des habitants est "un plus" incontestable et qu'on n'insistera jamais assez sur le fait que la ville d'Angoulême, sa localisation qui oblige les festivaliers à rester plusieurs jours au même endroit et à partager un moment aussi culturel que festif, est un des secrets - nous semble-til- de son succès.
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Parlons Fauve
Fauves de l'année - si vous étiez passés à côté!
C'est le dessinateur satirique néerlandais Willem qui succédera à Jean-Claude Denis à la présidence. Le premier Grand Prix du Festival avait été accordé à André Franquin en 1974; avaient suivi, pour ne citer que quelques noms, Will Eisner, Reiser, Moebius, Jacques Tardi, Enki Bilal, Marcel Gotlib, André Juillard, Robert Crumb, Zep, Georges Wolinski ou encore Art Spiegelman. Un choix très controversé par les réseaux sociaux passionnés de bds mais qui est le premier à être le résultat d'un vote démocratique puisque tous les auteurs accrédités au festival avaient le droit d'y participer. Ci-dessous la liste des
Fauve d’or du Meilleur album: Quai d’Orsay Chroniques diplomatiques, T2 (Dargaud) de Christophe Blain et Abel Lanzac. Prix spécial du 40e Festival: Akira Toriyama (Japon) Prix spécial du jury: Le Nao de Brown (Akileos) de Glyn Dillon Prix de la Série: Aâma, T2 (Gallimard) de Frederik Peeters. Prix Révélation: Automne (Nobrow) de Jon McNaught Prix du Patrimoine: Krazy Kat. 1925-1929 (Les Rêveurs) de George Herriman (décédé en 1944).
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Prix du Public Cultura: Tu mourras moins bête, T2 (Ankama) de Marion Montaigne Fauve du Polar SNCF: Castilla Drive (Actes Sud/L’An 2) d’Anthony Pastor Fauve Jeunesse: Les Légendaires Origines, T1 (Delcourt) de Sobral et Nadou. Uderzo in extenso Couronné en 1999 par le prix du Millénaire, Albert Uderzo est revenu à Angoulême pour une exposition rétrospective à la Cité de la BD et la projection en avant-première d'un documentaire de Laurent Boyer sur l'un des plus grands portraitistes de notre identité nationale, le géniteur des
bouilles d'Astérix et obélix mais également de très nombreux personnages comme Jehan Pistolet, Tanguy, Laverdure ou encore OumpahPa h . Av e c R e n é G o s c i n n y, i l s remportent haut la main le record mondial du nombre d'albums vendus: 350 millions! Traduites dans plus de 115 langues, les aventures du seul village gaulois résistant encore à l'envahisseur romain ont séduit les enfants aussi bien que les parents. Albert Uderzo, ce pur autodidacte daltonien, ce stakhanoviste de la planche capable à une époque d'en produire cinq par semaine, est admiré d'abord par ses pairs pour sa capacité à exprimer le mouvement et à mettre
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104 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013 Photos réalisées à La Cité de la BD - Exposition: Uderzo in Extenso
de la vie dans ses dessins. Lors de la rencontre internationale, l'émotion dans la salle était palpable et les rires fusaient souvent aux réflexions de ce Grand Monsieur au caractère bien trempé qui rencontra Goscinny à 25 ans et contribua notamment à faire reconnaître deux métiers qui n'existaient ( celui de scénariste et celui de dessinateur). "Celui qui voulait être mécanicien" y exprime son admiration pour Franquin et son "style rond", avoue qu'il signait Al Uderzo " pour faire comme les américains"; lorsqu'on évoque la présence de visages caricaturés de Lino Ventura, Goscinny lui-même, Laurel et Hardy, Guy Lux, Raimu, Pagnol, Sean Connery, Kirk Douglas dans Astérix, il répond simplement que "quand on est dessinateur, on aime caricaturer les gens qu'on connaît". Celui "qui aimait toute la bande-dessinée américaine" a donné une explication modeste au succès de la série: " Le succès est créé par les lecteurs". Le 24 octobre 2013 paraîtra un nouvel album d'Astérix et Obélix; le scénario et les dessins seront respectivement signés de Jean-Yves Ferry et Didier Conrad. Albert Uderzo a choisi de ne pas faire "mourir" les deux espiègles et courageux gaulois qui lui ont offert une renommée mondiale et il passe le flambeau avec sagesse et générosité pour ses lecteurs. Le saviez-vous? Idéfix n'était, au départ pas amené à être un personnage de premier plan. Goscinny avait demandé à Uderzo de
dessiner un petit chien devant une échoppe à Lutèce et Uderzo a demandé s'il pouvait faire suivre le chien sur le chemin du retour qui les ramenait au village. Ce sont les courriers nombreux des lecteurs réclamant ce chien qui ont convaincu les deux auteurs de lui donner par la suite le rôle que l'on connaît. Uderzo explique qu'ils n'en avaient pas très envie au départ car ils ne voulaient imiter Hergé avec Tintin et Milou. Le nom d'Idéfix est une invention des lecteurs. Obélix est une invention du seul Uderzo. En effet, le dessinateur avait l'habitude de croquer des héros costauds. G o s c i n n y souhaitait pour son héros principal petit , malingre et débrouillard. Uderzo, têtu, a dessiné aux côtés d'Astérix un bonhomme rondouillard qui portait un menhir. Et Goscinny a aimé ce pendant rêveur. L'album préféré d'Uderzo est celui d'Astérix chez les Bretons car "Goscinny qui maîtrisait très bien l'anglais a donné aux dialogues en français des constructions anglaises. C'est très drôle".
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Angoulême
GUY DELISLE
BANDE DESSINÉE
PAR JULIE CADILHAC - PHOTO OLIVIER ROLLER - DESSIN-PORTRAIT par ARNAUD TAERON Guy Delisle est un auteur de bandedessinée d'origine québécoise qui vit aujourd'hui à Montpellier. L'an dernier, ses Chroniques de Jérusalem (qui relate l'année 2008-2009 passée en Israël aux côtés de son épouse expatriée de Médecins sans frontière) ont été récompensées par le Prix du Meilleur Album au Festival d'Angoulême. Après avoir publié plusieurs albums sur ses expériences à l'étranger et habitué des récits puisant dans son vécu, il vient de publier Le Guide du mauvais père : une série d'histoires courtes humoristiques sur la difficulté d'élever des enfants. Une façon de déculpabiliser les géniteurs et de rire de bon coeur de tous les ratés qu'ils ne manquent pas de commettre! Nous avons rencontré Guy Delisle lors du festival
d’Angoulême alors que l'effervescence des amoureux de la bd bruissait sous toutes les bulles dressées pour l'occasion, que la pluie avait pris soin de balayer les efforts du matin pour être présentable, que l'enregistreur-audio ne s'allumait pas et qu'une suite de conséquences déstabilisantes ont failli faire péricliter l'interview…. mais que ne ferait-on pas pour vous lecteurs?!!
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Dans votre parcours, le croquis a précédé la bd: l'envie d'ajouter des mots aux dessins est -elle née d'une impuissance du dessin seul pour exprimer certaines situations? Ce sont deux travaux différents; quand je suis sur du croquis, je dessine librement. Dans le cas de mes Chroniques, j'avais déjà à l'esprit d'en faire une bande dessinée donc je prenais aussi des notes chez moi le soir. Je travaille toujours à partir de mes notes pour élaborer mes bds. Vous dites que vous êtes un fan de la bd franco-belge: qu'aimez- vous en particulier chez Morris et Goscinny par exemple? Je me sens le descendant direct de la bd franco-belge; j'adore le trait de Morris, c'est vrai. Cela m'a
influencé dans mon trait et plein d'autres choses que j'ai lues également mais le cinéma, les séries-télé , la littérature m'ont influencé aussi. Lisiez- vous de la "bd témoignage" lorsque vous avez commencé à en faire? Je lisais parfois les gens qui publiaient dans la maison d'éditions "L'Association" et qui en faisaient un peu mais en histoires courtes mais je n'avais jamais lu Joe Sacco par exemple. Le seul exemple autobiographique qui était présent à mon esprit, c'était Gotlib que j'avais lu jeune. Et si! Il y avait Maus que je connaissais bien. Comment expliqueriez - vous aujourd'hui ce succès du journal
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de bord dessiné - entre journal intime et reportage? - je crois que c'est global en fait. Depuis 15-20 ans, la bd est allée narrativement vers des sphères qu'elle n'abordait pas avant: L'autobiographie, la poésie aussi ( chez POL on en trouve par exemple).
Non. C'est vrai que parfois ils ont des phrases très mignonnes et j'en avais commencé à en compiler une ou deux mais je ne suis pas allé au delà. C'est parti de quelque chose d'autobiographique mais en tricotant un peu dessus parce qu'évidemment, il y a beaucoup de fiction dedans.
Avec le Guide du Mauvais père, vous revenez à une bd aux thèmes plus légers : est - ce un besoin de respirer? Oui, parce que j'avais fait un gros album avant et que je savais que j'aurai un gros projet après. Comme j'avais beaucoup de sollicitations cette année, je me suis dit que je n'allais faire que des histoires courtes. Je n'avais pas prévu celle- là en particulier mais les premières planches que j'ai mises sur mon blog ont eu de bons retours et du coup, je suis parti sur c e g u i d e d u m a u va i s p è r e . L'éditeur m'a dit qu'on pourrait peut être mettre ça sous forme de bouquin et ça s'est fait ainsi.
C'est presque anti-pédagogique ... Oui, c'est plein d'humour. C'est un ressort que j'utilise toujours , meme quand j'évoque des choses sérieuses.
Est-ce aussi un moyen de conserver les réflexions précieuses de vos enfants? 111 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
Après le guide du mauvais père, allez-vous poursuivre votre chronique amusée des travers de la paternité ou pourrait-on découvrir Un Guide du mauvais fils ou du mauvais mari par exemple? Il y aura un deuxième Guide du mauvais père. Je ne sais pas s'il y en aura plus et si je trouverais matière à inventer d'autres histoires. Est-ce une question que vous vous posez souvent: suis-je un bon père? - Non, je me pose pas la question souvent; je ne me considère pas pire qu'un autre en fait. C'est vrai qu'on n'est pas toujours à la hauteur ; je suis moins patient que j'aimerais l'être mais après il y a le quotidien etc. qui fait qu'on fait comme on peut. Ce titre, c'était une sorte de blague... Oui voilà... Quand on est parents, on lit du Dolto etc.. Des guides pour gérer tout ça et du coup, c'est un peu venu de là.
Avez-vous imaginé un modèle de père idéal ? Non , je n'ai pas érigé de modèle idéal. Ce sont les enfants qui nous apprennent à être père, à répondre à leurs besoins et à leurs sempiternels questionnements et exigences. C'est beaucoup eux qui nous montrent le chemin. Après, on n'est plus les mêmes pères que la generation d'avant, je suis très câlin avec mes enfants , par exemple, alors que la génération de mon père était globalement plus pudique. Je trouve ça bien que ça se soit ouvert de ce côté- là au niveau des pères. J'ai l'impression que je serai plus près de mon fils que la génération au-dessus de moi. Quelles satisfactions avez- vous ressenti en écrivant ce guide-là? En l'écrivant , c'était vraiment un exutoire. Je dessinais des choses qu'il ne faut surtout pas faire dans la vie. Dans Le Guide du mauvais père, je parle à ma fille comme si je m'adressais à une adulte par exemple et c'est assez amusant de casser le mythe; ça fait du bien de
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le faire sur le papier quand ça reste du domaine de la fiction. Quelle est votre recette pour faire rire? Le rire, ça dépend de tellement de choses, du rythme, du contexte…. Ce que je peux dire , c'est que j'ai particulièrement ri sur ces petites histoires....je me disais moi le premier:" il me semble que c'est drôle…."
J'ai eu beaucoup de retours de pères . Il y a une certaine complicité qui se fait avec les papas qui disent : "ah…moi aussi, j'ai oublié le sou sous l'oreiller! " Enfin, si vous deviez imaginer un guide du mauvais auteur… qu'y trouverait -on? Je ne sais pas si ça plairait à l'éditeur ça ! ( Rires).
Vous avez déjà rencontré des lecteurs de ce Guide : quel serait ou a été la réflexion idéale d'un de vos lecteurs?
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Angoulême
Marc-Antoine Mathieu : Voyage au bout de la mise en abyme BANDE DESSINÉE PAR JULIE CADILHAC - PHOTO OLIVIER ROLLER
" Récapitulons... Nous sommes donc nulle part, sans espace, sans temps...et sans histoire. " Même si Marc-Antoine Mathieu l'a depuis longtemps prouvé, ce Décalage vient c o n fi r m e r e n c o r e s e s q u a l i t é s scénaristiques et graphiques: sa maîtrise du dialogue d'abord - finement ciselé et feu d'artifice constant de prouesses sémantiques que provoque un verbe talentueux ; son trait singulier et saillant ensuite,admirablement colorisé d'aplats noir et blanc à l'esthétique attirante ; son incroyable capacité à imaginer des situations aussi loufoques qu'absurdes au
travers desquelles il porte une réflexion philosophique et littéraire passionnante; et enfin cette capacité à surprendre le lecteur ,en passe de devenir une marque de fabrique, une des caractéristiques intrinsèques de son art. Ainsi oui ! cette nouvelle aventure de Julius Corentin Acquefacques mérite un tonnerre d'applaudissements. Délicieusement déjanté, bougrement spirituel et sacrément drôle , Le décalage offre aux lecteurs l'occasion d'une balade atypique et enthousiasmante au cœur du néant que provoque " peut être " ou " peut-être pas" le manque d'inspiration. Noyés au milieu d'une page qui ne veut pas s'écrire,
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paralysés par la disparition inexpliquée du héros principal, quatre personnages en quête de leur héros errent dans le néant d'une histoire qui ne s'écrit plus ou du moins qui prend des tournures fort étranges. Sans héros, les quatre compères semblent penser qu'ils se noient dans l'incommensurable oubli …mais la vie, joueuse et créatrice de rêves éveillés, leur prouvera que l'histoire ne manque de ressorts même lorsqu'elle stagne dans un immobilisme inquiétant et paralysant : une démonstration périlleuse dans laquelle le risque était grand de s'enliser mais que r é u s s i t l ' a u t e u r. M a r c Antoine Mathieu a l'art du décalage métaphysique, des contrepèteries jubilatoires et des grands riens qui sont tout, CQFD. Oui, vous allez le voir : même lorsque l'histoire s'enfonce sous des tonnes de sable et laisse place à un néant profond, elle reste tout de même une histoire! Indécrottable, elle demeure. Même une histoire sur rien du tout, paradoxalement c'est encore une histoire. Voilà peut être l'une des premières démonstrations que souhaite nous faire le génial Marc-Antoine Mathieu : même si , de surcroît pour ses
protagonistes, l'histoire ne vaut rien, au final tous réalisent que rien ne vaut l'histoire et ils s'obstinent, page après page, à rattraper les vignettes, à retrouver la case qui les ramènera dans une fiction confortable au scénario moins chamboulé spatio-temporellement. Oui, même lorsqu'elle repose sur le rien , ces petits riens forment un tout dont on ne pourra dire dire que du bien! A d é c o u v r i r absolument! Une bd qui incite à enfourcher son lit et à s'envoler pour le p ay s d é m e n t d e l'imagination!
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Titre: Le décalage Auteur : Marc Antoine Mathieu Éditions: Delcourt Parution: mars 2013
Angoulême
DAVID BRÜLART
Texte Julie Cadilhac/ Photo © Nathaniel Baruch/ Illustration Arnoo
On ne le dira jamais assez : Angoulême est l'occasion de belles rencontres. Sur un stand du Nouveau Monde, nous avons rencontré Stéphane Bovon, fondateur des éditions Castagniééé en 2001 et des éditions Hélice Hélas en 2012, et un des auteurs d'Hélice Hélas, David Brühlart (artiste plasticien également). Coup de coeur pour ces deux autochtones suisses dont nous avions très envie de vous faire partager l'univers!
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vignes en Suisse, fondée par Rosinski.
En quelques lignes, de la même façon que vous présentez votre narrateur libraire, et si vous vous présentiez à nos lecteurs….? Je m'appelle David Brülhart. Je viens de Suisse. Je suis principalement artiste plasticien; j'ai exposé en Suisse, à Paris ou encore à Rome. Je pratique la gravure depuis une dizaine d'années et me suis spécialisé dans la gravure sur plexiglas. Mais je crois que chaque histoire a un support qui sera un écrin pour elle. Et pour Corps Carbone, il fallait plonger dans l'aventure de l'édition. Ce qui correspondait aussi à un retour à mes études dans une école de bande dessinée, perdue dans les
Quelle est la genèse de Corps Carbone? Sa forme très singulière semble être née d'un projet très personnel, très intime... J'ai eu la chance d'obtenir une résidence artistique à la Cité des Arts de Paris pendant une année ce qui m'a permis de développer le livre. Je travaille dans un système assez chaotique, où à partir d'un synopsis, je produis les images qui me plaisent, comme un puzzle narratif. Petit à petit, j'ai voulu que la narration se passe dans l'esprit du narrateur, Victor. Comme une évasion qui conjugueraient la rencontre amoureuse et des petits billets réflexifs. La maladie de ma mère a effectivement changé également le squelette narratif. Je désirais un livre plus intime, un livre où quelques clins d'oeil seraient pour elle. Une couverture blanche, de nombreuses pages dans lesquelles se perdre ( ou se retrouver…?), une histoire qui rend hommage aux livres imaginée par un fou de livres? J'ai été moi-même libraire et nous avons fait faillite à l'arrivée de
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promotion de Corps Carbone. Actuellement je dirais que je ferais bien un bain dans l'écriture de Marguerite Duras, surtout les livres qui parlent de liberté, d'Asie, de découverte de la sensualité que ce soit "Barrage contre le pacifique" ou "l'amant. Oui, un livre où le climat est lourd et humide.
la FNAC dans la région. En Suisse, les libraires ne sont pas protégés par le prix unique du livre. Ce goût du livre, je suis évidemment tombé dedans quand j'étais petit. La sensualité de l'atelier a ajouté encore l'envie d'un hommage au p a p i e r. D a n s c e s t e m p s menaçants pour le livre, j'ai eu envie d'écrire une lettre d'amour à ce support qui m'a tant aidé, fait voyager, révélé à moi-même. Si vous deviez citer des romans dans lesquels vous aimeriez prendre des bains de papier, lesquels serait-ce ? Sans doute la plus jolie question que l'on m'ait posée pour la
Tous les sens sont mis en éveil dans ce texte…un reflet de votre façon d'appréhender le monde? Je pense que la sensualité est un langue à part entière. L'atelier de gravure suinte également un certain érotisme. Je suis un auteur de terrain, qui aime les odeurs et les textures. A quel point ce roman graphique est autobiographique? On dit souvent que dans un premier livre, on a envie de tout mettre de soi. Je pensais éviter ce piège, mais lorsque le livre fut imprimé, je me suis rendu compte que Victor c'était moi. Les personnages nous apprennent encore des choses sur nous après que le livre soit édité.
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Si vous deviez en deux adjectifs qualifier ce héros silencieux qu'est Victor, lesquels choisiriez-vous? Esseulé et vibrant.
Corps Carbone Editions: Hélice Hélas Disponible sur Amazon et dans les librairies spécialisées.
Votre style très poétique est le reflet d'une âme rêveuse, souvent mélancolique, curieuse du monde…? Les natures solaires ont souvent des créations plus lunaires et mélancoliques. J'aime les gens et la lumière mais il y a toujours un moment où la mélancolie me rattrape. C'est un sentiment que j'aime cultiver. Un moteur et un apaisement à la fois dans la création. C'est votre premier livre édité? On vous a rencontré à Angoulême…où pourra-t-on vous c r o i s e r p r o c h a i n e m e n t e n signature? Oui, c'est le premier livre. Angoulême fut merveilleux pour moi, comme un rêve. Ce badge "auteur" je l'attendais. Je serai au prochain salon du livre de Genève. Enfin, un nouvel ouvrage en projet? Oui, un roman graphique très éloigné du premier, autour d'un serial killer et de son obsession pour le magicien d'OZ. Ce sera un road trip dans les années 50 toujours en gravures sur plexiglas. 121 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
OReiller de chair fraîche BANDE DESSINÉE PAR JULIE CADILHAC
Oreiller de chair fraîche est aussi attirant que déroutant : ouvrant sa fiction au milieu des building new-yorkais, elle narre sous forme d' analepses, l'histoire d'un peintre décati - mais encore vert quand il s'agit des femmes -venu raconter sa vie sur un plateau de tournage. Décidé dans sa jeunesse à vaincre le monde avec " une peinture couillue", après s'être heurté à l'incompréhension des provinciaux, sa déception est encore plus grande lorsqu'il tente de conquérir la capitale. Traversant l'Histoire sans y prendre vraiment part, obsessionnel de sa peinture et de son ego, amateur de femmes-objet, ce n'est qu'en traversant l'Atlantique qu'il réussira peutêtre à prouver sa vraie valeur marchande. Porté par une écriture fine et enlevée, truffée de références picturales, un récit plaisant et intelligent. La patte graphique de Nicolas Sjöstedt, choisissant de n'illustrer qu'avec une palette de teintes noires et blanches, est attrayante et son trait de qualité. Oreiller de chair fraîche évoque, avec humour et subtilité, les bouleversements rapides des arts plastiques au XXème siècle : mieux qu'une encyclopédie traitant de façon exhaustive le sujet, l'auteur
dépeint "le parcours exemplaire d’un artiste maudit qui parcourt le XXème siècle avec, systématiquement, un temps de retard – c’est bien là la « malédiction » dont il est le sujet ".
Titre: Oreiller de chair fraîche Auteur: Nicolas Sjöstedt Editions: Hélice Hélas Disponible sur Amazon et dans les librairies spécialisées
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LES JEUNES Talents de la bd BANDE DESSINÉE PAR JULIE CADILHAC
Lucas Garnot, Lise Rémon, Léa Grégoire et Simon Mc Nutt font partie des 40 lauréats récompensés d'un Ecureuil d'Or suite à leur participation au Concours de la BD Scolaire - le plus important et le plus vieux concours de Bande Dessinée francophone. Ils ont ainsi participé à l'Edition 2013 du Festival, découvert certaines expositions, déjeuné avec des auteurs de Bande-Dessinée et deux d'entre-eux ont gagné un des Grands Prix du concours de la BD Scolaire: Lise Rémon a reçu le Grand Prix d'Angoulême de la BD Scolaire et Lucas Garnot, celui du Prix du Graphisme. Nous avions envie de saluer la volonté louable de ce concours qui sensibilise les jeunes à la Bande Dessinée et donne en outre l'opportunité aux jeunes dessinateurs d'être remarqués: 80% des lauréats poursuivent en effet une carrière d'auteur de BD. Place aux jeunes! Quel est ton auteur de bandes-dessinées préféré? ton album? Auteurs préférés : Rosinsky, Moebius et Eichiro Oda. Albums : One Piece, Thorgal et Arzak.
SIMON McNutt 12 ans
Qui t'a donné envie de faire de la bande-dessinée? J'ai oublié depuis le temps. Ma soeur, je pense. (« Il en fait depuis l'âge de 5 ou 6 ans si je me souviens bien » d’après la mère de Simon)
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Quels sont les règles selon toi d'un bon auteur de bds? Il faut qu'il soit plein d'humour, intéressant et décalé dans sa vie personnelle, et talentueux, persévérant, innovateur et bluffant, et décalé aussi et qu'il ait de l'humour dans son travail. Avec quels " outils" as-tu dessiné cette planche? Aux Rotrings. Quels souvenirs garderas-tu du festival 2013 (une expo en particulier, une rencontre avec un auteur)? J'en garderai le souvenir d'une journée chargée, un couloir d'hôtel (Le RdC) magnifique, une rencontre avec Rosinsky (Note de sa mère : nous avons pu rester un jour et avons échangé avec lui sur le stand des éditions du lombard le lendemain), un photographe très sympa, une nourriture super bonne et super digeste, une intéressante et super rencontre avec les auteurs de ma table, et des moments avec un pote super sympa".
Léa Grégoire 13 ans Quel est ton auteur de bandes-dessinées préféré? ton album? Je peux vous citer quelques auteurs dont j’apprécie le travail comme Emmanuel Guibert, Christophe Blain, Frederik Peeters ou Aude Picault. J’aime particulièrement l’histoire en trois tomes «Rosalie Blum» de Camille Jourdy.
Qui t'a donné envie de faire de la bandedessinée? Ma maman a une très grande collection de bandes dessinés et m’a permis de lire ce que j’avais envie à tout âge. J’ai toujours aimé dessiner. Ensuite raconter des histoires avec le dessin est venu naturellement. Quels sont les règles selon toi d'un bon auteur de bds? Etre un peu chauve et jouer du ukulélé ou avoir de longs cheveux et des grosses lèvres rouges. Plus sérieusement, il faut aimer raconter des histoires et avoir une sacrée volonté pour finir un album. Avec quels " outils" as-tu dessiné cette planche?
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Des crayons, du papier, un scanner, un ordinateur, Photoshop, une tablette graphique et une imprimante. Quels souvenirs garderas-tu du Festival (une expo en particulier, une rencontre avec un auteur)? J’ai été invitée grâce au concours caisse d’épargne « A l’école de la BD ». J’en garde un très bon souvenir. J’ai rencontré des jeunes de mon âge qui sont aussi passionnés que moi par le dessin. J’ai découvert Andreas grâce à une expo. Il m’a vraiment impressionnée par son savoir-faire. J’ai rencontré par hasard Marion Montaigne dans le hall des éditeurs et j’ai été très contente d’apprendre qu’elle avait gagné le prix Cultura. Après la remise des prix, j’ai pu parler avec Benoît Feroumont et Mathieu Bonhomme. Ce fut très inspirant. Je trouve très chouette que dans le milieu de la bande dessinée, les auteurs, même très connus, restent accessibles et facile à aborder.
Lucas Garnot
mon auteur préféré est Bill Watterson pour "Calvin et Hobbes". Mais ce que je lis beaucoup , c’est des mangas et le meilleur auteur est bien sûr Akira Toriaman ("Dragon Ball"). Qui t'a donné envie de faire de la bandedessinée? Je dessine depuis tout petit mais j'ai fait mes premières pages de BD à 11 ans (2006) à l'occasion d'une colonie de vacances spéciale BD ("Bulle à gogo"). Jai vu des personnes qui dessinaient bien mieux que moi et ça m’a motivé. Deux ans plus tard j'ai commencé ma première BD complète avec pour objectif de progresser en dessin. J'ai pris goût à dessiner des BD et j'ai terminé un deuxième tome dans la foulée. Aujourd'hui je me dis que ça serait drôle de retrouver ceux qui ont participé à cette colo! Quels sont les règles selon toi d'un bon auteur de bds?
17 ans > Lucas Garnot a reçu le « prix du graphisme »
Quel est ton auteur de bandes-dessinées préféré? ton album? Je lis surtout de la BD comique ("titeuf", "le retour à la terre" de Manu Larcenet) et 125 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
Pour moi un auteur de bande dessiné doit être persévérant. Il ne doit pas s'arrêter sur quelque chose qu'il ne sait pas faire (une position de personnage, une case,...) mais, au contraire, franchir l'obstacle pour progresser. Il faut sans cesse se remettre en question, s'inspirer de ce qui nous a touché, ce que l'on a trouvé beau (dans la vie réelle, dans les BD, au cinéma...), améliorer son scénario, son dessin, son style, sa couleur... Bref je pense qu'être auteur n'est pas de tout repos et il faut être vraiment passionné! Avec quels " outils" as-tu dessiné cette planche? J'ai dessiné avec un porte mine 0,05mm puis avec des feutres fins de différentes épaisseurs pour l'encrage. J'ai utilisé de l'aquarelle liquide pour les couleurs vives et de l'aquarelle solide à diluer pour les couleurs plus pâles. Pour le noir, le gris et les ombres j'ai utilisé de l'encre de chine. Etais-tu présent au Festival d'Angoulême 2013? Quels souvenirs en garderas-tu (une expo en particulier, une rencontre avec un auteur)?
rencontre du dessinateur et du coloriste de la BD "Bad ass" qui m'ont permis d'en connaître un peu plus sur le métier d'auteur de BD. Les rencontres, le prix, les expos, tout cela m'a donné énormément de motivation!
Lise Rémon 17 ans > Lise Rémon est la grande gagnante du concours. Elle a reçu le « prix d’Angoulême de la BD scolaire » 2012
Quel est ton auteur de bandes-dessinées préféré? ton album? J'aime beaucoup Shaun Tan, en particulier sa BD Là où vont nos pères. Je m'inspire beaucoup aussi des livres jeux (Où est Charlie, Les enquête de la Main Noire...), des dessins animés (des Triplettes de
J'étais au festival et j'en garde bien sûr un très bon souvenir d'autant plus que j'ai eu le prix que j'avais tant espéré! J'ai aimé rencontrer des jeunes de mon âge qui ,comme moi, sont p a s s i o n n é s d e B D. L'exposition "les arcanes d'andreas" était très bien mais faute de temps je n'ai pas pu voir d'autres expositions... J'ai fait la 126 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
Belleville en passant par le cartoon), des films ou des tableaux que je vois. Qui t'a donné envie de faire de la bandedessinée? J'ai toujours beaucoup dessiné, mais assez peu fait de bande dessinée. Cependant j'imagine que ma passion pour l'illustration a été motivée par le nombre inconsidéré de bandes dessinées que mon père collectionne à la maison. Quels sont les règles selon toi d'un bon auteur de bds? J'aime quand on joue avec les codes de la bd, quand le dessin déborde des cases, quand la planche pourrait être accrochée au mur comme un tableau. J'aime contempler, être emportée ailleurs par un dessin. On pourrait me faire avaler n'importe quoi à partir du moment où ce n'importe quoi est beau!
Mes planches ont été réalisées à l'encre et à l ' a q u a r e l l e . Je d e s s i n e s o u ve n t directement à l'encre, afin de m'éviter de m'embrouiller dans les images de foules.
Etais-tu présente au Festival d'Angoulême 2013? Quels souvenirs en garderas-tu (une expo en particulier, une rencontre avec un auteur)? J'ai été pour la première fois au festival d'Angoulême cette année, et j'ai été très impressionnée par sa grandeur : c'était vraiment un honneur d'y être exposée. Le dîner qui a suivi la remise des prix du jeudi m'a beaucoup marqué, puisque j'ai pu y rencontrer des personnes "du milieu", notamment Lucrèce Andreae dont j'avais pu admirer le dessin animé de fin d'étude au festival Premiers Plans d'Angers. J'ai aussi eu la chance de visiter l'exposition "La boîte à Gand" qui était vraiment très belle.
Avec quels " outils" as-tu dessiné cette planche?
« J'aime quand on joue avec les codes de la bd, quand le dessin déborde des cases, quand la planche pourrait être accrochée au mur comme un tableau. J'aime contempler, être emportée ailleurs par un dessin. On pourrait me faire avaler n'importe quoi à partir du moment où ce n'importe quoi est beau ! » Lise Rémon
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Lise Rémon
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Lucas Garnot
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SIMON McNutt
Michael Le Galli, scénariste de Batchalo, explique ainsi pourquoi il a abordé dans sa bd la question du traitement des R o m s d u ra n t l a s e c o n d e g u e r r e mondiale : " Durant mes études d'ethnologie , je me suis intéressé aux Roms, à leur histoire, leurs mœurs et coutumes. J'ai surtout découvert l'horreur de ce qu'ils ont subi pendant la seconde guerre mondiale. Sans intellectuels pour témoigner, sans État ni structure représentative pour revendiquer un droit à la mémoire , les Roms ont été les grands oubliés de l'Histoire". Batchalo est le récit d'un policier tchèque, Josef, originaire de Bohème , qui, suite à la disparition mystérieuse de son fils avec plusieurs autres enfants, essentiellement bohémiens, décide de prendre la route avec les familles tsiganes concernées pour tenter de retrouver leur trace. En chemin? il croisera l'amour et la
fraternité , l'amitié et le courage, mais aussi l'horreur et la cruauté. Une fiction bouleversante retraçant les persécutions subies par les gitans durant la seconde guerre mondiale. Y apparaissent notamment de funestes personnages comme le SS Joseph Mengele qui procéda à des expériences inhumaines sur les enfants Sinti. Un scénario de qualité associé à un dessin aux teintes sépia qui ajoute une impression de document historique et n'en rehausse que davantage l'hommage rendu aux Roms dans Batchalo. Titre: Batchalo Scénario : Michael Le Galli Dessins: Arnaud Betend Éditions: Delcourt Parution: Septembre 2012 Prix: 17,95€
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LE RÉCIT D’UN ENFANT PIRATE ROMAN JEUNESSE PAR JULIE CADILHAC / Photo Danica Bijeljac
Pour son premier roman, Tristan Koëgel a intelligent qui n'a pas une vision imaginé une destinée aussi singulière que dichotomique et tente d'expliquer avec sauvage; une aventure palpitante entre modestie, en focalisation interne, pourquoi terre et océan, entre au large de la corne de Kenya et Somalie. Là l'Afrique sévissent des pirates vit ou survit - selon et n'a pas oublié de distiller les heures - un petit u n e t o u ch e d ' h u m a n i t é , garçon rebaptisé nécessaire dans les romans plusieurs fois par ceux jeunesse. À découvrir qui l'ont repêché. Le assurément! Grillon, compagnon fragile et maladroit de terribles pirates , puis Titre: Le Grillon, récit d'un enfant pirate Mostéfa, pensionnaire Auteur: Tristan Koëgel d'un institut pour Editions: Didier Jeunesse orphelins, protégé Illustrations: Régis Lejonc d'une belle dame Prix: 12€ mystérieuse , analphabète et rêveur, analyse le monde avec les clés qu'on lui en a données et sa subjectivité délicieuse. Une histoire d'amour pour la Grande Bleue, une histoire d'amitié et de 136 courage. Un roman - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
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L’art en s’amusant JEUNESSE PAR JULIE CADILHAC
Deux grands cahiers de création , imaginés par Michel Backès et Louise Heugel , qui proposent des activités artistiques et ludiques. Ils invitent les enfants à créer leurs propres oeuvres en s'inspirant de tableaux célèbres. Masques invite à créer des masques avec le style de Malevitch, Miro, Dubuffet, Picasso, Fernand Léger; tout est expliqué avec simplicité….et l'on finit presque par se dire qu'avec un peu de bonne volonté,
le chef d'oeuvre est à portée de main! Alors à vos gouaches, vos pinceaux, vos ciseaux, votre tube de colle, il y a de la création dans l'air! Quant à Fruits et Légumes, il explique comment créer des tableaux surprenants grâce à une technique ludique et follement originale: les empreintes de fruits et de légumes. Hummmm! quand l'art devient un délice, c'est Palette qui régale! Les grands cahiers de création Masques de Michel Backès Fruits et légumes de Louise Heugel A partir de 5 ans
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MON HIPPOPOTAME PETITS
PAR JULIE CADILHAC
Un imagier à la couverture toute de rouge et blanc vêtue qui ne dénotera pas dans la décoration de votre appartement! Autrement a joint l'utile à l'agréable et fait de cet outil-livre un objet plutôt esthétique. On y découvre un hippopotame qui donne l'occasion aux tout-petits de développer son vocabulaire d'adjectifs de toutes sortes : petit, grand, léger, lourd, plein, vide, clair, sombre, fin, épais, opaque, transparent etc…! Ingénieux et coloré, un petit livre carré à emporter partout! Titre: Mon hippopotame Auteur: Janik Coat Editions: Autrement
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Jazz Club
CHINA MOSES
LE JAZZ À FLEUR DE PEAU
Par Nicolas Vidal / Photo ©DR/ Steve Wells
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China Moses sort un nouvel album concocté avec Raphaël Lemonnier où le Blues règne en maître, propulsé par un Jazz passionné et une sensualité débordante. Chaque note revêt une importance capitale pour la parfaite symphonie de l’album et toute la distinction d’un swing qui ne cesse de vous porter tout au long de l’album. Rencontre avec China Moses qui nous dit tout sur Crazy Blues. Nous avons récemment reçu dans le Jazz Club, Malia pour la sortie de son dernier album essentiellement dédié à Nina Simone " Black Orchid". De votre côté, vous sortez un album avec Raphaël Lemonnier en hommage à des grandes dames du blues et de la soul. Qu'est ce qui a fait naître en vous cette idée ? C'est la suite logique de notre hommage à Dinah Washington "This One's For Dinah" (MadeInChina Productions/ Blue Note France). Nous avons voulu explorer l'univers des chanteuses qui ont influencé Dinah et celles qu'elle a influencé directement ou indirectement. J'ai découvert lors de nos concerts que le Blues était ma voix. Qu'appréhendiez-vous le plus avant de faire cet album ? On appréhende toujours comment un album est reçu. On voulait être sûr d'être juste dans notre ré-interprétation tout en restant nous mêmes et rester ancrer dans
le présent. D'où le répertoire qui couvre près de 60 ans de musique, de 1920 à 1980. J'imagine que cet album a fait l'objet d'une sélection musicale drastique. Comment avez-vous choisi les morceaux que vous souhaitiez interpréter ? Le choix des morceaux s'est fait naturellement au fil des discussions, d'écoutes et aussi d'essais sur scène. Le live ne ment pas. Avez-vous craint les dangers d'un album de ce type, c'est à dire de ne pas proposer une pâle copie des originaux ? Ou cela ne vous a pas traversé l'esprit ? Si cela nous traverse l'esprit, autant arrêter la musique immédiatement ! Nous faisons la musique humblement et avec le coeur. On essaie de garder l'esprit festif, populaire du Jazz et du Blues. Parlez-nous de votre rencontre avec Raphaël Lemonnier qui a débouché
"Le live ne ment pas" 142 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
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"L'art raconte toujours une histoire mais parfois il faut un traducteur" depuis sur de nombreux projets musicaux ?
cinématographique. Avez-vous travaillé en particulier ce morceau ?
J'ai rencontré Raphaël lors d'un concert de Camille, dont j'étais choriste, lui était un musiciens invité. il m'a invité à participer au "Dancing" à Nîmes, ensuite nous avons découvert un amour commun pour Dinah Washington. Après Stéphane Kochoyan, nous a proposé de faire une création pour la 1ère édition du Festival de l'agglo de Nîmes. Nous l'avons fait. Cela a plu... Le reste s'est passé sur les routes, sur scène à travers plus de 200 concerts dans le monde!
C'est une composition originale de Raphaël. Il s'est imaginé un duo. Nous avons tous les deux pensé à Hugh, et ensuite Hugh a mis les mots. C'est un travail d'équipe. L'atmosphère qui s'en dégage est le résutlat de la magie de la musique.
l'intégrer après ?
"The Mailman, the butcher and me" est l'une de vos compositions. C o m m e n t ave z vous inséré ce morceaux dans cet album. Est-ce prémédité ou avezvo u s d é c i d é d e
Les deux. Et en plus on adore le karaoké et le bon vin.
Nous avons enregistré 21 titres pour l'album dont 4 compositions originales. Cette chanson swingue tellement qu'on était forcé de la mettre! C'est notre hommage au blues et aux personnages masculins présents dans les chansons blues.
Le duo avec Hugh Coltman est chargé d'une atmosphère particulière presque
Vous dites : " Je me considère comme une conteuse d'histoire". N'est-ce quelque part
Est-ce vos points communs ou vos différences avec Raphaël Lemonnier qui font la force de votre association musicale ?
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une belle définition du Jazz par essence ?
sentimentale plus importante à vos yeux ?
L'art raconte toujours une histoire mais parfois il faut un traducteur. (rires)
Chaque note que je chante a une importance à mes yeux... Après la question est, est-ce que cette note a une importance pour d'autres ? L'art de transmettre est le plus important à mes yeux, je ne serais satisfaite de mes albums et je ne veux pas l'être. Après certains morceaux ou surtout certains moments auxquels ces morceaux me renvoient ont différents niveaux d'importance. C'est le sort de ceux qui sont à fleur de peau. Je vis chaque moment et je le revis quand je le réentend.
Par vos parents, vous avez été élevée dans la musique et le Jazz. Aujourd'hui, voyez-vous un fil rouge ou des passerelles entre ces deux mondes artistiques ? Le Jazz est une musique très large cela englobe beaucoup de choses... la musique, l'image tout cela coule dans mes veines de part mon héritage familial, mon héritage de par ma nationalité américaine et l'histoire de ce pays et aussi tout simplement parce que je ne vis que pour ca. Cet album n'est-il pas finalement l'un des plus chargés en émotion pour vous ? N'a t-il pas une valeur
Si vous deviez parler de cet album en seulement 3 mots, quels seraient-ils ? Sensualité Blues et Jazz
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Jazz
Elina Duni
Un Jazz délicat venu d’ailleurs PAR NICOLAS VIDAL / Photo Blerta Kambo
Elina Duni a fait le choix affectif de replonger dans ses racines et d’exhumer la quintessence d’un jazz balkanique qui se déguste avec douceur. La chanteuse d’origine albanaise navigue entre chant, poésie, jazz et tradition avec une candeur remarquable. Elina Duni a ce quelque chose d’envoûtant dans lequel vous allez plonger avec déléctation. À découvrir sans attendre ! Elina, en lisant votre biographie, une première question me vient presque immédiatement. Quel est le lien entre le Jazz et les Balkans dans votre parcours ? Ce lien qui paraît si evident aujourd’hui est en effet une idée de Colin Vallon; Quand on s’est rencontrés à la Haute Ecole des Arts de Berne en 2004, j’avais très envie de collaborer avec lui et il m’a dit: au lieu de jouer des standards de jazz comme tout le monde, on pourrait jouer des chansons de ton pays. Je connaissais très mal la musique folklorique de mon pays car non seulement j’étais partie très jeune (à l’âge de dix ans), mais durant les 45 ans de la dictature communiste la musique populaire servait de propagande par le
Parti et n’appartenait plus vraiment au peuple. Donc c’est en 2004, en commençant le duo avec Colin Vallon que j’ai fouillé dans de vieilles cassettes et j’y ai trouvé des merveilles. Je fus immédiatement enchantée par la poésie et les rythmes de cette musique. Comment s'est déroulé votre travail pour trouver le bon équilibre entre les chants folkloriques et le jazz ? Le travail d’arrangement se fait souvent ensemble, à quatre, depuis l’année 2005 que le quartet existe avec Colin Vallon au piano, Patrice Moret à la contrebasse et Norbert Pfammatter à la batterie. Souvent j’amène un morceau avec une idée d’arrangement au préalable ou pas et puis
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on essaye de le jouer. On joue et on parle et on essaye jusqu’à ce qu’on soit satisfait du résultat. Les chansons changent aussi dans le temps, plus on les joue, plus elles se transforment. Votre troisième album " Matanë Malit " est un hommage à l'Albanie. Pourquoi avez-vous eu envie de célébrer votre pays d'origine ? Sur les deux derniers albums Baresha (2008) et Lume Lume (2010) on jouait des chansons de différents pays des Balkans. Je voulais pour Matanë Malit un concept un peu différent. Des chansons albanaises folkloriques, mais aussi des chansons interdites par le régime ou des airs de résistance. Comme si cet album était un voyage dans le temps et dans l’histoire des albanais, dont plus de la moitié vit en dehors des frontières de l’Albanie.
Cet album est à la fois empreint d'une formidable délicatesse presque fragile mais regorge d'une force incroyable pour nous emporter loin. Quel est votre secret, Elina Duni ? Ces vieilles chansons qui parfois ont traversé les siécles sont effectivement empreintes d’une force incroyable mais aussi de beaucoup de poésie. L’important pour nous c’était de mettre en avant cette essence poétique, et s’il faut de la transcender mais sans jamais la trahir. Est-ce que quelque part chaque chanson de cet album n'est elle pas une histoire à part entière ? Oui absolument, chaque chanson est une histoire à part entière et d’ailleurs dans le booklet de l’album, j’explique la provenance de chaque chanson, le contexte historique dans lequel elle est née et il y a une traduction en anglais
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des paroles puis on peut télécharger sur le site www.elinaduni.com une version française aussi. Vous semblez accorder beaucoup de place à la poésie dans vos textes. Estce le cas ? Oui, d’ailleurs sur cet album j’ai mis en musique deux poèmes. L’un d’Ismail Kadaré «Kristal» et l’autre de Bessa Myftiu qui est aussi ma mère qui s’appelle «Kur të Kujtosh» (Quand tu te rappelles). Kristal parle de la mémoire d’un amour qui se meurt jour après jour: Si je ne trouve pas de tombe pour t’enterrer, pas d’abîme où te jeter ni de prairie où comme pollen te déposer. Si aucun vers ne peut alors ton souvenir pérpétuer, devrais-je encore te porter à moitié morte moitié vivante durant toute l’éternité. «Kur të kujtosh» est un poème d’amour et d’exil Quand tu te rappelles la vieille maison les amis perdus et ce qui ne vivent plus. Quand tu te rappelles les forêts verts les rues de notre enfance déserte. Tu te souviendras de moi aussi, toute étrange comme une statuette dont tu as cassé le bras dans un embrassement sauvage. J’ai grandi dans une culture très attachée à la tradition orale, aux poèmes et aux chansons. J’ai moimême écrits mes premiers poèmes à l’âge de six ans. On vit dans une époque où la poésie fait cruellement
défaut à mon avis. J’avais envie de rendre hommage au grand écrivain Ismail Kadaré qui m’a permis de retomber amoureuse de l’albanais à chaque fois que je le lisais et puis à ma mère qui m’a élevée dans l’amour des livres et de la poésie. Vous dites " Pour moi, toute musique improvisée relève de l'esprit du jazz." Quel est la part de l'improvisation dans votre travail ? Pour moi l’improvisation et une part entière de mon expression artistique. J’improvise souvent des rythmes, des mélodies, des mots ou des bruits en marchant par exemple, ou alors je m’assieds au piano et je travaille de façon plus consciente avec des gammes et des idées. L’improvisation est la meilleure façon de connaître son instrument, de découvrir des sons, de créer des mondes, d’avoir le sens de l’amusement. Pour moi, le jazz est la seule musique qui donne cet espace et cette liberté de ne pas devoir jouer la même chose tous les soirs. Et aujourd’hui plus que jamais, dans une société où tout se formate, le jazz est un manifeste de liberté pour autant qu’il ne soit pas prisonnier de son propre language. Quelle place ont vos musiciens dans votre travail de composition ? Ils ont une place très importante puisque c’est à travers eux que la musique va s’exprimer. Il faut donc écrire quelque chose qui est en même temps assez intéressant mais qui laisse d e l ’ e s p a c e p o u r o u v r i r, p o u r improviser. C’est pour moi un défi continuel. Cet album est une réussite. Quel est le secret de votre quartet pour parvenir à cette osmose remarquable ?
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Les Dates
Je crois que la force de cet album consiste dans le fait que nous nous sommes mis au service de la musique, des chansons. L’improvisation était souvent collective et il n’y a pas beaucoup de solos dans le sens propre du terme. J’ai toujours voulu me considérer comme un instrument parmi les autres et pour moi la magie de ce quartet c’est précisément ces instants où l’on se sent unis et l’on devient une seule voix.
28.02.2013 Elina Duni & Colin Vallon Bibarium Genève (CH) 08.03.2013 Elina Duni Quartet Jazz à Vitré Vitré (FR) 09.03.2013 Elina Duni Quartet Centre culturel l'Arthémuse Briec (FR) 10.03.2013 Elina Duni Quartet L'Estran Guidel (FR)
À quoi rêvez-vous au-delà de la montagne, Elina Duni ? À ce quelque chose de mystérieux, d’insaisissable et d’infiniment beau qui se trouve en chacun de nous.
23.03.2013 Elina Duni Quartet Babel Med Marseille (FR) 24.03.2013 Elina Duni & Bessa Myftiu City Club de Pully Lausanne (CH) 05.04.2013 Elina Duni Quartet Cully Jazz Festival Cully (CH) 13.04.2013 Elina Duni Quartet Balkan Transit Caen (FR)
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Jazz
SUSIE ARIOLI Le secret de la perfection PAR NICOLAS VIDAL / Photo Marianne Larochelle
Lorsque la voix envoûtante de la canadienne Susie Arioli déroule chanson après chanson sa ferveur douce sur ces morceaux, vous redécouvrez Chet Baker, Billie Holiday, Franck Sinatra ou encore Dinah Washington avec délectation et caresse, accompagnée comme toujours par un Jordan Officer subtil. Un retour aux origines avec la chanteuse canadienne qui ne cesse de prendre du plaisir à nous rendre heureux. Quel fut l'idée de départ pour l'interprétation de 13 grands standards américains ? Je voulais me rapprocher des grands albums classiques de Pop et de Jazz que mes parents écoutaient et avec lesquels j’ai grandi, tels que ceux de Frank Sinatra, Sarah Vaughan et Chet Baker. Ces chansons sont si riches, elles me comblent, et représentent pour moi un grand défi d’interprétation. Comment s'est fait le choix de chacun de ces morceaux ? Ce fut pour moi comme un peu faire un collage: J’ai commencé par placer des couleurs qui s’agençaient bien ensemble, j’ai découvert les essences de chacune des chansons, et j’ai apprivoisé leur personnalité, et à force de travail, une histoire commence à prendre forme… Suite au succès de Noel " Christmas Dreaming ", comment en êtes vous
arrivée à ce nouveau projet ? Y réfléchissiez-vous depuis longtemps ou est-il venu naturellement ? Oui, je suis très heureuse du succès que connait Christmas Dreaming. Il est même certifié « Or » au Canada. En fait, cet album a été fondamental pour moi dans la conception de All The Way. Plus que jamais, je voulais mettre les textes des chansons à l’avant. Je voulais que les chansons choisies puissent parler plus fort que moi... Ces chansons étaient au sommet des palmarès à l’époque, ce sont de grandes chansons. Je voulais que les musiciens partagent ce même esthétisme avec moi sur All The Way. Pouvez-vous nous donner les clefs du titre " All The Way" ? All The Way… Une grande chanson par ce grand interprète qu’est Frank Sinatra… J’ai décidé d’y plonger… Jusqu’au bout…
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Quel est le secret de votre incroyable complicité avec Jordan Officer ? Jordan et moi jouons ensemble depuis plus de 15 ans. Cette complicité s’est développée avec le temps. Nous avons un langage musical très similaire en effet… On se dit d’ailleurs parfois que nous sommes peut-être un peu trop confortables ! Vous semblez laisser beaucoup de place à vos musiciens pour qu'ils s'expriment. Estce le cas ou juste une impression à l'écoute de votre album ? En fait, je pratique beaucoup de contrôle sur mes musiciens (…rires…). Je veux que chaque chanson ait sa propre particularité et pertinence. J'ai obligé mon groupe à commencer par jouer les partitions « à la lettre » afin qu’ils comprennent vraiment ce qui se passe dans chaque chanson et ce qu’est le propos de la chanson. Et puis, alors seulement, je leur ai permis
d’improviser… Ils ont fait du bon boulot n’est-ce pas !? (…rires…) Votre voix apporte délicatesse, fraîcheur et sensibilité dans cet album. Comment travaillez-vous sur chaque morceau pour atteindre cette harmonie ? ... Avec beaucoup de préparation et de répétitions…. Quel est votre secret pour parvenir à un tel équilibre sur un album de cet ampleur ? Je vous remercie de ce gentil compliment… ! Je vous confierais mon secret avec plaisir s’il y avait une recette magique, mais je dirais la même chose qu’à votre question précédente… C’est vraiment par le travail, à force de préparation et de répétitions qu’on peut arriver à de bons résultats… Travaillez-vous déjà sur un autre projet, Susie Arioli ?
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Il y a toujours des projets qui mijotent dans ma tête… Je réfléchis au prochain album, mais tout doucement… Où pourra t-on vous voir en concert dans les prochaines semaines ? 11/02 Espace Carpeaux Cabaret Jazz Club / Courbevoie 12/02 L'Européen / Paris 13 / 02 L'Européen / Paris 14/02 Le Puy de la Lune / Clermont Ferrand
Plus d'info sur susiearioli.com > Susie Arioli All the way Harmonia Mundi
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Musique
LES ALBUMS DONT VOUS NE POURREZ PLUS VOUS PASSER Par Nicolas Vidal
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Par Nicolas Vidal
CHANSON FRANÇAISE Le Skeleton Band a ce petit quelque chose en plus, un je-ne-sais-quoi de chansons à textes qui enchante et emporte quiconque dans un monde interlope avec ces personnages surgis d’un autre siècle. Le trio se joue des apparences et propose 13 morceaux et autant d’histoires de belles tenues dont il serait dommage de se passer. Le Skeleton band, c’est l’assurance d’assister à un cabaret totalement loufoque où rien ne paraît vraiment réel. Une très belle découverte !
Le Skeleton Band - Bella Mascarade ( New Track )
SOUL Il est jeune, blond, échevelé et américain. il présente en France ce mois-ci un premier album soul détonnant. Lui qui a été élevé dans une tradition religieuse dans l’Etat de Washington et qui a appris à chanter dans une Eglise bouscule la scène avec cet album tout en rythme et en mélodies. De son look rétro et de son côté hippie du 21ème siècle, Allen Stone est l’une des belles promesses Soul de 2013. A suivre !
Allen Stone ( Universal)
JAZZ « C’est un laboratoire pour qui sait entendre, où le jazz reste la matrice, et la pop représente le cap » Voilà qui augure d’un album tout en volupté et en accord parmi tous les artistes qui ont participé à cette célébration chapeauté par Eric Legnini. C’est la rencontre de plusieurs univers de voix et de styles où Hugh Coltman frôle Mamani Keita qui elle-même se partage la scène avec Emi Meyer. Swing Twice est une mine d’or musicale qu’il faut se dépêcher d’aller explorer. 161 - BSC NEWS N° 55 - FÉVRIER Eric MAGAZINE Legnini --Swing Twice (2013 Discograph)
WORLD Lorsque Emile Omar, grand ordonnateur du Grand Mix de Radio Nova et des coffrets Nova Tunes propose entre autres à Aloe Blacc de rejoindre son projet musical, cela débouche forcément sur un album hybride qui ne s’embarasse d’aucun genre et qui reprend 11 titres avec un style élégant, singulier et totalement déstabilisant. Il suffit seulement de se laisser aller dans cette balade musicale chaleureuse, groovy et entraînante pour en apprécier chaque reprise à sa juste mesure. Roseaux - ( Tôt ou tard)
CLASSIQUE Le jeune prodige anglais qui n’arrête plus de magnétiser la scène internationale ajoute un nouvel album à son curiculum vitae déjà bien garni pour son âge. Après son récital consacré à Chopin, Listz et Ravel, il revient avec Rhapsody in Blue ne laissant aucun doute sur son talent immense qui éclabousse une nouvelle fois cet album. Benjamin Grosvenor confirme l’étendue impressionnante de son tempérarement artistique. Un disque à se procurer pour écouter l’essence musicale du virtuose. Benjamin Grosvenor - Rhapsody in blue ( Decca)
FOLK Schulz and Forever, le groupe danois emmené par le très jeune Jonathan Schulz (18 ans) vous présente Céline, un album aux couleurs scandinaves, dorées et sauvages portés par une voix remarquablement éraillée et une corde folk à souhait qui donne une puissance musicale intéressante. Il y a dans ce son le voyage, l’émotion, la mélancolie et le bonheur d’une mélodie qui ne trahit pas le talent. Schulz and Forever est à suivre de près. Céline - Schulz and forever ( Cracki Records ) 162 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013
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PHOTOGRAPHIE
PAR JULIA HOUNTOU
MICHEL BONVIN & LE QUOTIDIEN Né en 1978 à Sion, Michel Bonvin vit et travaille actuellement entre l'Allemagne et la Suisse. L'exposition présentée ici porte sur l'ensemble de ses préoccupations artistiques : son travail personnel sur le paysage, sur l'architecture, ses travaux de commande en collaboration avec des designers, des artistes, des graphistes, des architectes et, pour la première fois, une sélection d'images de son quotidien Am Sonntag (Le dimanche). La scénographie est conçue tel un itinéraire autobiographique réunissant les différentes facettes de ce photographe valaisan, installé à Berlin depuis 2009. A travers un mélange des codes (travaux personnels et commandes) alternant photographies construites et scènes saisies sur le vif, Michel Bonvin nous entraîne dans le quotidien berlinois et valaisan, en se jouant parfois des clichés culturels et identitaires. Le visiteur est constamment balloté entre les mœurs valaisannes (convivialité, tradition vinicole...) et la culture berlinoise (design, mode, vie nocturne...). À l'ère de la multiplication et du développement massif des moyens de transport tendant à annihiler la distance et
le temps qui séparent les lieux, le photographe interroge également la notion de mobilité à travers des univers, des contextes et des atmosphères photographiques distincts. Au fil des pièces, les images s'enchaînent : aux serveuses plantureuses de l'Allemagne rurale succèdent de somptueux paysages helvétiques tandis que le délicat minaret juché sur le toit de la maison Suchard à Neuchâtel contraste avec une vue plongeante sur Las Vegas, un arbre solitaire au pied du Piton des neiges sur l'île de la Réunion ou encore d'énigmatiques architectures sonores situées sur la côte sud de l'Angleterre ... Par ces associations visuelles fécondes, Michel Bonvin joue sur la perte de repères et brouille les pistes : le monde se lit à travers une multitude de
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165 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013 © Michel Bonvin Fenster 2 Berlin, 07.2012
© Michel Bonvin Blur collection Pour Big Game design studio Bruxelles, 03.2009
points de vue, d'un extrême à l'autre mais toujours avec le même regard, rigoureux et obsessionnel. (...) Ses photographies constituent ainsi le reflet de notre société profondément plurielle. Elles mettent en tension plusieurs territoires et nous incitent à réfléchir aux différentes pratiques, valeurs, esthétiques et sensibilités. Posant la question du rapport à autrui, du particulier et de l'universel, cette approche métissée nous convie à questionner notre propre construction culturelle, dans notre singularité et notre relation au monde. Julia Hountou, Docteur en Histoire de l'art et commissaire d'exposition
Vues / Blick Michel Bonvin Photographies 2008-2012 Exposition : 02 février-10 mars 2013 Vernissage : vendredi 1er février 2013 dès 18h Galerie de la Grenette : Rue du Grand-Pont 24 - 1950 Sion, Suisse. Informations pratiques : Galerie de la Grenette : Tél : +41 (0)27 324 11 78 - +41 (0) 27 324 11 39 Ouverture : mercredi, jeudi, vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h30. Ouverture supplémentaire le vendredi de 10h à 12h. Entrée libre. Accès : La Grenette est située en vieille ville, à la Rue du Grand-Pont (en face de la fontaine). La galerie, située au 1er étage du bâtiment, est accessible par un escalier.
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© Michel Bonvin Aiguille de la Tza Arolla, 09.2008
© Dulce Pinzón,
© Michel Bonvin 167 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013 Komplex Leipziger Berlin, 08.2009
© Michel Bonvin
168 - BSC NEWS MAGAZINE - N° 55 - FÉVRIER 2013 Sans titre de la série Rouge Blanc, Valais, 04.2011
Art Julia Hountou
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Musique Nicolas Vidal
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Actualités/société Régis Sully Illustration Julie Cadilhac
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