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Michale Siroky : portrait d’un bâtisseur de l’industrie du taxi
Pour Michael Siroky, l’industrie du taxi n’a plus de secret. Après 45 ans dans le métier, il pose aujourd’hui un regard émotif, honnête et critique sur sa profession qu’il a tant aimée. Nous nous sommes entretenus avec lui afin qu’il nous raconte son histoire, une histoire de famille.
L’industrie du taxi, Michael Siroky est tombé dedans quand il était petit. Tout a commencé en 1951 alors que la famille Siroky quitte sa Tchécoslovaquie natale pour venir s’installer à Montréal. En cette période d’après-guerre, les temps sont durs et les ressources limitées. Montréal accueille nombreux soldats qui reviennent ainsi que des milliers d’immigrants qui espèrent trouver un lieu un peu plus clément et subvenir aux besoins de leurs familles.
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Cette réalité ne fait pas exception pour Jan Siroky, le père de Michael. Ainsi, après avoir travaillé brièvement dans une manufacture, Jan Siroky, ou John comme on l’appelait au Québec, réussit à s’acheter un premier permis de taxi en 1953. Travailleur acharné, déterminé, Jan Siroky mettra en place son propre garage où, déjà enfant, Michael l’accompagne et l’aide.
Rapidement M. Siroky s’implique et devient gérant de nuit du garage. Lorsqu’à 18 ans il obtient son pocket, son père lui prête son plus vieux taxi, comme il le souligne, pour qu’il se familiarise avec le métier et gagne des sous. Même alors qu’il fréquente l’université, il travaille comme chauffeur du jeudi au dimanche. «J’ai tout de suite aimé l’entreprise et le taxi. Il y avait toujours de l’action. Même si ce n’était pas facile, il fallait toujours trouver des solutions, amener des nouvelles idées, travailler avec une diversité de personnes… j’ai vraiment aimé le taxi » évoque, songeur M. Siroky.
Le taxi dans les années 50 et 60
À l’époque, le taxi représentait une opportunité d’emploi dans une période difficile. « Plusieurs avaient vécu des traumatismes liées à la guerre, mais les chauffeurs de taxi étaient tous de bons vivants malgré la réalité souvent difficile… Pour moi, les chauffeurs étaient des gens débrouillards, travaillants, à qui le métier offrait la liberté et la possibilité de bien gagner leur vie... De plus, c’était aussi l’occasion d’apprendre la langue du pays, si ce n’est pas des langues… mon père en parlait 7, mon oncle 14 ! » se souvient M. Siroky.
Rapidement, l’industrie du taxi évolue et les gens qui la composent sont comme une grande mosaïque du Canada nous raconte Michael. « Il y avait une grande diversité parmi les chauffeurs, que ce soit leurs origines mais également leurs motivations à faire du taxi. Par exemple, dans les années 60, il y avait des facteurs, des pompiers, des policiers qui faisaient du taxi à temps partiel pour augmenter leurs revenus pour différentes raisons », évoque-t-il. Les chauffeurs étaient des gens qui connaissaient bien leur quartier et qui étaient une référence pour la clientèle qui voulait découvrir la Ville sous tous ses angles… : de jour, de soir, comme de nuit! « Pour moi, le taxi c’est le pouls de la Ville de Montréal », précise-t-il.
Prendre la relève et poursuivre la tradition
Dans les années 70, M. Siroky s’implique de plus en plus au sein de l’organisation qui gère une flotte de plus de 80 taxis. Des oncles, des cousins, vont tour à tour également travailler dans l’organisation. Cela dit, « bien que nous ayons été plusieurs à travailler, je crois que j’étais celui qui aimait le plus et sincèrement le taxi pour en faire une carrière. Malgré le stress, j’ai aimé l’industrie parce que ça bouge constamment et également, pour les gens avec qui j’ai travaillé», ajoute Michael Siroky.
Il est vrai que lors de la discussion, les principes d’humanité, d’empathie et de flexibilité ressortent souvent: autant lorsqu’il parle de la façon de faire de son père que de l’attitude qu’il a mise de l’avant.
D’ailleurs, pour toute la famille, l’important était toujours d’interagir avec les gens en demeurant sensible à ce qu’ils ont vécu, d’où ils viennent, qu’elles sont leurs coutumes et de donner une chance à toute personne qui désire travailler. Il faut apprendre à vivre ensemble et tirer profit de ce qu’on peut s’apporter mutuellement. «Je pense qu’il y avait à la fois un sentiment d’entraide entre bien des chauffeurs et en même temps, il y avait aussi beaucoup de discrimination dans l’industrie, ça reste une époque difficile », évoque Michael Siroky.
À l’époque, c’est arrivé souvent qu’on embauche des nouveaux arrivants au Canada en les aidant à obtenir un emploi de chauffeur, parfois jusqu’en donnant même les leçons de conduite … M. Siroky raconte avec une pointe d’humour et d’émotion ce que son père lui disait lorsqu’il embauchait une personne avec l’objectif de lui apprendre à conduire « ça me coûtera peut-être un embrayage mais si je peux faciliter un peu l’arrivée et éviter certaines difficultés que j’ai vécues en arrivant ici, je suis heureux. » Au final, les chauffeurs étaient reconnaissants et cela a contribué à créer des liens et des opportunités pour nombreux d’entre eux. Par exemple, pour plusieurs, l’argent gagné a servi à acheter un permis de propriétaire ou alors à financer leurs études.
«Une de nos fiertés est d’avoir été un pionnier quant à la place que l’on a faite aux femmes. Dès le début des années 70, il y avait quelques femmes qui travaillaient avec nous.» souligne le principal intéressé. Il se rappelle notamment de l’une des premières femmes dans le métier, Madame Turcotte, qui conduisait l’un de leur taxi. «C’était une femme de caractère, une femme qui n’avait pas froid aux yeux… elle avait même été ambulancière pour la Croix-Rouge durant la guerre! »
Une industrie plus réglementée
L’industrie a bien évolué depuis 50 ans, notamment par l’encadrement et la réglementation qui l’entoure. S’il y a là des aspects nécessaires, M. Siroky n’approuve pas toutes les mesures: «Il y a vraiment plusieurs intervenants qui réglementent et qui surveillent l’industrie du taxi… Depuis les années 2000, les chauffeurs sont régis et sont contrôlés par de nombreuses instances: MTQ, service de police, la Ville et le BTM… parfois on a l’impression que c’est difficile d’avancer.»
Aussi, M. Siroky voit d’un bon œil l’annonce des changements aux exigences en matière de formation qui donneront plus de flexibilité et seront bénéfiques pour l’industrie (diminution de 150 à 35 heures de formation). « J’espérais que ce changement se fasse depuis plusieurs années, ça arrive un peu tard mais je pense que c’est une bonne décision », souligne-t-il.
Une industrie à l’aube d’une transformation
Devant les nombreuses transformations, Michael reste pensif et perplexe quant à l’avenir des taxis qui ne sera pas exempt d’enjeux et d’ajustements, notamment avec les nouveaux venus dans l’industrie, la nouvelle loi qui entrera en vigueur en octobre et plus récemment, même la COVID-19. «Je n’aime pas dire cela mais à partir de 2015, c’est devenu un peu plus difficile pour moi. J’ai été déçu des décisions qui ont été prises.»
Le marché ayant beaucoup changé, étant encore en transformation et plusieurs éléments de la loi étant encore inconnus, il y a de l’inquiétude chez bien des propriétaires comme M. Siroky. Ce dernier précise: «les changements qui arrivent présentement, je n’aurais jamais pensé qu’on arriverait à ça. Je ne pensais pas que la transformation serait aussi drastique pour le taxi et qu’on arriverait à l’abolition des permis… Le permis, pour moi, ça demeure des années de travail, pas un simple risque que j’ai pris en investissant là-dedans. Je comprends que tout le monde a un travail à faire et on essaie de faire pour le mieux mais je trouve ça vraiment difficile. »
Si l’on ne peut revenir en arrière, il y a lieu de se rappeler l’importance qu’a eue le taxi dans l’histoire du Québec et particulièrement à Montréal de même que de réfléchir sur la place qu’il peut avoir dans le présent et le futur. «Le taxi est une industrie un peu caméléon», souligne M. Siroky. « Elle va changer de couleur, mais j’ose espérer qu’elle va encore s’adapter et continuer d’exister. C’est un service indispensable, nous l’avons vu même récemment», nous dit-il.
À la croisée des chemins
Alors que M. Siroky en a vu passer des époques, des générations et des chauffeurs, lorsqu’on lui demande s’il souhaite continuer à opérer dans les prochaines années, la réponse est hésitante: «Je voudrais continuer, oui, si à la fin de la journée, il y a une raison pour moi de travailler… et s’il y a toujours une opportunité de rester! Il faudra aussi voir à quel titre; peut-être comme chauffeur? Ça reste à voir quand on en saura plus, je pourrais peut-être reprendre mon pocket?»
Cela dit, au terme de toutes ces années, M. Siroky manifeste un profond respect pour l’industrie du taxi. Malgré les temps particuliers et empreints d’incertitude, il nous répète son admiration et son souci pour ses chauffeurs (dont plusieurs sont, comme lui, dans le métier depuis 30, 40 ans) et son gérant, Jean-Marie Tremblay. «Je suis fier de ma flotte et lorsque je regarde en arrière, je suis heureux de me souvenir des milliers de chauffeurs qui ont passé ma porte et avec qui j’ai collaboré.»
Si l’industrie évolue, certaines choses demeurent au fil du temps. «Certains entrent dans l’industrie du taxi comme chauffeur par nécessité, d’autres par choix. Dans tous les cas, il s’agit d’un métier qui comporte ses risques, ses difficultés, mais d’un métier essentiel et honorable », souligne M. Siroky. « Je ne sais pas encore ce que je ferai demain mais si je regarde en arrière, le taxi aura été une opportunité pour bâtir ma vie, élever ma famille et je l’espère, créer des opportunités et redonner à l’industrie, un peu comme mon père l’a fait avant moi », conclut-il.
À propos de Michael Siroky
Michael Siroky a commencé très jeune dans l’industrie en aidant son père. Au cours de sa vie, il aura travaillé au garage, été pompiste, chauffeur, gérant de flotte. Certains se rappelleront qu’il a occupé différents garages sur St-Hubert, Ste-Catherine et Valois. Il occupe toujours le garage au 3930 Ste-Catherine Est.