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À Freyr, la grande variété des styles d’escalade est liée à la constitution géologique de ses différents massifs rocheux
T.I. P.
Meuse
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100m
Fig.1 – Google Earth et A.H. © 10-2021
DOSSIER ÇA SE PASSE À FREYR ! À Freyr,
La grande variété des styles d’escalade est liée à la constitution géologique de ses différents massifs rocheux
ALAIN HERBOSCH
À Marc Abramowicz et à l’escalade qui m’ont aidé à faire face aux moments difficiles de ma vie
Nul besoin de connaître en détail la géologie de Freyr pour comprendre cet article essentiellement descriptif, par contre une bonne connaissance des différents massifs rocheux et des voies qui y ont été tracées est préférable. J’y ai grimpé presque sans interruption depuis bientôt 60 ans et j’ai pu suivre l’évolution du tracé des voies, de leur équipement de protection, ainsi que les importants changements de l’éthique de l’escalade libre.
Les roches calcaires formant ces rochers se sont déposées dans une mer tropicale peu profonde au début du Carbonifère (350-335 millions d’années) et ont ensuite été plissées en synclinaux et anticlinaux, et faillées à la fin de cette même période entre 310 et 305 Ma. Ceux qui seraient intéressés par plus de détails géologiques peuvent lire l’article récemment paru dans Ardennes & Alpes par ma collègue géologue A. Roobaert, « Géologie des rochers de Freyr », ainsi que le guide plus détaillé «Sentiers de Freyr: contexte géologique » par F. Schmit et co-auteurs (voir références). Je décrirai successivement les principaux massifs rocheux qui suivent le versant est de la Meuse en allant du sud vers le nord (figure 1) en illustrant mon propos par des photos démonstratives. Pour chaque massif, un premier paragraphe décrira la situation géologique de manière simple et un second donnera un aperçu du style d’escalade avec des exemples de voies caractéristiques. En effet, sur 50 ans, j’ai parcouru en tête une bonne partie des voies de cotation inférieure à 6b.
1. Les massifs dolomitiques de La Jeunesse et de Louis-Philippe
Ces deux massifs appartiennent aux « récifs waulsortiens» et, de ce fait, sont massifs, c’està-dire sans stratification. Contrairement aux autres rochers de Freyr qui sont formés de calcaire, ils sont constitués de dolomie. Les roches dolomitiques sont plus résistantes à l’érosion et sont donc souvent en relief dans le paysage. Effectivement, le rocher de La Jeunesse est bien individualisé, il forme une crête avec une arête en dent de scie et un versant sud vertical (figure 2). Le processus de dolomitisation des calcaires, qui s’est opéré longtemps après le dépôt, se fait avec une diminution du volume de 10 à 15 %. En conséquence, la roche comporte de nombreux trous millimétriques à centimétriques (figure 3). Sa couleur plus brun clair est aussi caractéristique. Les voies sont soit aériennes sur l’arête très dentelée et de type escalade facile en montagne («Ancienne Jeunesse»), soit fort verticales, voire surplombantes, sur un rocher à trous bien adhérent («Génie des alpages», «Éperon Walker»). On notera des traversées aériennes («Traversée Serge», «Fra diabolo») (figure 2). La situation est assez semblable dans le rocher de Louis-Philippe qui est encore plus surplombant (« Corde
L.P.
Ardennes & Alpes — n°210
magique», «Liedekerke», «Cap’taine cœur de miel»). Ce sont des escalades souvent engagées, fort verticales, à la fois délicates et athlétiques.
2. Le massif stratifié de l’Al Lègne
Ce massif, certainement le plus vaste et au dénivelé le plus important de Freyr (proche de 100m et 150 voies), est formé de calcaire bleuté stratifié verticalement. De ce fait, on grimpe dans toute sa face sud sur des dalles étagées qui sont les surfaces des bancs redressés à la verticale (figure 4). Dans sa face ouest, plus étroite, on distingue bien les bancs d’allure verticale, vu que la face est perpendiculaire aux strates d’épaisseur métrique. La majorité des voies de la face sud est en «gratonnage» dans des dalles plus ou moins lisses, comme les voies de la Dalle des 3 Saurets (figure 4) où se trouvent quelques-unes des voies les plus délicates de Freyr. Des surplombs permettent le passage d’une dalle à une autre, en fait d’un banc à un autre (toit de « La Lecomte » ou de « L’Enfant »), ou de les éviter par des dièdres (sortie de « La Lecomte » et de « La Directissima») (figure 4). Dans la face ouest, le rocher est de moins bonne qualité, et la verticalité donne de longues et belles voies aériennes comme «Le Spigolo » ou « L’Arête Jongen » suivie de « La Sérénade».
3. Les massifs «récifaux» du Pape et de la Tête du Lion
Fig.5 – A.H. © 2021
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Fig.4 – A.H. © 2021
Dièdre de la Lecomte Toit de Pull Marine Dièdre de la Directissima Dièdre et dalle de l'Échec du Siècle
Toit de la Lecomte Dalle 3 Saurets Toit de l'Enfant Dalle du Pilastre
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Fig.2 – A.H. © 2021 Ces deux massifs sont constitués par une partie d’un « récif waulsortien », c’est-à-dire une importante masse calcaire construite par des organismes récifaux (bryozoaires, éponges, algues…) et surtout par de la boue calcaire d’origine microbienne. Ils formaient sur le fond de la mer des monticules en relief d’une centaine de mètres de haut et d’une largeur kilométrique. Le
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Fig.3 – A.H. © 2021
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rocher de la vaste face sud du Pape est de ce fait très massif, sans stratification et souvent parcouru par de fines fissures et vides occupés par de la calcite blanche ou rosée (figure 5). En effet, l’énorme masse de ces «récifs» n’a pas pu être plissée comme les autres formations stratifiées voisines et a été localement broyée avec formation concomitante de vides et fissures. La Tête du Lion forme un relief avec trois faces et une arête, elle est également compacte, sans stratification, mais le calcaire est plus homogène.
En conséquence, les voies du Pape sont très verticales, le rocher est souvent de mauvaise qualité, sans bonnes fissures pour placer des protections, ce qui fait que les voies n’ont été ouvertes que très progressivement à partir des années 50, le plus souvent en escalade artificielle (« Pilier et surplomb Davaille», «Les Tourtereaux», «La Herman Bull »). Seule exception, « Le Pape », ouvert en 1934 en escalade libre (figure 6). L’évolution des moyens de pitonnage a permis l’explosion du nombre de voies sur un rocher très raide et merveilleusement sculpté…, mais à écailles branlantes. La face sud de la Tête du Lion comporte des voies en dalles et surplombs fines et athlétiques («La R2», «La Sirène»), qui sont malheureusement devenues terriblement lisses.
Ce massif est formé de calcaire gris-blanc en bancs décimétriques à métriques bien visibles et redressés presque à la verticale (figures 7, 8, 9). Il présente quatre faces: 1. une face Meuse (secteur Can-Can), qui aligne une série de fissures et dièdres rectilignes et parallèles; 2. une face sud (secteur Sylvia) avec des bancs et dièdres verticaux (figure 7), suivis à droite d’une large dalle à grattons où s’observe une structure d’érosion en «V» (figure 8); 3. une face Meuse (secteur Taches Rouges) formée d’une série de dièdres constituée par des bancs successifs verticaux (figures 7 et 9); 4. une large face sud essentiellement en dalles, vu qu’elle est parallèle à la stratification. Les voies sont toutes très verticales et de toute beauté, c’est le royaume de la grimpe technique et les cotations descendent rarement en dessous du 6. Escalade de splendides dièdres («La Sylvia» suivie de «La Thérèse», «La Galère» (figure 7), parfois en Dülfer (départ du «Culot qui manque»), en fissures athlétiques («La Sanglante») et en dalles sur des grattons et mono-doigts («La Can-Can», «Le Tour de Cochon» (figure 8), enfin des surplombs («La Pino Prati», «Le Scarabée» (figures 8 et 9).
5. Le massif stratifié verticalement du Mérinos
Ce massif où la stratification ne se voit que côté Meuse comporte plusieurs faces: 1. une face nord surplombante qui abrite les voies les plus dures de Freyr; 2. une face Meuse peu redressée où se trouvent beaucoup de voies anciennes; 3. une large face sud parcourue par de nombreuses voies (plus de 50), surtout en dalles (figure 10). Les voies sont tantôt raides, tantôt entrecoupées de rampes herbeuses (figure 10) avec de belles traversées («Les Crêpes», «Les Hermétiques») et des dalles à grattons («Super Vol-au-Vent», « La Gamma »). Malheureusement, la forte fréquentation a rendu beaucoup de voies très patinées.
6. Le synclinal de Freyr
Situé tout au nord du domaine de Freyr dans une ancienne carrière, ce synclinal est constitué de calcaire en bancs métriques qui dessinent des courbes régulières (figure 11). On y grimpe surtout sur le sommet des bancs qui constituait au moment du dépôt le fond de la mer. Les voies sont essentiellement en dalles et de niveau abordable.
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Fig.6 – A.H. © 2021
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Fig.7 – A.H. © 2021
Secteur «Can-Can» La Herman Bull
Fig.9 – A.H. © 2021
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Le Pape
Secteur «Tâches Rouges»
Secteur «Sylvia»
Fig.8 – A.H. © 2021
Le Tour de cochon
Fig.10 – A.H. © 2021
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