Projet architectural - la gare de Saint-Pol

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ÉNONCÉ DU PROJET ET DES OBJECTIFS

En 2018, des inondations emportent une portion de rails de la ligne ferroviaire reliant Morlaix à Roscof, dans le Finistère. Impraticable, elle est alors condamnée à la fermeture. Cette ligne de chemin de fer, datant de 1883, a été majeure dans l’approvisionnement en fruits et légumes en France. Le trafc de marchandises est essentiellement celui des primeurs, qui cultivent oignons, artichauts et choux-feurs dans cette région de la «Ceinture dorée». Ce trafc, très intensif ente 1957 et 1981, en a fait la ligne de fret la plus rentable de la SNCF.

Il subit pourtant la concurrence routière dans les années 1980, réduisant alors l’utilisation de la ligne à néant.

Obsolescence de l’infrastructure, montée en puissance du fret routier, politique de fermeture des petites lignes… les raisons de sa fermeture sont nombreuses. Cependant, à l’heure de la COP26, du Brexit, de l’agrandissement du RTE-T, la donne peut changer pour l’avenir de la ligne Morlaix - Roscof.

Comment une infrastructure ferroviaire, autrefois si importante pour le développement de cette région agricole, est-elle devenue obsolète ? Si le train revient, dans quelle mesure cette infrastructure pourrait-elle être le vecteur d’une économie et d’une écologie locale?

PIÈCES GRAPHIQUES

Bande dessinée explicative du projet, résumant, en 110 pages dessinées à la main, nos 9 mois de recherche in-situ et ex-situ sur l’agriculture locale, l’histoire du chemin de fer, et explorant plusieurs futurs possibles pour la ligne.

Gare de fret Laboratoires et serre
serre expérimentale Gare de voyageurs

Des modules en bauge abritant les diférents programmes (gare voyageurs, espace d’information, café, espace d’exposition, bureaux et laboratoires de recherche) sont insérés sous la grande halle. Ces modules étant surélevés du sol naturel par un système de poteaux, les constructions en terre crue sont protégées de la montée des eaux par capillarité. Le mur en bauge s’élève et se transforme en garde-corps pour accueillir un second étage, roofop-terrasse.

Pour permettre une grande modularité et d’éventuelles transformations, les modules en terre crue sont construits sur place. Le matériau (terre grisâtre) est trouvé localement, peut être réutilisé ou rendu à la terre. Une notice permet à chaque occupant du module de savoir le construire, le déconstruire, l’utiliser et le réutiliser.

NOTE EXPLICATIVE DU PROJET

La ligne ferroviaire Morlaix-Roscoff

Cette ligne au riche passé historique, profondément imbriquée dans le territoire agricole a fonctionné jusqu’en 2018. Cette année là, de violentes intempéries emportent une portion des rails; cette destruction va sceller le destin de la ligne, déjà menacée de fermeture depuis des années pour des raisons économiques. Depuis, lors hors-service, elle laissée en friche: les rails non démontés voient feurir la végétation, les quartiers de gare sont délaissés, les bâtiments de gare délabrés. Cette ligne de chemin de fer est en réalité un véritable gisement pour le territoire du Haut-Léon, car elle est amenée à renaître pour diverses raisons.

Le train, un enjeu européen... et breton

Afn de bien comprendre les enjeux qui gravitent autour de cette ligne ferroviaire, il convient de regarder les conditions dans lesquelles elle a été édifée. Le territoire étudié, qui comprend la péninsule qui va de Morlaix à Roscof, est aussi appelé «Ceinture Dorée», en rapport à son agriculture très riche et développée. Le territoire, situé sur des terres loessiques très riches et donc fertiles, profte de sa proximité directe avec la mer et donc d’un climat doux, particulièrement en été. Ces conditions climatiques ont toujours favorisé l’agriculture maraîchère, et plus particulièrement les primeurs. La région est connue pour sa productions d’oignons roses tressés, aujourd’hui classés AOP. Ils sont exportés vers Angleterre depuis le 17ème siècle par les Johnnies, marchands ambulants qui transportent des tresses d’oignons à vélo. A partir de la seconde moitié du 19ème siècle, au moment où les rails feurissent en France, Roscof voit son chemin de fer construit. Il achemine, en plus des voyageurs, surtout les légumes, fruits et feurs locaux jusqu’à la capitale. Cette ligne connait ses heures de gloire entre 1957 et 1981, en devenant la ligne de chemin de fer de fret la plus rentable de France. Cependant, à partir des années 80, la ligne subit la concurrence du fret routier, diminuant ainsi massivement son utilisation. Le rapport Spinetta de 2018, qui prône l’ouverture à la concurrence et la fermeture des petites lignes TER peu rentables, ne sauvera pas son cas, bien au contraire. En 2020, un événement qui semble pourtant décorrélé du Haut-Léon vient renverser la donne: le Brexit. En efet, depuis la sortie du Royaume Uni de l’UE, Roscof devient le port le plus proche géographiquement de l’Irlande, et intègre donc la RTE-T (réseau transeuropéen de transport, destiné à développer les infrastructures qui facilitent les connexions entre les réseaux routiers, ferroviaires et fuviaux des Etats Membres). En intégrant cette RTE-T, tout le territoire roscovite bénéfcierait d’investissements importants et d’un accès à de nouveaux fnancements européens, qui visent à décarboner au maximum les transports, et à allier fret maritime à fret ferroviaire. Ce projet se place ainsi dans le scénario du retour du train entre Morlaix et Roscof.

La SICA, agent centralisant du territoire et de ses activités

En efet, historiquement, la ville de Saint Pol de Léon est le cœur du territoire agricole. Encore aujourd’hui, une grande partie de son économie tourne autour des activités agricoles, de la culture, de la transformation alimentaire, de la recherche, de la logistique, mais aussi du fret routier. Un acteur majeur de cette économie est la SICA. Cette société implantée à Saint Pol depuis 1888, cette société coopérative comprend un marché au cadran, qui permet la vente par un système d’enchères électroniques, assurant ainsi la clarté des prix, la rapidité des ventes et la centralisation des zones et des outils de production. Cette centralisation est notamment cristallisée dans le site de Vilar Gren, située au sud de la commune, qui centralise les volumes de produits, l’agréage, la préparation, l’acheminement des légumes à transformer ou empaqueter vers les usines Prince de Bretagne (situées à 2km à l’est de Vilar Gren) et l’expédition directe des produits non-transformés.

Une implantation historique et un programme local

Le Haut-Léon, bassin particulièrement fécond pour l’environnement agricole, grâce a la richesse de ces sols et à l’organisation de ses exploitations agricoles en une grande coopérative, est également connecté au rail. Sur place, la ligne de train se présente encore comme un membre fantôme dans le paysage autour duquel les fermes, les usines, les centres de production étaient connectées. Ainsi, l’ancienne gare de St Pol était déjà un lieu de chargement de marchandises en provenance et en direction de Roscof et Morlaix (donc de Paris). Cet emplacement, proche du bassin agricole, stratégiquement connecté à Vilar Gren et en bordure de chemin de fer, se révèle stratégique pour insufer un nouveau programme permettant de faire du train un bras logistique profondément utile au système agricole, en le rendant plus indépendant et autonome. Reconnecter ce territoire au rail par le fret permettrait également de remettre en circulation des trains de voyageurs. Le domaine de la recherche en agro-alimentaire tend à se tourner, depuis les lois de 2018, vers une fuidifcation des échanges des semis dits «paysans». Un pôle de recherche et de productions de semis paysans permettrait alors une autonomie relative à la SICA quant à l’origine de leurs semences et à leur approvisionnement. En plaçant dans un même lieu fret ferroviaire, site de recherche et gare de voyageurs, le projet se veut révélateur du fonctionnement du territoire agricole. Révélons le chargement, dévoilons les fux logistiques, oublions les grands hangars opaques; le projet doit être un outil de démonstration, de transparence des activités agricoles et ferroviaire, et ainsi valoriser les métiers qui les font vivre.

Le quartier de gare

La ville de St-Pol admet un tissu très hétérogène, entre parcellaire agricole, tissu industriel le long du rail et résidentiel. L’inventaire du bâti existant révèle un confit d’échelles (la maison / le hangar) (la machine / l’humain) (la voie de train / le chemin de randonnée). Comment jouer avec ces diférentes échelles et créer une architecture fédératrice, permettant interactions humaines et logistiques ? Comment aborder la linéarité qu’impose le chemin de fer dans le quartier de gare? Comment gérer les diférentes temporalités des diférentes activités que la gare abrite?

La linéarité: une seule halle pour tous

La multiplicité de parcours (visiteurs, voyageurs, manutentionnaires et scientifques) et la complexité des interactions qu’elle présuppose nécessitent alors une proposition architecturale marquée. Cette dernière se devait de proposer la cohabitation de fux de natures diférentes, de se placer comme intermédiaire entre des échelles en apparence antagonistes, (échelle industrielle/échelle locale, échelle humaine/échelle de la machine), et de contenir et structurer ce nœud programmatique. En ce sens, la halle, typologie emblématique de ce contexte agricole, objet à fort ancrage symbolique, imposant par son échelle mais approchable par son langage, s’impose d’elle-même. C’est de la dialectique subtile qu’entretiennent les fux, les contraintes fonctionnelles associées et de la rémanence de son image que la halle s’impose comme l’incarnation architecturale de ces problématiques. L’intersection des trois arches, directement issues de la réfexion sur les usagers et les fux, symbolise alors cette synthèse quasi-littérale des échelles, des problématiques et des parcours. Les programmes s’inscrivent par conséquent dans une linéarité rendant intelligible cet espace, et faisant écho à celle du train, devenu une véritable glissière, reliant les programmes entre eux et avec le territoire et sa dynamique.

La modularité: être adaptable, recyclable et évolutif:

La simplicité formelle de cet objet, assumée, autorise un assemblage et un démontage facile. Elle s’ouvre également à un éventuel réemploi de cet espace en accord avec les aléas du fonctionnement de la ligne et des éventuelles évolutions urbaines de St Pol. Elle s’appuie sur une matérialité issue de flières locales (bois) et sur des formes familières (hangar, toit pentu) et aisées à mettre en œuvre. Les diférents programmes sont répartis dans des modules linéaires à un étage. Pour ces modules, le choix de l’utilisation de la bauge renvoie à la volonté d’utiliser des matériaux limitants d’éventuels contaminants, car en relation avec des produits alimentaires, et ainsi de promettre des espaces aussi sains que possibles. Sous cette halle, ouverte aux quatre vents mais hors d’eau (surélévation du sol donc évitant les remontées d’eau par capillarité, et protégée par un toit), la bauge permet aussi et surtout de réguler la température au sein des volumes. Un mode d’emploi de l’utilisation de la bauge dans des ossatures bois permet d’appréhender la construction de modules de manière simples, pédagogiques, et ainsi dans la continuité d’une volonté de modularité et d’adaptation aux potentielles transformation du t erritoire et donc de la halle.

L’arche majeure, formée par l’union de trois arches mineures, est répliquée à l’infni dans la profondeur du quai. Elles forment ensemble une trame modulaire permettant de dénouer les parcours en les inscrivant dans trois axes parallèles. Le premier, sur le quai, est celui du train et de la gare. Le second, central, est celui où cheminement les visiteurs. Le dernier, en contact avec les parcelles agricoles, absorbe les activités de recherche et de production agricole. Cette forme permet alors d’agencer l’espace de production dans la linéarité de la halle et en fonction des étapes du processus de production agricole. La plateforme de fret, située plus au fond, conclut ce processus. Elle profte de toute l’envergure de la halle pour réaliser son programme et bénéfcie d’une topographie légèrement plus basse pour gagner en hauteur, et ainsi mettre une certaine distance de sécurité avec les visiteurs, tout en les invitant à observer le ballet de chargement et déchargement des produits. Bien loin de chercher à masquer les parcours les uns par rapport aux autres, cette proposition entend au contraire rendre visible l’activité agricole. Elle permet aux parcours d’évoluer en parallèle, sans interférer les uns avec les autres, et de mettre en place des rapports de proximité et d’émulations entre des programmes diférenciés dans l’espace et par leurs rythmes. En abritant toutes les activités une halle commune, cette proposition engage un rapport diférent, transparent et fuide à la chaîne de production et au réel de ce territoire.

Conclusion

Ce projet entend faire du rail la colonne vertébrale du Haut-Léon, en voyant le train comme un moyen de mutualiser les ressources et en prenant le fret ferroviaire comme mode premier de transport de marchandises. Cette volonté de transformation ne peut trouver de réalité qu’en s’appuyant sur les acteurs locaux qui façonnent déjà ce territoire et son économie, comme la SICA et le port du Bloscon. Le tronçon Saint-Pol-de-Léon-Roscof devient alors le trait d’union entre ces deux objets et la force motrice au service du développement de ce territoire. La réfexion approfondie sur ce territoire se concrétise architecturalement par un jeu sur la fgure de la halle, une réfexion sur les rapports d’échelles et interactions entre machine et humains, et de l’importance des matériaux locaux et sains. La gare de Saint Pol devient un lieu profondément ancré dans son territoire par sa matérialité, ses usages et la modularité que son architecture prévoit.

La diversité des problématiques engagées par ce projet interroge la fonction même de l’architecte, face à une situation où s’imbriquent économie, écologie et questions sociales.

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