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Nous ne pouvons continuer de contourner l’iceberg : passons à l’action pour atteindre la carboneutralité
Nous ne pouvons continuer de contourner l’iceberg
- Michael Powell -
Vice-président des relations gouvernementales, Association canadienne de l’électricité
N’eût été la pandémie de COVID-19, les catastrophes naturelles planétaires causées par le changement climatique auraient été la grande nouvelle de 2020.
Le début de l’année a été marqué par un continent littéralement en feu. La saison des feux de brousse en Australie a fracassé des records, avec plus de 18 millions d’hectares ravagés – ce qui représente environ 50 % de plus que la superficie du sud de l’Ontario. Un peu plus tard dans l’année, la saison des ouragans dans l’Atlantique a égalé un sommet avec un nombre de tempêtes si élevé que l’on a manqué de noms pour les désigner. Le monde a aussi égalé le record de l’année la plus chaude. À la fin de 2020, l’iceberg A-68a, qui s’était détaché trois ans plus tôt d’une plateforme de glace flottante dans l’Antarctique et avait deux fois la superficie du Luxembourg, a semblé s’approcher des eaux peu profondes à proximité de l’Île de Géorgie du Sud.
À cet endroit, l’iceberg risquait de bloquer les voies d’accès à la nourriture pour les centaines de milliers de manchots, de phoques et d’oiseaux marins qui y habitent. Il aurait ainsi détruit la vie marine microscopique qui est à la base d’autres parties de l’écosystème et créé des dommages irréversibles sur notre planète. Cet iceberg a fini par se briser en morceaux et par s’échouer ailleurs. Plus de peur que de mal – cette fois-ci à tout le moins.
Collectivement, nous sommes comme ces manchots. Nous vivons notre vie pendant qu’une colossale métaphore glacée représentant un changement climatique d’origine humaine se cache à l’abri des regards, en faisant peser sur nous la menace d’un changement existentiel et catastrophique. Fort heureusement, nous avons une certaine capacité d’action. Nous semblons enfin disposés à intervenir.
Le grand engagement consiste maintenant à « atteindre la carboneutralité d’ici 2050 », ce qui signifie qu’en somme, aucun nouveau gaz à effet de serre (GES) ne sera rejeté dans l’atmosphère.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura aucune émission de GES. En fait, les émissions de GES seront compensées par le CO2 extrait de l’atmosphère grâce à des émissions négatives.
Au Canada, le gouvernement fédéral s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Il a même présenté un projet de loi pour officialiser cette cible. L’administration Biden considère le changement climatique comme l’une des quatre catastrophes convergentes qui menacent les États-Unis et elle s’est engagée à construire davantage d’installations de production d’énergie renouvelable pour rendre le réseau américain carboneutre d’ici 2035.
L’industrie emboîte aussi le pas : Shell a annoncé qu’elle prévoit atteindre le pic de sa production de pétrole d’ici 2025; pour sa part, General Motors – qui résistait depuis toujours aux efforts axés sur l’établissement de normes plus strictes en matière de rendement du carburant – s’est engagée à commercialiser 30 modèles de véhicules électriques.
Il est facile de nous fixer une cible, mais comment nous y prendre pour l’atteindre? À l’heure actuelle, les émissions annuelles de GES au Canada se chiffrent à environ 730 mégatonnes. Par définition, la carboneutralité signifie que l’on doit les réduire à zéro, malgré la croissance démographique et économique. C’est tout un défi! Et, en fin de compte, la voie que nous prendrons pour atteindre la carboneutralité sera fonction, d’une part, de la façon dont les technologies modernes verront le jour et deviendront rentables et, d’autre part, du moment où cela se produira.
Inévitablement, cette démarche se traduira par une consommation accrue d’électricité. Le réseau d’électricité canadien est déjà l'un des plus propres au monde. Plus de 80 % de l’électricité produite au pays ne génère pas d’émissions. De fait, notre secteur a déjà réduit ses émissions de près de 50 % depuis 2005.
C’est un bon point de départ, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. À l’heure actuelle, d’après le nouveau plan climatique du gouvernement du Canada, l’électricité ne représente qu’environ un cinquième du portefeuille énergétique du Canada. Nous devons passer à l’action. Par la suite, il ne faudra pas nous arrêter.
Pour l’essentiel, le problème n’est pas de mettre au point de nouvelles technologies. L’Institut canadien pour des choix climatiques a analysé 60 trajectoires qui, à son avis, permettraient au pays d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Ce groupe de réflexion financé par le gouvernement a classé comme « valeurs sûres » ou « paris risqués » diverses mesures de réduction du carbone. Il considère comme des valeurs sûres toutes les mesures associées à une augmentation de la consommation d’électricité à court terme. Par contre, la réalisation des mesures considérées comme des « paris risqués » est incertaine.
La « faisabilité technique » fait peser sur les décideurs le fardeau de l’action. Pour permettre l’expansion du réseau d’électricité, ceux-ci devront adopter une politique claire et cohérente du fait que les entreprises prévoient que les investissements en capital seront considérables.
Le gouvernement du Canada a indiqué clairement que tous les efforts de relance économique après la pandémie viseront non seulement à remettre les Canadiens au travail, mais aussi à faire progresser des dossiers de grande envergure, en particulier la lutte contre le changement climatique. Si nous rebâtissons en neuf, il est logique de rebâtir en mieux. Le budget déposé en avril par le gouvernement fédéral, qui est articulé autour du nouveau plan climatique, propose de nouveaux programmes et prévoit une cible plus ambitieuse pour la réduction des émissions de GES de l’ordre d’au moins 40 %.
Comme je l’ai déjà mentionné, l’administration Biden accorde aussi une grande priorité aux émissions de GES et considère le changement climatique comme l’une des quatre catastrophes convergentes qui menacent son pays. Les États-Unis ont déjà pris des mesures à cet égard : ils ont réintégré l’Accord de Paris sur le climat et le président a promulgué le jour même de son arrivée au pouvoir un décret ordonnant à l’administration fédérale de s’attaquer aux objectifs climatiques et prévoyant l’atteinte de la carboneutralité dans le secteur de l’électricité d’ici 2035. En outre, les efforts consacrés à l’infrastructure seront axés sur la lutte contre le changement climatique et la production d’énergie plus propre.
À quels investissements devrions-nous accorder la priorité?
Le rapport intitulé État de l’industrie canadienne de l’électricité, que publie l’ACE chaque année, recense des mesures qui s’imposent – entre autres la mise au point et la commercialisation de technologies comme le stockage d’énergie, les petits réacteurs modulaires, l’hydrogène ainsi que le captage et l’utilisation de carbone. De plus, nous devrons repenser le mode de réglementation de notre secteur, tout en nous assurant de mettre en place un réseau qui est non seulement propre, mais aussi abordable et fiable. Un plan global pour l’électrification devrait être au cœur de cette démarche.
Il s’agit là d’une occasion unique en son genre. Le gouvernement et le secteur sont prêts à faire des choix qui peuvent nous mettre sur la voie d’un avenir plus durable. En unissant nos efforts, nous pouvons aménager un réseau d’électricité qui répondra aux besoins de demain. Il nous faut déployer des efforts pour saisir cette occasion et éviter de laisser notre destin être dicté à notre insu par des questions qui échappent à notre contrôle – comme les palmipèdes en smoking qui sont en péril dans l’Atlantique Sud.