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Les plafonds tarifaires : une stratégie à courte vue

En réaction à l’inflation et à la hausse des coûts, les gouvernements provinciaux ont recours à des instruments législatifs pour limiter les tarifs des compagnies d’électricité – c’est-à-dire leur imposer des plafonds tarifaires –, ce qui contourne le processus et l’indépendance des organismes de réglementation. Cette situation a été observée en Nouvelle-Écosse en octobre dernier, lorsque le gouvernement a limité à 1,8 % au total jusqu’en 2024 les augmentations tarifaires pour l’électricité produite au moyen de sources autres que les combustibles.

Les plafonds tarifaires sont problématiques, car ils reposent sur l’hypothèse que la seule difficulté à surmonter est liée au coût. Toutefois, les gouvernements qui mettent en place ce type de plafond ne prennent pas en considération le vieillissement de l’infrastructure et la nécessité de rendre le réseau plus résistant aux phénomènes météorologiques extrêmes; tous ces éléments entraveront la croissance économique à long terme. Il n’y a pas d’échappatoire : on a besoin d’argent pour investir dans le réseau!

Nous avons aussi d’autres préoccupations :

• En plus d’entraver les efforts de renforcement du réseau qui seront nécessaires pour nous permettre atteindre les objectifs de carboneutralité fédéraux et provinciaux, les plafonds tarifaires entraîneront d’autres répercussions économiques négatives.

• Les plafonds tarifaires sont imposés au détriment de la cote de crédit des compagnies d’électricité appartenant à des investisseurs, si bien qu’il leur en coûte plus cher pour avoir accès au capital. Ces entreprises assument par conséquent des coûts plus élevés, sans aucun avantage à l’égard du service, et refilent ces coûts à leur clientèle.

À titre d’exemple, Emera, compagnie d’électricité néoécossaise appartenant à des investisseurs, a récemment affirmé qu’elle mettait en suspens tous les projets d’énergie propre après que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse eut annoncé un plafond tarifaire.

À moyen et à long terme, les plafonds tarifaires finiront par être préjudiciables pour les consommateurs, en particulier ceux qui sont vulnérables. Le report des investissements nécessaires fait en sorte que l’on aura forcément besoin d’investissements plus élevés à l’avenir et il accroît les risques, notamment au chapitre de la fiabilité.

Aux frais des abonnés ou aux frais des contribuables?

Afin de préserver la fiabilité du service pour la clientèle, le Canada devra se pencher sur la façon dont il peut appuyer à même ses recettes fiscales les investissements dans le domaine de l’électricité. En ayant recours exclusivement à l’assiette tarifaire pour financer le réseau de demain, on exercera inévitablement une pression indue sur les clients individuels, en particulier les plus vulnérables.

La facture d’électricité est établie en fonction de la consommation : tous les clients paient le même montant par kilowattheure, peu importe leur revenu. Ce tarif couvre la production et le transport de l’électricité ainsi que sa livraison au lieu de consommation finale ainsi que l’infrastructure connexe.

Si quelques-uns de ces coûts étaient pris en charge à même l’assiette fiscale – financement de l’infrastructure, crédits d’impôt et mesures incitatives –, l’aide financière reposerait sur un mécanisme plus vaste et progressif. Les investissements des gouvernements dans un réseau d’électricité propre serviraient alors l’intérêt public. Les familles à faible revenu ne subiraient pas le fardeau de financer la modernisation du réseau.

L’abordabilité de l’électricité est importante pour les ménages et pour la compétitivité de l’industrie canadienne. En plus de permettre aux clients d’opter pour l’électricité de préférence aux options plus polluantes, son abordabilité renforce la confiance à l’égard d’une électrification accrue. Toutefois, la transition énergétique ne sera pas abordable si elle n’est financée que par les abonnés.

Que faut-il faire?

Les compagnies d’électricité canadiennes veillent à ce que l’électricité demeure abordable pour la clientèle durant la transition énergétique. Or, toutes les parties prenantes peuvent faire bien davantage. En voici quelques exemples.

Élaborer une stratégie canadienne en matière d’électricité centrée sur l’abordabilité

Une stratégie canadienne en matière d’électricité doit notamment prévoir un financement efficace pour les grands projets d’infrastructure destinés à renforcer le réseau électrique et à le rendre plus adaptable et moins polluant. De cette façon, les clients ne porteront pas le fardeau des coûts d’infrastructure.

Exempter les entreprises de services publics réglementées des changements prévus au régime de restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement

Selon le régime de restriction des dépenses excessives d’intérêts et de financement (RDEIF), la déduction fiscale des entreprises qui déduisent les frais d’intérêt de leurs emprunts sera ramenée à 40 % de leur revenu imposable en 2023, puis à 30 % à compter de 2024. Le législateur a établi cette limite sans tenir compte de son incidence éventuelle sur les projets d’immobilisations des entreprises de services publics. Comme il ne sera plus possible de déduire les intérêts, la charge représentée par chaque dollar d’intérêt non déduit sera refilée aux clients ou fera augmenter le coût du capital. La législation doit reconnaître et prendre en considération la situation très particulière des entreprises de services publics et prévoir une exemption ciblée, semblable à celle qui s’applique aux États-Unis.

Mettre en œuvre des programmes d’encouragement plus efficaces

Bien que les mesures d’efficacité énergétique constituent le moyen le plus facile de réduire les émissions, les coûts initiaux des améliorations ou des mises à niveau écoénergétiques résidentielles représentent souvent un obstacle pour de nombreux ménages canadiens. Les gouvernements fédéral et provinciaux proposent des programmes de remise pour les améliorations de l’efficacité énergétique et l’installation d’appareils tels que les thermopompes.

Des programmes – comme le Programme de prêts pour des maisons plus vertes mis en œuvre par le gouvernement fédéral – peuvent offrir un financement sans intérêt pour aider les Canadiens à rendre leur habitation plus écoénergétique et à réduire leur facture d’électricité. Il faut bonifier ces programmes non seulement sur le plan de leur ampleur, mais aussi sur celui de l’accès.

Fournir des services d’efficacité énergétique et de gestion de la demande Depuis des décennies, les programmes d’efficacité énergétique représentent une part importante des activités de sensibilisation menées par les entreprises de services publics. Toutefois, comme environ 13 % des émissions de gaz à effet de serre au pays sont attribuables aux bâtiments, la gestion de la demande et l’efficacité énergétique sont essentielles pour permettre au Canada d’atteindre la carboneutralité et aider les clients à réduire leur facture énergétique. Ces entreprises proposent des solutions novatrices, par exemple le financement sur facture, pour faciliter l’accès des propriétaires d’habitation aux thermopompes et à d’autres technologies d’économie d’énergie.

Pour que le pays atteigne l’objectif de carboneutralité de l’économie nationale d’ici 2050, les compagnies d’électricité devront doubler, voire tripler leur production actuelle d’électricité, tout en veillant à préserver l’abordabilité et la fiabilité de l’approvisionnement en électricité ainsi que la résilience de l’infrastructure électrique au bénéfice des Canadiens, maintenant et à l’avenir. Il reste des questions sans réponse, quant aux moyens que l’on prendra, d’une part, afin de maintenir l’abordabilité de l’électricité pour tous les segments de la clientèle au fil de l’aménagement de l’infrastructure et, d’autre part, afin de répartir équitablement les coûts. Il s’agit là d’un enjeu crucial pour le secteur de l’électricité alors que nous poursuivrons la transition vers un avenir carboneutre.

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