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Lord Byron, l’épopée suisse d’un séducteur à la villa Diodati de Cologny
Lord Byron, l’épopée
–Cologny Une fois par mois, nous vous emmenons à travers des bâtisses connues ou moins connues de Suisse. Dans ce numéro, place à Cologny, la colline des millionnaires, avec Lord Byron et la villa Diodati. Dandy ténébreux, poète de l’amour scandaleux et déchiré, il a été l’une des figures de proue du mouvement romantique.
L’illustre poète anglais Lord Byron a séjourné en Suisse, à la Villa Diodati durant l’été 1816.
Son habit noir soulignait la pâleur de son teint. Il ne parlait guère, ce qui était déjà frappant, et, quand il le faisait, c’était d’une voix grave et hypnotique, avec une sorte de dédain. Il boitait – il était né avec un pied-bot – et, quand l’orchestre attaquait une valse, il s’écartait.» Tel que le décrit Robert Greene dans L’art de la séduction, Lord Byron est une surprise destinée à étonner tous les siècles, et d’abord le sien. Comment cet homme aux mœurs dissolues, aux passions déréglées, qui aimait boire du Bourgogne dans une coupe faite d’un crâne humain, s’est-il inscrit dans toutes les mémoires comme l’un de nos plus grands séducteurs? Né en 1788, George Gordon Byron montre dès la petite enfance un caractère «violent, sournois et colèrique», toujours plus prêt à donner qu’à recevoir des coups, nous dit le poète irlandais Thomas Moore dans la biographie qu’il lui a consacrée. En 1801, l’adolescent rejoint la prestigieuse public school de Harrow. Taciturne, il lit beaucoup et avec ardeur, quoique sans méthode, et «aime s’éloigner de ses camarades et s’asseoir seul sur une tombe dans le cimetière, s’abandonnant ainsi à la rêverie pendant des heures entières». Il étudie par la suite à Cambridge, où il se rend célèbre par son train de vie fastueux et débauché: il participe à des combats de boxe, fréquente des prostituées et adopte un ours comme animal de compagnie. Malgré son handicap, il triomphe dans les salons et multiplie les conquêtes féminines. Les femmes lui tombent en effet dans la bouche comme des «alouettes rôties», pour citer Stendhal. Son secret? «Il usait de son célèbre «regard par en dessous» que Kennedy imitera, répond Robert Greene. Tandis que l’assistance conversait à bâtons rompus, il penchait la tête et se mettait à fixer une jeune femme sans se redresser. Ce regard avait quelque chose de menaçant, une sorte de défi ambigu: plus d’une s’y laissa prendre.» Plus loin, Robert Greene précise que «nul n’avait plus sinistre renommée que Byron». Le poète prenait un plaisir «presque pervers» à claironner ses pires défauts: un mariage raté mais aussi et surtout une passion incestueuse pour sa demi-sœur Augusta Byron, de qui il aura une fille, Medora. Sans surprise, la société puritaine de Londres le rejettera. Traité comme un paria, où trouvera-t-il refuge? «Je suis comme une algue, arrachée du rocher, pour naviguer sur l'écume de l'océan, partout où déferle la houle, et souffle la tempête», écrit Byron dans Childe Harold’s Pilgrimage. En
suisse d’un séducteur
juillet 1816, l’algue britannique échoue sur les berges du Léman où elle loue une maison d’été à Cologny, au 9 chemin de Ruth, en compagnie de son médecin particulier John Polidori et d’un couple d’amis - Percy et Mary Shelley - et Claire Clairmont (demi-sœur de Mary Shelley). Pluies, grêles et chutes de neige causées par l’éruption d’un volcan indonésien se succèdent au cours de cet été sans soleil.
UN DÉFI LITTÉRAIRE
Confinés en raison du mauvais temps dans la Villa Belle Rive, mieux connue aujourd’hui sous le nom de Villa Diodati (Byron changera son nom pour lui donner celui de ses propriétaires), les amis se lancent un défi littéraire: écrire une histoire gothique. La suite est connue. La violence des éléments inspirera à Mary Shelley le célébrissime Frankenstein. Détail amusant: la maison de Victor Frankenstein s’appelle… Belrive. Quant à Lord Byron, il rédigera non pas une histoire d’horreur mais les Stances à Augusta, un poème qui parle d’un amour impossible. Par la suite, marchant sur les traces de Rousseau, il visitera également Clarens et Chillon. «Le cachot où le duc de Savoie a laissé croupir Bonivard de 1532 à 1536 lui inspirera un long poème écrit à Ouchy, du 26 au 29 juin: Le prisonnier de Chillon», commente Albert Gonthier, auteur de Montreux et ses hôtes illustres . Un mot à présent sur la Villa Diodati qui a vu naître le premier roman de science-fiction. Construite au début du XVIIIe siècle pour Gabriel Diodati-Mestrezat, cette maison patricienne était à l’origine un simple pavillon de luxe d’un seul niveau au-dessus d’une cave de plain-pied, avec une terrasse en balcon sur le lac. À la fin du XVIIIe siècle, d’importants travaux de rénovation ont modifié son style architectural. «L’aspect carré de la maison remonte aux travaux de 1780 pour le comte Jean Diodati-Tronchin, soit probablement une nouvelle travée côté lac, la surélévation d’un étage et surtout une galerie sur trois côtés ponctuée de balcons en avancée reposant sur une colonnade toscane, détaille la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS). La ferronnerie du garde-corps, parfaitement accordée aux grilles latérales de l’entrée, portait les armes polychromées du comte sur le balcon central.» Une balustrade à motifs de lyre du ferronnier Pierre Gignoux est visible dans la cour d’entrée. Quid de l’intérieur? «Ne subsistent de l’exceptionnel décor classique qu’un poêle et un lave-mains d’angle dans la salle à manger.» La faute à une «désastreuse campagne de travaux» en 1953, détaille le SHAS. Inscrite comme bien culturel suisse d’importance nationale, la Villa Diodati est apparue dans le film Gothic mais aussi dans le roman Haunted de Chuck Palahniuk. À noter qu’elle appartient à un particulier (la famille de l’homme d’affaires britannique Alan Parker) et ne se visite pas. Les contemplatifs peuvent cependant admirer la vue sur la rade et le petit lac depuis le pré Byron voisin.