Prise de posotion de Caritas : 8 propositions pour un agenda de développement durable

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« Dans ce programme pour un agenda de développement efficace, Caritas montre la direction que doit prendre la coopération internationale de la Suisse. L’accent est mis sur la réduction de la pauvreté et la justice mondiale, sur la migration équitable et des conditions de travail décentes, ainsi que sur un développement à faibles émissions adapté au changement climatique ».

Prise de position de Caritas

8 propositions pour un agenda de développement durable


La prospérité de la Suisse l’oblige à plus de solidarité et de justice En bref : en 2020, le Parlement prendra position sur l’avenir de la coopération au développement du pays. Au sein de l’Administration fédérale, les débats portant sur son contenu et ses objectifs pour les années 2021-2024 ont déjà commencé. L’agenda de l’Organisation des Nations Unies pour le développement durable (Agenda 2030), qui vise à fixer une trajectoire socialement, écologiquement et économiquement durable pour notre monde d’ici 2030, est un cadre et un axe d’orientation universellement reconnu. La Suisse est invitée à mettre en œuvre dans ses frontières les objectifs de développement durable définis par l’Agenda. Parallèlement, les pays riches doivent s’engager plus fermement en faveur du développement durable des pays du Sud. La Suisse également doit le faire, non seulement par solidarité et responsabilité envers les plus pauvres et défavorisés de la planète, mais également parce que c’est dans son intérêt. Pour que l’engagement international de la Suisse soit apte à répondre aux engagements multilatéraux, aux défis globaux croissants et aux besoins et exigences sociales et politiques, il faut augmenter par paliers les fonds dédiés à la coopération internationale et les amener à un pour cent du rendement économique du pays. Parallèlement, il faut concevoir dans le sens d’un développement durable toutes les activités et stratégies politiques de la Suisse qui ont un impact sur les pays en développement. C’est particulièrement le cas de la politique fiscale et financière, de la politique économique extérieure, d’investissement et climatique. Dans ce programme en huit points pour un agenda de développement efficace et durable, Caritas montre la direction que la coopération internationale devrait prendre. Caritas se concentre sur la lutte contre la pauvreté et la justice mondiale, la migration équitable et des conditions de travail décentes, ainsi qu’un développement générant de faibles émissions, et adapté au changement climatique. Elle en appelle directement au monde politique et à l’administration pour emprunter une voie positive.

La coopération internationale dans le débat politique Dans deux ans, le Conseil fédéral soumettra au Parlement sa proposition pour la coopération au développement 2021-2024. Il s’agit de définir l’orientation de la coopération au développement, de l’aide humanitaire et de la promotion de la paix pour cette période. Des discussions préliminaires portant sur les objectifs stratégiques, les priorités de contenu et les orientations géographiques commencent déjà en cette année 2018. Les discussions sont marquées par deux tendances différentes. D’une part, elles ont lieu dans un contexte où les opinions bourgeoises et conservatrices sont prédominantes, aussi bien au Conseil national qu’au Conseil des États. Dans ce contexte, on privilégie l’idée que l’engagement international doit d’abord servir les intérêts propres de la Suisse en matière de politique sécuritaire, migratoire et économique. D’autre part, ces discussions ont lieu à un moment où la communauté internationale, sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), a créé un cadre d’action global, contraignant (de bonne foi) et universel en ratifiant l’Agenda 2030 et l’Accord de Paris sur le changement climatique. Ce cadre montre de nouvelles voies pour le développement et la co­ opération : on ne peut plus résoudre les défis de notre époque seuls, en menant une politique tenant compte uniquement des intérêts nationaux ; il faut au contraire établir des partenariats, promouvoir la solidarité et endosser ses responsabilités.

Prospérité et durabilité aux dépens des autres Les pays riches, dont la Suisse, ont tendance à « acheter » leur prospérité et leur durabilité intérieures à un prix élevé payé par les pays pauvres et l’environnement. Dans plusieurs domaines les politiques actuelles sont incompatibles avec la position du Conseil fédéral qui prétend atteindre les Objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 (ODD).

Importante empreinte climatique La Suisse est un pays très globalisé qui entretient d’importantes relations commerciales avec le reste du monde. En faisant fabriquer des biens et des services qui sont ensuite importés et consommés en Suisse, les Suisses engendrent une pollution atmosphérique et une perte de biodiversité dans les pays où ces biens sont fabriqués. Une étude récente de la Confédération montre que les émissions de gaz

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Agenda 2030 pour un développement durable – lignes directrices d’une action politique La communauté internationale a ratifié l’Agenda 2030 en septembre 2015. Ce document-cadre exhaustif trace les lignes d’une globalisation plus équitable, intégrative et durable. L’Agenda promeut une compréhension globale de la prospérité qui va au-delà de la vision étroite du revenu par personne. Il se veut universel et englobe tous les champs politiques. Par son principe supérieur « Leave no one behind » (ne laisser personne de côté), l’Agenda prend pour mesure de succès l’amélioration des conditions d’existence et des perspectives des personnes les plus pauvres et défavorisées de la planète. Les 193 membres des Nations Unies se sont engagés à opérer les changements qui permettront de vaincre la pauvreté et la faim, de réduire les inégalités entre pays et au sein des pays, d’atteindre l’égalité de traitement entre femmes et hommes, de permettre la participation sociale, politique et économique de tous les habitants de la Terre, améliorer leurs chances et garantir la qualité de vie des générations futures.

à effet de serre produites à l’étranger représentent presque les deux tiers de l’ensemble des émissions que produit la Suisse. Si l’on tient compte de ces « émissions grises », les gaz à effet de serre produits par la Suisse ont augmenté de 7 pour cent entre 2008 et 2015. Si tous les habitants de la Terre se mettaient à vivre comme les Suisses, il faudrait trois planètes pour garantir cette prospérité.

Stratégie de l’argent gris, un manque de transparence En 2017, des biens étrangers d’un montant de quelque 3000 milliards de francs ont été administrés en Suisse. Cela représente un quart de l’ensemble des fonds investis à l’étranger partout dans le monde. La Suisse est la plus importante place financière offshore du monde. Pour répondre aux pressions de plus en plus insistantes de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) et de l’Union européenne (UE), et après avoir longtemps mis les pieds au mur, la Confédération a fini par adapter sa politique fiscale et financière, en adoptant des standards internationaux minimaux. Aujourd’hui, la Suisse mène une politique financière à deux faces : avec les pays industrialisés et les pays émergents, la stratégie est à la transparence grâce à l’échange automatique d’informations (AIA) ; avec les pays pauvres du Sud, le pays privilégie en revanche une politique discrète et cachée de l’argent noir. Par conséquent, l’évasion fiscale, les transferts financiers opaques et les transferts de bénéfices des sociétés transnationales continuent de priver les pays en développement d’importantes ressources financières et de recettes fiscales qui pourraient être investies dans des domaines tels que l’éducation, la santé et les affaires sociales. Rien que les États d’Afrique subsaharienne perdent en évasion fiscale et

en flux financiers illégaux plus d’argent que ce qu’ils touchent dans le cadre de la coopération au développement. La Suisse est en partie responsable de cet état de fait. Elle fait partie des dix pays les moins performants du monde en matière de secret bancaire et de paradis fiscal. Investissements néfastes dans les énergies fossiles Même si une certaine transparence et justice fiscale s’installent peu à peu, un problème reste irrésolu : la place financière suisse « entretient » le réchauffement climatique global bien au-delà du réchauffement de 2 degrés préconisé en 2015 par l’Accord de Paris sur le climat. Un test de compatibilité réalisé en 2017 portant sur la cohérence climatique du portefeuille des assureurs et caisses de pension suisses montre que, avec les investissements actuels, il faut s’attendre à un réchauffement allant de 4 à 6 C °. Les investissements en actions de la Banque Nationale suisse représentent à eux seuls plus que les émissions annuelles de CO2 de toute la Suisse. Si la place financière suisse était un pays, elle se placerait au 6e rang mondial des émetteurs. On ne peut gagner la lutte contre le changement climatique ni mettre en œuvre l’accord climatique international, en investissant dans des entreprises de charbon, de pétrole et de gaz.

Exportations irresponsables de matériel de guerre La Suisse fait partie des dix plus importants exportateurs de systèmes d’armes conventionnels par habitant du monde, aux côtés des États-Unis, de l’Allemagne, d’Israël et de la France. Les autorisations d’exportations de matériel de guerre ont augmenté de 8 pour cent en 2017, pour une somme de presque 450 millions de francs. C’est pratiquement autant que les fonds alloués à la Direction du développement et de la Coopération (DDC) pour l’aide humanitaire de la Suisse partout dans le monde. Des exportations de matériel de guerre se chiffrant en dizaines de millions ont été notamment approuvées à destination de la Thaïlande, du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Inde, du Pakistan, de l’Arabie-Saoudite et de la Malaisie. Parfois, les gouvernements de ces pays utilisent ces armes contre leurs opposants ou leurs minorités. De plus, les exportations de matériel de guerre vers des régions en conflit rendent difficile ou impossible la recherche de résolutions politiques et diplomatiques des conflits. À l’été 2018, le Conseil fédéral a même décidé d’abandonner l’interdiction absolue d’exportation de matériel de guerre vers des pays en proie à une guerre civile.

Tranquillement profiteurs La prospérité suisse dépend en grande partie de l’intégration du pays dans le commerce mondial et des excédents commerciaux qui en découlent. Un quart du commerce extérieur de la Suisse s’effectue avec des pays en développement ou des pays émergents. En 2016, sans compter les métaux précieux, ce commerce extérieur a engendré un excédent de 22 milliards de francs. En 2016 et 2017, avec la seule Afrique, la Suisse a atteint un excédent de 2 milliards de francs par année. Ce chiffre est comparable à l’ensemble

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de la coopération au développement de la DDC et du Secrétariat d’État à l’économie (SECO). Dans ses accords commerciaux, la Suisse prétend qu’elle concilie ses intérêts économiques propres avec ceux du développement durable dans les pays du Sud. Dans les faits toutefois, les standards écologiques et sociaux sont souvent négligés, au grand dam de l’environnement et des populations pauvres. Le Conseil fédéral, faisant fi de plusieurs initiatives parlementaires, a jusqu’à présent refusé d’examiner l’impact des accords de libre-échange sur les droits de l’homme et d’autres aspects du développement, avant de les conclure.

Politique incohérente des matières premières La Suisse est l’une des plaques tournantes mondiales les plus importantes en ce qui concerne les matières premières que sont le café, les céréales, le pétrole et les métaux. Ce secteur économique génère un chiffre d’affaires annuel d’environ 25 milliards de francs. Ces affaires se déroulent souvent dans le secret. Il serait nécessaire de veiller à ce qu’elles fassent l’objet d’une plus grande transparence. Certes, avec la révision actuelle du droit des sociétés, la Confédération cherche à créer une réglementation plus sévère, sociale et écologique, en ce qui concerne l’exploitation des matières premières. Mais le commerce des matières premières, ce secteur tellement lucratif, n’est pas concerné par cette révision. Il reste soumis à une autorégulation volontaire, qui ne suffit évidemment pas du tout à garantir le respect des droits de l’homme et des standards environnementaux.

Malgré la prospérité et notre responsabilité globale – on épargne sur le budget de la coopération au développement En regard de la prospérité et durabilité du pays et du fait qu’elles sont liées à d’importantes contraintes pour les pays en développement et le climat global, la Confédération investit très peu dans la coopération au développement. Malgré des excédents répétés du budget de l’État, on met en place des mesures d’austérité et on diffère les investissements pour un avenir durable. Ces mesures d’économie et restrictions de budget se font essentiellement au détriment de l’engagement de la Suisse à l’étranger. En 2017, la DDC et le SECO ont contribué à la coopération au développement à hauteur de presque 2 milliards de francs. L’Aide publique au Développement, APD – qui englobe notamment l’aide humanitaire, des contributions du Secrétariat d’État aux migrations ou la promotion de la paix – s’est élevée durant cette même année à 3049 millions de francs. C’est une réduction de 480 millions de francs par rapport à l’année précédente, et un recul de 14 pour cent. Le Conseil national a beau avoir confirmé en septembre 2017 que la Confédération devait garder l’objectif d’engager 0,5 pour cent de son PNB dans l’APD, ce taux est tombé à 0,46 pour cent durant la première année de la période CI 2017-2020. C’est le taux le plus bas depuis 2013.

Pauvreté, changement climatique, migration forcée, urbanisation et emplois Cinq défis de politique du développement apparaissent lorsqu’on envisage l’avenir : de nouvelles formes de pauvreté et d’inégalités, le changement climatique et l’augmentation des catastrophes naturelles, les crises de plus en plus durables et la migration forcée, l’urbanisation et les zones urbaines informelles échappant au contrôle de l’État, la création d’emplois décents et de perspectives d’avenir.

jour restent très pauvres, endettées, sans perspectives. De plus, les progrès ne sont pas univoques au sein des pays et dans les différentes régions du monde. Dans certains lieux, l’oppression à l’encontre des personnes défavorisées, des femmes et des enfants, a augmenté ces 20 dernières années. L’inégalité croissante et l’exclusion sociale engendrent de nouvelles formes de pauvreté, déstabilisent les sociétés et suscitent des conflits.

Pauvreté et inégalité Ces dernières années, la lutte contre la pauvreté a connu quelques améliorations, surtout dans les domaines de la santé, de la mortalité infantile et maternelle, de la scolarisation et de la réduction de la pauvreté extrême. Depuis le début des années 2000, certains pays pauvres ont accédé au groupe de pays à « revenus moyens ». Mais il faut voir que la lutte contre la pauvreté extrême n’est pas suffisante en soi : les personnes qui gagnent un peu plus de 2 dollars par

Même si l’extrême pauvreté a globalement diminué, plus de deux milliards de personnes doivent encore et toujours survivre avec moins de 3 dollars par jour. Dans les pays les moins développés, comme le Soudan, le Tchad, la Somalie, Haïti ou encore le Laos et le Myanmar, la très grande majorité de la population est pauvre. Dans les pays à revenu moyen également, une large partie de la population reste pauvre. En Afrique du Sud, la situation sur ce front s’est même aggravée ces dernières années. Selon les estima-

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tions, en 2030, environ 80 pour cent des populations de ces pays vivront dans la pauvreté.

Changement climatique et limites des charges pour la planète Ces quatre dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées depuis que l’on mesure le climat. Des études établissent que la température moyenne globale a déjà augmenté de 0,9 à 1,2 degré Celsius par rapport à son niveau d’avant l’ère industrielle. Pour éviter le dangereux point de basculement du système climatique, la communauté internationale s’est fixé pour but de limiter le réchauffement à 1,5, au maximum 2 degrés Celsius. Or, avec les différentes stratégies nationales de protection du climat actuellement mises en œuvre, la Terre subit un réchauffement de l’ordre de 3 à 4 degrés Celsius. La communauté internationale devrait en fait réduire très fortement ses émissions et les ramener à zéro d’ici 2050. Mais ce n’est pas ce qui se passe : certes, durant trois ans, les émissions de CO2 sont restées stables, mais elles ont recommencé à augmenter depuis 2017. Les effets dévastateurs du changement climatique se font particulièrement sentir dans les pays pauvres du Sud : phénomènes météorologiques imprévus, tempêtes tropicales, inondations, violentes intempéries, sécheresses occasionnant des pénuries alimentaires et en eau, augmentation du niveau des océans. Les populations pauvres sont particulièrement vulnérables à ces effets : elles vivent dans des régions et pays plus fréquemment touchés par les crises climatiques et les catastrophes environnementales  ; de plus, ces pays et régions manquent des moyens qui leur permettraient de s’adapter aux conséquences négatives du changement climatique. Le changement climatique crée donc une nouvelle pauvreté. Et il réduit à néant les efforts et progrès déjà accomplis en matière de lutte contre la pauvreté. En 2007 déjà, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUE) relevait que le changement climatique menaçait les progrès accomplis ces dernières décennies en matière de lutte contre la pauvreté et qu’il freinait, et même empêchait, l’essor économique et les progrès sociaux d’un certain nombre de pays du Sud.

États instables et migration forcée Plus de 2 milliards d’êtres humains vivent dans des pays et régions en proie à des conflits, des violences et l’insécurité. Les gouvernements de ces pays n’ont pas les moyens, ou pas la volonté, de garantir le droit, la sécurité et la prise en charge la plus élémentaire de leurs populations. Les situations d’instabilité et de fragilité se multiplient un peu partout dans la monde, et frappent, non pas seulement les pays les plus pauvres, mais également les pays à revenu moyen. Conséquence : on estime qu’en 2030, la plus grande partie des populations de ces pays seront pauvres.

En 2015, près d’un million de personnes ont fui le MoyenOrient, l’Afrique et l’Asie pour rejoindre l’Europe. Cela a rendu visible le fait que les conflits et les guerres représentent un défi, non seulement au plan régional, mais aussi au plan international. L’absence de solidarité envers les personnes forcées de migrer et l’irresponsabilité des gouvernements vis-àvis de leurs propres ressortissants engendrent et perpétuent des situations de détresse et d’urgence humanitaire. La plupart du temps, les conflits armés, l’oppression et la répression des populations sont des causes directes de la fuite et des déplacements. En règle générale, ces déclencheurs découlent de causes structurelles que sont la pauvreté et l’absence de perspectives, mais aussi, de plus en plus souvent, les catastrophes naturelles et les événements climatiques extrêmes. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure la responsabilité de l’Europe est engagée – par sa participation aux guerres du Moyen-Orient, par son implication dans le changement climatique et par ses subventions à l’agriculture et aux exportations. Les pays européens estiment que le pic de migration des années 2015 et 2016 est terminé. Mais, selon les chiffres de l’ONU de 2017 pour les réfugiés, les personnes en fuite de par le monde sont plus nombreuses que jamais. Il est vrai que toujours moins de migrants et de fuyards atteignent le continent européen. La politique migratoire européenne de l’isolement et de la dissuasion porte ses fruits. Le renforcement des frontières extérieures de l’UE et les accords diplomatiques avec des pays comme la Turquie, la Libye ou l’Éthiopie ont certes permis de réduire fortement le nombre de réfugiés en Europe – environ 50 000 personnes au premier semestre 2018 –, mais les problèmes humanitaires liés à la fuite et au déplacement restent non résolus.

Urbanisation et développement urbain informel Aujourd’hui, plus de 7,4 milliards d’êtres humains peuplent la planète. En 2030, ce seront probablement 8,5 milliards, et en 2050 près de 10 milliards de personnes. Alors qu’en Europe, la population va diminuer et se maintenir autour de 700 millions de personnes d’ici 2050, celle des pays en développement va en revanche augmenter de près de 40 pour cent et passer de 6,1 à 8,5 milliards de personnes. Aujourd’hui déjà, la moitié de la population du monde vit dans des villes. On estime que d’ici 2050, il y aura trois milliards de citadins de plus, presque tous vivant en-dehors du monde occidental, en Asie et en Afrique. Environ deux tiers de la population sera alors citadine, et la majorité vivra dans des conditions précaires, dans des quartiers informels et des bidonvilles. Partout dans le monde, 2,5 milliards de petits paysans travaillent 60 pour cent de la surface agraire. Dans le même temps, les villes représentent 70 pour cent de la production économique mondiale. D’une part, les villes sont des marchés importants pour les produits agricoles, mais de l’autre, l’augmentation des surfaces qu’elles occupent met en danger les sols fertiles et les ressources en eau, essentielles pour l’agriculture. Dans de nombreux pays du Sud, l’un des

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défis majeurs est de réussir un développement spatial durable et visionnaire prenant en compte à la fois les nécessités des zones urbaines et rurales.

Emplois et perspectives d’avenir L’engagement de l’économie privée est un facteur de changements. Lorsque l’économie est florissante et les échanges de biens équitables, lorsque l’économie locale et internationale investit dans la durabilité, elle crée des emplois et des perspectives d’avenir. C’est également le cas sur le continent africain où la moyenne d’âge de la population est de 18 ans. L’Afrique comptera bientôt 2 milliards d’habitants. Pour faire face à ce défi, il faudrait créer chaque année plus de 20 millions d’emplois, dans les villes et dans les campagnes. Le défi est de faire en sorte que toutes et tous puissent se partager la prospérité de manière appropriée. Il faut donc repenser le modèle économique basé sur la croissance, et innover. En signant l’Agenda 2030 de développement durable, tous les pays se sont engagés à prendre une nouvelle direction vers une économie mondiale plus respectueuse de l’environnement, moins gourmande en ressources et apte à répondre aux problèmes sociaux de pauvreté, de famine, d’inégalités

Constitution fédérale : d’abord la solidarité Le mandat fondamental de la coopération au développement découle de la Constitution fédérale, qui charge la Confédération de contribuer à « […] soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles » (art. 54.2 Cst.). La Loi fédérale sur la coopération au développement et l’aide humanitaire internationales précise en outre que la coopération au développement doit tenir compte de « la situation des pays partenaires et des besoins de la population à laquelle elle est destinée ». Elle soutient en priorité les pays, régions et groupes de population pauvres en développement.

et d’exploitation. Pour y parvenir, il faut doublement découpler l’action économique et le développement mondial, d’une part de la dégradation de l’environnement et des systèmes de production et d’énergie dommageable au climat, et d’autre part, des conditions de travail et de production indignes.

Huit thèmes centraux pour un agenda de politique du développement efficace Caritas s’attend à ce que la future coopération internationale de la Confédération soit fermement axée sur le développement durable en Suisse et partout dans le monde. Le Conseil fédéral et le Parlement sont tous deux invités à mettre en œuvre les huit revendications suivantes pour une politique cohérente et coordonnée, une coopération au développement efficace et solidaire ainsi qu’un développement durable, compatible avec le climat, partout dans le monde.

1. L a coopération au développement commence ici, chez nous Après l’adoption par la communauté internationale de l’Agenda 2030 de développement durable, le Conseil fédéral a reconnu que l’Agenda représentait un nouveau cadre de référence universel. La Suisse doit s’engager en politique intérieure et extérieure ainsi que dans la coopération internationale et dans tous les secteurs politiques. Pour atteindre les objectifs de développement durable, tous les départements de l’administration fédérale doivent apporter leur contribution.

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Pour pouvoir donner de véritables impulsions durables de changement, la coopération au développement a besoin de conditions-cadres favorables au développement. La Confédération doit donner un caractère propice au développement aux affaires politiques ayant un impact sur les pays en développement  : les accords de libre-échange doivent contenir des dispositions relatives au commerce sur les normes du travail et environnementales et harmoniser les intérêts économiques avec le développement durable en Suisse et dans le pays partenaire. Il faut empêcher l’évasion fiscale des personnes privées dans les pays en développement, ainsi que la pratique des entreprises internationales ayant leur siège en Suisse de transférer leurs bénéfices pour faire baisser leur charge fiscale. En ce qui concerne l’importation de denrées alimentaires et de fourrage, il s’agit de poser des normes sévères favorisant la sécurité alimentaire et la protection environnementale des pays en développement. En ce qui concerne le contrôle de l’exportation d’armement, en cas de doute, il faut toujours mettre la priorité sur la promotion de la paix et des droits de l’homme du pays étranger plutôt que sur les intérêts de la Suisse et de l’industrie de l’armement. Et il faut inviter fer-


mement les entreprises internationales, notamment du secteur des matières premières et celles qui sont présentes dans les pays fragiles et les régions en conflit, à respecter leurs engagements en matière d’environnement et de droits humains. • Caritas invite le Conseil fédéral à créer une unité institutionnelle centrale de haut niveau, interdépartementale et intersectorielle, apte à garantir la cohérence de la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Cette unité devra examiner les affaires politiques sous l’angle de leur « compatibilité avec les Objectifs de développement durable » et relever les éventuels conflits d’objectifs entre eux. Il sera ainsi possible de mieux évaluer les impacts sociaux, économiques et écologiques des décisions politiques en Suisse et à l’étranger, aujourd’hui et pour les générations futures. • Caritas demande que le chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et « ministre du Développement » souligne, par le biais d’un co-rapport, les effets éventuellement négatifs des lois et politiques intérieures des autres départements sur les pays en développement. À l’attention du Parlement et de l’opinion publique, le rapport du Département sur la politique étrangère doit informer chaque année des progrès accomplis en matière de cohérence et d’harmonisation entre les domaines du développement et les différentes politiques.

mier plan pour les matières premières. Il est donc de sa responsabilité de s’engager partout dans le monde pour un développement durable. Et, au-delà de la responsabilité, la Suisse en tirerait de grands bénéfices. En 1970 déjà, dans le cadre de l’ONU, la communauté internationale s’est mise d’accord sur le principe de verser aux pays en développement le 0,7 pour cent de leur produit national brut (PNB) sous forme de coopération au développement, en gage de solidarité et pour combattre la pauvreté. Ce principe a été renouvelé dans l’Agenda 2030. • Compte tenu du niveau de vie élevé, de la responsabilité partagée face aux risques globaux et de l’intérêt pour la Suisse de favoriser le développement durable partout dans le monde, le Conseil fédéral et le Parlement doivent s’efforcer d’accroître progressivement les montants alloués à la coopération au développement et, d’ici la fin de la période 2021-2024 au plus tard, d’atteindre 1 % du PNB. Certains pays y parviennent déjà. Une étape importante serait de parvenir au 0,7 pour cent en 2020. • Caritas demande que la moitié de l’aide publique au développement soit affectée aux pays les plus pauvres et les moins développés. L’engagement de venir en aide à ce groupe de pays a été inscrit dans l’Agenda 2030.

• La DDC et le SECO doivent s’engager plus fermement dans les consultations de service et les groupes de travail interdépartementaux, mettre en évidence les conflits d’objectifs et les incohérences entre les politiques et expliquer les impacts des politiques nationales sur les pays en développement. Il faut revaloriser la Division Analyse & Politique de la DDC et l’équiper en ressources et en compétences nécessaires.

• Il faut étendre l’aide vers l’Afrique – l’augmenter à environ deux tiers des fonds bilatéraux de développement. D’une part, le continent doit faire face à d’importants défis : la création de perspectives de vie et d’emploi pour la jeunesse africaine, la lutte contre la pauvreté, très largement répandue, les conflits armés, les crises alimentaires et les pénuries d’eau. D’autre part, le nombre de personnes pauvres vivant dans des contextes de conflits ou d’insécurité ne cesse d’augmenter, notamment en Afrique.

2. Il faut consacrer plus de moyens à la coopération au développement

3. M ieux soutenir les premières victimes du changement climatique

Partout dans le monde, les risques de pénurie d’eau, d’insécurité alimentaire, de conflits autour des ressources naturelles, liés au changement climatique et à la dégradation de l’environnement, aux déplacements forcés de personnes à cause de catastrophes naturelles dues au changement climatique ainsi qu’à l’instabilité systémique et économique, sont en augmentation. Les premières victimes, et celles qui souffrent le plus de cet état de fait sont les pays en développement. Mais dans un monde aussi interconnecté et globalisé que le nôtre, la Suisse est également concernée.

Les effets dévastateurs du changement climatique se font déjà bien sentir dans l’agriculture, et en ce qui concerne la sécurité alimentaire et l’accès à l’eau. Les personnes vivant dans les foyers de famine, par exemple en Afrique subsaharienne ou en Asie du Sud, sont particulièrement touchées. En tant que premiers responsables du changement climatique, les pays riches doivent désormais aider les pays en développement à protéger le climat et à sortir des énergies fossiles, à s’adapter aux conséquences négatives du changement climatique et à faire face aux dommages climatiques.

La Suisse est prospère, et elle bénéficie beaucoup de la globalisation. C’est l’une des places financières les plus puissantes de la planète, et une plaque tournante de pre-

Des mesures de protection du climat servent à ralentir le changement climatique ou à réduire ses effets. Le reboisement, la protection et la renaturation des forêts et des sols

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humifères ou les systèmes d’énergies renouvelables permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les projets d’adaptation au changement climatique visent quant à eux à faire face aux changements déjà en cours. Il s’agit dans ce cas d’adapter l’agriculture aux nouvelles conditions, de mettre en place des méthodes d’irrigation économes, de construire ou rénover des digues côtières et le long des fleuves et de mettre en place des systèmes de prévention des tempêtes et des inondations. La coopération au développement ne peut pas se charger à elle seule de la protection du climat et de l’environnement au-delà des frontières de la Suisse. Si la communauté internationale veut réellement favoriser une transformation vers un développement mieux adapté au changement climatique et plus pauvre en émissions, elle doit mobiliser de nouveaux fonds pour ce faire. Elle l’a reconnu, et a créé le financement international de mesures de protection du climat, qui va collecter chaque année, dès 2020, 100 milliards de dollars dans ce but. Ce fonds, indépendant de la coopération au développement, est un engagement contraignant des pays riches dans le cadre de l’accord de l’ONU sur le climat. L’Accord de Paris sur le climat, signé en 2015, représente un tournant de la politique internationale en la matière. Il faut maintenant s’appuyer sur la dynamique qu’il a créée pour faire avancer la lutte contre le changement climatique, et concevoir des mesures climatiques qui soient harmonisées avec la lutte contre la pauvreté dans le monde. Au vu de la politique actuelle des États-Unis en matière de changement climatique, l’UE et ses grands pays, la France, l’Allemagne et l’Italie, mais aussi les plus petits pays riches et tirant fortement profit de la mondialisation comme la Suisse, doivent prendre leurs responsabilités et se poser en leaders. La Suisse a donc besoin d’une stratégie ambitieuse et cohérente en matière de climat, tenant mieux compte de la protection du climat et de la durabilité au plan national et allouant plus de moyens aux projets climatiques dans les pays en développement, dans l’intérêt de la justice climatique mondiale. • Par devoir de solidarité, mais aussi dans notre propre intérêt, il faut mieux soutenir les pays du Sud dans leur virage vers un développement pauvre en émissions et adapté au climat. Au vu de sa puissance économique et de sa responsabilité dans le réchauffement climatique, la contribution annuelle de la Suisse dans le financement international de la lutte contre le changement climatique doit s’élever à 1 milliard de francs. Caritas demande au Conseil fédéral de mettre en place un plan permettant d’atteindre ce but au moyen de mécanismes de financement tenant compte du principe du pollueur-payeur. • La DDC et le SECO doivent faire en sorte que les fonds alloués à la protection du climat soient équivalents à ceux alloués aux mesures d’adaptation au changement climatique dans les pays pauvres touchés par ce dernier. Les acteurs sur place doivent pouvoir bénéficier de ces finan-

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cements de manière plus simple et rapide. En outre, les organisations communautaires et la société civile doivent être plus étroitement associées aux projets climatiques. • Pour respecter l’Accord de Paris, il ne suffit pas de définir des objectifs ambitieux pour 2030. C’est dès maintenant qu’il faut engager des efforts supplémentaires en Suisse même. Selon toute probabilité, la Suisse ne va pas pouvoir atteindre ses objectifs climatiques d’ici 2020. Caritas attend du Conseil fédéral qu’il trouve des moyens de réduire, d’ici 2030, nos émissions de gaz à effet de serre de 60 pour cent par rapport à ce qu’elles étaient en 1990. Le Conseil fédéral et le Parlement doivent veiller à ce que s’installe une place financière « verte ».

4. O rganiser une migration équitable et digne Le nombre de personnes qui vivent hors de leur pays d’origine a augmenté de 50 pour cent depuis l’an 2000. Il s’agit désormais de quelque 260 millions de migrants, soit 3,4 pour cent de la population du monde. Souvent, ces personnes cherchent de meilleures conditions d’existence et des possibilités de revenu qu’elles ne peuvent pas obtenir dans leur pays d’origine. Et souvent aussi, le prix à payer pour les migrants est très élevé : dans ce mouvement migratoire mondial, près d’une personne sur cinq se retrouve dans une situation très précaire et dénuée de droit. Plus de 71 millions de personnes fuient la violence, la guerre, l’oppression politique et des violations des droits de l’homme. La grande majorité de ces fuyards cherche asile au sein même de leur pays ou dans les pays voisins. Les pays en développement portent donc l’essentiel de la charge liée à l’accueil des réfugiés. Malgré le nombre comparativement plutôt faible de demandeurs d’asile arrivant en Europe, les pays européens ne sont pas disposés à accepter un plus grand nombre de personnes. Cela signifie que des millions de personnes cherchant refuge sont bloquées, et parfois tuées, aux frontières extérieures de l’Europe. Chaque année durant ces quatre dernières années, plus de 3000 personnes sont mortes noyées en Méditerranée dans leur tentative d’atteindre les rives de l’Europe. Pour un grand nombre de personnes, la migration continue donc de représenter un énorme risque. Mais c’est aussi, de plus en plus, une chance à saisir pour les migrants euxmêmes, ainsi que pour les pays d’accueil et les pays de départ. La place économique suisse dépend de la migration. Parallèlement, les migrants soutiennent leurs familles restées au pays par des transferts d’argent, des investissements propres et les connaissances qu’ils ont acquises. Ils contribuent ainsi au développement de leur pays d’origine. L’objectif de politique de développement doit donc être formulé ainsi : les personnes qui restent au pays doivent béné-


ficier de meilleures conditions de vie et perspectives économiques. Et celles qui se décident à migrer doivent pouvoir le faire dans des conditions dignes et sûres.

5. P romouvoir la démocratie et renforcer la société civile

La coopération internationale traite le problème de la migration par différentes interventions : la coopération au développement durable est préventive. Elle investit dans les perspectives d’avenir et améliore les conditions de vie sur place, ce qui permet de prendre en compte les causes de la fuite et de la migration forcée, et de réduire cette dernière. L’aide humanitaire permet quant à elle de réduire immédiatement sur place la détresse des personnes déplacées et de celles qui sont sur la route. Elle assure un logement temporaire, protège de la violence les personnes particulièrement vulnérables et crée de meilleures conditions d’existence dans les camps de réfugiés. De plus en plus, outre les besoins de base – un toit sur la tête, de l’eau potable, l’alimentation, les soins médicaux et l’école primaire – il s’agit d’assurer la formation professionnelle et de créer des emplois pour les personnes déplacées. En particulier dans le domaine de la fuite et des déplacements, les frontières entre les projets à long terme et l’aide humanitaire d’urgence sont de plus en plus floues.

Les régimes autoritaires jugulent de plus en plus ouvertement les voix de l’opposition et celles des organisations civiles. On observe des revers inquiétants jusque dans les démocraties apparemment stables. Partout ou presque, la liberté, l’Etat de droit et la participation politique sont désormais sous pression. La répression touche les organisations non gouvernementales, les activistes des droits de l’homme, les personnes défendant les droits des femmes et celles qui aident les réfugiés, les journalistes, les universitaires, les écrivains et intellectuels, les leaders de l’opposition politiques et les populations indigènes.

• La mobilité est un fait résultant de la mondialisation. Il faut concevoir la migration de manière équitable et digne. Caritas attend de la DDC et du SECO qu’ils contribuent, dans les pays partenaires, à promouvoir des conditions d’emploi et de vie corrects, à prévenir la traite d’êtres humains ou à accompagner de manière constructive les migrations régionales, circulaires et rurales vers la ville. Cet engagement doit faire la part belle aux droits fondamentaux et aux besoins des migrants et leur permettre de revendiquer ces droits. • La politique extérieure migratoire interdépartementale qui vise à améliorer la coordination entre les politiques migratoires et du développement ne doit pas s’appuyer sur la dissuasion et le renvoi des migrants « irréguliers ». Il faut mettre l’accent sur l’aide humanitaire et la protection des personnes persécutées sur place et sur les routes de l’exil, favoriser une migration économique équitable et traiter les causes de la migration forcée. Une politique migratoire vraiment cohérente doit tenir compte des effets des activités économiques de la Suisse dans les pays d’origine des migrants. • Ni de manière bilatérale ni dans le cadre de l’UE, la Suisse ne doit pas soutenir financièrement et matériellement les régimes autocratiques d’Afrique du Nord, de l’Ouest et de l’Est qui empêchent par la violence et la coercition les personnes de migrer. Caritas appelle le Conseil fédéral et le monde politique à prôner une migration sûre et basée sur le droit, à mieux employer l’instrument des visas humanitaires pour les personnes qui fuient et à leur offrir ainsi une alternative aux routes de l’exil sur lesquelles ces personnes risquent leur vie.

Dans les pays autoritaires, les conditions qui favoriseraient des changements durables et positifs ne sont pas réunies. Les services publics de base sont insuffisants, tout comme la primauté du droit et une gouvernance responsable. Dans de nombreux cas, on réduit au silence une société civile indépendante et critique. Plus un régime s’éloigne des valeurs démocratiques, plus la protection et le soutien des partenaires de la société civile deviennent nécessaires pour qu’ils puissent jouer leur rôle de porte-parole des groupes défavorisés ou d’observateurs des violations des droits de l’homme. Les organisations de la société civile et les ONG sont des acteurs indépendants importants de la coopération au développement, aussi bien dans les pays partenaires que dans les pays donateurs. Elles promeuvent une participation active aux processus de développement des groupes de population pauvres et marginalisés et travaillent à faire en sorte que les projets de développement atteignent réellement les personnes défavorisées et soient adaptés à leurs besoins. • Dans les pays qui sont prêts pour les réformes, la Confédération doit soutenir les aspirations démocratiques aux différents niveaux de l’Etat. La DDC et le SECO peuvent aider des pays partenaires à rendre les services publics plus transparents et fiables. Ils peuvent conseiller les communautés et les autorités dans leur volonté de restituer les ressources et les recettes fiscales aux populations locales, par exemple pour la santé, l’éducation et les affaires sociales. • Si la coopération au développement doit à l’avenir mobiliser plus de fonds des pays en développement eux-mêmes, Caritas attend du Conseil fédéral et du Parlement qu’ils s’engagent davantage dans la lutte contre les transferts et l’évasion fiscale. Le soutien à une administration financière et fiscale transparente dans les pays en développement doit aller de pair avec une réduction des incitations fiscales en Suisse favorisant les transferts financiers inéquitables en provenance des pays en développement.

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• Dans les pays qui se ferment à toute réforme démocratique, la DDC peut s’engager en faveur des acteurs civils luttant pour le changement (par exemple les activistes des droits de l’homme, celles et ceux qui aident les réfugiés, les journalistes, etc.). Cela aiderait des personnes qui portent un regard critique sur le gouvernement et l’administration et signalent les abus sociaux, écologiques et les violations des droits de l’homme. Lors de rencontres bilatérales, le Conseil fédéral doit également se pencher sur le respect de l’égalité des droits et la participation démocratique de toutes les couches de la population, et rappeler les principes d’une administration responsable et transparente.

6. M ieux coordonner la coopération au développement et l’aide humanitaire Partout dans le monde, plus de 130 millions de personnes dépendent d’un soutien humanitaire ou d’une protection, en proie à la famine, aux crises actuelles, aux conflits au Proche-Orient et sur le continent africain, aux catastrophes naturelles et aux conséquences négatives du changement climatique dans les pays en développement. Ces six dernières années, les besoins humanitaires ont presque triplé, passant d’un peu moins de 9 à plus de 25 milliards de dollars. La moitié seulement de ces 25 milliards est couverte par la communauté internationale. Récemment, le nombre et l’intensité des conflits et des guerres ont augmenté. Depuis 2005, le nombre de personnes victimes de conflits a décuplé pour atteindre, provisoirement, son chiffre le plus haut en 2015. Entre 2010 et 2016 seulement, le nombre de victimes civiles a doublé. De plus, les conflits ont forcé des milliers de personnes à quitter leur maison. Les conflits intérieurs sont de plus en plus instrumentalisés et renforcés par l’ingérence de puissances étrangères. La Suisse est également responsable de ces conflits armés, car elle est exportatrice de matériel d’armement et de munitions dans des régions instables. Dans de nombreuses régions en conflit, la forte demande de matières premières et le manque de transparence dans leurs achats contribuent aussi directement ou indirectement au financement de leurs instigateurs. Le budget de la défense suisse est passé en 2017 à 4,7 milliards de francs. En revanche, les coûts de prévention des crises, de promotion de la paix et de résolution des conflits sont restés constants à 100 millions de francs. Le déséquilibre entre les dépenses consacrées aux mesures civiles de promotion de la paix partout dans le monde et les dépenses militaires consacrées à la défense nationale s’accroît.

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• La promotion de la paix, la politique humanitaire et les revendications relatives aux droits de l’homme à l’étranger doivent être revalorisées en regard des capacités militaires du pays. L’acquisition d’avions de combat doit être reconsidérée, et il faut augmenter les contributions à la médiation et aux « bons offices » pour la résolution pacifique des conflits, les dialogues politiques et les initiatives diplomatiques. L’exportation de matériel de guerre vers des régions en guerre ou en conflit ainsi que vers des régimes autoritaires et ne respectant pas les droits de l’homme est à proscrire. • Caritas attend de la Confédération qu’elle coordonne plus efficacement ses instruments de promotion de la sécurité humaine, de l’aide d’urgence et de l’aide humanitaire et de coopération internationale. Cela nécessite une collaboration étroite entre les différentes interventions et des mécanismes de financement plus souples. • De même, l’allocation des fonds devrait mieux refléter l’importance croissante des acteurs indépendants et humanitaires dans la société civile. Les ONG locales installées sur place sont des partenaires incontournables, à côté du CICR et des organisations de l’ONU, pour mettre en œuvre les programmes d’aide humanitaire. Leurs compétences, leur souplesse et leur proximité avec les personnes dans la détresse sont autant d’arguments en faveur d’une meilleure prise en compte.

7. E xiger de l’économie le respect de standards écologiques et sociaux Le besoin de fonds pour le développement est énorme, les fonds publics sont limités. Certains acteurs, comme l’ONU et la Banque Mondiale, se tournent donc vers les entreprises privées. En Suisse, la Confédération cherche à activer la coopération avec le secteur privé. Outre les partenariats public-privé pour le développement, les investissements privés doivent être garantis par des fonds publics ou des fonds de développement doivent être mis à disposition dans le cadre d’un financement mixte pour promouvoir des projets du secteur privé. Et on oublie que plus les fonds du développement servent à promouvoir les activités de l’économie privée, moins il en restera pour la lutte contre la pauvreté en tant que telle. Les investissements privés peuvent promouvoir le transfert des savoirs et des technologies, parfois ils permettent d’augmenter le revenu fiscal et parfois ils créent des emplois dans les pays en développement. Mais est-ce qu’ils permettent de réduire la pauvreté et d’apporter un développement durable sur place ? On peut se poser la question. En revanche, il est incontestable que dans beaucoup de pays du Sud, les intérêts économiques des entreprises entrent souvent en contradiction avec le respect des droits


de l’homme et du droit du travail. L’industrie textile par exemple emploie encore et toujours des femmes misérablement payées et victimes de discrimination.

avec les autres. Les groupes opprimés, défavorisés et vulnérables des pays en développement sont souvent exclus de la vie sociale, politique et économique.

L’économie privée porte une grande responsabilité dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Il devient de plus en plus important pour le secteur privé d’investir et de fonctionner de manière durable. Toutefois, actuellement, les investissements privés vont principalement dans les pays à revenu intermédiaire ou dans des secteurs particulièrement rentables. S’agissant d’investissements, des régions entières de l’Afrique subsaharienne sont négligées, tout comme des secteurs, les systèmes d’éducation et de santé notamment. Dans certains cas, la participation du secteur privé peut également se montrer préjudiciable, par exemple lorsque les investisseurs étrangers exercent des pressions sur les gouvernements pour obtenir des allègements fiscaux et un assouplissement des normes du travail, environnementales et sociales.

Les administrations urbaines négligent souvent leurs responsabilités dans les quartiers informels et les bidonvilles et « oublient » d’y amener les prestations et services gouvernementaux. Les habitantes et habitants doivent donc s’organiser par eux-mêmes – et souvent, ils dépendent d’une aide extérieure. L’urbanisation croissante a pour conséquence qu’il faut créer dans un court laps de temps et pour un grand nombre de personnes des villes habitables. Il faut garantir l’accès à l’eau et à l’énergie, rendre disponible une nourriture suffisante et saine et créer des services d’éducation et de santé adéquats.

• Les investissements privés des entreprises suisses dans les pays partenaires ne peuvent être soutenus par des fonds de développement que s’ils ont effectivement un impact sur la politique de développement, la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales. Les investissements privés devraient faire l’objet d’études d’impact sur les droits de l’homme et la durabilité et devraient être accompagnés par le gouvernement fédéral. • Si l’on veut développer les partenariats de développement public-privé, il faut mieux tenir compte des microentreprises locales et des petites et moyennes entreprises dans les pays du Sud vis-à-vis des grandes entreprises suisses. La DDC et le SECO sont tenus d’examiner ces formes de coopération au regard des risques éventuels et du rapport coût-bénéfice s’agissant de la réalisation des priorités nationales de développement ; il faut les rendre inclusives et les communiquer de manière transparente. • D’une manière générale, Caritas attend du Conseil fédéral et de la politique qu’ils améliorent la mise en œuvre des principes directeurs des Nations Unies pour les entreprises et les droits de l’homme. Il faut veiller à ce que des mesures juridiques et des sanctions effectives soient possibles si des entreprises dont le siège est en Suisse participent à l’étranger à des violations des droits de l’homme ou de normes sociales et environnementales.

• Caritas attend de la DDC et le SECO qu’ils mettent œuvre de manière cohérente le principe de l’Agenda 2030 de ne laisser personne en arrière. Il faut que tous les groupes de population – qu’il s’agisse de personnes vulnérables, de personnes handicapées, de migrants, ou de personnes qui fuient – aient accès à la sécurité sociale et aux soins médicaux de base, à l’eau potable, à une alimentation saine, à la scolarisation et à la formation professionnelle. • La DDC et le SECO peuvent aider les populations rurales à organiser leur agriculture dans le respect des ressources naturelles et pour qu’elle s’adapte au changement climatique. Dans les villes, on mettra l’accent sur le soutien d’un secteur privé durable et de chaînes de valeur équitables au profit des pauvres, et on privilégiera le conseil aux administrations urbaines. • Avec la stratégie adoptée en 2017 par le DFAE sur l’égalité entre les sexes et les droits des femmes, la Confédération reconnaît que l’inégalité entre les sexes est l’un des plus grands obstacles au développement durable et à la réduction de la pauvreté. Le renforcement des droits des femmes et des filles est déjà un objectif explicitement mentionné dans la période actuelle de la CI 2017-2020. Il s’agit maintenant de fournir les ressources nécessaires à cette fin.

8. N ’exclure personne, inclure tout le monde Alors que la prospérité de l’humanité augmente de manière générale, de très grandes parties de populations en sont complètement exclues. Ces dernières années, dans la plupart des pays, les inégalités de redistribution des revenus et de la fortune n’ont cessé de s’élargir. Cela renforce le sentiment subjectif de pauvreté qui découle de la comparaison

Lucerne, août 2018 Auteur : Patrick Berlinger, service de politique du développement ; Courriel : pberlinger@caritas.ch, téléphone : 041 419 23 95. Cette prise de position est téléchargeable sous www.caritas.ch/positionspapiere

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