La protection du climat peut et doit être sociale

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« Une politique climatique juste veille à ne pas accabler davantage les personnes en situation précaire, mais au contraire à leur donner la possibilité d’agir en faveur du climat. »

Prise de position de Caritas sur la politique climatique en Suisse

La protection du climat peut et doit être sociale


La justice climatique : en Suisse également En bref :

La Suisse doit présenter un bilan neutre en termes de gaz à effet de serre d’ici 2050 au plus tard. C’est ce qu’a décidé le Conseil fédéral en août 2019. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de prendre rapidement des mesures pertinentes pour une protection efficace du climat. Une telle protection peut très bien être socialement supportable. Il est crucial que les ménages à faibles revenus ne ploient pas sous des charges financières plus lourdes en raison des mesures de protection du climat. Ils doivent eux aussi être en mesure d’agir sans porter atteinte à ce dernier. La politique climatique doit donc impérativement aller de pair avec des mesures de politique sociale.

Nul ne conteste que notre pays ait rapidement besoin d’une politique climatique efficace face à l’avancée de la crise climatique. Et l’objectif est formulé depuis 2015 déjà  : à l’époque, la Suisse s’était engagée de manière contraignante, dans le cadre de l’Accord de Paris, à tout mettre en œuvre pour atteindre un bilan équilibré des émissions (le zéro net) en 2050 au plus tard. Mais les idées divergent largement quant à la conception concrète de cette politique. Le rejet de la loi sur le CO2 à la mi-juin 2021 l’a une nouvelle fois clairement démontré. Nombre de Suissesses et de Suisses ont peur des conséquences financières d’une politique climatique ambitieuse. Les instruments proposés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre n’auraient, quoi qu’il en soit, pas entraîné de charges supplémentaires pour la plupart des ménages. Mais il a de toute évidence été impossible de le démontrer. Pour Caritas, une chose est claire : la protection du climat peut et doit être sociale. Nous devons dès à présent saisir l’occasion d’amorcer un changement équitable et d’opter pour une économie et un mode de vie durables qui préservent les ressources naturelles et profitent à tous. Cette idée directrice est liée au concept de justice climatique sur la scène internationale. Il ne peut y avoir de protection climatique juste que si la politique climatique améliore durablement la situation des plus pauvres dans les pays pauvres du Sud (prise de position de Caritas « Instaurer la justice climatique », 2021). La Suisse s’est engagée à réaliser les 17 Objectifs de développement durable (ODD) dans le cadre de l’Agenda 2030 de l’ONU. Ces ODD tiennent compte sur un pied d’égalité des dimensions environnementales, sociales et économiques du développement durable. Cela signifie que la politique climatique en Suisse doit également être juste sur le plan social. Une politique climatique juste dans notre pays signifie notamment qu’une charge supplémentaire ne doit pas être imposée aux personnes en condition de précarité en raison des mesures de politique climatique nécessaires. Au contraire, il s’agit fondamentalement de soulager ces personnes. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), près de 735 000 personnes en Suisse vivaient sous le seuil de pauvreté en 2019, donc encore avant la crise du coronavirus. Presque autant, 600 000 personnes, vivaient juste au-dessus du seuil de pauvreté, dans des conditions financières modestes. Cela revient à dire que plus d’une personne sur six en Suisse arrive à peine à joindre les deux bouts dans sa vie quotidienne, vit dans des conditions de logement précaires ou

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Le Conseil fédéral note dans sa doit restreindre son rayon d’acLa politique climatique dans tion social et spatial. La polison ensemble doit s’aligner sur stratégie climatique à long terme tique climatique doit donc être ces deux principes. Les mede la Suisse : « La transition vers conçue de telle sorte que cette sures de politique climatique le zéro net s’effectue de manière frange de la population ne soit doivent si possible être conçues pas davantage exclue mais soit directement de sorte que les socialement acceptable » au contraire en mesure de béménages à faibles revenus ne néficier d’un développement soient pas davantage accablés économique et social durable - financièrement, mais aussi financièrement et qu’il leur soit plus facile d’agir sans nuire en termes d’action possible en faveur du climat. La crise du au climat. Mais ce ne sera pas toujours possible. Dans cercoronavirus rend une conception juste de la politique climatains cas, une politique climatique efficace doit passer par tique encore plus urgente. une hausse sensible des prix ou par des interdictions, ce qui affecte de manière disproportionnée les ménages aux resLa présente prise de position met en lumière les défis sosources financières limitées. C’est pourquoi des « mesures ciaux lancés à la politique climatique nationale. Elle se focad’accompagnement » sont nécessaires pour que les perlise sur les mesures possibles visant à réduire les émissions sonnes à faibles revenus puissent également agir sans nuire de gaz à effet de serre qui touchent directement la populaau climat. Ce sont généralement des dispositions élargissant tion en Suisse. Caritas se bat pour une politique climatique la marge de manœuvre financière des concernés ou favorijuste sur le plan intérieur également et bénéficiant aux persant leur accès à des ressources non financières comme sonnes défavorisées. l’éducation ou l’information. Une politique climatique socialement supportable est donc une tâche transversale incluant divers domaines politiques. Principes d’une politique climatique socialement acceptable Une politique climatique socialement acceptable en Suisse doit respecter les deux principes suivants :

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Les personnes en situation de pauvreté ou menacées de l’être ne doivent pas être, au total, accablées par des dépenses supplémentaires en raison des mesures de protection du climat.

La politique climatique sera un élément clé de notre politique sociale ces prochaines décennies. Pour qu’elle soit durable et équitable, il est donc essentiel de savoir où des répercussions négatives sont à attendre pour les personnes en situation de pauvreté et comment accroître leur capacité d’agir pour le climat. Publiée par le Conseil fédéral au début de l’année 2021, la stratégie climatique à long terme de la Suisse signale d’ailleurs comment les objectifs climatiques doivent être atteints : « La transition vers le zéro net s’effectue de manière socialement acceptable. » Les paragraphes qui suivent explorent certains instruments ou mesures de politique climatique, ainsi que des domaines politiques pertinents affectant particulièrement la situation des personnes en condition de précarité en Suisse.

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Les personnes à faibles revenus doivent également être en mesure d’agir en faveur du climat. En d’autres termes, il faut créer les conditions pour que toutes les personnes vivant en Suisse puissent agir pour la préservation du climat.

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Concevoir une politique climatique socialement acceptable Près du tiers des émissions de gaz à effet de serre de la Suisse sont produites à l’intérieur de ses frontières. 32 % de ces émissions sont rejetées par le secteur des transports, 24 % par celui du bâtiment, 24 % par l’industrie et 14 % par l’agriculture. Une réduction efficace des émissions de gaz à effet de serre de notre pays concerne en premier lieu la mobilité, le logement et le comportement de consommation de la population. Une protection sérieuse du climat a donc un effet direct dans la vie de tous les jours et exige de notre part une constante compatibilité climatique. Mais le quotidien de plus d’un million de personnes en Suisse est déjà ardu. Les mesures de politique climatique ne doivent en aucun cas aggraver la situation déjà précaire des ménages aux ressources financières limitées. Elles doivent plutôt être l’occasion d’améliorer leurs perspectives d’action.

Les mesures de politique climatique ne doivent en aucun cas aggraver la situation déjà précaire des ménages aux ressources financières limitées. Elles doivent plutôt être l’occasion d’améliorer leurs perspectives d’action. Il existe fondamentalement deux manières d’amener la population à adopter un comportement écologique, en plus de la persuasion par l’information. L’une passe par des prescriptions ou des interdictions et l’autre par diverses formes de systèmes d’incitation. Les prescriptions ou les interdictions peuvent limiter, de manière rapide et efficace, les matériaux ou les comportements néfastes pour l’environnement, tout en créant une planification sûre pour l’économie. Un bon exemple en Suisse est la loi sur la protection des eaux : les révisions de 1972, et de 1991 surtout, ont introduit des interdictions strictes de substances nocives ainsi que des prescriptions pour l’agriculture et les zones bâties, qui ont conduit à améliorer nettement et de manière visible l’état des eaux helvétiques en quelques décennies. À court terme cependant, les prescriptions légales et les interdictions en particulier peuvent aussi aller de pair avec des charges financières supplémentaires. Une brusque interdiction des carburants et des combustibles fossiles obligerait par exemple de nombreux ménages à adopter rapidement des modes de chauffage et de déplacement respectueux du climat. Les personnes à faibles revenus ne peuvent toutefois pas se permettre les investissements nécessaires.

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L’autre moyen de promouvoir un comportement respectueux du climat est de recourir à des incitations financières. Il s’agit de divers instruments influençant d’une manière ou d’une autre la formation des prix dans le but de pénaliser les comportements nuisibles au climat ou, au contraire, de récompenser les comportements écologiques. Il peut s’agir à la fois d’allégements, comme l’exemption de la taxe sur la valeur ajoutée ou les subventions directes, et de hausses de prix, par exemple par le biais de prélèvements ou de taxes sur un produit particulier. Une mesure qui a été testée dans de nombreux pays est la tarification directe ou indirecte des émissions de gaz à effet de serre. Mais une hausse des prix peut frapper durement les ménages à faibles revenus si, en parallèle, le prix d’alternatives respectueuses du climat n’est pas revu à la baisse. Contrairement aux impôts, les taxes incitatives sont restituées à la population sous diverses formes. Tant avec des prescriptions légales que des systèmes d’incitation financière, la politique climatique a souvent un effet direct sur le budget et doit donc être vue à travers le prisme socio-politique. Les paragraphes ci-après décrivent ce qui, en s’appuyant sur des taxes incitatives, doit être pris en compte dans une politique climatique tenant compte de la pauvreté.

Taxes incitatives socialement acceptables La taxe CO2 sur les combustibles fossiles, dont la Suisse dispose depuis un certain temps, la dote d’un système d’incitation fondamentalement conçu pour être socialement acceptable : l’émission de gaz à effet de serre est taxée et les recettes qui en résultent sont largement redistribuées à la population. Comme tous les habitants reçoivent le même montant (prime nominale), les comportements respectueux du climat sont récompensés. Ceux qui consomment moins se voient rembourser une contribution plus élevée que celle qu’ils ont initialement payée pour la taxe incitative. Ce mécanisme rend d’une part ces taxes équitables – les plus gros consommateurs déboursent davantage. D’autre part, elles permettent aussi aux personnes à faibles revenus d’agir pour le climat. En effet, ces dernières ne sont au moins pas davantage accablées par une faible consommation ou peuvent même en bénéficier financièrement. Les taxes incitatives ont récemment donné lieu à des discussions, en lien surtout avec les combustibles, les carburants et les prix des billets d’avion. Pour que les systèmes incitatifs déploient réellement l’effet recherché, il est judicieux non seulement de les étendre au maximum de sources d’émis-


sion, mais aussi de les fixer à un niveau suffisamment élevé et de les augmenter progressivement. En particulier dans le cas des faibles revenus, le niveau de la taxe d’incitation devient donc une question budgétaire cruciale. Pour des raisons politiques, il peut s’avérer opportun d’utiliser une partie des recettes de la taxe incitative pour financer d’autres mesures de politique climatique, comme le Programme Bâtiments ou les mesures d’adaptation au climat (affectation). Il importe toutefois qu’une part suffisamment importante soit redistribuée par habitant et que les taxes incitatives ne fassent pas qu’augmenter les prix. Les hausses de prix sans compensation ne sont pas supportables pour les ménages aux ressources financières limitées. Il y a cependant lieu de tenir compte d’autres aspects encore : La taxe existante sur le CO2 est redistribuée à la population par le biais des primes d’assurance-maladie. Concrètement, cela signifie que le montant redistribué est imputé avec les factures de primes des assurés. Une part considérable de la population ne paie toutefois pas elle-même ses primes d’assurance-maladie. Pour les personnes au bénéfice de prestations complémentaires à l’AVS ou à l’AI, les cantons transfèrent généralement la contribution pour les primes à l’assureur-maladie. Les primes des bénéficiaires de l’aide sociale sont également payées directement par l’autorité compétente. Il faut veiller à ce que ces groupes de personnes reçoivent aussi, personnellement, leur part de la redistribution de la taxe sur le CO2. À défaut de quoi leur comportement ménageant le climat ne sera pas récompensé. Les ménages à faibles revenus, qui émettent peu de gaz à effet de serre, bénéficieraient à moyen terme d’une extension des taxes incitatives. À l’inverse, il y a aussi ceux qui ne seront pas en mesure de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre aussi rapidement. On pense par exemple aux personnes tributaires d’une voiture du fait de leur lieu de résidence ou de travail. Des alternatives ménageant le climat, en l’occurrence les formes de mobilité non tributaires des énergies fossiles, doivent par conséquent être réellement disponibles et abordables pour les personnes en situation de pauvreté. L’accès aux technologies et infrastructures respectueuses du climat est donc une condition supplémentaire pour les personnes à faibles revenus, afin qu’elles puissent agir pour le climat.

ront donc plus profiter directement, sur le plan financier, de faibles émissions de gaz à effet de serre. Dans le pire des cas, certains ménages qui auront ménagé le climat et auront pu alléger leur budget via les taxes incitatives pourraient alors retomber dans la précarité.

La sécurité sociale comme base d’une politique climatique juste Ces considérations sur les taxes incitatives montrent qu’une politique climatique socialement responsable doit épouser une approche à deux voies. D’une part, il faut trouver des instruments qui encouragent directement les comportements respectueux du climat. D’autre part, il y a toujours lieu de veiller aux conditions en amont et aux conséquences à long terme de ces instruments. Cela présuppose des mesures supplémentaires ou d’accompagnement visant à accroître la capacité des personnes touchées par la pauvreté à agir pour le climat. La politique climatique est dans une phase de transition. Bon nombre des techniques quotidiennes actuelles et nos modes de pensée et de comportement doivent être transformés en une forme respectueuse du climat. La tâche est vaste autant que complexe. Il est malaisé d’estimer les répercussions financières réelles de toutes les mesures de politique climatique sur les personnes en situation de pauvreté. Il ne sera notamment guère possible d’éviter l’apparition de certains cas problématiques même si toutes les mesures sont conçues dans l’objectif d’être aussi socialement acceptables que possible. La lutte contre la pauvreté reste donc le défi majeur lancé à la politique sociale. La couverture des besoins vitaux doit être garantie pour toutes et tous et à tout moment, indépendamment de la politique climatique. Un système de sécurité sociale étendu sous-tend une politique climatique juste. Si le minimum vital est garanti, des mesures audacieuses et surtout rapides en matière de politique climatique sont également socialement acceptables. Les effets des mesures de la politique climatique doivent être régulièrement évalués sous l’angle de leurs répercussions sociales et notamment des incidences sur les personnes en situation de pauvreté, et ajustés si nécessaire.

L’objectif déclaré des taxes incitatives est de réduire le niveau global de la consommation tarifée et donc, à long terme, de radier du marché les technologies néfastes pour le climat. Si l’instrument est efficace, la redistribution disparaîtra à long terme. Les personnes à faibles revenus ne pour-

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Une politique climatique socialement acceptable dans les différents domaines politiques La politique climatique est intersectorielle mais doit également être ancrée concrètement dans les différents domaines politiques. Comme on l’a mentionné, la majorité des émissions de gaz à effet de serre en Suisse sont imputables aux secteurs des transports et du bâtiment, à l’industrie et à l’agriculture. Les quatre domaines de politique intérieure suivants sont donc particulièrement pertinents pour l’encouragement de modes de production et de consommation respectueux du climat : les politiques des transports et du logement, la politique économique et du marché du travail, et la politique agricole. Les paragraphes qui suivent présentent des réflexions de fond sur ce que ces quatre domaines politiques doivent prendre en compte en termes de pauvreté dans leurs mesures de politique climatique. Il ne s’agit pas d’énumérer toutes les mesures pertinentes dans les divers domaines, mais de mettre en évidence les défis d’une conception socialement acceptable de la politique climatique. Des « mesures d’accompagnement » possibles sont esquissées en parallèle. Suivent enfin quelques réflexions sur le financement d’une politique climatique socialement responsable.

Mobilité Le secteur des transports est le premier responsable des émissions de gaz à effet de serre en Suisse. Une politique climatique efficace doit cibler la mobilité et poursuivre les objectifs suivants : la décarbonisation du transport privé et du transport de marchandises, le transfert du transport individuel motorisé vers les transports publics et le trafic lent, et une réduction globale de la mobilité. Une telle réduction est nécessaire pour des raisons de politique climatique. Mais la mobilité des personnes en situation de pauvreté est déjà si fortement restreinte aujourd’hui du fait de leur manque de ressources financières que leur participation au marché du travail et à la vie sociale est rendue plus difficile. Rogner davantage leur mobilité ne ferait qu’accroître leur exclusion. Le défi sociopolitique majeur dans le secteur des transports est donc de rendre équitablement

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Le défi sociopolitique majeur dans le secteur des transports est de rendre équitablement accessibles la quantité de mobilité encore admissible et les formes de mobilité non nuisibles au climat. accessibles la quantité de mobilité encore admissible au regard de la politique climatique et les formes de mobilité non nuisibles au climat. Afin de limiter la mobilité, mais aussi de financer les infrastructures de transport, la tarification de cette dernière est également en discussion, en plus des taxes incitatives évoquées plus haut. Les personnes à faibles revenus peuvent être particulièrement touchées, suivant leurs conditions de vie et de travail : nombre d’activités dans les secteurs à bas salaires ne peuvent pas être programmées de manière flexible ni être effectuées en télétravail. Si la mobilité - transports publics ou transports privés motorisés - devient plus chère aux heures de pointe ou de façon générale, les déplacements professionnels coûteront également davantage aux concernés. Parallèlement, les ménages à faibles revenus sont de plus en plus chassés des villes, et gagnent les banlieues ou la campagne, car le logement en zone urbaine est toujours plus cher. Enfin, les emplois à bas salaire notamment sont souvent liés à des horaires de travail irréguliers ou à des emplois à l’heure. Les employés concernés sont tributaires d’une voiture parce qu’ils travaillent en équipes et doivent passer d’un mandat à l’autre aussi vite que possible pour obtenir des revenus suffisants. Un renchérissement de la mobilité exclut donc doublement les personnes à faibles revenus : il rend leur participation sociale impossible (par exemple, le trajet en tram pour réunir les parents et les enfants) et rogne le revenu si la mobilité est impérative pour travailler. Si cette dernière devient fondamentalement plus coûteuse, un soutien financier de ces personnes s’impose. On pourrait par exemple imaginer subventionner les transports publics pour les personnes à faibles revenus (par analogie avec les abonnements à tarif réduit pour les jeunes) ou taxer la mobilité en fonction du revenu. Et les employeurs doivent apporter leur contribution aux personnes dépendant d’un véhicule privé pour exercer leur activité professionnelle.


Logement La majeure partie des émissions de gaz à effet de serre que le secteur du bâtiment génère en Suisse est essentiellement due à l’isolation insuffisante du bâti et aux systèmes de chauffage à combustibles fossiles encore largement utilisés. Afin de réduire significativement ces émissions à court terme, il est donc nécessaire de rénover au plus vite un maximum de bâtiments et de remplacer les systèmes de chauffage fossiles par des systèmes fonctionnant aux énergies renouvelables. Comme la plupart des personnes à faibles revenus vivent en location, elles ne peuvent pas avoir d’incidence directe sur leur consommation d’énergie et donc sur leur performance climatique. Elles sont directement touchées tant par les taxes sur le CO2 sur les combustibles fossiles que par les éventuelles mesures en matière de construction.

se fasse encore plus rare. En effet, les projets de rénovation totale ou de nouvelles constructions entraîneront de nombreuses résiliations d’une part et, d’autre part, les logements rénovés ou neufs sont en général bien plus chers. Les personnes en situation de pauvreté sont donc contraintes de quitter leurs appartements à bas prix et se voient souvent confrontées à des coûts de location supérieurs par la suite. La hausse des loyers suite à une rénovation peut être partiellement compensée par la baisse des frais annexes (grâce à une meilleure isolation ou à des systèmes de chauffage renouvelables). La hausse du loyer excède cependant habituellement la compression des frais annexes. Pour les ménages à faibles revenus, les frais de logement représentent déjà la part majeure du budget. En moyenne, ils consacrent un tiers de leurs revenus au logement. La rénovation judicieuse du parc immobilier et des systèmes de chauffage sur le plan de la politique climatique doit donc être accompagnée de mesures visant à encourager le logement abordable. Il est de même nécessaire d’établir des directives concernant les résiliations abusives et les rénovations partielles afin de protéger les personnes à faibles revenus contre l’expulsion de leur logement. On pourrait par exemple exiger que les coûts de location suite à des rénovations énergétiques n’augmentent qu’en proportion de la diminution des coûts annexes.

Les ménages à faibles revenus occupent en général de plus petites surfaces que les ménages à revenus élevés. Cela entraîne souvent une consommation de chauffage réduite et moins de coûts associés. Grâce à la redistribution de la taxe sur le CO2, certains ménages ne sont tout du moins pas davantage accablés financièrement ou en bénéficient, surtout s’ils vivent dans des appartements bien isolés. Mais souvent les logements à bas prix notamment ne le sont pas et sont encore équipés de systèmes de chauffage à combustibles fossiles obsolètes. En pareil cas, les ménages à faibles revenus ne peuvent pas réduire leur consommation d’énergie, même en adoptant un comportement exemplaire.

La rénovation judicieuse du parc immobilier et des systèmes de chauffage sur le plan de la politique climatique doit être accompagnée de mesures visant à encourager le logement abordable. La rénovation partielle ou totale de nombreux bâtiments résidentiels prévue ces prochaines décennies et le remplacement des anciens systèmes de chauffage comportent également le risque que l’offre déjà limitée de logements abordables

Économie La transformation écologique de l’économie aura des répercussions majeures sur le marché du travail au fil des prochaines décennies. Des emplois dans des secteurs à fortes émissions, comme l’industrie aéronautique ou le secteur automobile, seront perdus, et des professions entières pourraient disparaître. On peut supposer qu’en parallèle une économie plus respectueuse du climat créera également de nombreux nouveaux emplois, notamment dans le secteur de l’énergie et de la technique du bâtiment. La numérisation, qui influence la nature des emplois, est cependant une seconde évolution en cours, s’ajoutant à la transformation de

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l’économie vers une plus grande durabilité. Ces deux évolutions conjuguées changent le marché du travail en profondeur. Les études réalisées à ce jour révèlent que le travail routinier disparaîtra du futur marché du travail et que les activités analytiques, de communication et relationnelles, en particulier, gagneront en importance. Dans le secteur des services, les emplois peu qualifiés seront probablement davantage demandés. En général toutefois, les compétences associées à des qualifications plus élevées et à l’apprentissage tout au long de la vie seront plus recherchées. Les personnes sans formation post-obligatoire sont déjà nettement plus touchées par le chômage que celles bénéficiant de qualifications supérieures. Il leur sera encore plus difficile de s’implanter durablement sur le marché du travail. Dans le même temps, l’accès à la formation continue et à la reconversion gagne en importance. C’est pourquoi il convient d’abord de procéder à des analyses approfondies du futur marché du travail sur l’évolution des domaines d’activité et des profils d’exigences. Il convient ensuite de formuler sur cette base une stratégie de formation continue et de reconversion axée notamment sur les personnes qui perdent leur emploi et dont les qualifications ne sont plus adaptées. Une telle stratégie doit être soutenue par la Confédération et les cantons, ainsi que par les employeurs privés.

Les ménages à faibles revenus ne peuvent guère se permettre d’acheter des produits écologiques; un mode de comportement compatible avec le climat leur est donc interdit dans les faits.

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Agriculture et alimentation Le secteur agricole a une influence directe sur la consommation alimentaire des ménages privés. Les consommateurs peuvent donc apporter leur part à la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre dans l’agriculture. Des études montrent que les produits biologiques engendrent en général moins de CO2 que les produits traditionnels comparables. Cela vaut aussi bien pour les légumes que pour les céréales et les produits laitiers. En outre, l’agriculture biologique pollue moins les sols et les eaux souterraines que l’agriculture classique et favorise la biodiversité. En ce sens, la promotion d’une agriculture écologiquement durable est pertinente pour la politique climatique et peut constituer une mesure judicieuse pour faire reculer les émissions dans ce domaine. Mais les aliments produits de manière durable sont généralement beaucoup plus chers que ceux produits de manière conventionnelle. Les ménages à faibles revenus ne peuvent guère se permettre d’acheter des produits écologiques ; un mode de comportement compatible avec le climat leur est donc interdit dans les faits. Le montant de base de l’aide sociale est par exemple si bas qu’un ménage composé d’une seule personne ne dispose que d’un peu moins de 14 francs par jour pour boire et manger. Cela signifie que même un régime alimentaire sain, à base d’aliments produits de manière traditionnelle, constitue un défi majeur. Les produits biologiques sont hors de portée. Dans le domaine de l’agriculture, une politique climatique socialement responsable consiste donc avant tout à faire en sorte que les ménages à faibles revenus puissent consommer des produits issus d’une production écologique et réduire ainsi les émissions de CO2 de leur consommation alimentaire. Des approches innovantes et si possible non conventionnelles sont ici nécessaires. Par exemple, une partie des subventions agricoles pourrait être réorientée pour promouvoir les cultures respectueuses du climat et rendre les produits biologiques moins chers à la vente au détail. En outre, le minimum vital social doit être calculé de telle manière que les ménages bénéficiant de prestations de soutien puissent également consommer sans nuire au climat.


La crise du coronavirus comme opportunité d’investir dans un changement juste Pour faire face à la crise du coronavirus, des programmes d’investissement de plusieurs milliards de dollars sont lancés dans le monde entier pour relancer l’économie. De nombreux pays ont vu dans la crise une opportunité d’investir spécifiquement dans une économie plus durable sur les plans environnemental et social. L’Union européenne (UE) a déjà dévoilé son Pacte vert pour l’Europe (« Green Deal ») en décembre 2019. Il prévoit des mesures concrètes et un budget de plus de mille milliards d’euros pour assurer une transition juste et inclusive vers une économie durable. En décembre 2020, l’Europe a également adopté un gigantesque plan de relance financé par le budget de l’UE. Une bonne partie de ces 1800 milliards d’euros doit également être investie dans une transition climatique socialement responsable. De son côté, peu après son entrée en fonction en janvier 2021, la nouvelle présidence américaine a ficelé un paquet d’infrastructures qui met l’accent sur la lutte contre le changement climatique et le développement de l’État social. Les investissements prévus devraient se monter à plusieurs milliers de milliards de dollars. Ces fonds doivent être notamment générés par une hausse des impôts pour les entreprises et les très hauts revenus, ainsi que par la suppression des mécanismes d’évasion fiscale.

Ce qui est réalisable dans l’UE et aux États-Unis, et que recommandent la plupart des économistes, ne devrait pas non plus être tabou dans notre pays prospère. Tous les habitants en Suisse bénéficieraient d’un programme d’investissement gouvernemental favorisant les emplois orientés vers l’avenir et de qualité, une société inclusive et une économie moins nuisible au climat. Il convient toutefois d’accorder une attention particulière à l’objectif consistant à soutenir de manière plus ciblée les ménages à faibles revenus et à les doter d’une marge de manœuvre supérieure pour vivre de manière respectueuse du climat. Le financement des investissements dans une politique climatique socialement juste doit donc être également socialement supportable. Le potentiel pour ce faire est considérable, dans le domaine de la politique fiscale notamment.

De nombreux pays ont vu dans la crise une occasion d’investir spécifique­ment dans une économie plus durable sur les plans environnemental et social.

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Les exigences de Caritas En tant que société, nous devons relever de toute urgence deux défis majeurs, à l’échelle mondiale, et à l’intérieur de nos frontières également : la pauvreté progresse depuis des années chez nous et les inégalités vont continuer à croître, notamment en raison de la crise du coronavirus. De plus en plus de personnes en Suisse ont du mal à subvenir à leurs besoins. Et la catastrophe climatique ne peut être évitée que si nous agissons sans attendre et réduisons radicalement nos émissions de gaz à effet de serre. L’objectif de zéro net d’ici 2050 auquel la Suisse s’est engagée devient toujours plus difficile à atteindre. Et, comme le relève l’Office fédéral de l’environnement, plus nous attendons, plus les coûts pour enrayer le réchauffement climatique seront élevés. Caritas appelle à ce que la lutte contre la pauvreté et la protection du climat soient conçues dans un même élan. Elle plaide pour que la crise du coronavirus soit vue comme une opportunité d’accélérer la transition vers une économie et un mode de vie durables qui préservent les ressources naturelles et profitent à tous. Une politique climatique juste veille à ne pas accabler davantage les personnes en situation précaire, mais au contraire à leur donner la possibilité d’agir en faveur du climat. Voici les implications concrètes d’une politique climatique socialement responsable, telle que définie dans la stratégie climatique de la Suisse et l’Agenda 2030 :

1.

Les personnes en situation de pauvreté et menacées de l’être ne doivent pas être soumises à une charge financière globale accrue du fait des mesures de protection du climat. • Les systèmes d’incitation financière doivent être conçus de sorte que les ménages à faibles revenus ne soient pas accablés par des dépenses supplémentaires. Dans le cas de taxes incitatives comme la taxe sur le CO2, le montant redistribué par habitant doit être suffisamment élevé et il faut s’assurer que tous les ménages reçoivent leur part de la redistribution. • Les prescriptions légales, et en particulier les interdictions de techniques et de produits nuisibles au climat, peuvent entraîner des charges financières additionnelles (à court terme) pour les consommateurs. Il est donc impératif de pouvoir disposer d’alternatives respectueuses du climat. Ces dernières ne doivent pas être plus coûteuses. L’interdiction des systèmes de chauffage à combustibles fossiles ne doit par exemple pas entraîner de hausse des loyers.

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2.

Les personnes à faibles revenus doivent également être en mesure d’agir en faveur du climat. Il faut créer les conditions pour que tous les habitants de notre pays puissent exercer une incidence climatique positive. • La marge de manœuvre financière des ménages à faibles revenus doit être accrue moyennant un soutien ciblé afin de leur permettre de consommer sans nuire au climat. Dans le secteur agricole, cela signifie par exemple des subventions directes ou indirectes pour les produits écologiquement durables. • Les personnes en situation de pauvreté doivent également avoir un accès garanti aux techniques et aux infrastructures respectueuses du climat. S’agissant de la mobilité, cela pourrait par exemple signifier des transports publics moins coûteux pour les personnes à faibles revenus.

3.

Les effets des mesures de politique climatique doivent être régulièrement évalués sous l’angle de leurs répercussions sociales et en particulier des incidences sur les personnes en situation de pauvreté, et ajustés si nécessaire. • Le détail des changements dus aux mesures de politique climatique n’est pas toujours prévisible. Des analyses approfondies et des stratégies d’action ad hoc sont alors nécessaires. Cela vaut en particulier pour le marché du travail. Il y a lieu de mettre en place une stratégie de formation continue et de reconversion adaptée au futur marché du travail et permettant à tous d’obtenir des qualifications appropriées.


Août 2021 Auteure : Aline Masé, Service Politique sociale, Caritas Suisse courriel : amase@caritas.ch, téléphone 041 419 23 37 La présente prise de position peut être téléchargée sur www.caritas.ch/prises-de-position

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