Coopération internationale Dossier thématique
3/2021
Pauvreté et climat : les voies de la résilience Approche intégrée de l’adaptation de Caritas Suisse
Introduction
Messages clés • Les communautés pauvres des pays du Sud sont exposées à de multiples défis liés au changement climatique qui vont de l’insécurité alimentaire et hydrique aux risques de catastrophe. • L’approche intégrée de l’adaptation de Caritas Suisse – qui a prouvé sa capacité à créer des voies de développement résilientes au changement climatique – est basée sur cinq piliers : l’adaptation fondée sur les écosystèmes, le dialogue politique, l’inclusion sociale, revenus et marchés, la science et l’innovation. • Cette approche vise à améliorer les moyens de subsistance et la résilience des communautés les plus vulnérables, ainsi qu’à réduire les inégalités sociales aggravées par la crise climatique. • Les projets de Caritas Suisse facilitent la création d’environnements propices au changement systémique par le dialogue politique intersectoriel et le partage de connaissances, l’autonomisation des acteurs locaux et leur mise en contact avec des organismes gouvernementaux et des instituts de recherche.
Liste d’abréviations RRC Réduction des risques de catastrophe GIEC Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat DDC Direction suisse du développement et de la coopération ODD Objectifs de développement durable WASH Eau, assainissement et hygiène
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Contexte La hausse des températures mondiales et l’évolution des précipitations ont entraîné un doublement des catastrophes climatiques entre 2000 et 2019 en comparaison avec les deux décennies qui ont précédé (UNDRR 2020). Les pays du Sud et en particulier leurs populations les plus pauvres sont impactés de façon disproportionnée par le changement climatique et sont victimes de pertes et de dommages extrêmes induits par les sécheresses, les inondations, les tempêtes tropicales et les incendies. Sans mesures d’adaptation, le changement climatique pourrait précipiter 130 millions de personnes dans la pauvreté au cours des dix prochaines années.1 La plupart de ces personnes impactées vivent dans des pays qui n’ont contribué que de manière marginale aux émissions mondiales anthropiques de gaz à effet de serre, qui sont le principal moteur de la crise climatique. Au Tchad par exemple, les émissions annuelles par habitant sont plus de 200 fois inférieures aux émissions par habitant de la Suisse (0,065 tonne de CO2 contre 14 tonnes de CO2).2 Le plus remarquable est que cette comparaison n’inclut pas les émissions historiques depuis la révolution industrielle ; une telle inclusion démontrerait davantage encore l’étendue de l’injustice climatique et – conformément au principe du « pollueur payeur » – la responsabilité impérative des pays du Nord dans le soutien à accorder aux pays impactés en partageant équitablement les coûts et les fardeaux du changement climatique. Bien que l’adoption de l’Accord de Paris en 2015 ait renforcé l’importance critique des mesures d’adaptation dans les efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique, le financement effectif de l’adaptation reste toutefois largement inférieur aux engagements pris par la communauté internationale et ne représente pas plus d’un cinquième du financement climatique total (OCDE 2019). Pour avancer sur la voie de la justice climatique, la communauté internationale doit accroître ses efforts en faveur de mesures d’adaptation au climat centrées sur l’être humain qui puissent sauvegarder les droits des personnes les plus vulnérables et lutter contre les inégalités sociales exacerbées par les impacts du changement climatique (GIEC 2018a). Comme l’adaptation a été traditionnellement centrée sur l’ingénierie et les mesures technologiques, l’importance des approches de l’adaptation basées sur les écosystèmes et tenant compte des dimensions institutionnelles et sociales en plus des aspects écologiques est de plus en plus reconnue.
1 Banque mondiale : Climate Change Overview, 2021. URL : https//worldbank.org/en/topic/climatechange/overview (01.03.2021). 2 Chad : CO2 Country Profile, 2021. URL https ://ourworldindata.org (04.03.2021) ; Suisse : OFEV 2018 : Empreintes environnementales de la Suisse.
Août 2012
Août 2019
Avril 2012
Juin 2019
Mars 2012
Avril 2019
Juin 2019
Images avant-après d’un projet de Caritas Suisse de gestion intégrée des bassins versants au Tadjikistan illustrant le recours à des méthodes d’adaptation basées sur les écosystèmes pour prévenir l’érosion des sols et les inondations en aval (arboriculture fruitière génératrice de revenus associée à une culture de légumineuses fourragères à enracinement profond et fixatrices d’azote).
Ainsi, le cadre des « solutions fondées sur la nature » récemment développé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) contribue à la reconnaissance croissante des approches vertes de l’adaptation.3 En raison
3 Le cadre des solutions fondées sur la nature couvre des approches basées sur les écosystèmes et la conservation qui s’attaquent simultanément à de multiples défis sociaux, parmi lesquels les risques climatiques et de catastrophe ou encore la sécurité alimentaire et hydrique.
de leurs multiples avantages, les approches de l’adaptation basées sur les écosystèmes apparaissent aussi de plus en plus comme une contribution à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris, des Objectifs de développement durable (ODD) et du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe. Le lancement récent de la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes (2021-2030) a renforcé le rôle prédominant de la nature dans la résolution des problèmes les plus urgents de notre monde.
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La vision de Caritas Suisse
Les contextes des objectifs de la coopération internationale de Caritas Suisse sont caractérisés par la pauvreté rurale et la grande vulnérabilité humaine face au changement climatique, lesquelles sont renforcées par des systèmes alimentaires compromis, des écosystèmes fragiles et dégradés et des structures de gouvernance faibles. En lien avec l’objectif premier de Caritas Suisse, à savoir la lutte contre la pauvreté et son éradication, les besoins des populations les plus démunies et les plus vulnérables sont prioritaires dans l’approche intégrée de l’adaptation de Caritas. L’objectif est de donner à ces populations les moyens de suivre des voies de développement résilientes au changement climatique pour sortir de la pauvreté. Ces voies incluent des mesures d’adaptation qui garantissent un écosystème sain et une bonne résilience aux risques climatiques, répondent aux besoins de base et autorisent un développement inclusif, équitable, juste et à faible taux d’émission.4 Les projets climatiques de Caritas Suisse sont basés sur une approche intégrée qui fait tomber les barrières sectorielles en incorporant, dans une perspective holistique, des dimensions sociales, environnementales, économiques et institutionnelles. Les projets d’adaptation au changement climatique de Caritas Suisse reposent sur les cinq piliers suivants : • Adaptation basée sur les écosystèmes : les pratiques de gestion durable des terres et de l’eau, la restauration des paysages et les mesures de conservation, ainsi que les pratiques agroécologiques et l’agriculture résiliente au climat permettent de revitaliser les écosystèmes et d’améliorer la résilience et la capacité d’adaptation des populations les plus vulnérables à l’échelle du paysage. Les pratiques agroécologiques diversifient les revenus, améliorent la sécurité alimentaire et fournissent des moyens de subsistance additionnels. Des infrastructures protectrices et résilientes réduisent les risques de catastrophe liés aux dangers climatiques. • Revenus et marchés : les pratiques agroécologiques et les autres mesures d’adaptation fondées sur les écosystèmes contribuent à accroître et à diversifier les sources de revenus, à renforcer la sécurité alimentaire et à améliorer les moyens de subsistance des familles de petits exploitants agricoles. Les approches systémiques visant à améliorer l’inclusivité des marchés agricoles et l’accès des agricul-
4 Autres lectures sur l’expertise de Caritas Suisse en matière d’approches systémiques : dossier thématique “Applying systemic approaches to developing markets”, Caritas Suisse, 2021.
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teurs à ces marchés augmentent l’échelle et la durabilité des interventions. • Dialogue politique : en lien avec la stratégie de localisation de Caritas Suisse, on donne aux acteurs locaux et nationaux les moyens de s’approprier les projets et de participer aux prises de décision au sein de structures de gouvernance des ressources naturelles qui soient inclusives et participatives. Les environnements multipartenariaux et multisectoriels réunissant les niveaux local et national pardelà les secteurs thématiques ont pour effet de promouvoir l’harmonisation et la cohésion entre les stratégies climatiques locales, régionales et nationales. • Inclusion sociale : les stratégies et interventions d’adaptation sont conçues pour contribuer systématiquement à l’autonomisation des populations les plus vulnérables, améliorant ainsi la cohésion et la résilience des communautés. Les différents niveaux d’exposition et de vulnérabilité des groupes marginalisés aux événements extrêmes sont pris en compte et les capacités, l’égalité des chances et la dignité de ces groupes de population sont améliorées. • Science et innovation : les collaborations et partenariats de recherche avec des instituts de recherche locaux et internationaux, dont l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Centre international de recherches agricoles dans les zones arides (ICARDA), renforcent le développement d’approches innovantes telles que les services météorologiques, hydrologiques et climatiques. Les connaissances tirées d’analyses d’impact sont partagées à l’intérieur du pays, via des réseaux thématiques, ainsi qu’à l’échelon mondial, au travers de plateformes de gestion des connaissances telles que WOCAT (Panorama mondial des approches et des technologies de conservation).
Caritas Suisse voit l’adaptation au changement climatique comme un ensemble de processus de transformation systémiques permettant de réduire les risques et la vulnérabilité des populations pauvres au changement climatique, tant effectif qu’attendu, et conduisant à des voies de développement résilientes au changement climatique de nature à réduire les inégalités, à améliorer les capacités et à accroître la cohésion entre les parties prenantes locales dans une gestion efficace des impacts climatiques présents et futurs.
Approche intégrée de l’adaptation de Caritas Suisse
Restauration et conservation des paysages Infrastructures protectrices et résilientes
Agroécologie & l’agriculture résiliente au climat
TI O N BAS É E S PTA A SY S T È M U R O D C É A ES ES L
Gestion durable des terres et de l’eau
SCIE NCE E T INNOVATION Partage des connaissances
Autonomisation des plus vulnérables
Résilience climatique et réduction de la pauvreté IN C S O LU S CI ION AL E
UE G E LO I Q U A I D LIT PO
REV ENUS ET MARCHÉS
Services météo, eau et climatiques
Diversification des moyens de subsistance
Marchés inclusifs Gouvernance participative des ressources naturelles
Cohésion communautaire Multiniveau et multisectoriel
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Théorie du changement
L’objectif primordial des projets d’adaptation au climat de Caritas Suisse est de réduire la pauvreté et de créer des moyens de subsistance résilients au changement climatique grâce à la restauration, à la réhabilitation et à la gestion durable d’écosystèmes locaux, dans l’optique de diversifier les revenus et de réduire les risques de catastrophe. Le point de départ des projets d’adaptation, ce sont les moyens de subsistance menacés par le changement climatique – que ce soit en raison de mauvaises récoltes, d’un accès perturbé à l’eau potable ou encore de pertes et de dommages résultant d’inondations et de glissements de terrain. La première étape de tout projet d’adaptation de Caritas Suisse passe par la réalisation d’analyses préliminaires visant à comprendre le contexte local, en particulier les dangers liés au climat, la vulnérabilité multidimensionnelle de la population locale et les obstacles institutionnels entravant la mise en œuvre des mesures d’adaptation. En collaboration avec des instituts de recherche nationaux et internationaux, des analyses multirisques ainsi que des analyses d’utilisation des terres sont menées au moyen de technologies géospatiales (de télédétection notamment). Sur la base de ces analyses, l’étendue spatiale de l’intervention du projet est identifiée au travers d’une évaluation mutuelle des dimensions environnementale et sociale au sein du paysage (par exemple, le bassin versant). Ensuite, on identifie les parties prenantes pertinentes pour la planification et la mise en œuvre du projet. Caritas Suisse veille alors à créer un climat de confiance avec les leaders d’opinion locaux et les responsables gouvernementaux concernés. Cela jette les bases de l’identification ou de la création d’organes de gouvernance appropriés pour l’implémentation du projet ; on y retrouve des responsables communautaires, des représentants de la vie civile et des représentants de divers départements gouvernementaux et instituts de recherche. Ces organes de gouvernance peuvent être des comités de gestion des bassins versants, des associations d’usagers de l’eau chargées de gérer de petits systèmes d’irrigation, des unions assurant la gestion durable des prairies ou des gardes forestiers responsables de la protection des forêts locales. Ces organes reposent sur la cohésion sociale des communautés locales, qui sont les acteurs clés de l’implémentation de mesures d’adaptation, car ils sont les mieux familiarisés avec les risques locaux et les facteurs contextuellement pertinents de vulnérabilité sociale et physique. Les organes gouvernementaux veillent à ce que les lois et politiques régissant la conservation et la protection de l’environnement soient dûment appliquées dans les différents secteurs dont le gouvernement a la charge (agriculture, foresterie, eau, etc.) et à ce que les organisations issues de la société civile se trouvent renforcées. Les parties prenantes
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moins influentes ou marginalisées sont identifiées et responsabilisées au moyen de processus décisionnels inclusifs, de développement des capacités et de processus de plainte. Les membres du principal organe d’implémentation du projet élaborent ensemble un plan d’adaptation participatif et itératif. Avec l’aide d’outils de gestion des risques tels que CEDRIG 5 ou PACDR 6, les connaissances locales sont croisées avec des preuves tirées de données climatologiques disponibles à l’échelon mondial ainsi que des analyses préalables qui ont été réalisées. Des cartes de risques et de vulnérabilité sont élaborées pour identifier les lieux et les moyens de subsistance les plus menacés. Des analyses additionnelles incluent l’analyse du corridor climatique, une approche développée par Caritas Suisse qui étudie l’adéquation de différentes cultures compte tenu des prévisions de températures et de précipitations pour le futur, en fonction du changement climatique.7 Sur la base des analyses de risques, diverses mesures d’adaptation visant à prévenir, à réduire ou à transférer les pertes et dommages sont identifiées et les mesures les plus appropriées (en termes d’applicabilité, potentiel de génération de revenus, de rapport coût-efficacité, etc.) sont sélectionnées et documentées conjointement dans le plan d’adaptation, qui est approuvé par toutes les principales parties prenantes. Les mesures d’adaptation concrètes incluent des pratiques de gestion durable des terres telles que des pratiques d’agroforesterie et d’agroécologie ayant pour effet de diversifier les revenus et d’accroître la résilience de la production agricole aux dangers climatiques. Les services météo, hydrologiques et climatiques utilisant des données météo et climatiques quantitatives pour fournir des outils décisionnels dans le domaine agronomique accroissent la productivité agricole des petits paysans et réduisent leurs pertes de récolte en cas de fortes précipitations ou gelées. Des systèmes d’alerte précoce et des processus de gestion des risques de catastrophe sont mis en place pour préparer les communautés aux risques de catastrophe. Parmi les autres mesures d’adaptation, citons les pratiques de gestion durable des prairies destinées à réduire la dégradation des sols. Des variétés de semences résilientes au changement climatique sont sélectionnées en fonction des résultats de l’analyse du corridor climatique. Les méthodes de collecte de l’eau de pluie – en particulier les captages en toiture
5 CEDRIG (Climate, Environment and Disaster Risk Reduction Integration Guidance) est un outil de gestion des risques développé par la Direction suisse du développement et de la coopération (DDC) ; https ://www. cedrig.org/. 6 PACDR (Participatory Assessment of Climate and Disaster Risks) est un outil d’analyse du potentiel de vulnérabilité des dangers ; https ://pacdr.net/. 7 Orlowsky B., 2019 : Climate Corridor Analysis – a tool for strategic adaptation planning ; dossier thématique de Caritas Suisse.
DÉFIS
• Vulnérabilité aux dangers climatiques • Insécurité alimentaire et hydrique • Dégradation des écosystèmes • Manque de ressources et de capacités économiques
• Vulnérabilité et analyses de risques multidangers • Échelle du projet identifiée • Sensibilisation aux risques climatiques • Organe de gouvernance mis en place pour l’implémentation
INTERVENTIONS
• Analyse participative des risques et atelier de planification
8 Orlowsky B., 2019 : Water from rocks in South Sudan and Kenya; dossier thématique de Caritas Suisse.
Plan d’adaptation inclusif élaboré
Dialogue politique et échange de connaissances
Mesures
Processus d’adaptation d’adaptation mises en œuvre itératif et évaluées
EFFETS ET RÉSULTATS
Capacités techniques et institutionnelles améliorées
• Résilience au changement climatique et aux risques de catastrophe • Écosystèmes restaurés et gérés de manière durable • Revenus diversifiés et moyens de subsistance améliorés • Cohésion communautaire et inclusion sociale • Collaboration entre les communautés et les parties prenantes locales et nationales
IMPACT
ou les captages rocheux – garantissent aux communautés un meilleur accès à l’eau.8 L’adoption et l’implémentation à grande échelle du plan d’adaptation sont soutenues par des mesures de sensibilisation et de développement des capacités basées sur une approche de formation des formateurs ou directement intégrées dans des programmes de vulgarisation existants et organisés par les pouvoirs publics. Le renforcement des coopératives locales et des chaînes de valeur permet un accès au marché amélioré et plus inclusif pour les agriculteurs. Une attention particulière est accordée au fait que les hommes et les femmes sont diversement affectés par la variabilité et le changement climatiques. Les interventions du projet sont conçues pour contribuer à l’équilibre des relations de pouvoir et à une répartition adéquate des tâches entre les hommes, les femmes et les jeunes. Dans les écoles, les enfants sont sensibilisés aux questions climatiques et environnementales et on leur enseigne les liens entre l’eau, l’hygiène, la santé et l’environnement. Des analyses coût-bénéfice et coût-efficacité, des analyses du revenu des ménages, des mesures de télédétection (analyses basées sur l’indice de végétation par différence normalisée et surveillance des surfaces d’eau, p. ex.) ou des échantillonnages de sol sont menés à bien pour illustrer les multiples avantages des mesures d’adaptation basées sur les écosystèmes ainsi que des mécanismes de gouvernance des ressources naturelles. Pour quantifier les avantages conjoints en termes d’atténuation des interventions d’adaptation, des analyses des émissions de gaz à effet de serre sont réalisées au moyen d’un outil de comptabilisation des gaz à effet de serre en lien avec les changements d’utilisation des terres. Les données produites par les différentes analyses sont partagées avec des parties prenantes locales et nationales par le biais de réseaux et d’événements de formation. Le fait de réunir des acteurs de différents niveaux (du niveau local au niveau national) et de différents secteurs pertinents en matière climatique a pour effet de renforcer les relations de travail intersectorielles et de jeter les bases d’une politique et d’un environnement économique habilitants. Cet environnement habilitant crée à son tour les conditions requises pour renforcer les mesures d’adaptation pertinentes et prometteuses et la mise en place de voies de développement résilientes au changement climatique qui puissent garantir le bien-être et la résilience de la population locale face aux risques climatiques actuels et futurs et réduire enfin la pauvreté.
RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ
Figure 1 : Théorie du changement
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Ce que nous faisons
Ces deux dernières décennies, l’engagement de Caritas Suisse, axé au départ sur des interventions à petite échelle en matière de risques de catastrophe, a évolué vers des programmes d’adaptation intégrés qui tiennent compte de diverses dimensions et dynamiques au sein d’un paysage et ont un caractère davantage anticipatif et préventif que réactif. Mali et Éthiopie : Caritas Suisse réalise un projet régional de restauration de zones humides au sein d’un consortium rassemblant également Wetlands International, l’International Water Management Institute et hydrosolutions GmbH au Mali et en Éthiopie. En renforçant la gestion écologique durable de l’eau dans l’agriculture et en créant un accès aux systèmes de marché, ce projet contribue à réduire l’utilisation d’eau dans l’agriculture et à améliorer la sécurité alimentaire, les moyens de subsistance et la résilience des petits paysans dans les zones humides du Sahel. Le projet est basé sur une approche paysagère intégrée et sur les principes du développement des systèmes de marché, l’accent étant mis résolument sur le rôle facilitateur du projet via le renforcement de l’appropriation locale dans le cadre d’organisations et de mécanismes de coopération existants. Les interventions du projet visent à produire des changements systémiques pour une meilleure utilisation de l’eau dans l’agriculture qui serait bénéfique aux usagers et cadrerait avec le contexte et les aptitudes des organisations et des individus. Un outil de contrôle opérationnel utilise des images de télédétection pour surveiller les surfaces et niveaux d’eau. La coordination et la coopération entre les différentes parties prenantes sont facilitées par des dialogues inclusifs impliquant tous les secteurs et niveaux et réunissant petits paysans, ingénieurs, prestataires de services, décideurs politiques, investisseurs et chercheurs. Un autre élément important du projet est la création d’une plateforme de partage d’informations et de connaissances en matière de meilleures pratiques. Cambodge : dans la province de Banteay Meanchey, dans le nord-ouest du Cambodge, Caritas Suisse réalise un projet de réduction des risques de catastrophe à caractère communautaire visant à renforcer la résilience des communautés rurales face aux risques de catastrophe (inondations et sécheresses) et à d’autres stress climatiques affectant gravement les moyens de subsistance, principalement agricoles. La gestion intégrée des ressources hydrologiques – dans le cadre de mesures structurelles à petite échelle tels que des digues, des étangs communautaires et des canaux destinés à contrôler et à stocker l’eau de pluie excédentaire – est apparue comme la stratégie la plus importante pour garantir l’accès à l’eau pour la consommation humaine et la production agricole, même durant la saison sèche. La gestion de
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l’eau et les pratiques de gouvernance dans l’agriculture ont été améliorées en adaptant l’« Integrity Management (IM) Toolbox » aux systèmes d’irrigation.9 En rassemblant différentes parties prenantes et juridictions, des problèmes fondamentaux ont pu être analysés conjointement et des solutions, identifiées. Des programmes d’eau pure ont été développés, des ressources financières fermes ont été convenues pour l’exploitation et la maintenance et des mécanismes de résolution des conflits ont été introduits. Par ailleurs, le projet a introduit «Blue Schools» en appliquant le «Blue Schools Kit», développé par le Consortium suisse pour l’eau et l’assainissement. « Blue Schools » contribue à créer des environnements d’apprentissage sains dans les écoles en améliorant l’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires et d’hygiène tout en renforçant la conscience environnementale au travers de jardins scolaires, d’une gestion durable des déchets et d’une éducation à l’environnement.
Activités de jardinage scolaire dans les « Blue Schools » de Banteay Meanchey, au Cambodge.
Tadjikistan : Caritas Suisse a réalisé le projet « Gestion intégrée de bassins versants » pour le compte de la DDC entre 2011 et 2019 dans le sud-est du Tadjikistan. Le principal objectif était d’identifier, de valider et d’appliquer à grande échelle des pratiques de gestion durable des terres et des pâturages. Au Tadjikistan, Caritas Suisse a aussi soutenu la réalisation d’un grand projet forestier financé par la KfW et prévoyant notamment la reforestation directe de plus de 2000 ha et la réhabilitation de plus de 4000 ha au travers d’une gestion forestière conjointe, les récoltes étant partagées entre usagers des forêts et départements forestiers, améliorant ainsi grandement le ni-
9 L’« Integrity Management Toolbox » pour les petits systèmes d’approvisionnement en eau a été développé par Caritas Suisse et le Water Integrity Network (WIN).
Approches et éléments des projets d’adaptation au climat de Caritas Suisse
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6 8 1 Restauration et conservation des forêts et des zones humides 2 Gestion participative des forêts 3 Gestion des pâturages 4 Préparation aux risques de catastrophe : systèmes d’alerte précoce
5 Infrastructures vertes et grises : stabilisation des pentes, digues de protection contre les inondations
6 Gestion durable de l’eau : collecte de l’eau de pluie par captage rocheux 7 Aide décisionnelle en matière agronomique basée sur les informations météo 8 Agriculture agroécologique et ingénieuse face au climat
veau de vie des communautés. Une nouvelle approche innovante de l’adaptation pilotant des services météo, climatiques et hydrologiques efficaces est actuellement lancée. Ce projet, soutenu par la DDC, vise à tirer parti du potentiel d’un vaste réseau de stations météo à bas coût qui, combinées avec les observations obtenues manuellement au niveau des citoyens, jettera les bases de prévisions météo nationales plus précises et de décisions informées dans la gestion de l’agriculture et des risques de catastrophe.
Étude de cas : Projets d’adaptation gérés par la communauté au Tadjikistan – le Project Trust Fund Le « Project Trust Fund » (PTF) – introduit comme un mécanisme de financement innovant, inclusif et transparent – a constitué le facteur le plus déterminant pour renforcer l’adhésion et l’appropriation de la communauté dans le projet des bassins versants au Tadjikistan. Deux fois par an, un processus ouvert de dépôt de candidatures incitait les membres de la communauté – ménages, communautés entières ou groupes de femmes – à soumettre des propositions de projet prometteuses dans les domaines de l’agriculture de conservation, de l’agroforesterie, de la gestion des pâturages et des infrastructures d’atténuation des risques.
Critères de sélection des projets : Les critères d’évaluation des propositions ont été définis antérieurement par le comité du PTF, qui rassemblait des membres de la société civile, des représentants des gouvernements locaux et des collaborateurs du projet de Caritas. Au nombre de ces critères figuraient entre autres l’impact de la dégradation des sols, la vulnérabilité des bénéficiaires, la faisabilité technique, le caractère durable et la contribution à la communauté. Attention particulière aux plus vulnérables : Durant la mise en œuvre du projet, il est devenu évident que les membres les plus vulnérables de la communauté, comme les ménages dirigés par des femmes ou particulièrement démunis, étaient moins susceptibles de soumettre des propositions. Une enquête a révélé qu’ils a) manquaient d’informations sur les opportunités de financement et b) ne posaient pas leur candidature en raison du manque de ressources (temps, disponibilité des terres, connaissance des procédures d’obtention de certificats légaux, etc.). Par conséquent, l’équipe du projet a lancé une campagne de sensibilisation ciblant les ménages marginalisés, ce qui a entraîné une forte augmentation des demandes de projet de la part de ces ménages. Réalisations du Project Trust Fund : Le PTF évite les prises de décision dans l’adaptation climatique top-down et promeut les solutions locales et commu-
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Comité PTF multipartenaire mis en place
Carte des risques
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Zones de danger et zones prioritaires du bassin versant identifiées
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Critères définis pour les petits projets d’adaptation
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Événements de sensibilisation et visites de terrain aux paysans expérimentés
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nautaires. Plus de 10 000 bénéficiaires ont pu profiter directement du soutien du fonds, qui a notamment contribué à la réhabilitation de plus de 500 ha de parcelles d’agroforesterie et d’arboriculture fruitière ainsi que de plus de 10 000 ha de pâturages. Les impacts positifs de ces initiatives sur l’écosystème ont été confirmés par une analyse NDVI (Indice de végétation par différence normalisée), qui mesure la densité de la végétation sur la base d’images satellite et qui a révélé une augmentation significative de la végétation pendant la durée du projet par rapport aux bassins versants témoins. L’augmentation des revenus en espèces des ménages de 40 % en moyenne par l’introduction de la culture de légumineuses fourragères et de 190 % dans le cas de l’agroforesterie basée sur l’arboriculture fruitière a été l’accomplissement le plus gratifiant. La capitalisation des connaissances sur une période de six mois a montré que le projet a nettement renforcé la cohésion et l’autonomisation de la communauté. Les pâturages destinés au bétail et donc la productivité de l’activité d’élevage ont considérablement augmenté grâce à l’adoption de systèmes de pâturage en rotation par les unions d’usagers des pâturages et à l’introduction de la culture de légumineuses fourragères à enracinement profond. L’abattage illégal d’arbres a fortement diminué du fait, d’une part, de la fourniture supplémentaire de bois de chauffage issu de l’élagage des arbres plantés et, de l’autre, de l’utilisation de poêles à haute efficacité énergétique qui ont permis de faire baisser la consommation de bois de 24 % par rapport aux poêles traditionnels.
Communautés et ménages soutenus dans le processus de soumission
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Sélection de projets, sur la base de critères, par le comité
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Projets d’adaptation à petite échelle mis en œuvre par les communautés et ménages
Figure 2 : Le processus du Project Trust Fund
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Gulbahor Khalifaeva (à droite) est devenue une leader communautaire en conseillant ses voisins sur les pratiques de gestion durable des terres dans sa parcelle d’agroforesterie.
Conclusions
Le changement climatique rend encore plus complexe la situation des contextes ruraux dans les pays du Sud, confrontés à de multiples facteurs de stress qui vont de la pauvreté aux problèmes de gouvernance en passant par l’insécurité alimentaire et hydrique. Pour tenir compte des interdépendances complexes du changement climatique, les approches de l’adaptation doivent aller au-delà des solutions techniques et remédier de façon intégrée aux barrières sociales, financières et institutionnelles sous-jacentes. L’expérience de Caritas Suisse montre que ces approches intégrées sont les plus prometteuses pour le renforcement de la résilience des communautés locales face aux risques climatiques et de catastrophe. L’adhésion et l’engagement locaux sont essentiels pour l’efficacité et la durabilité des stratégies d’adaptation, qui doivent être basées sur les connaissances et traditions locales tout en embrassant l’innovation technologique. Caritas Suisse a su démontrer qu’il est possible de placer les communautés au centre des interventions de projet, tout en facilitant un dialogue politique multiniveau et multisectoriel réunissant communautés, organismes gouvernementaux et instituts de recherche. Vu les incertitudes associées aux prévisions et aux effets du changement climatique, les stratégies d’adaptation au climat sont moins susceptibles de suivre une voie prédéterminée qu’un processus itératif d’action, d’observation, d’apprentissage et de réaction. Il est dès lors crucial d’appliquer une approche de l’adaptation qui soit non seulement intégrée, mais aussi flexible et itérative. Les éléments suivants se sont avérés être les plus efficaces et sont donc d’une pertinence particulière : • Mécanismes de financement inclusifs : les systèmes de financement flexibles et transparents tels que le Project Trust Fund constituent une option pour assurer l’apprentissage itératif. Si le Project Trust Fund a été un outil efficace tout au long de la mise en œuvre du projet, idéalement, l’expérience positive du fonds aurait pu être transférée au gouvernement local après l’achèvement du projet. Dans des environnements politiques où les autorités gouvernementales manquent à l’évidence de ressources financières, il y a un besoin urgent de développer des systèmes réglementaires et des processus financiers efficaces pour mettre à profit la volonté des communautés à co-investir et à s’engager dans un partenariat avec les gouvernements locaux sur la mise en œuvre de mesures d’adaptation. • Importance de l’implication gouvernementale : bien que les communautés locales soient généralement les principaux acteurs dans l’implémentation de mesures d’adaptation, les plans d’adaptation ne peuvent déployer leur plein effet qu’avec le soutien institutionnel de tous les niveaux de gouvernement. Citons ici le cas de troupeaux en
transhumance appartenant à de puissants politiciens, dont les mouvements non régulés ont contrecarré les efforts locaux de gestion des pâturages au Tadjikistan ; ce cas constitue un bel exemple d’intérêts particuliers impactant négativement l’efficacité des mesures mises en œuvre. • Mesures génératrices de revenus : l’expérience de Caritas Suisse a montré que le caractère durable des mesures d’adaptation est corrélé à leur capacité à générer des revenus. Certaines mesures d’adaptation basées sur les écosystèmes peuvent parfois prendre des années pour sortir tous leurs effets et arriver à maturité. Une option est de combiner ces mesures avec des « gains éclairs » tels que des cultures à croissance rapide comme les légumineuses fourragères à enracinement profond. Afin de développer et de rationaliser l’approche de Caritas Suisse dans ses programmes et ses projets, il est recommandé d’appliquer systématiquement l’optique du paysage dans les interventions de projet comportant des éléments liés aux ressources naturelles. Caritas Suisse continuera à prêter attention à l’intégration holistique des pratiques durables d’utilisation et de gestion des terres agricoles dans les paysages qui soutiennent à la fois la biodiversité et les aspects de conservation, créant ainsi des systèmes résilients où les moyens de subsistance et la nature peuvent prospérer. Tout en poursuivant ses activités dans le domaine du changement climatique, Caritas Suisse demeure fidèle à ses principes et se focalise sur ses compétences clés et son expertise unique : la réduction de la pauvreté, la mobilisation des communautés, la mise en place de partenariats locaux et la facilitation du dialogue politique entre le niveau local et l’échelon national. En matière de changement climatique et d’adaptation, Caritas Suisse poursuivra donc sur la voie éprouvée du développement résilient au changement climatique, en donnant la possibilité aux populations démunies de ne pas percevoir le changement climatique seulement comme une menace, mais aussi comme une opportunité. Sources : – UNDRR 2020 : Human Costs of Disasters, An overview of the last 20 years 2000-2019, United Nations Office for Disaster Risk Reduction. – CCNUCC 2019 : 25 Years of Adaptation under the UNFCCC Report by the Adaptation Committee ; Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. – GIEC 2014 : Incidences, adaptation et vulnérabilité. Partie A : Aspects globaux et sectoriels. Contribution du groupe de travail II au cinquième rapport d’évaluation du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. – GIEC 2019 : Changement climatique et terres émergées, Rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. – OCDE 2019 : Financement climatique fourni et mobilisé par les pays développés en 2013-2017, Éditions OCDE, Paris.
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Courriel : aphilipona@caritas.ch
Notre engagement Caritas Suisse s’engage pour un monde sans pauvreté régi par la solidarité, la justice et la paix. Nous offrons un soutien professionnel, effectif et efficace aux personnes dans la détresse, indépendamment de leurs convictions politiques ou religieuses, de leur sexe ou de leur appartenance ethnique. Tous nos programmes poursuivent l’objectif de lutter contre la pauvreté, de renforcer la résilience des personnes, d’améliorer le respect de leurs droits et la reconnaissance de leurs compétences et d’augmenter leur capacité à atteindre les buts qui leur tiennent à coeur. Caritas Suisse est une oeuvre d’entraide Suisse indépendante et membre de Caritas Internationalis, un réseau d’organisations Caritas présentes dans plus de 160 pays.
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Cover Photo : John Kalapo ; Le paillage pour éviter l’évaporation et conserver l’humidité du sol est une technique très accessible et largement adoptée par les maraîchers et maraîchères autour lac Wegnia.
Auteure Arabela Philipona, Gestionnaire des connaissances climat à Caritas Suisse