Faut-il aider le monde entier?

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Faut-il aider le monde entier ? Réponses aux questions pressantes sur la coopération au développement


Coopération au développement : 46 réponses à des questions pressantes Le Parlement se penche en 2020 sur la coopération au développement de la Suisse pour la période 2021 à 2024. Depuis fin février, on connaît la stratégie de la coopération internationale (CI) de la Suisse. Avec cette publication, nous contribuons à la discussion sur la CI en apportant des réponses claires aux questions fréquentes de la population et du monde politique. La coopération internationale réunit sous un même toit l’aide humanitaire dans les régions en proie à un conflit ou ayant subi une catastrophe naturelle, la coopération au développement et des programmes de promotion de la paix et des droits de l’homme. Ces trois domaines sont souvent liés entre eux. Ainsi, après les catastrophes naturelles, l’aide humanitaire d’urgence doit s’accompagner d’un travail de reconstruction durable dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Dans les régions du monde en proie à des conflits, les mesures de consolidation de la paix font souvent partie de projets de développement à long terme. Caritas Suisse s’engage depuis des années en faveur d’une coopération suisse au développement efficace et d’une politique et pratique équitable vis-à-vis des pays les plus pauvres. Nous rédigeons des prises de position sur des questions actuelles de politique de développement, et sur cette base, nous posons nos revendications envers la politique et l’administration lors de conférences de presse. Nous organisons des rencontres au Palais fédéral pour présenter nos projets et nous cherchons le dialogue avec les parlementaires. Dans le cadre de notre Almanach, nous débattons chaque année d’un nouveau thème de politique du développement. Et youngCaritas réussit à convaincre un nombre croissant de jeunes à s’engager pour le développement durable et plus de justice climatique.


Faits sur la pauvreté dans le monde La communauté internationale veut éradiquer l’extrême pauvreté dans le monde d’ici 2030. À ce jour, cette dernière concerne encore plus de 760 millions de personnes qui tentent de survivre avec moins de 2 francs par jour. Près de la moitié de la population de la Terre vit en dessous du seuil de pauvreté et n’arrive que difficilement à couvrir ses besoins de base. Près de l’abîme Entre 2008 et 2015, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a diminué de 450 millions. C’est là l’un des succès de l’aide au développement. Mais éradiquer la pauvreté reste un énorme défi. D’une part, les personnes en situation d’extrême pauvreté vivent souvent dans des régions ravagées par des conflits et il est difficile de les atteindre. D’autre part, pour les personnes qui s’en sont sorties, l’amélioration n’est souvent que temporaire. Un choc économique, une catastrophe naturelle liée au climat, une pénurie d’eau ou une récolte perdue risquent de réduire à néant les progrès si durement acquis. La faim n’est pas encore vaincue Plus de 160 millions de personnes prises dans des conflits interminables ou victimes de catastrophes naturelles de plus en plus nombreuses dépendent de l’aide humanitaire et ont besoin de protection. Dans le monde, un enfant sur quatre naît et grandit dans un pays secoué par la guerre, la violence ou une autre crise humanitaire. 617 millions de personnes ne savent ni lire ni écrire. Plus de deux milliards de personnes n’ont pas un accès fiable à l’eau potable. Et le nombre de personnes qui souffrent de la faim, après avoir reculé pendant des années, a recommencé à croître depuis 2015, essentiellement en Afrique subsaharienne. Dans cette région, une personne sur cinq est touchée par la faim.


Sommaire La coopération au développement améliore les conditions de vie des personnes particulièrement vulnérables. Elle permet aussi de trouver des réponses communes aux défis régionaux et globaux. Réponses 1 à 5

L’engagement international promeut un développement durable partout dans le monde et la stabilité dans les régions fragiles. Ces deux éléments sont clairement dans l’intérêt de la Suisse. Réponses 6 à 9

Une aide au développement bien pensée ne rend pas dépendant. Au contraire, elle permet aux gens d’améliorer leur situation par leurs propres efforts. Réponses 10 à 13

Un contrôle externe de l’efficacité, du rendement et de la durabilité montre que les projets d’aide au développement atteignent leurs objectifs dans leur très grande majorité. Réponses 14 et 15

Beaucoup de champs politiques au plan international, mais aussi en Suisse, sont ainsi conçus qu’ils freinent un développement durable et réussi de l’Afrique. Réponses 16 à 20


Le travail de la coopération au développement permet aux personnes et organisations de la société civile de se renforcer et d’agir plus fermement vis-à-vis des autorités, et de mieux faire valoir leurs droits. Ceci est particulièrement important dans les pays qui ne sont pas libres. Réponses 21 à 24

En 2019, l’aide au développement représentait 0,44 % de la production économique suisse. C’est le taux le plus bas depuis 2013. Réponses 25 à 30

Dans un monde globalisé et interconnecté, les défis doivent être relevés ensemble. La coopération n’est pas une option parmi d’autres, c’est la seule voie possible. Réponses 31 à 33

Le réchauffement climatique accroît la pauvreté dans le monde et entraîne des déplacements régionaux. C’est pourquoi la réduction de la pauvreté et la protection du climat doivent être poursuivies simultanément. Réponses 34 à 39

La plus grande partie des migrants du Sud se déplacent dans leur propre pays ou dans ceux de leur région. Réponses 40 à 46



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La coopération au développement est-elle encore vraiment nécessaire aujourd’hui ?

Ces dernières années, la vie s’est montrée plus clémente pour beaucoup d’habitants de la planète. Mais cette affirmation réjouissante est tempérée par un constat plus sombre : dans les pays en développement, de larges tranches de population continuent d’être extrêmement pauvres. La faim continue de sévir dans le monde, l’eau potable reste un privilège. Un grand nombre de personnes ne bénéficient pas même d’une éducation de base, sont privées de droits et de la moindre perspective économique.

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La coopération au développement contribue de manière décisive à l’amélioration des conditions de vie des personnes particulièrement pauvres et défavorisées. Par exemple, de jeunes adultes voient s’ouvrir des perspectives parce qu’ils ont pu suivre une formation professionnelle ; des petits paysans peuvent augmenter leur production et donc leur revenu, ils sont aussi de plus en plus nombreux à posséder leurs propres terres ; des petits entrepreneurs peuvent accéder au crédit.

La coopération au développement est donc une aide à petite échelle ?

Pas seulement. Souvent, des problèmes régionaux et globaux dépassent les seules capacités des pays dans lesquels ils se produisent. La coopération au développement contribue alors à la recherche de solutions communes. Il faut par exemple une réponse commune des Nations Unies, des pays et des œuvres d’entraide pour faire face à la famine actuelle qui dévaste l’Afrique de l’Est et touche plus de 20 millions de personnes. Ou encore à la pandémie Covid-19, à laquelle sont exposés sans défense les groupes de population les plus vulnérables des pays en développement et des camps de réfugiés.

Il faut aussi des réponses communes pour lutter contre l’enlèvement, l’exploitation et la traite des êtres humains sévissant dans les mouvements migratoires partout dans le monde. Ou encore en matière de changement climatique : le cyclone qui a dévasté le Mozambique ou les typhons qui ravagent régulièrement les Philippines montrent que les catastrophes naturelles vont devenir de plus en plus dévastatrices dans les pays du Sud. Et au Sahel, on peut voir que le réchauffement aggrave l’insécurité alimentaire, exacerbe les conflits et provoque les flux migratoires.


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L’aide au développement, n’est-ce pas   une notion dépassée ?

Cela fait longtemps que l’aide au développement ne se contente plus de creuser et de financer des puits. L’aide au développement avance avec son temps. Elle a beaucoup changé ces dernières années. Aujourd’hui, il s’agit de plus en plus de transmettre des idées qui ont fonctionné et des approches éprouvées. L’objectif est de renforcer les personnes sur place

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pour qu’elles puissent à terme s’aider elles-mêmes. Par exemple, on soutient des organisations locales à trouver de meilleures solutions pour avoir accès à l’eau potable. On conçoit des projets et des mesures adaptées aux besoins locaux, en collaboration avec les populations sur place.

Concrètement, à quoi ressemble la coopéra­ tion au développement de la Suisse ?

L’engagement de la Suisse est très diversifié. La Confédération parle de coopération internationale. Elle englobe l’aide humanitaire, la coopération internationale et la promotion économique. Et elle vise également à promouvoir la paix dans les régions fragiles ainsi qu’à renforcer les droits de l’homme. L’aide humanitaire vise à aider les personnes dont la survie est menacée par la guerre ou des catastrophes naturelles. Cette forme d’aide est inconditionnelle, neutre et immédiate. Les actions d’aide humanitaire de la Confédération visent à ravitailler la population en nourriture, en eau, en médicaments, en tentes et couvertures, etc. La Confédération soutient également les ONG suisses et les organisations internationales telles que le Comité inter-

national de la Croix-Rouge (CICR) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). La coopération au développement est conçue pour le long terme. Elle vise à impacter positivement et durablement les conditions d’existence et à diminuer les inégalités dans le monde. L’objectif est de permettre aux gens d’améliorer leur alimentation et leurs revenus, d’exercer leurs droits au travail, d’obtenir une meilleure éducation et une formation, et d’avoir accès aux médecins, aux hôpitaux et aux médicaments. Pour ce faire, outre ses programmes propres dans certains pays choisis, la Confédération travaille avec des organisations de l’ONU, la Banque mondiale ou des banques régionales de développement.


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Quel est le rôle des œuvres d’entraide suisses ?

Les œuvres d’entraide gèrent leurs propres projets grâce à des dons et d’autres contributions. Souvent, parce qu’elles sont présentes sur place, elles peuvent relier une aide d’urgence humanitaire avec des projets de développement prévus sur le long terme. La force particulière des œuvres d’entraide est leur capacité à faire les liens et mettre en réseau les organisations locales et les personnes engagées de la société civile. Elles ont ainsi un accès direct aux personnes qui ont besoin d’aide.

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Les organisations privées de développement, notamment Caritas, sont des partenaires de premier plan pour la Confédération. Elles exécutent des missions sur mandat de la Direction du développement et de la coopération (DDC). La DDC et le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) libèrent environ 2 milliards de francs pour la coopération au développement dans les pays du Sud ; de leur côté, les œuvres d’entraide collectent environ 540 millions de francs en dons destinés à améliorer la situation des plus pauvres.

La Suisse ne pourrait-elle pas se limiter à l’aide humanitaire ?

On fournit une aide d’urgence humanitaire après une catastrophe naturelle ou dans une situation de guerre engendrant déplacements et fuite de la population. Il en va de la survie des victimes. En outre, il faut réparer les dommages. En ce qui concerne les catastrophes naturelles, la coopération au développement en revanche, parce qu’elle est pensée sur la durée, joue un rôle préventif. Grâce à l’amélioration des infrastructures ou de la production agricole, la population est mieux à même d’y faire face. Les personnes sont mieux préparées lorsqu’une catastrophe se produit. Elles peuvent mieux s’aider elles-mêmes.

En limitant son engagement en matière d’aide humanitaire, la Suisse ne serait plus en mesure de faire autre chose que de réagir à des problèmes aigus. Alors même que dans ce domaine, les actions préventives à moyen et long terme sont à la fois sensées, nécessaires et moins coûteuses.


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Il faut donc les deux modes d’action, coopéra­­tion au développement et aide humanitaire ?

Oui, il faut les deux. En particulier en cas de crises et de catastrophes qui durent – parfois des années – il est conseillé de combiner l’aide humanitaire avec des projets de reconstruction et de coopération au développement. Les régions en crise ont besoin d’eau potable et de nourriture, mais des investissements dans l’éducation et les soins de santé sont également nécessaires pour créer de nouveaux moyens de subsistance et de nouvelles perspectives. Il est également important de mettre en

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place des systèmes d’alerte climatique qui permettront de mieux se préparer aux sécheresses, par exemple. Dans les camps de réfugiés qui se pérennisent, il faut non seulement veiller à fournir des conteneurs d’eau potable et des sacs de riz, mais aussi mettre en place des équipements de traitement de l’eau, des conseils en matière d’hygiène, une aide à la gestion de l’eau, et aussi des mesures contre la violence à l’égard des femmes et des enfants.

Faut-il aider le monde entier ?

Non, nous ne devons pas être partout. D’ailleurs, la Suisse ne cherche pas à l’être. L’expérience montre que la coopération au développement est efficace lorsque l’on définit clairement des critères de début et de fin d’intervention. La Confédération s’engage en priorité dans les pays en proie à une grande pauvreté et à des inégalités criantes, et qui sont dotés de gouvernements prêts à ouvrir le dialogue et à entreprendre des réformes politiques. Dans les pays aux structures étatiques faibles ou lacunaires, la Confédération soutient les œuvres d’entraide parce qu’elles ont un accès direct aux organisations civiles et aux communautés sur place.

La DDC et le SECO se retirent d’un pays lorsque ce dernier dispose de ressources et de capacités propres suffisantes, mène une politique solide de réduction de la pauvreté et est raisonnablement stable économiquement et politiquement. L’engagement de la Suisse prend fin également lorsqu’un pays n’a plus intérêt à poursuivre une coopération au développement.



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Nos propres intérêts ne devraient-ils pas être mis en avant ?

La Suisse est un petit pays qui ne dispose de pratiquement aucune ressource en matières premières. Et pourtant, c’est un pays très prospère. Cela n’est possible que parce que notre pays entretient un réseau international très intense et sait tirer de grands bénéfices de ces échanges. Notre économie est très fortement intégrée aux marchés mondiaux et aux chaînes de valeur. Nous sommes un pays axé sur l’exportation. Un franc sur deux dans notre porte-monnaie provient du commerce extérieur.

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La Suisse étant l’un des principaux centres financiers du monde et une plaque tournante de premier plan pour le commerce de matières premières, notre économie profite fortement des pays en développement. Et donc, lorsque ces pays se développent pacifiquement et durablement, ce ne peut être qu’un avantage pour nous. La Suisse fournit une coopération internationale, non seulement par solidarité, mais par intérêt propre bien compris.

L’aide au développement entraîne-t-elle une dépendance ?

Une coopération au développement bien pensée renforce les personnes et leur permet d’améliorer leur situation par leurs propres moyens. Elle soutient les personnes dans leurs efforts pour gagner un meilleur revenu, jouir d’une meilleure sécurité sociale et avoir de meilleures perspectives d’avenir sur place. Les œuvres d’entraide comme Caritas sont souvent présentes dans des régions rurales, des villages isolés et des bidonvilles. Elles ont donc accès aux per-

sonnes particulièrement pauvres et défavorisées. C’est l’une des préoccupations centrales de la coopération au développement que de montrer à ces personnes comment elles pourraient s’aider ellesmêmes, ou organiser une aide par leurs propres moyens.


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La faim est-elle encore un problème majeur ?

Oui. La faim est loin d’être éradiquée. Depuis 4 ans, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde augmente à nouveau et s’élève désormais à plus de 820 millions de personnes. Et avec la crise du coronavirus, la situation va, selon l’ONU, se détériorer encore massivement.

meilleures récoltes. Et elle aide les petits producteurs à stocker et à commercialiser leurs produits, ce qui leur permet d’augmenter leurs prix et d’obtenir un meilleur revenu. Les femmes reçoivent une aide particulière pour qu’elles puissent avoir le même accès à la terre, aux ressources naturelles et aux marchés locaux.

Près de 70 % des personnes pauvres dans le monde vivent dans des régions rurales. L’agriculture forme la base de leur existence.

La coopération au développement s’engage à respecter le droit de chaque être humain d’avoir accès à une nourriture saine et nutritive – pas seulement dans les régions rurales, mais aussi dans les quartiers pauvres des villes.

La coopération au développement aide les petits agriculteurs à accroître la fertilité des sols afin qu’ils puissent bénéficier de

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L’aide au développement est-elle suffisamment innovante ?

Oui. Les personnes peuvent obtenir des petits crédits très facilement par le biais du smartphone. La technologie satellitaire permet d’observer les zones de riziculture pour évaluer plus précisément les futures récoltes. Les systèmes de distribution avec des modules solaires produisent de l’énergie lorsque l’alimentation électrique tombe en panne après un tremblement de terre. Ces exemples montrent que la coopération au développement est innovante et ne craint pas la comparaison avec d’autres branches. La DDC, le SECO et les organisations d’aide, en partena-

riat avec le secteur privé et la science, développent sans cesse de nouvelles approches. De manière générale, l’innovation hightech n’est pas absolument obligatoire pour que la coopération au développement soit efficace. Des mesures simples peuvent s’avérer payantes elles aussi. Par exemple : un nouveau processus rend possible la transformation d’eau non potable en eau potable grâce à une simple bouteille en PET qu’on remplit d’eau et qu’on laisse pendant au moins six heures au soleil. La distribution de moustiquaires



a fait baisser les cas de malaria de moitié ces quinze dernières années. Et les vaccins comptent parmi les mesures sa-

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nitaires les plus intéressantes en ce qui concerne leur rapport coût/efficacité.

La coopération au développement entrave-t-elle l’économie ?

Non, en aucun cas. C’est un reproche qu’on entend surtout lorsque les œuvres d’entraide attirent l’attention du public sur les violations des droits de l’homme ou les dommages environnementaux causés par les multinationales. Mais l’aide au développement n’est pas l’ennemie de l’économie.

La coopération au développement a pour rôle principal de développer des occasions d’affaires lucratives avec les entreprises locales et d’offrir des modèles de financement abordables. Lorsqu’une approche est prometteuse, les entreprises sur place devraient pouvoir l’adopter et créer des emplois sur place.

La coopération publique au développement, tout comme la privée, soutient les économies des pays du Sud. À cet effet, elle travaille en étroite collaboration avec de petites entreprises sur place.

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Est-ce que l’aide au développement fait vraiment une différence ?

Oui. Leurs propres mesures de suivi et d’efficacité sur place ainsi que des recherches indépendantes montrent que la grande majorité des projets de développement de la DDC et du SECO atteignent largement leurs objectifs et que leurs programmes ont un effet positif. Le rapport final sur la mise en œuvre du Message sur la coopération internationale 2017–2020 donne un bon aperçu de l’efficacité du travail de la DDC et du SECO.

Les œuvres d’entraide comme Caritas soumettent elles aussi régulièrement leurs projets à des évaluations indépendantes. Ces dernières ne sont pas seulement utiles en raison de l’obligation de rendre des comptes. Elles permettent également de gérer les projets et d’apprendre de ses erreurs. Lorsqu’un projet est trop peu orienté sur les besoins de la population locale, on l’adapte ou on y met un terme.


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La plus grande partie de l’argent ne sert-elle pas au fonctionnement des œuvres d’entraide ?

Non. Chez Caritas, neuf francs sur dix vont directement aux projets.

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Les frais administratifs de Caritas Suisse sont d’environ 9 %. Cela comprend les coûts des ressources humaines, de la comptabilité, de l’informatique, de l’infrastructure, de la recherche de fonds et de la publicité.

Pourquoi l’Afrique, qui bénéficie depuis des décennies de l’aide au développement, continue-t-elle de souffrir de la pauvreté ?

Certains pensent que la situation de l’Afrique ne change pas. Et ils en concluent que la coopération au développement n’est pas efficace. Mais, même si les progrès sont insuffisants, il est faux d’en conclure que l’aide au développement n’est pas efficace, ou même qu’elle est néfaste. En effet, les raisons des déficiences de développement en Afrique se situent tout simplement en-dehors du champ d’influence de la coopération au développement.

À l’échelle internationale et en Suisse, de nombreux domaines politiques clés continuent d’être conçus de telle manière qu’ils vont à l’encontre d’un développement réussi en Afrique. La politique des matières premières, par exemple, est ainsi faite qu’elle favorise une élite et des multinationales corrompues dans les pays riches en matières premières (or, pétrole, cuivre, etc.). Et la politique fiscale permet aux multinationales de transférer leurs bénéfices des pays en développement vers des pays fiscalement favorables (les paradis fiscaux).


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La Suisse est donc également responsable ?

Tout à fait. La Suisse continue par exemple d’avoir un système financier et fiscal des plus opaques.

veloppement dans leur pays, par exemple en investissant dans les infrastructures ou en maintenant un service public efficace.

Certains politiciens accusent les pays du Sud de corruption et de népotisme. Et dans le même temps, ils s’opposent à une plus grande transparence de la place financière suisse. Leur politique autorise les entreprises internationales basées en Suisse à créer sans cesse de nouveaux instruments leur permettant de payer le moins d’impôts possible dans les pays du Sud.

Cela fait longtemps que les œuvres d’entraide, dont Caritas, critiquent vigoureusement l’évasion des recettes fiscales des pays en développement. Ces fuites sont organisées par des astuces comptables qui permettent de transférer des fonds vers les groupes qui ont un siège en Suisse afin d’éviter des impôts dans les pays où ces groupes opèrent. Par ces flux financiers odieux, beaucoup plus d’argent circule du Sud vers le Nord que l’inverse.

Et ces recettes fiscales manquent aux collectivités locales pour promouvoir le dé-

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Pourquoi l’Asie est-elle aujourd’hui en meilleure position que l’Afrique ?

On compare souvent l’Afrique et l’Asie. Un exemple : au début des années 60, la Corée du Sud et le Zimbabwe étaient sur un pied d’égalité en ce qui concerne les principaux indicateurs de développement. Aujourd’hui, un monde sépare les deux pays. En matière de croissance économique, d’espérance de vie, de criminalité ou d’infrastructures, tout le monde s’accorde à dire que la Corée du Sud a tout juste et que c’est sans espoir au Zimbabwe. Ces comparaisons conduisent à des conclusions prématurées. Par exemple on en conclut que les fonds du dévelop-

pement ont été néfastes à l’Afrique. On néglige le fait qu’un grand nombre de facteurs géographiques, climatiques, sociaux et politiques sont responsables du développement d’un pays. Dans l’exemple précédent, les « Tigres de l’Asie » que sont la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong ont rejeté les exigences libérales du Consensus de Washington des pays industrialisés occidentaux. Ils doivent leur essor à un modèle de développement qui associe l’intervention de l’État à une ouverture prudente de leur propre économie.


Cette liberté de protéger leurs économies n’a pas été accordée aux pays africains lors de la « crise de la dette du tiers monde » des années 1980. Les ré-

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formes prescrites ont précisément privé les gouvernements africains des options d’action qui étaient au cœur du modèle de réussite asiatique.

Malgré tout, pourquoi ce qui a réussi en Asie est-il un échec en Afrique ?

Il est impossible de répondre en général. L’Asie n’est pas une entité monolithique, et l’Afrique non plus. On ne peut comparer la Chine au Cambodge, tout comme on ne peut comparer l’Afrique du Sud au Malawi. Contrairement à ce que l’on croit, certains pays du continent africain, comme le Ghana ou le Rwanda, connaissent une forte croissance et des indicateurs positifs en matière notamment de mortalité infantile et maternelle, de taux de scolarisation et de perspectives professionnelles. En même temps, en Asie, plusieurs pays ne vivent pas un développement aussi fulgurant qu’on le dit : le Myanmar est en butte à des violences contre ses propres minorités ethniques. Le Laos, malgré de grandes richesses en ressources naturelles, souffre d’un taux de pauvreté record. La traite des enfants représente un problème majeur au Cambodge. Les Philippines vivent une répression étatique sans précédent.

Si l’on y regarde de plus près, la situation est souvent encore plus complexe : le Ghana par exemple est avancé, mais il dépend presque exclusivement de l’exportation de pétrole. L’Angola est un pays riche en ressources naturelles, mais son régime répressif fait que seule une petite élite en profite. Des pays comme la Gambie ou le Burkina Faso sont pauvres, mais ils se distinguent par une nette amélioration de la démocratie. Et alors que la situation dans des dictatures comme le Zimbabwe et le Congo est déprimante, le Rwanda et l’Éthiopie connaissent des dictatures de développement au succès surprenant, du moins si l’on ne tient pas compte des violations massives des droits de l’homme.



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La Chine s’est développée sans aide. Pourquoi pas l’Afrique ?

Certains prétendent que la Chine est sortie de la pauvreté sans aide au développement, alors que l’Afrique, malgré des milliards d’aide, n’y est pas parvenue. C’est faux dans les deux cas.

uniquement grâce aux nombreuses années de coopération au développement. Nous ne devrions pas non plus nous attendre à ce que ce soit le cas des pays africains.

D’abord, la Chine a a longtemps bénéficié d’une aide au développement. Et de nombreux pays donateurs poursuivent encore aujourd’hui leurs projets dans ce pays d’Asie, notamment en matière de protection de l’environnement et de développement économique durable. De plus, la pauvreté en Chine est loin d’être éradiquée. Quant à la situation des droits de l’homme, elle reste très précaire.

La coopération au développement dans les pays bénéficiaires d’Afrique subsaharienne ne représente que 3 % du revenu national brut moyen. Même dans les pays les moins avancés, ce chiffre est bien en dessous de la barre des 5 %.

Bien sûr, on ne peut prétendre que la Chine connaît son succès économique

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Compte tenu de cette faible part à la performance économique, il est présomptueux de penser que l’aide au développement à elle seule conduira à la prospérité économique.

Chaque pays n’est-il pas responsable de son propre développement ?

En principe, chaque pays est responsable de son développement. Mais n’oublions pas que les conditions ne sont pas partout égales. Certains pays n’ont pas accès au commerce international, ou sont plus fortement impactés par les catastrophes climatiques et naturelles. Ils sont en proie à des conflits régionaux, à un extrémisme violent, ou sont devenus le jouet d’intérêts géopolitiques.

De plus, de nombreux gouvernements ne sont pas élus par le peuple. Ils contrôlent leur pays de manière autocratique. Ils n’hésitent pas à user de violence envers leur propre peuple. La coopération au développement renforce la capacité de résistance de la population en protégeant les droits et la dignité humaine précisément dans les régions où les gens sont marginalisés politiquement et socialement. Les opprimés retrouvent une voix. L’alternative serait de les abandonner à leur sort.


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La coopération au développement déresponsabilise-t-elle les gouvernements de pays pauvres ?

Dans certains pays, les gens souffrent sous des régimes injustes. Parfois, on entend dire que c’est grâce à « l’aide extérieure » que ces gouvernements corrompus ne prennent pas leurs responsabilités et limitent les services sociaux de leur propre population.

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C’est le contraire : précisément la coopération au développement peut accomplir beaucoup de choses en lançant des programmes ciblés en matière de bonne gouvernance. Par exemple, en faisant en sorte que les autorités publiques et les administrations locales deviennent plus transparentes et assument ainsi davantage de responsabilités.

Qu’est-ce que la bonne gouvernance ?

La Suisse connaît bien les processus transparents, démocratiques et fédéraux. Elle peut échanger avec d’autres pays sa précieuse expérience en matière de bonne gouvernance. La Suisse peut aider les autorités fiscales à mieux administrer leurs finances, l’objectif étant de rendre les dépenses compréhensibles et efficaces. Au final, c’est une manière de combattre la corruption.

La Suisse peut également sensibiliser les collaborateurs des administrations aux droits des groupes de population défavorisés et aux services auxquels ils ont droit.



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N’est-il pas utopique de vouloir influencer la gouvernance d’autres pays ?

Un grand nombre de gouvernements collaborent volontiers avec la Suisse dans le cadre de la coopération au développement. Mais il existe aussi naturellement des gouvernements autoritaires et répressifs qui refusent d’entrer en dialogue. C’est justement dans les pays non libres que les œuvres d’entraide peuvent contribuer à renforcer la société civile, dans la mesure en tout cas où la situation sécuritaire le permet. Cela permet aux organisations locales de chercher le dialogue avec les autorités. Et les personnes défavorisées peuvent ainsi mieux défendre leurs droits.

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De manière générale, on peut dire que plus un gouvernement s’éloigne des valeurs démocratiques, plus il est important de soutenir une société civile indépendante et critique qui se fait l’écho de groupes de population défavorisés ou observatrice des atteintes aux droits de l’homme. C’est pourquoi l’une des tâches centrales de la coopération au développement est de protéger et soutenir les activistes des droits de l’homme, les personnes qui aident les réfugiés, les journalistes et les universitaires, les écrivains et les intellectuels, les opposants politiques et les peuples indigènes.

La Suisse est-elle trop généreuse ?

En 2019, la Confédération a fait état d’une « coopération publique au développement » d’environ 3 milliards de francs. C’est une somme comparable à celle des deux années précédentes, et un demimilliard de moins qu’en 2016. Dans le cadre de l’ONU, la communauté internationale et la Suisse ont convenu que les pays riches devraient consacrer au moins 0,7 % de leur revenu national brut à leur engagement de développement international. La Suisse est très loin de respecter cette cible.

En 2019, l’aide au développement représentait 0,44 % de la production économique suisse. C’est le taux le plus bas depuis 2013. La Suisse se place ainsi derrière le Luxembourg, la Norvège, la Suède, le Danemark, l’Angleterre, l’Allemagne et les Pays-Bas. Le Luxembourg, la Norvège et la Suède ont un quota d’aide au développement plus de deux fois plus élevé que la Suisse.


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Comment interpréter ces différents chiffres ?

La coopération internationale représente beaucoup moins de 4 % des dépenses fédérales. La Suisse gagne bien plus d’argent par le biais du commerce des matières premières qu’elle n’en dépense chaque année dans le cadre de la co­opération au développement. En 2018, la Confédération a consacré 4,87 milliards de francs à la protection militaire du pays. Avec les acquisitions à venir (avions de combat, défense aérienne basée au sol et véhicules blindés d’infanterie), le budget de l’armée de terre passera à environ 6 milliards de francs suisses au cours des dix prochaines années. En revanche, les dépenses du Département fédéral des affaires étrangères pour la prévention des conflits et la promotion de la paix civile et des droits de l’homme stagnent à un peu moins de 100 millions de francs.

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Les autorisations d’exportations de matériel de guerre ont augmenté de 43 % en 2019, pour atteindre une somme de 728 millions de francs. C’est beaucoup plus que ce sur quoi la DDC peut compter pour son aide humanitaire. Ce n’est qu’en 2011 que la Suisse avait exporté davantage d’armes. Avec ses partenaires commerciaux sur le continent africain, la Suisse a réalisé en 2018 un excédent de 1,4 milliard de francs. C’est comparable aux moyens que la DDC engage pour l’aide humanitaire dans tous les pays du Sud. Enfin, dernière comparaison : en 2008, au plus fort de la crise financière et économique mondiale, le gouvernement suisse a sauvé la banque suisse UBS par droit de nécessité en injectant 68 milliards de francs suisses pris sur les deniers publics. C’est vingt fois ce que coûte chaque année l’aide au développement de la Suisse.

Ne devrait-on pas employer notre aide au développement pour couvrir les coûts de l’asile en Suisse ?

Nous le faisons depuis longtemps. Dans le calcul de la coopération publique au développement, la Suisse tient également compte des dépenses d’aide aux requérants d’asile, aux réfugiés et aux

personnes provisoirement admises en provenance de pays en développement. C’est là une pratique internationalement admise.


Ces dépenses sont d’ailleurs nécessaires et censées. Mais elles ne contribuent pas au développement des pays de provenance des personnes qui demandent l’asile.

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L’argent de l’aide au développement ne devrait-il pas plutôt être utilisé en Suisse, par exemple pour l’aide sociale ?

La sécurité sociale des personnes qui ont besoin d’une aide en Suisse augmente ; elle s’élevait à près de 175 milliards de francs en 2017. En comparaison, les quelque 2 milliards de francs alloués à la DDC et au SECO pour la coopération au développement restent plutôt modestes. Il serait injustifiable de prendre cet argent aux plus pauvres de la planète pour l’utiliser pour nous-mêmes.

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En 2019, les coûts de l’asile représentaient près de 10 % de l’aide publique au développement officiellement déclarée. En 2016, c’était presque 20 %. On peut donc dire que la Suisse est la première bénéficiaire de sa propre aide au développement.

Mettre dos à dos l’aide au développement dans les pays les plus pauvres de la planète avec le soutien que l’on doit aux personnes vivant en Suisse, n’aurait aucun sens. Les deux sont nécessaires, les deux doivent être couverts avec les moyens financiers nécessaires.

Que pourraient être les conséquences de l’initiative UDC « Plus pour la Suisse moins pour l’étranger » ?

Les conséquences seraient catastrophiques. Cela représenterait une coupe sombre dans l’aide au développement.

être employé pour l’AVS, il faudrait réduire de moitié l’engagement de la Suisse pour le développement.

La DDC et le SECO contribuent chaque année à la coopération au développement à hauteur de presque 2 milliards de francs. Si un milliard devait désormais

L’initiative, si elle est acceptée, porterait gravement atteinte à la réputation et la crédibilité d’acteur humanitaire de la Suisse.


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La planète fait-elle de plus en plus de projets de coopération au développement ?

Oui et non. En chiffres absolus, il est vrai que la coopération publique au développement augmente dans le monde. Mais en pourcentage, elle reste constante et se situe depuis 2005 autour de 0,3 % des performances économiques des pays donateurs. L’augmentation en chiffres absolus est due à deux facteurs principaux : d’abord, l’aide humanitaire (qui est une partie de la coopération publique au développement) a doublé depuis 2012 à cause des nom-

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breux foyers de conflits. Deuxièmement, les pays donateurs présentent des coûts de plus en plus élevés pour les requérants d’asile comme une aide au développement à l’intérieur même de leurs frontières. Si l’on ne tient pas compte de ces deux facteurs, on constate que la coopération au développement sur le long terme n’a pratiquement pas augmenté depuis 2010. Cela concerne aussi l’aide au développement envers les pays les moins développés.

L’Agenda 2030, qu’est-ce que c’est ?

Avec la croissance économique et démographique, la pression sur la nature, les ressources et le climat augmente dans le monde entier. Depuis 1950, la consommation d’eau a triplé, les émissions de CO2 ont quadruplé et la production économique mondiale a été multipliée par sept. Avec l’Agenda 2030 élaboré dans le cadre de l’ONU, la communauté internationale s’est engagée en 2015 à atteindre des objectifs sociaux, économiques et écologiques communs d’ici 2030. L’Agenda s’applique à tous les pays et comprend tous les domaines politiques. La globalisation doit devenir plus équitable et plus durable.

L’Agenda doit permettre de vaincre la pauvreté et la faim, de réduire les inégalités entre pays et au sein des pays, de favoriser la participation sociale, politique et économique de tous les habitants de la Terre, d’améliorer leurs chances et de garantir la qualité de vie des générations futures. Dans un monde dans lequel nous dépendons tous les uns des autres, ce n’est qu’ensemble que nous pourrons survivre. La coopération n’est pas une option parmi d’autres, c’est la seule voie possible.



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Ne prenons-nous pas déjà suffisamment de responsabilités dans le monde ?

Bien que la Suisse, avec son revenu par habitant élevé, soit l’un des pays les plus riches du monde, sa participation à la coopération publique au développement ne représente que 2 % des 153 milliards de dollars US que représente la coopération internationale dans le monde. Une dizaine de pays fournissent plus de 90 % du volume de l’aide dans le monde. La Suisse n’en fait pas partie. L’Agenda 2030 contient un principe supérieur : ne laisser personne de côté.

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L’Agenda prend pour mesure de succès l’amélioration des conditions d’existence et des perspectives des personnes les plus pauvres et défavorisées, partout, aussi bien en Suisse que dans le monde. La Suisse s’est engagée à participer activement à ce partenariat mondial. Et verser plus de fonds pour une coopération internationale réussie fait partie de ses engagements. D’autre part, il faut concevoir de façon cohérente et favorable au développement durable toutes les activités politiques de la Suisse qui ont un impact sur les pays en développement.

La « cohérence » en politique, c’est quoi ?

La cohérence, ce serait que toutes les décisions et orientations qui ont un impact sur les pays du Sud ne se contredisent pas entre elles ; il faudrait les concevoir de manière à ce qu’elles favorisent le développement autant que possible. Pour que les pays en développement puissent générer plus de fonds par euxmêmes, la Confédération doit prendre des mesures plus systématiques de lutte contre l’évasion fiscale des particuliers fortunés, et contre les transferts de bénéfices des multinationales. Les accords de libre-échange doivent contenir des dispositions claires sur les

normes environnementales et les normes de travail. Les intérêts économiques doivent s’accorder avec le développement durable en Suisse et dans les pays partenaires. En ce qui concerne l’importation de denrées alimentaires, il s’agit de poser des normes sévères favorisant la sécurité alimentaire et la protection environnementale des pays en développement. Pour le contrôle de l’exportation d’armement, il faut toujours mettre la priorité sur la promotion de la paix et des droits de l’homme du pays étranger plutôt que sur les intérêts économiques de la Suisse.


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Le changement climatique, c’est si grave ?

Depuis le début de l’ère industrielle, la température de la planète a augmenté de plus de 1 degré en moyenne. En Suisse, l’augmentation est déjà de 2 degrés. L’Europe a vécu en 2019 l’année la plus chaude depuis le début des relevés météorologiques. C’était aussi la deuxième année la plus chaude dans le monde. Nous observons de plus en plus clairement les conséquences de cette augmentation. Il n’est qu’à voir, en 2017, le glissement de terrain de Bondo, causé par le dégel des flancs des montagnes ; ou encore, l’été caniculaire de 2018, provoquant l’assèchement des champs et la mort des poissons dans nos rivières et lacs surchauffés. Et avec bien trop peu de jours de gel, l’hiver 2019/2020 a été le plus chaud depuis le début des mesures. La Suisse est plus touchée que la moyenne par la perte d’espèces et le

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réchauffement climatique. Cependant, les pays en développement souffrent beaucoup plus encore du changement climatique : les changements météorologiques imprévisibles et les sécheresses croissantes entraînent de plus en plus souvent des pénuries de nourriture et d’eau. Les tempêtes tropicales, les pluies torrentielles et les inondations détruisent les maisons, les écoles et les cultures. Pour au moins deux milliards de personnes dans les pays du Sud, la crise climatique est déjà une réalité très concrète. Elle frappe en premier lieu les plus pauvres – principalement les femmes et les petits agriculteurs – et les personnes qui n’ont pas contribué au changement climatique et qui n’ont pas les moyens de s’en défendre.

Et que fait la communauté internationale ?

En signant l’Accord de Paris de 2015 sur le climat, les États voulaient éviter une catastrophe climatique. Ils entendaient maintenir le réchauffement au-dessous de deux degrés. La Suisse et d’autres pays particulièrement touchés ont même fixé l’objectif de limiter l’augmentation à 1,5 degré. Un monde plus chaud de 1,5 degré changera énormément notre environnement.

Et chaque dixième de degré supplémentaire augmente la fréquence des événements climatiques. Le GIEC montre que l’augmentation de deux degrés impacterait 10 millions de personnes supplémentaires à cause de l’élévation du niveau des océans. Tous les récifs coraliens mourraient, ainsi que beaucoup plus d’insectes et de plantes.



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La Suisse n’est-elle pas trop petite pour avoir un réel impact sur le climat ?

Si l’on ne considère que les émissions de CO2 à l’intérieur de notre pays, notre impact semble en effet négligeable pour le climat mondial. Mais cela ne tient pas compte des gaz à effet de serre dus à notre usage très élevé de vols internationaux et à notre consommation de biens d’importation. La Suisse a externalisé son industrie lourde, ce qui provoque ailleurs presque deux fois plus d’émissions de CO2 qu’à l’intérieur de la Suisse. De plus, selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), notre place financière est responsable d’un scénario de changement climatique de plus 4 à 6 degrés

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par les milliards de francs qu’elle investit dans les secteurs du charbon et du pétrole. Alors que selon les climatologues, le seuil critique est de 2 degrés maximum. Et si l’on considère notre mode de vie, nos modes de production et de consommation et nos investissements, il apparaît clairement que la Suisse, très interconnectée, n’est pas aussi insignifiante sur ce point que certains voudraient nous le faire croire. Avec sa puissante place financière et de commerce de matières premières, notre pays contribue pour 2 à 3 % aux émissions de CO2 dans le monde.

La lutte contre la crise climatique remplace-t-elle la lutte contre la pauvreté ?

Le changement climatique menace déjà l’existence des personnes les plus pauvres des pays en développement. L’assèchement des sources et les sécheresses de plus en plus fréquentes en Afrique engendrent conflits et migrations. En Asie, les intempéries alternant avec des périodes de sécheresse extrêmes détruisent les récoltes. Si l’on ne prend pas des mesures fermes contre le réchauffement climatique, d’ici 2030, plus de 120 millions de personnes de plus sombreront dans la pauvreté. Et parallèlement, les conséquences du changement climatique pousseront de

plus en plus de personnes sur les routes de l’exil. Le changement climatique accroît la pauvreté et entraîne des déplacements régionaux. Il est donc essentiel de prévenir la menace d’une nouvelle pauvreté et, en même temps, de combattre résolument la pauvreté existante. Il est nécessaire d’établir une « politique climatique équitable  » qui admet que les personnes les plus touchées par le changement climatique en sont aussi les moins responsables. Les pays du Sud paient le prix des importantes émissions de CO2 des pays les plus riches.


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Comment faut-il accompagner le changement climatique ?

Deux éléments sont nécessaires pour faire face à la catastrophe climatique imminente : une meilleure protection du climat et des mesures d’adaptation ciblées. La Suisse, avec son empreinte carbone élevée par habitant, s’est engagée avec d’autres pays industrialisés à aider davantage les pays pauvres sur ces deux points. Pour protéger le climat, il faut s’attaquer aux bases du réchauffement : il faut promouvoir les énergies renouvelables et sortir de l’ère du pétrole et des énergies fossiles. En même temps, il faut prendre des mesures immédiates permettant aux personnes déjà touchées par le changement climatique de s’adapter.

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Les œuvres d’entraide comme Caritas collaborent étroitement avec les habitants des régions rurales pour s’assurer que l’agriculture continue de produire grâce à des semences résistantes à la sécheresse et à des méthodes d’irrigation économes en eau. Elles soutiennent la construction de digues côtières et de réservoirs d’eau qui permettront aux gens de faire face aux inondations et aux périodes de sécheresse. Elles forment les administrations locales à une politique environnementale efficace. Et elles s’engagent en faveur des technologies neutres sur le plan climatique, et renouvelables.

Et comment la Suisse fait-elle face ?

La Suisse a négocié et signé l’Accord de Paris. Il faut maintenant agir politiquement. Par exemple, il faut instituer une loi dissuasive ambitieuse sur le CO2. Beaucoup de nos politiciens refusent une politique climatique efficace. Ils s’opposent à la promotion d’une mobilité à faibles émissions. Ils rejettent une taxe sur le CO2 basée sur le principe du pollueur-payeur. Ils s’opposent à la promotion de l’isolation des bâtiments afin de réduire les besoins de chauffage. Et ils résistent aux réglementations qui obligeraient nos caisses de retraite et nos

banques à réduire leurs investissements dans les combustibles fossiles. Le monde doit abandonner le plus rapidement possible la production de pétrole et de charbon, promouvoir une économie circulaire sans déchets et sans émissions et une agriculture écologique. Et ce changement doit être supportable socialement. Il ne s’agit pas là d’une revendication naïve. C’est notre seule chance d’atteindre une justice sociale et d’empêcher un changement climatique dévastateur.


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Tous en Europe ! Faut-il protéger plus nos frontières et prendre des mesures dissuasives ?

D’abord, il est faux de dire que tout le monde veut venir en Europe. L’immense majorité des personnes des pays du Sud migrent dans leur pays même ou dans les pays voisins.

de leurs droits. Si cela n’est pas possible, la coopération au développement doit jouer son rôle pour atténuer la grande détresse et offrir des perspectives de vie sur place.

Les gens préfèrent évidemment vivre près de leurs proches, de leur famille et de leurs amis. Ils préfèrent vivre là où ils comprennent la vie.

Nous ne devrions pas bâtir des murs et renforcer les frontières  : il s’agit bien plus d’éliminer les contraintes qui poussent les gens à migrer. Ces dernières peuvent être la violence et l’oppression, mais aussi une extrême pauvreté et l’absence de perspectives.

Les responsables politiques doivent veiller à ce que les gens puissent vivre dans leur pays, dignement et dans le respect

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L’aide au développement favorise-t-elle la migration ?

Lorsque le revenu moyen des habitants d’un pays augmente, on commence par observer que la migration augmente également. C’est pourquoi on accuse la coopération au développement d’être responsable de la migration. Cette assertion est très simpliste. Les causes de la migration sont multiples et on ne peut les réduire à un seul facteur. Le passé récent a montré que la population en général ne bénéficie souvent pas beaucoup de la croissance économique d’un pays émergent. Au contraire, les inégalités se creusent. Et cela engendre des conflits sociaux et des troubles politiques.

Une coopération au développement efficace ne se limite donc pas à faire en sorte que la croissance économique ait lieu, elle travaille aussi sur le développement dans les domaines sanitaires et de la formation professionnelle ou encore sur l’égalité de traitement entre femmes et hommes. C’est ainsi qu’on améliore la situation de vie de la population, ce qui réduit la pression et le désir de quitter sa patrie.


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La coopération au développement peutelle empêcher la migration vers l’Europe ?

Les experts sont unanimes sur ce point : la première raison pour laquelle les habitants des pays du Sud migrent vers les pays du Nord se trouve dans les énormes différences de revenus qui existent au plan international. À cela s’ajoutent un manque de possibilités de revenus, une mauvaise gouvernance et, de plus en plus, aggravées par le changement climatique, des catastrophes naturelles et des pénuries alimentaires. Une bonne coopération au développement contribue à améliorer durablement les perspectives de vie sur place : elle crée des places de formation et des possibilités d’emplois. Elle favorise la croissance économique au bénéfice de tous,

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et pas seulement des élites. Elle s’engage contre la corruption. Et elle renforce une société civile politiquement active sur place. Tous ces éléments contribuent à diminuer la pression migratoire. En revanche, il est contre-productif et erroné de lier l’aide au développement à des conditions de retour ou de l’offrir en contrepartie de contrôles répressifs aux frontières et d’autres mesures visant à prévenir la migration. Car, au lieu de renforcer la société civile, on renforce des régimes dont la priorité n’est pas de favoriser le développement équitable de leur population. Et les gens vivant sur place sont alors réellement livrés à eux-mêmes.

Le problème majeur n’est-il pas tout simplement l’explosion démographique de l’Afrique ?

Il est évident que la démographie galopante représente un défi de taille. Mais un taux de natalité très élevé n’est pas une cause, mais une conséquence de la pauvreté. La coopération au développement, en réduisant la pauvreté, contribue à faire baisser ce taux de natalité. Et l’investissement dans l’éducation et l’égalité des sexes est essentiel.

Les meilleures chances de contrôler la croissance de la population sont de favoriser la liberté en matière de sexualité pour les femmes et les hommes, par exemple en fournissant un accès sans entrave à la contraception. Et dans de nombreux pays, c’est justement la coopération au développement qui le fait.



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La coopération au développement ne doit-elle pas être un instrument de lutte contre les causes de la migration ?

Les raisons qui poussent les gens à fuir sont les guerres et la destruction des moyens de subsistance, les violations massives des droits humains ou la répression de l’État. La coopération au développement fait déjà tout ce qui est possible pour lutter contre la mauvaise gouvernance ou les violations des droits de l’homme. En outre, la Suisse officielle est invitée à agir dans ce cas : lors de visites d’État et d’autres contacts directs, la Confédération doit exiger un travail gouvernemental de qualité et transparent. Et la diplomatie doit condamner fermement la répression

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étatique et les violations des droits de l’homme. En cas de guerres civiles et de déplacements forcés, la coopération au développement ne peut pas faire grandchose. La Suisse doit apporter une aide humanitaire dans les situations d’urgence. Une politique engagée en matière de promotion de la paix et des droits de l’homme est également nécessaire : la Confédération peut servir de médiateur et proposer ses bons services pour la résolution pacifique des conflits. Et elle doit renoncer aux exportations d’armes.

Quelle est la situation des enfants dans le monde ?

Dans le monde, un enfant sur quatre naît et grandit dans un pays en proie à la guerre, la violence, la famine ou d’autres crises humanitaires. Les enfants ont des droits. Ils devraient pouvoir grandir en sécurité, se développer sainement et survivre. Dans de nombreuses régions, la vie des enfants est tristement différente.

Par exemple au Soudan du Sud, en Syrie, au Yémen ou au Congo, des millions d’enfants sont menacés de mort. Ils n’ont plus de maison, et aucune autre perspective que la faim. Ils souffrent de maladies mortelles et attendent en vain un remède parce que les soins de santé n’existent pas dans leur pays d’origine.


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L’aide humanitaire est-elle moins nécessaire lorsque l’extrême pauvreté diminue ?

Malheureusement pas. Même s’il est vrai que le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a baissé, 3,4 milliards de personnes vivent encore en dessous du seuil de pauvreté. C’est presque la moitié de la population de la planète. 160 millions de personnes dépendent d’une aide humanitaire et ont besoin de protection. Les guerres interminables qui sévissent en Afrique subsaharienne, dans la région de la Syrie, au Yémen, en Afghanistan et au Myanmar sont les premières

causes de ce triste état de fait. S’ajoutent à cela la fuite et les déplacements intérieurs : en 2014, 60 millions de personnes ont dû fuir à cause de conflits. En 2019, elles étaient plus de 70 millions. Actuellement, les fonds disponibles ne suffisent absolument pas aux besoins croissants. Ils couvrent à peine la moitié des besoins estimés dans le monde en matière d’aide humanitaire. Néanmoins, la réponse aux crises et aux catastrophes est plus rapide et le système humanitaire plus efficace que jamais.


Caritas agit Caritas fournit une aide à la survie et une aide transitoire aux personnes en situation de crise aiguë et de catastrophe. Caritas permet aux petits agriculteurs d’accroître leurs rendements agricoles durablement et dans le respect de l’environnement. Elle investit dans le développement de systèmes de marché afin que les petits agriculteurs puissent vendre leurs produits sur les marchés locaux à des prix équitables. Caritas fournit aux personnes pauvres et défavorisées l’accès à l’eau potable et à l’eau d’irrigation ainsi qu’aux soins. Elle soutient la construction de points d’eau, d’installations sanitaires et travaille à sensibiliser les gens sur les questions d’hygiène. Caritas promeut l’éducation dès la petite enfance, favorise l’éducation primaire des enfants vivant dans la pauvreté et aide les jeunes ou les personnes défavorisées à prendre pied dans le monde du travail et à générer leurs propres revenus. Caritas soutient les pratiques agricoles qui tiennent compte du changement climatique – par exemple en sélectionnant des cultures adaptées. Elle atténue les effets des phénomènes naturels extrêmes – par exemple en construisant des barrages ou en améliorant l’aménagement du territoire et les mesures préventives ciblées. Caritas engage des projets favorisant une migration autodéterminée, digne et sûre. Elle lutte contre la traite des êtres humains en sensibilisant les parents, les communautés et les groupes d’intérêt public ou en promouvant des systèmes de signalement et d’annonce.


Impressum Lucerne, mai 2020, 2 e édition Auteur : Patrik Berlinger, Service de politique du développement, Caritas Suisse Traduction : Nicolas Couchepin Rédaction : Stefan Gribi, Fabrice Boulé Photos : Alexandra Wey, Fabian Biasio Mise en page : Grafikbar, Lucerne Informations supplémentaires : www.caritas.ch/cad Vous pouvez demander des exemplaires supplémentaires gratuits de cette publication à info@caritas.ch ou par téléphone au 041 419 24 19.


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