Prise de position de Caritas sur le regroupement familial

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« Il faut penser autrement la question du regroupement familial en matière de politique de migration et d’asile : les membres de la famille qui arrivent ne représentent pas une charge à limiter au maximum. Au contraire, ils représentent une ressource qui serait utile à la société suisse. »

Prise de position de Caritas sur le regroupement familial

Respecter le droit de vivre en famille



La Suisse refuse le droit au regroupement ­familial à de nombreuses personnes En bref : en posant des règles trop rigides en matière de regroupement familial, la Suisse refuse à de nombreuses personnes le droit de faire venir leurs proches et de pouvoir vivre en famille. D’ailleurs, les personnes ayant la nationalité suisse qui ont des proches venant de pays extraeuropéens sont elles aussi moins bien traitées dans ce domaine que les citoyens de l’Union européenne. Et lorsqu’il s’agit de personnes au bénéfice d’un permis de séjour ou du statut de personnes provisoirement admises, le regroupement familial, même de la famille très proche, s’avère pratiquement impossible, car il est soumis à des critères économiques et des temps d’attente trop difficiles à remplir. Caritas demande que ces discriminations du droit des étrangers soient abolies. Pour celles et ceux qui ont un emploi ou qui en cherchent un, il faut renoncer au critère des conditions financières. Les critères de regroupement et les temps d’attente spécifiques aux statuts de personnes provisoirement admises doivent être levés. En lieu et place, il faut proposer à ces personnes des possibilités d’acquérir des qualifications et d’améliorer leur situation économique. La Suisse doit prendre plus de responsabilités en matière de regroupement familial, notamment en ce qui concerne l’asile et les réfugiés. La Suisse doit également entrer en matière sur les demandes d’asile des mineurs non accompagnés et des personnes dont la famille est dispersée, et offrir des visas humanitaires à leurs proches.

La Suisse est un pays à la politique économique tournée vers l’ouverture des marchés et le renforcement des liens avec les pays étrangers : les biens, les services et le capital franchissent les frontières sans entraves. Les personnes qui viennent en Suisse chercher une existence digne ou qui viennent chercher refuge en Suisse parce que la guerre et la violence sévissent dans leur pays devraient être traitées de la même manière. Car, lorsqu’on est entouré de sa famille proche, on est plus fort et plus apte à reconstruire son existence. Le droit au respect de la vie privée et familiale est inscrit aussi bien dans la Constitution fédérale (art. 13 Cst.) que dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, art. 8). En outre, la Constitution fédérale (art.  14  Cst.) garantit également le droit au mariage et à la famille. Cette prise de position montre qu’en matière de regroupement familial, la Suisse ne respecte pas le droit au respect de la vie privée et familiale de beaucoup de personnes. Plus grave encore, des initiatives parlementaires visant à limiter encore plus le regroupement familial en Suisse voient le jour régulièrement. L’impossibilité d’être avec sa famille représente pour les personnes concernées une source de détresse. Et les restrictions continuelles violent les engagements que la Suisse a pris avec la CEDH. Outre cette convention, la Suisse a également ratifié en 1997 la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU, en émettant toutefois un certain nombre de réserves, dont celle relative à l’art. 10, al. 1 qui concerne la réunification familiale, puisque la législation suisse sur les étrangers ne permet pas la réunification familiale pour certains groupes et certaines catégories d’étrangers et d’étrangères. Le 4 février 2015, le Comité des Nations Unies pour les droits de l’enfant a d’ailleurs recommandé à la Suisse d’améliorer la situation et de retirer cette réserve. Presque en même temps, en février 2015 également, le Conseil fédéral publiait le projet de modification de la loi sur les étrangers qui prévoit de nouvelles restrictions en matière de regroupement familial.

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Le regroupement familial sous tension politique L’initiative populaire contre l’immigration de masse a réactivé ces derniers temps des débats enflammés sur les conditions de l’immigration en Suisse et les moyens de la réduire. Les partis bourgeois veulent intervenir notamment sur la question du regroupement familial. Ils y voient la clef permettant de résoudre les questions d’immigration. Le regroupement familial représente un petit tiers de l’immigration. En 2016, 44 836 personnes sont arrivées en Suisse dans le cadre du regroupement familial, dont 23 954 étaient des proches de citoyens de l’Union européenne ou de pays membres de l’Association européenne de libre-change (AELE) et 20 882 des proches de citoyens de pays tiers n’appartenant pas à ces deux entités. Dans le domaine de l’asile, qui est considéré séparément, les chiffres des permis de séjour faisant suite au regroupement familial sont incroyablement modestes : en 2015, année où les demandes d’asile (40 000) atteignaient leur niveau le plus élevé depuis les années 90, 3290 personnes, dont 2555 enfants et 735 adultes, en ont bénéficié. Pour ce qui concerne les personnes au statut d’admission provisoire, 72 proches seulement ont obtenu le droit de venir en Suisse. En 2016, alors que le nombre de demandes avait baissé à nouveau, 3 109 proches de réfugiés reconnus ont bénéficié du regroupement familial, et 46 proches de personnes au statut d’admission provisoire seulement. Ces chiffres incroyablement bas rendent parfaitement absurdes les revendications que la Commission des institutions politiques du Conseil national a émises en 2016.

Regroupement familial des étrangers et de l’asile (2016) 6,9 % 3109

Citoyens des 28 États européens et de l’AELE    Citoyens d’États tiers    Réfugiés reconnus    Admissions à titre provisoire

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Différentes initiatives, comme l’initiative populaire contre l’immigration de masse, et des interventions répétées visant à restreindre les droits des étrangers ont placé la Suisse dans une position politiquement délicate : d’une part, elle doit garantir le droit au respect de la vie privée et familiale, d’autre part, elle poursuit des politiques d’immigration toujours plus restrictives, notamment en couplant le permis de séjour avec des conditions financières très strictes qui rendent ce séjour très compliqué ou même impossible.

0,1 % 46

46,6 % 20 882

Les conventions de libre-circulation des personnes que la Suisse a signées ne permettent pas de modifier quoi que ce soit en matière de regroupement pour les proches de citoyens des pays de l’UE ou de l’AELE. Le Parlement s’acharne donc particulièrement sur les personnes des États tiers ou du domaine de l’asile. Le député au Conseil national Heinz Brand a même déclaré en 2014 être favorable à un système à deux mesures qui permettrait aux p ersonnes possédant de bonnes qualifications profes­ ­ sionnelles de bénéficier du regroupement familial et l’empêcherait pour les personnes du segment des bas revenus. Il a déclaré en substance que la main-d’œuvre non qualifiée étant remplaçable, elle ne devrait pas avoir droit au regroupement familial. Des propositions de ce type, rappelant la politique menée vis-à-vis des travailleurs étrangers dans les années 70, qui ne pouvaient pas faire venir leurs familles, sont régulièrement mises sur la table. À l’époque, plus de 120 000 saisonniers dont plus de la moitié étaient mariés ont vécu en Suisse, séparés de leurs familles. C’est en 2002 seulement, lors de la signature de l’accord de libre-circulation des personnes avec l’UE, que la Suisse a abandonné le modèle des saisonniers, ce qui a engendré des améliorations notables des conditions de vie de la main-d’œuvre étrangère provenant des pays de l’UE, et notamment pour ce qui concerne le droit de vivre en Suisse avec sa famille. De manière générale, la Suisse a toutefois conservé la réputation d’être très stricte dans son application du droit en matière de regroupement familial, comme le montre aussi le Migrant Integration Policy Index MIPEX III. S’appuyant sur 167 indicateurs, cet index compare la politique d’intégration des pays de l’UE et de l’AELE et de l’Australie, du Canada, du Japon, de la Corée du Sud, de la Nouvelle-Zélande, de la Turquie et des États-Unis. La Suisse se trouve en 28 e position sur 31 en ce qui concerne l’indicateur du regroupement familial.

53,4 % 23 954


Regroupement familial, un traitement ­différencié selon l’origine Selon le lieu de séjour des proches au moment de la demande de regroupement (dans un pays de l’UE ou de l’AELE ou dans un pays tiers), les bases légales diffèrent, et donnent lieu à des droits différents. Les proches appartenant à un pays de l’UE ou de l’AELE bénéficient de l’accord sur la libre-circulation des personnes. Les proches appartenant à un pays tiers sans lien avec des citoyens de l’UE ou de l’AELE se voient appliquer les principes de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr) et de la loi fédérale sur l’asile (LAsi). Il existe donc trois types différents de bases légales. Le principe de l’égalité des droits pour tous n’est donc pas respecté. De plus, ces bases légales sont particulièrement restrictives. Il faut donc d’urgence les améliorer.

Le regroupement familial sous le régime de l’accord de libre-circulation L’accord de libre-circulation des pays de l’UE et de l’AELE garantit les droits les plus larges. Dans ce cas de figure, la migration est un fait et on considère, pour la dignité de la personne migrante ainsi que pour la cohésion sociale, que les personnes migrantes ne sont pas seulement de la maind’œuvre, mais qu’elles sont des personnes qui ont des droits, et notamment celui de vivre en famille et de mener une vie sociale dans leur nouvel environnement. Les erreurs des années 70, lorsque la main-d’œuvre étrangère vivait dans une société parallèle, ne sont plus d’actualité et ne devraient pas se répéter. En conséquence, les citoyens de l’UE ou d’un pays membre de l’AELE vivant légalement sur le sol suisse (à l’exclusion des citoyens suisses !) ont un droit légitime au regroupement familial de l’épouse ou époux (les partenaires enregistrés sont également concernés) et des enfants de moins de 21 ans. Il s’agit, non seulement des enfants en commun, mais aussi des enfants nés d’une autre union et des beaux-enfants. Les enfants de plus de 21 ans et les proches parents ascendants (parents ou grands-parents) ont également le droit au regroupement si leur entretien est payé durant leur séjour en Suisse. Le regroupement n’est pas couplé à la condition de vivre ensemble, et l’appartenance citoyenne de la personne qui vient en Suisse pour le regroupement ne joue aucun rôle. Il peut donc s’agir de personnes qui ne sont pas citoyennes d’un pays européen. Il n’y a pas non plus de date-butoir du regroupement obligeant les personnes à entrer en Suisse dans un délai défini.

Le regroupement familial sous le régime de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr) La situation est différente pour les Suissesses et Suisses ou les citoyens d’un État tiers qui veulent réunir leur famille. La loi sur les étrangers sert de base légale dans leur cas. Le droit au regroupement dépend de l’endroit où les proches séjournent légalement, et du fait que cet endroit se situe au sein de l’UE, ou non. Si c’est au sein de l’UE, l’accord de libre-circulation s’applique. Sinon, la réglementation de la LEtr s’applique, et elle est beaucoup plus restrictive. Des critères d’intégration très stricts y sont notamment inscrits, mais curieusement, un critère d’intégration primordial est complètement ignoré, puisque l’on ne tient pas compte du regroupement lui-même comme étant un facteur d’intégration, et on ne note pas qu’empêcher le regroupement freine l’intégration et favorise l’isolement.

Des droits limités pour les proches de citoyens suisses et de citoyens de pays tiers Pour les proches de citoyens suisses résidant dans un pays tiers qui voudraient rejoindre la Suisse, la LEtr s’applique. Seuls les époux ou épouses et les enfants de moins de 18 ans en ont le droit. Les beaux-enfants n’entrent pas dans cette catégorie. La famille ainsi regroupée est tenue de vivre dans les mêmes locaux. Il n’y a donc aucune liberté de choix dans la forme familiale au sens étroit du terme ni dans la manière dont la famille voudrait vivre. De plus, des délais sont posés : le regroupement des enfants doit se faire dans un délai de cinq ans, et même d’une année pour les enfants de plus de 12 ans. Si le regroupement familial est demandé hors de ce délai, il n’est accordé qu’en cas de raison ­m ajeure. Dans la plupart des cantons, ce regroupement familial n’est accordé qu’extrêmement rarement. Le Tribunal fédéral lui aussi est très restrictif dans sa pratique. Contrairement à ce qui se passe en ce qui concerne l’accord de libre-échange, les parents ou grands-parents ne peuvent venir en Suisse qu’en cas d’extrême gravité (p. ex. en cas de maladie nécessitant une prise en charge des enfants et en l’absence de toute autre alternative). Le droit au regroupement des personnes d’États tiers est pour l’instant le même que celui des citoyens suisses dont les proches ne vivent pas dans l’UE. Mais dans ce cas également, des initiatives parlementaires visant à traiter les citoyens d’États tiers encore plus mal que les Suisses sont en cours. Il s’agirait notamment de coupler les conditions avec une autorisation de séjour (voir plus bas les conditions avec autorisation de séjour).

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Traitement inéquitable des Suissesses et des Suisses en matière de regroupement familial Les efforts pour freiner le regroupement familial et limiter l’arrivée des proches dans notre pays sont tels qu’on n’hésite pas à défavoriser les Suissesses et les Suisses par rapport aux citoyens des pays de l’UE. En effet, les citoyens suisses qui voudraient faire venir leurs proches d’un État tiers sont moins bien traités que les citoyens de l’UE vivant en Suisse. Concrètement, une femme de nationalité allemande vivant en Suisse pourrait sans problème faire venir son partenaire et sa fille à lui, ou ses parents, vivant au Brésil. Elle bénéficie de l’application de l’accord de libre-circulation. Mais un citoyen suisse n’aurait pas les mêmes facilités pour faire venir ses enfants ou ses parents d’un pays tiers, parce que les conditions de leur venue dépendent de la LEtr. Malgré une initiative parlementaire du conseiller national Tschümperlin en 2010, malgré aussi la mise en demeure d’adapter la LEtr à l’accord de libre-circulation que le Tribunal fédéral a faite au Parlement en 2011, le Conseil national a refusé d’entrer en matière, sous le prétexte que le regroupement familial concernant les proches vivant dans des États tiers était l’un des très rares domaines de la politique migratoire dans lesquels la Suisse restait encore souveraine. Et d’ajouter que renoncer à une extension du regroupement familial est également nécessaire pour éviter de rendre trop attractif l’acte de mariage de citoyens suisses avec des personnes d’États tiers. Ces avis démontrent une attitude empreinte de méfiance en même temps que la volonté claire de la Suisse de mener une politique d’immigration restrictive en matière de droit à la vie de famille. Les personnes bénéficiant du regroupement dans le champ d’application de la LEtr reçoivent d’ailleurs un permis de séjour d’une année qu’elles doivent renouveler d’année en année, alors que les personnes bénéficiant du champ d’application de l’accord sur la libre-circulation reçoivent un permis de séjour de cinq ans.

Pas de droit légitime pour les personnes au bénéfice d’un permis de séjour La situation des personnes de nationalité étrangère (d’un pays tiers) vivant en Suisse avec un permis de séjour est encore plus difficile. Les réfugiés reconnus qui ne peuvent pas retourner dans leur pays font partie de ces personnes. En dépit du droit au respect de la vie privée et familiale inscrit dans la Constitution fédérale et dans la Convention européenne des droits de l’homme, ces personnes n’ont pas de droit légitime au regroupement familial. L’appréciation de leur situation est du ressort des autorités de la migration, qui se prononcent sur l’octroi ou non d’un permis de séjour pour les époux ou les enfants célibataires de moins de 18 ans. Comme dit plus haut, il faut impérativement que la personne demandeuse soit locataire d’un logement considéré comme adapté aux besoins de la cohabitation familiale et ne soit pas bénéficiaire de l’aide sociale. Les personnes avec un permis B qui ont recours à l’aide

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sociale ne peuvent donc pas prétendre au regroupement familial, fût-ce avec leurs parents les plus proches. Légalement, le fait d’avoir recours à l’aide sociale, que ce soit pour les résidents ou les citoyens suisses, n’est pas en soi un motif de refus du regroupement. Mais dans la pratique, lorsqu’il n’existe pas de perspectives concrètes professionnelles, le regroupement est systématiquement refusé. Les intérêts économiques de la Suisse comptent plus que le droit au respect de la vie familiale.

Des délais trop courts pour les enfants La Suisse exige que le regroupement familial des enfants se fasse dans un délai de cinq ans, et de douze mois seulement pour les enfants de plus de douze ans. Ces délais n’existent pas pour les citoyens d’un État de l’UE ni pour les Suissesses et Suisses dont les enfants séjournent dans un État de l’UE. On voit là encore à quel point la réglementation du droit national suisse est stricte comparativement au droit régi par l’accord de libre-circulation. La raison de ces délais a été évoquée lors du débat sur la LEtr. On a dit que des délais courts faciliteraient l’intégration des enfants et leur permettraient de suivre une scolarité complète en Suisse et d’apprendre une langue nationale. On part donc du principe que les enfants de plus de douze ans ne peuvent pas s’intégrer dans les structures locales puisqu’ils perdent leur droit au regroupement s’ils ne sont pas arrivés en Suisse dans le délai d’une année. Les conséquences de ces conditions imposées aux familles sont graves. Les organes d’observation du droit d’asile et des étrangers qui surveillent la mise en œuvre pratique dénoncent les délais trop courts pour que les personnes, notamment celles qui ont un permis de séjour, réussissent à passer toutes les étapes qui leur permettraient de réunir leurs proches. Même si ces personnes n’ont pas recours à l’aide sociale, leur revenu est très souvent considéré comme trop bas, ou leur logement comme trop petit et inadapté à la vie de famille.

Le regroupement familial sous la LEtr : conclusion provisoire En Suisse, lorsqu’on est de nationalité étrangère, la situation financière et les conditions de logement du demandeur sont déterminantes pour pouvoir prétendre vivre avec ses parents les plus proches (époux, enfants). Même si ces dernières années, le taux des personnes aux qualifications professionnelles élevées a augmenté dans l’immigration, une grande partie des migrants continuent d’être employés dans les secteurs de bas revenus et occupent des emplois dont les Suisses ne veulent pas. Ces gens contribuent beaucoup à la bonne qualité de vie de la Suisse. Et ils sont doublement pénalisés : d’une part, ils sont souvent soumis à des conditions de travail précaires et gagnent un salaire insuffisant à garantir le minimum vital. D’autre part, à cause


de cette précarité économique, ils ne remplissent pas les conditions leur permettant de revendiquer le regroupement familial. En fait, la Suisse continue d’appliquer une sorte de statut de saisonnier qui ne respecte pas le droit international au respect de la vie privée et familiale. Lors de sa session d’hiver 2016, le Parlement a encore durci les conditions : désormais, le regroupement sera également refusé aux personnes de nationalité étrangère (pays tiers n’appartenant pas à l’UE ou à l’AELE) qui touchent des prestations complémentaires. Cette décision se fait au mépris de la Constitution fédérale, art. 8, qui dit que « Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race […], de sa situation sociale, de son mode de vie […] ». Il faut mentionner ici la situation des réfugiés reconnus bénéficiant d’un permis de séjour et qui ne peuvent pas regrouper leur famille sous le régime de l’asile. Les critères économiques rigoureux qui sont une condition du regroupement sont donc valables pour ces personnes. Mais le faible pourcentage (30 %) montre bien à quel point la Confédération et les cantons ont fait peu d’efforts pour mettre en place des mesures favorisant la formation professionnelle des réfugiés reconnus et leur intégration dans la vie professionnelle.

Le regroupement familial dans le domaine de l’asile Regroupement impossible pour les personnes ­p rovisoirement admises La situation des personnes qui ont un statut d’admission provisoire parce que leur retour dans leur pays n’est pas possible est particulièrement difficile. L’évolution récente de la pratique en matière de reconnaissance d’asile fait que ces personnes sont de plus en plus nombreuses. Or, les conditions mises au regroupement rendent ce dernier impossible, comme le montrent les chiffres, très faibles des réponses positives aux demandes de regroupement de ce groupe de population. Une demande de regroupement des parents très proches (époux ou épouse, enfants) ne peut être posée que trois ans après que le statut ait été accordé. Il faut que le logement en Suisse soit adapté aux nécessités de la cohabitation, la famille ne doit pas dépendre de l’aide sociale et les délais de regroupement des enfants et du / de la partenaire doivent être respectés. Pour les personnes admises à titre provisoire, qui n’ont pas été formées en Suisse et qui, à cause de leur statut de séjour précaire, n’ont pas accès facilement au logement et au marché du travail, le cumul de ces conditions forme une barrière infranchissable. De manière générale, Caritas observe que l’intégration d’une personne dans la société est rendue difficile quand il n’y a pas de famille. La plupart des réfugiés syriens obtiennent seulement le statut d’admission provisoire en Suisse. Ayant fui la violence et la guerre, ils se rongent d’inquiétude pour les membres de leur famille qui sont restés en Syrie et souffrent de la séparation, ce qui les rend ma-

lades. Ils ont de la peine à se concentrer sur leur intégration en Suisse et à apprendre la langue. Et, malgré le nombre extrêmement faible de regroupements familiaux consentis – en 2016, seuls 46 proches de personnes ayant le statut d’admission provisoire ont été acceptés – la Commission des affaires politiques du Conseil national a cherché en 2016 à supprimer complètement le droit au regroupement familial des personnes au statut d’admission provisoire.

Les enfants réfugiés sans famille en Suisse Les situations de violence et de guerre qui perdurent dans le monde engendrent un nombre de plus en plus élevé d’enfants qui arrivent en Suisse sans leurs parents et viennent demander l’asile après avoir effectué des voyages souvent longs, éprouvants et traumatisants. Depuis longtemps, le système de l’asile en Suisse n’est pas en mesure de répondre efficacement au défi que représentent les enfants réfugiés. Ce n’est que très récemment qu’on a mis en place des mesures constituant une amélioration, notamment en ce qui concerne l’hébergement des enfants réfugiés, leur scolarisation dans des délais raisonnables, leur accompagnement juridique et leur représentation devant les instances. Dans ce contexte lacunaire, la question du regroupement familial ne fait l’objet d’aucune réflexion, en dépit du fait que les enfants réfugiés dont les parents sont restés au pays ne désirent souvent rien tant que de retrouver leur famille. La Convention des droits de l’enfant exige que toute décision concernant les enfants soit prise en considération prioritaire de leur bien-être. Cette approche devrait ouvrir la possibilité, pour les enfants qui ont fui la guerre et la violence et ne peuvent pas retourner chez eux, de demander un regroupement familial. Il faudrait émettre des visas humanitaires pour que le regroupement se fasse dans des conditions sûres. Mais la Suisse n’accorde pratiquement jamais ce genre de visa. Lors de la dernière révision de la loi sur l’asile, qui a supprimé la possibilité de déposer une demande d’asile dans les ambassades et les représentations suisses à l’étranger, le Conseil fédéral a d’ailleurs réaffirmé sa volonté de se montrer plus généreux en visas humanitaires.

L’application stricte de la Convention de Dublin sépare des familles Dans le cadre de son activité de consultation, Caritas observe régulièrement que la Suisse applique tellement à la lettre le Réglement Dublin que cela engendre des séparations de familles. Des frères et sœurs majeurs ou des enfants majeurs sont séparés de leurs parents. Le droit au respect de la vie familiale n’est pas du tout respecté alors même que le Réglement Dublin III, adopté en 2013, accorde une grande importance au droit au respect de la vie familiale et précise : « Il importe que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande

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de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d’un autre État membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement » (Règlement [UE] 604 / 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit Règlement Dublin III, art. 17). La majorité des personnes que l’on appelle des « cas Dublin » (voir encadré « La Suisse et la Convention de Dublin ») sont renvoyées par la Suisse vers l’Italie. Mais la responsabilité de la Suisse reste engagée : un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) datant de 2014 requiert que dans le cas des familles, la Suisse obtienne des garanties de l’Italie que les familles qu’elle renvoie resteront groupées et que l’Italie mette à disposition des hébergements correspondant aux nécessités des enfants. Mais en lieu et place de cette garantie, les autorités migratoires se contentent la plupart du temps d’une déclaration générale ne mentionnant même pas le lieu et les spécificités des hébergements. La Suisse contrevient ainsi au devoir de protection que le droit au respect de la vie de famille est censé garantir.

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La Suisse et la Convention de Dublin La Suisse, pays enclavé au centre de l’Europe, est gagnante sur tous les tableaux avec la Convention de Dublin. L’idée qui sous-tend la convention est qu’un État est compétent pour une demande d’asile dans la mesure où le requérant a posé le pied en Europe pour la première fois sur son territoire. Si l’État dans lequel une demande de protection a été déposée considère que c’est un autre État qui doit y répondre, il peut solliciter cet autre État dans un délai de trois mois ; si l’État en question n’obtient pas de réponse dans un délai de deux mois, il peut en déduire que l’État sollicité accepte d’accueillir la personne. S’appuyant sur les termes de la Convention de Dublin, la Suisse a pu renvoyer depuis 2009 un grand nombre de personnes (25 898) dans d’autres États signataires, et elle en a gardé 4443 seulement. En 2016, la Suisse a déposé une demande auprès d’un autre État signataire pour 15 203 personnes, considérant que c’était cet autre État qui était compétent pour répondre à leur demande d’asile. Les États signataires de la Convention ainsi sollicités sont entrés en matière pour 10 197 personnes et se sont déclarés prêts à les recevoir.


Le droit au respect de la vie privée et de la vie de famille : les revendications de Caritas La Suisse, économie d’exportation, s’engage dans des accords internationaux contraignants dans le domaine du commerce mondial et cet engagement permet à notre petit pays de compter sur une certaine sécurité juridique. Le bien-être de la Suisse s’appuie sur son réseau global, sur le fait que le pays gagne un franc sur deux à l’étranger et qu’elle a une forte population issue de la migration qui a contribué de manière importante à l’aisance du pays. Mais les migrants ne viennent pas seulement en Suisse pour y travailler. Ils y ont un droit au respect de leur vie privée et familiale, comme le précisent à la fois la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l’homme. Et voilà que la Suisse refuse de reconnaître ce droit à de nombreuses personnes. On perpétue l’idée que les migrants sont des forces de travail, pas des personnes qui ont des droits, et notamment celui de vivre en famille. Et il en va de même pour les personnes qui viennent en Suisse chercher asile et protection. Il faut vraiment que le mode de penser change et qu’on commence à considérer que le regroupement familial n’est pas une charge supplémentaire, mais une ressource qui sera bénéfique à la société suisse. Des améliorations juridiques sont nécessaires pour lancer et accompagner ce changement de mode de penser.

C’est un droit fondamental que de vivre en famille L’accord de libre-circulation conclu avec l’UE a considérablement amélioré la situation juridique de la main-d’œuvre provenant des pays de l’UE, notamment en ce qui concerne le regroupement de la famille proche. Ce droit fondamental contribue grandement à l’amélioration de leur situation de vie et de leur intégration. Mais, comme nous l’avons dit, les Suissesses et Suisses ainsi que les personnes au bénéfice d’un permis de séjour ou d’établissement ou d’un statut d’admission provisoire, dont les proches vivent en dehors de l’UE, sont beaucoup moins bien traités. • Il faut supprimer les points de la LEtr qui désavantagent ces personnes et adapter la loi à l’accord de libre-circulation. Concrètement, toute personne a le droit de vivre avec son / sa partenaire et avec ses enfants ou beaux-enfants de moins de 21 ans, sans regard sur l’appartenance nationale de ces proches ni sur les choix de mode de vie. Les délais durant lesquels le regroupement peut se faire sont abolis. Et lorsque l’entretien est assumé, ce droit s’applique également aux enfants de plus de 21 ans et à la parenté ascendante, les parents et les grands-parents.

Il faut supprimer les conditions économiques comme critère du regroupement familial puisque celles-ci sont contreproductives en matière d’intégration Dans un certain nombre de cas, les conditions économiques des personnes freinent ou empêchent le regroupement familial. Si la personne vit dans un logement trop petit ou si elle touche l’aide sociale, les autorités ne délivrent pas d’autorisation de regroupement. Cela engendre une situation impossible : nous avons besoin de ces personnes pour occuper les emplois à bas revenu, et en même temps, nous les empêchons de mener une vie normale en Suisse. • Pour les migrantes et migrants qui ont un emploi ou qui en cherchent un, il faut cesser de considérer les conditions économiques (bas salaires ou recours à l’aide sociale) comme des critères empêchant le regroupement familial. Il faut au contraire garantir le droit au regroupement et encourager par ce biais une intégration aussi rapide et harmonieuse que possible. Dès le début du séjour de la personne, il faut offrir des cours de langues accessibles et bon marché, les aider à chercher du travail et favoriser rapidement l’accès au marché du travail de leurs partenaires.

Autoriser le regroupement familial des personnes provisoirement admises Les personnes provisoirement admises doivent procéder au regroupement dans un délai de trois ans, et leur statut les confine souvent dans des emplois précaires et des logements peu adaptés, ce qui les empêche de réunir leur famille. C’est une catégorie de personnes particulièrement vulnérables à qui l’on refuse le droit au respect de leur vie privée et familiale. La famille, qui représente une garantie d’intégration sociale, ne peut pas rejoindre ces personnes qui ont demandé protection en Suisse. Les personnes au statut d’admission provisoire proviennent presque toujours de pays en guerre ou de régions instables, et la plupart du temps, malgré leur statut, elles restent en Suisse indéfiniment. Elles font donc partie de la société suisse et il faut s’attacher à améliorer leur situation.

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• Il faut lever les délais, ainsi que les critères du regroupement familial. • Outre cette amélioration juridique, il faut proposer un nombre suffisant de possibilités de requalifications professionnelles qui permettront à ces personnes provisoirement admises de s’intégrer plus rapidement dans le marché du travail et d’acquérir ainsi leur autonomie économique.

Accord de Dublin : priorité au regroupement des familles Dans son application de l’accord de Dublin, la Suisse considère la notion de famille avec une telle sévérité que cela amène parfois à séparer des familles. Elle ne tient pas suffisamment compte du Réglement Dublin III, adopté en 2013, qui accorde une grande importance au droit au respect de la vie familiale, de la protection des familles et aussi du bienêtre des enfants. Lors du renvoi des personnes vers l’État membre compétent pour traiter leur demande, elle n’entreprend presque rien pour s’assurer que les familles ne seront pas séparées et que leurs conditions de vie familiale seront respectées. • Lorsque le bien-être des personnes l’exige, il s’agit d’admettre dans le regroupement familial les enfants même majeurs, les frères et sœurs de plus de 18 ans ou les autres proches, et d’éviter de séparer les familles. • Lors du renvoi de familles dans le cadre des accords de Dublin, les autorités suisses doivent exiger des garanties que les familles renvoyées seront traitées correctement et logées dans des hébergements adaptés aux familles. Si cette protection des familles (assurance de ne pas être séparés, hébergements adaptés aux enfants) n’est pas garantie, la Suisse doit entrer en matière pour des raisons humanitaires. Elle doit traiter la demande d’asile même si formellement, un autre État Dublin est compétent.

Enfants réfugiés : créer des possibilités de regroupement familial Les guerres et les situations de violence engendrent, depuis des années maintenant, une augmentation du nombre de mineurs non accompagnés qui arrivent en Suisse après un voyage souvent très traumatisant, et y demandent l’asile. • La Suisse doit offrir des possibilités de regroupement familial aux enfants réfugiés qui ont fui la guerre et la violence. Il faut délivrer des visas humanitaires à cet effet. Il faut aussi réintroduire la possibilité de déposer une demande d’asile dans les ambassades pour éviter aux gens de devoir emprunter les dangereuses routes de l’exil.

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Convention relative aux droits de l’enfant : bien de l’enfant et regroupement familial Art. 9 (1) Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. (…) Art. 10 Conformément à l’obligation incombant aux États parties en vertu du par. 1 de l’art. 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur famille.

Convention européenne des droits de l’homme : droit au respect de la vie privée et de la vie de famille Art. 8 (1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.


Avril 2017 Auteure : Marianne Hochuli, responsable du Secteur Études et des questions de politique migratoire à Caritas Suisse courriel : mhochuli@caritas.ch, téléphone : 041 419 23 20. Cette prise de position peut être téléchargée sur le site de Caritas Suisse, www.caritas.ch/prises-de-position

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