Carnet d'Art n°00 - Les origines de la raison d'être

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n°00/ HIVER 2012

Penser Raconter Rencontrer Special lancement

les origines de la raison d’être


Agence : LCADESIGN - Crédits photos : Ville de Lyon : Muriel Chaulet - Illustration : Studio 109 - Pierre Chatillon

La culture partagée Danse | Théâtre | Musique | Arts plastiques | Littérature | Cinéma…

La ville comme on l’aime, engagée


l’éditorial/ « L’ imagination peint, l’esprit compare, le goût choisit, le talent exécute » Duc de Levis (1764 - 1830) - Maximes préceptes et réflexions

Un besoin de culture. Besoin de cette culture qui fait vibrer les cœurs, qui fait danser les corps, qui fait sourire les âmes. Besoin de cette culture intime qui fait la cohésion de la société. Besoin de cette culture que l’on gratte sur le papier de notre carnet de notes, cette culture que l’on regarde avec nostalgie sur notre carnet de voyages, celle que l’on rêve à travers le carnet de vol… Besoin de cette culture que l’on collectionne. Et déjà les murmures s’agitent, « carnet d’art » est dans votre sac. Vous transportez sur vous la culture qui vous entoure. Vous découvrez votre voisin, vous croisez votre ami d’enfance, vous choisissez la meilleure des tables, la meilleure des musiques, la meilleure des peintures, le meilleur du théâtre, du cinéma, de la danse ou de la photographie. Vous entrez dans un univers conçu pour dévorer la matière grise artistique, pour suivre la culture du sillon Alpin, pour accéder à la propriété d’un art ambitieux, pour participer à des débats qui soulèvent des questions fondamentales, pour vous rappeler de ceux qui hier construisaient le monde d’aujourd’hui. La richesse de votre « carnet d’art » se trouve dans la diversité des quarante cinq rédacteurs issus de milieux socioprofessionnels différents. Quarante cinq façons de dessiner le monde. Vous accédez à un univers que nous avons imaginé pour vous. Pour nous. Pour nos enfants. Pour notre société. Un univers que nous avons imaginé pour un besoin… de culture. Antoine Guillot PS : Et, comme disait Voltaire: « que les beaux esprits se rencontrent » !

INFO Directeur publication Antoine Guillot Rédacteur en chef Patrick Rhodas Mise en page ASPROCOM

Responsable publicités Emmanuel Moreaux Amistad Prod info@amistadprod.com www.amistadprod.com

Impression ASPROCOM 73377 Le Bourget Du Lac France Tirage 10 000 exemplaires

Carnet d’art Antoine Guillot 5 rue Paul Bonna 73100 Aix-les Bains France contact@carnetdart.com www.carnetdart.com

Ce magazine est distribué gratuitement et ne peut être vendu. - Identification à l’ISSN en cours. La rédaction ne se tient pas pour responsable des propos tenus par les invités faisant l’objet de portraits ou d’articles.




12 Raconter 15

Architecture

18

Retour vers un monde merveilleux

Des toits verts

Alice au pays des merveilles et Pinocchio ont encore des choses à dire

20

Minuit à Lyon

26

Lettre verte

28

Voyages

32

Tim et moi

Jam session au Hot Club

34

Des déchets sources d’énergie ?

Buenos Aires - Argentine

Comment Tim Burton a marqué ma jeunesse

Dossier 37

Les origines de la raison d’être

Pensées, idées et convictions différentes réunies sur un même support, pour un même objectif


52 Rencontrer 55

80

Mohamed Abozekry et Hee Jazz

Penser

Musiciens de génie ?

60

Jean-Cyril Vadi

66

Artus de Penguern

71

Isabelle Moreaux-Jouanet

76

Pierre Marin

Théâtre d’un révolté

Arrêtons d’être serieux

Murmurer la restauration ; à l’oreille des tableaux

La gastronomie de l’auberge Lamartine

83

Nous irons où vous voudrez

85

Instants

86

Les femmes & la bouffe

Paradis perdu

Exposition photo originale

95

L’amour de l’H






Et ce verbe... raconter... raconter des histoires, se raconter des histoires, raconter des bobards, raconter une expérience, un ressenti, un sentiment, raconter un film, un concert, une lecture... Témoigner de réflexions, d'expériences de vie... parler en donnant un sens à la parole.

12 Carnet d’Art


Emmanuel Moreaux

RACONTER Carnet d’Art 13



[ Raconter - Architecture ]

Daniel Didier

les toits végétaux/ Vous allez faire un jardin suspendu comme à Babylone ?

- Dites-moi voisin, quelle est donc cette étrange construction sans toit que vous édifiez dans votre jardin ?

dégager la vue sur le panorama et le goudron sera remplacé par de la végétation.

- Mon cher Paul, cette « étrange » construction comme vous le dites si bien, n’est autre qu’une extension de ma trop petite maison, et si elle ne semble pas avoir de toit, elle est cependant pourvue d’une toiture terrasse.

- Vous allez faire un jardin suspendu comme à Babylone *?

- Une toiture terrasse mais cela va être moche, je vais avoir sous les yeux un toit tout plat recouvert de goudron ! - Que nenni, mon cher Paul. Tout d’abord, l’absence de toit va vous

- En quelque sorte, mais laissez-moi vous expliquer de quoi il retourne. Ce type de toiture date de plusieurs milliers d’années. A la préhistoire, les populations utilisaient les matériaux à leur disposition sur place en mélangeant de la terre et des végétaux sur une solide charpente pour se constituer un abri confortable et se prémunir du froid, du vent et même Carnet d’Art 15


de la chaleur. Plus proches de nous, les pays scandinaves et les Amérindiens l’ont adoptée dans leur habitat traditionnel. En France, les toits de chaumes des maisons normandes avec leurs iris plantés sur le faîtage sont les prémices d’une protection végétale. On distingue trois types de végétalisation : Les plantations extensives qui nécessitent un substrat d’environ 10 centimètres d’épaisseur avec des plants de type sedum qui forment un végétal assez ras. Ils persistent en toute saison, leur entretien est négligeable, l’arrosage inutile sauf en cas de grandes chaleurs plusieurs jours d’affilée. Les plantations intensives sont constituées d’une couche de substrat plus épaisse pouvant aller jusqu’à 1 mètre d’épaisseur dans laquelle sont plantées plusieurs espèces de végétaux et même quelques arbustes. Dans ce cas, les soins sont plus attentifs et l’entretien plus régulier. Enfin, les plantations semi-intensives de plus faible épaisseur (20, 30 centimètres) avec des couvre-sols et des plantes à fleurs nécessitant un arrosage automatique. Les végétaux peuvent être employés de différentes manières : par ensemencement direct sur le substrat, en plantant des godets que l’on peut trouver en jardinerie ou bien par bacs pré-cultivés avec réserve d’eau qui se clipsent entre eux pour former un tapis végétal.

- Vous avez parlé de substrat, de quoi s’agit-il exactement ? - C’est ce qui sert de support nourricier à un végétal. Dans notre cas de figure, il peut s’agir d’un mélange de terre et de pouzzolane en proportion variable selon le type de plantation extensive ou en intensive. La pouzzolane, comme vous le savez certainement mon cher Paul, est une roche très légère issue des projections volcaniques. - Bien sûr voisin, bien sûr ! Mais quels avantages a-t-on à réaliser ce type de toiture ? - Ils sont nombreux Paul, je vais vous en énumérer quelques-uns : • La couche de terre et sa végétalisation protègent efficacement contre les rayonnements UV, la membrane d’étanchéité située en dessous, augmente ainsi sa durée de vie. • Le confort thermique d’hiver et d’été s’en trouve accru. La couche de terre agit comme un matelas isolant, elle empêche la chaleur de sortir en hiver et de pénétrer à l’intérieur de l’habitation en été. Nous avons tous fait l’expérience de combles surchauffés les soirs d’été sous des toitures peu ou mal isolées. Sous une toiture étanche classique, la membrane d’étanchéité peut atteindre 65° ; avec la végétalisation, cette température va descendre à 20°. • L’isolation phonique est excellente également contre les bruits aériens. • La rétention d’eau est très importante lors de

Il y a de nombreux avantages à réaliser une toiture végétale

Daniel Didier

16 Carnet d’Art


fortes pluies en évitant de surcharger brutalement les réseaux d’eaux pluviales. En une année, une toiture végétalisée peut absorber 50 % de l’eau de pluie qu’elle reçoit. Une conséquence directe est la réduction des coûts de traitements de ces eaux. • Voilà pour l’essentiel des avantages physiques de ces toitures végétalisées, mais il ne faut pas négliger l’impact qu’elles peuvent avoir sur notre environnement et notre santé. • L’aspect esthétique tout d’abord, un toit vert est plus agréable à regarder qu’un toit noir, la surface verte perdue au sol par la nouvelle construction est récupérée en toiture. • L’effet sur la santé est positif avec l’apport d’oxygène des végétaux et l’absorption du CO . ² de filtre aux • Cette toiture sert polluants atmosphériques, elle fixe les poussières et les pollens via la formation de rosée. • A l’échelle des grandes villes, une étude du Ministère canadien de l’environnement a conclu que 6 % de toitures végétalisées suffiraient à

diminuer la température de 1,5°c et engendreraient une diminution de 5 % des coûts de climatisation. - Voisin, vous m’avez convaincu sur le bien-fondé d’une telle toiture, mais avec de telles qualités, qu’en est-il du coût ? - J’y viens Paul. Les prix sont variables suivant le type de végétalisation, de la surface, plus généralement des conditions de mise en œuvre (difficulté d’accès, hauteur, etc.). En moyenne, comptez entre 40 et 100 euros/m². Sachez également que certains dispositifs comme les bacs pré-cultivés peuvent être mis en œuvre sans compétences préalables en horticulture. Dans ce cas, le coût de revient peut être réduit d’environ 50 %. Des subventions peuvent être accordées dans certaines régions comme l’Ile-de-France par exemple qui prend en charge 50 % de la dépense plafonnée à 45 euros/m². - Comme je vous l’ai dit, la toiture végétalisée, bien que très répandue en Allemagne, en Suisse et dans différents

pays européens, reste encore trop méconnue en France. Historiquement l’ancrage de la tradition constructive sur l’idée qu’une maison ne peut se départir de son toit à deux ou quatre pans reste vif dans les esprits. En dehors des centres urbains, nous ne sommes pas habitués à construire des toits « plats » même si certaines communes commencent à intégrer ce nouvel aspect architectural dans leurs règlements d’urbanisme. L’utilisation de la toiture végétalisée dans notre habitat fait partie d’un ensemble de comportements éco-citoyens pour tous ceux qui sont sensibles à la préservation de l’environnement, à la protection de la santé, en adéquation avec un mode de vie écoresponsable. - Hé bien voisin, voilà un exposé qui m’a réconcilié avec les toitures terrasses que je regarderai dorénavant avec un œil plus attentif et bienveillant grâce à vous. Daniel Didier

* Les jardins suspendus de Babylone, s’ils existèrent (selon Hérodote), dateraient de l’époque de Nabuchodonosor II (vers 600 av JC) et sont classés parmi les sept merveilles du Monde. Selon une autre légende, Sémiramis fut la fondatrice de la cité qui frappe par son ampleur et ses dimensions.

Daniel Didier

Carnet d’Art 17


[ Raconter - Littérature ]

retour vers le monde merveilleux/ Grandir sans perdre l’innocence…

Lewis carroll

Qui ne connaît pas, au moins par ouïdire, Les aventures d’ Alice au pays des merveilles et celles de Pinocchio, petit pantin de bois et de son « père », Gepetto. Chacun a lu, ou entendu parler, dans son enfance, de leurs pérégrinations, de leurs rencontres et de leurs transformations, en chemin vers… l’âge adulte. Chacun a bien dû, un soir, s’endormir en les poursuivant dans ses rêves. Pour certains, la menace, imaginaire ou réelle de rester petit, ou de voir son nez s’allonger en cas de mensonge a pu rôder dans les esprits. Lewis Carroll et Collodi ont écrit ces récits d’enfance et sur l’enfance, mais, à la différence d’Hector Malot ou la Comtesse de Ségur, ils ont choisi l’univers fabuleux du conte, ouvrant la porte de la fantaisie, de l’irrationnel, de la poésie et des symboles.

Un « ailleurs » qui nous conduit à un regard sur le monde

Enrico Mazzantip

“Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire.” Italo Calvino 18 Carnet d’Art

D’entrée, Alice, arrivée d’on ne sait où, fatiguée, au bord de l’ennui et proche de la somnolence mais « curieuse, extravagamment curieuse » et Pinocchio, le pantin, façonné par son père seul, enfant virtuel et « à tête de bois » nous immergent dans un monde surréaliste et parfois cauchemardesque, le monde des enfants n’est pas uniquement celui de la joie et de l’innocence ! Un univers où le temps est déréglé, lieu d’excès et d’absence de retenue. Ils vivent des histoires à dormir debout : rien n’est crédible, la réalité et le non-sens se télescopent, les métamorphoses les

plus invraisemblables et effarantes s’y produisent. Le nez de Pinocchio s’allonge démesurément à chacun de ses mensonges et Alice goûte à un champignon qui fait grandir d’un côté et rapetisser de l’autre. Et pourtant, ils nous captivent et nous gardent sous le charme. Avec leur énergie, leurs désobéissance, leurs mensonges, et leur fâcheuse tendance à faire le contraire de ce que l’on attend d’eux, de se laisser entraîner dans les pires situations, Pinocchio et Alice sont devenus, en un peu plus d’un siècle, les archétypes de l’enfant parfois indocile, rebelle, se jouant souvent de l’autorité, parfois menteur, hyperactif dirions-nous aujourd’hui qui, grâce aux bons soins de quelques créatures secourables, va suivre son chemin vers l’âge adulte. Avec leur cœur, leur naïveté, leur bonne volonté, et la répétition de mésaventures, ils incarnent aussi l’image de l’enfant victime de la méchanceté, de la cupidité et du cynisme des adultes, dans lequel l’alternance de découverte et de punition amène à se réaliser. Pour l’une, elle rencontrera un lapin blanc toujours pressé qui la conduira dans les méandres du monde souterrain « de l’autre côté du miroir », elle affrontera la cruauté de la Reine de cœur et de ses gardes, manquera de se noyer dans la « mare de mes propres larmes. » Elle bénéficiera pourtant des conseils ambigus du Chat du Cheshire et de ceux plus avisés d’une chenille. Pour l’autre, un parcours tout aussi périlleux, « il y avait beaucoup à raboter en moi », avant que les prédictions de la « bonne fée bleue » et les mises en garde du « grillon parleur » ne lui permettent de devenir un être libre, il lui faudra suivre, lui aussi un parcours initiatique. Il se perdra presque au Pays


Reprendre la route vers la compréhension du monde des jouets décrit en ces termes flatteurs : « Il n’y a pas d’écoles, là ; il n’y a pas de maîtres ; il n’y a pas de livres… », promesse d’un monde sans contrainte qui se termine par la transformation pathétique en âne; il sera volé, affamé arrêté, avalé par un requin et même pendu.

“Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire.” Italo Calvino Pourtant, tout au long de ces parcours, semés d’épreuves et d’embûches, et même si ces fables morales pour la jeunesse se terminent bien, le lecteur reste perplexe. Tant d’autres pistes lui apparaissent. La liberté prise par les auteurs avec la réalité banale, la distance, les distorsions du temps, l’humour, la dérision parfois, avec lesquels sont traités les travers de la société ne sontils pas de fortes critiques ? Comment lire les allusions à la précipitation dans nos activités quotidiennes et le ridicule infligé aux corps constitués : police, justice, médecine ? Et que dire de la dureté du monde des adultes, des carences du système éducatif, du règne omniprésent des voleurs et de l’appât du gain? Fantaisie et extravagance seraient-elles les clés de lecture de cette satire de la Comédie Humaine? Comment, dès lors, interpréter ces œuvres ? Chacun jugera…

que les mots signifient autre chose que ce qu’ils veulent dire. » donné une arme pour atteindre la connaissance et maintenir la communication : les mots et le langage. Ils parlent, en effet, et tous ceux qu’ils rencontrent, animaux ou autres, parlent aussi. Deux exemples de la nécessité de posséder une langue comme accès au savoir par le biais de l’éducation nous sont proposés. Non seulement, ils parlent, mais encore, ils lisent et ils écrivent. Pinocchio réussit à abandonner paresse et polissonnerie. Pardonné et récompensé, il apprend à lire, il devient « un bel enfant aux cheveux châtains et aux yeux bleu clair ». Pour un peu, on pourrait imaginer qu’un monde nouveau s’offre à lui. Quant à Alice, le monde de l’autre côté du miroir lui enseigne qu’on peut jouer avec les mots et avec la logique, là où le sens s’efface derrière le rythme, là où le monde de l’enfance et celui de l’adulte coexistent : « La question, dit Alice, est de savoir si vous avez le pouvoir de faire

Laissons les mots de la fin à Alberto Manguel* : «Comment le langage peutil déterminer, limiter et accroître notre perception du monde ? Et, en conclusion, est-il possible que des histoires nous transforment, nous et le monde dans lequel nous vivons ? » Il ne reste plus, à présent, qu’à reprendre la route vers la compréhension du monde, en compagnie d’une petite fille espiègle et d’un pantin coquin. Un fauteuil confortable, une lumière douce et, « Il était une fois… » Patrick Rhodas

- Les Aventures d’Alice au pays des merveilles , Lewis Carroll, folio classique - Edition de J. Gattegno, 2005 - Les Aventures de Pinocchio, Carlo Collodi, Actes Sud - Babel, 1995 * La cité des mots, Alberto Manguel, Actes Sud, 2009

La maîtrise des mots comme clés du rêve et de la réalité Dans cet imaginaire, dans ces mondes parallèles au sein desquels les deux jeunes héros débattent, il leur a été

Lewis carroll

Carnet d’Art 19


[ Raconter - Musique ]

les notes du sous-sol/

L’une de mes plus belles expériences musicales reste encore la découverte du Jazz.

L’une de mes plus belles expériences musicales reste encore la découverte du Jazz. Je ne parle pas de la simple écoute désintéressée, je parle de l’intériorisation d’un univers, je parle de ressentir une atmosphère, de comprendre l’idéal qui se cache derrière les notes d’improvisation. Car bien sûr, tout le monde prétend aimer le jazz, peut-être pour se forger un caractère BCBG dans les conversations, mais la plupart du temps les seuls morceaux que l’on connait et que l’on est capable de siffloter, sont ceux que l’on entend à longueur de journée dans le métro (Jazz Radio…quel pied !). Mais comme je le disais, j’ai eu droit à une révélation « jazzique ». Elle a eu lieu dans un petit bar lyonnais dissimulé en sous-sol, dans l’arrière cour d’un immeuble miteux. Le nom ? Hot Club. Je sais ce que vous allez dire donc j’anticipe : non ce n’est pas un de ces cabarets malsains où dansent des jeunes filles de l’Est dénudées et qui, sous réserve d’une bouteille de champagne hors de prix, vous emmènent derrière les rideaux pour un show plus « privé ». Certes il m’est peut-être arrivé de tomber (par pur hasard) sur ce genre d’endroits, mais c’est encore une autre histoire. 20 Carnet d’Art

Se demander à quoi ressemblait le monde avant, amène à nous interroger sur quels rythmes battait la vie de nos fantômes. Quelles mélodies transportaient les esprits ? Sur quelles sonorités résonnaient les échos des anciennes consciences ? Voici des questions dignes d’intérêt ! Fermez les yeux sur les accords de « Il mercenario » d’Ennio Morricone et vous vous imaginerez déjà au fin fond du Far West, chevauchant à toute allure dans un désert de cactus à la poursuite d’une diligence remplie d’or ! Oui, c’est de ces émotions là dont nous avons besoin !

résonnent et suintent en harmonie les rifs de pianos, les effluves de whisky et de tabac froid…

Le Hot Club donc…. Pour vous brosser un tableau rapide de l’endroit, je pourrais vous décrire avec précision la porte capitonnée rouge qui permet d’accéder à un escalier en pierre ancienne, le portail en fer forgé grinçant sous les appels d’air, la porte massive en bois fatigué qui se dresse à l’entrée ou encore la voûte humide faisant office de salle de concert où résonnent et suintent en harmonie les rifs de pianos, les effluves de whisky et de tabac froid… Oui, je pourrais vous décrire tout cela avec passion, mais la seule chose que vous devez comprendre , c’est la légende qui dit que cet endroit a été créé par un certain Boris Vian en 1948. Pour ceux qui connaissent le personnage, je vous laisse imaginer l’ambiance « poète maudit » qui imprègne les murs, pour les autres, lisez « Je voudrais pas Crever » ou « l’Ecume des jours », vous comprendrez. Enfin pour le plus sceptique des lecteurs, je pérorerais brièvement sur le fait que cette cave a accueilli par le passé des artistes comme Louis Armstrong ou encore Archie Shepp…Trêve de badinage, venons-en au fait.


19h00

Ce soir là, alors que je descends pour la première fois dans les entrailles de Lyon, je suis assez sceptique quand au déroulement de la soirée. Me délester de dix euros à l’entrée me refroidit passablement. Mais mon compagnon de route n’est autre que le barman des lieux, rien n’est perdu. Les artistes ne seront là qu’à 22h. L’attente est souvent plus supportable avec l’ivresse, alors nous attendons patiemment. Accoudés au bar, un nombre conséquent de pintes devant nous, nous discutons du programme musical qui va suivre. Il est question d’une jam station et d’un jeune batteur prodige venu du Chili, suivi d’un groupe de Jazzmen new-yorkais. La salle se remplit doucement, une clientèle très hétéroclite s’entasse devant le bar et dans la petite salle de concert : un couple âgé amateur de musique, de jeunes musiciens, des amoureux romantiques, des vieux se tenant par la main, des amis se soutenant par les épaules, et un homme ivre parlant à son verre (ce dernier est peut-être bien mon reflet dans un miroir…) La musique : hymne des révolutions, clameur de joie, cri du cœur ou de rage, transe communicative à grande échelle ou expression d’un génie créatif… Oui la musique a de nombreuses définitions. Mais quelle est sa vraie nature ? Les spécialistes s’accordent tous à dire que le berceau de la musique humaine prend ses racines en Afrique, terre de nos origines. Vis-à-vis des autres espèces, l’humanité est une race vieillissante mais qui n’a jamais cessé d’évoluer. D’un côté pour survivre et prospérer, de l’autre pour asseoir son désir avide de domination. Mais le fait est là, l’Homme se réinvente chaque jour. On peut dire de lui qu’il est égoïste, dominateur, cruel, borné voir irresponsable, mais de tous les épithètes, celui qui convient le mieux à notre peuple est l’ingéniosité. Quel fut le premier domaine où l’ingéniosité de l’homme s’est exprimée ? Je vous le donne en mille : L’art. Dans cette branche, la musique est la discipline la plus canonique. Née au fond des grottes, autour d’un feu tribal, elle s’est développée avec l’homme et est aujourd’hui créée grâce à nos ordinateurs. Innovation technologique, bouleversement social, phénomène d’acculturation… tant de facteurs qui ont influencé la musique à travers les époques. On dit souvent qu’on ne peut changer le monde mais que c’est le monde qui nous change….La musique a changé l’homme.

21h30

Luc Reydet

Je me dirige dans la petite salle. Chancelant je me faufile jusqu’au gradin dans le sillage d’une mini-jupe en mousseline bleue virevoltante qui me remet un peu de baume au cœur. Une trentaine de personnes sont déjà assises, mais ma perception s’est quelque peu effritée. La scène devant moi peut, sans problème, accueillir une demi-douzaine de musiciens. Un majestueux piano à queue noir y trône, ainsi qu’une foule d’instruments à vent, une imposante batterie et une vieille contrebasse… Dix minutes d’attente et j’ai déjà envie de remonter à la surface pour prendre un bol d’air frais. Après un rapide coup d’œil circulaire, qui ne manque pas d’accentuer ma nausée, Carnet d’Art 21


Luc Reydet

je remarque avec un frisson d’angoisse que je suis la seule personne célibataire et solitaire de l’assemblée. J’ai d’ailleurs l’impression que tout le monde me jauge en me jetant des regards de biais. Impression qui se confirme lorsque je demande bafouillant, à la propriétaire de la mini jupe assise à ma gauche, quel est le premier artiste à jouer. Elle me lance un regard agacé et me répond en se détournant dédaigneusement: « Tu verras dans cinq minutes ». Je reste muet et me tasse sur ma chaise, maudissant mon ami de m’avoir amené ici mais reconnaissant de m’avoir servi des doubles doses de whisky. Quand tout va mal, ou disons quand rien ne va plus, qui n’a jamais désiré vivre à une autre époque ? Comprendre notre passé est une volonté inscrite dans nos gênes, car nous basons notre évolution sur l’expérience. Le seul problème est que nous acceptons d’« apprendre de nos erreurs » sans chercher à en commettre. Alors quel autre choix se présente à nous pour revivre le passé ? Ici, devant ce vide existentiel, l’Histoire n’est plus suffisante pour combler le manque. Elle ne fait que relater les évènements, elle permet la compréhension d’une mémoire mais non pas son intériorisation. Comment donc ressentir à nouveau les frémissements des époques révolues ? La seule solution reste l’Art, et plus particulièrement la musique.

22h10

Toujours personne sur scène. Je suis assis, fumant cigarette sur cigarette mais incapable de me lever jusqu’au bar pour aller me chercher une bière. Je ne veux pas perdre ma place, j’ai tout de même payé dix euros ! Et je ne veux surtout pas 22 Carnet d’Art

laisser la beauté froide à mes côtés toute seule. Méprisante, inaccessible, indifférente et donc encore plus désirable. Au moment où je vais lui proposer une cigarette, quand bien même je suis certain qu’elle ne fume pas, un homme jusqu’alors assis comme un simple spectateur dans la fosse, entre sur scène et s’empare d’un saxophone. Il se lance, sans autre forme de procès, dans un solo virtuose qui envoûte toute la salle plongée instantanément dans un silence admiratif. Moi-même je suis subjugué par le talent de l’homme en chapeau qui souffle tout son cœur et sa passion pour le Jazz dans ce tube cuivré. La jam est lancée. S’enchaîne alors une multitude de groupes, de rifs au piano, ... de morceaux improvisés ... en accord avec l’effervescence grandissante de la salle. En moins d’une heure je suis conquis par la musique. Mon oreille novice s’habitue rapidement aux sons doux et arrondis qui résonnent dans cette caverne, et bien sûr j’applaudis avec ferveur lorsque je décèle un enchaînement magique. La musique est géniale, l’ambiance mystique. En regardant les visages autour de moi j’ai déjà une idée grossière de ce qu’est le jazz : une musique pour rassembler. Dans ce soussol miteux, tout le monde, jeunes, vieux, professionnels, amateurs, clients fidèles ou de passage, tous ont le sourire aux lèvres. L’atmosphère est détendue et on entend entre deux morceaux des verres trinquer et des gorges humides brailler. Vient le tour du jeune batteur. Que dire, mis à part que je suis à la fois jaloux et impressionné par ce petit virtuose de 15 ans qui martèle à toute vitesse les tambours de sa batterie ? Son sourire détendu fait passer sa prouesse musicale pour une balade de santé, et moi-même j’essaie de suivre le rythme en tapotant mes genoux. Je me rends vite compte de mon ridicule ainsi que de la complexité sous jacente de la rythmique.


23h30

Entracte. Retour au comptoir, lieu où j’ai déjà mes marques. Quelques verres vidés, quelques plaisanteries échangées avec des inconnus bien plus sympathiques, ou ivres, qu’au début de la soirée. J’ai même à un moment le droit au sourire de ma voisine à la mini-jupe. La soirée prend une belle tournure. Nous avons tous un air préféré, une musique qui nous ressemble, nous correspond. Pourquoi ce besoin de s’identifier ou plutôt de s’approprier une mélodie ? Tout simplement car c’est indispensable ! Sentir son cœur vibrer aux accords électriques de Jimmy Hendrix où grâce à la mélopée de Chopin n’a pas son pareil. L’ explication d’une telle jouissance ? Surtout ne pas en chercher ! Ce serait briser l’unique reliquat de nos rêves, notre besoin d’inconnu. Si la science apporte des réponses et nourrit notre conscience collective, la musique reste l’échappatoire universelle de nos esprits, la dernière cavale de notre inconscient.

Minuit

Retour dans la salle pour la dernière partie du concert, à savoir le quatuor venu de New-York. Leur musique n’est pas seulement d’une qualité rare et improbable dans un endroit pareil ; elle transcende la salle. Le tempo, lent et profond, me transporte. En scrutant les regards rieurs que se lancent les artistes, les sourires figés des spectateurs et les applaudissements sincères mais distillés, je me rends compte que depuis le début je faisais fausse route. Le jazz n’est pas une musique ordinaire ; elle n’est pas là pour vous apprendre quelque chose, elle résonne simplement dans vos esprits pour vous parler. Cette musique relève à la fois du cantique et de la prémonition. L’on croit avoir saisi le fil conducteur d’un morceau, on commence même à battre la mesure puis tout d’un coup, sans prévenir, le rythme change, prend un autre virage, vous raconte soudain une autre histoire, faisant vibrer une autre partie de votre être. C’est un discours mélodieux mais confus, qui change de cap à mesure que l’inspiration envoûte les musiciens. Pour apprécier correctement cette musique, il faut accepter de ne pas comprendre, se laisser porter. Le jazz n’est pas spécifique à une époque, à un lieu ou à une seule personne, il bourdonne de son groove profond à vos oreilles et vous emporte dans un autre univers. En fermant les yeux je peux m’imaginer sans aucune difficulté être assis au milieu d’un bar dans le centre de Harlem dans les années 30, ou dans l’arrière cour d’une boutique à déguster avec peur et délice un whisky distillé maison durant la Prohibition. Deux mille ans d’évolution et toujours ce besoin de battre le rythme, de communiquer au-delà du langage, à travers un chant universel qui nous rassemble. Serait-ce donc l’unique rempart face à l’individualisme grandissant de notre époque ? Le dernier récital qui peut prétendre encore toucher le chœur des hommes ? D’ailleurs, que serait le monde sans musique ? Question

Luc Reydet

Carnet d’Art 23


L’avenir c’était mieux avant Luc Reydet

absurde tant notre Histoire en est imprégnée. La musique a évolué parallèlement au développement de l’homme, comme un chant d’accompagnement qui survole les âges, prenant son inspiration dans nos cœurs pour ensuite bercer nos âmes. Assis dans ce cloaque oublié de Lyon, l’endroit n’importe plus, seul compte le plaisir, l’essence d’une musique imprégnée d’une histoire. C’est comme entendre le murmure d’une mémoire souffler harmonieusement à mes oreilles. Un conte aux accents noirs dont je n’écoute pas simplement le déroulement figé, mais l’interprète selon mon bon vouloir, y prenant les sensations et émotions qui me paraissent justes, valables, qui ont réellement un sens.

2h00

Un concert dantesque. Ovation d’une dizaine de minutes faisant presque trembler les pierres autour de nous. La bière coule de nouveau à flots, les sourires se transforment en rires sincères. Un sentiment de joie et d’apaisement presque palpable dans l’air, que même la fumée et l’odeur de l’alcool saturant les lieux peinent à dissimuler. Le quatuor vient se

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joindre à la fête. Je m’improvise même traducteur pour un des musiciens qui drague sans vergogne ma copine à jupe. Après encore quelque temps, la foule se disperse enfin, remontant à la surface pour rejoindre la fraîcheur de la nuit. Nous finissons à six, le patron, le barman, trois musiciens (le quatrième est parti avec la fille. Sans un merci et elle sans un au revoir. Je devrais arrêter d’écrire et me mettre à la guitare…) et moi-même. Porté par l’ivresse je me mets à la batterie, mon ami au piano et nous nous élançons dans un morceau médiocre mais qui a au moins le mérite de faire rire notre petit comité.

3h00

Que faire ? Une idée géniale est lancée dans l’air : « On va au Bec de jazz ! ». Dehors l’air est mordant mais nous donne un coup de fouet. Nous laissons les trois musiciens rentrer en taxi, une pancarte avec le nom de leur hôtel accroché autour du cou du plus ivre d’entre eux. S’ils savent faire de la musique, ils ne supportent pas l’alcool (et ce n’est pas seulement par vengeance que je souligne l’anecdote). En marchant vers notre nouvelle destination j’ai l’impression d’évoluer sur un tapis roulant. Des éclats de rires explosent encore dans mon


crâne et avec eux une douleur lancinante qui je le sais déjà, ne me quittera plus jusqu’au lendemain. Heureusement j’ai encore cette sensation d’évasion qui me berce. Là-bas, dans le souterrain, la musique emplissait l’espace, les notes faisaient frémir les roches et nos tympans comme autant de ricochets mélomanes brouillant notre perception du réel. Mais ici à l’air libre, c’est un deuxième couplet qui s’enclenche. Comme si une fois libérée de l’atmosphère oppressante des sous-sols, la musique m’accompagnait audehors pour s’évaporer dans l’air nocturne, me laissant dans un étrange état de plénitude béate.

3h45

Nous arrivons enfin : une boîte de nuit perchée sur les pentes de la Croix-Rousse dédiée exclusivement au jazz et au rock & roll. Le whisky est remplacé par le rhum, le jazz d’improvisation par des morceaux plus dansant et les minijupes par des décolletés suggestifs. Et l’on finit aux petites lueurs du jour, heureux, ivres de joie et de tout, épuisés par

tout ce grabuge mais satisfaits de notre soirée. Quand je laisse mon ami devant chez lui et que je prends le premier métro pour rentrer, je sens se figer cet inexplicable sourire sous mes cernes. Mon cœur bat encore, mes tempes pulsent au rythme lent et vibrant d’un morceau de jazz depuis longtemps évanoui. Les regards désapprobateurs qui se posent sur moi ou les reniflements crispés au passage de mon parfum aviné ne m’atteignent pas. Je profite de l’instant, seul dans les limbes de mon contentement. « L’avenir c’était mieux avant »… Phrase que l’on entend partout, qui se forme sur les lèvres de chaque génération, avec toujours cette once de regret et de nostalgie à peine murmurée. Cette litanie, cette complainte désabusée reflète à merveille le défaut viscéral de l’homme à se plaindre sans aucune gêne de son insatisfaction permanente. Mais après tout, qui pourrait nous en vouloir ? L’espoir est essentiel, il est le moteur de chaque révolution, le terrain fertile sur lequel naît le changement. Alors est-ce de notre faute si rien ne se passe jamais comme prévu ? Killian Salomon

Que l’on soit ténor, barde ou ménestrel Nous voulons tenir la note en longueur, De cette chanson sans rappel, De cette vie sans chœur. Auteurs de notre propre partition Il nous faut garder le rythme, Existences vibrantes à l’unisson, Pour tenir en éveil son public. Nous devons donc improviser Au son de la symphonie, Un accord de jazz bien placé, Avant le chant funèbre de nos vies.

Luc Reydet

Carnet d’Art 25


[ Raconter - Lettre verte ]

Christophe Lune

les déchets, source d’énergie/ Comment d'excellents produits de la ferme peuvent, grâce à leurs déchets, nous offrir de l'énergie ? Un exemple concret et judicieux se trouve en Savoie au lycée agricole Reynach de la Motte-Servolex près de Chambéry, où a été mise en place une unité de méthanisation. Le domaine du lycée, outre les bâtiments d'enseignement, comporte à proximité du méthaniseur, un bâtiment abritant un élevage de 140 bovins, un lieu pour la fabrication de fromages, une serre horticole, et un élevage d'escargots. L'unité de méthanisation mise en service en juillet 2011, permet de produire de l'électricité et de la chaleur via un cogénérateur à partir de matières organiques telles que lisier, fumier, lactosérum et déchets verts.

Mais comment ça marche ? On ajoute aux déchets liquides (lisier, lactosérum...), les déchets solides: fumier, restes de cuisine, végétaux, provenant du domaine et des collectivités, à une température maintenue à 40°C à l'intérieur d'un digesteur. Leur décomposition émet du biogaz. Le méthane est extrait, récupéré et dirigé dans un moteur thermique de 45 kW qui, via un alternateur, produit de l'électricité. Cette électricité est injectée sur le réseau public. D'autre part, un circuit d'eau froide, par le biais d'un échangeur à plaques, situé sur le moteur permet de récupérer ses calories. L'eau chaude ainsi produite peut 26 Carnet d’Art

maintenir le digesteur à température. Alimenter en eau chaude la fromagerie et le laboratoire pour l'élevage des escargots et chauffer les serres horticoles et l'accueil via un réseau de chaleur. Le lisier de nos campagnes permet donc de se chauffer tout en perdant son fumet si prononcé qui venait nous chatouiller les narines ! Les résidus de matière sont alors utilisés comme un fertilisant naturel et épandus sur les parcelles agricoles de l'exploitation une fois par an.

Et quelle production ? C'est une unité de petite taille, qui produit sur une année 370 000 kWh d'électricité (représentant la consommation annuelle hors chauffage de 100 familles de 4 personnes) et 300 000 kWh de chaleur (représentant la consommation annuelle de chauffage et d'eau chaude sanitaire de 10 habitations de 100 m² moyennement isolées, ou 60 habitations aux normes BBC*). On exploite donc la part énergétique d'une grande quantité des déchets du domaine. Le méthane libéré naturellement par la fermentation des déchets organiques est un gaz à effet de serre plus puissant que le CO , l'unité qui valorise ce gaz évite donc la libération ² de CO dans l'atmosphère. de 80 tonnes

²


Si on parlait bilan : Cette unité, en particulier celle de Reinach, se veut être facilement reproductible sur le plan technico-économique. Elle est aussi utilisée comme support pédagogique. Un autre exemple d'unité de méthanisation installée au GAEC de Gruffy en Haute-Savoie produit de l'électricité injectée dans le réseau public et fournit du chauffage à des particuliers. Autre application, la ville de Lille peut faire rouler ses bus au biométhane depuis 2011. Après l'Allemagne, le Danemark, la Suisse et la Suède, la France multiplie ces unités de méthanisation en rattrapant son retard. Elle était pourtant pionnière sur ce segment dans les années 80...

la méthanisation représente un gisement d'énergie très intéressant.

Et l'avenir: des alternatives pour répondre à nos besoins ? Nous utilisons l'énergie fossile depuis plus d'un siècle (pétrole, gaz, charbon, et plus récemment uranium) afin de répondre à nos besoins industriels, électriques, chimiques, de chauffage, et de transports. Là où notre planète aura pu produire ces éléments fossiles sur plusieurs millions d'années, notre consommation énergétique actuelle aura fait disparaître ces ressources si utiles en moins de deux siècles. Nous débordons d'énergie, pour origine : « Le soleil », développé sous plusieurs formes : captation des rayons pour le solaire thermique et photovoltaïque, l'utilisation du vent pour l'éolien, les mouvements de l'eau pour l'hydroélectricité, la fermentation de matières organiques pour la méthanisation, sont autant d'énergies à utiliser dans une politique éner-gétique mixte, c'est-à-dire en complément les unes des autres.

Un réel potentiel De nombreux pays maîtrisent ces énergies renouvelables depuis fort longtemps, elles sont inépuisables, avec un impact sur l'environnement qui est faible et des coûts qui continuent à baisser. Aujourd'hui, on installe sur nos toitures des panneaux solaires photovoltaïques, thermiques, on se chauffe à l'aide de poêles à bois à haut rendement, on installe des chaufferies bois communales, des centrales solaires, éoliennes et maintenant des unités de méthanisation. L'utilisation de ce mixte énergétique sous-entend bien sûr une optimisation de nos besoins : comme le préconise le scénario « Négawatt », il s'agit d'associer la sobriété (suppression des gaspillages), l'efficacité énergétique (réduction des pertes), aux énergies renouvelables

© Christophe Fey

(le solde énergétique peut alors être couvert). Elles pourraient ainsi progressivement remplacer une partie de notre parc nucléaire vieillissant dont les coûts continuent d’ augmenter. En France, l'activité d'élevage est importante par rapport à d'autres pays d'Europe, la méthanisation pourrait donc représenter un gisement d'énergie très intéressant. La méthanisation de déchets organiques d'un domaine agricole possède de nombreux atouts : Par la valorisation de ces déchets, elle permet à la fois de produire de l'énergie localement, diminuer la consommation énergétique de bâtiments et réduire l'émission de gaz à effet de serre. Elle présente également l'avantage d'une production d'énergie en continu, qui permet donc de compléter l'absence de production solaire la nuit ou l'absence de vent à telle période. Elle s'intègre également au Plan Climat Énergie Territorial. La boucle est bouclée ! Voilà ce qu'il est possible de faire de bon et beau avec un déchet ! *BBC: Bâtiment Basse Consommation Ce label caractérise un bâtiment économe en énergie, selon la réglementation thermique en vigueur (RT 2012). Christophe Lune Carnet d’Art 27


[ Raconter - Voyages ]

Yvette Carton

argentine buenos aires/ Acassuso avec Miguel et les « petits métiers de la rue » Six heures du matin, au croisement des rues Las Heras et Pueyrredon, Miguel arrive pour prendre la relève de son collègue Pedro. « Buenos dias Pedro, que tal, como te fue la noche ? » « Bien, no paso nada, me voy, que tengas un buen dia, Ché ! » « tchao, hombre »* Miguel assure la sécurité des résidents à Acassuso, au nord de Buenos Aires. Dans ces quartiers résidentiels, on trouve aux croisements des rues des guérites occupées par des gardiens qui sont présents 24 h sur 24. C’est la « seguridad vecinal » payée par les habitants, sans arme mais efficace. * « - Salut Pedro, comment ça va ? La nuit a été bonne ? - Oui, rien à signaler, j’y vais. Passe une bonne journée. - Salut »

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Miguel a en charge la « surveillance des rues » qui partent de son poste, il connaît chaque famille, chaque habitant, chaque véhicule. Il y a Madame Rosa au 406 avec sa vieille guimbarde et ses chats, les deux prêtres charmants qui vivent en face de l’église, la famille de français qui vit au 458 avec la Renault Laguna du père qui part tôt et revient tard en semaine, la mère qui circule à vélo et les trois petits qui suivent derrière, il y a aussi le jeune couple du 265 qui part à pied prendre le train chaque matin pour aller travailler au centre, le pilote d’avion de la compagnie Aérolinéas Argentinas qui a des horaires imprévisibles et sa jolie épouse Lelia qui est avocate à Capital Fédéral, Isabel qui est professeur d’espagnol, Maria-


Elena et Fernando qui sont médecins tous les deux et tous les autres, certains sympathiques, d’autres moins... Il connaît les habitudes de chacun et veille à ce qu’il n’y ait pas de véhicule ou d’inconnus à chaque entrée ou sortie car derrière cette apparente tranquillité, la violence peut surgir brutalement. Voilà deux ans que, 6 jours par semaine, Miguel vient prendre son service depuis son quartier de la Matanza moins rutilant et sans surveillance qui se situe plus à l’ouest; il arrive par le train, pas toujours bien réveillé, parfois ébouriffé mais content de son sort ; il a 56 ans et aime son travail. Il apporte de quoi manger et n’oublie jamais son thermos d’eau chaude pour le maté, qu’il boit au cours de la journée. Le maté, tisane énergétique et coupe-faim est une institution en Argentine ainsi qu’au Paraguay et dans certains autres pays d’Amérique Latine. On verse l’eau chaude sur les feuilles de yerba maté dans un récipient spécifique en bois ou calebasse qui s’appelle également maté ; une sorte de paille métallique filtrante permet d’aspirer le liquide. En famille ou entre amis, le maté passe de main en main mais attention c’est généralement brûlant et très amer mais on s’habitue !

Yvette Carton

Une kyrielle de petits métiers, la nature et les hommes. Dans les rues d’Acassuso, Miguel salue et discute un peu avec les femmes de ménage qui viennent prendre leur service ; certaines sont aussi à demeure. Il aime bien Dory, la péruvienne de Lima qui envoie tous les mois de l’argent à son père ; Il y a aussi Mercedes, bolivienne de La Paz qui a laissé sa fille chez sa sœur et subvient aux besoins de tous ; Maria, qui est marrante et dynamique ; Josefina qui passe tous les jours à l’église et puis les autres … Quelques-unes sont argentines et la plupart vivent dans des petites chambres en ville. Toutes ces petites mains préfèrent travailler chez des expatriés car elles y sont généralement mieux traitées, elles font un peu partie de la famille. La nature est généreuse dans ce pays et le quartier est très vert, des orangers poussent sur les trottoirs et Miguel a bien ri lorsqu’il a vu la française aller cueillir des oranges amères en attrapant les branches avec la canne de son parapluie pour faire de la confiture. Lorsque ces arbres sont en fleurs, c’est un délice pour l’odorat. Les jardins sont plantés de palmiers très divers ; les rhododendrons, les ficus et autres plantes d’intérieur que nous connaissons en Europe sont ici des arbustes parfois géants. Connaissez-vous le callistemon impérial ? Son nom familier est le rince-bouteille à cause de la forme de goupillon de sa fleur. La floraison des gardénias est également un grand moment, à chaque feu rouge des gosses vendent quelques branches pour 1 peso et une fleur dans une coupelle embaume ! Les cubains de Buena Vista Social Club nous ont fait connaître à tous la chanson « Dos gardenias para ti » mais pas le parfum de cette fleur délicate qui est quelque chose d’incomparable . . . Plus loin, il y a l’avenue Del Libertador qui doit son nom au général José de San Martin, héros des guerres de l’indépendance de l’Argentine, du Chili et du Pérou. Du centre

de Buenos Aires, cette avenue parcourt 35 kilomètres pour se terminer à San Fernando. Dans la traversée d’Acassuso, elle est bordée d’arbres majestueux et change de couleur selon les saisons avec la floraison bleutée des jacarandas (flamboyants bleus), le jaune vif des fleurs des tipas qui forment un tapis sur les trottoirs, les ombus (Phytolacca dioica) avec leurs fleurs blanches et tant d’autres… De l’autre coté, il y a la gare, « la estacion de trenes », avec son agitation, ses vendeurs à la sauvette et à proximité les petites boutiques, les kioscos où on trouve de tout. Dans les wagons, c’est aussi très animé et l’on peut acheter stylos, friandises, briquets… Il y a de la musique, des anciens des Malouines qui quémandent une pièce, bref le trajet d’environ 30 minutes pour gagner le centre est folklorique et c’est incontournable pour s’imprégner de l’ambiance de la ville. Retour dans les rues d’Acassuso ; dans la rue Lavalle passe Fernando, beau garçon musclé et tatoué. Il est promeneur de chiens. Il a en bout de bras une grappe de 6 ou 7 chiens qu’il a regroupés sur son trajet : labrador, scottish terrier, berger allemand, boxer… c’est très curieux mais petits et gros toutous marchent ensemble sans donner un coup de dent au voisin ni emmêler les laisses, c’est tout le savoir-faire de cette profession. Dans les quartiers de Palermo ou de la Recoleta, ils sont nombreux à aller dans les parcs ou sous l’ombrage des grands gomeros. Acasusso est résidentiel mais moins prestigieux que ces beaux quartiers plus près du centre de Buenos Aires et cette profession particulière est moins représentée. Fernando vient passer un petit moment avec Miguel, avec lequel il a sympathisé, avant de continuer sa promenade.

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des orangers poussent sur les trottoirs

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Le quotidien dans une mégalopole animée. La circulation dans les rues principales est très hétéroclite, on voit de belles jeeps, des véhicules tout-terrains flambant neufs et puis aussi des tas de ferrailles, des Falcon ou Ford d’un autre âge. La ceinture de sécurité, obligatoire selon la loi, est optionnelle dans les faits. On croise des vélos, des motos ou scooters chargés de trois personnes ou plus, souvent sans casque. Quant à la priorité, elle est à celui qui la prend. Il faut être vigilant car nombre d’automobilistes ne sont pas assurés mais globalement la circulation se fait sans encombre. Ainsi s’écoulent les jours, très chauds pendant l’été et froids pendant l’hiver. En juillet, la température peut tomber à 5° et au début on est surpris de voir tout le monde emmitouflé avec

bonnets et gants, certes, l’argentin est frileux mais on comprend vite car 5°c avec le vent et l’humidité peuvent être terribles, d’ailleurs le bulletin météo donne depuis longtemps là-bas la température ainsi que la sensation thermique et souvent un écart important est noté. Dans les rues d’Acassuso, au croisement des rues Las Heras et Pueyrredon, Miguel reprend son sac, c’est Oscar qui lui succède. Cette localité, à 20 kilomètres au nord-est de Buenos Aires fait partie du « grand Buenos Aires », (nom donné à) cette métropole de plus de 13 millions d’habitants. Miguel est l’un d’entre eux. Yvette Carton

QuanT à la priorité, elle est à celui qui la prend.

Yvette Carton

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[ Raconter- Cinéma ]

tim et moi/ Après tout, Edward aussi a raté son initiation sexuelle ! Mon premier rendez-vous amoureux ? J’avais 15 ans, et nous sommes allés voir les Noces Funèbres, de Tim Burton. Un choix surprenant ? Pas tant que ça. « Tim est bien mieux compris par les enfants, ou du moins par les adultes qui hébergent encore un grand enfant en eux ». Oui, je sais, fine analyse, c’est normal, ce n’est pas de moi.

Tim avec des yeux d’enfant... C’est à l’âge de 10 ans que je suis tombée amoureuse de l’univers de Tim Burton. Enfin, du moins, avant de comprendre « Tim Burton », comprenez, « je suis tombée amoureuse d’Edward ». Edward aux mains d’argent. C’était mon époque Le Cygne et la princesse, happy end mielleux et prince en caleçon moulant diablement sexy. Et là, changement de cap : Certes, c’est le film de Burton le plus proche du conte de fée, mais Edward est un prince… Quelque peu différent… « Un monstre avec une vision romantique du monde ». En fait, je crois qu’au-delà de ses mains magiques, ce que j’ai aimé chez lui, ce sont ses cheveux. J’aurais bien volontiers troqué l’épaisse broussaille brune qui, depuis mes

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10 ans s’épanouit gaiement sur mon crâne en ébullition, contre la belle chevelure blonde de Kim, princesse en robe blanche virginale qui danse sous la neige, et dont Edward est amoureux. Or mes cheveux m’ayant valu toutes sorte de moqueries et de surnoms ridicules à l’école, je voyais en Edward un super copain chevelu, qui lui, en plus d’avoir comme moi un mouton sur la tête, avait des ciseaux à la place des mains !! C’est comme ça qu’Edward et moi nous sommes devenus amis.

Attention Crise d’ado ! Et puis voilà : crise de jalousie entre Edward et Ichabod … En effet, changement de registre avec Sleepy Hollow… Plus sombre, plus noir, plus brumeux qu’ Edward aux mains d’argent, à 14 ans, mon cœur a commencé à palpiter pour Ichabod Crane (bon d’accord, Johnny Depp lui a donné un sacré coup de main) qui est selon Burton « ravagé par un conflit intérieur ». Il est vrai que durant cette délicate période qu’est l’adolescence, où les certitudes enfantines laissent place au joyeux bazar de l’apprentissage des

sentiments, l’identification devient alors facile. C’est aussi à cette période là qu’est né en moi ce sentiment de révolte et d’injustice, moment où chaque adolescent commence à percevoir avec lucidité les travers du système (vous vous souvenez de cette rengaine, « personne ne me comprends, de toute façon je déteste le monde entier ? » Oui, cette attitude qui a fait pousser des cheveux gris à votre mère !) Beaucoup de personnages de Tim Burton sont des parias, ont une personnalité décalée…et se heurtent donc à la violente intolérance propre à la nature humaine. Des monstres incompris, plus humains que la plupart de mon entourage. Bref, des personnages en correspondance parfaite avec mes états d’âme d’adolescente qui se prend le monde en pleine figure. Et puis, qu’on se le dise, Burton a également conquis mes hormones en choisissant Johnny Depp ! Allez, avouez-le les filles, vous aussi vous avez fantasmé sur la vitesse avec laquelle Edward pourrait découper votre chemisier ?


Tim Burton ©

Un rendez-vous manqué… Vous vous êtes demandé ce qu’il s’est passé ? Raté, ça n’a pas marché. Ce garçon était un goujat qui m’a fait languir quelques mois avant de sortir avec une potiche aux cheveux lisses. Mais le film était exquis. Dans Les Noces Funèbres, le réalisateur livre une vision très colorée du monde des morts, un univers plus joyeux et festif que celui des vivants. Un moyen subtil d’exorciser les angoisses violentes qui m’habitaient quand en grandissant, j’ai commencé à saisir que la mort s’installerait un jour ou l’autre dans mon parcours. J’y ai vu un monde des vivants beaucoup plus « mort » que celui des morts, parfaite expression de ces visages fermés et antipathiques que je croisais chaque matin dans le bus. Un sacré contraste avec mes Converse à fleurs et mes chapeaux colorés, qui auraient bien trouvé leur place auprès de Victor Van Dort et de sa mariée cadavérique aux lèvres rouges ! J’ai oublié le garçon, mais Les Noces Funèbres ont fait palpiter mon cœur. Après tout, Edward aussi a raté son initiation sexuelle.

Tim Burton et mes 21 printemps.

Tim Burton et mes propres enfants ?

Il s’en passe des choses en 7 ans. Entre temps, j’ai rattrapé mon retard en regardant Big Fish, Batman et autre Etrange Noël de Monsieur Jack… J’ai découvert avec délectation Charlie et la Chocolaterie. Encore une coiffure bizarre… Décidemment Tim Burton est perturbé par la chevelure. Depuis, j’ai dompté les miens autant que possible (pour plus d’informations sur mes soucis capillaires, voir Mes Mémoires), je me suis découvert une addiction pour les rivières de chocolat, et je me suis lancée dans la lecture de Lewis Carroll. Edward, aujourd’hui me semble comme ces artistes incompris qui m’entourent : J’admire l’énergie presque jouissive avec laquelle il utilise ses ciseaux, je pleure à chaudes larmes comme une ado devant son histoire d’amour impossible, et je me dis que finalement, il n’y a pas d’âge pour aimer cet être touchant qui caresse si bien du bout de ses lames la sensibilité de chacun d’entre nous.

Rendez vous dans 10 ans ! Lily Kallisté

j’ai commencé à saisir que la mort s’installerait un jour ou l’autre dans mon parcours. *Pour rendre à César ce qui est à César, voir Entretiens avec Mark Salisbury.

Carnet d’Art 33


Dans chaque édition de «Carnet d’Art», vous trouverez un dossier de rédaction, développant un sujet particulier abordé de différentes manières. Diverses disciplines et acteurs de celles-ci interviendront pour offrir un éclairage original sur une thématique fondamentale de l’art, et donc de la société. Dans ce numéro 0, nous avons souhaité vous offrir les prémices du manifeste d’un mouvement artistique naissant avec ce nouveau magazine qu’est «Carnet d’Art». Nous développons ainsi les Origines de la raison d’être de ce magazine et de ce réseau de médias culturels. Pensées, idées et convictions différentes réunies sur un même support, pour un même objectif. 34 Carnet d’Art


Emmanuel Moreaux

Dossier de la redaction Carnet d’Art 35


Studio de création design tél 04 79 81 59 51


[ Dossier - Les origines de la raison d'être ]

spécial lancement carnet d'art/ Histoire de la raison d'être. Les propos qui suivent sont dédiés à David Bowie, Jan Fabre, à ces acteurs, ordures ou génies fabuleux, à ces auteurs, somptueuses plumes ou écorcheurs de papier, à ces artistes, regards perçants ou visions réduites, et enfin, à ses lecteurs. ...A lire ce que j’écris vous pouvez penser que je suis entouré de personnes brillantes, intelligentes, et que, par conséquent, sans déterminisme génétique, juste social, je suis moi-même brillant et intelligent. Vous avez raison. Je le suis. Je suis chanceux aussi. J’ai une vie de rêve. Que tout le monde voudrait avoir. J’ai entendu cette phrase dans un film hier ; « ne vous mentez pas à vous-même, cette vie que l’on a, tout le monde la voudrait »…c’est une bonne définition de ma vie. C’est pour ça que je me suis longtemps demandé si je devais vraiment écrire, mettre en scène, réaliser... Au fond je n’ai rien de dramatique à raconter. Des petites histoires sur le monde, ma vie, les gens qui m’entourent, mais pas de grandes souffrances, de grands drames comme dans toute bonne œuvre qui se respecte, quelle qu’elle soit. Je me suis demandé si je devais écrire tout ça. Jusqu’au jour où, la vie, avec toute sa cruauté, comme vous pouvez vous en douter, m’a permis de rencontrer des personnes que je hais, de croiser des faits que j'exècre. Jusqu’au jour où la vie, avec tous ses rebondissements, m’a permis de découvrir un monde fantasmagorique, comme notre imagination ellemême ne peut même pas nous inventer. A partir de ce jour là, j’ai commencé à écrire ce que vous lisez, et je ne doute pas que ces mots resteront gravés dans la mémoire de l’histoire de notre belle humanité. Parce qu’ils en valent le coup. [...]

"La culture ne sauve rien ni personne, elle ne justifie pas. Mais c'est un produit de l'homme : il s'y projette, s'y reconnaît. Seul, ce miroir critique lui offre son image." Jean- Paul Sartre (Les Mots)

De prétention je n’en ai pas, ce serait en manquer que de l’avouer.

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Un nouveau magazine de « Culture »… Et gratuit, en plus… Est-ce bien sérieux ? Et voilà que j’e n suis le « rédacteur en chef " Comment me suis-je retrouvé dans cette aventure, mise en scène par des jeunes gens créatifs et talentueux ? Les hasards de l’Histoire et de la Presse Quotidienne Régionale… et pourquoi moi en tête de rédaction ? Parfois, je me dis : « parce que tu es le plus vieux ! » À l’âge de la retraite, au temps intense de l’action succède un temps davantage consacré à la réflexion, à la lecture. Ce n’e st pas pour autant un temps vide ou oisif, mais il est ponctué de moins d’é vénements. La notion de « qualité » prend le pas sur la «quantité». On pourrait dire que les jeunes et les vieux ont un rapport au temps aussi différent que l’e st leur rapport à la nourriture : les jeunes « dévorent » la vie, alors que les plus âgés prennent le temps de la déguster. Notre équipe est ainsi faite : un subtil équilibre entre les origines, les parcours et les générations. Si j’avais un secret à donner, une aide à apporter, un soutien à offrir, je dirais qu’il s’agit d’écriture. En fait, je veux parler de cette peur qui nous assaille, nous bloque et nous tenaille devant la feuille blanche qu’il va falloir remplir. Comment et par quoi commencer… ? Le début, une fois que l'on croit que les pistes commencent à s'éclaircir, que l'on imagine que les scories (inutiles par essence) ont été gommées, évacuées, comment résoudre cette énigme fondamentale : la construction de la première phrase, du paragraphe initial ?

Écrire, c'est écrire des mots, mais un mot seul n'a pas, ou peu, de sens. Il s'agit alors, pense-t-on, d'organiser ces mots en groupes ... A groupe, je préfère « grappe »: deux mots si proches par la structure, voire le son, mais si éloignés par la poésie; que d'évocations possibles dans « grappe » : forme et richesse des grains côte à côte, presque joints, se touchant, s'effleurant à peine et pourtant si solidaires et complémentaires. Sans compter le vin, mais ceci est une autre histoire...Seule la grappe permet de garder la valeur du mot. Si je devais donner un avis, ou apporter un conseil, j’affirmerais que pour capter un public, il faut faire preuve d’une certaine tenue : de l’originalité, certes, mais attention au piège de la facilité : la place d’écrits racoleurs est déjà prise par d’autres publications. Ne devenons pas un « média » qui ne vit que le temps de la mode, ou celui imposé-soit disant- par l’actualité et qui nous fait sautiller superficiellement d’un sujet à un autre. Si je devais présenter « Carnet d’Art », je répèterais que beaucoup trop de choses autour de nous, nous engagent à ne pas réfléchir, à nous contenter de lieux communs, d’un langage qui partage le monde clairement en blanc et noir. Un monde sans pensée, émotion, ni imagination. « Imaginer, écrit Alberto Manguel, c’e st dissoudre les barrières, ignorer les frontières, subvertir la vision du monde qui nous est imposée ». Je dirais notre volonté d’ê tre rebelle et indocile, d’aller plus loin pour que le désir de culture naisse et renaisse et que nous puissions être, dans les chemins classiques, comme hors des sentiers battus, ceux qui veulent recevoir et transmettre. Patrick Rhodas - Rédacteur en chef

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Le cœur Puis-je seulement dire que quelque chose me tient à cœur. ça m’effraie de penser ça. J’ai toujours été très extrémiste, donc soit je me métamorphose en bloc de glace et ne suis touché par rien, soit tout m’atteint, me transperce et me tue. En ce moment c’est la deuxième proposition que je mets en pratique. C’est fatiguant. Je ne comprends alors pas pourquoi je fais ça, la seule réponse que j’ai pu trouver c’est que comme ça je fais contre poids avec mon amour. Qui lui est de glace naturellement, et ne connaît même pas la valeur de ce qu’est être feu face à n’importe quelle situation. Quand je dis être feu il faut l’entendre correctement. Mon amour est feu. Mais il est feu du présent, il est feu de caractère mais dans la vie il est bois. Comme cet énorme arbre que personne ne peut détrôner de sa suprématie forestière, et un jour, après des siècles d’existence, il pourrit, il meurt, et tout le monde se souvient de lui parce qu’il oxygénait des milliers d’êtres vivants, et tout le monde raconte les souvenirs, les histoires, les légendes, les contes nés sur ses branches. Moi je suis feu dans la vie, personne, même pas moi, ne peut tracer mon itinéraire, je peux m’éteindre aussi facilement que m’allumer, je tiens chaud l’hiver dans la cheminée, je suis sympa l’été dans un camping sauvage, je suis utile dans un barbecue, je suis destructeur, je me détruis en même temps que je détruis, et surtout, malgré cette destruction auto-annihilante, je suis attirant, comme l’est la flamme sans cesse en reconstruction, regardée par ces hommes et ces femmes avec leurs yeux si juvéniles. Qui parle. Ils parlent de moi. Beaucoup parle de moi. ça berce mon mouvement. ça peut m’exciter comme m’endormir. ça dépend du vent. ça dépend des jours... C’est plus dur de parler de moi. Mais je préfère. Pourtant je ne le fais pas. C’est une de mes plus grandes frustrations. ça fait angoisse à présent. [...]

Tu m’as attrapé par mon égo. Cette faculté qu’il a de dilater le temps.

Emmanuel Moreaux

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Pourquoi toute cette plaidoirie me direz-vous ? Je vais y venir, patience, l’art se déguste. Je parlais d’aventure et ce n’est pas par orgueil que je nomme ainsi ma péripétie. J’ai effectivement passé assez de temps, trop de temps peut-être, à vivre sur un mode 'passif', ambassadeur de l’inaction ne fondant mes expériences que sur les accords de mon propre ressenti, pour ne pas apprécier ce qui m’est arrivé. Griffonner sur du papier, tenter, sans réel but, de remplir cette surface tragiquement vide avec des mots, n’a, en soit, aucun sens. Pourtant, il m’a été accordé une faveur : faire bon usage de ces milliers de mots que mon stylo tremblotant laisse derrière lui. Comment ? En redécouvrant l’art, grâce à cette volonté qui nous pousse à partager notre savoir et à découvrir celui d’autrui. Bien entendu vous l'aurez compris, je parle de la naissance de « Carnet d’Art ». Une sacrée aventure, une épopée, voire un pari risqué. Tout artiste se trouve un jour confronté à ce dilemme millénaire : le besoin de reconnaissance. Tôt ou tard, un artiste a besoin de confronter ses talents aux critiques et aux ressentis du monde extérieur, par arrogance, par fierté, par mépris, mais surtout pour se persuader que ses œuvres existent vraiment. Moi-même j’ai été habité par ce sentiment. Écrire un livre et serrer des mains sur les plateaux télé, le rêve américain il parait ! Si j’ai été habité par une telle envie, le courage, lui, n’a malheureusement pas élu domicile dans mon cœur. Mais ça va changer, ça a déjà changé. Le jour où le directeur de la publication m’a contacté pour me parler de ce projet de magazine j’ai bien entendu été intrigué, mais j’ai vraiment été abasourdi lorsqu’il m’a proposé d’en être acteur. Quoi de plus stimulant qu’une promesse d’un passage de l’ombre à la lumière ? Il n’en fallait pas plus. Deux semaines plus tard me voilà assis à la table de rédaction, entouré de personnes certes plus expérimentées que moi, mais toutes animées par une même volonté : partager notre culture, poser l’art comme élément unificateur du monde, comme plateforme d’un réel échange. Réunion au sommet du vide. Le lieu ? Un repère d’artiste, plus exactement un atelier de restauration de peinture dans lequel plane l’odeur acre et enivrante des pigments et des vieilles toiles. Réfugiés dans la mezzanine, sous la clarté pâle et douce qui traverse le toit de verre, nous parlons de nos envies, de nos attentes, mais aussi de celles de nos futurs lecteurs. Entre les hauts plafonds résonne un bouillonnement d’idée : des projets, des ambitions, et toujours ce désir de faire quelque chose, de vivre une expérience, remuer la vasque blanche de l’espoir. Je pense que vous

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Emmanuel Moreaux

n’aurez aucun mal à me croire si je vous avoue que j’ai eu peur. Une crainte devant les difficultés à venir, mais toujours une crainte qui stimule, qui encense, une peur créative, comme peuvent l’être la souffrance ou l’amour, ces deux côtés du même miroir. Après tout, c’est une chance, ma chance pour prouver aux autres et à moi-même que je suis capable de faire quelque chose, ne pas ruminer bêtement dans mon coin mon antipathie envers ce monde. J’ai commencé par quelques articles, histoire d’entrainer ma plume à prendre le rythme qui ne tarde pas à devenir effréné. Tout est à faire, à construire, à écrire. Et bien-sûr une myriade de doutes et d’interrogations viennent se joindre à la danse de nos esprits : quelle ligne éditoriale ? Quelle chartre graphique ? Est-ce la bonne mise en page ? Où est passé ce foutu article ? Quel est le temps de gestation de notre génie ? Pourquoi il n’y a plus de café... ? Nous n’en sommes qu’aux prémisses, aux balbutiements d’une histoire que nous espérons tous amener à maturité. Nous ne sommes jamais assez de mains pour dessiner la première esquisse, mais c’est avant tout l’échange d’idées et l’amour pour l’art qui dicte notre conduite. Multiplier les rencontres, les entretiens fortuits, les coups de téléphone frénétiques. Vivre autre chose : périple nocturne à Lyon pour le tournage d’une émission, interview d’artiste, concertations inachevés, consternations inavouées, le tout dans une ambiance résolument enivrante. Je pourrais encore vous conter de nombreuses histoires à ce sujet, vous expliquer mes envies, mon obsession du « bien dit », mais ce serait vous gâcher le plaisir. Ce plaisir que nous voulons transposer entre ces pages : découvrir par soit même le monde et regarder avec plaisir son reflet dans l’art. Le mot de la fin ? Il n’y en a pas, pas encore, c’est trop tôt. Je vous confie donc la tâche d’explorer la suite… Killian Salomon - Rédacteur

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La recherche de l'objectivité Le théâtre, comme tout art, est l'essence de la limite entre la nature et la culture humaine, un besoin d'expression de la fatalité, de l'universalité de la condition humaine. L'art entretient un rapport particulier avec la réalité commune à tous, qui ne suffit pas à l'homme pour un épanouissement total, l'art en est l'échappatoire. Le philosophe explique la réalité des choses. L'artiste met en valeur la non-réalité des choses. à partir de là, le philosophe comme l'artiste, ne sont pas obligatoirement novateurs. Ne sont pas obligés de créer, d'énoncer des inédits, ça n'en fait pas pour le moins des non-philosophes, ou des non-artistes. Par contre, c'est un philosophe, ou un artiste, bas de gamme. Il suffit d'avoir des objectifs de vie plus ou moins mégalomanes. L'œuvre exprime si le chef d'œuvre fait parti d'un rêve ou d'une réalité. Il faut laisser ensuite au spectateur le choix, la liberté d'expression de son propre sentiment dans cette limite qui est fixée par l'œuvre entière du créateur, du rêve ou de la réalité. [...]

Je voudrais pouvoir disparaître et ne te laisser que mon cœur.

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Carnet d’ar t, au démarrage, c’est pour moi un saut vers l’inconnu. Et si je passais à côté de quelque chose en passant mon chemin ? Alors pourquoi pas ? Le vaste monde de l’art, de la culture, voilà de la matière pour écrire de beau x articles. Mais comment les traiter ? Dans quelle direction aller ? On me répond "de man ière décalée". Oui, mais par rapport à quoi ? Je me lance sans trop cerner la ligne éditoriale. Sur des sujets que je connais e t en rapport avec ma profession de rédactric e : la biographie, l’orthographe. Des port raits d'ar tistes dont j’aimerais faire découvri r l’univers. La présentation de l’auberge Lamartin e. Il y a aussi tous ces sujets en attente ou en préparation : Little free library®, l’artiste Claire Pollier, Bartabas… Finalement, je me prends au jeu. Le magazine m’offre un espace de liber té dans un cadre défini. Rédactrice, je prends mon rôle au série ux. Celui de faire découvrir des facettes méconnues de l’art et de la culture. De sortir des sentiers battus. De faire aime r des artistes. De faire jaillir la lumière. De faire réagir. De faire réfléchir. De faire douter de ses convictions. D’ouvrir l’esprit. De faire s’élever. De faire naître des vocation s. D’ouvrir des portes. De proposer des chem ins... Sophie Ascenci - Rédactrice

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Le ciment de nos différences Le ciment de nos différences. Les briques seront l’amour corrélatif pour l’art, pour les grandes choses, pour l’amour. Notre amour des grandes choses, un plan grandiose. Aussi grand que nos grandeurs, que notre grandeur. Aussi grand que nos ambitions, que notre ambition. Aussi grand que nos talents, que notre talent. Voilà maintenant l’envie, qui semble éternelle, d’écrire, de t’écrire, de créer, avec toi, que l’on puisse les monter, leurs marches de Cannes. Nos chaussures sur leur tapis. Notre image dans leurs yeux. Nos créations dans leurs salles. Notre art dans leur esprit. Voilà le début d’une grande chose. Celle de l’amour de personnes qui se sont rencontrées pour rester inscrits dans les livres de l’histoire, de l’art et de la vie. [...]

La Genèse, quoi qu’en disent les barbus, nombreux depuis la création du monde, n’a pas pu se faire en sept jours. Nous sommes les témoins privilégiés du résultat de millénaires d’é volution. Notre passage s’impose avec heurts et fracas sur notre environnement. Laissons aux architectes du futur le loisir de peaufiner notre intrusion massive ici-bas. Laissons à nos hommes politiques de tous bords le loisir de manipuler les masses. Laissons enfin aux amuseurs, artistes et autres protagonistes de nos besoins immatériels, le loisir de nous élever et nous distraire. "Des idées les plus simples sont faites, les plus belles choses. Naissent naturellement les beaux projets, de belles rencontres." Moi. « Carnet d’Art » a vu ses premières heures au fond de l’esprit dérangé d’un fou gentil, utopiste et partageur qui prenant les rênes de ses idées a su rassembler de nombreux acteurs de ce que nous nous permettrons de nommer culture. Carnet d’Art, tel que nous souhaitons vous le proposer, est un voyage parmi les artistes et les acteurs de notre culture. Chaque région, chaque département, chaque ville a son propre tissu culturel. Nous souhaitons, par le regard de ces artistes, par leurs problématiques, leurs souhaits, leurs réussites et leurs doutes, vous faire partager leurs visions du monde et ainsi mieux comprendre la votre. Ce n’est pas un pari prétentieux, mais une invitation à regarder l’artiste par les yeux de son œuvre. 0 : 0 : 59 : Les moyens se rassemblent, les énergies aussi. 0 : 1 : 00 : Cette première heure est passée, il a fallu neuf mois pour l’accoucher. Que vivent ces sept jours ! Emmanuel Moreaux Directeur technique, photographe

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J’ai l’impression que mon corps vieillit trop vite. Je suis un écorché vif de cette vie dont tout le monde parle, que tout le monde évoque, mais que personne ne fait.

Emmanuel Moreaux


L'acteur ne sert qu'à ouvrir la porte du monde des sensations, et à se présenter à fleur de peau, pour ainsi dévoiler, dans une nudité objective, le passage entre l'univers réel et le temps subjectif, créateur.

Emmanuel Moreaux


Une idée de l'art Un directeur d'acteur connait plus les autres que lui même. Je ne suis pas du tout partisan du « pour connaître les autres il faut avant tout se connaître soi même »...quoique...dans la vie des êtres humains cette généralité est peut-être vraie, sans doute. Seulement un directeur d'acteur (un metteur en scène n'est rien d'autre qu'un directeur d'acteur, la mise en scène n'est pas un métier, pas une vie, la direction d'acteur oui), n'est pas un être humain. Un directeur d'acteur est un démiurge, un démiurge de cette espace vide qui vit avec le seul regard ne serait-ce que d'un unique spectateur. Seulement, comment donner la vie à cette vie ? Passer de la vie à la profondeur infiniment effrayante et vide, à la vie infiniment spectaculaire, colorée et chaude, une vie qui fait théâtre, une vie qui fait cinéma, une vie qui fait littérature ou poésie. Là se trouve la situation douloureuse du metteur en scène, entre le vide absolu et la magie de l'espoir, de l'envie, de sentiments, de pulsions et surtout...la magie d'amour. Le reflet de l'art, c'est la vie. La vie est l'art, et non pas le contraire. En effet l'art ne peut, par définition, pas se soumettre à une quelconque dictature. Dictature de la censure durant les guerres, celle de l'empirisme durant le règne de notre national Napoléon, celle de la honte durant les années qui suivirent les exterminations racistes, ou, aujourd'hui, celle de la mondialisation. La définition est simple. L'art est libre, l'Art qui dépend de quelque chose qui lui est extérieur n'est pas Art. L'œuvre n'en est pas une si, lorsqu'autre chose qu'elle même est absent, elle ne peut pas se voir confronter à la réalité. [...] Carnet d’Art 47


Mon cher Armistead,

Tu m’as demandé de manière trop pressante pour que je ne m'exécute, ce que je pensais de l'idée d'une revue d'art, artistique, culturelle, esthétique tant sur le fond que sur la forme : tu sais tout le bien que je pense, a priori, de toutes les idées qui émergent sans crier gare, et c’est accoudé au bar du Train bleu dans cette gare de Lyon que j'affectionne 1 que je t'envoie, cher ami, ces quelques lignes hâtivement griffonnées entre deux départs vers lesquels j'hésiterai jusqu'au sifflet du départ : ou Venise et le Trans-Europe- Express, ou l'Orient express et Byzance. Tu me demandes si ce projet polymorphe a eu des prédécesseurs? S’il te faut donc bâtir sur du sable (auquel cas je te proposeraiS bien plutôt la plage d'Étretat aux galets ronds) ou sur du rocher granitique résistant à toutes les tempêtes, voire les plus pernicieuses, celles des conseilleurs impécunieux ! Bah... Bref tu cherches un parrainage, mais tu n’as pas besoin de mes conseils, le pari est bon, tenons-le. Voici pourquoi : j’ai connu en son temps une revue d'art qui se nomma fièrement : MINOTAURE, non pas "le" minotaure, voire "un" minotaure. Mais : Minotaure. Tout simplement. Et cette revue entraînait derrière elle immédiatement le scandale de jeunes filles enlevées alors qu'à peine pubères, elles rêvaient du prince grec voire crétois 2 et charmant, du monstre tapi dans sa caverne, bondissant et rugissant, du labyrinthe dans lequel il s'était réfugié contre la bêtise déjà très répartie autour de lui. Une revue de taureau en somme. Il était alors question d'envoyer balader tous les poncifs, les habitudes et autres platitudes, les fausses idées trop conventionnelles pour être vraies, de piétiner les forts en thème, les sujets prodigues, les individus claustrophobes, bref : ceux qui n'ayant rien à dire s'efforcent de le faire savoir à cor et à cris. Et cette aimable revue de donner la parole à Charchoune, Dufy, Max Jacob et la délicieuse Marie Laurencin, à Lurçat, Modigliani, Soutine... et d'autres, enfin tous ou presque gens de mauvaises mœurs, soûlards accomplis, pourfendeurs des valeurs de la société assoupie. Qui mieux que Minotaure pouvait envahir nos cimaises, bousculer nos paravents, bouleverser nos convictions ? Il faut dire que le taureau, le TORO n'est pas ce qu'on voudrait se borner à croire : c'est l'animal le plus doux, le plus affable, le plus bienveillant. 3 Faut juste pas l'agacer, ce que les hommes (pas les femmes) tentent trop souvent et à leur détriment. Tu n'es pas sans savoir - manière de te dire que tu l'as oublié, ingrat - qu'une tradition d'élevage de toros se perpétue dans ma famille d'adoption depuis des générations. Mystère qu¹est cette masse énorme au regard si doux, admirée tant des filles à califourchon sur les barrières de bois brut, que des enfants sages ; personne ne dit : "si tu n'es pas sage, le taureau va te manger...", les filles diraient : "chiche !" et les enfants riraient de bon cœur. Le taureau s'appelait Albert Skira... et Minotaure était Picasso, pour sûr, dont je te parlerai un autre jour, si tu m'en laisses le loisir. Et la revue proclamait : "En vous abonnant à MINOTAURE vous recevrez quatre livraisons formant ensemble un magnifique volume de 300 pages contenant un grand nombre de textes inédits 400 reproductions dont un certain nombre en couleurs et ceci pour 100 francs" Qui dit mieux ? Qui relèvera le défi ? Cette revue parla de Baudelaire 4, le maudit poète, de Sade, le sulfureux marquis, du sombre Degas, du Roman noir, du Symbolisme, du Baroque... Il faudrait tout annoncer, tout citer et tout lire à l'éclairage du XXIème siècle actuel qui sera contemporain ou ne sera pas. Mais n¹anticipons pas. D'ailleurs, aujourd'hui, de qui, de quoi parlerait-on dans les mêmes termes ? Il y a foule autour de l’arène, aucun toro ne craint la muleta, les picadors aiment les chevaux. Frémissons un instant, à la lecture de ces quelques lignes de l'éditorial du n° 12-13 : " Devant la faillite incontestée du rationalisme, faillite que nous avions prévue et annoncée, la solution vitale n'est pas dans le recul mais dans l'avance vers les nouveaux territoires. Ces territoires, notre ambition a été de les désigner, de les définir. Notre rôle..." etc... tout ça écrit en 1939. Mais ne soliloquons pas. Bref, on a envie de les embrasser, de les imiter, de les suivre, de les dépasser peut-être au grondement des taureaux galopant dans la plaine infinie. Ils nous donnent envie de faire comme eux ! Et on va le faire ! Voilà mon cher Armistead, quelques phrases jetées, à l'arraché. Comprenne qui voudra. Tout est dit, il n'y a qu'à lire. Ton ami, Philoxène de Cythère

48 Carnet d’Art


(1) le fait qu'il y a belle lurette qu'on ne puisse plus s'accrocher au bar de cette salle immense au premier étage de la gare de Lyon à regarder les madones noires passer lentement, un long fume cigarette à la main laissant flotter le tabac égyptien échappé de leurs lèvres purpurines, montre assez que l'imagination aura encore, et pour longtemps le dernier mot...

la vérité sur l'état du monde qui nous entoure en ne citant que des faits avérés, du moins concentrés entre guillemets.

(2) je ne saurais trop insister sur ce fait anodin que tous les crétois étant menteurs, ce que tout lecteur averti aura compris, cette histoire se contente de dire...

(4) poète français mort en Belgique. Et comme il faut tout expliquer, il dédicaça à Philoxène Boyer un album... et c'est pourquoi mon père, etc...

(3) ce n'est pas Bérurier, l'ami des faibles et des opprimées qui me démentira ; ou alors organisons un colloque pour en parler à Bourgoin-Jallieu, par exemple.

Une culture élitiste pour tous "Le public du théâtre est restreint, certes, mais nous ne prenons pas ça comme une fatalité, et voulons, sans tomber dans la soupe populaire ou le divertissement vulgaire, offrir à nos spectateurs une réelle aventure sensorielle. Redécouvrir nos sens premiers. Tout d’abord la vue, l’ouïe, le toucher…mais aussi arriver à sentir d’où vient le désir passionnel, qu’il soit platonique ou érotique. C’est sans doute quelque chose comme notre amour pour l’être humain et son esprit qui nous pousse à proposer cette forme poétique qui se caractérise par une folle profusion de poésie. Amour que nous nourrissons en faisant du théâtre, qui nous pousse à rendre vivant la belle magie des mots en nous adressant à un large public. Nous efforçant d’être des hommes et des femmes qui utilisent du mieux qu’ils le peuvent leur fabuleuse capacité de penser comme des êtres humains, nous sommes hantés par des questions sans fin.

‘Comment transpercer cette enveloppe charnelle ?' ‘Où est-elle notre guerre à nous ?’ Une seule question, il me semble, peut trouver sa réponse. ‘Qu’avons-nous à dire ?’

La réponse est utopique, elle est fantasme, sans doute jeunesse mais n’est pas et ne sera jamais pure insouciance. C’est dans un souci de protéger une innocence humaine certes, mais surtout d’obtenir une belle perspective du monde dans lequel nous vivons, et une réelle considération pour l’humanité qui grandit aujourd’hui pour vivre demain, que nous nous levons tous les jours pour aller exercer notre art, celui fabuleux du Théâtre… Nous découvrons un peu plus chaque jour, l’importance de la présence de l’art dans la vie d’un être humain. Dans ce monde qui aujourd’hui réclame une ouverture vers la culture d’autrui, et la compréhension de la culture mondiale, nous sommes convaincus du pouvoir de l’art pour prévenir les différents qui divisent les populations aux quatre coins du monde. C’est un message de paix, peut être, qui explore la fascinante beauté physique et pulsionnelle de l’être humain. Nous croyons en l’Homme et sa capacité de transcendance. C'est une sorte de trilogie. Celle qui choisit l'amour, qui choisit les sciences, les religions et les connaissances, celle qui choisit les drames qui touchent les hommes de la terre entière. Nous évoquons là de grands concepts de

sciences humaines. De grands concepts qui restent des abstractions. Une idée n'est pas palpable dans une réalité physique. Une idée n'est que du rêve. Ces idées sont les matières qui forment nos rêves. Nos rêves sont ceux que nous concrétisons sur ces scènes que nous traversons. Ces rêves qui traversent nos spectateurs. Les rêves que nous formons sur scène, devant les yeux de notre public, sont l'expression du monde tel que nous voulons le voir. Ou bien au contraire tel que nous ne voulons pas le voir. Plus le voir. Les rêves en réaction au monde. Des rêves toujours ancrés dans cette réalité quotidienne dans laquelle nous nous enfermons, pour mieux, ensuite, en sortir...en rêvant... en y allant...au théâtre. C'est une description de l'être humain, de son essence, de son passé comme de son devenir capté dans un présent engagé dans cet engrenage que nous bâtissons chaque jour, afin de permettre, un instant, rien qu'un instant qui disparaîtra comme il apparaîtra, moment de bonheur, moment...de rêve. Je ne sais plus si c'est l'homme qui fait l'art, ou l'art qui fait l'homme. Cependant, un besoin pressant d'exposer au monde ces choses si importantes et pourtant si banales de notre vie quotidienne à tous, se fait sentir. Devoir se battre pour pouvoir crier au monde le devoir que nous avons en tant qu'homme de ne pas "s'auto-aliéner". Dire, à ceux qui le savent un peu, que nous devons nous extraire de notre propre vie pour courir vers une sorte de vérité suprême qui n'existe pas, et pourtant que nous cherchons toujours. Murmurer à ceux qui ne s'en doutent même pas qu'il existe autre chose que ce qu'il y a à la télévision. Hurler cet espoir à ceux qui croient chercher cette suprématie de l'âme et qui pourtant s'inscrivent dans une démarche épuisée depuis des décennies. Voilà notre problème ; tout est épuisé. Tout a été fait. Tout a été défait. Lourd héritage que lèguent nos parents, génération sacrifiée par leurs propres parents. Pas le choix. Nous devons nous battre, nous devons reconstruire un monde. C'est beau...et comme toute beauté...c'est difficile, arrachant, épuisant et destructeur pour l'entrepreneur, c'est un sacrifice de nous même. Poser les premières pierres de cette reconstruction du monde. De ce combat contre la destruction du grand esprit humain créateur. Balayage d'années de perditions. Il est là, plus fort que tout, le nouveau monde qui s'imposera à nous."*

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Le reflet de mes yeux « Je voudrais vous demander quelque chose. La terre, elle tourne en rond, c’est bien ça ? Pourquoi n’avons-nous pas constamment la tête qui tourne ? Si elle tourne, et que nous sommes sur elle, nous tournons aussi. Non ? D’accord. Avant de continuer, je dois vous dire que j’ai le cœur gras. Je suis malade. J'ai le cœur gras, mais c'est ma tête qui est encrassée. Je suis malade. Une sorte de corps étranger dans mon cerveau. Qui m'empêche. Je suis malade, et en plus je fume, pour mourir plus vite…de toute façon la maladie de la mort, on l’a tous. Je vais bientôt y passer. Dans l’autre endroit dont tout le monde parle. Vous je ne sais pas, mais moi je sais que je vais bientôt y passer. Bonjour la tristesse ! C'est pour ça qu'il n'y a pas d'enfants, uniquement des personnes qui ne sont pas conscientes de ça. De la maladie de la mort. Vous m'avez attrapé par mon égo. Alors que, bien utilisé, c'est ce qui fait la force d'un homme, l'égo. Vous avez voulu me détruire. Quand je savais jouer, je l'avais mon égo. Quand il a été détruit, par la force suprême, je ne savais plus jouer. Maintenant, c'est trop tard. C’est trop tard depuis longtemps déjà. Je n'ai pas su me battre contre ça. La force suprême. Quel fléau! Tout ce contre quoi je me battais quand je jouais. Maintenant, c'est trop tard. "Penser en accord avec soi-même. Penser en accord avec tout autre. Toujours penser en accord avec soi même." (Kant) J'ai lu ça autrefois. Voyez-vous ce splendide paysage? Moi aussi, je le vois. Je ne vois que ça. Vous avez la chance de voir ce paysage, et devant ce paysage, un homme. Beau, plutôt bien foutu. Mais moi, cet homme, je ne le vois pas. Parce que c'est moi. Ce n'est pas possible de se voir soi-même devant un paysage. A part dans un film...ou un rêve. Je rêve parfois. Je ne dors pas beaucoup et quand je dors, je rêve ; autrement dit, je ne suis jamais tranquille. Parfois, je rêve que celle qui m'aime me voit. Je rêve parfois qu'elle est parmi vous. Que je ne l'aime pas. Jamais. Que je ne l'ai jamais aimée. Qu'elle est triste parce qu'elle ne m'a jamais cru quand je lui disais qu'elle est la femme de ma vie. Je demande un litre d'opium....par jour, on me dit que ça pourrait me faire du mal....mais comment peut-on faire du mal à un mort? J'aimerais bien pouvoir dire à tout le monde que je suis mort pour la première fois il y a X années...ça fait bien. Mais ce n'est pas possible. »**

« Le monde serait parfait, je vais apprendre pour mon bien ce qui ferait mon bonheur ». (Spinoza) Emmanuel Moreaux

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05/07/2012

Carnet d’Art, rencontres et hasard. Un jour de juin en centre-ville, d’humeur morose, manquant un peu d’activité et de dynamisme dans ma vie. Une rencontre, la présentation rapide du « projet » et me voilà embarquée. Je voulais bien aider, relire, corriger, mettre en forme, bref... me rendre utile, je me suis donc retrouvée à écrire pour la rubrique « voyages ». Enfin, j’essaie … J’ai eu envie de faire quelque chose parce que j’ai été très impressionnée par la qualité de leur projet. J’aime le dynamisme et la bonne humeur. Je souhaite que Carnet d’Art soit un succès ! Yvette Carton - Rédactrice

Générations sacrifiées

Aider un génie pour qu'il fasse, dans n'importe quelle situation, du génie.

Emmanuel Moreaux

Antoine Guillot - Directeur de publication «à mon grand-père, solstice d’hiver.»

NDLR : * Extraits des notes d'intentions des spectacles "Quartett", de Heiner Müller, "L'empereur de la perte", de Jan Fabre et "Amerika, suite" de Biljana Srbljanovic, mis en scène par Antoine Guillot ** Extrait du film "Le reflet de mes yeux" de Antoine Guillot

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La vie est faite de rencontres. Les rencontres sont faites de vies. Portraits de personnalités nous éclairant sur un paysage culturel varié.

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Emmanuel Moreaux

RenCONTrER Carnet d’Art 53


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[ Rencontrer - Musique ]

Emmanuel Moreaux

mohamed abozekry et hee jazz/ Musiciens de génie ?

Guillaume Hogan, le guitariste, a trente ans, il a appris la guitare avant de savoir parler. Il a grandi avec les Beatles. Hugo Reydet, le contrebassiste, vingt-cinq ans, a commencé son instrument à douze ans. Il est né avec du jazz dans les oreilles et a reçu une double formation : classique et jazz. Mohamed Abozekry, le joueur de Oud (Instrument oriental, se situe entre la guitare et le banjo avec le manche plié ), vingt-et-un ans, musicien depuis qu'il a onze ans, plus jeune professeur du monde de son instrument depuis qu'il en a quinze. Né en Égypte. Son jazz à lui c'est la musique Soufi. Anne-Laure Bourget, qui n'a pas pu être là au rendez-vous, est percussionniste. Autant vous dire que ces gars là connaissent leurs instruments. J'aurais à faire, moi qui ne suis pas musicien, à d'excellents techniciens...au moins.

Carnet d’Art 55


Je suis à Lyon. Premier arrondissement. J'ai rendez-vous chez eux. J'entre dans le bâtiment, compose le code. La porte s'ouvre. Comme l'impression de me retrouver en Allemagne de l'Est avant la chute du mur de Berlin. Un escalier en bois. Des câbles électriques qui pendent partout. Les fenêtres de l'escalier ne se ferment pas. Au deuxième étage, les noms sur une étiquette collée sur la porte. Je sonne. J'attends. Pas de bruit. J'attends toujours. Quelqu'un vient m'ouvrir. Un grand gars, mince, des cheveux bouclés. Je crois que c'est Guillaume.

Il se présente. C'est Guillaume. Il me fait entrer dans la cuisine... ce qui leur sert de cuisine. Des ordinateurs portables par terre. Des casques audio accrochés aux portes. Une contrebasse appuyée contre un mur. Sur la table de la cuisine, une bouteille de vin presque vide, des cendriers qui débordent. Installé à table un autre grand gars, cheveux courts. C'est Hugo.

« - Bonjour Hugo, moi c'est Antoine - Yep »

Il y a donc des limites ou des contraintes ?

Ils proposent de me faire une place, de m'asseoir et de prendre une tasse de café. Je le fais. Silence. Mohamed n'est pas là. Je me suis peut-être trompé d'appartement. Je tente tout de même ma chance :

C’est le travail du musicien que d’essayer de repousser ces limites. La rencontre avec une nouvelle personne peut aussi influencer la musique, et c’est ainsi que l’on incorpore de nouveaux thèmes, de nouvelles idées, qui peuvent toucher des gens différents.

« - Alors, tournée mondiale dans quelques semaines ? Nouvel album ? Ca a l'air de marcher pour vous... - Yeap - Ouais c'est sûr que c'est une belle opportunité. On est quand même obligé de se serrer la ceinture pour payer les factures... » Silence. Malgré tout, ces gars sont sympathiques. Silence. La porte de la salle de bain s'ouvre. Et voilà Mohamed. Il sort de sa douche. Pieds nus. L'interview va pouvoir commencer, on s'installe dans le salon. On déblaie la table encombrée. Mohamed s'installe. Les autres ont disparus. Silence. « - Ils sont où Guillaume et Hugo ? - Je pense qu'ils étendent leur linge. - D'accord...alors j'attends. » Ils reviennent. On va pouvoir commencer...

En comparaison à la musique électronique, plus agressive, en quoi la votre est-elle différente ? On essaie de choisir un thème et de raconter une histoire. Il y a surtout différents niveaux d’écoute. La festive, la détente, parfois l’évasion. Si notre musique fait voyager, ce n’est pas un voyage figé. Cela dépend de la culture et de l’ouverture d’esprit de la personne qui l’écoute. 56 Carnet d’Art

Vous jouissez donc quand même d’une très grande liberté ? Je pense que le travail d’un musicien est un travail très libre. On ne me force pas à travailler, si je n’ai pas envie de jouer je fais autre chose. Mais comme c’est une passion, lorsque le plaisir est vraiment, la musique que je fais a beaucoup plus de force. Le seul frein à notre liberté est le système. Mis à part les grandes stars qui empochent des milliers de dollars à chaque concert, pour les musiciens comme moi, ce n’est pas toujours facile. Et si vous devenez demain une grande star qui gagne des millions ? Ca influencera votre musique ? Je ne préfère pas y songer, parce que je ne gagnerai pas des millions et surtout ne veux pas en gagner. Je ne veux pas être spécialement riche, juste un musicien qui gagne honnêtement sa vie en faisant ce qu’il aime. Bien-sûr il y a des jours difficiles où même payer son loyer en fin de mois est délicat. Mais souvent, il me suffit de faire un bon concert pour me relaxer. La réelle liberté de mon métier est de pouvoir s’évader à tout moment grâce à la musique. Et lorsque vous jouez, vous pensez réussir à transmettre cette passion,

La réelle liberté de mon métier est de pouvoir s’évader à tout moment grâce à la musique. donner du bonheur aux gens qui vous écoutent ? Le partage est essentiel. Sans son public, il n’y a pas de musicien. Je veux transmettre ma passion aux gens, c’est un vrai partage. Nous faisons quelque chose pour nous et que nous pouvons communiquer ensuite aux autres. Mais bien-sûr je joue en premier pour moi, je grandis et mûris professionnellement et personnellement au travers de la musique. Il y a deux visages dans notre travail. Le premier où l’on crée quelque chose dont on tire plaisir, et le deuxième où l’on prend plaisir à le partager. Mais écrire des albums n’est pas suffisant. C’est là que les concerts sont indispensables. Ils unifient ces deux parties. Pendant quelques heures on partage vraiment le même plaisir que le public. Et plus spécifiquement à votre musique Mohamed, l’instrument dont vous jouez, le Oud, est très singulier voir presque venu d’un autre temps Pourquoi ce choix de devenir joueur de Oud, et pas n’importe lequel, le meilleur ? Je ne me considère pas comme joueur de Oud, je suis juste un musicien.


Emmanuel Moreaux

Mon instrument est simplement un moyen, un outil que j’ai perfectionné pour exercer mon métier et apprendre la musique. Le Oud est bien-sûr un instrument traditionnel, qui est né il y a presque 3000 ans à Babylone. Ca donne un côté ancestral, mais depuis la musique a beaucoup évolué. Le Oud a fait une belle entrée dans le jazz et la musique d’improvisation avec des artistes comme Anouar Brahem ou Roman Bunka. Aujourd’hui je peux très bien accompagner Guillaume à la guitare ou Hugo à la contrebasse, ce que nous faisons d’ailleurs dans notre groupe Hee Jazz. C’est pour ça que l’on dit que la musique est immortelle. On peut jouer de tout avec tout, il suffit d’y mettre l’envie et la passion.

Vous sentez vous, avec votre groupe, acteur de l’histoire de la musique ? Vous entamez d’ailleurs une tournée mondiale avec Hee Jazz ! Je ne sais pas si on participe à l’histoire de la musique mais j’adore voyager. Et je dois ce plaisir aux personnes que j’ai rencontré et qui m’ont permis de jouer dans d’autres pays. Pour moi la musique est une rencontre ; rencontre entre un musicien et son art, un art et son public, mais aussi avec des personnes uniques qui aiment ce que je fais et qui m’aident à évoluer. Comment vous voyez Hee Jazz et vous-même en tant que musiciens dans dix ans ?

Je ne sais même pas comment je serai demain ! Tout dépend encore du hasard des rencontres et des futurs voyages. Il y a cinq ans je ne m’imaginais même pas en France ! J’ai appris le français seulement deux ans avant de venir ici. Durant ces deux ans où j’attendais une réponse de mon école, j’ai rencontré une réalisatrice, puis un ami avec qui je joue actuellement. Rien n’est défini à l’avance et je ne veux pas me projeter trop loin dans l’avenir, je suis trop jeune pour ça. Le plus jeune et le meilleur professeur de Oud du monde d’ailleurs ! Ce n’est qu’un titre mais c’est vrai que c’est toujours gratifiant d’être reconnu Carnet d’Art 57


pour ce qu’on fait. Ce qui m’ennuie c’est que à cause de ce statut, certaines personnes avec qui je joue font des blocages, alors que je ne me considère pas comme le meilleur, il y a plein de très bons joueurs de Oud, c’est juste que les gens se font une idée, pas toujours juste, au travers des articles qu’ils lisent sur moi. Mais les médias sont aussi un moyen d’attirer les gens vers votre musique, non ? Bien-sûr, on a tous besoin d’un peu de communication. Le problème est que je vois trop de musiciens surmédiatisés qui n’en valent pas la peine. Je ne veux pas faire partie de ce mouvement, rester un peu en retrait de ce brassage médiatique. Je ne suis pas allé à Damas pour prendre le premier prix et dire « Merci beaucoup, je suis le meilleur, à la prochaine ». Non je veux progresser et m’épanouir dans ma musique. Les rencontres m’enrichissent davantage qu’une quelconque renommée. J’ai rencontré à Damas un des meilleurs joueurs de Oud au monde qui n’avait pas le droit de rentrer parce qu’il était Kurde. Ce concours reste une belle expérience mais la vraie musique s’apprécie en dehors des journaux. Le problème avec ce genre de compétition c’est qu’elle introduit une concurrence et dénature le sens de la musique. Elle crée des rivalités entre les artistes, un genre de combat des égos, alors que la musique, surtout le Oud et le jazz, n’est pas une musique que l’on fait seul, ça doit rester un partage avec l’autre. Bien-sûr on apprécie les solos de guitares bien maîtrisés mais si le soliste reste isolé ça ne sert à rien. La musique est un travail collectif. Vous ne voulez donc pas être médiatisé ? C’est le mot « médiatisé » qui me dérange. Mais si ma musique plait à plus de gens, s’ils aiment vraiment ça et que c’est un public avec qui je peux vraiment partager quelque chose, alors ça ne me dérange pas d’être connu. On ne joue pas de la musique pour plaire au plus grand nombre. On regarde ce qu’on peut faire et ensuite si les gens aiment et bien… tant mieux ! C’est là que les tournées ont un avantage ; on apprend à faire de

58 Carnet d’Art

nouvelles choses avec les personnes que l’on rencontre. Il ne faut pas simplement plaire une fois, il faut se réinventer. Ce que l’on décide de faire plus tard se fait par rapport à ce que l’on vit au présent. Votre musique est assez atypique, elle est influencée par diverses origines. Vous pensez être suffisamment compris par votre public ? Elle est originale c’est vrai, mais elle reste accessible, justement parce qu’elle est culturellement riche et variée, de nombreuses personnes peuvent donc s’y retrouver. Je joue la musique qui me plait. Parfois avec des accords jazz très présents, et parfois vraiment orientée vers la musique arabe. Je ne fais pas de calculs en imaginant à qui va plaire ou déplaire ma musique. Je vais là où le son va. Mais pour vraiment apprécier votre musique, il faut venir vous chercher. Ne pensez-vous pas que c’est un frein pour le spectateur d’être obligé de faire cette démarche ? Oui c’est possible. A vrai dire, c’est même normal. Notre musique est

Les rencontres m’enrichissent davantage qu’une quelconque renommée.

spéciale, et les gens qui veulent nous écouter sont des personnes ouvertes, qui ont vraiment envie de voir autre chose. Ce n’est pas une musique vulgarisée, je préfère avoir un public restreint mais un public passionné qu’une foule de personnes à mes pieds qui ne comprennent pas ce

qu’ils écoutent. Que l’on dise que notre musique est jazz ou orientale est en fait loin de la vérité. Il y a énormément de formes de jazz différentes, et la culture musicale arabe change vraiment d’un pays à l’autre. La musique du sud de l’Egypte par exemple est axée sur deux thèmes qui tournent et qui dictent le rythme. Dans le nord on s’approche plus d’une musique orientale classique. Nous voulons mettre dans notre musique toutes ces choses là, puiser dans la richesse de ces différences. La musique orientale est née de la foi religieuse, prenez le soufisme qui est une branche de l’islam évoquant une connexion intérieure de l’homme avec Dieu, un genre de contact spirituel. En Egypte on rassemble trois mille personnes devant une scène pour le dhikr, qui est ma musique égyptienne préférée. C’est une pratique régulière de récitation de poèmes évoquant Dieu ou tout simplement la vie. Imaginez trois mille personnes qui battent le même rythme, qui chantent la même chose, avec une voix de soprano et de bonnes basses ; ça a quelque chose d’incroyable ! Et même en dehors de cette aura religieuse, il y a une connexion qui se crée entre les personnes, tout cela grâce à la musique. La foi religieuse influence donc aussi votre musique ? La foi non, je ne suis pas soufi mais j’aime la musique qui s’y rattache. C’est la beauté de la musique qui m’intéresse, car elle transcende les croyances et même quelqu’un d’étranger à la religion de l’islam où tout simplement à la culture arabe est capable de reconnaître cette beauté. Toutes les religions, quelles qu’elles soient dans le monde, ont utilisé et utiliseront toujours l’art de la musique pour convaincre leurs fidèles, je n’invente rien ! Le métier de musicien et son art en général, a une vraie influence sur l’homme, il l’attire et parvient toujours à le convaincre. Vous êtes donc des sortes de magiciens ? Non c’est un métier. La musique est là, présente. Un accord est bon non pas parce que vous l’avez fait, il est bon simplement parce qu’il est naturellement beau à l’oreille.


La musique est une matière brute que les musiciens travaillent et réassemblent pour que le public apprécie.

musique. Engranger de l’expérience et se nourrir de la richesse d’autrui. Faites éponge, soyez une éponge !

Pour terminer, quel serait votre souhait pour vous ? Pour votre groupe et la musique en général ?

Mohamed, Hugo, Guillaume...merci. On se revoit ici ou ailleurs avec grand plaisir.

Continuer ce que l’on fait en se faisant plaisir. Avancer en s’amusant.

Merci à toi.

Et si les sept milliards d’âmes de ce monde vous regardaient en ce moment même, quel serait votre message ?

Interview réalisée par Antoine Guillot Retranscrite par Killian Salomon

S’il vous plaît, changez ! Allez vers les autres, rencontrez d’autres personnes, ouvrez-vous. C’est la définition de la

Faites éponge, soyez une éponge !

Emmanuel Moreaux

Carnet d’Art 59


[ Rencontrer - Théâtre ]

jean-cyril vadi/ Ma révolte est présente dans des gestes artistiques Il est arrivé bien à l’heure : un bon point me suis-je dit… La quarantaine juvénile, souriant, à peine sur ses gardes, je lui ai donné la règle du jeu : « je peux poser toutes les questions, vous pouvez donner toutes les réponses »; le courant est vite passé.

Jean-Cyril, bonjour, vous avez un itinéraire personnel peu commun : vous commencez par des « humanités classiques », des études supérieures, avant d’arriver à l’écriture, la mise en scène et le métier d’acteur ? Oui, mais je préfèrerais dire «itinérance». J’ai eu un parcours scolaire normal, puis je suis entré en hypokhâgne, sans doute assez adapté à l’institution scolaire, sans trop envisager quoi faire de mieux. Je n’étais pas poussé vers un parcours ou une pratique artistique et assez démuni, à dix-neuf ans, pour savoir que faire de ma vie… Des études de littérature et de philo, car penser m’avait toujours préoccupé. Puis, j’ai ressenti la nécessité de me prendre en main, j’ai arrêté, j’ai voulu faire quelque chose de sensé… J’ai disparu. 60 Carnet d’Art

Vous avez quitté la France ? Ma volonté était de disparaître pour éviter de mourir. Sans Internet, ni portable, j’ai pu partir sans laisser d’adresse…Partir et vivre la vie de quelqu’un d’autre. Moi c’était Gombrowicz*, l’Argentine, les cafés, assez lyrique ! Mais, à l’agence pour acheter mon billet, je tombe sur un de mes prof. qui me dit : « j’ai besoin de quelqu’un à Vilnius ». J’ai alors négocié la validation de ma licence et me voilà parti comme lecteur en Lituanie. En dehors des cours, j’ai fait, là-bas, beaucoup de choses : de la musique rock, sur les traces de Gombrowicz, mais, un vrai voyage, pas seulement un déplacement ou un survol ; un voyage dans le dépouillement, seul et je suis resté quatre ans. Des années de formation, donc, et comment glissez-vous vers le théâtre ? Avec la musique et mon travail de prof, c’est la découverte du public et de cette prétention d’avoir quelque chose à dire aux autres. Je renoue avec la littérature avec le

montage d’un journal francophone et la participation à un atelier théâtre à la fac. Par le hasard des rencontres, un metteur en scène lituanien cherchait un acteur parlant avec un accent étranger… et voilà !

D’abord acteur, et… ? J’ai très vite été intéressé par la mise en scène, accompagner les autres, à raconter une histoire sur le plateau, une formation à l’ancienne en quelque sorte, je ne crois pas que j’aurais pu suivre des cours en conservatoire et là, j’ai commencé à écrire une pièce.

cette prétention d’avoir quelque chose à dire aux autres


Directeur de la compagnie ÂŤ les amis de Franck Nogent Âť

Emmanuel Moreaux


Emmanuel Moreaux

Comment s’est fait le cheminement vers la direction artistique de votre propre compagnie ? Quand je reviens, je fais l’expérience de l’enseignement à Argenteuil : je n’étais, sans doute, pas assez solide pour ce métier et puis je préférais un public à un auditoire. Quelle différence ? Un auditoire vient pour apprendre des savoirs assez dogmatiques, tandis que le public peut vous jeter des tomates, il a payé et ce qu’on lui dit n’est pas la vérité. Cette envie de former ne vous a pas quitté, vous-même êtes allé dans les prisons ? J’ai eu cette expérience pendant un an, très dure, et je me suis aperçu de la violence que ces actions faisaient monter en moi. Et j’ai aussi été préparateur mental de l’équipe de France pour les championnats du monde de coiffure. C’est la découverte d’une technique, c’est un laboratoire humain, on doit constituer un groupe fort ; ils ont d’ailleurs quasiment tout gagné. Avez-vous une définition de « metteur en scène » et à quel type appartenezvous ?

62 Carnet d’Art

Le metteur en scène, c’est celui qui fait trouver les histoires et surtout la manière pour l’acteur de les raconter. Je ne suis pas directif, pas une terreur de plateau. En revanche, je pars du plateau. Je n’ai pas de mise en scène déjà écrite, je ne travaille pas avec le scénographe en amont. Les acteurs sont sur le plateau, on a un texte, peu de travail analytique à la table. Voilà. Pour moi, le théâtre se fait sur le plateau : si on trouve la cohérence sur le plateau, ça marche. Il faut la puissance créatrice de l’imagination et l’expérimentation de la liberté individuelle. Je ne suis pas pour la suprématie du metteur en scène ; il faut que les acteurs pensent aussi et ne soient pas que des gens que l’on guide.

Je me revendique comme auteur, pas comme écrivain. On en a un exemple avec votre dernière création théâtrale, du texte à la scène : Vie, mort et résurrection de Christophe Morel ; il n’y avait donc pas de texte avant ? Non, d’ailleurs, il n’y en a toujours pas de définitif. C’est ce que j’appelle un

texte de metteur en scène, car le texte n’est pas tout, il existe, mais au même titre que le corps des acteurs. à la genèse de cette création, on retrouve un nom, elle comprend 14 tableaux ; cela vous rappelle quelque chose ? Le déroulement de cette histoire est un peu long et complexe. Au départ, je suis en résidence à la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon ; je monte un de mes textes, Je te connais depuis longtemps (le thème de l’absence et de la mort y sont très fortement présents). Et cela m’amène à une réflexion sur le deuil qu’on porte en soi ; je suis également influencé par la légende de Saint Christophe, le passeur d’une rive à l’autre de cet enfant, divin, peut-être et qui lui donne la lumière. La vie de Jésus de Bruno Dumont* me marque aussi ; et pour finir, le besoin surgit en moi de transposer la vie du Christ dans notre monde contemporain de violence. la pièce n’est pas encore montée. Je me revendique comme auteur, pas comme écrivain. Je termine, en ce moment, l’écriture d’une autre pièce : Fuck le millenium ! qui montre la force de ma colère. J’en suis arrivé au bout de ce je pouvais faire seul, je vais donc le jeter en pâture aux acteurs… mais je ne suis pas sûr que quelqu’un voudra la produire. C’est sur le plateau que le texte devient pertinent, là, on se pose les bonnes


questions, on considère les aspects scéniques, pas seulement le sens. Être acteur, c’est un métier sportif ? Si c’est avoir une hygiène de vie, non ! On peut, sans doute, mettre son corps et son esprit au service d’une performance, comme dans la danse, mais je ne suis pas dans cette attente ; je pense qu’il faut mettre son corps et son esprit au service de l’imaginaire. Quel est votre rapport à la critique et aux commentaires (de la presse, par exemple) ? Très mauvais : on n’a que peu affaire à une vraie critique, c’est, trop souvent de la paraphrase ; dans ce cas ça ne m’intéresse pas, je ne la lis pas. Ce que j’attendrais d’un critique de théâtre, c’est d’abord qu’il sache ce qu’est le théâtre, qu’il soit intelligent,

qu’il montre les liens et qu’il puisse dire ce que lui a vu et entendu, pourquoi, comment… Un mot revient quand on vous écoute et qu’on lit votre biographie, c’est « révolté » ? C’est vrai, même si ça fait un peu adolescent. Mais comment ne pas l’être de nos jours ? C’est d’ailleurs ce qui m’intéresse dans La vie de Jésus. Tout me révolte : la bêtise ou la « bienpensance » des journalistes qui parlent à la place de ceux qu’ils interrogent : ils sont, comme disait Philippe Muray*, « ces hommes qui meurent en bermuda ». Ils paraphrasent le monde, ils ne font que mettre le monde entre guillemets, sans tenter de comprendre ou d’expliquer. Ou encore, j’ai du mal à ne pas me révolter quand je vois ce qui

se passe dans le train et quand j’entends ce qui se dit dans le bus. Voir et entendre mes concitoyens. Je pense qu’il nous faudra arriver à un vrai extrême ; on ne dit pas assez non, on n’agit pas assez. On reste au niveau de l’indignation, et après ? Ma révolte est présente, pour le moment dans des gestes artistiques, mais je sais qu’elle est limitée. Aurais-je un jour assez de courage pour aller à l’insurrection ? J’ai mes lâchetés, un enfant, bientôt deux, je convertis ma révolte dans mes productions artistiques : Fuck le Millenium par exemple. Et je voudrais qu’elle soit magnifique… Le jour où j’arrêterais la mise en scène, je voudrais ne plus rien faire et disparaître. C’est tout de même étrange : à chaque fois qu’une personne disparaît, jamais la société ne se remet en question. La disparition de quelqu’un est un discours sur la société, non ?

Je voudrais une vraie disparition ...

Emmanuel Moreaux

Carnet d’Art 63


questionnaire de proust/ 1- Le principal trait de mon caractère. La colère 2 - La qualité que je préfère chez un homme. La colère 3 - Ce que j’apprécie le plus chez mes amis. L’humour 4 - Mon occupation préférée. Quand je m’occupe, c’est mauvais signe… Enfin, marcher 5- Mon rêve de bonheur. Un pays comme l’Islande…

8 - Mes auteurs favoris en prose. Céline, Proust, P. Muray… Balzac, aussi

15 - Ce que je déteste par-dessus tout. La bienséance, la bien-pensance

9 - Mes poètes préférés Apollinaire

16 - Personnages historiques que je méprise le plus. Je ne sais pas si j’ai du mépris, en tous cas, les gens petits

10 - Mes héros dans la fiction. Spiderman, quand j’étais petit… Starsky et Hutch 11 - Mes compositeurs préférés. J’écoute surtout du Rock dépressif 12 - Mes peintres favoris. Vermeer de Delft, pour la lumière

6 - Quel serait mon plus grand malheur ? 13 – Mes héros dans la vie réelle. Qu’on ait fait tout cela pour rien Un aventurier : Nicolas Vannier, ou plutôt Mike Horn 7 - Ce que je voudrais être. Un oiseau 14 - Mes héroïnes dans l’histoire. Une femme révoltée dans un pays où elles sont voilées de la tête aux pieds

17 - Le don de la nature que je voudrais avoir. L’invisibilité 18 - Comment j’aimerais mourir. Dans mon lit… Ou alors, en pleine Révolution 19 - État présent de mon esprit. Occupé à répondre à vos questions 20 - Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence. Celles qui sont commises par ceux qui ne le savent pas 21 - Ma devise. En avant, marche ! Mais ça fait un peu militaire… Propos recueillis par Patrick RHODAS

* Philippe Muray (1945 - 2006) Ecrivain et essayiste français. Il n’a cessé de combattre le monde moderne sous ses diverses figures. Sa prose, conformément à la tradition pamphlétaire, est riche de formules et de raccourcis. « Je n’ai pas cherché à donner un tableau de notre société. J’ai fait l’analyse de l’éloge qui en est fait. » * Vitold Gombrowicz (1904 - 1969) Ecrivain polonais. Ses œuvres sont caractérisées par une analyse psychologique profonde, un certain sens du paradoxe, un ton absurde et antinationaliste. Son premier roman, Ferdydurke présente le problème de l’immaturité et de la jeunesse, le masque que revêt l’homme face à autrui.

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* Bruno Dumont (1958 - ) Enseignant en philosophie, Bruno Dumont fait ses premiers pas derrière la caméra en tournant documentaires, courts métrages, et films institutionnels. Visant à montrer une réalité âpre, il s’inspire de sa commune natale, Bailleul, dans le Nord, pour écrire et réaliser son premier film en 1996, La vie de Jésus, récompensé par une mention spéciale Caméra d’or à Cannes et par le prix Jean Vigo en 1997.


Emmanuel Moreaux

jean-cyril vadi : repères/ Tout en menant une Licence de Philosophie, Jean-Cyril Vadi souhaite « disparaître en itinérance » ... Il part alors comme Lecteur en Lituanie de 1995 à 1998. Il découvre alors le théâtre auprès de différents metteurs en scène de la ville auprès desquels il apprend le métier. Il interprète Murk dans Les tambours dans la nuit, de Brecht, mise en scène par Liana Marcijana (1999). Il travaille ensuite à Grenoble sous la direction de Pépé le Mocko dans une série de spectacles jeune public jusqu’en 2003. Passionné par le regard étranger comme reflet de sa propre étrangeté au monde, il joue parallèlement à Milan sous la direction de Marco Pernich dans Les Euménides, (2001-02). Il se forme auprès de Silva Mielauskaité, à Vilnius (2000, 2002) puis à Bratislava auprès du clown Alena Michalidesova (2002). Il suit des stages, dirigés notamment par Martin Danziger du Théâtre Modo de Glasgow (2003) et au Living Théâtre (2004).

À l’automne 2003, il crée à Grenoble la Cie Le Frac qui devient en 2007, suite à une résidence d’écriture au CNES de Villeneuve-lés-Avignon la Compagnie : Les Amis de Franck Noagent. Depuis, il a mis en scène plusieurs pièces de Claude-Henri Buffard (La minute de Silence, Jeanne heureuse, MariePartira). Il poursuit l’e xploration de textes contemporains en mettant en scène Pourquoi mes frères et moi on est parti... de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre et Le voyage à La Haye de Lagarce. En 2008-2009, il met en scène pour la première fois l’un de ses textes, Je te connais depuis longtemps. Plus récemment, tout en se consacrant à l'écriture de sa dernière œuvre Fuck le millenium ! , il travaille à la mise en scène de sa pièce Vie, mort et résurrection de Christophe Morel . Il a aussi mis en scène, en 2012, le spectacle Rousseau en son jardin, proposé aux « Charmettes » l’occasion de l'année Rousseau à Chambéry Enfin, il intervient comme formateur auprès de diverses institutions. Carnet d’Art 65


[ Rencontrer - Cinéma ]

artus de penguern/ Une nouvelle recette de la comédie française. J’avais lu une interview où il raconte que dans sa jeunesse, il a commencé des études de gestion et d’économie appliquées, tout en s’inscrivant, en cachette de ses parents, au Cours Simon. À la fin de sa première année, il a expliqué la situation à son père, il voulait devenir acteur. Son père lui a alors suggéré de faire une école de réalisation. C’est ainsi qu’il s’est inscrit au Conservatoire libre du cinéma français. Il est aussi scénariste et réalisateur, métiers avec lesquels il est beaucoup plus heureux que comme interprète. Je sais qu’il a fait une apparition remarquée dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, en écrivain mélancolique et tourné Agathe Cléry d’Etienne Chatiliez avec Valérie Lemercier, Dominique Lavanant et Jean Rochefort. Il est là. Poignée de main chaleureuse, sourire sincère aux lèvres, il est plutôt à l’aise. Après tout, il sait comment détendre l’atmosphère. C’est son métier. Artus de Penguern bonjour, parlons comédie et de votre comédie humaine. Le secret au cinéma est-il de concilier l’humour et l’émotion ?

Donc, sans parler de recette ou de formule magique, on peut tout de même proposer trois mots clés : Humour, Sentiments et Rythme ?

effets en tous genres sont certes des atouts esthétiques intéressants, mais totalement inutiles et superficiels s’ils ne sont pas au service d’une histoire.

Il n’y a pas vraiment de formule miracle, et l’humour est une notion assez subjective, mais c’est vrai que ce sont des axes importants. Le rythme est lui aussi essentiel dans un récit. Dans le film nous avons fait en sorte que les gens se marrent très souvent et qu’ils soient tenus par des situations. Pour que le tout soit cohérent, nous avons incorporé à l’intensité du film de nombreux gags en insistant sur la sincérité du jeu d’acteur. Prenez par exemple Kevin Kline, toujours en référence à « Un poisson nommé Wanda ». L’acteur joue un personnage totalement extravagant mais avec une sincérité absolue. Lorsqu’il dit « Don’t call me stupid », on le croit sur parole ! La scène peut être complètement anormale, si le jeu d’acteur est sincère et que les personnages sont réellement investis dans une situation, aussi loufoque soit-elle, tout fonctionne. A partir du moment où ces ingrédients sont bien agencés, on arrive déjà à amener les spectateurs dans une histoire. Un de mes metteurs en scène disait même « L’important n’est pas d’être drôle, c’est d’être captivant »

Oui, c’est le mélange, l’interaction entre la situation loufoque et le sérieux avec lequel la scène est jouée qui donne vie à une comédie.

Vous semblez apporter beaucoup d’importance au scénario…

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Si je vous dis Charlie Chaplin ou Monty Python, ça vous parle ? C’est exactement ma famille ! Ce sont des artistes que j’ai regardé pendant des années. Et je disais : « Quand je serai grand, je ferai comme eux ». On note également un côté très théâtral dans votre façon de filmer. Théâtral est un mot ambigu mais c’est vrai que j’ai voulu me rapprocher des cadrages droits et simples de Charlie Chaplin qui filmait l’essentiel ; c’està-dire le jeu d’acteur et l’action en elle-même. Si on arrive à faire ça, on fait déjà un film. Aujourd’hui les techniques de cadrage ont beaucoup évolué, avant il n’y avait ni travelling, ni coupes. Certains films sont maintenant très évolués techniquement mais le scénario est trop souvent négligé. Les mouvements de caméra et les

Mais le scénario est la base d’un film ! Peu importe la technique où le jeu d’acteur ! Pas de bon scénario, pas de bon film. Jean Gabin disait d’ailleurs qu’il faut trois ingrédients pour faire un bon film « premièrement un bon scénario, deuxièmement un bon scénario et troisièmement un bon scénario » Et les acteurs dans tout ça ? Les acteurs sont essentiels pour captiver et donner vie aux personnages, mais si le scénario est mauvais, les acteurs sont mauvais. Cela se confirme partout ; certains acteurs sont formidables dans un film et peuvent être très mauvais dans un autre. Un bon scénario propose des rôles plus riches et fouillés ce qui motive les acteurs à être à la hauteur. C’est d’ailleurs le rôle qui révèle l’acteur et pas l’inverse. Prenez Audrey Tautou dans « Amélie Poulain » ou Marion Cotillard dans « La Môme ». Tout le monde a été subjugué par


Emmanuel Moreaux

leurs jeux car elles ont transcendé des personnages profonds intégrés dans des scénarii forts. Le scénario est donc la source. Vous pouvez dans votre cas nous expliquer son processus d’écriture ? C’est à la fois très simple et très laborieux. Les personnes qui prétendent écrire un scénario en quatre mois sont des menteurs, ou bien ils écrivent des scénarii médiocres. Prenez Jacques Audiard qui est un monument du cinéma français, écrire un scénario lui prend trois ou quatre ans. Que l’on aime ou non ses films, la seule chose qu’on ne peut nier c’est la qualité de ses scénarii. D’ailleurs, les films dont on se souvient dans nos vies sont ceux qui ont les scénarii les plus travaillés et les plus aboutis avec des personnages plus ciselés. Mais dans votre cas, comment s’est déroulée l’écriture de « La clinique de l’Amour » ? Deux ans ont été nécessaires pour achever complètement l’écriture du scénario. Au départ, j’ai une vague idée du film alors je m’isole pendant deux mois dans une pièce comme un petit malheureux. Je pleure généralement beaucoup durant cette étape. Et au

Les personnes qui prétendent écrire un scénario en quatre mois sont des menteurs bout de deux mois quand il me semble tenir quelque chose d’exploitable, je vais voir mes deux coscénaristes (Gàbor Rassous et Jérôme L’hotsky) et je leur dis « Au secours, j’ai fait ça, il y a plein de trous et maintenant il faut en faire un film qui tienne la route ! » Vous avez donc besoin de liants ? Ce n’est pas du liant, c’est un travail d’équipe incontournable. Je pense qu’écrire un scénario tout seul, mis à part pour Woody Allen qui est une sorte de génie, reste extrêmement compliqué. Comme je l’ai dit , je supporte mal d’être toute la journée face à mes propres doutes alors qu’à trois il y a un véritable échange, les idées

s’additionnent les unes aux autres et on parvient vraiment à construire quelque chose de cohérent. Bien sûr le doute est toujours présent, savoir si l’idée est juste, si elle va intéresser les gens, si c’est vraiment drôle, si la première idée n’était pas la bonne… Ce sont toujours des questions que nous nous posons, nous discutons et confrontons nos points de vue, car la première idée n’est jamais la bonne. Pour vous l’écriture d’un scénario est en quelque sorte la recherche de la perfection ? Non, la perfection n’existe pas. C’est seulement que comme vous, comme tous, j’ai souvent été déçu par des films et donc, quand j’en réalise un, je ne veux pas me rendre responsable de cette déception chez les spectateurs. Le cinéma est un art très complexe, il faut toujours chercher à faire le mieux possible. Je veux partager avec les gens le même plaisir que je ressens lorsque je regarde une bonne comédie. Ne pas être ennuyeux, aller à l’essentiel. Dans un scénario, le premier jet est toujours trop long, il comprend toujours trop de longueurs. Il faut sans cesse retailler dans le texte, le retravailler pour n’en garder que le meilleur morceau, le cœur. Avec mon équipe nous nous

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Emmanuel Moreaux

efforçons de mettre sur pied un scénario qui soit une succession de cœur de texte, de parties vraiment riches et utilisables. Cette méthode est caractéristique de la comédie où s’extrapole à l’ensemble du cinéma ? Cela concerne n’importe quel récit. Ce qui nous ennuie en tant que spectateur, ce sont les longueurs dans une histoire et le manque d’originalité. Desproges disait d’ailleurs de l’humour « Ce qu’il faut c’est surprendre les gens ». On ne peut pas se permettre d’utiliser des idées qui ont été vues et revues des centaines de fois. Pour surprendre les gens il faut les amener quelque part et virer brusquement de direction au dernier moment, tout en gardant une cohérence scénaristique. C’est ici que le métier de réalisateur est délicat : il faut savoir imposer un rythme de narration tout en sachant y incorporer certaines ruptures. Mais alors quand vous faites des références dans votre film à d’autres comiques ou longs métrages, est ce que ce n’est pas incompatible avec

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votre volonté de toujours cueillir et surprendre le spectateur ? Pas du tout, toutes les allusions que je fais sont intégrées dans des situations bien précises et s’apparentent davantage à des clins d’œil qu’à de simples « copier-coller ». Ce sont des petites touches de couleur qui éveillent la mémoire de spectateur. Je voulais m’essayer à ce genre de chose car moi-même j’aime déceler dans un film les petites dédicaces qui s’y cachent brièvement. Ces tributs que vous rendez aux Monty Python et autre Chaplin, outre des marques de respect, guident-ils aussi votre réalisation ? Vous voulez suivre la même démarche ? Je ne sais pas quelle était leur véritable démarche mais j’aime leur humour. La vie a, avec eux, un côté absurde et ils parviennent à pousser une action dite normale à un autre niveau pour déclencher les rires. Ils déforment une situation banale pour la rendre à la fois ridicule et extrêmement drôle. C’est le b-a, ba de la comédie : tordre la réalité.

Très bien, après la théorie passons à la pratique. Combien de temps a duré le tournage ? Le tournage a duré deux mois, à peu près 9 semaines. Il y a tout de même 240 séquences dans ce film, ajoutez à cela le nombre important d’acteurs et la mise en place. étant donné la précision du scénario, le jeu devait lui aussi être très précis, ce qui a pris énormément de temps. Nous tournions à peu près deux minutes par jour. Quels sont vos critères d’acteurs pour un casting ? C’est très simple. Ce sont des personnes que j’appelle ma famille. Des gens qui ont et qui aiment cet humour décalé. Les acteurs avec qui j’ai collaboré étaient vraiment motivés pour le film. Helena Noguerra , qui est une femme formidable, fait partie de ce genre d’actrice qui n’a pas peur de s’en prendre une dans la gueule en tournage. Les acteurs qui m’entourent sont des personnes d’une grande générosité.


questions réponses/ Très bien, pour terminer sur une note plus légère nous allons vous poser quatre questions auxquelles vous devez répondre du tac au tac. Très bien, c’est vrai qu’on parle de comédie, arrêtons d’être sérieux ! Je suis prêt. « Les diplômes n’ont pas de valeur », réplique tirée de votre film. Vérité ou Intox ? Vérité. Je ne suis pas impressionné par les personnes bardées de diplômes, ce qui m’intéresse c’est ce qu’ils font dans la vie. Par exemple, j’ai mon Bac D et je suis content de faire ce métier, ça m’amuse quand je me sens moins gâté qu’un grand diplômé. Votre scène fétiche dans le film ? C’est lorsque John Marshall revient du Viêt-Nam et qu’il raconte son passé. Il y a aussi les scènes avec l’ours. Ces scènes ont le mérite de marcher sur absolument tout le monde. Ce qui est vraiment amusant c’est que l’ours était le principal élément qui rebutait les gens pour financer le film. Un film tous les dix ans ? Non, si on me donne de l’argent pour le prochain, ... ce sera beaucoup plus rapide. Votre type de femme dans votre film ? Samantha ou Pricilla ? Pricillia, forcément. Je ne suis pas dans l’autodestruction ou la recherche de souffrance amoureuse. Je préfère les gens généreux avec qui j’entretiens des rapports humains sains.

Emmanuel Moreaux

Arrêtons d’être sérieux ! Vous l’aurez compris, Artus de Penguern s’applique à réaliser des comédies originales, dans lesquelles le spectateur peut sans entrave rire de tout et de bon cœur. Derrière cette apparente modestie, ses films proposent de vrais récits narratifs, entre humour burlesque et romance, soutenus par des personnages travaillés tous plus loufoques les uns que les autres. Entouré de son équipe « familiale » d’acteurs, que l'on apprécie ou pas cet humour décapant,

*Voir son film, La Clinique de l'Amour

il donne un véritable élan de fraîcheur au cinéma français tout en respectant ses codes fondateurs. Nous devrons désormais compter sur le grinçant humour anglo-saxon des films d’Artus de Penguern pour notre plus grand plaisir. Si vous vous sentez maussade ou passablement blasé ; un seul traitement : un séjour en soins intensifs à la clinique de l’amour ! Tachycardie humoristique, anesthésie du spleen, le tout sans ordonnance ! *

Photos tirées du repportage vidéo, disponible sur carnetdart.COM Interview réalisée par Sandy Roupioz et Antoine Guillot Retranscrite par Killian Salomon

Carnet d’Art 69



[ Rencontrer - Artisanat ]

isabelle moreaux-jouannet/ Restauratrice de tableaux Au cœur d'Aix-les-Bains, dans son vaste et lumineux atelier, entourée en permanence de visages, de paysages, de scènes d'un autre temps, Isabelle Moreaux-Jouannet exerce son métier avec passion. Posés à même le sol ou sur un chevalet, tantôt sur la table ou l’établi, les tableaux se retrouvent tous ici, simplement, en attente d’une « cure ». C'est là qu'elle nous reçoit pour une conversation sans détour.

«Restaurer la vie, tout en conservant l’âme»

Emmanuel Moreaux

Carnet d’Art 71


Merci, Isabelle, de nous recevoir dans votre bel atelier et, dans ce cadre, ici, à Aix-les-Bains, vient à l’esprit une citation facile de Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme… ». Voila la trame de notre dialogue ; vous êtes restauratrice et conservatrice de tableaux, pouvez-vous nous dire en quoi consiste votre métier ? C’est un métier de « passeur ». Il a pour but de participer à la préservation du patrimoine, de travailler sur des œuvres d’art. Je me suis spécialisée en peinture, en « peinture de chevalet » et nous, les restaurateurs sommes là pour passer cette mémoire, ces chefs-d’œuvre parfois, aux autres générations. Pourriez-vous nous donner des détails plus techniques sur la restauration d’un tableau, sur les étapes du processus ? Il y a beaucoup d’étapes dans une restauration et cela dépend essentiellement de l’état de conservation du tableau. Certains passent le temps sans trop de problèmes, d’autres vont avoir des rides, des craquelures liées à l’âge. Un tableau est une matière vivante, il faut la traiter comme telle. Donc, il y a le support, tout d’abord ; il peut s’agir de toile ou de bois selon les époques et le choix de l’artiste, mais aussi de cuivre ou d’ivoire. On doit traiter ces supports de manière adéquate et adaptée ; la toile par exemple est souvent utilisée pour les grands formats car on pouvait la rouler pour la transporter. La surface picturale, ensuite : c’est le domaine du nettoyage, du dépoussiérage… Les tableaux souffrent des rayons ultra-violets, ils s’encrassent, ils ont ainsi besoin qu’on les « bichonnent », qu’on leur donne une cure de rajeunissement. Avez-vous des instruments particuliers, de quoi la restauratrice que vous êtes a-t-elle besoin ? Il n’y a pas d’outils spécifiques à ce métier. On va prendre les outils d’autres praticiens, beaucoup chez les dentistes, pour faire les greffes, ou chez les chirurgiens : seringues, scalpels – on nous dit « chirurgiens de l’art » – . 72 Carnet d’Art

Il y a une grande connexion avec ce type de métier, même dans le vocabulaire puisqu’on parle de « greffe de toile » ou de « relaxation de toile » et l’on travaille sur une table d’opération. On a en commun ce que l'on appelle « l’intelligence de la main ». On utilise également des instruments plus lourds comme la table de rentoilage qui est une table basse pression, chauffante, permettant au tableau de bien adhérer, ce qui est nécessaire dans les opérations de décollement de peinture. Votre pratique suppose un bon nombre de qualités ; sensibilité artistique, minutie, patience, curiosité, intérêt pour l’histoire de l’art : comment mettez-vous toutes ces qualités en musique ? Je dirais curiosité et surtout patience et passion : on vit dans ce métier, c’est un tout. Je suis dedans jour et nuit ; je le pratique ainsi depuis 25 ans, il est très complexe, il faut réunir, mêler et utiliser énormément de connaissances tant au plan de la peinture, de l’histoire que de la technique. Mais, au fond, je suis une technicienne de l’art, je ne me considère pas comme une artiste. Vous exercez ce qu’on appelle un « métier d’art » et, en 2004, vous avez été sacrée Meilleur Ouvrier de France… vous mettez en avant plus l’aspect technique que créateur et pourtant, on peut presque dire que vous recréez, pouvez-vous nous expliquer cette position ? Non, je ne recrée pas. Je redonne vie à des œuvres mais il n’y a là aucune création. Dans la restauration, quoi qu’on fasse, nous sommes toujours derrière l’artiste et notre travail est de remettre en vie son œuvre. Dans son vécu, le tableau, maintenant sur notre table, a connu des problèmes : à nous de les gérer, d’y remédier, mais nous ne sommes pas là pour prendre la place de l’auteur, pour nous substituer à lui. Il n’y a aucune touche personnelle à ajouter ; c’est de la restitution de la création originale dont il s’agit. Si on fait un parallèle avec la littérature, on entend souvent : « traduttore : traditore » – le traducteur est un traître –, n’avez-vous pas cette sensation dans votre travail ?

Pas du tout. D’abord, parce que je suis restauratrice, je ne suis qu’une technicienne, je n’ai pas ce côté créatif, c’est pour cela et comme cela que je fais ce métier. Je ne suis pas créative, je ne sais pas imaginer quelque chose. Et je ne pourrais jamais faire aussi bien que ce que j’ai vu. Je veux remettre en valeur l’origine, pour la transmission. Pour moi, mais peut-être d’autres pourraient vous dire le contraire, un restaurateur qui crée, qui peint, ne peut pas être un bon restaurateur… C’est ma conception et sans doute ce qui fait que je suis reconnue et que l’on me fait confiance. Quel est le parcours d’un restaurateur, quelles études, quelles formation ? Le votre, par exemple ? Ah ! Ce n’est pas un long fleuve tranquille… C’est un parcours long et de plus en plus difficile ; je parle souvent du syndrôme des « racines et des ailes ». On parle beaucoup de restauration de patrimoine et de grands chantiers ; les jeunes, et c’est très bien, veulent faire ce métier, mais on ne peut avoir plus de restaurateurs qu’il y a d’œuvres à restaurer. Il ne faut pas négliger l’aspect financier : un grand tableau à restaurer représente un coût. Alors, aujourd’hui, j’essaie de faire passer cette passion aux jeunes stagiaires, mais c’est un itinéraire difficile. Quant au parcours, il y a une filière « Beaux Arts » avec une spécialisation « Restauration de tableaux » à Paris et on passe aussi par des ateliers. Moi-même, j’ai fait les « Beaux arts », puis divers stages à Paris, ce qui représente à peu près 7 années d’études, comme un médecin. Que ressentez-vous quand vous êtes en face d’une toile abîmée ? Je laisse l’œuvre devant moi, dans mon atelier, je passe et repasse devant elle, sans la toucher pendant parfois plusieurs semaines, jusqu’au déclic. Quand un tableau arrive, nous faisons, avant l’intervention, un diagnostic, point par point, en détail ; parfois, nous changeons la façon de faire en cours de route. À chaque fois c’est différent, comme une greffe qui prend plus ou moins bien. Je me souviens d’avoir reçu, au tout début de ma pratique, un tableau lacéré à coups de couteau


Emmanuel Moreaux


Vous avez été sacrée, il y a quelques années, Meilleur Ouvrier de France, qu’est-ce que cela signifie et comment le devient-on ? Tout commence par une anecdote : un ami préparait le concours et je lui ai dit « si tu réussis, je me présente l’année suivante ». Il a été reçu et comme je tiens parole, je me suis inscrite… Cette épreuve m’a permis de me positionner, de savoir où j’en étais à cette période de ma vie. Le contenu est complet : on doit intervenir sur un tableau du XVIIe (c’est techniquement assez complexe), et, même si le travail ne pose pas de problèmes insolubles, il faut justifier toutes les techniques utilisées. Un restaurateur doit aussi savoir peindre et dessiner. Il faut donc faire une copie du tableau en couleurs et une autre au dessin : feuille blanche et mine de plomb… On dispose d’une année pour présenter le projet et voilà : le diplôme m’a été remis par le Président Chirac. Emmanuel Moreaux

On est en face de la toile, seule, on lui parle. (on peut avoir des toiles lacérées au cutter : les coupures sont plus franches, le couteau, lui, déchire les fibres : c’est plus compliqué). Donc, un monsieur a apporté un tableau auquel il tenait beaucoup, lacéré par son ex-femme. Quand il a redécouvert cette toile, après soins, il s’est assis, là sur les marches et a pleuré… alors, voilà ma récompense. Avez-vous besoin d’aimer les œuvres que vous restaurez, ou, plutôt, pouvezvous restaurer une toile d’un peintre que vous n’appréciez pas ? Oh oui ! Finalement oui. Ça va, sans doute, être plus difficile de m’y mettre, ce n’est pas à moi de juger mais parfois, il y a un petit côté affectif qui peut me ralentir. Il m’est arrivé de travailler un tableau à l’envers, la tête du personnage en bas. Comme je travaille sur 74 Carnet d’Art

des zones, ce n’est pas grave, je ne vois pas le tableau dans son ensemble, le sujet ne me dérange pas. La restauration est-elle un travail en solitaire ? Dans l’ensemble, oui. On est en face de la toile, seule, on lui parle, on essaie de communiquer. Pour ma part, je suis dans un rapport avec le tableau. Dès que le travail commence, il ne faut pas que je m’arrête car le lendemain, je ne serai pas dans le même état d’esprit. Même si je mène toujours plusieurs restaurations de front pour des raisons techniques : il y a le temps de séchage… Ainsi, je passe d’une époque à l’autre. En ce moment, je saute d’une peinture sur bois du XVe siècle à une toile contemporaine.

Autre facette, vous êtes mère de famille, vous avez trois enfants. Vous avez aussi d’autres activités dans la vie associative, notamment au Rotary Club où vous poursuivez votre œuvre de reconstruction des esprits, cette fois, auprès des populations défavorisées, dans le domaine de l’illettrisme et de la lecture : Pouvez-vous nous en parler ? Dans mon métier, on ressent parfois le manque de contacts réguliers avec les autres, avec le Rotary, je peux voir et rencontrer des professionnels de tous ordres. J’en ai été la présidente et, encore maintenant, je suis heureuse de m’investir dans des actions locales ou internationales. Nous avons lancé le projet « Rotary booking », qui se poursuit d’ailleurs. Il s’agit de partager les livres qu’on ne relira sans doute plus avec d’autres, comme une sorte de bibliothèque géante. On laisse des livres sur un banc, on sème des livres… Si quelqu’un le trouve, il peut le lire et le reposer ensuite ailleurs, et, ainsi, une chaine de lecteurs peut se former.


questionnaire de bernard pivot/ Dernière étape de notre entrevue, la plus difficile, peut-être. Je vous propose de répondre au questionnaire de Bernard Pivot que vous avez choisi. La règle du jeu est claire : franchise et simplicité : 1. Votre mot préféré ? Bordel ! 2. Le mot que vous détestez ? aucun 3. Votre drogue favorite ? Le thé 4. Le son, le bruit que vous aimez ? Les oiseaux 5. Le son, le bruit que vous détestez ? Les sorties de boites de nuit 6. Votre juron, gros mot ou blasphème favori ? Bordel…

7. Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque ? Mon mari, Emmanuel 8. Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ? Banquier 9. La plante, l'arbre ou l'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ? La violette 10. Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire ? Je travaille avec lui depuis des années, il me connait bien… Propos recueillis par Patrick Rhodas

Emmanuel Moreaux

La rédaction tient à féliciter Isabelle Moreaux - Jouannet qui, depuis la réalisation de l'interview, a reçu la légion d'honneur pour son engagement professionnel au service du patrimoine, pour son implication dans la formattion aux métiers d’art auprès des jeunes, pour ses actions auprès de nombreuses associations humanitaires.

Carnet d’Art 75


[ Rencontrer - Gastronomie ]

Emmanuel Moreaux

pierre marin/ L’auberge Lamartine

76 Carnet d’Art

Avec, atout de taille, de grandes baies vitrées et une terrasse d’où le regard couvre le lac du Bourget, l’auberge Lamartine fait partie des bonnes tables étoilées de la région, où son chef Pierre Marin y crée une cuisine classique. La petite route départementale menant à la Dent du Chat serpente. Sur la droite, à hauteur de Bourdeau, se dresse l’Auberge Lamartine, avec une vue imprenable sur le lac du Bourget et ses eaux aux reflets changeants qui ont inspiré tant de poètes. Un site enchanteur qui est le point de départ de son histoire. « Ce terrain appartenait à mes grands-parents, c’était un champ de blé. Mes parents ont décidé d’y construire un restaurant qui a ouvert en 1964 » raconte Pierre Marin, aux commandes de l’établissement familial depuis 1997.

Influence familiale et passion

Durant toute sa jeunesse, il participe activement à la vie en cuisine, si bien qu’au moment de choisir un métier, celui de restaurateur s’impose naturellement. Et surtout, il est passionné. « Pour faire ce métier, il faut aimer manger et goûter » avance le chef. Il intègre donc l’école hôtelière de Dardilly avec une longueur d’avance sur ses camarades, sachant déjà parer un filet de bœuf et désosser une viande. Ses études terminées, il se forme en pâtisserie chez Georges Michaud, à Chambéry, puis travaille dans de grandes maisons, notamment chez Pierre Orsi à Lyon ou encore au Crillon à Paris.


En 1985, il rejoint l’entreprise familiale, devenue une adresse réputée, qui obtient quatre ans plus tard une première étoile au Michelin, une récompense qu’il accueille avec un mélange de surprise et de grande satisfaction « surtout une reconnaissance pour le travail de mes parents qui ont consacré toute leur vie au restaurant » s’enthousiasme Pierre Marin, précisant : « une étoile représente aussi un souci, chaque année, on ne sait jamais si on va l’avoir à nouveau. »

Ambiance cosy et cuisine classique

Depuis qu’il dirige l’établissement, secondé par son épouse Marie-Christine, Pierre Marin a ajouté sa touche personnelle sans s’éloigner de l’axe établi par ses parents : une ambiance chaleureuse apportée par la décoration très cosy et du classique dans l’assiette. Tout en allégeant ses recettes, il est resté fidèle à une cuisine de goût.

La carte, renouvelée au rythme des saisons, met à l’honneur les légumes oubliés, le gibier, les produits de la région, comme les poissons du lac du Bourget et les vins de Savoie, le chef s’approvisionnant de préférence auprès des producteurs locaux.

La plus grande récompense, des clients satisfaits

Après avoir tenté quelques expériences annexes, l’organisation de cours de cuisine, l’ouverture d’un restaurant au Liban, Pierre Marin se focalise désormais sur son établissement. Le faire tourner, le rénover, l’agrandir. Et surtout, continuer à faire plaisir à ses clients afin d’entendre le plus beau des compliments : « On a très bien mangé ! » Propos recueillis par Sophie Ascenci

Emmanuel Moreaux

Dates clés de l’auberge Lamartine : 1964 : Ouverture de l’auberge Lamartine par Odette et Jean Marin, les parents 1987 : Pierre Marin rejoint l’auberge Lamartine 1989 : Obtention d’une première étoile au Guide Michelin (toujours acquise)

Une carte renouvelée au rythme des saisons dans une Ambiance cosy

1997 : Reprise de l’auberge par Marie-Christine et Pierre Marin 2009 : Travaux de rénovation (façades, création d’un petit salon, cuisine et terrasse) 2012 : Travaux de rénovation (salle) et agrandissement d’un petit salon

Informations sur l’auberge Lamartine : 60 couverts, une équipe de 12 personnes minimum, dont 6 en cuisine.

Budget : compter 70 euro avec apéritif, repas, vin, café (premier menu à 27 euro en semaine) Contact : Auberge Lamartine Route du tunnel du chat 73370 Bourdeau Tel : 04 79 25 01 03 Carnet d’Art 77


par le chef étoilé Pierre Marin l’Auberge Lamartine à Bourdeau

78 Carnet d’Art Clément Thierry


recette de cuisine/ Sabayon citron sur des fruits rouges de saison accompagné d’un matafan (pour 8 personnes) Cette succulente recette proposée par Pierre Marin vous transformera en chef d’un jour et régalera vos invités ! Le sabayon, revu et allégé, s’accompagne d’un matafan, galette issue d’une recette paysanne très ancienne. Temps de réalisation : 1 heure

1

ration Préparation Préparation atafan : du matafan : du matafan :

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Préparation du sabayon :

Cuisson des matafans :

- Disposer la farine en fontaine dans un bol.

- Mélanger le jus de citron, le zeste et la xanthane.

- Ajouter le sucre, le sel, la levure chimique et les œufs au centre.

- Porter à ébullition et verser sur le mélange œufs/sucre préalablement blanchi.

- Mélanger délicatement à l’aide d’un fouet les œufs et la farine.

pour le matafan : - 280 g de farine - 3 œufs - 4 dl de lait - 10 g de levure chimique - 40 g de sucre semoule - 1 pincée de sel - 40 g de beurre

- Remettre le tout dans la casserole

- Verser progressivement le lait en remuant sans discontinuer afin d’obtenir une pâte lisse et parfaite - ment homogène. - Verser le beurre fondu, remuer et laisser reposer 1 heure.

- Préparer un bain d’huile chaude à 180° dans une petite poêle ou dans une friteuse. - Faire tomber à l’aide d’une louche un fin filet de pâte dans l’huile en tournant afin d’obtenir un matafan très aéré. - Une fois coloré, le retour ner et le colorer sur l’autre face.

pour le sabayon citron : - 200 g de jus de citron - 1 zeste de citron - 2 g de gomme de xanthane - 2 œufs - 100 g de sucre semoule - 100 g de beurre - 150 g de blanc d’œuf ( ≈ 5 œufs )

4 Dressage des assiettes : - Disposer dans le fond de 8 assiettes creuses les fruits rouges et le coulis de fruits, une boule de sorbet, placer une dose de sabayon citron sur le côté. - Poser un matafan sur chaque assiette, saupoudrer de sucre glace, ajouter quelques feuilles de menthe et déguster aussitôt.

- Egoutter sur un papier absorbant. - Réaliser 8 pièces.

Variantes :

Ce dessert peut se décliner au fil des saisons en remplaçant les fraises et les framboises par des pêches, des pommes poêlées et le sorbet fraise par une glace vanille, caramel, un sorbet rhubarbe… Carnet d’Art 79


«Carnet d’Art» comme support d’expression pour des artistes qui ont des choses à nous dire.

80 Carnet d’Art


Emmanuel Moreaux

Penser Carnet d’Art 81


Et si vos rêves devenaient‌ un spectacle ?

www.lacompagniecaravelle.com


[ Penser - Instants ]

Emmanuel Moreaux

nous irons où vous voudrez/ Les lampadaires défilent à une vitesse vertigineuse autour de moi, comme autant de grosses lucioles visqueuses et tristes sur le point d’imploser. Je ne reconnais pas les immeubles que nous dépassons, des noms de rue s’accrochent à mes yeux sans éveiller quoique ce soit, alors je les laisse s’évanouir dans la nuit. Une légère pluie bat le pavé et s’écrase sur la vitre à ma droite. Je regarde d’un œil morne ces gouttelettes filer à l’horizontale sur la surface glacée, comme si elles ne pouvaient s’y accrocher, comme si j’avançais à contre courant du déroulement naturel des choses. Derrière ce voile d’eau acide percent les lumières phosphorescentes d’enseignes de bars et de boîtes de nuits où je ne suis jamais allé, dont je n’ai même jamais entendu parler. Des gens attendent docilement devant l’entrée, cigarettes au bec, talons aux pieds, cartes bancaires prêtes à chauffer. Bien que ce ne soient que des images fugaces, qu’ils ne soient pour moi, à cet instant, que des personnages sortis d’un story-board que l’on ferait tourner trop vite devant mes yeux. Je ressens leur effervescence, leur envie de plaisir, leur ivresse. Je la ressens car nous sommes identiques, à la fois dociles et révoltés, farouches mais apprivoisés, jeunes mais consommés. Et cette vitesse, cette vitesse toujours,

qui me pousse dans les entrailles de la ville. Elle me donne le vertige, je sens la nausée monter insidieusement du fond de ma gorge. Le vrombissement mécanique et oppressant du moteur n’arrange rien. J’ouvre la fenêtre et instantanément le froid s’engouffre dans l’habitacle et avec lui le son du monde qui m’entoure. Circulation dense, klaxons, cris éthyliques, sirènes de police, bourdonnement d’une ville qui ne dort pas, cacophonie contemporaine. Le vent frais me fouette le visage, sensation agréable qui me dégrise quelque peu, mais déjà le tumulte bruyant me serre les tempes et c’est maintenant une migraine terrible qui se charge de moi. Je me cloisonne de nouveau et replonge dans le silence. Il me faut autre chose, n’importe quoi qui puisse stopper mon angoisse. Et là, entre les parois de mon refuge roulant, comme si l’on avait lu dans mes pensées, j’entends s’élever la voix noire et caverneuse de Ray Charles. La chanson What’d I Say de l’album éponyme, ma préférée. L’introduction à la guitare suivie par la réponse virtuose du piano sont tout simplement sublimes. Et puis cette voix…rien à dire, c’est ce qu’il me fallait.

- Sympa la musique, j’aime bien Ray Charles - Moi aussi, j’adore. C’était…un monument, me réponds la voix un peu hésitante - Je suis d’accord. Qui ne le serait pas… Je ne sais pas quelle heure il est, surement tard étant donné que je me retrouve à l’arrière d’un taxi kamikaze qui zigzague entre les autres voitures. Mes souvenirs sont flous. Comment suis-je arrivé ici ? Avec qui ai-je bu tant de gin tonic ? Pas d’idée précise, tout est flou, comme la vie qui défile autour de moi. Le chauffeur me regarde d’un air étrange dans son rétroviseur, puis en se retournant à un feu rouge m’interroge : - Monsieur, vous devez me dire où on va, on arrive au carrefour. J’ouvre les yeux, le taxi est arrêté, le défilé des rues est stoppé net. L’inertie, l’attente, le poids du temps qui se fige. La musique a changé, je reconnais la voix granuleuse de Amy Winehouse, Rehab. Je referme les yeux et bascule la tête sur le dossier : - Nous…nous irons où vous voudrez. Killian Salomon Carnet d’Art 83



[ Penser - Instants ]

Emmanuel Moreaux

paradis perdu/ Qui se souvient encore de l’époque où rien n’était perdu ? Où tout était possible ? Où la guerre voulait dire quelque chose, qu’elle était une vraie guerre. Où l’amour allait quelque part, qu’il était un véritable amour. Qui se souvient de cette époque durant laquelle on pouvait descendre dans la rue, que ça voulait dire quelque chose, descendre dans la rue. On pouvait fumer dans les bistrots, acheter de l’alcool après vingt-deux heures. J’ai envie de tout ça. Dans un fauteuil Chesterfield. Cigarettes. Whisky sec. David Bowie et la chanson qu’il a écrite pour moi « The man who sold the world ». Feu dans la cheminée. C’est l’automne. Oeuvre (originale) de Monsieur Warhol* accrochée au mur. Vous voyez le tableau ? J’ai envie de tout ça.

Avec mes parrains. On a tous des parrains. Les miens viennent de ce temps-là. Les miens sont brillants. C’est peutêtre pour ça que... A cette époque, on pouvait refaire le monde. A cette époque, les « rouges » ça voulait dire quelque chose. A cette époque, pas besoin de faire d’études. C’était la vie. Rien d’autre. J’ai envie de tout comme à cette époque. Tout comme à cette époque avec un magazine en plus... Lequel ? A votre avis ? Et pourtant, à cette époque les gens disaient déjà « Il n’y a plus de saison ». NVB * Ponte de l’art pop américain. Il fait le bonheur des décorateurs Ikea avec ses sérigraphies de Marilyn Monroe ou de Mao. Il pourrait presque être considéré comme à l’origine du fléau de la société de consommation, mais c’est un génie, donc on lui pardonne tout.

Carnet d’Art 85


[ Penser - Exposition ]

les femmes et la bouffe/ Exposition photo de Emmanuel Moreaux Ce n’est pas un sujet nouveau, et pour tout vous dire, c’est même un sujet brûlant ! Pourquoi les femmes bouffent-elles ? Pour passer rapidement au cœur du sujet, causons peu, mais bien, « il faut manger pour vivre et non vivre pour manger » dit l’Avare de Molière. L’acte en soit n’a pas de connotation particulière ! C’est un acte mécanique et biologiquement nécessaire.

86 Carnet d’Art


Je mange donc je suis, c’est sûr ! Acte social pour commencer.

Acte affectif pour continuer.

On se retrouve autour d’un bon repas, entre amis et on se livre à de nombreuses confidences, tour à tour politiques, sociales, et enfin arrive le cœur du sujet : la bouffe ! De quoi parle-t-on à table ? Du dernier ou du prochain repas ! « Tu as mangé où hier ? », « T’as vu les pâtes à Germaine, toujours cet immonde goût de rien, sans beurre … » et l’adresse des bons restaurants, ceux qui savent faire cuire correctement le steak à 20 Euros (et à ce prix là, c’est la moindre des choses, bien que malheureusement trop rare)... Tout ça pour dire que quand on mange, on parle encore de bouffe.

Je suis joyeux en toast foie gras et champagne, je suis déprimé en boîte de sardine à la tomate et fond de coca, je suis amoureux en chocolat, je suis ému en langue de chat, je suis excité en vin blanc et tartare de saumon, je suis triste en crouton râpé dans soupe en brique Knorr (là je suis même suicidaire), ... mais quoi qu’il arrive : Je mange donc je suis, c’est sûr ! Je mange mal, donc je suis mal ! Je mange trop donc je suis gros ! Quel est le rapport que j’entretiens avec cette bouffe ? En manque d’affection, je serai sucré, voire chocolaté. Envie de salé ou de sucré : Envie, en vie… donc si je bouffe bien je soigne mon affectif ! Carnet d’Art 87


l’expressivité naturelle émotive et féminine qui manque souvent aux hommes Pourquoi « Les Femme et la Bouffe »... Ou pas les hommes ? Ou les humains tout simplement ? L’homme mange pour capitaliser des forces et faire la guerre, les femmes mangent pour s’arrondir et porter les enfants de ces magnifiques guerriers ! Nous mangeons pour avoir l’énergie de nous reproduire et fabriquer à notre tour de beaux guerriers puissants et de belles femmes rondes et accueillantes... Ce discours serait certainement acceptable dans les milieux bien pensants mais indigne du « féminisme couillu » qui nous entoure. Vous le comprendrez aisément : je viens de Mars. Donc je suis un guerrier reproducteur et je cherche à comprendre cette charmante extramartienne qu’est la femme dans son acte le plus naturel et vital. Je profiterai donc de l’expressivité naturelle émotive et féminine qui manque souvent aux hommes pour illustrer mon propos photographique. 88 Carnet d’Art


La Discrète,... ...celle qui tourne autour du chou, qui le regarde au travers de la vitrine sans jamais franchir la porte. Celle qui, de loin, observe l’objet de son désir mais ne franchira pas la porte, ni celle de la pâtisserie, lieu de débauche olfactive, gustative et visuelle, ni celle du sex-shop, que j’appellerais volontiers le Sexual-Art-Vintage (SAV), la boutique de la réparation affective urgente, qui pour le coup n’a plus rien d’olfactif, de gustatif et encore moins de visuel. Le bel objet, source probable de plaisir est à portée de main mais ne sera jamais empoigné, ni englouti. Pour ce qui est du SAV, nous aurons l’occasion d’en reparler, les temps changent enfin, et même si le chemin à parcourir reste long, le Modern Way of Sex est en train de naître. Bref la discrète se révèlera peu adepte des ébats sonores … Elle ne m’intéresse pas ! Afin de rester optimiste, j’aime à croire que la discrète est une goulue qui s’ignore. Mieux encore, la discrète est une pucelle gastronomique. Je sens monter en moi la puissance du guerrier martien investi d’une mission d’envergure planétaire ! Je vais initier la discrète, je fais déflorer les palais innocents à coups de glace à la framboise, de roquefort et de pamplemousses pressés à la main.


La gourmande,... ...celle qui pioche sans complexe dans les plats les plus généreux : ... à elle la paëlla, par ici le poulet grillé, et avec la peau bien dorée s’il vous plaît ! A elle la choucroute et le bon couscous, et que vivent les plats familiaux, les éclats de rires et les bons vins, la bonne humeur. Cachez-vos éclairs et Pets-de-Nonnes, planquez vos reblochons et camemberts. Calfeutrez les senteurs de ces mets auxquels je ne saurais résister. La gourmande, aux formes présentes et rondes, dégageant des parfums de petit lait, le sourire aux lèvres… une véritable invitation au partage. J’envisage sérieusement la gourmande. Elle est aussi à l’aise face à une dinde farcie que face à mon bataillon de fantassins, d’une bouche grande ouverte elle en dévorera les chairs et en sucera les moelles jusqu’au bout des phalanges et épuisement des troupes. Quand ses yeux pétillent d’envie, à la première ou à la troisième reprise, la gourmande en impose. Le guerrier n’a qu’à bien se tenir, et sans entraînement, fera appel à son contingent.


S’agit-il toujours de Bouffe ? L’appétence gastronomique peut-elle être envisagée comme une expression sexuelle ? Si la femme se nourrit, de la même façon, elle pourra se reproduire… La nature humaine est ainsi faite que nous tendons à rechercher le plaisir dans ces deux actes de vie. La nourriture peut être préparée afin d’assouvir d’autres besoins que le simple transit nourricier, donc, l’érotisme est la gastronomie. Nombre de cultures ont occulté l’aspect organique de nos fonctions vitales. Ainsi les aliments sont maquillés, embellis, travaillés avant d’être proposés à la dégustation. La même préparation rend plus acceptable l’acte de survie qu’est la reproduction. Notre attitude face à la bouffe pourrait facilement reprendre nos adjectifs amoureux, ils sont souvent associés. Ma mie, dorée avec une peau d'abricot si douce et sucrée qu’on en mangerait… Son abricot n’est-il pas plus gouteux à l’aube d’une belle journée au soleil que dans la froideur d’un matin d’hiver ? Eh, oui, on peut aussi se commettre en poésie lorsque l’on parle de rapports charnels ou de mets exceptionnels.

L’experte,...

L’infidèle,...

...celle qui tourne autour, qui cherche, qui hume, qui prend en main, qui soupèse, qui, du bout de la langue, va tester la fermeté, l’acidité. Celle qui, après un examen approfondi, saura à coup sûr faire son choix. Celle qui reviendra et se resservira avec précision sans jamais se tromper d’objectif, l’exigence de la perfection. Elle sera sévère, du bout des lèvres elle tentera les plats nouveaux mais elle reviendra aux essentiels. Pour l’experte, pas de faute de goût possible, le plat de goujat n’y a pas de place. A moins d’être un légume fier et droit, sûr de son éclat et de sa fraicheur, à moins d’être beau et rouge, entrecôte ou tartare, à moins d’être paré et parfumé, tarte, biscuit ou encore flan, il vaut mieux passer le chemin de l’experte. A tenter l’unique chance d’être l’objet de son désir, le risque de courir à la perte est grand. (Qui a peur est un peureux ! Dirait mon ami Jeff, qui de nos sens gustatifs est un des meilleurs flatteurs)

...chapardeuse par essence, les amuse-bouches font sa pitance. D’un buffet de hors-d’œuvre elle fera son festin, tour à tour sucré, salé, petit four ou salami, tarte au saumon ou gaufre au pâté, c’est autant le contenu du buffet que la diversité des mets qui excite et met en appétit l’infidèle. Le bon repas traditionnel lui fait broyer du noir...si seulement. La tranche de jambon trop blanc lui fait penser charentaises et la dépression guette. L’animale veut du mariage, du cocktail, de la fête, du pep’s et du champagne. Un coup rosé, un coup brut, mais jamais sans sa coupe, elle mène ses appétences. Un moment d’absence et l’objet de tous les désirs disparaîtra dans ses entrailles avant que quiconque ne s’en aperçoive. Fine, maigre ou enrobée, l’infidèle n’est pas identifiable, ses courbes suivent le rythme des réceptions, mais si vous voyez son teint s’assombrir, redonnez-lui le sourire avec un petit enterrement, il y aura toujours quelques âmes esseulées à consoler, un peu de champagne ou de vin blanc, un ou deux canapés à dévorer... Carnet d’Art 91


La maniaque,... ...De récurer, laver, rincer, la maniaque en aura des ampoules aux mains. Mais rien n'atteindra son organe buccal sans un méticuleux soin que ses mains expertes auront prodigué à ces pauvres aliments abandonnés de fierté, du peu d'humanité et du soupçon de ruralité qui leurs restaient Fièrement dressés dans le potager, les plus vigoureux des légumes, bien astiqués et pourtant bichonnés, finiront mollement dans un vieux pot ne faisant plus la meilleure soupe depuis bien longtemps. Passer à la casserole n'est pas humain pour un légume. La maniaque s'ennuie, les fières gloires du jardin la fuient, les meilleures pièces de viande quittent le navire après sa traque au gras, aux nerfs et aux tendons. La maniaque n'est pourtant pas perdue définitivement, un petit grain de sable dans son traintrain quotidien et tout redevient possible, la surprise tout droit sortie du cabas, pourrait la faire chavirer et lui faire oublier ses névroses, mais la surprise baissant, à la relève de la garde, il faut rester méfiant, l'opinel et la javel à tout moment peuvent en un instant refaire surface comme par désenchantement.

la surprise tout droit sortie du cabas Le portrait robot... ...de la bouffeuse est parallèle à celui de la jouisseuse. Le champ lexical de l’une devrait se superposer aisément à celui de l’autre. Alors préparez-vous une bonne bouffe entre amis et jouissez ouvertement ! ... mais n'hésitez pas à m’inviter. Photographies et commentaires de Emmanuel Moreaux

Un mot pour la faim : « Si c’est bon et que vous pouvez le faire, vous devez le faire ! ».

92 Carnet d’Art



Ça peut toujours servir de savoir parler de culture dans un dîner en ville… #’’


[ Penser - Manifeste d’un nouveau monde ]

Emmanuel Moreaux

l’amour de l’h/ “Si le monde était clair, l’art ne serait pas” Albert Camus Apéritif Arrêtons de poser des questions, de vivre dans le passé, de chercher un espoir. Il est temps maintenant pour toutes ces générations sacrifiées de lever le poing. La jeunesse d’aujourd’hui doit faire offrande de son savoir et de ce vingtième siècle terminé, et construire et ouvrir pour la jeunesse de demain, les portes vers un nouveau monde. Il n’est pas question de politique. Elle deviendra ce qu’elle doit. L’heure de la révolution a sonné. Révolution culturelle d’abord. Nouveau mode de financement, nouvelle accessibilité, nouvelle centralisation. Que la culture ne dépende pas uniquement d’une enveloppe étatique à la merci de lobbies, publics ou non. Que la décentralisation ne soit pas le véhicule de cette absurde idée qui serait que tout le monde peut faire «Art»,

que tout le monde est «Artiste». Il faut avoir quelque chose à dire et cette chose ne s’invente pas. Que la culture prenne la place qu’on lui doit. Ciment indestructible d’une société en ordre de marche. Révolution artistique ensuite. Que l’art ne se vante pas de ne plus avoir d’ordre. Il n’y a pas à s’en réjouir. « Tout est permis » est alors synonyme de « Rien n’a de valeur » . Bâtissons des repères solides, édifiés sur une histoire pour un devenir. Prenons exemple sur ce soleil, sur cette terre, sur cette histoire qui nous lient tous en un point ; nous sommes chacun un galet de l’humanité. Par lucidité, par espoir, par pressentiment, par pitié, ne la faisons pas dérailler, ne la consumons plus, élevons-la, construisons notre Babel, nous sommes en vie pour ça. Uniquement pour ça. Carnet d’Art 95


nous sommes en vie pour ça. Uniquement pour ça.

96 Carnet d’Art Emmanuel Moreaux


Les origines Si nous parlons d’origines nous nous devons de parler de ceux qui nous ont menés ici aujourd’hui. Nous avons tous une culture, des références, une histoire, une Histoire... Nous sommes tous les enfants de Dieu, d’Allah ou de Jahvé. Nous sommes tous les enfants des constructions de l’esprit de nos aînés. Nous sommes ce qu’ils ont transpiré en construisant les pyramides, les cathédrales, les ponts, les routes et toutes les villes du monde. Nous sommes les enfants de l’Histoire des grandes batailles, des grandes croisades, parce que si Mussolini n’avait pas été adopté par Hitler, mes arrières grands parents ne seraient jamais partis d’Italie, et mon grandpère n’aurait jamais rencontré ma grand-mère, et mon père ne serait jamais né... et moi... Je suis donc un enfant d’Adolf et de Benito.

Merci quand même ! Même si je suis obligé maintenant de me nourrir d’envie de changer le monde, de brûler violemment la médiocrité...et la haine, pour tenter d’oublier d’où je viens. Je ne pourrais pourtant jamais me séparer de cette image brûlante qui me cogne le front, je regarde le monde, et suis obligé de constater qu’il est vieux. J’aimerais que le monde me regarde à son tour, pour qu’il constate que je suis jeune, encore...et que l’avenir m’appartient, il n’appartient qu’à la jeunesse, celle qui connaît l’âge du monde, celle qui va venir taper à la porte parce qu’à la recherche du savoir. Dans ce désolant constat nous ne pouvons qu’en conclure que le monde doit laisser sa place à l’avenir... Encore faut-il avoir une idée de l’avenir que nous voulons bâtir. Pour ça il faut un architecte, un maître d’oeuvre et des outils. Toute la difficulté

est d’en oublier ses idées, ses envies ; ses passions inconscientes. Nous ne pensons pas pour nous. Nous pensons pour le monde, qui va laisser sa place pour devenir un autre. Nous pensons pour une vie en société, universalisée, mais partagée d’individualités. Nous ne pouvons pas courir à travers la forêt sans oublier la personne grâce à laquelle nous courons, sans oublier que nous allons un jour nous arrêter, sans oublier que nous n’avons pas toujours couru comme ça. Nous pensons, nous nous souvenons... appelons ça la culture... elle sera donc notre architecte. Il faut bien parler de ce que l’architecte imagine. Le dessiner puis engager la construction... l’art est une expression magnifiée de la culture. L’art sera donc notre maître d’oeuvre... NVB

Emmanuel Moreaux

Carnet d’Art 97


les rédacteurs/

Antoine Guillot Metteur en scène, Directeur de publication

Pierre Pestourie Oenologue, Sommelier

Christophe Lune Conseillier des maîtrises énergétiques

Patrick Rhodas Rédacteur en chef

Sophie Ascenci Rédactrice indépendante

Daniel Didier Architecte

Emmanuel Moreaux Photographe, Directeur technique

Killian Salomon Auteur

Yvette Carton Voyageuse





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