CAROLINE GODDARD ETUDIANTE - STEPHANE BAUMEIGE ENSEIGNANT E N S A M S 6 2 0 1 5 / 2 0 1 6
QUEL AVENIR POUR LES VILLES MUSÉES ?
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Je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui m’ont soutenue et ont contribué à la rédaction de ce mémoire, et particulièrement: Mon directeur de mémoire, Stephane Beaumeige pour ses nombreux conseils, le partage de ses connaissances, sa patience, son temps… Je le remercie de m’avoir suivie et poussée depuis le début, de m’avoir guidée à travers ce grand monde qu’est le patrimoine, ainsi que de constamment nourrir ma passion. René Borruey, pour son temps, ses conseils avisés et nos nombreuses discussions. Les nombreuses personnes qui ont accepté de répondre à mes questions et interrogations quant au fait de vivre en centre ancien, pour leurs contributions. À ma Famille et mes amis qui m’ont soutenue durant cette année, et qui ont pris le temps de m’écouter et de m’aiguiller dans mes réflexions. Je les remercies aussi de leur patience quant à mon absence.
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«
La ville de demain va t-elle définitivement reléguer les villes du passé au musée du patrimoine historique ? N’est-il pas possible, au contraire, d’intégrer villes, centres et quartiers anciens dans la vie quotidienne de l’ère électronique, de les rendre à des usages qui ne soient pas ceux de l’industrie culturelle ? »
Françoise Choay Préface de « l’urbanisme face aux villes anciennes »
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S O M M A I R E
1. INTRO
2. LA RENAISSANCE CONSCIENCE
p.9
ITALIENNE
DEBUT
D’UNE
PRISE DE p.13
3. LE PATRIMOINE EN FRANCE
p.19
4. TRACES DE REGARD HISTORIQUES ANTERIEURS
p.24
5. DE L’ARCHITECTURE A L’URBAIN
p.30
6. LEGISLATION MODERNE
p.34
7. LE FETICHISME DU PATRIMOINE
p.38
8. LA MARCHANDISATION DU PATRIMOINE
p.43
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9. LA VILLE COMME PALIMPSESTE
p.47
10. A LA VILLE MUSEE
p.50
11. VILLE MODERNE ET CENTRE ANCIEN
p.53
12. LA RÉHABILITATION DES CENTRES ANCIENS
p.58
13. VIVRE EN CENTRE ANCIEN
p.60
14. TOURISME ET PATRIMOINE
p.63
15. LES ALTERNATIVES A LA MUSEIFICATION
p.66
16. CONCLUSION
p.80
17. ANEXES
p.84
18. BIBLIOGRAPHIE
p.88
19.CREDITS PHOTOGRAPHIQUES
p.90
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I N T R O D U C T I O N
Avec le temps qui s’accélère de plus en plus, la ferveur contemporaine pour le culte du passé peut être vue comme un moyen de conjurer une peur. Celle de la perte de sens, de la perte d’une identité culturelle, de la confusion… Car ce qui fait patrimoine apparaît, pour les populations, comme une valeur sûre de l’identité d’une ville, d’une période, d’un lieu. On finit par produire des hauts lieux de mémoire, on les met en exposition. Et dans une atmosphère générale de résistance à l’oubli, la remémoration s’impose, presque comme un devoir civique, le patrimoine fait sens car il est transmetteur de mémoire, source de jouissance des masses. Les touristes et leur passion de la photographie sont révélateurs. Dès qu’il y a monument, il y a photo, comme un geste automatique spontané, comme pour dire que c’est « validé »: ils ont vu cet objet, pris la même image que des millions d’autres, et la même image présente dans leurs guides. Voilà le monument ainsi réduit à une archive. Et c’est pour cela que l’état de pétrification dans lequel se retrouvent souvent les monuments leur convient. Car ce ne sont pas des voyageurs. Les touristes, qui constituent parfois la base de l’économie locale, ne souhaitent ni vivre les lieux ni les comprendre. Ils sont venus pour « alimenter » leurs archives. Le patrimoine devient objet, que ce soit une simple fontaine, un édifice ou un quartier entier. Il donne l’impression de n’être plus qu’un objet dénué d’histoire et de contexte; il pourrait être n’importe où, cela ne changerai rien à l’intérêt qu’on lui accorde. Pourtant, on ressent une émotion forte - que l’on soit touriste ou non - lorsque l’on se promène dans des friches industrielles, des usines désaffectés, de simples ruines d’habitats.
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Est-ce de la nostalgie ? Mais comment nostalgie de ce qu’on n’a pas connu ?
peut-on
avoir
la
Le silence prenant de ces lieux nous entraîne dans une autre réalité : on pourrait presque voir la vie des anciens occupants, on devine les événements heureux ou tristes que ces murs ont pu abriter. On se prend à imaginer, à essayer de déceler dans ces traces du passé des indices quant à ces corps qui y ont vécu, travaillé, aimé, péri. Un musée n’offre pas autant d’émotions. Tout y est bien propre, bien rangé, bien identifié. il ne semble pas être habité. Certes, on va y recevoir des informations concrètes, mais on ne se perdra pas à imaginer car aucun détail de restitution n’y est laissé au hasard. C’est comme si, aujourd’hui, pour que le passé ne soit pas aboli, il faut que tout ce que l’on vit soit actualisé. Par cette synchronie émotionnelle, passé, présent, futur se fondent dans une même temporalité. Le présent lui-même devient le temps de la reproduction anticipée du passé. Aujourd’hui, tout ce qui fait « histoire » se retrouve affligé d’un label « patrimoine », par une sorte de formalisme de la transmission… Cette envie de mémoire part finalement d’un constat : pourquoi voyage-t-on sinon pour valider des images que nous connaissons déjà. Nous allons visiter les sites anciens, les berceaux de civilisations, contempler les tableaux célèbres, ou visiter les sites qu’il faut avoir vu dans sa vie. Finalement, nous ne sommes pas à la recherche d’expérience, mais de validation… et ce que l’on recherche n’est qu’un instant figé dans le temps. Ainsi, certains iront visiter Paris pour retrouver l’ambiance des Années Folles, quand le monde de l’art explosait de créativité. D’autre iront à Florence pour revivre l’influence des Médicis, ou à Rome pour ne toucher, ne serai-ce que du regard, les ruines de l’Empire Romain et de sa grandeur. Ces envies et désirs de voyage nourrissent l’économie du tourisme qui finit par créer des villes musées, des endroits !10
où il n’y a plus que des hôtels, des restaurants, des boutiques de souvenirs, constituant ainsi la fausse image d’une ville qui n’a plus de singularité historique. Mais alors, comment vit-on dans ces villes que l’on force à rester dans le passé? Qu’apporte aujourd’hui un centre ancien? Comment en est-on arrivé à cette notion de ville musée? est ce que certaines villes arrivent à dynamiser leurs centre historiques?
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LA
RENAISSANCE D’UNE PRISE
ITALIENNE, DEBUT DE CONSCIENCE
On le sait, avec 51 sites inscrits au patrimoine mondial, dont 47 culturels et 4 naturels -ce qui en fait le pays le plus doté en sites du patrimoine mondial de l'humanité de l’UNESCOl’Italie est un des berceaux de l’art occidental. Le poids du savoir-faire et des talents italiens fût tel que son architecture fut diffusée, imitée et réinventée à travers l’Europe entière. Une telle profusion d’oeuvres et vestiges, à fait du pays un lieu possédant un patrimoine architectural et urbain, immense, qu’il soit pittoresque ou monumental. Voilà pourquoi afin de comprendre la patrimonialisation en France il nous fallait étudier ce pays et son histoire en ce domaine. Car, contrairement à la France, l’Italie a compris bien plus tôt l’importance de conserver son patrimoine. Il faut noter que cette notion de Patrimoine n’a pas tout de suite été relayée en Europe. La Renaissance Italienne a établi un retour aux sources et particulièrement à celles de l’Antiquité. À la fin du XIVème siècle, dans l’Italie du Nord, on met à jour écrits et ouvrages anciens, œuvres d’arts, artefacts … Ces redécouvertes vont frapper les esprits et clairement influencer les artistes et les érudits. Cela va marquer, au plan culturel, la fin du Moyen-Âge et un regard neuf va se porter sur l’individu qui n’est plus seulement un produit de la Création divine, mais devient lui-même porteur d’un pouvoir créateur. De ce fait, tout les champs de l’activité humaine prennent une autre dimension. À partir de là et jusqu’au XVIème siècle,l’Antiquité va être étudiée, décodée, réinterprétée, copiée, diffusée. Elle va devenir référence.
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Fig. 01 : L’ecole d’athene de Raphael
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La fresque de l’École d’Athènes, peinte par Raphaël, illustre cet intérêt pour les acteurs et savoirs retrouvés de l’Antiquité. On se rend compte qu’en ces temps anciens, ils se posaient déjà les mêmes problèmes et tentaient d’y apporter des réponses valant la peine d’être considérées. La redécouverte des sculptures antiques témoigne magnifiquement de la prouesse des artistes et des artisans de l’Antiquité, et avec quelle finesses ils maitrisaient les arts. Ainsi, au XVème siècle, la notion d’esthétique et d’histoire acquière une double valeur, illustrée par le plaisir que l’on pouvait ressentir en étudiant les monuments anciens soudain réinvestis. Par cela, l’architecte et le peintre accèdent euxaussi à un nouveau statut, celui de créateur d’esthétique. Les fouilles se développent autour des édifices antiques, comme la villa Adriana, les temples grecs et, plus tard, Pompéi et Herculanum. On se rend compte dès lors de l’importante de préserver ces monuments antiques, porteurs de tant d’histoire et de valeurs que l’on as perdues. Mais plus encore que le pays, Rome est le pôle de ce mouvement, en sa triple qualité de centre du christianisme, de l’art et de l’empire. La ville prend alors toute son importance par la profusion de vestiges qu’elle possède. Ces vestiges furent en partie préservés depuis le partage de l’empire et durant le Moyen-Âge principalement grâce à la papauté. C’est sous plusieurs Papes qu’un travail de préservation commença à être instauré . C’est en effet en 1420, sous le pontificat de Martin V, que l’on peut dater la création d’un premier monument historique officiel. Après l’exil d’Avignon, le pape souhaite rétablir le siège de la papauté à Rome et redorer son image. Pour cela il va se servir de ce nouvel attrait pour les ruines romaines, porteuses de tant d’histoire et de prestige.
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Fig. 02 :gravure reprĂŠsentant Rome au Quattrocento
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Il va même créer le bureau des Magistri Viaarium afin de conserver les rues, les ponts, les murailles, mais aussi certains bâtiments. Pie II ira plus tard (1458-1464) lui aussi dans le sens de la sauvegarde des vestiges romains pratiqués. Même si les papes ont favorisé une préservation de patrimoine antique, leur politique n’est pas exempte d’une certaine ambivalence : ils protègent certes une partie de ce patrimoine, mais utilisent le reste comme carrière. Un nombre certains de bâtiments furent pillés de leurs pierre dans une volonté de reconstruction du prestige de la capitale chrétienne. Il ne faut pas oublier que la Basilique Saint pierre fut en partie construite avec des pierres du Colisé. Il convient de noter que seule une petite élite intellectuelle du Quattrocento porte un intérêt aux édifices anciens, la notion de patrimoine et l’importance de traces historiques ne touchant pas encore la plus grande partie des populations. Une démarche de conservation n’est que rarement mis en place. Au début du XVIème siècle, la reconnaissance patrimoniale reste encore modeste et est réservée au pouvoir politique. Il faudra attendre 1538 pour que le pape Paul III instaure de façon officielle, par une bulle pontificale, la protection des monuments antiques, afin de préserver leur apport culturel, théorique et artistique. Jusqu’au XVIIème siècle existera une dualité entre préservation et vandalisme du patrimoine. De vandales détruisent oeuvres d’arts et monuments mais les Papes eux-mêmes ne peuvent s’empêcher d’être des pilleurs de pierres afin de construire leurs propres monuments. En fait, ils ne savent où se positionner face d’une part à une Rome antique dont les vestiges sont primordiaux à la société de l’époque et d’autre part face à leur ambition de créer un nouvelle ville glorieuse. Conserver et construire devient presque contradictoire. En 1519, c’est Raphaël 1 qui mènera le combat de préservation en exposant l’intérêt et les qualités 1
Lettre de Raphaël à Leon X
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la du
patrimoine, ainsi que la prise de conscience qui se fait de plus en plus importante chez des érudits et la population toute entière. Vers 1585, le pape Sixte Quint faillit détruire une partie du Colisée afin de percer de nouvelles avenues pour la ville, une catastrophe évitée de justesse grâce à la persévérance de certains cardinaux. Mais cela montre encore une fois que le patrimoine n’a pas toujours fait l’unanimité et, à Rome, le débat entre novateurs et conservateurs se poursuivit jusqu’en 1704, date à laquelle un édit fut signé afin d’assurer protection, conservation et restauration des monuments. Cet édit, renforcé en 1733, amènera la mise en place d’une législation en 1802.
Ce bref historique montre que la notion de patrimoine en Italie à également mis du temps à émerger (mais le problème était à la mesure de l’importance exceptionnelle de ce patrimoine) alors que dans le reste de l’Europe, il faudra attendre la fin du XVIIIème siècle pour que les premières règles de patrimoine soient établis.
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L E
P A T R I M O I N E
E N
F R A N C E
L’Italie a donc joué un rôle pionnier dès le Quattrocento, en établissant un début de ce qu’il est permis de qualifier de révolution culturelle. On peut l’expliquer en partie par la profusion de l’héritage romain en son sein, mais aussi pour des raisons économique et politiques. Il faudra attendre le XVIème pour que l’Italie influence ses pays limitrophes grâce aux voyages d’études qui prolifèrent et aux artiste et architectes qui viennent étudier les ruines romaines. Progressivement, l’intérêt des « antiquaires » européens a fini par se porter sur leur propre culture, dans leur pays et aboutir à la recherche de leur propre héritage : les « antiquités national » voient le jour. Dés le XVIème siècle, les antiquaires vont donc accomplir un véritable travail collectif d’inventaire et d’étude. Leurs travaux ont permis d’anticiper ceux des historiens, archéologues, et ethnographes du XXème siècle. L’accumulation d’un savoir livresque est leurs principal objectif et la conservation de leurs objets d’études ne les intéressaient que très peu. Lorsqu’il s’agit par exemple du bâti, des édifices de l’Antiquité ou de leurs passés nationaux, les antiquaires ne se soucient pas de préservation. Mais ils ont, à travers leurs travaux, contribué à une prise de conscience et au développement d’une culture européenne. C’est sous la Révolution Française que ce souci de la conservation reviendra. Après la destruction des symboles de la Monarchie et de l’Église, fut créée en 1790 une « Commission des Monuments ». En 1794 paraît un « rapport sur les destructions opérés par le vandalisme et sur les moyens de le réprimer» établis par l’Abbé Gregoire. Est alors élaborée Est alors élaborée une méthodologie de la conservation. Bien que très détaillée et remarquable, elle ne sera appliquée que brièvement2. 2
Méthodologie abandonnée après Thermidor.
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Mais c’est une période de changements et donc d’incertitudes. On veut rompre avec ce monde d’avant et fonder un esprit nouveau. Mais tout changement a besoin, consciemment ou non, de fondements : le patrimoine prend alors de la valeur car la population commence à se tourner vers son histoire, vers ce qui fait donc sa nouvelle identité de citoyen. La génération suivante verra la création du premier poste d’inspecteur des monuments historiques 3, puis des inventaires grâce aux tournées d’inspection de Prosper Mérimée dans les provinces françaises4. En 1837, le roi Louis Philippe fait constituer la Commission des monuments historiques, témoin d’une institutionnalisation de l’érudition. La période romantique qui suit s’illustre à travers une société qui se cherche dans une pensée nouvelle après avoir tué l’ancienne, qui se reconstruit entre les empires, les républiques et les monarchies, s’affole avec la venue d’une fantastique révolution industrielle dont elle ne maîtrise pas les mécanismes notamment au plan social et urbanistique. Le romantisme marque l’avénement d’une sensibilité nouvelle. Le corpus des monuments patrimoniaux s’enrichit de lieux de mémoires, on porte un nouveau regard sur les œuvres du passé. C’est durant cette période que l’on commence à réhabiliter des vestiges du Moyen-Âge et de l’art gothique. La photographie est à peine née mais elle va rapidement jouer un rôle essentiel dans la valorisation des monuments historiques. Elle devient un outil d’analyse complémentaire au dessin et permet aussi - grâce aux progrès techniques de l’imprimerie - la diffusion d’un « musée imaginaire » de l’architecture et des monuments historiques. Succédant au « grand tour » de l’aristocratie anglaise, le tourisme se répand dans les classes favorisés d’Europe, et les premiers guides touristiques sur les monuments anciens et les musées voient le jour5. 3
Confié en 1830 à Ludovic Vitet
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de 1834 à 1860
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Karl Baedeker(1801-1859) les conçu et les edita.
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Fig. 03 : Gravure des ruines de l'abbaye Saint-Sauveur de Charroux, publiée dans le « Guide Pittoresque du voyageur en France » Tome 1.
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Les législations vont mettre du temps à se mettre en place. Par exemple, Victor Hugo réclamera une loi dès 1825. Ébauchée sous forme de décret en 1830 à l’investigation de Guizot, elle ne verra le jour qu’en 1913. Au fil du temps, le corpus des monuments historiques, constitué à l’origine essentiellement par des édifices prestigieux, s’est élargi à d’autres champs typologiques. Ruskin fut le premier à reconnaître la valeur et souhaiter la conservation d’un héritage plus modeste et vernaculaire, éléments qui constituent le tissu des villes anciennes. Le XIXème siècle seras traversé par cette problématique et l’affrontement constant entre interventionniste et non interventionniste. Le débat fut illustré par l’opposition entre Ruskin, incarnation du « conservatisme anglais », et Viollet-le-Duc, symbole du « progressisme français ». Ruskin considère les éléments du passé comme sacrés et intouchables. Viollet, lui, promeut une approche didactique de la restauration : « le meilleur moyen de conserver un édifice, c’est de lui trouver un emploi ». Il tente de retrouver une identité perdue et fini par effacer les traces du temps, alors qu’en Angleterre Ruskin assume au contraire les siècles de constructions successives, et l’héritage du temps. Ce sont deux visions opposées, l’une mettant en avant une restauration stylistique, l’autre une conservation romantique.
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Fig. 04 : le projet de restauration de Viollet-le-Duc de la citĂŠ de Carcassonne
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TRACES DE REGARD HISTORIQUE ANTERIEUR
Même s’il est avéré chez certains historiens que la période du Quattrocento marque l’entrée de la notion de patrimoine, de restauration et reconversion, on peut se demander si de tels concept n’auraient pas de genèse antérieure. Ce regard posé sur les oeuvres du passé eu peut être lieu au Moyen-Age ou même à l’Antiquité. Grâce aux recherches en la matière et notamment à travers les écrits de Françoise Choay, on trouve des traces d’intérêt pour des œuvres du passé comme par exemple l’existence d’une collection d’art ancien, apparue à la fin du IIIème siècle av J.C. ainsi que, avant la Christianisation de l’Europe, des morceaux de territoire grec. Révélés à l’élite intellectuel ils découvrent un trésor de monuments (bâtiments, temples, théâtres…) pour eux historiques. En fait, l’art de l’antiquité grecque suscita très tôt beaucoup de convoitise. En 210 avant notre ère, la dynastie attalide va faire rechercher avec ferveur les objets d’arts décoratifs de la Grèce antique. Attale Ier 6 lancera des émissaires dans toute la Grèce et entreprendra même les premières fouilles de l’histoire. En 146 av Jc, après le sac de Corinthe, on partagea de butin et le général Romain Mummius, ne sachant trop quoi faire de ce monceau d’antiquités grecques, les envoya en offrande aux dieux de Rome. Cette décision ne sera pas sans conséquences car elle inaugurera la pratique de la collection d’objets d’arts chez les Romains. Rome fut alors le lieux de collections les plus fournies les unes que les autres via des collectionneurs tel que Asinus Pollio, Atticus, Sénèque… Et il y eu aussi des experts, faussaires, courtiers, etc.
Attale Ier Sôter (du grec, « sauveur »), né en 269 av. J.-C. et décédé en 197 av. J. -C. fut souverain de la polis de Pergame de 241 av. J.-C. à sa mort. 6
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Fig. O5 : Villa Adrianna aujourd’hui et ses vestiges Antiques Grec
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Plus de cinq cents statues de bronze furent enlevées du sanctuaire de Delphes et on les retrouve aujourd’hui dans certains palais Italiens. Et c’est finalement dans l’enceinte de la Villa Adrianna que sera élevé le premier « musée d’architecture », même s’il n’en avait ni le nom ni la destination. On connait la place que joue le patrimoine aujourd’hui, mais il faut bien garder en mémoire qu’il n’y avait alors pas de véritable règle quant à la conservation ou la préservation de ces œuvres. Elles ne sont pas encore investies d’une valeur historique, mais plutôt d’un rôle décoratif, de modèles d’art de vivre et de raffinement. Il est surprenant de voir la quantité de monuments antiques et de vestiges du passé qui ont été détruits à l’époque médiévale dans une Europe encore largement parsemée des traces matérielles de la colonisation romaine. Les invasions barbares ont certes pu jouer une rôle, mais c’est vraisemblablement le prosélytisme chrétien qui est le principal vecteur. Les monuments romains n’étaient vus que comme des vestiges du paganisme ou des ruines de monuments dont on avait oublié le sens et l’usage. La pierre et son travail étaient très onéreux et c’est ce qui amena les grands édifices à être transformés en carrière7. (Le pouvoir ottoman en fit de même notamment en Asie mineure, avec les vestiges de l’antiquité grecque et romaine, et ceux des premiers Chrétiens). Au XIème siècle, les arches du Colisée sont colmatées et occupées par des habitations, des entrepôts, des ateliers et l’arène accueillit une église. Le Circus Maximus est lui aussi envahi par des habitations, les arches du théâtre de Pompée sont occupées par des marchands. À Arles, les arènes servent de fortification et permettent aux habitations logées en son sein d’être protégé. Un quartier entier s’y construit sur plusieurs niveaux grâce aux gradins et une église vient prendre place en son centre. Les arènes de Nîmes et surement de nombreuse autres subirent le même sort. 7
À Rome, un décret légalise en 459 la spoliation des édifices « dont l’état ne permet pas la réparation »
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Fig. 06: Dessin de Peytret : arènes de Arles à l’époque Médiévale
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Il est vrai que même si ces additions venaient à modifier le monument originel - en y ajoutant des percées par exemple comme on en trouve de nombreuse traces dans les thermes d’Arles actuellement - on voit là une première trace de requalification d’un espace tout en le préservant. Cependant, malgré ces nombreuses transformations, certains édifices furent volontairement conservés durant cette période. L’Europe est en crise financière et construire lui coûte beaucoup trop cher. Ce serait donc pour des raisons pratiques et économiques que des conservations eurent lieu. À Rome au VIème siècle, Grégoire Ier prend en charge l’entretien des bâtiments et va pratiquer une politique de réemploi. Les grandes demeures patriciennes sont transformées en monastère ou en église. L’intérêt utilitaire n’était pas le seul. La préservation de ces savoir antiques était aussi due à une volonté de préserver quelque chose de familier pour lesquels les gens d’église éprouvaient respect et intérêt. Ce sont certes des objets issus d’un univers païen qui pour eux n’a plus lieu d’être et qui n’est pas si ancien que cela, mais qui pourtant les fascinaient par leur raffinement, leurs dimensions, la qualité de leur exécution. Ces vestiges vont donc aussi éveiller la curiosité, l’admiration des intellectuels et religieux de l’époque. Leur rapport à l’Antiquité reste donc ambivalent. Ils vont vénérer, s’approprier ou bien détruire ces vestiges. Les sculpteurs romain vont intégrer des monstres antiques aux scènes bibliques, habiller de vêtements médiévaux des héros de la mythologie. Les objets et monuments vont eux aussi être assimilés, christianisés, sans prendre en compte leur histoires ou leur symbolique. Ils vont être réutilisée comme de purs objets plastiques. À cette époque donc, la préservation des monuments antiques n’est due finalement qu’à une volonté de réemploi, avec une simplicité proche de la désinvolture. Colonnes, chapiteaux, statues, frises sont enlevés des édifices antiques afin d’être réinsérés dans de nouvelles constructions à des fins d’embellissement et de décor. Et les édifices antiques deviennent « monuments » par l’effet esthétique qu’ils produisent sur le paysage urbain. !28
Fig. 07: Gravure de Piranesi de l’église San Lorenzo in Miranda. Eglise romaine édifiée dans l'ancien temple d'Antonin et Faustine
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D E
L ’ A R C H I T E C T U R E
A
L ’ U R B A I N
Le terme de « monument historique » qui délimitait à la base des édifices prestigieux (tels que vestiges de l’Antiquité, cathédrales, abbayes, châteaux, palais…) va, avec le temps, englober de plus en plus de typologies et de chronologies différentes. Comme nous l’avons vu, Ruskin sera l’un des premiers à mettre en avant la valeur d’une mémoire plus modeste, celle des architectures domestiques et vernaculaires… Pendant longtemps donc, la protection des monuments historiques ne concerne que des bâtiment comme objets isolés. Ce ne sont que les édifices majeurs qui attirent l’attention, et étudier et préserver l’urbanisme ne sont même pas envisagés. C’est en Europe qu’apparaît vers la fin du XIXème siècle les termes d’ «art urbain», d’ «urbanisme culturaliste», d’ «esthétique de la ville». Ce sont des concepts qui vont être propagés par des auteurs comme Charles Bulls ou Camillo Sitte, Gustavo Giovannoni… Et même si ces idées commencent à faire leur place, il faudra attendre le milieu du XXème siècle pour que le patrimoine soit rattaché à son contexte. La préservation des espaces urbains en Italie émerge en opposition à la période hygiéniste et ses plans régulateurs, reflets d’un urbanisme rectiligne qui séparait les habitations de leur histoire, dénués finalement de tout contexte. Il suffit d’observer quelques exemples historiques pour comprendre la complexité de cette dualité entre l’ancien et le moderne, et comment les architectes et les responsables politiques ont tardé à se positionner. À Paris, on peut observer, lors de l’hausmanisation, avec quelle facilité les pouvoirs publics ont détruit une grande partie du tissu urbain historique. Violet-le-Duc, dans une volonté de restauration des bâtiments remarquables de la capitale, voulut les rendre iconiques, et c’est sans grande considération pour le bâti existant qu’il « épura » les
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pourtours des monuments. Le parvis de Notre-Dame par exemple est dégagé dans les années 1860-1870 par des travaux voulus par le Baron Haussmann, lors des transformations de Paris sous le Second Empire, les préoccupations hygiénistes d'Haussmann se conjuguant avec une nouvelle conception artistique qui isole la cathédrale sur une place et dégage des perspectives. Ces travaux nécessitent la démolition de l'ancien Hospice des E n f a n t s - t r o u v é s d u X V I I Ième s i è c l e , d e v e n u s i è g e d e l’administration de l'Assistance-publique, et de l'ancien Hôtel-Dieu. Violet le duc dans son article « restauration » affirmait que « Le meilleur moyen de conserver un édifice, c’est de lui trouver un emploi » . Il incarne finalement le progressisme Français car il promeut une une approche historique et didactique de la restauration. Le terme italien Risanamento définit, à Florence, la période du réaménagement urbanistique opéré entre 1865 et 1895. Entre autres aménagements et transformations de la ville, le centre historique y fut radicalement modifié pour des exigences de salubrité et autant d'impératifs économiques au moment même où la ville devient la capitale éphémère du nouvel État italien (du 15 septembre 1864 au 20 septembre 1870). Guido Carroci8 se servira de ce terme pour défendre la destruction du centre ancien de Florence à la fin du fin XIXème siècle. La cité confia la réalisation du nouveau plan de la ville à l'architecte Giuseppe Poggi, le 18 février 1865. Face à des hausses démographique, la ville a du s’adapter par la création de nouveaux logements, et la limitation de la spéculation immobilière et foncière, tout en donnant une allure plus moderne à l’espace urbain. Le centre ancien accusa pas mal de destructions comme celle de son enceinte historique, ainsi que d’une partie du tissu urbain, ce afin d’agrandir ou de créer de nouvelles avenues.
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Guido Carocci (Firenze, 16 settembre 1851 – Firenze, 20 settembre 1916)
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Fig. 08: La colonne demeurée seule après la démolition du Mercato Vecchio lors du Risanamento à Florence.
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C’est dans un contexte d’entre deux guerres, où l’Europe essaye de gérer les dégâts matériels importants qu’elle a subis, que l’on commence à se poser des questions sur les reconstructions et sur les notions d’urbanisme. L’architecte et ingénieur Giovannoni9 écrivit de 1903 à 1931 une théorie de l’ambiante urbano où il rechercha une cohésion entre ces centre ancien et la nécessité de modernisation des villes. À ses yeux, un architecte doit d’abord étudier le patrimoine urbain et comprendre ses spécificités avant de pouvoir y intervenir. Chaque centre ancien possède ses caractéristiques, ses traditions, son histoire, son propre esprit des lieux, tout ce qui crée chez les habitants un sentiment d’appartenance. Ce « caractère des villes » se retrouve, en Italie, chez tous les opposants à la modernisation et les acteurs de la conservation. Grâce à ces écrits, on commence à comprendre qu’un bâtiment n’existe pas seul, ainsi que l’importance de son contexte urbain. En 1925, Renato Paoli défend dans un essai, en citant Bulls et Sitte, la supériorité des villes anciennes sur les villes modernes qui ne possèdent plus autant de caractère. L’esprit de la ville serait conditionnés par le style, le milieu naturel, la disposition de ses espaces urbains, sa matérialité, et finalement le caractère de ses habitants qui la façonnent. Les travaux de Giovannoni vont porter leurs fruits car c’est dans son sillage que les Italiens vont, après la Première Guerre Mondiale, considérer les villes anciennes comme des monuments historiques à part entière. L’Italie et L’Angleterre ont aussi été les premières à se battre pour une requalification des monuments historiques afin de leur éviter de tomber dans la muséification10. 9
Gustavo Giovannoni (Rome 1873 – 1947), est l’un des grands instigateurs de la vision urbanistique moderne. Il a exercé les professions d’architecte et ingénieur 10
La muséification d'un espace ou d'une pratique est le processus par lequel s'opère sa transformation en un objet de conservation ainsi que de valorisation touristique, à la manière de ce qui se trouverait dans un musée.
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L E G I S L A T I O N
M O D E R N E
Le terme « patrimoine » fut souvent utilisé durant la Révolution Française, puis vite abandonné. Il refit surface en France pour désigner les monuments historiques au cours des années 60. Les dispositifs de secteurs sauvegardés et les labels arts et histoires apparaissent en France durant cette période, dans le cadre du ministère Malraux. Le label “Ville d’art” a été institué en 1960 et les secteurs sauvegardés ont été créés en 1962. Il existe, à l’heure actuelle, des usage similaires de ces deux dispositifs. Beaucoup de VPAH se situent dans des villes possédant des secteurs sauvegardés et inversement. Ces labels sont complémentaires; ils amènent un outil réglementaire pointu dédié à la mise en valeur et à la protection du patrimoine, ainsi qu’un outil de promotion culturelle. Cela permet aux grandes opérations urbaines et architecturales en secteurs anciens d’être accompagnées au mieux - aidées aussi par les PSMV11 . Ces transformations se font en concertation avec le public et permettent de trouver un juste milieu entre préservation de l’ancien et création moderne. Ces labels furent créés dans un but de médiation culturelle autour du patrimoine. Plus tard vinrent s’ajouter les ZPPAUP12 et les VPAH13. La politique patrimoniale devient alors plus globale, mettant l’accent sur les connaissance, la médiation, la conservation, mais aussi la qualité du cadre de vie.
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PSMV : Plan de sauvegarde et de mise en valeur
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ZPPAUP : Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager créer en 1983 13
VPAH : Ville et Pays d’art et d’histoire créer en 1985
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Fig. 09 : Carte de France rĂŠunissant les diffĂŠrentes VPAH
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Le label VPAH a permis aux collectivités de mettre en avant leurs quartiers historiques avec les outils d’urbanisme et de planification urbaine adéquats à la qualité de leur patrimoine. Ces villes ont ainsi pu lancer la création de secteurs sauvegardés en leur sein. La force du label Ville ou Pays d’art et d’histoire est d’apporter aux projets une approche plus générale et élargie du patrimoine et de l’architecture, ainsi que d’aider à l’ouverture des politiques territoriales (aménagement urbain, culture, développement touristique, éducation artistique ...).
Un des problèmes cependant que pose la Loi Malraux est qu’elle à tendance à figer les centres et tissus anciens. Méthode opposée à ce que proposait Giovannoni qui lui les préserve tout en les intégrant à la vie contemporaine. De plus, la Culture devient finalement un objet de consommation comme les autres. Ce sens nouveau sera très vite adopté par l’Europe entière. Dès les années 70 et plus encore dans les années 80, l’amour du patrimoine devient vraiment collectif, conforté par le développement d’une sensibilité écologiste et environnementaliste. Le pouvoir politique instrumentalise cette défense du patrimoine pour se donner une consistance sociale. Une nouvelle révolution culturelle est en marche. Pour ses concepteurs et ses défenseurs, le patrimoine devait réunir. Il fallait que ce qui était représentatif des mémoires collectives persiste. Une transmission en actes, et toute la communauté se devait d’y participer. Car cette ère, certes révolue, avait néanmoins des témoins vivants. L’Histoire s’écrivait avec eux. Les « Trente Glorieuses » avaient généré un important patrimoine industriel. Il fallait que le monde ouvrier affirme son identité face aux autre classes sociales. C’est à partir de là qu’un engouement pour la défense des « nouveaux » lieux de patrimoine eut lieu. Une machinerie patrimoniale se met alors petit à petit en place afin que le Patrimoine confère à toute forme de revendication identitaire une reconnaissance institutionnelle. !36
Le « il ne faut pas oublier » à bénéficié d’un engouement massif, car il s’est transformé en plaisir personnel de se reconnaitre dans ce qui était en train de disparaître. L’expansion des recherches patrimoniales a entraîné un fait nouveau et contemporain, la patrimonialisation généralisée devenue l’expression même de la modernité. On étudie et classe ce que l’on produit. On pourrait presque comparer cette situation à la « perspective inversée » de Cézanne. Le point de fuite est dans l ‘œil de celui qui regarde et non plus dans le tableau.
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L E
F E T I C H I S M E
D U
P A T R I M O I N E
La révolution culturelle des nouvelles technologies dans les années 50 touchera toute la planète. La société humaine s’engage de plus en plus dans un monde virtuel, l’instantanéité devient de rigueur. La normalisation d’un système s’établit petit à petit, pour arriver à une société globalisée. Propulsé par une architecture hors d’échelle et sans contexte, ce type de processus poussé par l’occident est appelé dans le reste du monde la Westernisation14. Les typologies traditionnelles s’effacent au profit d’une architecture normalisée. La profession même de l’architecte est modifié, il tend à devenir un créateur d’image, de beaux objets posés dans l’environnement et dénués d’attaches au contexte. Ce n’est plus que de la production d’ego tout en se rattachant à des codes typologiques « européens ». Il est certain qu’il y a deux cents ans, les modes de vie étaient très différents aux quatre coins du monde, et même d’une rive à l’autre d’une rivière. La culture de chaque groupe humain était unique, selon les gens ou les lieux. Ce qui venait d’ailleurs était très différent, provoquant à la foi crainte, curiosité et désir. Les périodes coloniales ont instauré ce début de Westernisation, qui fut accentué plus tard par cette volonté de tout standardiser, le temps, les mesures, l’éducation à travers le monde. Les villes aujourd’hui finissent par avoir un motif commun, et elles sont gérées selon le mode occidental. La Westernisation a fini par aplanir toute différence et singularité. Les nouvelles constructions, les nouveaux quartiers, les villes sont construits suivant le même motif et ne sont plus que des copies de copies de copies. 14
La Westernisation ou Occidentalisation est un mécanisme mondialisé et ancien qui conduit des individus ou des sociétés à adopter des traits culturels, organisationnels ou idéologiques provenant de l'Occident.
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Fig. 10 : Capture d’écran d’une vue Google earth au dessus de l’Arabie Saoudite. Nouvelles extensions urbaines et parcellaire purement esthétique.
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Cette globalisation à entraîné une fétichisation du patrimoine. D’une part d’une façon passive, nostalgique, en souhaitant garder des traces de formes et de modes d’organisation urbaines du passé, les utiliser comme modèles, et essayer de jongler entre le respect de l’histoire identitaire et l’innovation nécessaire. D’une autre manière, plus proactive, on relègue (ou on élève) le patrimoine au rang d’objet de musée car il sert une cause historique ou esthétique. On donne un sens identitaire à la sauvegarde des mémoires collectives. La conservation devient sociale et politique. Ce qui est en train de sombrer doit être magnifié. C’est le syndrome « Titanic ». Patrimoine signifie héritage et comme quand on vide la maison d’un ancêtre décédé, on fait le tri. Une sélection se fait, car tout ce qui fait Histoire ne peut être classé (au sens législatif). Ce choix est souvent surprenant et laisse de côtéquantité d’objets qui, pour l’heure, ne paraissent pas intéressants. D’une génération à l’autre, on reconstruit le passé et ce qui est important pour l’une ne l’est plus pour l’autre (et vice-versa). Claude Lévi-Strauss décrit bien les conséquences de cette globalisation et de cette patrimonialisation excessive : « le mouvement qui entraîne l’humanité vers une civilisation mondiale, destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l’honneur d’avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie et que nous recueillons précieusement dans les bibliothèques et dans les musées parce que nous nous sentons de moins en moins certains d’être capables d’en produire d’aussi évidents.15 » Cette ferveur contemporaine pour le passé pourrait être expliquée par cet aplatissement de notre monde moderne, cette perte possible d’identité culturelle. Ce qui amène le Patrimoine à avoir comme principal enjeu la préservation d’une identité, car la mémoire permet de relier les générations entres elles.
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extrait de « race et culture », revue internationale des sciences sociales. 1971.
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Fig 11 : Photographie Argentique de la vielle ville d’Antibes.
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Cet entrain serait du à une recherche des vraies valeurs dans le passé. Comme un moyen de conjurer une menace qui pèse aujourd’hui, afin de ne pas perdre sens. La vitesse à laquelle les choses évoluent fait que même les architectures et objets d’aujourd’hui tendent à devenir Patrimoine à peine construits car ne sont-ils pas des icônes représentatifs de notre société actuelle ? Ce qui fait Patrimoine aujourd’hui s’ancre dans deux temporalités, l’une immédiate et l’autre du passé. Dans une atmosphère de résistance à l’oubli, de réactualisation permanente de ce qui fait passé, le travail de remémoration s’impose comme un devoir citoyen. Toute cette machinerie patrimoniale qui s’est mise en place a pour but la reconnaissance institutionnelle que le patrimoine donne à toute forme de revendication identitaire. La valeur patrimoniale qui y est attribuée fait office de « label », de garantie d’authenticité. Et là est bien le problème posé par la westernisation. Pourquoi nous sentons-nous menacés par cette perte d’appartenance culturelle?
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LA
MARCHANDISATION
DU
PATRIMOINE
Le XXIème siècle est clairement celui de la mondialisation et de la culture de masse entrainant la muséification du patrimoine et sa marchandisation. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la promotion patrimoniale est liée en partie aux circuits financiers et aux profits de « l‘industrie culturelle » . Depuis le Quattrocento, le patrimoine a suscité des retombées économiques indéniables. De même, les arènes de Nîmes, le pont du Gard, les grands lieux de pèlerinage, permettaient déjà de faire venir beaucoup de voyageurs dans les terres françaises. On cherche depuis le milieu du XXème siècle à exploiter commercialement le patrimoine de façon croissante. En 1998, dans le bulletin du ministre de la culture, on a pu lire que « le produit muséal est devenu un objet esthétique pour une consommation de masse ». Mais cette marchandisation n’est profitable ni pour les visiteurs, ni pour les sites en eux-mêmes. Pompéi en est l’exemple type. C’est en partie à cause de ses visiteurs en nombre croissant - deux millions et demi de visiteurs annuels - que le site a fini par se dégrader. Les tour-opérateurs et les guides - parce que l’on est dans un monde de sur-consommation- travaillent au rendement, ils sont là pour montrer ces nombreuses images que l’on a déjà vues dans les livres,à la télévision, au cinéma, afin qu’on les « valide ». Pour cela, ils n’hésitent pas à utiliser l’eau des bouteilles de touristes (donc ni pure ni filtrée) pour raviver les couleurs des fresques, ce qui finit inexorablement par les dégrader et les faire disparaître. Il ne reste aujourd’hui que 10% d’habitats à visiter (contre 90% il y à trente ans ). Il est clair que Pompéi est devenu un marché florissant pour la maffia ainsi que pour le marché des guides touristiques clandestins. Le mythe veut que le site ne possède pas d’argent alors qu’il est établi qu’il lui est alloué 20 million d’euros tout les ans.
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Fig. 12 : les touristes affluent en masse à Pompeï
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Cependant par « faute de moyens », le manque d’entretien et l’abondance de touristes (et leurs mauvais comportements) ne font qu’aggraver les dégâts. Il faudrait plus de gardiens pour réguler les touristes qui rentrent parfois par centaines dans des lieux ne pouvant en accueillir qu’une dizaine… L’état d’urgence est déclarée depuis des années, mais il est plus profitable (pour certains) de continuer à faire commerce au détriment des monuments. Le patrimoine est donc bien plus qu’un décor, et peut être une réelle valeur ajoutée à l’économie de la ville lorsqu’il est « exploité ». Chose que les villes ont très vite compris surtout lorsque elles possédaient un patrimoine conséquent. Conscientes de cette valeur marchande, elles vont mettre en place une « course à la patrimonialisation », et protéger tout ce qui peut l’être ou présente un intérêt patrimonial. Il s’agit donc de muséifier la ville pour ensuite la proposer au tourisme, créer un véritable musée urbain dans lequel l’œuvre d’art est la ville elle-même. Le patrimoine fait aujourd’hui partie intégrante de la culture, mais il est aussi devenu une source de revenus non négligeables pour les communes. Nombreux sont les pays qui comptent sur le tourisme culturel pour attirer les touriste et il est pour certains leur seul source de revenus. D’après L’INSEE, la France est ainsi la première destination touristique parmi les pays de l’Union européenne rapportant en 2014 43,2 milliard d’euros, dont 20 milliards provenant du patrimoine culturel. Il est certains que l’on ne peut s’interroger sur le bienfondé de la muséification des villes. Car si certaines villes peuvent préserver leurs patrimoine sans en faire commerce, il est vrai que pour d’autres, cela est aujourd’hui leur seule source de revenus en dehors de la fiscalité.
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Fig. 13: Le Duomo vue Ă travers les touriste.
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L A
V I L L E
C O M M E
P A L I M P S E S T E
Ce qui fait la force de nos villes musées aujourd’hui, ce sont les différentes époques que l’on peut voir s’y succéder. Les villes à travers les siècles ont du évoluer et continuer à se construire et se reconstruire. Les villes n’ont pu s’étendre sans fin dans le territoire et se sont souvent vues enfermées dans leurs fortification. C’est pour cela par exemple qu’Antibes a décidé de détruite ses fortification de type Vauban qui l’étouffaient. La perte patrimoniale a été énorme, mais cela a permis à la ville de se développer. L’évolution urbaine des villes trouvait dans la ville d’hier les fondations de la ville futur. La sédimentation de certaines villes le montre très bien. Sur les vestiges romains se retrouvent des constructions du moyen âge, et d’autre encore par dessus à la renaissance. Nous avions évoqué les arènes d’Arles et Nîmes plus haut, et d’autres exemples existent. Il existe à Aix-en-Provence un ancien théâtre antique Romain encore en état de fouille sur lequel on peut observer les traces d’habitats du Moyen-Âge, certains murs ayant été construits avec des morceaux du théâtre lui-même. Cette superposition d’époques à permis, à cet endroit de préserver les gradins antiques car ils ont été pris dans un processus de réutilisation ( les gradins permettant d’habiter sur plusieurs niveaux). La ville à su, au fil du temps, se recomposer, détruire son patrimoine, en récupérer des morceaux pour se reconstruire ailleurs, elle a su et du composer avec son temps. Cette ville qui se reconstruit sur elle-même en effaçant une partie de son histoire est à l’image du palimpseste. C’est Olivier Mougins qui, pour la première fois, reprend ce terme
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utilisé au d’urbanisme.
Moyen-Âge16 ,
pour
parler
d’architecture
et
Cette méthode a permis de transmettre jusqu’à aujourd’hui une pluralité patrimoniale et même si elle en a détruit une partie, cela reste un exemple de sédimentation et de cohabitations de plusieurs époques remarquables. Aujourd’hui, cette architecture des centres anciens n’est plus autant adaptée à notre vie contemporaine et nous nous retrouvons face à un choix de conserver ou reconstruire, d’essayer de cohabiter ou de construire ailleurs hors des murs.
16
La palimpseste au M-A est un parchemin sur lequel on réécrit après avoir fait disparaitre en grattant les inscriptions tout en préservant les traces écrites en filigrane. Le parchemin coûtait trop cher pour en utiliser un nouveau à chaque fois.
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Fig. 14 : Vestiges de plusieurs époques sur une façade le vielle ville d’Antibes
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A
L A
V I L L E
M U S E E
L’avenir de la ville serait donc dans la ville elle-même. Mais comme nous l’avons vu plus avant, on ne peut plus aujourd’hui continuer à reconstruire sur nos ruines et entasser les strates successives comme cela a été fait auparavant. Alois Riegl17 , dans le culte moderne des monuments montre que conservateurs et novateurs se sont longtemps opposés. Les novateurs veulent détruire coûte que coûte pour mieux reconstruire car ce qui importe, ce sont les constructions futures. Alors que les conservateurs sont prêts à tout pour conserver la moindre trace d’histoire. Les deux ont un parti pris extrême. Lorsque l’on pénètre en centre ancien, il est certain que l’on est touché par ces bâtiments remarquables qui ont pu être préservés à travers le temps, par ces traces d’histoires que l’on peut lire sur leurs façades, à travers leurs fissures et la patine du temps. On est heureux de savoir que cette ville palimpseste, lorsqu’elle à du se séparer de certains édifices, a également choisi d’en préserver d’autres. Car il est vrai que détruire un patrimoine architectural, c’est détruire un peu l’histoire d’une ville. C’est pour cette raison que préserver est devenu aussi important aujourd’hui, et que tout finit par devenir patrimoine. Car il ne suffit plus d’avoir une valeur esthétique, si il y à une valeur historique, sociale, morphologique, typologique qui d’une manière ou d’une autre est commémorative d’une période de l’histoire, qui représente une partie de notre héritage et mérite d’être classé.
17
Aloïs Riegl, né le 14 janvier 1858 à Linz et mort le 17 juin 1905 à Vienne, est un historien de l'art autrichien
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En 2011, 43.720 monuments étaient protégés, la majorité faisant partie des périodes du Moyen-Âge18 ou des temps modernes19. On observe aujourd’hui une généralisation de la patrimonialisation du patrimoine du XXème siècle. Dès qu’il commémore une partie de notre histoire, un bâtiment est digne de conservation. Les églises, châteaux et quartiers anciens ont laissé la place aux usines abandonnées, lavoirs, châteaux d’eau, fours à pain… La ville est aujourd’hui dotée d’un patrimoine éclectique par le style et les époques qui la composent. Face à un nombre grandissant de bâtiments classés, on se pose la question de leur fonction. Car un objet du patrimoine, autre que de traduire un fragment de notre société, ou d’avoir une valeur esthétique, est « mort » si il n’a pas de fonction utile pour la ville. Ce que Alois Riegl définissait comme « valeur d’utilité ». Il est donc nécessaire de préserver la fonction d’un bâtiment car il ne peut exister sans cela. Il est évident que certains monuments ne peuvent plus abriter leurs fonctions d’origine, comme un fort du Moyen-Âge ne pourrait avoir de fonction défensive, ou un palais florentin abriter les fastes d’une époque et d’un mode de gouvernement révolus. C’est pour cela qu’il est important de trouver de nouvelles fonctions à ces bâtiments, car le risque est que les centres historiques soient réduits à être les simple vitrines touristiques d’un territoire « pittoresque ». La difficulté réside dans le fait de savoir composer entre une volonté de ne pas perdre ses habitants et en même temps de préserver le patrimoine. Il est certes difficile d’adapter les centres anciens à une vie et à des activités économiques modernes qui sont nécessaires à la vie au XXIème siècle, et certains centres-ville ne sont considérés aujourd’hui que comme des lieux pittoresques en voie de muséification, souffrant de la désaffectation car le patrimoine ne se suffit pas de sa seul fonction de décor urbain.
18
32,8%
19
45%
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Fig. 15 : Vue de la vielle ville de Florence
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VILLE
MODERNE
ET
CENTRE
ANCIEN
Il est important de noter les différences entre centre ancien et moderne afin de comprendre pourquoi il est difficile de les faire coexister. Giovannoni dans «L’urbanisme face aux villes anciennes » définit bien ces deux entités et leur spécificités respectives. La ville ancienne est pour lui caractérisée par ses limites, la lenteur de son rythme de vie, la petite échelle des pleins et des vides qui forment son tissu, le lien étroit et la proximité entre ses éléments bâtis. Les bâtiments ne sont pas autonomes les uns des autres, mais s’articulent dans un contexte fort. L’échelle de proximité est forte dans ces lieux et une vocation sociale s’en dégage. L’urbanisation moderne est, à l’opposé, caractérisée par son dynamisme et le fait qu’elle ne possède pas vraiment de limites, rendant ses possibilités d’extension elles aussi illimitées. L’échelle de son urbanisme est plus grande et le maillage de son tissu plus large. C’est un espace que l’on associe au mouvement, son rythme de vie y est beaucoup plus rapide. La ville s’inscrit, avec les nouvelles technologie de la communication et les transports, dans une logique beaucoup plus territoriale. Sociologiquement, les villes nouvelles sont plus hygiénistes et institutionnelles. Ce sont des paradoxe que l’on comprend bien en regardant aussi le cinéma de Jacques Tati. Il s’intéresse à travers ses films à l’évolution du monde moderne, aux Trente Glorieuses, années de forte croissance économique suivant la Seconde guerre mondiale . C’est dans Jour de fête 20 que Tati amorce sa critique. Le film se déroule dans un paradis perdu, un petit village typique, où la modernité vient mettre la pagaille. Elle est - pour les habitants - perçue de façon effrayante et excitante (à travers l’apparition du téléphone ou de la voiture). 20
1949
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Fig. 16: Screen shot extrait du film Mon oncle de Tati
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Mon Oncle 21, quant à lui, soulève encore plus les enjeux de la modernisation, et présente deux univers diamétralement opposés. Tati met en scène une famille moderne à l’excès, dans un paysage urbain qui s’organise de façon fonctionnelle, où la vie est rationnelle. Ici Tati critique cette volonté de tout normaliser, l’organisation linéaire des architectures, leurs aspect aseptisé, rationnel, fonctionnel… Cette culture matérielle envahit l’intimité des familles et modifie les relations sociales. Il la met en opposition au monde du personnage de Monsieur Hulot, qui se déplace en Solex et vit dans un quartier plus ancien, plus chaleureux, mélancolique et qui semble complètement dépassé par cette modernité et ce changement de vitesse. Une scène illustre au mieux cette opposition: Monsieur Hulot prend soin de contourner un fragile mur en ruine qui semble plier sous le poids de la ville grandissante. À travers ses films, Jacques Tati met en confrontation ville ancienne et monde moderne. Il critique son époque et le clivage qui existe entre ce monde des traditions, d’un rythme plus lent, des déplacements sur des deux-roues de faible puissance, des petites maisons, en opposition avec le monde de l’industrie, de la machine omniprésente, de l’individualisme grandissant, des buildings, des voitures, d’un urbanisme rectiligne et froid. Il interroge les vices de cette modernisation et croissance excessive à travers les différentes aventures de Monsieur Hulot (son personnage principal à travers ses différents films). Personnage tiraillé entre deux monde, un qui s’accélère et l’autre plus authentique. Cependant les films de Tati finissent toujours de façon joyeuse et démontrent que ces deux univers peuvent cohabiter.
21
1958
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Fig. 17: Photographie argentine de moment de vie dans le vielle Antibes.
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Pour Giovannoni, ces deux types urbains peuvent aussi coexister sans se porter préjudice, et ce en mettant en application deux termes : dissocier et unir. Il souhaite mettre en avant les différences en conservant les spécificités, tout en raccordant les villes en les faisant communiquer avec un système global de circulation. Il souhaite conserver un rôle vivant aux noyaux anciens en leur attribuant des fonctions de proximités (habitat, commerce et services). Pour lui, ces ensembles urbains doivent être partie prenante des nouveaux organismes urbains. Giovannoni ne souhaite pas muséifier les centres anciens, mais est tout de même pour la patrimonialisation. Pour lui, le patrimoine urbain est constitué de l’ensemble tissulaire, il considère la ville historique comme une œuvre d’art en soi, faite de monuments majeurs, prestigieux et d’autres mineurs, représentants d’une architecture du quotidien. Le tissu articulé des bâtiments mineurs permet de créer le contexte de l’édifice majeur. La protection visera alors les édifices, mais surtout les relations contextuelles génératrices de ce tissu ancien. Ici, il amène une dimension esthétique au contexte. Le patrimoine, en plus d’être porteur de sens esthétique et historique, est aussi doté d’une valeur sociale. Giovannoni souhaite conserver ces valeurs, adapter la vie ancienne au tissu moderne, à travers une démarche plus dynamique. Il donne à la fin de son livre des recommandations pour gérer au mieux la jonction entre ces deux tissus : abolir la séparation entre les plan d’extension urbain et ceux du renouvellement interne, donner une autonomie à toutes les municipalités en termes d’aménagement, mettre en place un schéma directeur global pour une meilleure cohérence territoriale. Dans son ouvrage, Giovannoni pose des questionnements sur un problème qui reste toujours d’actualité, celui des rapports entre ville ancienne, remplie de traditions, de codes et d’histoire face aux mutations nécessaires à la vie moderne, plus rapide.
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LA RÉHABILITATION DES CENTRES ANCIENS « Certains considèrent que l’attractivité urbaine s’oppose à la mixité sociale dans la mesure où la requalification d’un centre ancien doit s’appuyer sur une fonction forte (touristique, résidentielle, commerciale,...) qui structure l’ensemble. D’autres pensent au contraire que les deux termes se nourrissent mutuellement et que l’attractivité urbaine est une valeur cumulative qui augmente en fonction de la diversité de l’offre fonctionnelle de la vie et du cadre urbains : fonction résidentielle, commerciale, culturelle, touristique et administrative, mais aussi événementielle et symbolique. Dès lors, la mixité sociale est non seulement dépendante de cette diversité fonctionnelle, elle en est constitutive. Au-delà de l’évidence de l’interdépendance des processus sociaux et urbains, il n’est pas rare, dans les situations bloquées ou stagnantes, de voir la prégnance discursive, inflationniste, autour de la question de l’image du centre ancien venir obérer la question du bon dosage entre investissement public et privé. Plus généralement, la réhabilitation des centres anciens ne peut être réduite ni à la seule question de l’image ni à celle des seules incitations à l’amélioration de l’habitat. La segmentation de l’intervention publique et privée, héritage de l’habitude, des champs de compétences et des filières de financement, n’aura d’efficience que si elle s’inscrit dans un projet global. Se pose alors la question de la pertinence et de l’efficacité des outils et du dynamisme des opérateurs à mobiliser, mais surtout peut-être celle des modalités (démocratiques?) d’élaboration du projet commun d’intervention. » Salvadore Condro
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Fig. 18 : Vue du Ponte Vecchio à Florence
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V I V R E
E N
C E N T R E
A N C I E N
On peut se demander ce que c’est qu’être un habitant d’un centre ancien, quelle identité cela apporte ? Façonnés par des siècles d’histoire, les centres et quartiers historiques constituent des ensembles monumentaux que les outils d’urbanisme tels que les secteurs sauvegardés et les ZPPAUP (et bientôt les AVAP) permettent de préserver, mais surtout de valoriser. Loin du seul concept d’héritage culturel, la notion de patrimoine dans les secteurs protégés intègre les problématiques actuelles de qualité urbaine et environnementale, reconquête de logements, mixité sociale et fonctionnelle, accessibilité. Longtemps de la seule compétence de l’État, le patrimoine est devenu, avec les lois de décentralisation, une priorité pour les collectivités locales. Ainsi, depuis 30 ans, s’efforcentelles de revitaliser leurs quartiers anciens, en milieu urbain ou rural, en s’appuyant notamment sur leurs outils d’urbanisme. Dans cette politique de reconquête des cœurs des villes, la formation des acteurs publics et privés est essentielle, de même que la sensibilisation de la population locale à son cadre de vie. Les enjeux sont sociaux, économiques, et patrimoniaux. Les VPAH rassemble 160 collectivités qui s’efforcent de faire de leurs quartiers anciens des lieux de vie, en requalifiant logements et espaces publics, en encourageant et diversifiant les activités et les commerces et en proposant de nouveaux services, en s’appuyant sur les diversités et caractéristiques de leur bâti ancien. Ces outils s’associent pour que la valorisation du patrimoine devienne un concept partagé par tous.
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Si on vient à discuter avec des habitants de centres anciens on en tire souvent le même discours. Ils sont fiers de porter leurs histoires, de la vivre et de la pratiquer tout les jours. Habiter en secteur sauvegardé apporte des inconvénients et des avantages. Il est vrai que la pression y est forte, il est nécessaire d’obtenir la validation d’un ABF pour chaque modification sur son logement. Mais cela permet de protéger et de valoriser son bien. Le problème cependant, d’après les habitants, est un manque de vitalité provenant d’autre part que du tourisme. Lorsque arrive les période estivales il ne se sentent plus chez eux tant le visages de la ville change et sa population double ou triple. Auparavant synonyme de vétusté et de saleté, vivre dans le centre ancien d’une ville est entrain de devenir le nouveau mode de vie « à la mode » . Car il est aujourd’hui souvent synonyme de dynamisme, de lieu de vie, de création mais aussi d’histoire. Il suffit d’observer le secteur du Panier à Marseille qui était auparavant salle et mal fréquenté. Aujourd’hui, il est devenu un des haut lieux du tourisme et abrite aussi, de plus en plus d’ateliers de créateurs et artistes Marseillais.
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Fig. 19: Photographie argentine d’un vestige d’habitat à Marseille.
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T O U R I S M E
E T
P A T R I M O I N E
Ces traces de mémoires qui s’effritent que ce soit, comme nous l’avons vu plus avant, à Pompéi ou à Venise, sont une question qui concerne l’ensemble d’une société. Nous avons vu précédemment l’importance de cet aspect commémoratif dans notre société actuelle. Venise représente aujourd’hui le meilleur exemple de ce qu’une muséification excessive peut entraîner. Certains villes meurent à cause d’attaques de conquérants, de destructions dues aux guerres, de crises sanitaires ou économiques. Mais si Venise se meurt aujourd’hui, c’est parce qu’elle s’est oubliée. Chaque ville possède sa caractéristique, sa diversité, elle a son propre rôle à assumer à l’égard des autres. Chaque ville est unique, elle en renferme d’autres en elle-même, les villes qu’elle a été, celles qui l’on marquée, les villes qu’elle aurait pu être. La cité, telle qu’elle est aujourd’hui, porte la trace de ses évènements, heureux ou catastrophiques, de ses institutions, des espérances et des joies individuelles ou collectives qu’elle a abritées. La ville existe parce qu’elle a été vécue en tant que telle, par les générations se sont reconnues comme étant ses habitants, qui l’ont façonnée et réciproquement. La vie de chaque cité nous raconte donc sa propre histoire, ses pierres nous parlent des populations qui l’habitent, la vivent, la transforment. La ville et ses habitants ne font qu’un. Et précisément, à propos de Venise, où est son peuple ? Car s’abandonner nonchalamment à la beauté d’une ville n’a jamais suffit à la faire vivre. La population de Venise aujourd’hui se situe dans ses périphéries, dans ses nouveaux quartiers de terre ferme. Même si il y a eu des déplacements, il faut noter que sa population à clairement chuté.
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De 1971 à 2011, elle est passée de 363 062 à 263 996, et en ce qui concerne son centre, les chiffre sont encore plus accablants. 1540 : 129 971 1951 : 174 808 2015 : 56 072 Venise n’a connu qu’une seule fois une telle perte de population, lors de la peste de 1630. Elle connait aujourd’hui d’autres maux : vieillissement de la population, exode des résidents, natalité en berne, disparition des professions libérales, des commerces de proximité,etc. Et alors que la ville se vide, de riches touristes rachètent les biens, mais ne viennent y habiter que 4 jours par an, faisant de Venise une ville de résidences secondaires. C’est un réel transfert de population qui a lieu et qui entraîne les prix vers le haut, empêchant les Vénitiens, notamment les jeunes, de pouvoir se loger. De plus, le tourisme ne cesse d’augmenter : chaque année, 8 millions d’entre eux empruntent les ruelles et les canaux de la ville, soit 600 visiteurs pour 1 résident. Une telle disproportion ruine la démographie de la ville qui est soumise à une monoculture touristique. La survie de la ville et de ses habitants est désormais uniquement basée sur une activité de prestataires extérieurs. il n’y a plus que des restaurants, des hôtels et des magasins de souvenirs vendant des objets qui ne sont même plus fabriqués sur place. Le tissu de fonction de la ville historique disparaît petit à petit… les institutions déménagent en périphérie et sont remplacées par des hôtels ou des magasins. Ce dont la ville a besoin, c’est d’habitants qui parcourent les rue chaque matin et chaque soir, des gardiens et des combattants de sa mémoire, de ceux qui peuvent, au quotidien, continuer à la faire vivre et évoluer. En continuant comme cela, Venise vas se vider de son humanité, et elle ne se construira plus, elle restera figée, comme un superbe musée de cire. Cette course à la muséification qui se produit dans de nombreuses villes, même si elle permettra de préserver nombres de vestiges du passé, peut avoir comme effet néfaste de figer des quartiers entiers, voire donc des villes entières. !64
Fig. 20: Venise se meurt

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LES
ALTERNATIVES
A
LA
MUSEIFICATION
Pour Françoise Choay, l’intégration, dans la vie contemporaine d’un bâtiment désaffecté afin de lui redonner usage, peut poser problème en tant qu’éthique du bâtiment. Doit-on lui redonner son ancienne fonction ? Si son utilité première est devenue obsolète, doit-on le réhabiliter et l’adapter pour lui donner une autre fonction ? Faut-il carrément le détruire et reconstruire à sa place ? Ce qui est en train de disparaître doit être magnifié; il est important de garder des traces historiques de nos architectures et de nos manières de vivres d’une certaine époque, mais en évitant de muséifier ce qui nous entoure. Le patrimoine finit par occulter un travail de la mémoire, par une reconstruction incertaine de ce qui a été et qui suppose une destruction partielle de ce qui nous est donné à voir. Les usages n’empêchent naturellement des traces du
dits culturels des friches industrielles pas les jeux de mémoires. Cela se fait lorsque l’on parcourt les lieux, et qu’à travers passé, on imagine l’histoire.
Ce sont comme des preuves - entre le réel et la fiction - de ce qui a été, de ce qui y fut vécu. Savoir que le lieu est là tel quel, qu’il continue à abriter de la vie, qu’il stimule son environnement est important car chaque lieu de vie participe à la vie de l’ensemble. On vit le lieu comme une aventure, se demandant si ces traces seront encore là demain. Sans le vouloir, on effectue une démarche archéologique de la mémoire. Les friches industrielles sont un des patrimoine les plus réutilisés et réemployés dans la vie moderne. Leurs murs, leurs façades, leurs fissures, leurs traces de vieillesse sont support d’histoires et leurs grands espaces propices à une nouvelle création.
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Fig. 21: La poste Colbert à Marseille. Vestige de l’époque industrielle, remaniée au XXIème siècle, devenu friche, elle vas prochainement abriter en ses murs un projet contemporain.
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À Marseille par exemple, La friche de la Belle de Mai à permis, par sa réhabilitation en centre culturel, de recréer un pôle attractif et économique dans le quartier. Le lieu est pratiqué tout au long de l’année à travers des activités multiples et par des utilisateurs variés. Tout en devenant un haut lieu de la culture contemporaine marseillaise, la Friche a su préserver son atmosphère d’antan et l’on sent, en la traversant, la force et l’histoire du lieu. Marseille est finalement une ville palimpseste qui s’est constamment reconstruite sur elle-même. Mais elle n’a pris conscience que bien tard de son patrimoine. Dans le Guide Joanne, ancêtre du Guide bleu, il est écrit en 1890 : « Marseille ne possède pas d’édifices anciens vraiment remarquables. Ville industrielle et commerçante, avant tout, il semble qu’elle se soit jusqu’à nos jours peu soucié de s’enrichir d’œuvres d’art ». Marseille à 2600 ans d’existence. Entourée de collines au nord, longtemps insoumise, c’est une ville de transit de flux, ville de commerce, depuis toujours tournée vers la mers. Malgré un investissement tardif, elle possède un patrimoine et une identité forte. Les fouilles n’ont pas révélé de grands bâtiments monumentaux, mais des vestiges de la ville grecque, des bâtis fonctionnels romains, les anciens docks, des traces d’amphithéâtre. C’est peut-être à travers les mouvements humains laissent que peu de traces qu’elle est historique.
qui
ne
Dans les années 20, tout le quartier qui se situait derrière celui de la Bourse finit par être complètement rasé, et ce n’est que la découverte, dans les années 1975, de vestiges gallo-romains qui a mis un terme aux destructions. Le patrimoine marseillais reste présent dans la Maison diamantée22, l’Hôtel de Cabre, Le Panier…
22
Construite fin XVIème siècle, classé Monument Historique en 1925.
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Fig. 22: Marseille entre terre et mer. Ici la plage des Catalans, à laquelle s’accoude le cercle des nageurs. Deux lieux historiques bien que d’époques différent.
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L’histoire de l’Hôtel de Cabre 23 est significative. Bâti en 1535, cet édifice est la plus vielle maison construite de Marseille et elle a traversé les siècles sans subir trop de dégradation. En 1943, à la suite de la rafle de Marseille, les Allemands détruisent la quasi-totalité des ruelles bordant la rive nord du Vieux-Port. L’Hôtel de Cabre, ainsi que quelques bâtiments à valeur historique, seront miraculeusement préservés. Pendant la reconstruction du quartier, en 1954, la maison est déplacée d’un bloc et tournée de 90° pour permettre la création d’une grande rue. Autre lieu emblématique de la cité, le Panier est un des quartiers qui commencent à être touché par la muséification. Le tissu urbain actuel est le fragment qui subsiste de la ville ancienne. On retrouve aujourd’hui, dans le tracé parcellaire, les traces du passé gallo-romain, même si les formes urbaines datent du XVIIIème siècle. La croissance de Marseille s’est faite au détriment de ce quartier, le réduisant petit à petit. Mais depuis les années 70, l’attention s’est de nouveau portée sur lui et le processus de sauvegarde s’est mis en place. Décrété ZPPAUP en 1993, l’objectif, pour les pouvoirs publics, fut de résorber l’ habitat insalubre, le remettre en valeur et restaurer le quartier en incitants les investissements en matière de réhabilitation. En défiscalisant l’achat et les travaux effectués sur ces bâtiments, le quartier s’est progressivement vidé de sa vie entre les années 95 et 2000, les bailleurs n’ayant pas d’intérêt à louer leurs biens car la ville leurs garantissait des loyers. Les années 2000 vont marquer sa réinsertion dans la ville et sa revitalisation, ainsi que le basculement définitif du centre ville, plus proche de son patrimoine et de son histoire. C’est un lieux de Marseille encore chargé d’histoire, et le phénomène déjà décrit se reproduit. Les touristes affluent, les magasins à souvenirs se multiplient…
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Classé Monument historique en 2 mai 1941 pour ses façades, le reste de l'hôtel étant inscrit depuis le 2 novembre 1926.
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Fig. 23: Photographie argentine de Marseille d’un paysage type avec ses architectures et époques éclectiques qui se superposent.
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Le rapport de Marseille avec son patrimoine est assez tumultueux. La ville se reconstruit constamment sur elle-même et depuis la fin du XIXème siècle, le pouvoir municipal souhaite changer le centre ville : il veut l’embourgeoiser et le rendre plus touristique. Il se heurte cependant aux associations de quartiers qui se battent pour préserver leur histoire et leur lieu de vie. Des quartiers comme Belsunce ou Noailles ont su résister. Grace à des associations comme « Un centre ville pour tous » l’identité de ces quartiers est restée très forte et combattive face aux projets de la municipalité. La requalification de l’existant à Marseille d’intervention fondamental bien que complexe.
est
un
axe
L’intervention contemporaine dans un tissu tel que celui du centre ville est compliquée, les nouvelles opérations ne doivent pas,s’arrêter à leur périmètre. Il faut qu’une articulation ait lieu entre le tissu existant et le nouvel objet. Il y a parfois une requalification de l’espace public à prévoir, organiser la perméabilité du projet ainsi que l’harmonisation vers le haut de la qualité du bâti. Par exemple, le projet de réhabilitation de la rue de la République, axe historique de liaison entre la ville et ses ports, est en cours. En plus de proposer de nouveaux logements, le projet s’accompagne d’une requalification des espaces publics et doit amener une nouvelle dynamique commerciale. Ce projet est important car tout en préservant les façades historique et les vestiges du passé, cela va prolonger le centre-ville vers les espaces portuaires du nord et structurer la nouvelle organisation du tissu urbain. À Marseille, la restauration immobilière et la mise en valeur du patrimoine passent par des PRI 24, associés à des ZPPAUP, des OPAH25 et des EHI 26. Ce sont des interventions qui concernent 24
Programmes de rénovation immobilière
25
Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat
26
Eradication de l’habitat indigne
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principalement des quartiers tels que le Panier, Belsunce, Noailles, la Buttes des Carmes… Ce sont des outils correctifs et incitatifs, qui agissent sur les territoires, des financements, des publics et des objectifs différents. Cela à permis de mobiliser investisseurs et propriétaires. C’est les,années 1980 que,Marseille fini par se tourner vers la modernité. La ville se lance alors dans de grands,projets pour,redonner vie et dynamisme à son centre,très appauvrit. Le grand Projet d’Euroméditerranée, établis à la fin du XXème siècle est orienté vers l’aménagement urbain ainsi que le développement économique entre le port et son centre. Ce projet vise à ouvrir Marseille sur son territoire, et même à plus grande échelle, à faire de la ville un carrefour entre l’Europe et la méditerranée. Au XXIe siècle,,la ville continue sur sa volonté de s’ouvrir à l’Europe, se moderniser, développer son aspect culturel en devenant en 2013 Capitale Européenne de la Culture. Tout en revalorisant son centre ancien ainsi qu’en mettant en avant son patrimoine la ville vas se doter d’une multitude de nombreux projets (sociaux et culturels) et de grands projets d’aménagements urbains voient le jour. La Soleam a aussi créé récemment « grand centre-ville », une vaste opération de renouvellement urbain visant à améliorer la qualité résidentielle et l’attractivité du centre-ville. 35 pôles constituant des ilots dégradés nécessitent une intervention urgente compte tenu de leur état de vétusté, leurs et de leur potentiel d’évolution ou de leur situation stratégique en rapport avec d’autres projets structurants. Le périmètre autour de Noailles regroupe 5 de ces pôles prioritaires: Noailles-Capucins, Saint-Louis-Delacroix, Bedarrides, Arc-Palud, Ventre-Lieutaud… Les Habitants ont sut d’eux même adapter leurs lieux de vie aux mutations d’usages. Il est courant ( bien que fait de façon sauvage) aujourd’hui de voir apparaitre des terrasses sur les toits des anciens bâtiments. Les habitants s’approprient leurs lieux de vie. !73
Fig. 24: plan de RĂŠhabilitation et de rĂŠnovation urbaines en cours : Atlas urbain 2008
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Marseille est vraiment un cas à part car elle possède finalement plusieurs centres, beaucoup d’histoire et pourtant elle ne se retrouve pas figée par des habitants vacataires, et des boutiques uniquement destinées aux touristes. Cette ville est pleine de vie et sait profiter de son potentiel touristique pour favoriser son économie, mais elle est aussi l’exemple d’une commune qui essaye de préserver son histoire sans pour autant - ou presque - devenir un musée. C’est une ville où toutes les époques s’entremêlent, créant un paysage social et urbain atypique.
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GENES Il est rassurant de voir que la chute de Venise a provoqué une prise de conscience en Italie. C’est le cas de Gênes qui à pris conscience - tardivement comme Marseille - de son patrimoine, (et de Rome qui arrive à intégrer énormément de projets contemporains dans son lourd paysage historique.) Suite à la désindustrialisation, fléau du siècle, Gênes a subi un déclin important de son économie et de sa population. Face à cela, la ville à mis en oeuvre une multitude d’outils pour sortir de son déclin et ne s’est pas tournée uniquement vers son patrimoine… Car en plus d’exploiter la filière du tourisme en revalorisant son centre ancien, la ville à voulu assurer la mutation de son port, remplacer ses industries lourdes et accueillir des étudiants pour redonner vie à la ville. Elle à assuré un avenir à sa ville et à réussi à se reconvertir, son activité économique et son tourisme sont en hausse et le chômage en régression. C’est suite à deux opérations d’envergures que Gênes va revaloriser son patrimoine. Celle de Porto Antico27 en 1992, lui à permis la redécouverte de son port antiques, et d’autres opérations dans son centre historiques entre 1992 et 2004 lui ont permis de retrouver une place dans le circuit des voyages Italiens. En mêlant la réhabilitation de son port, de ses quais, de ses usines et entrepôts, la ville à permis d’assurer une continuité avec son passé, mais aussi de créer une grande fluidité avec son territoire. A travers ces opérations elle a pu devenir une destination touristique à part entière, mais aussi recréer une attractivité pour ses habitants. La réhabilitation de son centre ancien fût tout de même fastidieuse. Ce quartier était entrain de ce vider petit à petit de ses habitants, l’insécurité explosait, l’accès et la 27
Mené par Renzo Piano
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circulation y était difficile… Il n’était plus compatible avec la vie de notre siècle. Dans les années 80-90, la ville vas mettre en place un réel projet de transformation urbain. La ville sait qu’elle possède un patrimoine historique fort mais qu’elle ne peut pas exister qu’à travers ses touriste car elle doit aussi intégrer ses habitants. Et c’est cela qui fait la différence entre cette ville et une autre, son aptitude à jongler entre le touriste et l’habitant. Lorsqu’un bâtiment, monument, ou espace public est réinvesti, il est réfléchi pour ces deux types d’usagers. L’un profite de l’équipement, l’autre peut visiter un musée. Les commerces ont petit à petit réinvesti le centre, réouvert les week end et ont pu profiter des retombées économiques. La ville toujours dans cette volonté de convenir aux différents usagers à mis en place des axes commerçants regroupant des boutiques de même typologie. La ville à su faire des sacrifices lors d’intégration de commerces de plus grandes tailles comme des supermarchés dans d’anciens palais afin de convenir aux usages des habitants, et ne pas reléguer ce genre de fonctions en périphérie. Aujourd’hui le centre ancien compte une population hétérogène, étudiants et jeunes couples viennent rejoindre les personnes âgées y ayant toujours vécues. Aujourd’hui Gênes continue sur sa lancée, de nombreux projets continuent à voir le jour et son centre ancien à être réaménagé. Ce projet de renouvellement urbain de Gênes, et le choix de la ville de réhabiliter son patrimoine antique et industriel montre qu’il est possible d’allier l’économie du tourisme, une valorisation de son patrimoine et de créer une ville dynamique pour ses habitants. Et c’est ce qui fait la différence entre cette ville et une autre, son aptitude à jongler entre le touriste et l’habitant.
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Fig. 25: Genova son centre ancien, et son port.
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C O N C L U S I O N
A travers ce mémoire on à pu observer ce qu’était une muséification, et ce que cela pouvait entrainer… Une sur protection de son patrimoine peut amener à la mort de l’âme des villes. Certains diront que cela nous permet de préserver au mieux nos vestiges, notre histoire… Car oui, l’un des enjeux principaux du patrimoine serai donc de préserver une identité, de permettre de lier les générations entres elles par la mémoire que porte ces pierres. Le patrimoine fut aussi un atout important pour de nombreuses villes afin de rebondir économiquement lors du déclin de la période industrielle. Cependant nous avons vus que à trop vouloir tout protéger cela nuit à la ville elle même, car elle ne s’inscrit plus que dans le passé et n’as pas d’ouverture vers l’avenir. Cette identité culturelle ne devrait pas avoir besoin d’être représentée , elle devrait être là, se vivre, se perpétrer d’elle même. Et l’on peut se demander si finalement la réactualisation constante du passé vient au secours des identités menacées ? Dans un Pays comme le Japon, où la culture vivante persiste et s’exprime au quotidien, la référence au patrimoine perd tout son sens. Le mot lui même n’existe pas dans leur langue. Pourquoi consacrer un lieu, le rendre sacré alors qu’il l’est déjà? Pour eux le patrimoine est déjà là, il n’as pas besoin d’être réfléchi. Se retourner vers son centre ancien, le revaloriser, empêcher sa destruction et sa vétusté est tout aussi important. Il porte les traces de la naissance de nos villes, de notre histoire, et il est important de le préserver. Un avenir autre que devenir un musée peut être proposé. Il ne faut cependant pas oublier qu'il n'existe pas par lui même, mais qu’il fait partie d’un territoire plus large, il est le quartier d’une
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ville en possédant de nombreux autres. Une porosité et une fluidité entre le centre ancien et la ville est nécessaire afin de permettre aux vestiges de faire partie intégrante de la ville moderne, de son économie et de ses pratiques. L’évolution de la ville ancienne dans le monde moderne n’est pas que dû aux nombreuses lois, outils d’urbanisme et volonté politique. C’est finalement une question humaine, de volonté, de choix de dynamiser et de ne pas sombrer dans la facilité. Cependant une des contraintes récurrente résultant de cette volonté de dynamiser son centre ancien reste les stationnements et les déplacements des voitures. Le mieux pour le tourisme et les bâtiment ancien serait de tout piétonniser mais cela ne favorise pas l’intégration de nouvelles populations qui ont elles, besoin de pouvoir se garée et circuler librement dans leurs zones d’habitats. Le second problème dans les centres anciens réinvestis reste la montée en flèche des prix de l’immobilier. La plupart des habitants possédaient leurs biens avant le réaménagement urbain et certaines villes vont créer des logements sociaux pour favoriser une mixité sociale, afin de ne pas figer la ville et qu’elle ne devienne pas que la propriété de populations aisées ( comme c’est le cas à Venise)…
Muséification et Patrimonialisation ne sont donc pas forcément des termes péjoratifs et n’entrainent pas à chaque fois un endormissement des villes. A l’heure du XXème siècle, avec les outils et le recul que l’on a aujourd’hui il est certains qu’un avenir de cohabitation entre muséification, dynamisme touristique, renouveau urbain, et projets contemporains est envisageable. Intégrer touristes et habitants dans les projets de sa ville est la meilleure solution lorsque cela est fait de manière équilibrée.
Dans une période où tout à tendance à se muséifier, où l’on souhaite préserver nos identités, il est intéressant d’observer les nouvelles ville contemporaines ne possédant pas cette base historique.
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On ne peut s’empêcher d’observer que le tissu de nos villes actuelles, européennes, provient de ces centres anciens, ils ont été l’élément déclenchant, la base même de notre urbanisation, Même si parfois il fût contraignant. On ne peut s’empêcher de se demander comment ces nouveaux pôles urbains se construisent, à partir de rien, sans contextes sans contraintes… Est ce qu’elles deviendront dans quelques siècles des lieux de vestiges du XXIème siècle que l’on souhaitera préserver? Y posera-t-on un aussi regarde patrimonial ? Cela nous parait aujourd’hui improbable, mais peut être cela l’était aussi pour les habitants des villes du XVème siècle. L’évolution de nos villes au sens patrimoniale est impossible à prévoir, tant chacune est unique, tant notre monde évolue, tant ce qui fait ville change… Et la ville soulèvera toujours des doutes des questionnements et des envies…
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A N E X E S
Sigles et abréviations ABF : Architecte des Bâtiments de France ANAH : Agence nationale de l’habitat ANRU : Agence nationale pour la rénovation urbaine AVAP : Aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine CAPEB : Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment CAUE : Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement CIAP : Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine CNMHS : Caisse nationale des monuments historique et des sites DRAC : Direction régionale des affaires culturelles FISAC : Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce OPAH-RU : Opération programmée d’amélioration de l’habitat de renouvellement urbain ORAC : Opération de restructuration de l’artisanat et du commerce PADD : Projet d’aménagement et de développement durable PLU : Plan local d’urbanisme POS : Plan d’occupation des sols PRU : Programme de renouvellement urbain PSMV : Plan de sauvegarde et de mise en valeur SDAP : Service départemental de l’architecture et du patrimoine (devenue STAP : Service territorial de l’architecture et du patrimoine) VPAH : Ville et Pays d’art et d’histoire ZPPAUP : Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager
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AirBnB - impact économique de Airbnb sur l'économie française s'élève à 2,5 milliards d'euros sur un an. -> "Il s'agit de retombées économiques directes, avec l'argent gagné par les hôtes et indirectes, qui correspondent aux dépenses faites durant le séjour, comme les restaurants ou les commerces de bouche par exemple", a expliqué à l'AFP Nicolas Ferrari, directeur France chez Airbnb. - 13,300 Emplois - 3,9 millions de voyageurs entre septembre 2014 et aout 2015 ( sur 83 millions en general dans l’année ) - 200 000 logements ( dont 60 000 en ile de france ) - duré moyenne du séjour 4,2 nuités
TOURISME Le tourisme représente 7,4 % du PIB en 2014.
La destination France conserve le premier rang mondial en 2014, avec 83,8 millions d’arrivées de touristes internationaux, et le troisième rang en termes de recettes (43,2 milliards d’euros).
Le taux de départ en voyage des Français est de 74,3 % en 2014. Ils ont réalisé 205,9 millions de voyages pour des motifs personnels, dont 88 % en France métropolitaine.
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B I B L I O G R A P H I E
ARTICLES - https://fr.wikipedia.org/wiki/Risanamento_(Florence) - http://www.citymetric.com/fabric/what-would-happen-citiesif-there-were-no-urbanists-1886
- http://www.telerama.fr/radio/pompei-quand-les-ruinestombent-en-ruines,87139.php - http://www.courrierinternational.com/article/2008/07/08/laseconde-catastrophe-de-pompei - http://profondeurdechamps.com/2014/06/15/jacques-tati-et-leburlesque-social/
VIDEO - https://www.youtube.com/watch?v=oH-0uuywE-g
- PLAY TIME , Tati - JOUR DE FETE , Tati - MON ONCLE , Tati
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LIVRES
- Salvatore Settis, 2015 : Si venise meurt, édition Hazan, 185p
- Gustavo Giovannoni, 1998 : L’urbanisme face aux villes anciennes, Edition Points, 349p.
- Françoise Choay 1999 : L’allégorie du Patrimoine, Edition Seuil, 270p
- Françoise Choay 2009 : Le patrimoine en question : Anthologie pour un combat, Edition Seuil,
- Nathalie Heinich 2009 : La fabrique du patrimoine : « De la cathédrale à la petite cuillère » , Editions de la Maison des sciences de l’homme, 286p .
- Camillo Boito, 1893 : Conserver ou restaurer, Edition de l’encyclopédie des nuisances, 163p.
- Henri-Pierre Jeudy, 2008 : La machinerie Patrimoniale, Edition Circe poche, 123p.
- Alois Riegl, 2013 : Le culte moderne des monuments : Son essence et sa genèse, Edition Seuil, 168p.
- Georg Germann, 2014 : Conserver ou demolir ? le patrimoine à l’aune de l’éthique, Edition Infolio, 145p.
- Françoise Choay, 1979 : L’urbanisme, utopies et réalités, une anthologie, Edition Seuil, 445p.
- Camillo Sitte 1996 : L’art de bâtir de villes, Edition Points essais, 188p. !89
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CREDITS PHOTOGRAPHIQUES
Couverture : Florence - Photographie personnelle. Fig. 01 : L’ecole d’Athénée - http-//www.rivagedeboheme.fr/ pages/arts/peinture-15-16e-siecles/raphael Fig. 02 : Rome au quattrocento - http:// www.lasepolturadellaletteratura.it/cronica-di-anonimo/ Fig. 03 : Gravure - https://inventaire.poitou-charentes.fr/ operations/le-patrimoine-roman/64-decouvertes/409-art-romanet-monuments-historiques-en-poitou-charentes Fig. 04 : Projet de restauration de carcassone - http:// bbcp.pagesperso-orange.fr/francais/cite/histoire/hist.html Fig. 05 : Photo de la villa adrianna - http:// www.adventuresofagoodman.com/villa-adriana-ruins-rome-italy/ Fig. 06 : Lithographie des arènes d’Arles au Moyen-Age http:// www.patrimoine.ville-arles.fr/index.php? obj=edifice&idx=3&quartier=14&site=0 Fig. 07 : Gravure de Piranesi - http://harm-klueting.eu/ vertrauensdozent-internationaler-studentenaustauschwissenschaftspolitik-ethische-verantwortung/ Fig. 08 : Risanamento - https://fr.wikipedia.org/wiki/ Risanamento_(Florence) Fig. 09 : Google earth - photographie personnelle Fig. 10 : Photographie Personelle Fig. 11 : Photographie Personelle Fig. 12 : Pompeï - Photo AFP http://www.ouest-france.fr/ europe/italie/patrimoine-le-grand-projet-pompei-lance-engrande-pompe-424857 Fig. 13 : Photographie Personelle Fig. 14 : Photographie Personelle
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Fig. 15 : Photographie Personelle Fig. 16 : Extrait de Mon Oncle de Tati Fig. 17 : Photographie Personelle Fig. 18 : Photographie Personelle Fig. 19 : Photographie Personelle Fig. 20 : Venise se meurt http://www.lefigaro.fr/actualitefrance/2014/11/21/01016-20141121ARTFIG00267-non-venise-neveut-pas-interdire-les-valises-a-roulettes.php Fig. 21 : Photographie Personelle Fig. 22 : Photographie Personelle Fig. 23 : Photographie Personelle Fig. 24 : plan RĂŠhabilitation et rĂŠnovation urbaines en cours : Atlas urbain 2008 Fig. 25 : Vue de Genova http://www.visitgenoa.it/sites/ default/files/imagecache/700x550/gallery/ CentroStorico3%20@genovacittadigitale.jpg
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QUEL AVENIR POUR LES VILLES MUSÉES CAROLINE GODDARD ETUDIANTE - STEPHANE BAUMEIGE ENSEIGNANT
Vous êtes vous déjà baladé dans une ville que vous rêviez de visiter, de parcourir, de vivre… Et avez vous réaliser que même si ce lieu vous enivre, vous fait voyager et rêver… Vous ne souhaitez pas y vivre… ? C’est de cette réflexion, lors de mon dernier voyage à Florence, qu’à émergé ce mémoire. Comment se fait-il qu’une ville aussi merveilleuse et foisonnante, qui m’émerveille à chaque pas… ne me donne pas envie d’y rester ?
Aujourd’hui ce qui fait la richesse de nos villes c’est son histoire, son patrimoine, mais c’est aussi le dynamisme que ses habitants y apporte. Qu’est ce qu’une ville muséifiée? comment en arrive-t-on là ? Quel est le mal de ce siècle, qui nous entraîne dans cette fetichisation et cette volonté de préservation de nos identités passées ?
Mon raisonnement s’est appuyé sur l’étude de Marseille, de Venise, de Gênes, et de nombreuses lectures. Mes questionnements ont ainsi trouvés un début de réponses.
P A T R I M O I N E
ECOLE
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NATIONAL
M U S É I F I C A T I O N
SUPERIEUR
DE
MARSEILLE
-
I D E N T I T É
S6
-
2015/2016