Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d'Argent ®
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
VTableau naïf représentant la place de l’Église.
Propriété de la famille Schaetzel.
2
Le mot du Maire l l l
T
ransmettre l’histoire et la mémoire de notre communauté, se projeter dans le passé mais aussi constater les évolutions récentes, pour permettre à chaque Sainte-Creuzien de souche ou nouvellement arrivé de s’approprier la mémoire collective de notre commune, tels sont les objectifs de cet ouvrage. En cette année 2014, je ne peux oublier qu’il y a 100 ans débutait une guerre des plus meurtrières, et qu’il y a 70 ans, le 23 novembre 1944, notre village fut libéré après 4 années d’occupation. Projet initié et réalisé sous l’impulsion du précédent conseil municipal, je me dois de reconnaître le travail accompli. Madame Henrichs en a été la principale cheville ouvrière et la principale rédactrice. Je remercie aussi les multiples prêteurs qui ont remis leurs photographies et documents, et ainsi permis d’illustrer abondamment cet ouvrage.
Enfin, il était aussi important de compléter par des témoignages récents la seule monographie connue sur Sainte-Croix-aux-Mines, le fameux Précis historique d’Alphonse Jaeger datant de 1866, réédité pour copie
conforme le 3 Juillet 1927. Que tous ceux qui ont contribué par leur témoignage à faire revivre le passé soient remerciés pour leur contribution à la réalisation de ce travail de mémoire. Ouvrage de référence pour les passionnés d’histoire locale, c’est aussi un voyage dans le temps. De nombreux thèmes y sont abordés, des origines de notre communauté aux soubresauts de l’histoire, du développement industriel de notre commune à l’évolution urbanistique, mais aussi la vie quotidienne au travers des commerces et des écoles. Images, encadrés et textes sont autant de moyens d’entrer dans la lecture Sainte-Croix-aux-Mines – Au cœur du Val d’Argent. Si, au détour des pages, cet ouvrage suscite chez vous et dans votre entourage réflexions, interrogations, et qu’il ravive pour certains des souvenirs, il aura, alors, répondu à notre attente.
À toutes et tous, bonne lecture ! Claude Schmitt
3
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
Sommaire l l l
Chapitre 1
Historique de la commune
Chapitre 7
6
• Explications concernant le nom de Sainte-Croix-aux-Mines 6 • L’importance des mines 7 • Les châteaux 11 • Les échos de la grande Histoire 15
• Les industries • L’usine à gaz communale • Commerces et petit artisanat • Les transports
Chapitre 2 Les guerres et la conscription
Chapitre 8 Les affaires sociales et la santé
18
• La Première Guerre mondiale à Saint-Croix-aux-Mines 18 • La Seconde Guerre mondiale à Sainte-Croix-aux-Mines 35 • La conscription 47 Chapitre 3 Géographie physique et humaine
50
• L’identité de la commune au travers de la toponymie 50 • Démographie et recensements 58 Chapitre 4
Architecture, urbanisme et bâtiments remarquables • L’ architecture • Urbanisme et travaux d’aménagements
62 63 67
Chapitre 5
La vie publique • Les maires et les adjoints • Quelques grandes familles et personnalités locales • Les différends entre Sainte-Croix-aux-Mines et Sainte-Marie-aux-Mines
80 80 81 87
Chapitre 6
L’agriculture, les eaux et forêts, la chasse • L’agriculture • La forêt communale • La chasse • Histoire de l’alimentation de la commune en eau potable
4
Industries et commerces
90 90 97 104 104
112 112 119 124 134
140
• Les médecins 140 • Les sages-femmes 143 • Les pharmaciens 143 • Les sociétés de secours mutuels 144 • De l’asile des pauvres à l’hospice puis à l’hôpital rural 145 Chapitre 9
Les écoles de Sainte-Croix-aux-Mines • L’évolution des écoles jusqu’en 1945 • L’évolution des écoles après 1945 • Souvenirs d’écoles : enseignants et élèves Chapitre 10 La vie paroissiale
• La paroisse Saint-Nicolas • Les lieux de culte • Les fêtes religieuses traditionnelles
148 148 153 157
166 166 167 182
Chapitre 11
La vie associative
188
188 • Les sapeurs-pompiers de Sainte-Croix-aux-Mines • La société de musique « Concordia » 197 • La section du Club vosgien de Sainte-Croix-aux-Mines 200 • Le Cercle Saint-Nicolas 201 • Le Club sportif 1921 205 • La société de pêche 209 • L’ Amicale des donneurs de Sang 211 • Fêtes et festivités 212
Éditorial l l l
L
ièpvre et Rombach-le-Franc, respectivement en 2011 et en 2012, ont fait paraître un livre retraçant leur histoire aux Éditions Carré Blanc. À son tour Sainte-Croix-aux-Mines s’est attaqué à un projet du même ordre, à partir du début de l’année 2012. Maire de Sainte-Croix-aux-Mines et professeur de lettres à la retraite, je rêvais de laisser à mes concitoyens une rétrospective aussi complète que possible de notre passé commun. En la matière, nous ne disposions que d’une seule monographie de Sainte-Croixaux-Mines, le fameux Précis historique d’Alphonse Jaeger datant de 1866, dont il sera souvent question dans ce livre. En tant qu’ancienne directrice de la publication de la Société d’histoire du Val de Lièpvre et actuelle présidente de cette association, je disposais aussi d’une riche documentation, glanée depuis des années. En tant qu’élue, j’avais facilement accès aux importantes archives communales. Enfin et surtout, je suis née dans une famille qui m’a inculqué, dès l’âge du biberon, un amour immodéré pour Sainte-Croixaux-Mines, amour que rien ne pourrait durablement entamer. Les récits de mon grand-père maternel sur le Sainte-Croix-aux-Mines d’autrefois – il était né en 1900 –, la façon d’être de ma grand-mère – je sentais en elle une femme du XIXe siècle –, les longues promenades dans les forêts de notre village avec mon père – « pièce rapportée » mais inconditionnel du village natal de sa femme – ont forgé ma sensibilité. Ma mère était finalement la moins enthousiaste de la famille et ma sœur trop moderne pour tout repli sur le passé. Donc, en clair, le cœur et le savoir forment le soubassement sur lequel ce livre s’est construit. Le conseil municipal de Sainte-Croix-aux-Mines a voté les crédits nécessaires pour la parution de ce livre. La vente des volumes devrait permettre plus ou moins d’équilibrer les comptes. C’est pourquoi nous comptons sur vous pour faire la promotion de ce livre dans votre entourage ou auprès d’anciens Sainte-Creuziens dispersés un peu partout. Il arrive aussi qu’une commune ait besoin de faire quelques
cadeaux. Un petit stock du livre sur Sainte-Croix peut être utile. J’ai tenu à ce que cet ouvrage soit publié par des éditeurs spécialistes d’histoire locale et qu’il appartienne à une collection reconnue pour sa qualité. En tant que quasiment unique rédactrice de ce livre, j’ai souhaité en faire, à la fois un ouvrage de référence pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire locale, et en même temps un livre agréable à parcourir et attractif, pour des lecteurs moins aguerris. La riche iconographie que l’on doit à de multiples prêteurs de documents (voir les remerciements d’usage dans « le mot de la fin ») joue un rôle important pour le second objectif du livre, conformément aux critères de composition qui font l’unité de la collection Mémoire de Vies. Enfin, ce livre a un nombre forcément limité de pages. Le lecteur n’y trouvera pas tout ce qu’il attend. L’ouvrage comporte bien sûr des oublis, des lacunes, voire des erreurs. Les archives sont incomplètes ; on ne peut inventer ce qui manque. Les historiens locaux d’autrefois, parfois simples compilateurs, ne sont pas toujours dans le vrai. Et l’historienne locale actuelle que je suis est tout sauf infaillible. Je sollicite donc l’indulgence du lecteur. Et pour terminer, un conseil de lecture. Vous pouvez, bien sûr, adopter une méthode linéaire, de la première à la dernière page de l’ouvrage. Mais vous pouvez aussi y aller « à sauts et à gambades » comme le disait Montaigne. Vous lirez alors en premier les chapitres qui vous intéressent le plus. Certaines informations font redites pour le confort d’une lecture dans le « désordre ».
À toutes et à tous, bonne lecture ! Votre dévouée Agnès Henrichs
5
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
1 His torique de l a commune
Explications concernant le nom de Sainte-Croix-aux-Mines
Quelle est l’origine du village de Sainte-Croix-aux-Mines ?
L
l l l
l l l
es prieurés sont à l’origine du peuplement de la vallée : celui de Lièpvre, au VIIIe siècle, sur le site actuel de la SALM - Cuisines Schmidt, celui d’Échery au IXe siècle. L’emplacement du premier ne fait aucun doute. Pour le second, les connaissances actuelles ne permettent pas de trancher : Saint-Pierresur-l’Hâte à proximité d’Échery, faubourg de SainteMarie-aux-Mines, est le site privilégié. Il existe cependant une autre option, Bougival au Petit-Rombach, sans doute à cause du château du Haut-Échery, situé en face, sur son piton rocheux et à cause des riches mines du Hénon, à proximité.
À défaut de documents historiques, il arrive qu’une légende réponde à la question bien légitime de l’origine d’une agglomération. On sait que Fulrade, abbé de Saint-Denis et fondateur du prieuré de Lièpvre, était un proche de Pépin le Bref puis de Charlemagne. Il arrivait aux seigneurs de la suite de Charlemagne de séjourner à Kintzheim, dans le fisc royal, et de venir chasser dans les épaisses forêts du Val de Lièpvre dont les moines avaient commencé le défrichement. À l’occasion d’une halte, un chasseur, en remuant des cailloux à ses pieds avec son épieu, découvrit une pierre très brillante. Pour retrouver l’endroit, il y planta deux bouts de bois réunis en croix. Les premières mines d’argent furent ouvertes à cet endroit qui fut nommé Sainte-Croix.
Quoi qu’il en soit, à partir de ces deux prieurés, une population nomade diffuse a fini par se sédentariser à flanc de collines. Elle était constituée de noyaux linguistiques romans. Le fond de la vallée de la Lièpvrette, très marécageux, n’était pas favorable à l’implantation d’habitations. La route suivait le flanc nord de la vallée et conduisait vers les Vosges et la Lorraine, soit par Rombach-le-Franc et la Hingrie, soit par le Petit-Rombach. La tour fortifiée de l’église de Lièpvre comme le château de Zuckmantel et celui d’Échery à Sainte-Croix-aux-Mines en sont les preuves.
6
Une légende pour expliquer « Sainte-Croix »
On suppose aussi qu’un reposoir surmonté d’une petite croix a été dressé très tôt, vers le XIe siècle au débouché du Grand-Rombach, à l’emplacement de l’église actuelle.
Les premières traces écrites du nom « Sainte-Croix »
C
hacun a entendu parler du premier document écrit concernant notre vallée : la donation de Charlemagne en 774 au monastère de Lièpvre, fondé et dirigé par le célèbre Fulrade, abbé de Saint-Denis en Île-de-France. Ce document désigne nos deux Rombach, compris dans la donation, mais pas de mention de Sainte-Croix. On peut en déduire que Sainte-Croix, en tant qu’amorce d’agglomération, n’existait pas, à la fin du VIIIe siècle. Compte tenu des connaissances actuelles, la première mention de Sainte-Croix figure dans une charte de Thierry de Lorraine, datée de 1078 et donnant au monastère de Lièpvre les dîmes de Saint-Blaise et de Sainte-Croix. Ensuite, le nom de notre commune connaît des formes diverses, marquées par l’idiome dominant à chaque période : Zu sant Crutz ou zu sant Cruce, dans des documents entre 1358 et 1550, Sainte-Croix en 1594, Sainte-Croix-de-Lorraine entre 1700 et 1723. Pendant la période révolutionnaire, les saints et saintes sont supprimés dans les noms des villes. SainteCroix, siège du chef-lieu de canton de 1790 à 1802, échappe à la règle, semble-t-il. Au début du XIXe on parle de Sainte-Croix-au-Val-de-Lièpvre. Après 1871, c’est Sankt Kreuz.
Une réalité économique et historique explique « aux-Mines » l l l
Le plus ancien quartier de Sainte-Croix-auxMines est l’impasse de l’église, sur le flanc de la Miessette. Il existe au moins une entrée de mine derrière les maisons les plus anciennes, reconnaissables à leur forme trapue et à la présence de croix de lorraine sur les linteaux de leurs portes d’entrée. La découverte des mines dans la haute vallée de la Lièpvrette, et notamment à Sainte-Croix, remonterait au Xe siècle de notre ère.
VLinteau de porte en grès où sont gravées deux croix de
Lorraine. À noter aussi la date de 1738 qui fait référence à l’année de construction de cette maison située au n° 16 de l’impasse de l’Église.
L’importance des mines
Pierre Fluck, dans Les Mines du rêve, livre paru en 2000 aux Éditions du Patrimoine minier, distingue quatre zones à Sainte-Croix-aux-Mines qui ont en commun d’être toutes sur le versant lorrain. • Bois de Saint-Pierremont, quartier Goutte des Pommes, amont. À la fin du XXe siècle, les archéologues réouvrent 9 mines du XVIe, dont la galerie supérieure de la Fontaine des Chouettes, peut-être appelée Armerott au XVIe siècle. • Bois de Saint-Pierremont, quartier Goutte des Pom mes, aval. De nombreuses haldes ont modifié la ravine du carreau Samson ; 7 mines ont été redécouvertes à la fin du XXe siècle par les archéologues. •B ois de Saint-Pierremont, zone dite de la Tranchée. Là se situaient deux mines importantes : Pfennigthurm et Empereur Henri. •B ois de Saint-Pierremont, zone du Hénon. Sur le flanc nord, donc adossé au Bois du Prince, s’ouvrait
la plus importante mine du versant lorrain, dédiée à Saint-Guillaume. Par ailleurs, 7 mines ont été réouvertes depuis 1974, avec la plus forte concentration de haldes de tout le massif vosgien. Dans le creux du thalweg, on remarque un relief tourmenté peut-être dû à des travaux médiévaux à ciel ouvert. Une galerie d’exhaure draine les eaux susceptibles d’affecter tous ces travaux, ce qui explique que le Hénon soit un « vallon sec » en amont. La plus basse de ces évacuations passait sous le massif et débouchait au niveau de la RD 459, en pied du flanc sud de SaintPierremont. Pierre Fluck, pense qu’au 17 PetitRombach, sur l’ancien site de l’Huilerie Conraux, se trouvait une fonderie d’argent, en raison d’une accumulation de scories dans le jardin de cette propriété au niveau du confluent entre le ruisseau du Petit-Rombach et le canal de fuite. • Bois de Saint-Pierremont, secteur de Bougival : 2 mines ont été réouvertes par les archéologues. 7
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
• Vallon du Grand-Rombach, de la Goutte Martin et de la Stimbach. Les travaux du vallon de la Goutte Martin sont inaccessibles. Dans la forêt de Jean Verdun, une galerie d’exhaure alimente une fontaine rustique située dans le premier tournant en contrebas du chemin Goutte Martin-Grandmont.
N
Amorce de mine derrière le service technique communal.
Une reprise d’activité a eu lieu en 1899. Sur les pentes de la Miessette, derrière le service technique communal, existe une mine de simple recherche. Le vallon de la Stimbach recoupe à l’ouest le gros alignement filonien Musloch-Grandmont. Une courte galerie, réouverte en 1899, se situe au niveau du ruisseau qui descend de La Basse. On la voit depuis le chemin creux.
V Fontaine dans la forêt de Jean Verdun branchée sur la
galerie d’exhaure d’une mine du réseau Goutte MartinGrandmont.
À l’entrée du Grand-Rombach, existent deux entrées pour la même mine, dans les caves de deux maisons, dont l’une est l’ancienne propriété Ducarme, appartenant à la famille Velcin-Rossignon. Cette mine suit le filon principal plomb-zinc.
V Porche de la mine Ducarme à l’entrée du Grand-Rombach.
M Plan de masse et de profil des mines de Musloch établi vers 1740. Ce plan a notamment été reproduit dans la revue Pierres et Terre, n° 30, 1986, p. 53-70. 8
N Entrée d’une des mines de la Stimbach.
Historique de la commune
• Mines de Musloch, au contact des communes de Lièpvre et de Sainte-Croix. En 1901, les Allemands voulurent explorer la partie la plus reculée du filon de Musloch, par un percement rectiligne de 580 m, orienté sud-ouest / nord-est, à partir du débouché du vallon de la Stimbach, donc derrière la scierie Vincent. Ils creusèrent à peu de distance au-dessus du réseau ancien, sans s’en rendre compte. Un puits intérieur très court leur aurait permis d’accéder à la galerie recherchée mais ils ne possédaient pas le plan de 1740. • Mines de houille du Hury : il semblerait qu’elles aient été découvertes par le Dr Gamerlan de Sainte-Marie-aux-Mines au cours d’une promenade. La revue strasbourgeoise Der Bürgerfreund situe en juin 1744 le démarrage de cette exploitation. Vers 1790, Jacques Gabriel Vallet était le concessionnaire et le directeur des mines de houille du Hury. Pierre Leclerc de Blamont était le propriétaire des gisements de houille et le fermier des mines de Sainte-Croix.
L’évolution de l’exploitation minière à Sainte-Croix-aux-Mines l l l
Au XVI siècle, l’activité minière bat son plein. On sait qu’en 1530, trois mines étaient en activité à Musloch. Elles étaient 8 en 1545, 4 à Saint-Pierremont dont celle du Hénon, 3 à la Stimbach et 1 à Musloch. En 1561, Sainte-Anne, Saint-Esprit et Saint-Jean à Musloch produisent de l’argent, du plomb et du cuivre. À l’époque, les mines les plus importantes du secteur sont celles de Saint-Pierremont. En 1594 on dénombre 4 mines à Saint-Pierremont, 3 à la Stimbach (orthographiée à l’époque Steinbach) et 8 à Musloch. Ensuite, c’est la guerre de Trente Ans qui débouchera en 1648 sur le traité de Westphalie et le rattachement de la plaine d’Alsace à la France. L’arrivée des Suédois en 1635 dans le Val de Lièpvre met fin à 150 ans de prospérité due à l’exploitation des mines. En 1646, les mines sont abandonnées pendant cinquante ans. On signale quelques reprises à la toute fin du XVIIe siècle, puis au XVIIIe (en 1699, 1712, 1734, 1796). Une reprise isolée en 1806 annonce le regain d’activité de 1824 à 1842. La grande exploitation minière s’arrête au milieu du XIXe ; l’activité textile se développe et devient vite prépondérante. e
9
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
2 L es guerres e t l a cons crip t ion
La Première Guerre mondiale à Sainte-Croix-aux-Mines Le contexte général l l l
L’
Autriche-Hongrie, minée par le problème de ses minorités nationales, voulut profiter de l’attentat de Sarajevo pour combattre la Serbie, principal foyer de l’agitation slave dans les Balkans. C’était sans compter sur les Russes, protecteurs habituels des minorités slaves. La Russie souhaitait la guerre, comme diversion à ses problèmes intérieurs car elle était en butte à des menées révolutionnaires. L’Allemagne fut entraînée dans le conflit à cause de ses liens privilégiés avec l’Autriche. Guillaume II avait abandonné la politique prudente de Bismarck et avait poussé son pays aux efforts d’armements terrestres et navals. La puissance économique allemande était ressentie comme une menace, partout en Europe. La France et le Royaume-Uni avaient noué l’Entente cordiale, avant que ne s’ajoute la Russie pour former une Triple - Entente. L’Allemagne se sentait encerclée ; elle voulait tester sa supériorité militaire. L’instabilité du régime parlementaire en France et l’affaiblissement de la Russie tsariste l’incitaient à gagner de l’importance par les armes. Depuis 1871, la France était obsédée par la revanche, à savoir récupérer l’Alsace-Lorraine. Les élections de mai 1914 avaient donné une majorité à la gauche qui n’était pas belliciste. Le lorrain Poincaré, président de la République depuis janvier 1913, était favorable à la
18
guerre ; il rusa avec la majorité parlementaire et ne fit rien pour retenir la Russie sur le chemin du conflit. L’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie le 28 juillet 1914. La Russie décréta la mobilisation générale deux jours plus tard. L’assassinat de Jaurès à Paris le 31 juillet symbolisa la défaite des pacifistes. Les passions nationales exacerbées amenèrent les socialistes français comme allemands à voter les crédits de guerre. L’Allemagne déclara la guerre à la Russie le 1er août et à la France le 3 août 1914.
La vallée concernée dès les premiers jours de la guerre l l l
Dans notre vallée, dès le 8 août 1914, l’offensive est lancée par l’armée française sur les cols de SainteMarie-aux-Mines et du Bonhomme. Les soldats français sont habillés de capotes bleu - horizon et de pantalons rouge garance. Sur les pentes des Vosges, ce sont des cibles idéales pour les Allemands, camouflés dans leurs uniformes vert de gris. Mais la guerre de mouvement choisie par l’état-major français les déroute. Le 14 août, le 2e bataillon français du 99e régiment d’infanterie (RI), parti de Lubine, via La Raleine, prend position dans un fortin à la cote 894 dominant le plateau d’altitude de La Bouille, au nord de SainteCroix-aux-Mines. L’ennemi y est visible. Les habitants du Petit-Rombach pensent qu’une attaque française
se prépare et que 4 000 soldats français vont marcher sur le Grand et le Petit-Rombach. Le 12e régiment d’infanterie bavarois prend position à l’entrée de chaque vallon. Des soldats allemands escaladent la forte pente à la sortie nord du Petit-Rombach et l’occupent à mi-hauteur, avec vue à l’ouest sur le haut du Casino où sont établis les Jäger rhénans. L’arrivée des soldats français à Sainte-Croix-aux-Mines le 16 août 1914 Le 1er bataillon du 140e régiment d’infanterie est bien positionné sur le col de Sainte-Marie-aux-Mines. Il reçoit néanmoins l’ordre de rejoindre Provenchères. Le général Baret voit arriver un habitant de SainteMarie-aux-Mines qui l’informe que la ville a été abandonnée par les Allemands, et que la voie ferrée a été coupée en deux ou trois endroits entre Sainte-Marieaux-Mines et Lièpvre, à la suite de tirs de l’armée française depuis le col. Contrordre : plus question de gagner Provenchères. Les Français entrent dans Sainte-Marie-aux-Mines sans tirer le moindre coup de fusil, le 16 août vers la fin de l’après-midi. Le 1er bataillon du 99e RI fait irruption dans Sainte-Croixaux-Mines, le même jour à 18 h 30. Les SainteCreuziens cachent leur joie car ils craignent les mouchards, nombreux dans cette période tendue. Il ne faut pas oublier que les Alsaciens ont la nationalié allemande depuis 43 ans. À la cote 894, le général Blazer veut à l’aube suivante attaquer les Allemands vus à La Bouille. L’endroit a été évacué. Le 2e et le 3e bataillon du 30e RI occupent la localité, mais les Allemands ne sont pas loin. On en veut pour preuve une relève des troupes françaises du côté de la Goutte Saint-Blaise. Elle se fait avec un petit temps mort, mis à profit par les Allemands pour occuper les tranchées françaises.
Le 21 août 1914, la reconquête de la vallée par les Bavarois Les troupes allemandes reviennent en force dans la vallée le 20 août 1914. Elles ravagent Musloch (commune de Lièpvre) car des tireurs français isolés ont ouvert le feu depuis les maisons qui bordent la route. Une section de Bavarois longe la voie ferrée vers l’ouest, en direction de Sainte-Croix-aux-Mines et perquisitionne toutes les fermes ou granges d’où des coups de feu auraient été tirés. Les bâtiments suspects sont incendiés. Les Bavarois contrôlent les collines sud ainsi que l’usine à la sortie est du village. Ils tiennent Montplaisir, Sobache et les deux côtés de la Goutte Saint-Blaise. Le bas du village brûle, alors que les Français du 221e RI occupent encore le cœur de la localité. L’école communale de Sainte-Croix, la salle de théâtre de la maison des Œuvres, la salle de l’Union, le patronage de jeunes filles et l’école du Petit-Rombach sont réquisitionnés pour cantonner la troupe. On y a installé des lits à étages plutôt sommaires ainsi que des tables et des bancs d’écoliers. Ces mêmes Français fortifient l’entrée du Petit-Rombach, jusqu’au quartier Saint-Blaise. Du Petit-Haut, les Allemands bombardent les états-majors et les détachements rassemblés à l’entrée du Petit-Rombach. Nous sommes le 21 août 1914, les Français se replient dans un certain désordre ; la progression bavaroise se poursuit d’est en ouest et les combats font de nombreuses victimes. Quatorze soldats français sont inhumés sous un gros noyer près de la gare de Sainte-Croix. En 1921, les corps seront exhumés et transportés au cimetière français de la Hajus.
M Combats à Sainte-Croix-aux-Mines des 20 et 21 août 1914. Carte postale de propagande.
19
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
M Maison détruite à l’entrée est du village par les combats d’août 1914.
V Combat dans les rues à Sainte-Croixaux-Mines des 20 et 21 août 1914.
N Convoi de la brigade Ersatz bataillon n° 82, devant une maison détruite en août 1914, en face de l’usine de gaz.
Le 24 août, les troupes françaises se replient par le col de Sainte-Marie-aux-Mines. Certains soldats passent par le Petit-Rombach, via la Chaume de Lusse pour rejoindre le col en question. Le 25 août, les Allemands reprennent le col et s’avancent jusqu’à Wisembach et même au-delà. Allemands et Français restent positionnés face à face sur les crêtes, frontières entre l’Alsace et les Vosges.
M Soldats bavarois devant les ruines des maisons incendiées, à l’entrée est du village (fin août 1914).
20
À partir de fin octobre 1914, les Français font tout pour reprendre la Tête du Violu, au sud du col de Sainte-Marie-aux-Mines. Ils y parviennent à la mi- novembre. Cette guerre de mouvement où chaque camp cherche à s’assurer des positions stratégiques fait alors place à la guerre de position qui va durer quatre ans.
Les guerres et la conscription
V Carte postale de propagande, illustrant les combats à Sainte-Croix-aux-Mines du 10 août 1920. Les “ barbares” allemands sont représentés donnant une gourde à des soldats blessés.
V Carte postale de propagande, illustrant
les combats d’août 1914 près de la Chaume de Lusse.
Les évènements d’août 1914
L
a Chronique des faits de guerre de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines 1914-1918, publiée par l’Imprimerie E. et R. Cellarius en 1920, est une compilation de journaux de guerre anonymes. Cette source nous permet de retracer de manière assez précise les événements d’août 1914 qui voient s’affronter Français et Allemands avant la stabilisation du front. Le dimanche 9 août, le maire de Sainte-Croix-auxMines Joseph Ruhlmann est conduit en prison. Dans la nuit, le gendarme Schlitt est tué par une sentinelle. Le lundi 10 août, les Allemands réquisitionnent tous les hommes disponibles à Sainte-Croix. On les conduit à la baïonnette à la gare de Sainte-Marie pour prendre livraison de caisses de munitions à transporter jusqu’au lieu-dit Le Casino sur les hauteurs de Sainte-Marie. L’adjoint Thuraine, âgé de 78 ans, est emprisonné sous prétexte que des civils du village auraient tiré sur des soldats. Le 11 août, on apprend qu’il est interdit de faire sonner les cloches de l’église Saint-Nicolas. Si un habitant tire de sa maison sur un militaire, il sera immédiatement fusillé et sa maison incendiée. Le mercredi 12 août, tous les hommes et adolescents sont sommés de se rendre au champ de bataille pour enterrer les soldats tombés. Le dimanche 16 août, les premiers soldats français entrent dans le village vers 19 h 30. Le 17 août, le commandant français libère le maire Ruhlmann et l’adjoint Thuraine, et les réinstalle à la tête de l’administration communale. Le Dr Magnus et M. Leipp qui les avaient remplacés sont suspendus de leurs fonctions. Le jeudi 20 août, un combat meurtrier s’engage près de Musloch. Les habitants se réfugient dans les caves.
À 5 heures du matin, des maisons sont incendiées par les Bavarois au bas de Sainte-Croix. Le combat cesse vers 8 h 30. Le vendredi 21 août, tôt le matin, l’artillerie française, suivie de l’infanterie, monte le Rain de Saint-Blaise et se met en position. Le combat s’engage à 7 heures et dure jusqu’au début de l’après-midi. Les Allemands gagnent du terrain. Le lendemain, on trouve encore à la Goutte Saint-Blaise une dizaine de soldats français tués et beaucoup d’effets militaires. Ce même 21 août, des Bavarois brûlent, sur ordre du douanier Franck de Sainte-Croix, plusieurs fermes à la Timbach, notamment celles de MM. Henri Bertrand, Simon-Pierre Herment, Joseph Gasperment, Émile Miclot et C. Évrard. La jeune épouse de Henri Bertrand est tuée avec son nouveau-né. Le sieur Jacques Stanisière et le domestique de la ferme Bertrand périssent dans les flammes. Michel Diersé, l’instituteur, prend la défense de plusieurs personnes de la Timbach et sauve les enfants Évrard. La pose de plusieurs mitrailleuses dans les rues du village effraie la population. Des combats ont lieu au coin de la rue de la Gare et à proximité du réservoir de Sobache. Vers 17 heures, la fusillade diminue et une heure plus tard les civils vont enterrer les soldats tombés. En pleine nuit, des soldats français arrivent chez Émile Chapelle à Bougival dans le vallon du PetitRombach. Ils veulent rejoindre leur général à SainteMarie-aux-Mines mais la route entre Sainte-Croix et Sainte-Marie est tenue par les Allemands ; dans la nuit, plusieurs compagnies de soldats d’outre-Rhin affluent vers le chef-lieu. Émile Chapelle guide les soldats français rescapés par la forêt.
21
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
6
L’ a g ricul ture, les eaux et forêt s
D
L’agriculture
eux prieurés sont à l’origine du défrichement de la vallée : celui de Lièpvre et celui d’Échery. L’abbaye de Saint-Denis, près de Paris, d’où vient Fulrade, fondateur du prieuré de Lièpvre, possède le monastère de Saint-Dié depuis 769. Des liens existent entre Saint-Dié et Lièpvre. Les maisons-mères sont de langue romane et envoient des bergers pour faire paître leurs troupeaux dans les clairières du Val de Lièpvre. Dès le XIe siècle, le duc de Lorraine fait acte de souveraineté dans la vallée. Il devient avoué des deux prieurés et délègue ses fonctions aux seigneurs d’Échery dont la lignée s’éteint en 1381. En 1399, a lieu le partage de la vallée dont découle notamment l’imbrication des bans communaux de Sainte-Croixaux-Mines et de Sainte-Marie-aux-Mines. Le fond de vallée et la rive droite de la Lièpvrette reviennent aux Ribeaupierre, vassaux des Habsbourg, alors que la rive gauche échoie aux Hattstatt, vassaux du duc de Lorraine. Au milieu du XVe siècle, on commence à réglementer l’élevage et l’agriculture. L’estivage sur les hauteurs s’organise avec la nomination de bergers choisis par la communauté villageoise. En hiver le bétail rejoint étables et porcheries. L’indivis, une fois défriché, est Les champs au-dessus du hameau du Grand-Rombach.
90
annexé par les seigneurs locaux qui le louent contre un loyer annuel en espèces appelé cens. Les paysans délimitent et entretiennent des prairies et aménagent des granges pour le stockage du fourrage pour l’hiver. Ensuite, des marcaires s’installent à l’année dans les anciens lieux d’estivage et les granges deviennent des fermes de montagne. Un document de 1585 mentionne quatorze granges sur le ban actuel de SainteCroix-aux-Mines dont La Bouille, Gramont, Jobelmont, Bailligoutte, Herrschaft. Après la guerre de Trente ans (1618-1648), nos campagnes dévastées appellent une décision politique. Les autorités attirent les Anabaptistes pour relancer l’agri culture, côté alsacien comme lorrain. Ceux-ci apportent la fumure, l’irrigation pour créer des prairies artificielles, des techniques de culture et d’élevage à grande échelle, la distillation des fruits et l’utilisation du moût de distillation comme engrais. Lors de la fameuse visite de Louis XIV à la fin du XVIIe siècle à Sainte-Marie-aux-Mines, les Anabaptistes sont chassés. Tous ne partent pas et on en dénombre encore 200 environ, un siècle plus tard. Néanmoins, il faut faire venir des agriculteurs d ’Orbey pour les remplacer, d’Hachimette, ou de Lusse.
À la fin du XIXe siècle, le curé Foltz, dans son répertoire des familles de la paroisse, signale au moins deux anabaptistes, Forwald Chrétien cultivateur au 34 Petit-Rombach (numérotation de l’époque) et un certain Sébastien Goldschmitt, rentier à la Maison des Moules, à la sortie ouest du village. En juillet 1753, la mairie dresse la liste des terrains vagues et improductifs des divers cantons de la commune. En 1757, on répartit entre les habitants tous les biens communaux susceptibles d’être cultivés, sous forme de location gratuite. Mais à partir de 1783, la commune demande une location et exige que tous les terrains communaux non boisés soient cultivés. En 1783, il est interdit de parcourir la forêt communale avec le bétail : plus de glandée pour les porcs. Au XIXe siècle tous les terrains propices à l’agriculture sont exploités. On cultive même les pentes abruptes et on fauche l’herbe à la main que l’on fait sécher et qu’on rapporte sur le dos dans des « cendriers », de grands carrés tissés noués aux quatre coins. La fenaison, la récolte du regain, la moisson sont des moments forts où les voisins viennent aider, à charge de revanche ensuite.
VLes hauteurs en pâtures ou cultivées,
à l’entrée du Grand-Rombach et au bas des pentes de la Miessette.
On peut noter que les fermes sont rarement isolées. C’est bon d’avoir un voisin agriculteur pour échanger des coups de main.
VFerme Servautout à Surpense : départ pour les travaux des champs.
VLes fermes
groupées à Borne.
M La fenaison avec les Miclot de la Grande Barthélemy, aidés par les Bertrand de Marigoutte. 15 91
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
Au XIXe siècle, avec l’industrialisation, la démographie a fait un bond ; il faut nourrir beaucoup de bouches. Bien des petites fermes se sont installées dans les villages, les vallons et même sur les hauteurs. À Sainte-Croix-aux-Mines, environ 3 500 per sonnes pratiquent plus ou moins l’agriculture et on tisse à domicile dans beaucoup de fermes. À la fin du XIXe, l’estivage disparaît, sauf à la Chaume de Lusse. Auparavant déjà, on a vu disparaître les terrains communaux où paissaient des troupeaux communaux et privés sous la surveillance d’un berger rétribué collectivement. Au XIXe siècle, Sainte-Croix est connue pour ses « grandes » exploitations agricoles de 15 hectares ou un peu plus.
VLa ferme Servautout à Surpense, avec cultures, prairies et verger et scouts à la ferme.
VLa ferme de la Chaume de Lusse.
V
92
Dessin représentant la ferme de la Chaume de Lusse dite ferme Schoubart dans les années 1850.
M Le plan de la commune réalisé par Stumpff en 1867. Sont représentées : en bleu les secteurs urbanisés, en jaune sable les parcelles cultivées, en vert la forêt.
L’agriculture, les eaux et forêts
L’agriculture vue par le dessinateur Stumpff et par le curé Foltz
E
n 1867, le célèbre dessinateur sainte-marien Stumpff établit au 10 000e un plan de la commune de SainteCroix, en couleurs. Y figurent en bleu les secteurs urbanisés, en vert les forêts et en beige les terrains agricoles. La forêt occupe beaucoup moins de place qu’actuellement comme le montrent bien des cartes postales de l’époque. Dans les archives de la paroisse Saint-Nicolas se trouve un étonnant répertoire de toutes les familles habitant le village, hormis le quartier des Petites Halles alors rattaché à la paroisse Sainte-Madeleine de Sainte-Marie-aux-Mines. Il a été confectionné par le curé Joseph-Emmanuel Foltz dont le ministère s’est étendu de 1887 à sa mort, le 23 avril 1912, à Sainte-Croix-aux-Mines. Les chefs de famille sont classés par ordre alphabétique, avec femmes, enfants, pensionnaires et domestiques éventuels. Leur profession est signalée dans 90 % des cas. Ce document est très précieux pour connaître la géographie humaine de notre village à la fin du XIXe siècle.
Les exploitations agricoles sont dispersées dans tout le ban communal, au cœur du village, dans les vallons comme dans les lieux reculés et en altitude. Il serait fastidieux d’essayer de dresser une carte de toutes ces fermes. Le curé Foltz répertorie 220 chefs de famille « cultivateurs » comme on disait alors. Il met à part deux fermiers, celui de la ferme Schoubart située à la Chaume de Lusse et l’autre qu’il signale plus bas que l’église, sans autre précision. Il s’agit bien d’exploitations agricoles mises en fermage par les industriels Schoubart et Burrus. D’autres professionnels sont aussi signalés : • 8 journalières et 19 journaliers, • 1 meunier et un huilier, • 1 jardinier, mais seulement deux bi-actifs : 1 cultivateur-ouvrier et 1 cultivateur-sabotier. Beaucoup de cultivateurs louent aussi leurs bras, en tant que bûcherons.
93
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
8
L e s a ffaires s ociales e t la s anté
N
Les médecins
os anciens, nés au début du siècle dernier, ont un nom immédiatement sur les lèvres : celui du Dr Frédéric Magnus qui eut pour successeur son fils unique Fritz. Mais en parcourant les registres où sont rassemblées les délibérations municipales, on se rend compte que de nombreux médecins ont exercé auparavant à Sainte-Croix-aux-Mines. On sait qu’en 1837 siège au conseil municipal Samuel Muller, officier de santé. Exerce-t-il à Sainte-Croix-aux-Mines ou y a-t-il pris sa retraite ? Cette seconde hypothèse est la plus probable. Ce grade fait penser à la profession de Charles Bovary, époux de la célèbre Emma Bovary qui a donné son nom au roman de Flaubert.
Pour revenir à notre sujet, une délibération municipale de 1858 nous apprend que la commune a décidé de verser un traitement de 1 000 francs annuels à un médecin qui s’installerait à Sainte-Croixaux-Mines.
140 18
Le médecin doit s’engager à soigner gratuitement les pauvres et les indigents. Par contre, il est rémunéré à l’acte par les malades aisés. Le 22 août 1860 est recruté Charles-Jean-Baptiste Dinichert, médecin cantonal qui devient vite adjoint au maire de Sainte-Croix-aux-Mines.
Le conseil municipal du 20 juin 1875 vote un traitement annuel de 2 400 marks ou de 3 000 francs pour un médecin communal connaissant le français et l’allemand, et qui s’installerait à Sainte-Croix. Le maire annonce l’arrivée du Dr Houillon à la réunion du 11 novembre 1875. En janvier 1881, on apprend que ce médecin s’en va. Il préfère s’installer dans la plaine. En allant soigner un malade sur les hauteurs du village, il s’est fait une entorse. Les élus font appel au médecin de Lièpvre, le Dr Reiser, pour une vacation mensuelle de 120 marks, à condition qu’il soit tous les jours dans la commune. C’est une solution provisoire.
Le conseil municipal du 26 février 1882 prend acte de l’arrivée d’un médecin allemand, formé dans son pays mais qui a déjà exercé à Dannemarie dans le Haut-Rhin : c’est le Dr Charles Matter. Il s’installe au village le 23 mars 1882. Dix-huit mois plus tard on apprend qu’il ne donne pas satisfaction. Par décision du conseil municipal du 21 octobre 1883, son traitement est réduit de moitié et passe de 2 400 marks à 1 200 marks. Mais le contrôle de légalité oblige le maire à retirer cette délibération huit jours plus tard. Fâché le Dr Matter s’installe à Sainte-Marie-auxMines et demande en 1885 des frais de déplacement pour venir soigner ses malades à Sainte-Croix-auxMines, ce qui lui est refusé. Le Dr Amelung fait un passage éclair à SainteCroix-aux-Mines en 1886, puisque dès le 1er mai de cette année-là, il cède sa place à son collègue le Dr Emmanuel Hirschfeld. Sans doute par souci de fixer un médecin à SainteCroix, le conseil municipal décide une augmentation du traitement annuel, lequel sera désormais de 1 440 mark. Cela ne suffit pas à fixer ce médecin à SainteCroix car en 1893, le village n’a plus de praticien. Mais voilà que se présente une valeur sûre : Charles Frédéric Magnus. Il a fait ses études de médecine à Erlangen en Bavière et y a soutenu sa thèse le 18 juillet 1892 : Das Sarkom des Uterus. Cela présage bien de l’intérêt qu’il portera toujours à la gynécologie et notamment aux accouchements. Juste avant l’examen d’État, il effectue un remplacement à Sainte-Marieaux-Mines, dans le cabinet médical du Dr Walther. La vallée lui plaît et en 1894, il s’installe à SainteCroix-aux-Mines. De 1893 à 1941, le Dr Frédéric Magnus tient trois carnets successifs où il note tous les accouchements qu’il pratique, essentiellement à Sainte-Croix-aux-Mines, soit près de 400 en 48 ans de carrière. Sa compétence en la matière est tout à fait reconnue. Par ailleurs, il est médecin des sapeurs-pompiers de la commune avant et après la guerre de 1914-1918. Avant 1900, il est sensible à un problème de santé publique : la qualité de l’eau consommée par les habitants qui s’approvisionnent aux fontaines ou dans les cours d’eau. Une épidémie de dysenterie donne des arguments au médecin. Le Dr Magnus père n’est donc pas étranger à la création à Sainte-Croix-aux-Mines du premier réseau d’eau potable, alimentant le bourg
en eau de qualité, provenant des sources du Hury et collectée dans le réservoir de Sobache (cf. p. 105). Après la Seconde Guerre mondiale, Fritz Magnus fils, lui aussi médecin, prend la succession de son père, au 4, rue de la Gare, dans la plus petite des villas Burrus, construite en 1911 par André Burrus. Il est secondé par son épouse Marie Julie Joséphine Imbs, infirmière de métier. Elle avait la main plus douce que lui pour les piqûres. Il est médecin des sapeurs-pompiers comme son père.
Le Dr Frédéric Magnus
C
harles Frédéric Magnus est né en Moselle à Hangviller le 12 juillet 1866. Son père Charles Frédéric et sa mère Élise née Ott sont tous deux instituteurs. Il termine ses études de médecine en 1892.
En 1893, il arrive dans la vallée pour la première fois. Elle lui plaît et, en 1894, il s’installe à Sainte-Croix-auxMines, alors sans médecin. Célibataire et accaparé par sa profession, il a pris pension au restaurant Frick qui faisait l’angle de la rue de la Gare et de la Grand-Rue. Il y rencontre Louise Bournique de Grandmont qui y travaille. Le Dr Frédéric Magnus l’épouse le 14 novembre 1907. Le 15 janvier 1913, elle lui donne un fils, Fritz. Son activité s’étend essentiellement de 1893 à 1941. C’est un médecin de campagne qui fait ses visites surtout à pied, y compris dans les fermes éloignées du village. Le Dr Frédéric Magnus père meurt à son domicile 15, Grand-Rue le 2 septembre 1950, très peu de temps avant la naissance de Christine, sa première petite-fille. Six mois avant sa mort, il annotait encore les carnets où il avait consigné la naissance de tant de Sainte-Creuziens, preuve du profond intérêt qu’il continuait à porter aux familles de Sainte-Croix-aux-Mines.
N Projet de construction pour l’hôpital rural Saint-Vincent. Le projet restera dans les cartons. 141
Sainte-Croix-aux-Mines
Au cœur du Val d’Argent
V Fritz Magnus pendant son internat à l’hôpital Pasteur de Colmar.
V Dr Fritz Magnus
et son épouse vers 1945.
V Photo de groupe pour la sortie des sapeurs-pompiers avec le Dr Fritz Magnus, sa femme et ses filles (à gauche d’André Jacques en képi), vers 1965.
Le Dr Magnus fils meurt en activité le 8 août 1979. Pendant soixante quinze ans, le médecin de SainteCroix-aux-Mines s’est appelé Magnus. Le Dr Gérard Sicre prend sa suite, pour une durée de 33 ans, jusqu’à son décès en mars 2012. Il est le dernier médecin des sapeurs-pompiers de la commune. Le Dr Raymond Frank, bientôt à la retraite, a aussi fait toute sa carrière de médecin à Sainte-Croix-aux-Mines. Le Dr Sylvie Fuger, originaire de Sainte-Croixaux-Mines, soigne ses compatriotes depuis plus de vingt ans. Avec le Dr Frank et sa jeune collègue le Dr Julienne Mpondo, en 2012, elle est à l’origine de la création d’un cabinet médical de groupe. Celui-ci se situe à l’entrée du lotissement innovant, rue des
Coccinelles, non loin de la rue de la Warthe et de la maison Sicre qui a longtemps abrité le cabinet médical du village.
VGérard Sicre, au premier plan et portant un képi,
142
lors de sa nomination au grade de médecin des sapeurspompiers. À sa gauche, le chef de corps Henri Marchand.
Les sages-femmes
En 1875, deux sages-femmes exercent à Sainte-Croixaux-Mines : Madeleine Stegherr et Rosalie Beaudel. Cette dernière assiste les femmes en couches depuis 1857. En 1895, l’unique sage-femme est Rosalie Bureau. Il en faudrait une seconde pour une population de 3 600 habitants. Trois jeunes filles demandent à la commune son aide financière pour faire des études de sages-femmes : Louise Wiss, Irma Clog et Louise Stegherr. Le conseil municipal choisit Mlle Wiss car elle est « habituée à la montagne » puisqu’elle habite le Hury. Elle est refusée à l’école de sages-femmes de Colmar car elle ne parle pas suffisamment bien l’allemand. C’est finalement Amélie Bataillard qui va partir pour Colmar en juillet 1895. En août 1896, elle a son diplôme de sage-femme et signe un engagement décennal avec la commune. Si elle renonce à exercer avant ces dix ans, elle doit rembourser à la commune tous les frais engagés pour sa pension et son apprentissage. En 1909, Rosalie Bureau demande sa pension. En lui accordant 120 marks par an, le conseil
Les affaires sociales Chapitre et larappel santé
municipal souhaite « qu’elle continue à donner ses soins comme par le passé ». C’est ce qui s’appelle une retraite active. La même année, Amélie Bataillard, maintenant épouse Stanisière, sollicite un secours de la municipalité car elle n’a assuré que 29 accouchements en 1908. En 1913, elle est toujours en fonction ; elle est désignée sous le nom de « matrone de la commune ». Dans les Carnets du Dr Magnus, il est question des sages-femmes qui l’assistent. Mme Walther de Rombach-le-Franc est citée une fois en 1895 au chevet d’une parturiente de la Chambrette, Mme Maigrat pour une accouchée de la Hingrie (Rombach-leFranc). Rosalie Bureau assiste le Dr Magnus père 21 fois de 1897 à 1914, et Amélie Bataillard 12 fois pendant la même période. À partir de juillet 1915, début du troisième carnet, il n’est plus question de sages-femmes, sous la plume du Dr Magnus. Mais bien sûr, il n’est pas seul à pratiquer les accouchements. On l’appelle surtout dans les cas difficiles.
Les pharmaciens
Le conseil municipal, réuni le 3 mars 1901, demande la création d’une pharmacie dans la commune. Celle de Sainte-Marie-auxMines est distante en moyenne de 7 km, ce qui n’est pas pratique pour les habitants de Sainte-Croix qui se déplacent majoritairement à pied. La même demande est réitérée le 6 septembre 1903. La première pharmacie de Sainte-Croixaux-Mines s’installe, en 1905, au 2, rue du Moulin. Le pharmacien est Eugène Heim, né le 6 janvier 1870, à Ottrott dans le BasRhin. Par la suite, l’officine est transférée au n° 5, rue de l’Hôpital (devenue depuis rue
VPortrait d’Eugène Heim.
du Maréchal Leclerc). La grande fenêtre en façade qui caractérise cette maison servait à l’époque de vitrine. Le pharmacien préparait lui-même un grand nombre de médicaments qu’il conditionnait selon les directives du médecin prescripteur. Il avait du papier à en-tête et aussi toutes sortes d’étiquettes à coller sur les flacons ou les boîtes pour permettre aux patients d’identifier le remède et d’en connaître la posologie. En-tête et étiquettes de la pharmacie à coller sur les flacons de médicaments.
B
N
La pharmacie rue de l’Hôpital.
143
Sainte-croix-aux-Mines Canton de Sainte-Marie-aux-Mines
D’argent à la bande de gueules accompagnée de six fleurs de lys de même Sources : L’armorial des Communes du Haut-Rhin - Commission d’Héraldique du Haut-Rhin