Scherwiller, des métiers et des hommes

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Scherwiller Kientzville

Des mĂŠtiers et des hommes


Scherwiller • Des métiers et des hommes

Le groupe Patrimoine de la M.J.C de Scherwiller. Au 1er rang, de gauche à droite : Alice Haag, Alphonse Simon, Anne-Marie Martin, Lucie Engel, Marthe Sohler et Jeannine Levy. Au 2e rang, de gauche à droite : Albert Marcot, François Wach, André Klein, André Martin, Pascal Dielenseger, Jean-Paul Frey, Monique Ernst et Cécile Herth. Manquent Gabrielle Donnard et Carine Schutz. Auteur : Albert Marcot avec le concours du groupe Patrimoine et le soutien de la commune de Scherwiller.

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Le mot du maire

“ V

Si tu veux savoir où aller, regarde d’abord d’où tu viens.

oilà une citation qui pourrait résumer à elle seule tout l’intérêt d’inscrire nos pages d’histoire dans cette seconde version des Mémoires de Vies.

Ce nouveau tome est destiné à mettre en valeur ce patrimoine qui a donné à notre commune sa richesse culturelle et historique, celle liée à l’activité de ses artisans et commerçants qui ont insufflé cette dynamique qui a conduit au rayonnement de notre bourg. J’aimerais rendre hommage à ces femmes et ces hommes, à nos aïeux qui ont tracé cette voie avec passion et persévérance, avec respect et courage, avec modestie et fierté pour faire de Scherwiller ce grand village où il fait si bon vivre. C’est le moment aussi de féliciter tous les membres du groupe Patrimoine qui ont œuvré à la réalisation de cet ouvrage grâce auquel nous redécouvrons toutes ces richesses insoupçonnées qui ont façonné notre passé afin de nous laisser cet héritage fantastique dont nous pouvons avoir une sacrée fierté. L’artisanat, les années fastes de l’industrie, les restaurants et le vignoble de prédilection sont les piliers de notre village qui sont visibles à chaque instant, à chaque coin de nos rues. Ils sont le socle sur lequel s’est bâtie notre communauté au fil des décennies et des siècles qui nous ont précédés. Scherwiller se construit sur ses fondations définitivement ancrées dans notre patrimoine culturel et c’est sans aucun doute grâce à l’extraordinaire solidité de celles-ci que notre avenir peut être envisagé dans la meilleure des sérénités. J’aimerais adresser un bravo à toute l’équipe du groupe Patrimoine pour son travail de recherche ainsi qu’à Monsieur Albert Marcot pour son investissement personnel dans la rédaction de l’ouvrage. Bonne lecture à tous ! Olivier Sohler, Maire de Scherwiller

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

avant-propos

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ès l’origine, les communautés humaines ont dû s’organiser pour assurer leur existence au fil du temps et des circonstances et subvenir à leurs besoins immédiats.

La communauté de Scherwiller, dont nous proposons une rétrospective de la vie économique et sociale de l’Ancien Régime jusqu’aux années 1960, n’a pas échappé à cette règle. Zoom arrière qui souligne avec force l’élan, la ténacité et l’esprit d’entreprise de toute une population aspirant au progrès et à une vie meilleure, moins soumise aux aléas. Population industrieuse, vignerons et cultivateurs, artisans, commerçants, ouvriers et entrepreneurs, ne rechignant pas à l’ouvrage, relevant de nouveaux défis : la mécanisation, les usines, les reconstructions… Nous n’avons pas la prétention d’avoir tout dit, loin s’en faut, il y aura des oublis, involontaires, peutêtre des inexactitudes, nous nous en excusons d’avance ; car plus on remonte dans le temps, plus l’interprétation des faits et les témoignages divergent. Cependant notre souci constant a toujours été de nous en tenir à la réalité des faits confirmés par les documents (archives communales pour l’essentiel) ou généralement admis. Je tiens à rendre hommage à toutes celles et ceux qui ont permis la réalisation de cet ouvrage : les membres du groupe Patrimoine dont chacun a apporté sa pierre. J’aimerais citer en particulier Alphonse Simon, le plus ancien d’entre nous qui, par un premier recensement, nous a mis le pied à l’étrier ; André Klein, membre de la première heure, fidèle et d’un grand secours. Nos remerciements à toutes celles et ceux qui nous ont prêté photographies et documents et fait part de leurs témoignages si précieux. Notre gratitude également à Anny Muller et Claudine Zipper pour la saisie informatique ; une pensée particulière pour feu Monique Klein qui a saisi la plupart de nos comptes-rendus aussi longtemps qu’elle a pu. Merci au Conseil Municipal pour sa confiance et plus spécialement à Véronique Kalt, Directrice Générale des Services, pour son aimable assistance. Albert Marcot

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sommaire

Chap. I

La communauté de Scherwiller en 1792

Chap. II

Les métiers de l’alimentation

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Chap. III

Les métiers du fer

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Chap. IV

Les métiers du bois et du bâtiment

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Chap. V

Les métiers du cuir

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Chap. VI

Les métiers de l’habillement

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Chap. VII

Les métiers du transport

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Chap. VIII

Les restaurants

140

Chap. IX

Mécanique, électroménager, divers

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Chap. X

Vie rurale et vignoble : regards

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Chapitre

I

L A COMMUNAUTé DE SCHERWILLER EN 1792

„Deren samtlichen Einwohner der Gemeind Sherweyler enthaltend der Alter Geburtsort Wohnsitz Handwerks Gewerb oder Nahrungs Mittel pro das Jahr 1792 “.

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n réalité, il ne s’agit pas du comptage de tous les habitants de Scherwiller mais uniquement des chefs de ménage (homme ou femme) : âge, lieu de naissance, métier, activité ou moyen de subsistance. Cette dernière formulation Nahrungsmittel illustre bien la préoccupation première des individus : se nourrir. Ce document est un instantané précieux de la communauté de Scherwiller, de sa structure sociale, au lendemain de la grande Révolution. Cependant, ce portrait est en partie incomplet, car la communauté juive y fait défaut. Certes, par le décret d’émancipation voté par la Constituante le 27 septembre 1791, les Israélites ont obtenu la citoyenneté française. Visiblement, ce texte – trop récent – n’a pas encore permis d’intégrer cette population à ce recensement. Or la communauté juive est établie à Scherwiller au moins depuis le XVIe siècle.

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Hormis son importance numérique, elle joue un rôle économique non négligeable. En effet, le dénombrement général des Juifs du 10 juillet 1784, ordonné par Louis XVI, recense 31 familles pour un total de 169 individus. Elles vivent essentiellement du commerce. On les qualifie de colporteurs : marchands de bestiaux, de drap, de tissu, de fer, bouchers… Ce sont les Hemerdinger (6 familles), Salomon (5 familles), Levy (4 familles), Weyl (4 familles), Israel (3 familles), Franck (2 familles), Gougenheim (2 familles), Hertz (1 famille), Kahn (1 famille), Lazare (1 famille), Liebermann (1 famille) et Meyer (1 famille). Patronymes que nous retrouvons pour la plupart au hasard des actes de l’État Civil des XVIIIe et XIXe siècle.


Répartition des ménages Revenons au recensement de 1792. Les 433 ménages répertoriés se répartissent de la manière suivante :

Ceux qui travaillent la terre • 72 Reeb und Ackersmann (vignerons-cultivateurs) (dont 1 femme) ;

• 128 Reebmann (vignerons) et 25 Reebfrau (vigneronnes) ;

• 29 journaliers, main-d’œuvre indispensable pour mener à bien travaux saisonniers et récoltes ;

• 2 bergers chargés de la surveillance des troupeaux de la communauté, bovins et porcs, et rémunérés par tête de bétail. Soit, au total 256 foyers vivant du travail exclusif de la terre, près de 60% du total des ménages.

On constate la distinction entre cultivateur-vigneron et vigneron. En effet, à Scherwiller, comme on le souligne ici ou là, la vigne l’a toujours emporté sur les champs. Considérant les sols maigres et caillouteux du cône de déjection du Giessen, il n’y a là rien de surprenant, mais le statut, le rang dans l’échelle sociale y sont aussi pour quelque chose : le vigneron dépassant le simple laboureur.

Le laboureur, image intemporelle. © Albert Marcot

À Scherwiller, ce sont les vignerons-cultivateurs qui tiennent le haut du pavé. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre la liste des signataires du dénombrement de 1792 : • Les notables : Caspar Beck 56 ans, vigneron ; Andres Mathis, vigneron-cultivateur ; Xaveri Rapp 33 ans, meunier et boulanger ; Balthasar 55 ans, vigneron-cultivateur ; Jean-George Guntz 30 ans, vigneron-cultivateur ; Jacob Bädti 50 ans, tonnelier ; Andreas Frey vigneron-cultivateur ; Joseph Martin 60 ans, vigneron ; Joseph Brandstädter 51 ans, charron ; Jean-George Stirgel 50 ans, vigneron-cultivateur.

Socs de charrue entièrement forgés à la main. © Albert Marcot

Avant-train de charrue de type médiéval. Provenance : Scherwiller. © Albert Marcot

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

• Le conseil : François-Ignace Vogel 41 ans, maire, vigneron-cultivateur ; Jean-Joseph Guntz 43 ans, vigneron-cultivateur ; Johannes Bimboes 60 ans, forgeron ; Johannes Anton 41 ans, vigneron-cultivateur ; Antoni Röhr 44 ans, vigneron ; Gabriel Wernert 52 ans, vigneron-cultivateur ; Jean-Michel Frey 40 ans, procureur de la commune, vigneron-cultivateur et Meyer, secrétaire municipal. Sur les 19 signataires, hormis Jean Meyer, 10 sont vignerons-cultivateurs, 4 vignerons et 4 artisans.

Sur ce frein d’Sperrkett, maladroitement gravée, la date de 1789. Tout un symbole… © Albert Marcot

Les bœufs ont forcé l’espace de leurs sabots et arraché l’épine qui étrangle. Au centre, Alphonse Simon.

L’homme et le cheval, un couple qui était fait pour durer. Jean-Louis Wach et son bel attelage. © Albert Marcot

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La communauté de Scherwiller en 1792

Artisans, commerçants et autres

Les femmes chefs de ménage

Les artisans, commerçants et autres professions représentent 109 ménages, soit environ 25 %.

Autre particularité de ce recensement, les femmes chefs de ménage sont comptabilisées à part. Elles sont au nombre de 90, soit un peu plus de 20 % de la totalité. La plupart sont des veuves, 74 au total. Par contre, peu de femmes célibataires : 9 dont 7 sont couturières et 7 autres sans indication. Ce constat n’a rien d’étonnant lorsque l’on connait les conditions de vie difficiles et aléatoires : dans le Himmels Schlüssel de 1743, la prière de la future épouse à la veille du mariage est très explicite quant à la nécessité pour une femme, consciente de sa faiblesse, de se marier pour assurer son pain quotidien, l’appui et la force d’un homme pour le travail de la terre étant impératif, ce qui n’exclut nullement les sentiments d’amour : „ Du mein Gott weist dass ich nicht aus Geilheit (luxure) sondern vielmehr aus Notwendigkeit (nécessité) in diesen Stand trette : damit ich nehmlich der Schwachheit meiner Natur (la faiblesse de ma nature) zu Hülff komme und auch die zeitliche Nahrung in diesen Stand erwerbe “.

- Les métiers de l’alimentation : 6 meuniers, 3 boulangers, 3 épiciers, 1 boucher, 2 aubergistes. - Les artisans du bois : 13 tonneliers, 2 cuvetiers, 2 charrons, 4 charpentiers, 3 menuisiers, 1 vannier. - Les artisans du fer : 6 maréchaux-ferrants, 2 cloutiers, 1 ferblantier. - Les artisans de la pierre et de la terre : 6 maçons, 1 tuilier, 1 salpêtrier. - Les artisans de l’habillement : 11 tisserands, 8 tailleurs, 7 couturières, 12 cordonniers. - Professions diverses : 2 chiffonniers, 3 barbiers “chirugus”, 1 sage-femme, 1 instituteur, 1 secrétaire du juge de paix. La majorité de ces artisans ne pouvaient vivre du métier seul, ils exploitaient également champs et vignes pour nourrir leur famille. Toutes ces activités témoignent d’une vie économique dense, diversifiée, où chacun joue son rôle et répond à un besoin précis de la communauté, lui conférant indépendance et autonomie. Quasiment tous les métiers nécessaires à la vie courante sont représentés. Il y a aussi les journaliers, nombreux, payés à la journée. Plusieurs professions sont peu représentées : un instituteur, un boucher (hormis les bouchers juifs), deux petits commerçants (en marge des nombreux marchands juifs) et un vannier. Les lieux de naissance révèlent que les artisans traditionnels ne sont pas tous originaires de Scherwiller. Une trentaine viennent de l’extérieur, la plupart des villages proches que ce soit du Val de Villé, du vignoble ou encore du Ried, exceptionnellement d’Outre-Rhin. Lorsqu’ils en ont l’opportunité, quelquefois par mariage, les artisans s’installent là où il y a de la demande, où la profession fait encore défaut, renforçant ainsi le tissu économique. Les marchés compensent le manque.

Un bureau de charité La moitié des veuves vivent “im almosen” (de l’aumône). Plus du tiers cultivent la vigne ; 7 sont couturières, 2 font du commerce et seules 4 sont rentières. Parmi les hommes, 10 sont dans l’indigence et 6 seulement vivent de rentes. Il faut donc travailler et rester actif aussi longtemps que la santé le permet, les parents comptant sur leurs enfants. Il n’est question que d’un Streiffer (vagabond) et d’un kein Wohnsitz (sans domicile). Un document du 26 floréal de l’An 3 (1794) atteste l’existence à Scherwiller d’un bureau de charité sous la dénomination Unterstützung Gelder, (secours en argent) pour ceux qui en raison de leur âge ou de leur faiblesse ne sont plus en capacité de gagner leur pain „Welche wegen Alter und Schwachheiten ihr Brot nicht mehr zu verdienen im Stand sind “. Sont citées une dizaine de personnes.

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Chapitre

II

Les métiers de L’aLimentation

Alors que jadis le pain était essentiel, il reste aujourd’hui encore l’un des piliers de notre alimentation. Assurer le pain quotidien, au sens propre, est longtemps resté la préoccupation majeure des générations successives. Avoir du pain signifiait être à l’abri de la disette. Le précepte :”ne pas gaspiller le pain” avait alors tout son sens et la consommation de cette denrée précieuse était en général sous le contrôle de la maîtresse de maison qui, à la campagne, en assurait la cuisson. La soudure d’une moisson à l’autre pouvait s’avérer critique. La réserve de farine venant à s’épuiser, il fallait se serrer la ceinture. Semaines de pénurie que les anciens qualifiaient”d’hungrige Woche”.

Le geste premier du cultivateur : semer. Xavier Reibel ”Winkel ”. © Albert Marcot

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Les meuniers et boulangers Les meuniers Pour obtenir de la farine, il faut broyer, moudre le grain. En Alsace à partir du XIIe siècle, c’est le moulin hydraulique qui va remplir cette tâche. Ce type de moulin est déjà mentionné en Asie Mineure aux environs de 90 av. J.-C., à l’époque de Mithridate VI, roi du Pont. Du temps de César, ces moulins à eau sont introduits en Italie. Dans son ”De Architectura”, Vitruve, architecte romain et ingénieur militaire, décrit leur fonctionnement : roue à alluchons et lanterne avec fuseaux (pignon où s’engrènent les dents d’une roue). Ce moulin avec sa grande roue à aubes et son système d’engrenages est représenté dans le fameux manuscrit ”Hortus Déliciarum” réalisé vers 1200 sous l’impulsion de l’abbesse du Mont Saint-Odile, Herrade de Landsberg. C’est à cette époque que se généralisent en France les moulins à eau le long des cours d’eau, voire des ruisseaux qu’on aménage. Il en est ainsi pour l’Aubach (également dénommé Mühlbach), une dérivation du Giessen, canal semi-artificiel qui traverse le territoire de Scherwiller d’ouest en est sur 5 kilomètres, arrosant au passage le bourg (avec lequel se confondent ses origines) de ses eaux nourricières.

• Un moulin en 1138 La première mention d’un moulin à Scherwiller date de 1138 où Frédéric de Châtenois, un noble, fait don d’une curtim cum molendino in Scherevilare (propriété comprenant un moulin) à l’abbaye de Honcourt. De même, dans le premier obituaire de la Commanderie de l’Ordre de Saint-Jean de Sélestat, terminé avant 1404, sont consignés les noms de nombreux Frères issus de familles nobles d’Alsace, notamment de Sélestat : les Rathsamhausen, les Müntzer, les Schurpfesack. Ainsi, un certain Frère Conradus Bockelin ”qui nous a donné un moulin à Scherwiller et d’autres biens”. • Les moulins en 1751 En 1751, à Scherwiller, le rôle du vingtième d’industrie indique : 4 meuniers : - Jean- Michel Muller redevable de 5 livres 15 sols ; - Jean Stadler, 15 sols ; - Jean Kretz, 7 livres 15 sols ; - Joseph Gerstner, 4 livres 5 sols ; et 3 boulangers : - Laurent Begert, 1 livre 15 sols ; - La veuve de Jean Muller, 15 sols ; - André Mitschler, 1 livre 15 sols. • Les moulins en 1773 L’ état des moulins et autres usines du 9 mars 1773 établis sur l’Aubach désigne 6 moulins : - la Waldmühl de Gabriel Martin, établie le 1er mars 1708, 4 tournants (un tournant représente une paire de meules, l’une courante et l’autre gisante) dont 3 à farine et 1 à huile ; - la Ramsteinmühl (Hühnelmühl) de Joseph Gerstner, établie le 2 juin 1744, 2 tournants à farine ;

Le grain… mais pas toujours l’abondance. © Albert Marcot

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

Du bois à refendre pour se chauffer l’hiver, devant l’épicerie Roth-Meyer, rue de la Gare.

Avant Joséphine, ses tantes Mathilde et Albertine Schutz, célibataires, dirigeaient déjà l’épicerie. Outre les produits d’alimentation, Joséphine propose également des articles de mercerie, des cartes postales et même des articles scolaires. L’épicerie ferme définitivement ses portes le 30 juin 1966. Le propriétaire actuel, André Klein, a conservé in situ le mobilier d’époque, notamment le comptoir et les meubles compartimentés de tiroirs profonds où l’épicière stockait nombre de produits et d’articles destinés à la vente. À voir l’usure extrême des marches de l’escalier en bois reliant le magasin à l’étage, on devine le nombre impressionnant des va-et-vient journaliers. L’accès au

magasin se faisait depuis la rue en descendant quelques marches (entrée aujourd’hui condamnée). Cette ancienne épicerie se visite. • Rue de la Gare : maison n° 23 Selon le Registre des Artisans Commerçants, Madeleine Roth (née en 1862) est épicière patronne depuis 1900. Louise Roth, la fille de Madeleine, se marie le 23 mai 1905 avec Théodore Meyer, maître menuisier. Au décès de ce dernier en 1915, elle ouvre au n° 23, une épicerie. Louise faisait du commerce ambulant avec de la laine et autres articles de mercerie, notamment à Epfig, avec sa Kütsch. Parfois, Théo Meyer, son petit-fils, l’accompagnait. Au retour, Louise rapportait beurre et œufs qu’elle revendait. À partir de 1958, Cécile Meyer, née Lutz, épouse de Léon reprend l’épicerie avec sa belle-mère Louise. Le magasin ferme le 31 décembre 1972.

Louise Roth, épouse Meyer, avec sa Kütsch. Que de parcours !

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Les métiers de l’alimentation

• Rue de la Gare : maison n° 52 Sur une ancienne carte postale du début XXe siècle, on observe une épicerie audit numéro qui appartenait alors aux époux Xavier Grandidier et Françoise Weber. Plus tard, les Grandidier déménagent dans la rue du Giessen pour y établir un dépôt de vente de bière à emporter.

- Rue de la Gare : épicerie aujourd’hui disparue, entre les n° 66 et 70

Françoise Grandidier, née Weber, 52 ans. Elle fut commerçante ambulante en mercerie. En 1923, le rendement annuel de son commerce oscille entre 1 250 et 1 875 F.

Avant la Seconde Guerre mondiale, d’après le recensement de 1926, le n° 52 est occupé par Léontine Eier (née en 1870) qui donne également des cours de piano, Thérèse Huber (1873), Françoise Dischinger (1870) religieuse et Elise Cochart (1872). Ces personnes étaient au service de l’Alumnat Sainte-Odile tenu par les Pères assomptionnistes pour l’entretien du linge et autres tâches ménagères.

Jadis et jusque vers 1910 se trouvait là l’épicerie-boulangerie tenue par les époux François-Xavier Breitel, boulanger, et Marie Émilie, née Wintz. Des cartes postales-quittances, des mandats, de 1902 et 1903 indiquent : Herrn Xavier Breitel Spezereihandlung ou encore Bäckerei. Les expéditeurs sont : - Scholler et Mayer inh. Friedrich Mayer Strassburg ;

- Käse – und Butterhandlung A. Baldeck, Dreikönigstrasse 48, Mülhausen ; - Ch. Matthis Muttersholtz ; - Épicerie en gros Schreiber Frères; Birckel Frères ; - Grande Distillerie Vosgienne René Hanhart, distillateur Thann. - Breitel vendait également des Kolonialwaren.

Anecdote Dans ses souvenirs d’enfance, Nephtalie Kahn (18651949), connu pour ses œufs brodés (conservés au Muséum d’Histoire Naturelle de Rouen), cite parmi ses camarades un certain Breitel dont la mère veuve tenait une épicerie. Toute la bande avait la passion des timbresposte qu’ils récupéraient à l’improviste sur les vieilles enveloppes stockées par l’entreprise Brucker fabricant de carton et de papier à Scherwiller, rue de la Gare. Et d’ajouter : ”Breitel avait dans l’idée de faire tapisser toute la maison de sa mère avec des timbres, il parvint à en avoir plein un grand sac à pommes de terre bien tassé ”. Passion quand tu nous tiens ! Après l’incendie de la boulangerie vers 1910, les époux Breitel ont émigré à Boston (Amérique), où FrançoisXavier a poursuivi son activité de boulanger. Œuf brodé de Nephtalie Kahn. Muséum d’Histoire Naturelle de Rouen.

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Chapitre

III

Les métiers du fer

Le maréchal-ferrant

A

rtisan incontournable pour le paysan, le maréchalferrant occupe une place privilégiée au sein de la communauté. L’outil, l’instrument, l’accessoire en fer ont peu à peu relégué ceux en bois. Le progrès est considérable : durabilité, efficience, rendement. Le maréchal-ferrant est d’abord celui qui ferre les bêtes de trait. En effet, la ferrure protège le pied du cheval, le sabot fourchu du bœuf ou de la vache. Elle renforce prise et stabilité, optimise avec le collier d’épaule la force de traction de l’animal. Cette mise en œuvre conjointe de la ferrure et du collier d’épaule a été une étape décisive pour le transport au cours du Moyen Âge.

Emblème de maréchal-ferrant (fer à crampons) daté de 1584, le seul connu à Scherwiller. © Albert Marcot

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Emblème du taillandier ? Marteau et serpette (ou faucille), rue de la Mairie. © Albert Marcot

Le ferrage s’effectuait à l’extérieur de l’atelier, le plus souvent sur l’espace public. La présence de l’homme et de l’animal en une sorte de corps à corps, la fumée et l’odeur âcre de la corne brûlée, le bruit sonore de l’enclume, toute une ambiance empreinte d’émotion, ne manquaient pas d’attirer le passant ou les gamins sortant de l’école, petits attroupements où s’échangeaient toutes sortes d’impressions et de commentaires, renforçant ainsi le lien social de la manière la plus naturelle.


Depuis toujours, l’emblème du maréchal est le fer à cheval à crampons, accompagné parfois des outils à ferrer : tricoises pour arracher les vieux fers, brochoir, boutoir. À Scherwiller, place de la Libération, à l’intérieur d’une petite bâtisse adossée au n° 42, sur une clé de voûte, un écusson en méplat présente un fer à cheval à crampons daté de 1584 avec, de part et d’autre, les initiales du maréchal C.W.

Brochoir (marteau à ferrer), clous et fer à cheval à crampons, forgé main. © Albert Marcot

À l’occasion, le maréchal-ferrant fait office de vétérinaire bien avant l’apparition de cette profession. Il connait les remèdes pour soigner un pied, guérir un abcès, rectifier une dentition, stopper une diarrhée… Maréchal-ferrant est synonyme de forgeron. Celui-ci maîtrise l’art de la forge, tout ce qui est en fer est de son ressort. C’est lui qui crée l’outil, le répare, l’affûte. Au printemps et au cours de l’été, lorsqu’il faut piocher la vigne, c’est lui qui recharge ou répare les hoyaux (houes à deux dents) ; il aiguise au marteau-pilon ou bat à même l’enclume les socs des charrues au moment des labours ; de concert avec le charron, il cercle de fer les roues en bois, remplace les pièces défectueuses des charrois, etc. La qualité du produit, la garantie de l’ouvrage réalisé dans les règles de l’art sont attestées par une estampille, marque propre à chaque forgeron.

Marteaux ferretiers à forger les fers. © Albert Marcot

Les forges à Scherwiller aux XVIIIe et XIXe siècles Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, plusieurs forges sont en activité à Scherwiller. Pour six d’entre elles, l’implantation est connue grâce à des documents et témoignages, mais aussi par des indices caractéristiques évoqués ultérieurement. L’animal de trait est alors un maillon essentiel pour le travail de la terre, un handicap pour ceux qui en sont privés, faute de moyens. L’attelage de chevaux est une image forte et prégnante de la fortune et du rang social de son propriétaire.

Au forgeron, le ferrage des roues, place Foch.

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

La forge Frey durant la Première Guerre mondiale. Entièrement à droite, le maréchal-ferrant Bernard Frey tenant dans sa main gauche le brochoir ; à gauche, son épouse Stéphanie et leurs enfants.

Quant au ferrage des bœufs ou d’un cheval particulièrement réticent, un travail Notstàll (bâti en bois équipé de traverses et bardé de fer servant à immobiliser l’animal et à le maintenir debout à l’aide de sangles) se trouvait à l’arrière de la forge, dans une cour.

Ou encore en juillet 1924 lorsque le forgeron est appelé à réparer l’écluse qui sépare les eaux de l’Aubach et du Blumbach s ‘Baragschlei.

Une autre activité et non des moindres était le cerclage des roues en bois : opération délicate. D’abord exécution du bandage en fer d’un diamètre un peu plus petit que celui de la roue. Chauffé au rouge, on l’ôte du feu à l’aide de tenailles pour le monter rapidement et l’ajuster au marteau sur le contour de la roue, elle-même bridée sur un bloc en grès. Tout de suite on refroidit le cerclage avec de l’eau, ce qui le rétrécit et resserre du même coup tous les éléments en bois de la roue.

Réouvert en 1946-1947, c’est Gérard Dubich (originaire de Merxheim), le gendre de Bernard Frey (père) qui reprend l’atelier. Également maître-forgeron, maîtrisant la soudure à l’oxygène et celle à l’arc électrique, Gérard s’entend aussi dans la soudure de l’aluminium.

Interventions multiples Le forgeron est amené à toutes sortes d’interventions touchant au fer : aiguisage, réparation d’outils, remplacement de pièces, etc. - “ein Karst gespitzt” aiguisage des dents d’un hoyau - 1 F (tarifs des années 1920) ; - “zweimal das Pflugeisen geschärft” aiguisage à deux reprises d’un soc de charrue - 2,50 F ; - “zwei Ochseneisen ; die Reebscheren repariert” mise en place de deux fers à boeufs et réparation de sécateurs - 8 F ; - “ein neues Pflugeisen” un nouveau soc de charrue - 26 F.

Gérard Dubich (1919-1969)

Pour l’obtention de son brevet de compagnon, il avait réalisé une pince de forgeron, ainsi qu’une pièce de fer destinée à un chariot. De même pour le brevet de maîtrise, il confectionna un hoyau (Kàrst). Outils et accessoire entièrement réalisés au feu de forge, à l’ancienne, sans perceuse, ni meuleuse, ni appareil à souder. Les soudures au feu, invisibles à l’œil nu, témoignent d’une grande maîtrise de l’art de la forge.

Gérard Dubich, forgeron, maréchal-ferrant et soudeur.

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Le 14 janvier 1947, Gérard obtient du directeur des Services Vétérinaires du Bas-Rhin l’autorisation à titre provisoire d’exercer le métier de maréchal-ferrant, demande appuyée par le maire de Scherwiller Honoré Haag, mettant en avant la pénurie de la main-d’œuvre qualifiée de la commune.


Les métiers du fer

Pièce de maîtrise du forgeron Gérard Dubich : un hoyau entièrement réalisé au feu de forge, vers 1940.

• Rue du Meyerhof : maison n° 13, Aloyse Glock (1881-1947) Jadis, maison à pans de bois, aujourd’hui démolie ; il ne reste qu’une partie des murs de la cave. Au fond de la cour, Aloyse Glock, maître forgeron, avait établi sa forge le 1er septembre 1916. Affecté dans un régiment d’artillerie, il avait obtenu son brevet de capacité de maréchal-ferrant le 15 octobre 1903 à Berlin.

À l’instar de son beau-père, Gérard effectue des tâches multiples. Ainsi en 1947 : - “eine neue Gabel 4 Zincker” une fourche neuve à 4 pointes - 142,50 F (suite à la guerre, les prix ont subi une forte inflation) ; - “einer Kuh den Fuss ausgeschnitten” nettoyage du sabot d’une vache - 45 F ; - “den Ochs im Notstall ausgeputzt : 2 Ochseneisen” - 145 F ; - “eine Kuh ausgeschnitten ; ein Mähmachinen Messer : Rippe geschweisst den Kopf, ab und aufmontiert” : soudure d’une lame de faucheuse, montage et démontage - 180 F ; - “den Brunnen repariert : 5 neue Schrauben 10X80, eine neue Klappe mit Dichtung, eine Dichtung an den Auslauf, ein neues Kolbenleder” réparation d’un puits, 5 nouvelles vis, 1 nouveau clapet avec joint, 1 joint d’étanchéité pour l’écoulement et 1 nouveau cuir de piston - 1 670 F. Au moment des labours, les journées sont longues. Bien avant le lever du jour, il faut battre les socs, ferrer les animaux, etc. L’enclume sonne. On s’active.

Antoine Bimboes (1850-1914) et Félicité Siegel (1873-1953) et leur nombreuse descendance en 1904.

Le 13 mars 1912, Aloyse est titulaire du brevet de maîtrise de forgeron (Meisterprüfung).

Gérard Dubich effectue le cerclage des roues en bois le jeudi, jour de congé pour les écoliers. Ainsi, ses fils, Pierre et Bernard, pouvaient le seconder notamment pour la pose du cercle chauffé au rouge, qu’il faut refroidir rapidement. À 14 ans, Pierre savait ferrer un cheval.

Son fils, Alphonse, avait également appris le métier de forgeron. Mais, incorporé de force dans la Wehrmacht comme tant d’autres, il fut l’une des nombreuses victimes de la Seconde Guerre mondiale.

Aloyse Glock, maître forgeron en 1912.

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Chapitre

V

Les métiers du cuir

Faute de moyens de locomotion, le vélo ne se popularise qu’au début du XXe siècle, les déplacements à pied ont longtemps été la norme et les kilomètres ça use les souliers… Avant d’être rattaché au canton de Sélestat le 31 mars 1859, Scherwiller fait partie de celui de Villé, chef-lieu distant de 12 km, un handicap pour ceux qui n’ont que leurs pieds lorsqu’il faut s’y rendre pour des affaires administratives, ou de justice. Conscient de ces entraves physiques et économiques, Lezay-Marnésia, “le préfet des paysans”, avait fait mettre en place en 1811-1812 des bancs-reposoirs, suivis en 1853 de ceux de l’impératrice Eugénie épouse de Napoléon III. Bancs en grès surmontés d’un linteau sur lequel les femmes déchargeaient leur fardeau porté sur la tête. De même des bornes sur les côtés facilitaient la dépose des hottes chargées de produits. En 1854 à la sortie de Scherwiller vers Dambach-la-Ville, on installe un banc-reposoir, aire de repos à l’ombre de deux tilleuls. Un autre, daté de 1857, se trouve le long de la R.D. vers Ebersheim à hauteur du Brachbrunnen, jadis à côté d’un puits à balancier. Lors des élections à Villé des quinze représentants du département prévues le 23 avril 1848, Scherwiller prend les devants : le 16 avril, le Conseil municipal décide d’offrir le jour du vote aux électeurs indigents (privés d’attelage) “un verre de vin et du pain pour un petit rafraîchissement, considérant qu’il est de la plus grande importance de faire venir le plus d’électeurs possible pour chaque canton”.

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Les cordonniers au fil du temps

E

n 1751, cinq cordonniers sont assujettis au vingtième d’industrie : - Nicolas Zepffel le jeune, 2 livres 5 sols ; - Jean Georges Birling, 1 livre 15 sols ; - Joseph Diehlbohrer, 15 sols ; - Joseph Baumann, 15 sols ; - Jacques Sick, 15 sols.

En 1792, pas moins de 12 cordonniers : Ignati Anton, 66 ans ; Jean-Georges Birling le jeune, 55 ans ; Michel Birling, 34 ans ; François-Antoine Birling, 42 ans ; François-Joseph Begert, 48 ans, né à Rouffach ; Jean-Michel Kinck, 65 ans, né à Denenbrun en Brisgau ; André Sick, 38 ans ; Jean Sick, “Schuster”, synonyme de “Schuhmacher” ; François-Joseph Stoeckel, 43 ans ; Ignati Walter, 41 ans et les deux fils de Joseph Schmidt âgés de 26 et 37 ans. Le recensement de 1831 nous donne 8 cordonniers : Donat Schmitt, Ambroise Woelfli, Simon Simon, François Joseph Wernert, Étienne Hertzog, Martin Stampf, Jean Immel et Jean Philipps. Curieusement on ne retrouve aucun patronyme ayant exercé le métier précédemment. Renouvellement total ? Le dénombrement de la population de 1861 apporte des précisions : - Jean Immel, veuf, cordonnier, 85 ans au n° 84, À la Route (rue de la Gare) dans la même maison que le vétérinaire Xavier Goettelmann - Jeanne Delon ;

- Alexandre Guntz, 46 ans - Marie-Odile Guth, 41 ans, À la Route, n° 87 ; - Charles Wottling, 27 ans - Marie Dochter, À la Route, n° 88 ; - Grégoire Simon, 50 ans - Élisabeth Antoni, 43 ans, rue des Tirailleurs ou Schützengass (rue de Dambach). La famille compte 8 filles et 1 garçon ; - Alexandre Delon, 28 ans - Thérèse Marchal, 27 ans, rue du Milieu (rue de la Mairie) n° 151. Sept familles résident à ce numéro, soit 25 personnes ; - Étienne Herzog, 63 ans - Anne-Marie Ruhlmann, 65 ans, rue du Milieu, n° 171 ; - Joseph Estimann ?, 36 ans - Rose Meyer, 40 ans, rue du Milieu ou de la maison commune (rue de la Mairie) ; - Jean Lejeune, 30 ans - Élisabeth Mohler, 32 ans, place des Charpentiers, n° 273 ; - Xavier Guntz, 59 ans - Thérèse Claude, 58 ans, Ortengass Haut Village À la Route, n° 290 ; - Alexis Mitschler, 33 ans - Angélique Wernert, 32 ans, route Haut Village, n° 364 ; - André Meyer, 27 ans - Thérèse Louis, 28 ans, Route Haut-Village, n° 368 ; - Jacques Sonntag, 24 ans - Françoise Schmieder, rue de la Tour (rue Joffre) n° 587.

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

Le métier de cordonnier

À

l’origine, les cordonniers confectionnent les souliers de A à Z.

La fabrication est complexe : semelle, talon, empeigne, languette, etc. Elle exige de nombreux outils à manier avec doigté : couteaux à pied pour la découpe du cuir, alènes à coudre, fers à cambrure pour modeler, marteaux à chapeau de gendarme pour assouplir et clouer, sans oublier le pied de fonte embauchoir (l’enclume du cordonnier).

Arrive la fabrication industrielle des chaussures. Le métier est remis en question. Désormais, le cordonnier devient surtout un réparateur de souliers, du rapiéçage pour l’essentiel, beaucoup d’heures pour un petit salaire. Ne dit-on pas : “les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés ! ”. Même le particulier s’improvise cordonnier, il faut faire durer les souliers le plus longtemps possible. Tous les ménages ou presque disposent d’un pied de fonte, a leischt.

Appareil à ferrer pour sertir les embouts en fer des lacets. © Albert Marcot

Des clous, des clous et encore des clous ! © Albert Marcot

Appareil pour cambrer et assouplir le cuir des chaussures. © Albert Marcot

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Les métiers du cuir

Les derniers cordonniers Place Foch • Actuelle bibliothèque, Jacques Ignace Sonntag (1836-1919). D’après un plan de 1865, cette maison appartenait aux sieurs Martin Biehler et Jacques Ignace Sonntag. Ce dernier perd son épouse Françoise Schmieder en 1881. Il se remarie avec Marie Albine Haag.

Plan de 1865, d’après un document des Archives départementales du Bas-Rhin (U393), reproduit par André Klein. En haut : maison n° 7. Au centre : maison n° 7, aujourd’hui Fleurs Lily ; avant 1865 une forge occupait l’emplacement désigné par la lettre “H”. En bas : bibliothèque actuelle.

Rue de la Mairie • Maison n° 25, Georges Löhr né à Lützelsdorf (Bavière) le 3 février 1885

après la Première Guerre mondiale. Son atelier se trouvait au rez-de-chaussée, un peu plus bas que la route, avec deux fenêtres. L’accès à l’étage se faisait par un escalier extérieur en bois.

À cet emplacement se trouvait une première maison occupée par le cordonnier Georges Löhr, époux d’Ida Gromann. Bavarois d’origine, il s’était établi en Alsace

Thérèse Bohn, épouse Boesch, se souvient bien de ce cordonnier. Enfant, elle s’asseyait sur le rebord d’une des baies donnant sur l’atelier et observait l’artisan tout

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Chapitre

VII

Les métiers du transport

Du voiturier au conducteur de travaux publics Voituriers et attelages Avant les années 1950, le travail, qu’il soit agricole, artisanal ou autre, reste encore pour une grande part manuel, voire archaïque. La force physique, animale ou humaine, est encore largement mise à contribution. Les défrichements, l’ouverture des carrières, l’aménagement des chemins, la mise en place de l’adduction d’eau,

du tout-à-l’égoût plus tard, se font encore à la force des bras, au pic et à la pelle. Quant au transport, les attelages de chevaux sont de loin prépondérants. À Scherwiller plusieurs familles, en sus d’une exploitation agricole plus ou moins importante, pratiquent le métier de voiturier. Ainsi, dans les années 1880-1890,

Les Carl, une longue lignée de voituriers. De gauche à droite : • Au 1er rang : Anna, Émile, Albertine, les parents Marie et Victor Carl, Paul et Eugénie. • Au 2e rang : Auguste, Alfred, Eugène, Victor et Louis.

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Les Carl et leurs chevaux rue de l’Ortenbourg. Quoi de plus naturel ?

les voituriers André Carl, Albert Carl, Antoine Sonntag, Aloïse Sonntag, Kaeffer, Georges Riester, Constant Dussourd et Charles Carl font du voiturage pour la tuilerie-briqueterie Pfeffer et Cie du Val de Villé. Le recensement de 1926 indique pour les Carl quatre frères voituriers qui se consacrent pour l’essentiel au transport de sable et de gravier provenant du Giessen : Alfred né en 1898, Auguste né en 1901 qui créera dans les années 1930 une entreprise de travaux publics dont nous reparlerons, Victor né en 1902 et Émile en 1910. Un courrier du 23 février 1931 adressé au directeur de la TREDAL à Strasbourg nous apprend qu’en octobre 1930 l’un des Carl, voiturier, a été chargé par le maire de Scherwiller “de transporter dix voitures de gravier pris dans les sablières communales du canton Giessen au pylône électrique n° 102, de la ligne à haute tension TurckheimStrasbourg”. Le prix du m3 de gravier vendu sur place fut fixé à 10 F par la Société Anonyme de Force et Lumière électriques de l’Est (FORCLUM) Strasbourg.

De gauche à droite : Alfred Carl, voiturier, Philippe, le petit-fils, Ernestine née Schreck, l’épouse d’Alfred et Lucie Baumann, née Carl, la maman de Philippe.

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

Anecdote

• Rue de l’Ortenbourg : maisons n° 51-53, les transports Riester

Lors d’une montée au mont Sainte-Odile, les sacs de charbon de bois qui alimentent le camion équipé au gazogène prennent feu. On éteint l’incendie avec les loyelas remplis de vin. Cécile Herth, alors petite fille faisait partie du convoi et se souvient de cette péripétie. Constant déplace également les roulottes du forain Messier de Colmar, stationnées dans la cour des transports à Scherwiller, vers les différentes fêtes ou foires de la région.

Cinq camions sont alors en circulation : transport de sel de déneigement, betteraves à sucre, enrobés, tout-venant, travaux routiers, transport de déchets ultimes, verre, etc. L’activité cesse en 2009.

En 1935, Alfred Riester (1905-1958), mécanicien poids lourds, fait l’acquisition d’un camion Berliet occasion, puis vers 1940 d’un camion-remorque Somua (marque française) qui sera réquisitionné lors de la Seconde Guerre mondiale. Grâce à la maison Kahn et Geismar de Colmar (semences), Alfred obtient les premiers marchés, entre autres le transport du fumier des casernes de Colmar qu’il achemine au collège de Matzenheim et à la Robertsau pour le maraîchage. Au retour, il charge du foin pour les écuries du 15/2 de Colmar. On s’organise pour éviter de rouler à vide. Au début, le transport est surtout local et on s’adapte à la demande : transport de fraises, d’oignons, d’échalas, etc., approvisionnement du marché central de la gare de Strasbourg.

Alfred Riester dans son camion Berliet en 1935.

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Les métiers du transport

Alfred Riester (à droite), cuisinier pour un temps ! La photographie date de 1939.

Après la Seconde Guerre mondiale, Alfred poursuit son activité. Il achète un camion neuf Bedford 5 t. (marque anglaise, surplus militaire). Il continue à desservir ou à approvisionner les entreprises régionales : matériaux de construction, sable, gravier, bois de charpente, produits agricoles, etc. Vers 1955, l’entreprise se dote d’un camion neuf Unic. Maurice, le fils, a alors 17 ans ½. Les Riester sont également affiliés en sous-traitance avec les transports Heppner de Strasbourg, de 1955 à 1960. Alfred décède en 1958. Maurice, le fils, fait son service militaire (28 mois) de 1959 à 1961. Pendant son absence, sa mère, Marthe, née Woelfli, embauche un chauffeur : Il s’agit de ne pas interrompre l’activité. Au début des années 1960, les Riester travaillent un certain temps en complémentarité avec les transports Jung. En 1962, Maurice prend la succession. L’achat d’un camion occasion Unic (le précédent étant accidenté) à la cave vinicole de Barr lui permet de poursuivre le

transport : du vin en fûts pour les négociants (Willy Gisselbrecht de Dambach-la-Ville), vins acheminés à Bercy, aux Halles aux Vins. Pendant ce temps, l’entreprise se développe. Un premier chauffeur est embauché en 1964. La clientèle s’élargit. L’entreprise Riester vole maintenant de ses propres ailes (l’association avec Heppner n’existe plus). Parmi les gros clients, il faut citer les Cartonneries de Kaysersberg - Alspach, les lampes Mazda (Sucy-en-Brie ; dépôt à Strasbourg), la Société Béghin, d’autres encore (entreprise Menzer, maroquinerie, etc.). En 1964, l’entreprise s’équipe de deux camions porteurs Saviem et Unic. L’épouse de Maurice, Thérèse, née Adam, s’investit efficacement au bureau. Les années suivantes, le parc poids lourds ne cesse de s’agrandir. Transports Riester SA voit le jour en 1978. Puis, en 1990 la SCI 3R s’installe dans la zone industrielle du Giessen. Aujourd’hui, Maurice Riester, fils, en partenariat avec son frère Frank, dirige la société de transports.

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Chapitre

X

Vie rurale et Vignoble : regards

Les vendanges es vendanges restent le point d’orgue de l’année viti­ cole, vendanges où l’on récolte le raisin, fruit d’un long labeur entre incertitude et espoir. Un moment pri­ vilégié où se resserrent les liens familiaux, les liens entre amis et voisins, car la règle c’est l’entraide, le ciment de la vie en société.

L

L’arrêté du 18 septembre 1869 du maire de Scherwiller François Antoine Schwey stipule : “Après avis des membres du Conseil municipal et des principaux propriétaires de vignes, fixe l’ouverture du ban des vendanges au jeudi 23 septembre et jours suivants de tous les produits sans distinction et dans toute la banlieue”.

Dans les anciens almanachs et jusqu’au début du XXe siècle, le Weinmonat est le mois d’octobre. Le calen­ drier paysan du portail latéral sud de la grande façade de la cathédrale de Strasbourg le confirme : le vigneron dans la cuve presse les raisins alors qu’arrive un compa­ gnon avec sa hotte pleine.

Lors de la séance du 8 octobre 1891, l’assemblée statuant pour l’ouverture comprend les membres suivants : Martin, maire, Simon, Beigeordneter, Auguste Goettel­ mann, Ignace Uhry, Xavier Goettelmann, Joseph Uhrich, Augustin Frey, Eugène Guntz, Joseph Geimer, Fortuné Schwey, Joseph Conrad, Philippe Vogel, Aloyse Schwey, Xavier Roesch, Xavier Wintz, Joseph Sonntag, Joseph Haag, Joseph Brantstetter, Henri Alheilig et Bernard Wintz. C’est Dieffenthal qui chaque année ouvre le ban : “Dieffenthal welches alljährlich den Herbstreigen eröffnet” (Der Wein am Oberrhein, Weinfachzeitung 1910).

Jadis, bien avant l’élaboration des Crémants et la venue des changements climatiques, les vendanges débutaient en général fin septembre avec les vins rouges plus pré­ coces et début octobre pour les blancs. Le ban des ven­ danges est la publication par arrêté municipal de l’ouverture des vendanges. Cette proclamation officielle est issue d’un ancien droit féodal qui consistait en un mandement public adressé par un suzerain à ses vassaux lorsqu’il les convoquait pour le service militaire.

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Lorsqu’on consulte les annales des XVIIIe et XIXe siècles, force est de constater que les bonnes années ne sont pas légion : il y a les gelées, la grêle, les maladies etc., la guerre aussi.


Dans son Tagebuch, Joseph Delon, tonnelier et gourmet à Scherwiller, nous apporte de nombreuses informa­ tions concernant les vendanges : ­ en 1811, année exceptionnelle, il écrit : “Die Witterung war alle Zeit gut für den Wein, so dass man erst am 13ten Herbstmonat hat angefangen das Rote zu lesen (vendange des rouges)… am 18ten… das Weisse (vendange des blancs). In 50 Jahren ist kein so guter Wein gewachsen als wie dieses Jahr. Der rote Wein hat 17 Tage lang gejohren (fermenté). Es hat ein Haupt Wein (un vin d’exception) gegeben” ; ­ en 1812 : “Den 26ten September 1812, hat es ein starken Reif (gelée) gegeben dass der Herbst am Rebstock, auf der Ebene, ganz verfrohren (toute la récolte a gelé)…” ;

­ rebelote en 1815 : “Den 16ten 17ten 18ten April hat es Reif gegeben so dass die Reben und auch die Nüssbäume, alle auf der Ebene verfrohren sind (Vignes et noyers gelés) ”. En 1822, c’est une invasion de souris qui s’en prennent aux céréales, au colza, trèfle, chanvre, foin et même aux raisins “so gar haben sie (les souris) die Trauben abgerissen in den Reben, dass man hat ganze Körbe voll können auflesen”. Aujourd’hui, on s’en sort bien mieux même si le temps reste le maître.

Vendanges im Hang, début des années 1930. À même l’herbe, en toute simplicité. Les Bohn, Sonntag… et assise sur un seau Anna Herzog, épouse Martin.

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

Céleste Barth, né en 1899. Successivement domestique, mineur à Bollwiller, ouvrier et garde-champêtre à partir de 1942. Les anciens ont souvent fait preuve d’une grande faculté d’adaptation.

Vendanges chez les Simon. À gauche, Henri et Léonie Simon. Le raisin, objet de tous les soins.

Vendanges 1967 avec les Schmitt. Paul au centre à demi allongé et au premier plan ses parents Simon et Marie, née Antoni. Les vendanges avec humour !

Pflanzer 1977. Vendanges chez Xavier Reibel (au fouloir). À califourchon sur le tracteur (à défaut de cheval) René Matt. © Albert Marcot

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Vie rurale et vignoble : regards

La recette buraliste Ortseinnehmerei de Scherwiller de 1881 à 1974 La recette buraliste est l’endroit obligé où l’on s’acquitte d’un certain nombre de redevances (impôts indirects). Dans les campagnes et en particulier dans le vignoble, les alcools sont en première ligne : récoltes de raisins, vinification, distillation et vente sont sous contrôle strict. C’est chez le buraliste qu’on déclare les nouvelles plantations de vignes, qu’on fait la demande pour distiller fruits et marcs, qu’on obtient les congés pour le transport et la vente des vins d’Alsace, des eaux-de-vie, c’est là qu’on récupère le chapeau de l’alambic pour distiller et qu’il faudra rapporter à l’heure impartie. À l’époque allemande, la Recette est signalée par un magnifique blason représentant l’aigle impérial avec le blason prussien surmonté de la couronne de l’empereur.

De 1881 à 1974, avant son transfert à Sélestat, la recette buraliste se situait jusqu’en 1971 au n° 44, rue de la Mairie. Elle a été tenue successivement par les préposées suivantes : - Joséphine Merk, épouse Roth, de décembre 1881 à 1919 ; - Pauline Roth, épouse Flonck, de 1919 à 1946 ; - Jeanne Flonck, de 1946 à 1971 ; - Lucie Engel, de 1971 à décembre 1974, au n° 26 rue du Taennelkreuz.

Jeanne Flonck, receveuse buraliste de 1946 à 1971.

Enseigne de la Recette Buraliste à l’époque allemande.

Négociants et vignerons

À

Scherwiller, on cultive la vigne de longue date. Pour mémoire : en 888, Sainte Richarde, fonda­ trice de l’abbaye d’Andlau, fait don de sa dîme en vin de Scherwiller à l’abbaye badoise de Gengenbach. Le riesling est le cépage­roi à Scherwiller, (plus de 60 % de la surface viticole lui est consacré), “l’âme du vignoble alsacien”. L’arène granitique des collines et les alluvions du Giessen constituent ses terroirs de prédilection.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les vignerons vendent leur vin en vrac à des négociants par l’intermé­ diaire de gourmets. Jadis, cette activité de gourmettage était sous l’autorité de la commune. Le gourmet, asser­ menté, savait distinguer par la dégustation les qualités et défauts des vins destinés à la vente. Il était garant de la régularité des transactions.

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Scherwiller • Des métiers et des hommes

Les marchands de bestiaux

E

n 1831, la communauté juive compte environ 54 familles, soit 247 individus, une progression de 40% par rapport à 1784. Le commerce, notamment celui des bestiaux, reste leur activité principale. À Scherwiller, au moins depuis le XVIIIe siècle, les Lévy sont marchands de bestiaux. Avant la Seconde Guerre mondiale, ils sont deux frères : Sylvain et Georges, le premier, marchand de chevaux, le second de bovins.

Roger, le fils de Georges, reprend le commerce de 1946 à 1989. Une annonce de 1957 décline : • Roger Lévy, Bestiaux en tout genre • Toutes bêtes tuberculinées livrées franco domicile • Spécialité en vaches laitières et jeunes bovins • Roger est acheteur pour le Comptoir des Viandes Abattoirs de Strasbourg. Il sera le dernier mar­ chand de bestiaux.

Georges se rend chez la clientèle à pied ou à vélo, c’est ainsi qu’on ramène les bêtes avant l’acquisition d’une bétaillère d’abord tirée par des chevaux, puis motorisée.

Sylvain Levy (1883-1940) avec son fils Georges. Le 18 juin 1940, Sylvain fut tué par les Allemands au lieu-dit Kleine Seite über die Strasse vers Ebersheim, pour avoir refusé de donner sa bicyclette.

Roger Lévy (1924-2011).

Georges Lévy (1885-1959) dans sa cour au n° 28, rue des Juifs, vers 1940.

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Vie rurale et vignoble : regards

Regards

Xavier Spiehler (1899-1969), appariteur (Bott) de 1923 à 1958, debout sur le Bottstein : “es wurd bekannt gemacht”.

Joseph Obri (1919-1982), garde-champêtre à partir de 1954.

Madeleine Susan, sage-femme à Scherwiller de 1936 à 1970.

Eugène Kaeffer (1921-2001), scieur de bois infatigable et toujours d’humeur égale. Avec tout le bois qu’il a scié, on aurait facilement pu ceinturer le bourg. Martin Goettelmann, né en 1875, garde d’eau et veilleur de nuit.

À droite, Léon Sonntag (1908-1985) et son épouse Hortense. Scieur de bois, ouvrier et agriculteur ; la pluralité étant de mise.

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Scherwiller

Canton de Sélestat D’argent à trois cerfs de sable, deux et un. *

Sources : L’Armorial des Communes du Bas-Rhin - Commission d’Héraldique du Bas-Rhin.


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