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Une architecture moderne et métissée
Une architecture moderne et métissée Ci-contre : détail du spectaculaire balcon aux lignes incurvées de la Villa Sami Suissa (1947-1948, Jean-François Zévaco et Paolo Messina).
Cette élégante maison a longtemps dominé le boulevard d’Anfa. Elle a été transformée, depuis quelques années, en un salon-restaurant.
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Pour le commun des mortels, Casablanca est la ville art-déco par excellence. Oui, mais sous ce vocable générique et généralisé, se cache une variété de mouvements représentatifs de l’architecture du xx e siècle.
Les premiers bâtiments à être érigés en dehors de l’enceinte de la médina sont tout naturellement de style néo-mauresque. Un style inventé et largement diffusé, des décennies auparavant, en Algérie et en Tunisie. Très apprécié, aujourd’hui, pour son côté pittoresque et romantique, le néo-mauresque a été fortement combattu par Lyautey, Prost et compagnie. On lui reprochait de se contenter de plaquer des éléments du décor islamisant (arcs en plein cintre ou brisés, panneaux de faïence façon azulejos, moucharabieh en ciment et autres tuiles vertes) sur des bâtiments à la volumétrie et à la circulation européenne classiques pour ne pas dire ordinaires. L’Hôtel Excelsior sur la place des Nations-Unies en est un parfait exemple. Pour contrer ce goût du néo-mauresque, l’équipe de Lyautey et leurs affidés se sont attelés à créer un style totalement nouveau et complètement qualifié de néo-marocain. Lyautey en a lui-même fixé les règles : il s’agissait de s’inspirer de l’architecture tradi tionnelle des villes makhzen pour ce qui est de la sobriété et de la blancheur des façades, ainsi que des principes de circulation des gens et de l’air, la diffusion de la lumière des maisons à patio. A cela, il fallait rajouter l’utilisation systématique des éléments du vocabulaire décoratif traditionnel marocain : zellij, plafond en bois de cèdre, ferronnerie et autres tuiles vertes vernissées.
UN STYLE TOTALEMENT NATIONAL Mais peu attaché à la tradition qu’il était, Lyautey n’en était pas moins féru de modernité. Hygiène, confort, commodités, simplicité et fonctionnalité étaient des termes récurrents dans son discours. A Casablanca, les plus beaux fleurons de l’architecture néo-marocaine sont les bâtiments-monuments regroupés autour de la place Mohammed-V (ex-place Administrative) : le Tribunal, le Consulat de France, la Wilaya, la Poste et Bank Al-Maghrib. Au même moment, des promoteurs ont construit des immeubles de rapport dans un style néo-classique tout droit importé de la Côte d’Azur et de la Riviera, appelé aussi « pâtisserie Louis XV », en référence aux éléments décoratifs, quelque peu lourd, ornant les façades : têtes de Bacchus et guirlandes sculptées dans le ciment, corniches et autres frises, etc. Snobé par les esthètes, ce type d’architecture plait toujours autant au grand public. Au milieu des années vingt, va déferler
Les anciens abattoirs (1922, Georges-Ernest Desmaret), conçus dans un style particulièrement élaboré, présentent une belle et puissante fusion entre l’art-déco et le néo-mauresque. Depuis 2008,ils ont été reconvertis en espace culturel et accueillent régulièrement des manifestations culturelles et artistiques.
sur Casablanca la vague de l’art-déco. Des pans entiers de la ville seront estampillés très en vogue partout dans le monde mais qui sera développé à une échelle exceptionnelle à Casablanca. Mieux, à côté d’un art-déco au cachet international, se développera un artdéco particulièrement casablancais, intégrant, avec bonheur, les éléments décoratifs marocains particulièrement le zellij. Le plus bel exemple de cet artdéco là reste l’immeuble Glaoui – du nom du Pacha de Marrakech qui en était le propriétaire, à l’entrée du bou levard Mohammed V. Dès la fin des années vingt, on voit surgir à Casablanca des bâtiments aux façades nues et lisses, à la volumétrie cubiste, d’une simplicité et d’un dépouillement élégant. Ce style dit fonctionnaliste, aux accents Bauhaus affirmés, va lui aussi essaimer dans la Ville Blanche. L’exceptionnel immeuble îlot dit Assayag, rue Hassan
Détail de l’immeuble Glaoui, boulevard Mohammed-V, les carreaux polychromes de zellij remplacent ici les carreaux de faïence utilisés dans l’art-déco européen.
Cet immeuble de seize étages (1952, Jacques Guyon) présente un spectaculaire jeu de balcons filants en ruban. L’appellation « Villas Paquet » fait référence aux nombreuses dépendances et services dont disposent les appartements qui apparentent ces derniers à des maisons individuelles.
Jean-François Zévaco, Domenico Basciano et Paolo Messina réalise avec l’aérogare de
Tit-Mellil (1951) une œuvre remarquable par la liberté et le lyrisme des formes imaginées. Les deux bâtiments de l’ensemble sont reliés par une passerelle couverte, de vingt mètres de portée, semblant flotter au-dessus du sol.
L’immeuble Assayag (1930-1932, Marius Boyer), avec ses trois tours portiques de 8 étages, s’inscrit dans la refonte des quartiers du port en quartier des affaires. Cet élégant ensemble comporte des équipements à la pointe de la modernité (garage, ascenseurs, vide-ordures, …), encore inexistants en Europe.
Seghir, en est un super échantillon. Bientôt de grands vaisseaux, tout en courbes soulignées de longs balcons filants, ponctueront de leur prou les grands boulevards de la cité. Le style « paquebot » ou « streamline » sera adopté, particulièrement pour les grandes tours comme l’immeuble Liberté, surnommé « dix-sept étages », alors un des plus hauts d’Afrique, marque encore aujourd’hui les esprits pas son élégante silhouette élancée. Dans les années cinquante, soixante et soixante-dix, un nouveau style auda cieux et provoquant, s’impose à Casablanca : le brutalisme. Débarrassé de tout élément décoratif, ce style glorifie le béton – souvent livré brut de décoffrage – en le soumettant à des formes futuristes. Il serait faux, à la lecture de ce bref récapitulatif des principaux mouvements architecturaux ayant marqué de leur empreinte Casablanca, qu’il s’agisse là de différents styles qui cohabitent, en toute indifférence, les uns à côté des autres. Très souvent, ils s’interpénètrent en toute liberté : tel bâtiment art-déco a gardé des aspects art-nouveau et/ou néo-marocain ; tel fonctionnaliste a de forts relents artdéco, etc. A tel point qu’on a maintes fois qualifié l’architecture de Casablanca d’« architecture métissée ».
Casab an a, n n it après a p i La comédienne ultra-populaire, Amal El Atrache, est une artiste polyvalente. Ses photographies d’un Casablanca nocturne, d’un classicisme élégant, sont empreintes d’un sentiment de solitude et de mélancolie.
Tous les Marocains ou presque connaissent Amal el Atrache, alias Âouicha, un des trois rôles principaux de Lalla Fatema. Cette sitcom ramadanesque – diffusée en trois saisons (de 1996 à 1998), juste après le ftour, puis rediffusée les années d’après à satiété, avec le même succès – a permis à la comédienne de conquérir le cœur de tous les foyers. Mais peu savent que derrière l’actrice TV populaire se dissimule une artiste polyvalente, curieuse et aventureuse, à l’esprit libre, n’hésitant pas à tourner dans divers courts métrages expérimentaux, ni à se produire sur scène dans une chorégraphie contemporaine de Khalil el Ghrib, encore moins en compagnie des musiciens performers du groupe underground Loonope. Depuis quelques années déjà, une des prin
cipales passions d’Amal el Atrache est la photographie. Parmi les nombreux et variés sujets captés par son objectif, nous avons sélectionné cette série de clichés exaltant l’architecture de Casablanca, pris en une seule nuit, après une forte averse. Le résul tat est étonnant autant par la maîtrise des ombres et lumières, le sens du cadrage, que par la rigueur du graphisme. En un mot, par son classicisme. Le regard que porte Amal el Atrache sur ce Casablanca nocturne est empreint d’une nostalgie certaine. La nostalgie d’une élégance perdue dès le jour venu. Un sentiment de solitude et comme une angoisse sourde. Le sentiment d’une destruction imminente? Non, plus simplement, le sentiment du temps qui passe. Classique, vous dit-on! Jamal Bousha a