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Capitole: «pile, je gagne; face, tu perds»

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Les États-Unis cultivent de longue date une culture du spectaculaire, de l’énorme, de l’indépassable. Raison pour laquelle le cinéaste Michael Moore les avait rebaptisés The Big One. Curieusement, c’est également le nom du tremblement de terre qui, en 1906, a secoué toute la Californie suite à un frémissement de la faille de San Andreas. L’invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump, largement à son appel, s’inscrit dans cette double filiation du grotesque et du tremblement de terre. Car sous les allures de show, la faille démocratique est profonde. Le coup de force contre le fonctionnement constitutionnel du processus électoral est venu de loin; il a mobilisé les aficionados de l’action armée et a vraisemblablement profité de sympathies disséminées dans les forces de sécurité. L’arrière-pays qu’il met en lumière est tel qu’on peut s’attendre à un avenir instable et violent. Pour résumer la chose d’une simple formule: Joe Biden a gagné les élections, mais Donald Trump ne les a pas perdues. Il y a deux façons de gagner. La première consiste à être le meilleur, le plus fort, en l’occurrence à rassembler le plus grand nombre de grands électeurs sur son nom. La seconde consiste à accuser l’autre de ne pas respecter les règles du jeu et à en convaincre l’assistance. On pourrait appeler cela tricher, si ce n’est que le tricheur dissimule. Donald Trump, lui, avait d’emblée étalé ses cartes sur l’avenir électoral. La suite n’est que le développement logique de son «pile, je gagne; face, tu perds». Dès le premier jour de sa présidence, il aura combiné l’excès et la dérision, la transgression agressive et l’ode aux racistes. Cette métamorphose d’un président des ÉtatsUnis en Joker psychopathe et cynique aurait dû, en bonne logique, le conduire à une déroute électorale. Ce n’est pas le cas. Un très grand nombre d’électeurs ont adhéré à cette violence transgressive comme à une revanche prise sur l’adversité: les puissants qui en sont la cause, les bureaucrates qui l’administrent, les étrangers et les pauvres supposés en profiter. Ils sont des dizaines de millions à y adhérer toujours, persuadés à force de tweets que le défait était un vainqueur spolié. La décision de déclencher un assaut contre le Capitole visait à faire de cette anomalie le terrain des affrontements à venir.

Une opinion publique divisée en profondeur

Battu dans les urnes et mal en point dans les médias, le Joker échevelé entend bien – comme dans toute production hollywoodienne qui se respecte – réussir un come-back. Il s’agit donc d’analyser les conditions réelles de sa défaite. Dans son étude monumentale de l’opinion publique sous le IIIe Reich, l’historien britannique Ian Kershaw montre comment il a fallu attendre les revers sur le front de l’Est – avec ce qu’ils entraînaient de difficultés et de privations pour la population allemande – pour que l’opinion publique commence à prendre ses distances avec la figure charismatique du chef de l’État. On peut penser – sans comparaison déplacée entre les deux dirigeants – que le Covid aura été le front de l’Est de Donald Trump, le moment où l’adversité a fracassé les tweets sur le mur du réel. C’est tout à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Le grain des choses l’emporte certes sur la paille des mots; mais de façon fragile, qui doit autant à la peur qu’à la raison. Cette ambivalence trouble augure d’une séquence politique sans doute longue et peu lisible. La censure du président putschiste par les réseaux sociaux en

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