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Les polars Prédateurs Manipulateurs et gangsters

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La Série noire réédite un titre majeur et SouSeStimé de WiLLiam r. Burnett, écrit à L’époque de La prohiBition. et S’aventure danS Le poLar iSraéLien,avec une trèS BeLLe découverte: dror miShani.

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Parmi les figures tutélaires de notre genre de prédilection, William R. Burnett est injustement moins reconnu que Raymond Chandler et Dashiell Hammett. Si sonnait enfin l’heure de sa réhabilitation?

C’est en 1929 que Burnett publie Little Caesar, un premier roman dont le succès fut tel qu’une bonne moitié des journaux américains le reprit en feuilleton. Le thème – l’ascension et la chute d’un caïd de Chicago – apparaît aujourd’hui convenu. Mais il faut le resituer dans son contexte, qui voyait le règne d’Al Capone à son zénith. La même année, avec son retentissant La Moisson rouge, Hammett sonnait certes le glas des codes du polar d’antan, en fouinant le crime dans les caniveaux plutôt que dans des manoirs huppés, mais son point de vue restait du côté de l’enquêteur. Burnett, lui, radicalisait un propos bien plus dérangeant. Pour la première fois était livrée au lecteur, selon sa propre formule, une image du monde vu par les yeux d’un gangster. Une vision crue, appuyée par son style : vocabulaire et langage de la rue, ton sec et haché dénué de fioritures, prédominance des dialogues. Ce rythme saccadé, entièrement focalisé sur les faits et gestes de Rico, ordure psychopathe qui s’ignore, signa l’irruption du behaviorisme dans le polar et l’acte de naissance du roman noir. Hollywood s’empara du concept. La prompte adaptation du roman lança la mode prolifique des films de truands et la carrière du phénoménal acteur Edward G. Robinson. La Série noire réédite à bon escient ce texte fondateur, initialement répertorié dans son catalogue en 1948 sous le n° 17. Pour l’occasion, il retrouve son titre original et bénéficie d’une traduction dépoussiérée. Et on reste sidéré par la modernité de ces lignes presque centenaires. L’odyssée funeste de Rico est celle, banalement dérisoire, d’un fils d’immigrant qui voulait juste vivre le rêve américain. Une œuvre intemporelle, dont la dernière phrase hante à jamais l’histoire de la littérature policière… Et la préface érudite de Benoît Tadié (chercheur et auteur du remarquable essai Le Polar américain, la modernité et le mal aux Puf) se dévore aussi passionnément que le roman. On doit ce retour aux sources à MarieCaroline Aubert, qui a repris les rênes de la prestigieuse collection en ce qui concerne les plumes étrangères voici un an, et nous a offert, en plus de ce magnifique clin d’œil au passé, un des plus subtils ouvrages policiers de 2020, en provenance d’Israël. Dror Mishani enseigne l’histoire du polar à l’université de Tel-Aviv. Le temps de trois récits – à ce jour –, il a donné vie au commandant Avraham, flic atypique qu’il promène dans les différentes strates de son pays. Trois textes remarqués pour la finesse déployée dans la description des protagonistes et la construction alambiquée d’intrigues, qui manipule volontiers la stabilité du lecteur. Avec Une deux trois, le romancier abandonne son héros récurrent, mais pas sa voix singulière. Il était une fois trois femmes. Une: Orna se remet difficilement de son divorce. Deux : Emilia, réfugiée ukrainienne, ne se sent pas socialement intégrée. Trois: Ella reprend ses études, mais se laisse ensevelir par le quotidien oppressant de son foyer. Leur parcours cabossé va croiser la route de Guil, prédateur as en manipulation de proies fragiles… Ici, la violence est sourde. Mishani signe d’abord un polar psychologique, hymne aux femmes victimes de sévices. Des femmes ordinaires, qui ont leurs failles, mais aussi leur dose de courage, malmenées ou rejetées par une société non bienveillante, campées avec justesse et empathie. Leur dignité n’en rend que plus fade et médiocre la personnalité de Guil. C’est aussi un roman social qui fustige certains travers de la vie en Israël, au premier plan desquels l’exploitation de l’immigration économique et le poids du patriarcat. Et enfin un suspense minutieusement agencé, avec un final inattendu et rusé, chargé d’émotions. Soixante-quinze ans d’existence n’ont pas élimé l’acuité du regard de la Série noire qui, entre passé (la prohibition) et présent (les féminicides) nous renvoie inlassablement la face sombre de notre monde. Et prouvent, si besoin en est encore, la portée hautement sociologique et subversive de la littérature policière, qui n’est donc pas près de s’éteindre. ▼

Serge breton

BIBLIOGRAPHIE • William Riley BuRnett, LittLe Caesar, Gallimard, 2020, 288 paGes, 17,50 euros. • DRoR mishani, Une deUx trois, Gallimard, 2020, 330 paGes, 19 euros.

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