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Les romans Miroir Microdrames et quotidien
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les romans MiroirMicrodrames et quotidien
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une nouveLLe Satire de FaBrice caro pLonge un quadragénaire autoSatiSFait danS LeS aFFreS du doute, en dérivant au BeSoin danS un aBSurde à La tati.
Lire un roman, n’est-ce point sortir de nos
vies étriquées ? Se consoler de la finitude assurée ? Connaître les humeurs de nos congénères ? Vivre d’autres existences que la nôtre ? Sortir de soi ? Découvrir d’autres singuliers ? Refaire le monde, tordre le réel, ou raconter la structure sociale? Pour Stendhal, le roman est « un miroir que l’on promène le long d’un chemin ». Et si jamais le chemin est proche, vraiment très proche de nos parcours, alors le roman nous raconte. En le lisant, on a l’impression de se voir, sans idéalisme, juste avec humour, distance, amusement. C’est le cas avec Broadway de Fabrice Caro. Ce roman – voire ce récit de vie – est écrit à la première personne. Pas de superhéros ici. Juste du simple, de l’ordinaire, presque du banal, avec juste l’accidentel auquel chacun peut-être confronté. Axel a 46 ans. Il est père de deux enfants en bonne santé dont il est fier – lorsqu’on lui demande leur âge – de répondre «14-18». Il a un bon travail, un joli pavillon, des voisins gentils. Mais un jour, il reçoit une «enveloppe plastifiée bleue au bas de laquelle est inscrit: Programme national de dépistage du cancer colorectal». Normalement, ce courrier n’est envoyé qu’aux personnes de 50 ans et plus. Alors pourquoi le recevoir à 46 ans ? Cette enveloppe lui fait dire : « Certes tu n’as que 46 ans, mais on va pas chipoter, c’est du kif-kif tu sais, le temps de dire ouf, même pas le temps de te retourner et tu seras à 50.» Et de penser à sa prostate «alors que, physiologiquement, cela n’a rien à voir. Je ne m’étais jamais particulièrement inquiété de ma prostate, comme je ne me suis jamais particulièrement inquiété de mes reins, mon pancréas, ma glotte, mes poumons, pourquoi subitement cette enveloppe me fait-elle penser à ça? Aucune idée». Reste que cette appréhension nouvelle, cette angoisse toute neuve trotte au fil des pages. Convoqué au lycée de Tristan (le 14 de 14-18), le proviseur lui tend une feuille, «accompagnant son geste d’un sec et lapidaire Voilà le chef-d’œuvre de votre fils»: un dessin «assez laid» représentant ses professeurs de Svt et d’anglais en levrette. Le croquis est accompagné de bulles explicites («Aaaah Guirand tu es bonne, Oh oui Charlier mets-la-moi») qui semblent, à Axel, comporter un point positif : il n’y a aucune faute d’orthographe. Il y a peu, à Noël, son garçon criait de joie devant une boîte de Playmobil. «Quand tout à coup: mets-la-moi.». Comment ce fils est-il passé des Playmobil aux topographies obscènes ? Quant à sa fille (la 18 de 14-18), Jade, elle lui demande d’abord de prier et d’allumer un cierge pour que son amoureux la re-aime, puis de retourner allumer un cierge pour que Lila, sa concurrente en amour («cette grosse pute») meure. S’ensuit une négociation singulière quant au souhait à exaucer : mort ? coma ? handicap ? blessure qui s’infecte ? éborgnement? Le voisin propose des vacances à Biarritz, pour faire du paddle. Le collègue de bureau lui raconte ses aventures face à la machine à café. Et quelle que soit la saison, M. Boyer ramasse les feuilles mortes… Curieusement, parfois, à Buenos Aires, il est appelé « El Frances » par les mômes qui jouent au foot… Quand à Broadway, à chacun de faire le voyage… Bien évidemment, ce n’est pas donné à tout le monde de vivre exactement ces tranches de vie. Mais tant de situations s’apparentent, s’associent au point de s’assembler : et les commentaires se partagent au point qu’il n’est plus question de l’altérité, mais de soi. « Oui, j’aurais pensé cela, j’aurais dit la même chose, je rêvasse à l’identique, je songe pareil», se dit le lecteur. Fabrice Caro pousse les situations et les réflexions à l’extrême, quitte à verser dans l’absurde, à la Tati… C’est une littérature miroir, où l’on se mire face à la page non pas blanche mais imprimée. C’est bien de nos vies étriquées que se moque l’auteur, de nos petites lâchetés et de nos petits courages, de notre désappointement devant le temps qui s’écoule, empêtrés dans le désir des autres. Sauf qu’avec Fabrice Caro, cette drôle de nostalgie, une authentique tendresse et l’autodérision sont les seuls vaccins aux virus – sans chauve-souris ni pangolin –des affres du quotidien et de la fatalité. ▼
Jean-Marie oZAnne
PS: Fabrice Caro est l’auteur, sous le pseudo Fabcaro, de Zaï zaï zaï zaï, excellente bande dessinée. Au passage à la caisse du supermarché, un auteur de Bd s’aperçoit qu’il n’a pas sa carte de fidélité. Un vigile, à la demande de la caissière, intervient, mais l’auteur fuit…
BIBLIOGRAPHIE • FaBRice caRo, Broadway, Gallimard, 2020, 208 paGes, 18 euros.