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Les polars Italie: rosse et noire

lire les polars ItalIe Rosse et noire

À la suite du grand andrea Camilleri, de solides auteurs font vivre le polar dans la péninsule, Comme valerio varesi, « le simenon italien » ou alessandro robeCChi, qui met en sCène un héros au métier inattendu.

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La vitalité du polar italien s’invite avec succès dans nombre de catalogues d’éditeurs fran-

çais. On doit ces lauriers au fécond Andrea Camilleri, dont le savoureux inspecteur Salvo Montalbano dissèque à merveille les tourments sociaux de la Sicile (lire Options n°649). Dans son sillage incisif, bien qu’avec une production moindre et un rythme de traductions plus aléatoire, on retiendra Gianrico Carofiglio et Maurizio De Giovanni. Le premier met en scène Guido Guerrieri, avocat au regard un rien désabusé mais profondément humain sur le système judiciaire de son pays. Le second a créé le sombre commissaire Ricciardi, qui «voit» et éprouve la souffrance des morts, les «entend» parler dans leurs derniers instants. Une série ancrée dans le Naples des années fascistes, qui entremêle violence de l’histoire et traumatisme des âmes. Parmi d’autres traduits plus récemment, deux écrivains perpétuent avec brio ce courant inventif de la littérature noire transalpine. Valerio Varesi a pour décor favori la basse plaine du Pô, vaste horizon de terres inondables et de brume fantomatique, terreau de désillusions et autres rages déboussolées. Des braconniers pêchent le silure, dont le marché chinois est friand et lucratif. Immigrés d’Europe de l’Est, ils ont vampirisé les bords du fleuve, au grand dam des autochtones. Le bruit et l’odeur… L’un d’eux, Hongrois anonyme, est rejeté par la boue des eaux, une balle dans la tête. Dans le même temps et non loin de là, le corps sans vie d’un officier, figure historique de la Résistance, est retrouvé dans sa demeure de reclus. Le fleuve monte, la haine ordinaire aussi, tandis que s’invitent les remugles de l’occupation allemande et du nouveau terrorisme. Le lien entre ces deux décès se révélera catharsis vénéneuse… La Maison du commandant envoûte par son ton désabusé, au diapason d’une population aux illusions fanées, dont un cours d’eau gavé d’immondices symbolise la déliquescence sociale. Le roman impose aussi l’hédonisme nonchalant du commissaire Soneri, personnage fétiche de Varesi, parfois hissé au niveau de Maigret. Pas faux si on se réfère à ses flâneries humanistes, à son empathie quasi maladive. En plus de ne pas usurper le titre de «Simenon italien» (y contribuent aussi les magnifiques descriptions d’ambiances embrumées), Varesi est un styliste accompli. Son phrasé virevolte entre poésie pure, lorsqu’il évoque la nature et ses dérives écologiques, et efficacité sèche des dialogues, rehaussés par le piment de l’humour. Un polar mélancolique sur la mémoire et le temps qui passe. Où la musique de Verdi, omniprésente, n’adoucit pas les mœurs, et encore moins les meurtres… Sauce milanaise, mais non moins épicée, chez Alessandro Robecchi. L’an dernier, Ceci n’est pas une chanson d’amour (Prix Violeta Negra 2021) a séduit avec son héros atypique – un homme de télévision – emberlificoté dans un imbroglio combinant, entre autres incongruités, gitans justiciers et tueurs à gages pathétiques. Là, Verdi est remplacé par Bob Dylan… De rage et de vent, son deuxième roman noir, confirme une extravagance cynique, ainsi que le potentiel de son personnage, Carlo Monterossi. Cette fois, le pourvoyeur de la « Grande Usine à Merde » (ainsi désigne-t-il le milieu télévisuel) est tourmenté par la mort d’Anna. La veille, il a trinqué avec elle, quitté son appartement en claquant mal la porte derrière lui. Aubaine pour un psychopathe à l’affût… Douce-amère, d’une fausse désinvolture mais d’une vraie vitalité, la patte caustique de l’auteur (on pense souvent à Donald Westlake) éclabousse en rosse et noir les pérégrinations complexes qui s’ensuivent. Le roman séduit par son rythme et son funambulisme, entre farce et dénonciation sociétale. Les dialogues fusent, flinguent à tout-va la férocité humaine, dans un bonheur de lecture qui fait rire et pleurer. Et magnifique idée que d’avoir perverti Milan en métropole venteuse et glaciale, miroir de la culpabilité de Monterossi… Forts de protagonistes poignants debout face à la dureté du monde, Varesi et Robecchi démontrent la verve d’un giallo en symbiose avec la sinistrose de notre temps. Leur écriture brillante, à la tendresse enrobée de dérision, panse quelques plaies. C’est déjà beaucoup… ▼

Serge breton

BIBLIOGRAPHIE • Valerio VareSi, La Maison du coMMandant, Agullo, 2021, 320 pAges, 21,50 euros. les enquêtes Antérieures de soneri sont rééditées en poche chez points seuil. • aleSSandro roBeCCHi, de rage et de vent, l’Aube, 2021, 392 pAges, 21,90 euros. ceci n’est pas une chanson d’aMour est réédité en poche chez l’Aube. les romAns de mAurizio de gioVAnni sont disponibles chez riVAges, ceux de giAnrico cAroFiglio chez riVAges et Au seuil.

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