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Les polars Patrimoine: de la casbah à Belleville

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on déCouvre aveC intérêt les rééditions de PéPé le Moko, polar Confidentiel qui inspira le Célèbre film aveC gabin, et des premiers romans de jean amila, qui signait alors enCore meCKert.

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Amateurs de littératures policières et du

7e art font souvent bon ménage. Et dans tout temple dédié au cinéma policier, Pépé le Moko se savoure telle une fondante madeleine de Proust. À l’origine du mythe, qui revêt les traits éternels de Jean Gabin dans le film de Julien Duvivier (1937), on trouve un roman paru confidentiellement six ans plus tôt. Signé Détective Ashelbé, il n’avait pas, jusqu’à ces derniers mois, connu les honneurs d’une réédition digne de ce nom… Les initiales enchaînées d’Henri La Barthe composent ce pseudo singulier, derrière lequel s’abrite un écrivain encore plus sibyllin, qui fut effectivement enquêteur privé… ainsi que le fondateur du journal Détective! Pour mémoire, Pépé le Moko raconte la destinée tragique d’un voyou parisien réfugié dans la Casbah d’Alger. Planque idéale, où jamais la police ne se risquera à venir le débusquer, propice à engendrer un statut de parrain local. Un inspecteur indigène, rongé par l’ambition, va manipuler une jeune touriste française, désireuse de s’encanailler dans le quartier malfamé de la ville, pour attirer Pépé hors de sa tanière… Nombre d’ingrédients du roman (et film) noir sont ici réunis: la machination, la trahison, la femme fatale, le désespoir. L’histoire, plus complexe qu’il n’y paraît, dépeint une Casbah subjuguante, qui s’impose comme un personnage à part entière. N’est-elle pas pour Pépé une prison (puisqu’il ne peut en sortir) faussement dorée ? Ne symbolise-t-elle pas l’enfermement dans sa condition, l’absence de toute perspective ?... Très en vogue dans les écrits d’avant-guerre, l’étude de mœurs pimente les éléments policiers de l’intrigue. La langue argotique, elle aussi témoin de son époque, s’exempte ici de toute désuétude et caricature. Le questionnement autour du colonialisme s’invite en filigrane, tandis qu’on apprécie l’évocation de la sexualité féminine en des termes décalés avec leur temps. Réaliste et résolument moderne, le propos convainc, malgré quelques passages à vide stylistiques, et constitue une jolie surprise éditoriale… On doit cette réédition bienvenue – dotée d’une couverture remarquable – au petit-fils de l’écrivain, lui-même auteur et éditeur, également ici préfacier. Il tenait à honorer de belle manière la mémoire de son grand-père, mystérieusement disparu à la Libération, et dont la fin de la vie demeure un mystère. Et on se prend à espérer une démarche aussi soignée pour la résurrection de l’autre grand roman de Détective Ashelbé, Dédée d’Anvers, à l’origine lui aussi d’un classique du film noir français, au titre identique, tournée par Yves Allégret en 1948 avec Simone Signoret. Autre figure de notre patrimoine, Jean Meckert (1910-1995) est devenu, en 1950, un des premiers auteurs français de la Série noire. Sous le pseudo de John, puis Jean Amila, il a donné à la célébrissime collection une vingtaine de titres remarquables, hélas pour la plupart indisponibles aujourd’hui. Il a, dans ces récits, décrit des gens ordinaires, solitaires ou en groupe, en rébellion contre une société dont ils réfutent les règles, et qui, souvent, va les broyer. Les rares fois où il a campé un flic en personnage principal, celui-ci était d’office «au service des victimes, pas de la puissance»… « Je suis un ouvrier qui a mal tourné, je me suis mis à raconter des histoires…» aimait à se définir Meckert. En 1941, paraît Les Coups. L’oralité de sa prose attire l’attention de Gide et de Queneau. Plusieurs romans dans la même veine sociale et humaniste suivront, préludant à l’art du futur Amila. Avec une présentation avisée de Stéfanie Delestré et Hervé Delouche, les éditions Joëlle Losfeld ont entrepris depuis plusieurs années la réédition des textes de cette période, qualifiés par leur auteur de « populistes ». La Ville de plomb (1949) est déjà le huitième et met en scène deux jeunes amis, ouvriers à Belleville, épris de la même femme. Trame simpliste, sitôt singularisée par sa mise en abyme narrative à triple détente, qui convie un crime, ainsi qu’un roman (de SF!) dans le roman… Très à l’aise, la plume agile témoigne des lendemains désenchantés de l’après-guerre, autant que de la vie ordinaire, parfois tragique, de gens modestes. Sans idéalisme ni manichéisme, au plus près de leurs rêves. Le credo d’un homme humble, au service des humiliés, dont on se réjouit qu’il ait mal tourné… ▼

Serge breton

BIBLIOGRAPHIE • déteCtiVe aSHelBé, pépé Le Moko, éditions relAtiVes, 2021, 191 pAges, 17 euros. • jean MeCKert, La viLLe de pLoMb, Joëlle losFeld, 2021, 376 pAges, 14 euros.

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