Déconstruire le genre pour pratiquer l'espace public

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Alice Chatelard

DÉCONSTRUIRE LE GENRE POUR PRATIQUER L’ESPACE PUBLIC Queeriser l’espace et créer d’autres imaginaires

«Coop Himmelb (l) au» : Trois jeunes architectes viennois à Barfüsserplatz, 17 mai 1971 (Image: Kurt Wyss)

E- 642 Rapport d’étude Oral 20.05.2021 Dirigé par Marie-Kenza Bouhaddou 2020-2021

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Alice Chatelard

DÉCONSTRUIRE LE GENRE POUR PRATIQUER L’ESPACE PUBLIC Queeriser l’espace et créer d’autres imaginaires

E- 642 Rapport d’étude Oral 20.05.2021 Dirigé par Marie-Kenza Bouhaddou 2020-2021

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REMERCIEMENTS

Je remercie tout d’abord ma tutrice de rapport d’étude Marie-Kenza Bouhaddou qui m’a accompagner avec patience et compréhension ainsi que Frédérique Villemur pour ses précieux conseils au début de mes recherches. Je remercie ensuite Maxence et Valentine pour avoir répondu à mes questions et avoir ainsi donner de la pertinence à mes propos. Je voudrais remercier également tous les auteur·ices et concepteur·es qui ont nourri mes recherches et m’ont permis d’en apprendre plus que ce que j’imaginais sur ce sujet. Merci à toutes les personnes Queer de travailler au quotidien sur ces questions, merci de faire entendre votre voix et de chercher à rendre plus juste et équitable le monde dans lequel nous vivons. Je souhaite enfin remercie ma famille et mes amis pour me relire et me donner leurs avis constructifs en faisant preuve d’une patience illimitée.

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TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS 05 INTRODUCTION 09 LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC 12 Un modèle de pensée dominant 12 A quoi ressemble le profil « universel » du citadin ? 12 La conception des villes, est-ce une affaire de genre ? 12 Les traits masculins de nos villes 14

Les usages de la ville sont-ils égalitaires ?

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Comment se manifestent les frontières spatiales urbaines ?

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À quoi ressemble des appropriations genrées de l’espace public ? Comment le harcèlement de rue joue un rôle social sexué dans l’espace public ? Comment les stéréotypes de genres s’affirment dès le plus jeune âge ? Quelles sont les solutions déployées par les femmes dans la ville ? Quels sont les codes genrés de l’intérieur et de l’extérieur ? Quels sont les enjeux de l’intégration du genre dans la conception de nos villes ?

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LA PENSEE QUEER COMME MECANISME POUR DÉCONSTRUIRE LE GENRE 19 Qu’est-ce que le Queer ? 19 La norme hétérosexuelle 19 Comment le Queer constitue-t-il un contre-pied à la norme ? 20

Comment générer un espace hors-norme?

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La Théorie Queer et l’architecture 21 Les praticiens et l’architecture Queer 22 Comment déformer un lieu, pervertir un espace ? 22

III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE 24 La géographie Queer 24 Comment les corps se comportent-ils dans la ville ? Où se situent les espaces Queer ? Qu’a engendré la colonisation des sexualités ?

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Les espaces Queer dans la ville 26

Les espaces Queer seraient-ils finalement normaux ? Les entre-soi nouvellement créés, sont-ils contre productifs ? En quoi la gentrification complique l’existence d’espaces queer ?

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Queeriser l’espace, expériences architecturales 29

À quoi ressemble la concrétisation d’une architecture Queer ? À quoi ressemble un espace hacké ?

CONCLUSION SOURCES

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TABLE DES FIGURES 39 ANNEXES 40 Entretien 40 RESUMÉ 46 MOTS-CLÉS 47

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INTRODUCTION L’espace public apparaît comme un lieu qui appartient à tous et à personne en même temps. Thierry Paquot, défini l’espace public comme un vocabulaire de la philosophie politique et des sciences de la communication. Pour lui « l’espace public évoque non seulement le lieu du débat politique mais aussi une pratique démocratique, une forme de communication, de circulation des divers points de vue » (Paquot, 2009 : 3). Les espaces publics désignent au contraire « les endroits accessibles au(x) public(s), arpentés par les habitants, qu’ils résident ou non à proximité ». (Paquot, 2009 : 3). Ce sont des rues et des places, des parvis et des boulevards. En somme ce sont des espaces travaillés par les ingénieurs, urbanistes et architectes. L’espace public est neutre, changeant, multiple. D’après ma propre expérience de femme perçue comme femme, il y a des espaces en ville où je me sens plus à l’aise que d’autres. Une rue passante, ouverte, avec un bon éclairage de nuit est plus rassurante qu’une ruelle sombres assez peu empruntée. La ruelle me semble plus dangereuse car il est possible que je me fasse interpeller par un passant ou bien agresser. Je ne pourrais alors pas appeler à l’aide aussi facilement que dans une rue très passante. Les émotions que je ressens lorsque je traverse les lieux peuvent être alternativement de la sérénité, de l’appréhension, de la peur ou bien du soulagement de ne pas avoir été agressée. Le récit de mes expériences diurnes ou nocturnes est partagé par nombre de femmes écrivaines, blogueuses ou chercheuses. Les sensations de peur, d’agacement, de regards, empêchent les femmes de se mouvoir librement dans la rue. La peur d’être accostée, jugée, agressée est présente. Ces violences poussent les femmes à mettre en œuvre des techniques d’évitement : ne pas rentrer seules après une certaine heure, éviter des espaces considérés comme dangereux, faire attention à ne regarder personne, etc. L’appropriation de l’espace public est pratiquement exclusive aux personnes qui ne subissent pas d’oppressions. Cependant, si le genre masculin est la norme, le genre féminin n’est pas le seul horsnorme ; le genre féminin n’est pas le seul à subir des agressions et à être mal représenté dans l’espace public. Les minorités de genre manquent aussi de représentation dans l’espace public. Elles constituent un groupe dont l’identité de genre ou l’orientation sexuelle diffèrent de la majorité cisgenre1 et hétérosexuelle2. L’espace public est en quelque sorte monopolisé par les hommes limitant ainsi son appropriation par les femmes et les minorités de genre.

1 Cisgenre : Le mot cisgenre tire son origine du préfixe cis- dérivé du latin qui signifie du même côté. Il est accolé au termes de sexe et de genre pour désigner d’alignement d’un individu avec son identité de genre et son sexe assignée à la naissance. C’est l’antonyme du préfixe -trans qui indique une transformation. Origine du terme : Volkmar Sigusch, Die Transsexuellen und unser nosomorpher Blick, 1991. 2 Hétérosexuel : Se dit de quelqu’un dont le désir sexuel le porte vers des individus de sexe opposé.

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Afin de formuler mes hypothèses, j’ai cherché à comprendre ce qu’était le genre et plus particulièrement un espace genré. Tout d’abord, le genre ne désigne pas la même chose que le sexe. Le sexe désigne les organes génitaux d’un individu tandis que L’OMS affirme que « le genre, typiquement décrit comme masculin et féminin, est une construction sociale qui varie selon les cultures et les époques ». La spécialiste des gender studies Judith Butler définit le sexe comme l’ensemble des caractéristiques physiques spécifiques à un sujet, tandis que le genre constitue leur interprétation culturelle. Pour elle, le genre est performatif c’est à dire qu’il fait devenir vrai ce qu’il énonce (Butler,1990). En d’autres terme, donner un genre à quelque chose ou à quelqu’un fait devenir réalité les stéréotypes auquel il est rattaché. Un individu performe un genre féminin ou masculin à travers des façons de parler, des comportements, des attitudes et des gestes. Il se conforme ainsi, à travers son corps, au modèle femme ou homme construit par la société. À partir de ces définitions, un espace genré est donc un espace construit ou utilisé par un genre en particulier. C’est un espace qui renvoie à ses usagers le genre qui leur est assigné, ce qui limite les appropriations. Mais comment la ville engendre-t-elle la conception d’espaces genrés ? Comment classe t’elle les espaces selon les genres et donc selon les corps ? Mon protocole méthodologique d’entretiens semi-directifs m’a permis d’interroger deux personnes qui se considèrent comme appartenant à la communauté Queer et/ou LGBT. Valentine et Maxence ont pu m’expliquer leur rapport à l’espace, en particulier aux espaces queers. Bien que les informations récoltées soient propres à leurs vécus, leurs témoignages effectués séparément m’ont permis de mieux comprendre ce qui caractérise un espace queer. L’espace public impose certaines normes et comportements ce qui exclu un certains nombre d’individus. Cette étude portera sur les genres qui sortent de la norme masculine cis-hétérosexuelle, et comment ils s’inscrivent dans l’espace public. Ma problématique est la suivante : Comment une pensée dominante fabrique un type d’espace public fait pour un genre et un type de corps et moins pour d’autres. Comment un tel système engendre-t-il une certaine forme d’appropriations de l’espace ?

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Dans une première partie, j’explorerai les différentes manifestations de genre dans l’espace public dans le but de comprendre comment l’espace est ségrégué et comment cette ségrégation s’ancre dans un modèle dominant. Dans une deuxième partie, je m’intéresserai à la pensée Queer comme mécanisme pour déconstruire le genre et comment les architectes s’emparent de la question pour se concevoir les espaces. Puis, dans un troisième partie, j’introduirai l’idée du corps politique qui structure l’espace et sert d’outil à une conquête de nouvelles normes. Je m’appuierai sur le projet de fin d’étude Hacking Space, Acting Queer: regards performatifs sur l’architecture proposé par un groupe d’étudiant·es de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville dans la ville de Leipzig et sur un projet de l’architecte Jackson Deans.

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LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC Un modèle de pensée dominant A quoi ressemble le profil « universel » du citadin ? La hiérarchie sociale et économique de nos sociétés se répercute dans les espaces de nos villes. L’espace public constitue un lieu de confrontation des inégalités où les formes de dominations sociales se retranscrivent. C’est assez récemment que la question de l’espace public et de la place des femmes dans celui-ci, s’est posée dans les débats publics suite à la 4ème vague du féminisme commencé dans les années 2010. Parler de genre et d’espace public revient à questionner la place des unes et des autres dans les espaces publics. C’est ce que des géographes ont appelé le droit à la ville. La pensée du droit à la ville revient au philosophe et sociologue Henri Lefebvre, qui, en 1968, a publié un manifeste dans lequel il livre une forte critique contre les modes dominants de production de l’urbain de l’époque. D’après lui « le droit à l’œuvre (à l’activité participante) et le droit à l’appropriation (bien distinct du droit à la propriété) impliquent le droit à la vie urbaine » (Lefebvre 1968 : 154155). Constatant des stratégies d’appropriations différentes selon les genres et les mobilités, certaines municipalités et associations ont alors cherché à rendre l’espace public accessible à toutes et tous. Pour comprendre le lien entre l’espace public et la place des femmes dans celui-ci, il est nécessaire de situer notre regard sociétal pris dans une société patriarcale. Cette dernière est une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes. C’est un système où le masculin incarne à la fois le supérieur, celui qui domine et l’universel, celui à qui tout est rapporté et accordé. Si la ville est alors construite suivant ce système, alors nous comprendrons que la normativité des comportements humains est figée sur la base des comportements des hommes considérés comme universels. La figure prétendument neutre du citadin est en réalité genrée, mesurée et stéréotypée. Le modulor, mesure créée par le Corbusier, adoptée par nombre de concepteurs, exprime très bien l’image universelle avec laquelle on conçoit l’espace : il est pensé comme un homme d’1m80 et cela ne correspond évidemment qu’à une petite partie de la population.

La conception des villes, est-ce une affaire de genre ? Dans l’article Masculinisme et métropole, Maële, dont la revue Sauvage se veut critique à propos de l’urbanité telle qu’on la connaît, exprime en quoi les grandes villes incarnent une puissance masculine « Expansion, contrôle, domination… voilà le credo des hommes et des villes »1 (Maële, 2020). Les mots, forts, incitent à l’indignation, au questionnement. Ils portent une réflexion à propos de la place des genres dans la ville qui est inégalitaire, introduisant l’idée partagée par Yves Raibaud que la ville est faite par et pour les hommes. 1

Masculinisme et métropoles : deux faces d’un même visage, celui de l’homme - Revue Sauvages

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LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC On retrouve le poids de ces mots dans les noms des rues, des places, des stations de métro où les hommes politiques, artistes, écrivains sont majoritairement mis à l’honneur (Rousseau, Freud, Gauguin etc.). Les statues, présentes dans l’espace public, engendrent elles aussi une vision sexiste. Elles représentent majoritairement, en effet, des hommes illustres sculptés avec grandeur à cheval, avec des épées, le regard perçant et fier. Les femmes sont sous représentées avec seulement 2 % des noms sont féminins sur la totalité des rues en France selon l’Union Française soroptimism en 2014. Cependant, lorsqu’elles sont affichées, leur image est stéréotypée. Par exemple, les statues aux figures féminines représentent des femmes pieuses ou bien des muses aux corps dénudés. La statue du Rhône et de la Saône personnifiée est pour cela très explicite. On perçoit clairement la différence de traitement entre l’homme (Rhône) qui représente la force, la fougue et la protection tandis que la femme (Saône) représente la douceur et la fragilité. (photo). Si une image de la femme est présente, elle n’est représentée que selon un seul modèle. Les publicités de femmes sexualisées présentes dans la ville à travers les affiches dans les stations de métro, les arrêts de bus, constituent une stigmatisation de l’image des femmes. C’est une objectivisation de la femme. Cette sur-représentation, par le biais d’images, masque l’absence physique des femmes dans certains espaces publiques ou à certains heures.

Au centre de la place Bellecour trône la statue de Louis XIV. De chaque côté de son piédestal sont représentés le Rhône et la Saône.

À l’Ouest du socle, la Saône est une femme allongée sur un lion. La Saône apparait douce et paisible (fig1)

À l’Est, le Rhône prend la forme d’un homme fort et vaillant. Il a Une rame à sa main et sous lui, un lion rugit (fig2)

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LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC Les traits masculins de nos villes La skyline métropolitaine, travaillée depuis la fin du XIXe siècle, exprime, elle aussi certains codes masculins. A l’aube des premiers gratte-ciel, un enjeu de représentation des villes est pris d’assaut par les maires et architectes qui entrent en compétition les uns avec les autres pour posséder dans leur aire urbaine la plus haute tour. Cette image renvoi à la compétition entre hommes consistant à posséder le plus gros et grand organe sexuel. Henri Lefebvre parle de « verticalité phallique » (Lefebvre, 1974, p. 46). Les tours, situées le plus souvent dans les quartiers d’affaires, marquent la collaboration entre la municipalité et les entreprises. L’architecture des tours renvoie à la puissance des entreprises que les villes accueillent et montre ainsi le pouvoir économique des cités. Ces hauts lieux de pouvoir sont une composante essentielle du processus de métropolisation. La symbolique de la verticalité est très forte. Dans un monde mondialisé et capitaliste, la course à la hauteur ne s’arrête plus malgré le modèle énergivore de ces tours géantes : en 2018, 143 tours de 200 mètres et plus ont été livrées dans le monde. Ces constructions peuvent être assimilées à une colonisations des territoires dans le but d’asseoir un pouvoir politique et économique en ne se souciant guère des conséquences sociales. La ville engendre donc une architecture aux traits fort masculins. À quoi serait-ce dû ? Cela pourrait provenir, notamment, du fait que les directions des structures des métiers de l’urbain sont majoritairement occupées par des hommes. En effet, selon la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme en 20201, sur 51 agences d’urbanistes en France, 41 sont dirigées par des hommes. Leurs positions hiérarchiques imposent peut être une certaine conception même si des femmes composent l’équipe qu’ils dirigent. Les titres et les prix sont majoritairement attribués à des hommes : Sur les 44 lauréats du Prix Pritzker, il n’y a eu que 6 femmes, la première lauréate du prix Pritzker étant Zaha Hadid en 2004 et la dernière étant Anne Lacaton en 2021. Sur les 27 éditions du grand prix de l’urbanisme il n’y a eu que 3 lauréates (Paola Viganò en 2013, Ariella Masboungi en 2016 et Jacqueline Osty en 2020). Léa Delmas, spécialisée dans les stratégies territoriales et urbaines énonce un problème lié à l’évolution de notre société actuelle : les penseur·ses urbains qui conçoivent des villes durables (DELMAS, 2016)2 les pensent pour un certain profil : celui d’un homme jeune ayant une activité rémunérée, libre de toute occupation familiale et en bonne santé. Tout d’abord, nous avons l’exemple d’une pratique promue par de plus en plus de mairies pour des villes durables et vertes, dans l’air du temps : le vélo en ville.

1 http://www.fnau.org/fr/les-agences-durbanisme/ 2 Conférence Identités et territoires, 2016: https://www.youtube.com/watch?v=8PL61E3hJWw

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LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC Il s’agit d’un moyen de transport écologique mais inaccessible pour beaucoup de femmes qui doivent amener les enfants à l’école ou faire les courses. Certaines ont également des injonctions sur leur tenues et ne peuvent se permettre le cyclisme. Ensuite, l’éclairage public qui s’éteint après une certaine heure ne prend pas en compte le facteur d’insécurité que les femmes peuvent ressentir la nuit. Cela limite le nombre de femmes dans les rues et les incite à rester chez elles. La conception de la ville est donc une affaire d’homme et de regard masculin.

Les usages de la ville sont-ils égalitaires ? À quoi ressemble des appropriations genrées de l’espace public ? L’usage différencié de l’espace selon les genres est directement lié aux inégalités hommes-femmes. En effet, les femmes assurent encore aujourd’hui 68 % des tâches domestiques (INSEE, 2015)1 comme les courses, amener les enfants à l’école, accompagner les personnes âgées, etc. Ces occupations créent des emplois du temps différents selon les genres. Pour les femmes on parle de trois temps de vie, temps libre, temps familial et temps professionnel (De Singly, 1987). On peut alors constater des usages genrés de la ville. Les hommes et les femmes ne se déplacent pas de la même manière, pas aux mêmes horaires, dans les mêmes lieux et n’y jouent pas les mêmes rôles. En effet, pour effectuer ces déplacements multiples liés aux tâches domestiques, les femmes utilisent majoritairement les transports en commun. Lauren Bastide questionne dans son livre la place des femmes dans l’espace urbain. Elle parle de l’aménagement public qui se heurte souvent aux mœurs et devoirs relégués à une partie de la population (Bastide, 2020). Les trottoirs ne sont par exemple pas conçus pour se promener avec une poussette puisqu’il faut parfois descendre sur la chaussée. De la même manière, les transports en communs ne facilitent pas la présence de gros sacs et les femmes s’excusent souvent de la place qu’elles prennent. Bien sûr, l’aménagement public ne permet pas, seul, une révolution sociale. Simplifier la vie de la personne qui fait les courses ou de celle qui promène la poussette ne créera pas plus d’égalité de genre. De plus, le transport de gros bagages et les déplacements en véhicule roulant ne concerne pas uniquement les poussettes. Cela permet de constater qu’aménager la ville pour les personnes bénéficiant de privilèges moindres offrirait de plus larges possibilités d’appropriations et d’utilisations de l’espace.

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https://www.insee.fr/fr/statistiques/1303232

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LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC Comment le harcèlement de rue joue un rôle social sexué dans l’espace public ? Le harcèlement de rue ou « harcèlement public » (Gardner, 1995) constitue une violence faite aux femmes dans l’espace public par des inconnus majoritairement de genre masculin. Il comprend les remarques, insultes, gestes déplacés, propositions sexuelles ou viols. Ces actes peuvent provenir d’un comme de plusieurs individus, croisés simultanément ou successivement. Bien que ces actes soient souvent considérés comme anodins, ils constituent des rappels à l’ordre social sexué. A force de répétition, ils font perdurer l’idée selon laquelle l’espace public est fait pour les hommes, dangereux pour les femmes et que ces dernières appartiennent à l’espace privé. Cela incite les femmes à développer des stratégies de déplacement dans la ville selon les lieux à éviter, la manière de s’habiller ou de marcher.

Comment les stéréotypes de genres s’affirment dès le plus jeune âge ? Les stéréotypes sexués fonctionnent selon deux modes, l’affirmation de la différence entre les deux groupes sociaux femmes/hommes (la binarité absolue) et l’uniformisation à l’intérieur de chaque groupe (la femme, l’homme). Ils impliquent la normalisation des rôles sexués dès le plus jeune âge (MARUEJOULS, 2015 : 25). L’aménagement de la cour de récréation marque déjà une différence. Le terrain de football ou de basketball majoritairement utilisé par les garçons est au centre tandis que les activités majoritairement associées aux filles se situent sur les côtés. Le passage de l’école primaire au collège et l’entrée dans l’adolescence, marquent le retrait des filles des espaces et équipements de loisir publics. Les filles qui continuent la pratique du sport à l’adolescence le font en grande partie dans des clubs sportifs, dans des milieux encadrés et souvent payants. La rue représente alors un espace de jeu occupé par les garçons. On peut le remarquer dans la fréquentation des city stades et des skates parcs. Dans l’espace urbain à grande échelle, on peut noter une différence de fréquentation de certains espaces comme les stades de football ; les personnes présentes dans ces lieux sont majoritairement des hommes. Les femmes ne sont donc pas intégrées, et ce dès le plus jeune âge, dans les équipements publics, notamment sportifs. Ce sont pourtant des conceptions urbaines qui prennent une place importante dans l’appropriation de la ville par les habitants. On peut facilement en venir à la conclusion que puisque les activités extérieures et visibles sont masculines alors l’espace public est fait pour les hommes.

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LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC Comment se manifestent les frontières spatiales urbaines ? Quelles sont les solutions déployées par les femmes dans la ville ? Les attitudes genrées de nature spatiales, graphiques, sonores, odorantes marquent le territoire du genre qui les a produites, elles forment des frontières et ségréguent l’espace. Cela génère une inégalité de conforts et de déplacements envers le genre exclu de ces attitudes stéréotypées (Raibaud, 2015). On assiste, par conséquent, à des comportements qui découlent de ces inconforts. Ainsi, les femmes dans la ville génèrent des formes géographiques particulières (Di Méo, 2011). Pour illustrer, le géographe parle d’abord d’une « forme en territoire de quartier », en maille. Cette dernière est répandue et varie selon les parties de la ville. Par exemple, le quartier bobo représente un lieu convivial, de partage, de vie sociale. Ensuite, le quartier réseau qui est plus vaste et où le déplacement des femmes qui gèrent différentes activités se fait principalement en voiture. Enfin, pour les femmes âgés, handicapées ou en difficultés sociales, le quartier devient une figure protectrice où elles créent leur propre réseau de relations sociales. La deuxième forme est une « forme radiale » (Di Méo, 2011). Elle représente les femmes qui se déplacent sur un rayon de la ville, par exemple du centre-ville à une banlieue ou le long d’un axe de communication majeur. Selon l’enquête du géographe, c’est un effet tunnel : plus les femmes sont actives, plus l’axe s’amincit. Elles ne s’arrêtent pas le long de cet axe mais l’utilisent exclusivement pour aller d’un point A à un point B. Cependant, plus elles ont le temps, souvent avec l’âge, plus l’axe s’élargit et parfois forme des sortes de hernies à certains endroits. Enfin, des femmes plus libres, jeunes peuvent voir la ville comme un puits de ressources en se déplaçant selon une « forme éclatée » (Di Méo, 2011). C’est à dire qu’elles utilisent la ville dans son entièreté, selon ce qu’elle propose. Cette forme de déplacement ne signifie pas pour autant que les inégalités disparaissent, cela indique plutôt que les femmes tentent de ne pas se limiter à cause de ces inégalités. Cette manière de fonctionner demande des ressources psychiques, une situation sociale, une culture, une liberté d’esprit, et le temps nécessaire pour l’appliquer au quotidien.

Quels sont les codes genrés de l’intérieur et de l’extérieur ? La ville constitue donc un lieu inégalement expérimenté selon les genres. Afin de rendre compte des impressions, sentiments à propos de lieux pratiqués par les femmes, Guy Di Méo a constitué lors d’une enquête un échantillon cliché de 60 femmes de la ville de Bordeaux avec qui il a réalisé des entretiens. A la suite de quoi il explique que les lieux ont une forte connotation sexuelle masculine et que la sexualité est taboue chez les femmes et contrôlée par les hommes. 17


LES MANIFESTATIONS DE GENRE DANS L’ESPACE PUBLIC Il prend l’exemple du quartier de la gare de Bordeaux qui est associé aux sex-shops et à la prostitution qui est donc considéré comme un espace masculin. Les zones isolées, mal balisées, confuses évoquent des guet-apens aux femmes qu’il a interrogées. Les regards insistants, provocateurs et sexualisant des hommes dans la rue donne l’impression aux femmes que leur présence n’est pas admise. La façon dont les femmes vivent certains espaces confortent leur vision d’une ville qui ne leur appartient pas. En revanche, elles se sentent plus à l’aise dans les quartiers « bobos », chics, d’affaires ou commerciaux. Ces espaces affichent avec des panneaux publicitaire ou des enseignes leurs fonctions qui admettent la présence de femmes : shopping, travail, tourisme. Le géographe retrouve dans les pratiques des femmes enquêtées un jeu entre l’intérieur et l’extérieur. Pour lui, ces notions sont remodelées par les femmes. La notion de l’intérieur au sens du refuge, est intégrée dans la définition de l’espace restreint, occupé généralement par les femmes. C’est à dire la maison, quartier, une partie plus ou moins grande de la ville. L’extérieur est donc une notion qui appartient au masculin et qui qualifie les espaces occupés par les hommes dans la ville. La présence des femmes dans les espaces public est restreinte à des activités spécifiques et des pratiques autorisées. Par conséquent, il existe des usages inégalitaires de la ville. Au contraire, les hommes ont, eux, la possibilité de flâner, s’arrêter, errer sans nécessairement avoir un but pour expliquer leur présence. Tandis que les femmes, elles, se déplacent, traversent la ville en ayant toujours une activité à faire.

Quels sont les enjeux de l’intégration du genre dans la conception de nos villes ? Les villes discriminent les femmes au travers de violences dans la rue. L’espace urbain et ses possibilités d’usages sont très restreints car il ne prend pas en compte un grand échantillon de citadin·es qui ne se reconnaissent pas dans les normes d’usages. Les présupposés sur l’organisation de l’espace public sans rapport avec les expériences de beaucoup de femmes (des minorités en général) démontre clairement une omission des usages divers de l’espace. Penser la ville ainsi, c’est inclure tou·tes les citadin·es. C’est « un droit à la ville et à la reconnaissance de la citoyenneté pleine et entière » (Hancock, 2015 : 11). Non seulement les femmes n’ont pas accès aux espaces urbains de la même manière que les hommes mais les minorités de genre et sexuelles sont généralement peu intégrées dans la conception des villes. Hancock préconise une appropriation entière et complète l’endroit où l’on vit accessible à tous. Si l’appropriation d’un lieu par les minorités est difficile, je me demande quel système de pensée permettrait de faciliter l’intégration des personnes horsnorme en ville.

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LA PENSEE QUEER COMME MECANISME POUR DÉCONSTRUIRE LE GENRE Qu’est-ce que le Queer ? Si jusqu’à présent l’appropriation de la ville est questionnée selon deux genres, masculin et féminin, il semble important de casser cette binarité. Ces deux genres, selon le prisme de la norme hétérosexuelle représentent deux sexes distincts et complémentaires. Bien que que le genre et le sexe désignent des choses différentes, je parlerai d’abord de la norme hétérosexuelle. Présentant d’abord l’opposition hétérosexuelle et homosexuelle, je parlerais ensuite de la cis-normativité à travers la pensée Queer.

La norme hétérosexuelle La microbiologiste Janine Guespin-Michel parle de l’évidence et du principe du « tiers exclus » (Guespin-Michel, 2016 :41) : soit une proposition est vraie, soit sa négation est vraie. Tous les autres cas de figure sont donc exclus. La chercheuse nuance alors ce principe en disant que cela rend extrêmement difficile de penser les transitions autrement qu’en tout ou rien. Elle explique que le « tiers exclus » entraîne souvent un dualisme qui analyse le monde sous la forme d’opposition binaires. C’est un cheminement de pensée qui rend difficile la compréhension d’un phénomène lorsqu’il est complexe et qu’il renferme une pluralité de causes et d’interactions. Eve Kosofsky, spécialiste des gender studies1, explique, elle aussi, que la société moderne et occidentale tourne autour de l’opposition entre hétérosexuel et homosexuel. Cette opposition a une place tellement importante qu’elle affecte les binarismes structurant les grandes dualités de notre monde comme le savoir et l’ignorance, le privé et le public ou encore la santé et la maladie. On associe une partie d’une dualité à chacun des termes opposés : hétérosexuel et homosexuel. Par exemple, la santé est associée à la norme hétérosexuelle tandis que le statut hors-norme de la maladie est associé à l’homosexualité. En effet, les personnes homosexuelles sont encore considérées comme des individu·es malades dans un certains nombres de pays et sont parfois soumis à des thérapies de conversions pour guérir et devenir hétérosexuel·le. Certains virus sont également associés à l’homosexualité. Je pense notamment au virus du VIH qui a longtemps été désigné comme la maladie des gays. Ces associations accentuent ainsi l’ignorance autour d’un groupe social et sa catégorisation hors-norme et justifie d’un point de vue hygiéniste son expulsion de l’espace partagé. L’opposition entre hétérosexualité et homosexualité est un dualisme limitant puisque le terme d’homosexualité caractérise un hors-norme comprenant pourtant une multitude d’individu·es et donc des définitions multiples. Le groupe dominant, emblématique de la norme est caractérisée par l’homme blanc dit cisgenre et hétérosexuel. Sa définition est très ciblée contrairement à la définition du groupe dominé. 1

Épistémologie du placard, Eve Kosofsky

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LA PENSEE QUEER COMME MECANISME POUR DÉCONSTRUIRE LE GENRE C’est là que la pensée de Janine Guespin-Michel prend sens car dès lors qu’une personne ne fait pas partie d’un groupe dominant, d’après le principe du tiers-exclus, alors elle fait partie du groupe dominé et sa définition est plurielle. Le Queer désigne donc le groupe composé de personnes non-binaires et/ou transgenres et/ou homosexuelles dominé par le groupe homme blanc cisgenre et hétérosexuel.

Comment le Queer constitue-t-il un contre-pied à la norme ? Le mot Queer est un mot anglais qui signifie « bizarre », « étrange ». Aux États-Unis, il a été utilisé comme insulte pour désigner les hommes homosexuels. A la fin du 20e siècle, il a été réapproprié par la communauté LGBT1 qui a transformé le mot en revendication à l’encontre des normes structurant le modèle social hétéronormatif. Theresa de Lauretis, la première universitaire à parler de théorie Queer, désire remettre en question l’expression gay-et-lesbienne qu’elle voit comme un adjectif unique désignant un groupe indifférencié. Son envie est de « questionner, déplacer, resituer ou suspendre les paradigmes conceptuels dominants, depuis les discours cliniques et officiels sur l’homosexualité jusqu’aux discours populaires et médiatiques sur la sexualité, l’identité, la communauté, le mode de vie gay ou gay-et-lesbien » (De Lauretis, 1991 : 127). C’est un véritable renversement des représentations homosexuelles qui commencent à entrer dans un cadre défini par les docteur·es et les discours des médias. D’autres écrivain·es se montrent plus virulents dans leurs écrits qui visent à se soustraire à la norme dans toutes ses formes. C’est le cas du mouvement queer insurrectionnel2 Bash Back ! à Chicago. C’est un réseau de cellules anarchistes queer actives aux États-Unis entre 2007 et 2011 né d’un appel à la préparation d’une résistance contre les congrès des Partis républicains et démocrates. Pendant ce mouvement, des cellules encourageaient et organisaient des réflexions et des mobilisations contre le système hétéro-cisnormatif. De ces rencontres est né un recueil de texte dans lequel ce qui est queer est redéfini en se pensant en dehors du cadre des politiques LGBT. Elles et ils affirment dans un de leur textes que « CertainEs liront ‘‘queer’’ comme synonyme de ‘‘gay et lesbienne’’ ou ‘‘LGBT’’. Cette lecture est inadéquate […] Il s’agit plutôt de la position qualitative de l’opposition aux présentations de la stabilité» (Bash Back !, 2011). Iels opèrent ainsi une scission de l’appropriation bourgeoise et politicienne de ces luttes, car elle conduit à une acceptation de ce qui est Queer comme synonyme de « L », « G », « B » et « T » : une représentation des personnes queers comme n’aspirant qu’au moule hétéronormatif. Iels se situent en dehors d’une normalisation et d’une uniformisation des luttes, des corps et des individu·es. 1 2

LGBT : Lesbienne Gay Bi Trans Insurrectionnel: Mouvement qui porte une action de rébellion visant à renverser les détenteurs du pouvoir.

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LA PENSEE QUEER COMME MECANISME POUR DÉCONSTRUIRE LE GENRE Pour elle·ux le Queer n’est pas seulement hors des normes de la sexualité hétérosexuelle mais c’est [le Queer] « un territoire en tension, défini en opposition au récit dominant du patriarcat blanc-hétéro-monogame, mais aussi en affinité avec touTEs cELLeux qui sont marginaliséEs, exotiséEs et oppriméEs »(Bash Back !, 2011). Iels s’affilient à toutes les victimes de discriminations (raciste, élitiste, validiste, âgiste, etc.) et dénoncent le système social qui perpétuent ces stigmatisations. « Le queer, c’est ce qui est anormal, étrange, dangereux. […] Le queer est la cohésion de tout ce qui est en conflit avec le monde hétérosexuel capitaliste. Le queer est un rejet total du régime de la Normalité. » (Bash Back !, 2011) Le mouvement Queer se différencie donc du mouvement LGBTQ+1 puisqu’il se veut politiquement extrait du système que la normativité représente.

Comment générer un espace hors-norme? La Théorie Queer et l’architecture L’architecture est un dispositif qui conduit les corps et engendre des attitudes dans l’espace public considérées dans la norme. Le savoir du/de la concepteur·ice est situé selon ses expériences personnelles communes avec les autres individus qui lui ressemble. Iel pense donc pour et selon son groupe social. Toute cette mécanique rend ainsi possible une certaine architecture. Comme il existe une pensée dominante du concepteur homme blanc, cis genre et hétérosexuel, il existe également une architecture qui en découle. Ce qui nous intéresse ici est de tenter de formuler ce qu’est une architecture, un espace qui ne suit pas les normes. Muñoz, spécialiste des queer theories dit dans Crosing Utopia que le queer est un horizon idéal de potentialité. «Il nous échappe, c’est une manière de fuir la stabilité» (Muñoz, 2009 : 11). C’est un appel à la vigilance face aux catégorisations qui stabilisent une certaine pensée et en excluent d’autres. Un espace Queer serait donc un espace de possibilités et de remise en question de la stabilité. L’architecte japonais Riken Yamamoto voit d’un œil critique les hypothèses sur lesquelles les architectures post-industrielles sont construites. Selon lui, si elles sont trop normatives, elles relèvent plus de l’emballage et non du support de vies contemporaines. Elles cristallisent une pensée dans le temps et dans l’espace architectural. Aussi, s’intéresser à ces hypothèses reviendrait à s’intéresser aux normes avec lesquelles on conçoit les espaces. Selon un point de vue Queer, on rend visible des problématiques de représentations de formes de vies dans l’espace public qu’on dessine en tant qu’architecte. 1 LGBTQ+ : Lesbienne Gay Bi Trans Queer. Le + désigne les autres dénominations non citées (par exemple : I = Intersexes, A = Asexuel). 21


LA PENSEE QUEER COMME MECANISME POUR DÉCONSTRUIRE LE GENRE Les praticiens et l’architecture Queer Dans le contexte historique des révolutions industrielles, les innovations techniques ont bouleversé la manière de concevoir l’architecture. Elles avaient, entre autres, pour fonction de reconstruire la société occidentale rapidement dans l’après-guerre. Les manières de mettre en œuvre des matériaux désormais industrialisés ont servi les idéologies de l’époque. Ainsi, le capitalisme, la société de consommation, l’utilisation des ressources de la planète et le colonialisme, même s’ils existaient déjà, ont été installés de manière durable à l’échelle mondiale à une vitesse exponentielle. Au XXe siècle, l’architecture revêt majoritairement un caractère fonctionnel et rationnel guidé par l’idéologie des architectes Modernistes. « Les architectes [...] tendent vers le but inatteignable de la perfection, considérant qu’une bonne conception est celle qui prévoit le pire et qui pourtant reste élégante et sans couture »1. Eloïse Choquette, lors de la table ronde « Là où l’Architecture et les Féminismes se rencontrent » en mais 2015 à Toronto, dénonce une course à la rationalité et à la perfection, oppressant et empêchant des modes de vies différents. Elle critique le masque que posent les architectes sur les imperfections, fixant leurs principes dans la ville, empêchant toute transformation avec le temps et adaptation selon les époques. C’est une idéologie qui s’applique non seulement à l’architecture mais aussi aux modes de vie qui se développent autour et à l’intérieur de celle-ci. Pourtant, « la nature nous montre constamment que la vie prospère à travers ses imperfections et accidents par de constantes et perpétuelles transformations. Les espaces Queer, spontanés, transformables et insaisissables incarnent tout cela »2. D’après elle, il est nécessaire de déconstruire les systèmes de valeurs dans lesquels nous évoluons pour ensuite appliquer le processus à nos environnements bâtis. Elle décrit les espaces Queer comme une autre manière de concevoir, plus proche de la manière dont la nature se développe. Les erreurs ne sont pas à exclure du processus de conception et la perfection ne devrait pas être un concept maîtrisé par celui ou celle qui conçoit. « L’espace ne devrait pas être mesuré selon ce que nous percevons comme parfait mais plutôt à travers la glorifications de ses failles, parce que le design est profondément imprévisible, et finalement défectueux »3. Concevoir un design parfait impose finalement beaucoup d’injonctions qui ne sont pas vraiment réalisables.

1 [en] « Architects also aim for unattainable perfection, by considering that a good design is one that plans for the worst yet remains elegant and seamless » Eloïse Choquette, lors de la table ronde : Where Architecture and Feminisms Intersect (23.05.2015, Toronto) artseverywhere.ca via Where Architecture and Feminisms Intersect · ArtsEverywhere 2 [en] « Nature consistently shows us that life thrives through imperfections and accidents, through constant and never-ending transformation. Queer spaces, as spontaneous, transformative, and elusive spaces, also embody this spirit very well. » Where Architecture and Feminisms Intersect · ArtsEverywhere 3 [en] « Space, therefore, should not be measured through its perceived perfection, but rather through the glorification of its failures, because design is deeply unpredictable and ultimately flawed and this should be embraced. » Where Architecture and Feminisms Intersect · ArtsEverywhere

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LA PENSEE QUEER COMME MECANISME POUR DÉCONSTRUIRE LE GENRE L’architecture fige en grande partie les modes d’habiter et suivre la ligne directrice de la perfection limite la pluralité de designs qui pourraient exister. L’architecture « n’est pas simplement l’art de construire, [elle] n’est pas simplement quelque chose de palpable, elle fabrique des imaginaires » 1. S’il existe une fiction dominante, il s’agit alors d’en inventer des nouvelles et de permettre à d’autres de les modifier.

Comment déformer un lieu, pervertir un espace ? C’est ainsi qu’Aaron Betsky, critique d’art et d’architecture, explique l’espace queer comme quelque chose d’extrêmement large, comme « un espace de spectacle, de consommation, de danse et d’obscénité. C’est le détournement ou la déformation d’un lieu, une appropriation des bâtiments et des codes de la ville à des fins perverses »2 (Betsky, 1997 : 5). L’obscène et le pervers perturbent les constructions sociales et morales en trouant les limites de la censure du correct et de la pudeur. Beaucoup utilisé dans le discours Queer, cela permet de se soustraire à la norme. Illustrant ces pratiques perverses, le cruising décrit initialement une pratique de drague issue de la culture homosexuelle masculine qui consiste en une quête de partenaires sexuels occasionnels et anonymes mais cela ne peut être réduit ni au hommes ni aux gays. Cette pratique sexuelle a généralement lieu dans les lieux publics comme les parcs, les toilettes et les parkings, ou dans des établissements dédiés comme les bains et les clubs sexuels. A la 16e biennale de Venise en 2018, le Cruising Pavilion est exposé par Pierre-Alexandre Mateos, Rasmus Myrup, Octave Perrault et Charles Teyssou. L’exposition au public de l’espace de drague intime entre en conflit avec la bienséance. Montrer à quoi ressemble le lieu où l’on drague, c’est le faire connaître à ceux qui ne le pratique pas et c’est faire tomber les frontières de l’intime qui le rendait invisible. Pour les designers, le cruising est « l’enfant illégitime de la morale hygiéniste. Relégué au domaine de la dépravation, il se construit dans les salles de bains construites pour la propreté et les parcs faits pour la tranquillité. La ville moderne est naviguée, démontée et transformée en une traînée d’elle-même. »3. Le cruising peut être un espace d’opportunité, un espace non programmé et libre. Il y a un échange entre les individu·es et les lieux bâtis qui apparaît, même si ce n’était pas prévu ou dessiné. Les bâtiments partagent les pratiques des personnes qui les habitent longtemps après que l’architecte ait quitté les lieux.

1 PetitJean, Podcast Interférences, épisode Hacking space Acting Queer. 2 [en] : a space of spectacle, consumption, danse, and obscenity. It is a misuse or deformation of a place, an appropriation of the building and the codes of the city for perverse purposes. Betsky Aaron, Queer Space: Architecture and Same-Sex Desire, éd. William Morrow, 1997 3 [en] : « the modern city is cruised, dismantled and made into a drag of itself » Cruising Pavilion

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LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE La géographie Queer Comment les corps se comportent-ils dans la ville ? Notre corps communique avec les autres à travers des signes selon un code culturel, une réalité sociale (Pasquier, 2008). Le corps est un territoire personnel et par ce fait, les individu·es « habitent des mondes sensoriels différents » (Hall, 1971 : 15). Par nos sens, nous percevons la distance entre nous et les autres individus. La « kinesthésie [spatiale] est un facteur important dans l’usage quotidien des édifices que créent architectes et designers » (Hall,1971 : 75). L’organisation de l’espace est différente selon les lieux, le sens de la distance entre individu·es n’est pas le même. Edward T. Hall parle de distance intime, personnelle, sociale et publique. C’est dans ces situations qu’apparaissent les questions de bienséances. On respecte des codes sociaux afin de ne pas gêner, de respecter l’individualité de chacun. Le corps est construit par les discours et les pratiques publiques qui interviennent à de multiples échelles spatiales (McDowell, 1999). McDowell constate que le corps, lié à la sexualité, a longtemps été considéré comme appartenant à la sphère privée. Pourtant, le corps est un espace où l’individualité se construit et il existe des frontières plus ou moins perméables entre un corps et un autre (McDowell, 1999 : 34). Ces frontières sont remises en question par des études de géographes qui changent la compréhension de l’espace. Les géographes ont notamment analysé l’aspect intersectionnel de la production d’espace par le corps et la capacité des villes à produire des contres espaces en réactions aux espaces disciplinés qui créent des corps disciplinés. Butler explique que les divisions spatiales privé/public sont travaillées par des pratiques et des relations sociales. En lien avec l’espace et l’identité, le corps est une « incarnation » du monde social dans lequel il évolue (McDowell, 1999). Afin de mieux comprendre cette incarnation, Helen Jarvis (Jarvis, 2009) parle de la manière dont les individu·es « marquent » et « colonisent » leur espace et leur territoire de différentes façons avec leur corps, leur posture, leurs vêtements, leur véhicule et la manière qu’ils ont de le conduire, etc. Ces pratiques varient selon les espaces et lieux dans lesquels les corps se trouvent. Les corps ne sont pas perçus de la même manière selon les relations de pouvoirs liées au genre, à la classe sociale et à l’appartenance ethnique. Les gestes, les vêtements, les actions sont donc différent selon les lieux (Gervais, 2020 : 119) qui sont vécus alternativement comme contraignants ou émancipateurs.

Où se situent les espaces Queer ? Afin de se réapproprier son corps, son langage, le contrôle de son identité, sa sexualité et sa sécurité, les femmes et les minorités sexuelles se réapproprient des territoires qui leur ont été refusés en fabriquant leurs propres espaces.

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE C’est le discours que tient le mouvement queer qui cherche la réappropriation du langage et des comportements qui dévient des représentations normatives dominantes. Les territoires Queers sont invisibles alors qu’ils se situent pourtant sur le même plan physique que les territoires non-Queers. Comment apparaît une géographie Queer superposée physiquement à une géographie qu’on pense exhaustive ? Afin de visualiser cette superposition, un site internet propose une interface cartographique participative afin d’enregistrer la vie queer. Pour son créateur Lucas LaRochelle, Queering The Map a pour but de « préserver nos histoires et nos réalités en cours, qui continuent d’être invalidées, contestées et effacées. Des actions collectives (Marches des fiertés par exemple) aux ‘coming out’, de la violence aux moments d’amour intenses, ‘Queering the Map’ fonctionne comme une archive vivante de la vie queer »1. Un espace Queer, sur cette carte, c’est simplement un lieu où une grande émotion naît, révélant au monde une identité Autre, une identité queer. Pour Lucas LaRochelle, le lieu devient alors un « panneau émotionnel »2 marquant un point dans l’évolution de l’identité et de la sexualité. On a donc accès à des milliers de témoignages Queer qui racontent des expériences aussi diverses qu’il y a d’individu·es et qui placent ainsi dans le monde une multitude d’espaces Queer.

Queering the Map (fig3)

1 https://www.queeringthemap.com/ 2 https://www.vice.com/en/article/ne9kjx/queering-the-map-google-maps-lgtbq

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE Qu’a engendré la colonisation des sexualités ? Le projet Queering The Map a d’abord été mis en place autour et dans la ville de Montréal qui s’est construite sur les terres traditionnelles des habitants natifs Kanien’kehá:ka. Ce lieu a toujours été un espace de rencontre pour d’autres nations autochtones et le designer Lucas LaRochelle s’est inspiré de ce passé pour générer à travers son projet des affinités à travers les frontières. La question du colonialisme ne peut être séparée de la question queer. Comme l’explique Breny Mendoza la « dualité hétérosexualité-homosexualité [ont été] assumées et violemment imposées comme des vérités et des préceptes moraux incontestables par les épistémologies occidentales à travers différents processus de conquête, colonisation, évangélisation, guerres impérialistes, impérialisme culturel, et mondialisation néolibérale au niveau planétaire » (Mendoza, 2019). Les états coloniaux ont importé et imposé leurs modèles de genres et de sexualités qu’ils avaient construits jusqu’alors donnant jusqu’à maintenant une vision du genre européano-centrée, naturalisée et patriarcale.

Les espaces Queer dans la ville Les espaces Queer seraient-ils finalement normaux ? En lieu d’une première définition, les espaces Queer dans la ville seraient des espaces occupés et investis par des personnes Queer. Pendant des entretiens, j’ai pu récolter des informations de personnes résidant à Lyon et se considérant Queer ou comme faisant partie de la communauté LGBT. Pour Maxence, il y a « des lieux qui sont officiellement Queer comme le local LGBT vers Croix-Rousse. [Mais il existe particulièrement] des lieux un peu diffus, pas très concret, qui naviguent un peu dans la ville et qui sont un peu présents partout au final. [Ils sont crées par] des groupes de personnes proches, qui sont Queer et qui font des trucs entre-eux »1. Il existerait donc des espaces ponctuellement et anodinement queerisés par la présence de groupes de personnes queer simplement amies entre elles. A son tour, Valentine m’explique que pour elle, un espace Queer peut être un « rassemblement, des manifs, des trucs qui ont lieux à un instant T » ce sont des « moments où les personnes qui militent peuvent essayer de reprendre un peu la rue et ça donne le sentiment d’appartenir à un groupe ce qui est assez galvanisant ». La prise de l’espace de la rue fait naître un sentiment de pouvoir grâce à la dimension politique de la manifestation. C’est le sentiment de reconquête d’un territoire volé, un sentiment de justice accomplie.

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Entretient semi-directif réalisé en visioconférence avec Maxence le 18.03.2021

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE Elle ajoute qu’un espace Queer est aussi « un lieu établi genre un bar queer »1. Ces lieux permanents, ajouté aux propos de Maxence qui parlaient d’un local associatif, peuvent être des bars, mais aussi des espaces de drague, un quartier rose, etc. Ces espaces Queer par nature, dans la manière dont ils sont créés et affichés dans la ville placent un repère pour toutes les personnes qui se reconnaissent dans la communauté. Le local associatif permet de se retrouver et d’échanger dans un espace sécurisant. Les bars Queer sont justement des espaces plus sécurisés pour Valentine puisque « tu te sens forcément mieux accompagnée de personnes qui sont comme toi ». Elle ajoute que dans les bars normaux, un espace peut être vécu comme oppressant tels que les « petits recoins où on peut te prendre à l’écart c’est comme en ville, genre les petites ruelles et que tu sais qu’il n’y a personne… » alors qu’au contraire dans les bars Queer « ça peut être agréable, ça peut être un endroit où tu peux discuter plutôt que danser ». Si la manière de vivre les petits espaces dépend de la population qu’il y a autour et si je pars du principe qu’un petit recoin n’a pas été conçu pour qu’une personne puisse agresser en toute impunité une autre personne alors est ce que les espaces non-Queer peuvent être considérés comme des espaces pervertis par les oppresseurs ? Un espace perçu et vécu normalement ne serait-il pas plutôt un espace Queer puisqu’il est expérimenté sereinement ?

Les entre-soi nouvellement créés, sont-ils contre productifs ? La dimension pratique du Queer est en train d’évoluer en fonction des sites de rencontres (comme Grindr) qui génèrent d’autres espaces, immatériels cependant. La géographie queer change et par les réseaux sociaux (les comptes Twitter, les pages Instagram) et les sites de rencontres (Grinder, Tinder), la communauté Queer partage et crée de nouveaux espaces qui permettent d’inventer de nouvelles identités plus librement, ou du moins différemment. En effet, sortir de la norme demande du courage et de la bravoure car ce n’est pas félicité dans toute les sphères de la société, en particulier si cette dernière est homophobe. Les espaces Queer sont difficiles d’accès aux personnes non-queer. Simplement connus par la communauté, ces entre-soi sont-ils contre productifs ? Est-ce que l’accès aux espaces Queer devrait être limité aux personnes Queer ? Ne serait pas contre-productif puisque le queer veut justement éclater les limites ? Il ne faut pas oublier que le mouvement Queer est majoritairement composé de minorités sexuelles mais aussi de minorités ethniques, sociales, de genre. Toutes ces minorités se regroupent afin de pouvoir échanger sur leurs conditions, leurs aspirations et leur désirs de s’extraire de la norme imposée. Leurs identités se comportent en étiquettes et même si elles ne sont pas reconnues par la normes, elles peuvent se révéler nécessaire pour nommer des choses impalpables. 1

Entretient semi-directif réalisé en visioconférence avec Valentine le 24.02.2021

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE Car « bien qu’elle n’existe pas, l’identité ‘‘femme’’ peut vous coûter la vie à Tijuana et bien plus près de chez vous qu’à Tijuana. C’est votre vie tout entière qui est définie par elle. Bien qu’elle n’existe pas, l’identité ‘‘trans’’ peut vous coûter la vie aussi à Paris. La race n’existe pas, mais l’identité raciale peut vous empêcher de traverser une frontière, de louer un appartement, de trouver un emploi » (Preciado, 2020)1. Ouvrir la porte des entre-soi à des personnes qui ne vivent pas les mêmes choses revient à s’ouvrir à de potentiel·elles agresseur·es/oppresseur·es. Valentine explique : « Au sein de la communauté il peut toujours y avoir quelqu’un qui a mal fait quelque chose, on ne sait pas. Mais plus tu cumules les potentialités d’agressions ou micro-agressions, plus des lieux peuvent être dangereux. »2. C’est une manière de créer un espace sécurisant, une hétérotopie, pour se protéger du reste plus violent. L’hétérotopie est un concept forgé par Michel Foucault en 1967 qu’il définit comme une localisation physique de l’utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, sont utilisés pour (se) mettre à l’écart. Ce sont des lieux à l’intérieur d’une société qui obéissent à des règles qui sont autres et qui génèrent des écarts à la norme. Le Queer, comme le dit le mouvement Bash Back, est une opposition à la norme. Il veut éclater les limites imposées par le système capitaliste hétérocisnormatif pour créer sa propre place.

En quoi la gentrification complique l’existence d’espaces queer ? A l’échelle de la ville, les stéréotypes de genre et ceux des minorités sexuelles, Queer, sont utilisés tant par les promeuteur·ices que par les autorités municipales en utilisant le pink-washing3. Afin de faire la promotion d’une ville tolérante et accueillante, voire amusante où les activités sont variées sur le plan artistique et culturel, la différence sexuelle est de plus en plus utilisée comme symbole de progrès et de modernité. Par exemple, la Marche des Fiertés est initialement une manifestation politique des personnes Queer pour revendiquer leur droits mais tend parfois à ressembler à une occasion de faire la fête. Valentine témoigne : « La Pride, y’a un peu tout le monde qui vient et ce n’est pas si safe. J’me rappelle de la Pride de Lyon y’a 2 ans, j’avais vu une meuf qui se faisait coller par des mecs. C’était vers un char où il y avait de la musique et les gens étaient venus parce qu’ils pensaient que c’était la fête alors que ce n’est pas ça »4.

1 Inexistants – Libération (liberation.fr) 2 Entretient semi-directif réalisé en visioconférence avec Valentine le 24.02.2021 3 Pink-washing : « expression critique qui révèle une technique de communication par laquelle une entreprise, une entité politique ou une institution ‘‘lave’’ son image et se rachète une réputation en s’affichant bienveillante envers les personnes LGBT, alors que les faits révèlent qu’il ne s’agit que d’une stratégie de relations publiques sans véritables actions et investissements. » Définition tirée du glossaire de Mahé Cordier-Jouanne 4 Entretient semi-directif réalisé en visioconférence avec Valentine le 24.02.2021

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE Les plus gros marqueur de cette récupération d’identité sont les « quartiers roses ». Il s’agit de territoires où les gays s’installent en grande majorité, jouant le rôle de gentrificateurs potentiels, du moins jouant « un rôle suffisamment important dans la revitalisation du centre-ville pour que la municipalité investisse dans un quartier à l’identité gay marquée, ce qui renforce le mythe du gay blanc aux revenus élevés » (Gervais, 2020 : 264) et efface les gays racisés, de classes sociales inférieures et les lesbiennes. Il y a donc une superposition de stéréotypes de genre, de sexualité et de classe. C’est le cas du quartier du Marais, à Paris qui a été un refuge, un milieu militant et solidaire dans les années 1980, mais qui perd ses habitants Queer à cause du coût de la vie très élevé. En effet, la population Queer subissant des discriminations homophobes et transphobes, n’a pas accès aux mêmes métiers, logements, services publics. Elle est donc précaire et ne peut se permettre d’accéder à au niveau de vie qu’imposent ces quartiers gentrifiés. Il y a ainsi deux dimensions dans la ville depuis que les politiques se sont emparées du pink-washing : celle ouverte de la Marche des fiertés dans les quartiers gentrifiés et celle fermée des lieux dissidents où l’on pratique le cruising, les darkroom1, les ballroom2 où les drag3 performent.

1 Darkroom : « Espace sombre et plutôt à l’écart dans un bar, un évènement ou une discothèque (généralement destinés aux hommes homosexuels) qui permet de pratique un acte sexuel souvent rapide et anonyme sur place. C’est un lieu rapporté à la pratique du cruising » Définition tirée du glossaire de Mahé Cordier-Jouanne 2 Ballroom : « Nées à Harlem (New York) dans les années 1960, les ballrooms sont des lieux d’expression d’une sous-culture LGBT, principalement noire et latino, dans lesquels des personnes performent en compétition dans le but de faire remporter un trophée à leur ‘‘maison’’. Les compétitions peuvent inclurent de la danse ou des catégories de drag imitant d’autres genres et classes sociales » Définition tirée du glossaire de Mahé Cordier-Jouanne 3 Drag : « Pratique de travestissement performée par une personne qui construit une apparence féminine (dragqueen) ou masculine (drag-king) souvent stéréotypée et exagérée, de façon temporaire et souvent dans le cadre d’un spectacle. » Définition tirée du glossaire de Mahé Cordier-Jouanne

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE Queeriser l’espace, expériences architecturales Queeriser l’espace c’est peut-être définir un lieu autrement, lui donner une autre image. C’est modifier les acquis de nos prédécesseurs en redessinant d’autres possibilités, d’autres corps, d’autres imaginaires.

Queer modulors (fig4)

Afin de saisir à quoi ressemble un espace queer, je vais m’appuyer sur deux exemples d’architecture contemporaine. Le premier est une architecture de papier pour la communauté Queer avec toutes ses fonctions nécessaires à son bon développement tandis que le deuxième est concret, réalisé lors d’un projet de fin d’étude.

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE À quoi ressemble la concrétisation d’une architecture Queer ? Jackson Deans, diplômé de Glasgow School of Art est le concepteur de Urban Building1. Par ce concept il développe une typologie hybride qui intègre des espaces de boîtes de nuit contemporaines dans le tissu d’un bain romain traditionnel. Ce projet aborde les questions relatives à la communauté LGBTQ+ et propose des espaces qui visent à offrir des expériences différentes et contrastantes. URBAN BUILDING A Journey Through Heat, Sound & Queer Sensuality

Programme (fig5)

Plan du premier étage (fig6)

Son concept émerge d’un constat qui indique que la population Queer (ici il parle des minorités sexuelles LGBTQ+) est plus sujette à la dépression, à l’anxiété et à la toxicomanie que la majorité de la population. Cette association entre les minorités sexuelles et une mauvaise santé mentale persiste malgré les changements positifs au niveau des attitudes sociales et des protections légales. Il propose donc une architecture dont le but est de combattre ces problèmes et de prévenir les effets néfastes qu’être Queer engendre sur les individu·es à cause des effets sociaux. Cette manière de concevoir l’architecture pour la santé se retrouve dans les sanatoriums au XIXème et au début du Xxème siècle. Un sanatorium est un établissement médical spécialisé dans le traitement des différentes formes de la tuberculose. Ils ont été massivement construit dans des régions isolées de la pollution et sur des plateau ensoleillés pour offrir un air pur et les vertus reconstituantes et désinfectantes du soleil.

1 https://gsashowcase.net/jackson-deans/

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE Son bâtiment est centré autour des interactions entre la communauté LGBTQ+, les personnes racisées et les femmes (cis et trans). Pour lui, créer un lieu sécurisant pour ces communautés leur permet non seulement d’exister à leur manière sans jugement et discrimination mais aussi de créer des connections profondes les unes avec les autres. Le programme principal est un bain public. Il permet à l’utilisateur·ice d’expérimenter différents niveaux d’intensité physique et sensorielle à travers la lumière, le son et la chaleur pendant qu’iel se déplace à travers le bâtiment. Afin de développer une typologie hybride, il intègre une boîte de nuit contemporaine dans le tissu traditionnel des bains Romains. En effet, les bains ont joué un rôle majeur dans l’ancienne société romaine et si maintenant se laver est considéré comme une activité privée, c’était, à Rome, une activité commune et sociale. L’idée est reprise dans son design en utilisant les bains comme moyens sociaux d’interactions. Le but est de créer un spa méditatif, une discothèque intense, des darkroom privées, et toute une variété d’espaces de circulation entre les deux, pour répondre au désir de l’utilisateur·ice. La forme de l’architecture est elle aussi hors-norme. La construction vient se placer dans une interstice urbaine entre deux bâtiments rectangulaires prenant une forme floue et ondulante. Ses espaces circulaires et ovales représentent les fonctions intérieures - piscine, boîte de nuit, lieux de drague – qui donnent à l’endroit un caractère propice au laisser-aller.

À quoi ressemble un espace hacké ? Lors de leur travail Hacking Space, Acting Space, regards performatifs sur l’architecture. Anaïs PetitJean, Manon Guéguen et Ulisses Machado, en 2018, sous la direction de Cyril Ros et Armand Nouvet à L’ENSA Belleville, ont étudier les dynamiques entre les espaces, les genres et les sexualités au travers de la théorie queer. Pour eux, il s’agit de conceptualiser de manière non exhaustive des conditions d’expérience afin de créer des espaces Queers. Ils conçoivent donc des propositions pour subvertir l’espace sur lequel ils se basent. Afin d’étudier correctement leur travail en lien avec mes recherches, je n’analyserai que leur première expérience à propos de l’espace public. C’est une architecture narrative et expérientielle située dans le quartier de Palgwitz à Leipzig en Allemagne. Le projet se situe dans un quartier en friche. Avec de nombreux bâtiments vacants suite à une spirale de déclin avec une saignée démographique et une chute des industrie, Palgwitz est placé à la limite d’un quartier gentrifié que la ville de Leipzig à rénové. Dans le quartier, un terrain les interpelle. Il est placé à proximité d’anciennes usines d’outillages agricoles où la ville a planté un champs de blé pour redonner cette identité passée au lieu. Ce terrain est approprié par les habitant·es et ils imaginent ici un futur espace public.

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE Selon leurs observations, le monde est entrain de produire un nouvel ordre disciplinaire qui se matérialise par la transparence. Cette dernière est associée au bien, à la morale et à la purification. « Le caché est devenu suspect et l’authenticité signifie tout dire, tout montrer. Ainsi, un urbanisme de la transparence apparaît, jouant sur le contrôle qu’engendre la vision panoptique de l’espace public. Toute expression politique ou sociale radicale est exclue » (Guéguen, 2020 : 19) La ville est donc lissée, les recoins sont évités car associés à la dangerosité. On ne pratique que les espaces acceptés par la majorité qui observe. L’opposition privé/public rend légitime cette compréhension de l’espace. Pour répondre à cet état de fait, A. Petitjean, M. Guéguen et U. Machado choisissent de concevoir un espace public dit cachottier. Ils hackent1 l’espace (ici le terme hacker est compris selon l’anglais : en plus de pirater ce qui existe, crée autre chose) en brouillant la frontière entre public et privé, installant un espace intime au centre du terrain de Palgwitz. Ils brouillent les binarismes qui sculptent les espaces normatifs. (plan de l’espace public) Au centre, des murs réfléchissant en inox reflètent le champs de blé. Ils rappellent ironiquement la recherche d’identité historique par la ville de Leipzig. Ils cachent ainsi ce qu’il se passe à l’intérieur. Des ouvertures sont placées en respectant les chemins spontanés déjà existants s’ouvrant sur un espace caché. On trouve alors plusieurs plateformes de formes neutres placées à différents endroits rendant alors possible une multitude d’appropriations. Cela permet différents degrés d’intimité en plus du terrain en friche préservé. Cet espace intérieur, dont l’enjeu est de créer un espace public intime, s’empare donc de l’ironie de son caractère caché : il demande le droit d’exister car il est invisible.

Panneaux réfléchissants les champs de blé (fig7)

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Structures faite d’échafaudages pour maintenir les panneaux réfléchissants et les différentes plateformes (fig8)

Hacker l’espace : idée du geste qui griffe et perverti l’espace normatif créant un autre espace dissident.

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III- LE CORPS POLITIQUE QUI CONSTRUIT L’ESPACE L’espace public devient une zone autonome temporaire où les actions qui s’y déroulent sont séparée par des frontières mais il permet également une grande liberté d’appropriation. À travers leur démarche, les concepteur·ices apportent une réponse non figée, une ouverture aux questionnements. Ils proposent une expérience radicale de la normativité. Leurs gestes sont symboliques, forts, clairs et dénonciateurs en utilisant l’architecture au minimum, sans en faire trop. Ils souhaitent laisser placer à la subjectivité et permettre à des individu·es non-queer de s’y sentir à l’aise et des individu·es Queer de s’y projeter.

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CONCLUSION Les espaces publics sont conçus selon un système patriarcal qui génère une pensée dominante qui fabrique un type d’espace pour un genre et un type de corps. C’est un espace qui renvoie à ses usager·es le genre qui leur est assigné, ce qui limite les appropriations des femmes et des minorités de genre. Les penseur·es de nos villes stigmatisent l’individu pour lequel ils conçoivent comme un homme blanc, jeune, sans enfant, aux activités variées et avec beaucoup de temps libre. Les femmes et minorités de genres se voient reléguées au second plan et subissent une stigmatisation de leur images traduite par du harcèlement de rue. Ces personnes développent alors des comportements protecteurs envers elles-mêmes pour se déplacer dans les espaces publics. Tous les habitant·es n’ont donc pas le même droit à la ville (Hancock, 2015 : 11). Forçant l’intégration dans l’espace public ou bien en créant d’autres espaces plus inclusif, la pensée Queer constitue un contre-pied à la norme. Revendiqué entre autre par le mouvement Bash Back, le queer se défini en dehors de toutes les normes, en opposition au récit dominant du patriarcat blanc-hétéro. Toutes les minorités ethniques, de genre, sociales sont représentées. Les auteur·ices de la théorie Queer expliquent la conception des espaces publics et de l’architecture normée comme une vision binaire basée sur des hypothèses normatives. Ces dernières se sont fondées pendant les révolutions industrielles. Alors que les innovations techniques ont transformé plus que l’architecture mais la société en entier, le fonctionnement capitaliste - la société de consommation, l’utilisation des ressources de la planète et le colonialisme - s’est ancré durablement à l’échelle mondiale. La recherche d’une conception fonctionnelle et rationnelle fixe alors des principes architecturaux et urbanistiques. Les modes d’habiter se figent, calquant la réalité selon une fiction dominante et en limitant d’autres concepteur·ices d’inventer d’autres imaginaires. Malgré cette définition fixe de l’espace, les territoires Queers existent. Les espaces où vit la communauté Queer constituent majoritairement des espaces en marge. De part leurs sexualités ou leurs identités de genre discriminées qui rendent leurs existences parfois difficile, ces espaces cherchent à être rassurants, accueillants et inclusifs. Souvent pratiqués que par la communauté, ils constituent des repères dans les villes où la potentialité d’être agressé ou discriminé est beaucoup plus faible. Ce sont des bars, des espaces de drague, des locaux associatifs, des Ballrooms, … Ce sont aussi des rues, des places occupées pour revendiquer des droits, des existences.

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Rendre Queer un espace c’est peut être le sortir de la cis-hétéronormativité. C’est permettre à des histoires masquées de se reconstituer et à des appropriations avortées d’exister. Un espace Queer, c’est peut-être un espace d’opportunités, un espace non programmé où toutes formes d’appropriations sont possibles. Quel processus d’action emprunter pour désamorcer un mode de pensée dominant qui a conçu la majorité de nos espaces depuis plusieurs siècles ? Comment ce système de pensée s’exprime t’il dans nos architectures ? En tant que concepteur·ices, il me semble important de savoir dans quel système de pensée nous nous situons. La manière dont nous pensons les espaces n’est pas exclue de tout carcan. La théorie Queer permet d’étudier les pratiques personnelles qui inventent des espaces hors-normes. Elles créent un besoin d’aménagement inclusif autant dans la sphère publique que privée, remettant en question le regard hétéronormé qui sculptent nos espaces. Il s’agit aussi de développer l’inclusivité dès la formation des équipes de conception. De part les formations (architectes urbanistes, paysagistes, mais aussi sociologues, ethnologues, etc.) qui contribuent à la multiplicité des approches professionnelles, mais aussi de part les identités de genres, ethniques et sociales. Il est difficile de construire pour quelqu’un que l’on n’est pas. Il est en revanche plus simple d’intégrer le regard, l’avis plus pertinent d’un futur usager. Cette participation dès la conception demande de la pédagogie, du temps et de la communication ainsi que la remise en question, parfois, de son savoir professionnel.

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TABLE DES FIGURES fig. 1 : Statue de la Saône personnifiée. photographie par Instants Lyonnais. Disponible ici : http://www.instants-lyonnais.com/le-rhone-et-la-saone-en-statues/ (consulté le 26.04.2021) fig. 2 : Statue du Rhône personnifiée. photographie par Instants Lyonnais. Disponible ici : http://www.instants-lyonnais.com/le-rhone-et-la-saone-en-statues/ (consulté le 26.04.2021) fig. 3 : Capture d’écran du site internet Queering the map. Disponible ici : https://www. queeringthemap.com/ (consulté le 26.04.2021) fig. 4 : Illustration de Mahé Cordier-Jouanne. Disponoble ici : https://issuu.com/mahecordierjouanne/docs/portfolio_mahe__2020 (consulté le 26.04.2021) fig. 5 : Axonometrie par Jackson Deans. Disponible ici : https://gsashowcase.net/jackson-deans/ (consulté le 26.04.2021) fig. 6 : Plan du 1er étage par Jackson Deans. Disponible ici : https://gsashowcase.net/ jackson-deans/ (consulté le 26.04.2021) fig. 7 : Photographie par Manon Guéguen. Disponible ici: https://issuu.com/mnnjstn/ docs/manon_gue_guen_portfolio19 (consulté le 12.04.2021) fig. 8 : Photographie par Manon Guéguen. Disponible ici: https://issuu.com/mnnjstn/ docs/manon_gue_guen_portfolio19 (consulté le 12.04.2021)

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ANNEXES Entretiens Valentine Entretient par appel visioconférence le 24 février 2021 1/ Est-ce que tu peux te présenter et m’expliquer si tu te considères queer ou pas ? Et en quoi ? Femme cis, je me considère queer parce que j’ai une copine et que c’est un terme cool parapluie et en plus politisant. C’est fatiguant de trouver une étiquette. 2/ Est ce que tu t’es déjà sentie exclue ou inclue à un endroit en ville parce que tu es toi ? Par rapport à quelle par de ta personnalité ? Les espaces publics me font penser aux colleuses. C’est un des moyens qui te fait sentir, genre d’aller dans la rue, que un groupe de meuf et de coller des trucs sur les murs et tout, ça te fait… Fin t’as l’impression que tu te réapproprie l’endroit c’est sur. J’ai pas collé beaucoup de fois dans ma vie mais le peu de fois où je l’ai fait ça c’est un truc qui est empouvoirant en tant que meuf dans la rue parce que bah, ça j’pense que c’est vraiment le truc le plus général en tant que femme le soir tu te sens forcément oppressée ou en danger ou qu’y’a un mec qui va te parler. Donc j’pense que l’espace public est vraiment un endroit qui est fait que pour les mecs, fin pour les mecs, … que pour les gens qui ne connaissent pas d’oppression. Pour penser à des endroits où au contraire je me serai pensée peut être mieux intégrée etc. J’ai pensé aux lieux où y’a des protections periodiques à dispo. C’est peut paraître pas grand-chose mais tu te dis mais ok, en fait ces gens là ont pensé que c’est chiant d’avoir ses règles et c’est payant… Par exemple dans des bars, au Bastion y’en avait. J’aurais plus de mal à raisonner en terme d’espace mais c’est lié à la population qui l’habite. Au niveau des bars ou des boites tu te sens forcément mieux accompagnée de personnes qui sont comme toi ducoup. Avec des gens queers je me sens mieux et si en plus y’a des soirées queers dans des espaces queers, c’est encore plus agréable. 3/ A quoi ressemblent ces endroits ? C’est lié à la population et je sais pas si l’espace en soi à des particularités en tout cas mais les personnes qui s’en occupaient, les personnes qui venaient, les évènements qu’il y avaient c’était ciblé sur la culture Queer. J’me dis que le seul truc dans la rue qu’on pourrait retrouver comme quoi en étant une meuf on se sent pas toujours bien, ça peut être retrouvé dans des espaces de sorties genre les boites ou les bars. Au niveau de l’espace si y’a des petits recoins où on peut te prendre à l’écart c’est comme en ville, genre les petites ruelles et que tu sais qu’il y a personne…

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J’ai l’impression qu’au contraire dans des boites queers, ça peut être agréable. En fait ça dépend dans quelle position t’es. Si t’es dans la position de la personne oppressée, ça peut être un endroit ou tu peux discuter plutôt que danser. Ça dépend de la population qu’il y a autour et de toi par rapport à cette population [oppressereuse ou oppressé·e]. 4/ Pour toi, ces espaces sont appropriables durablement ou éphémères dans le temps ? Je pense que ça peut être à la fois des endroits éphémères genre dans des manifs ou des Assemblée Générales militantes lors d’un évènement politique avec des gens que tu connais pas. Des rassemblement, des manifs, des trucs qui ont lieux à un instant T. Et y’a des trucs établis genre un bar queer et tu sais que tu y es déjà allé. Mais l’aspect ponctuel est très intéressant parce que les manifestations et les rassemblements sont aussi des moments où les personnes qui militent peuvent essayer de reprendre un peu la rue et ça donne le sentiment d’appartenir à un groupe ce qui est assez galvanisant. Même si c’est en plein jour pendant une manif, t’es pas vraiment safe. Y’a de la violence des gens dans la rue ou de la police etc. 5/ Quels adjectifs poserais-tu sur ces endroits ? Je dirais, Chaleureux convivial, qui tend vers… j’ai envie de dire communautaire mais ça a des connotations négatives donc un endroit qui serait accueillant et acceptant. En vrai ce que tu cherches quand tu vas dans un bar mais qui est encore plus.. peut être même rassurant. 6/ Est-ce que ce sont des espaces exclusifs aux personnes queer ou pas ? Que préfères-tu ? Au niveau du safe. Le point de vue que je donne c’est celui d’une meuf qui a assez de privilèges, ça va. Même si je suis une meuf et queer. Y’a des endroit par exemple comme les manifs genre la Pride, tu viens c’est bien c’est galvanisant mais au final tu te rends compte que c’est pas adapté aux personnes handicapées. La Pride, y’a un peu tout le monde qui vient et c’est pas si safe. J’me rappelle que la Pride de Lyon y’a 2 ans, j’ai vu une personne qui se faisait agressée en direct. C’était une meuf qui se faisait coller par des mecs. C’était vers un char où il y avait de la musique et les gens étaient venus parce qu’ils pensaient que c’était la fête alors que c’est pas ça. C’est une problématique qui revient souvent de manière générale dans les espaces militants. Est-ce qu’on reste qu’entre-nous ou bien est-ce qu’on s’ouvre et le risque de s’ouvrir c’est de s’ouvrir à de potentiels agresseurs. Mais le truc c’est que même en étant entre nous, il peut toujours y avoir des agressions. Au sein de la communauté il peut toujours y avoir quelqu’un qui a mal fait quelque chose. Au Bastion par exemple, il y a des personnes qui n’aiment pas ces endroits parce que peut être qu’eux ont subit de la transphobie ou autre chose que moi j’ai pas subit. On a jamais tous exactement le même vécu de chaque endroit. Et je pense que plus tu cumules les potentialités d’agressions ou micro-agressions, plus des lieux peuvent être dangereux. 41


En pratique, tu peux pas évaluer à quel point les gens sont renseignés à l’entrée et le travail de déconstruction, de se renseigner, de se politiser, c’est un processus. Tu peux pas dire « c’est bon t’es déconstruit tu peux venir dans le bar ». En soit c’est compliqué d’atteindre un espace 100 % safe mais c’est sur que c’est nécessaire d’avoir des espaces d’entre-soi de personnes queers, ou avec que des femmes, ça dépend de la thématique du groupe. C’est sur que c’est nécessaire parce que quand t’y penses tout les autres espaces de la ville ce sont des lieux que pour les mecs cis-hétéro. Donc même si nous on est au milieu bah on est pas bien. 7/ Quand tu es au milieu de ces espaces qui ne sont pas fait pour toi, comment est-ce que tu repères un endroit où tu te sentiras plus « safe » ? Je pense que c’est un mélange de visuel, présentation, même si je saurais pas te sortir les codes graphiques du lieu engagé et qui à l’air safe. Le bouche à oreille forcément mais tous les lieux de sorties c’est comme ça, y’a quelqu’un qui t’amène et puis t’y retournes.

Maxence Entretient par appel visioconférence le 18 mars 2021 1/ Est-ce que tu peux te présenter et m’expliquer si tu te considères queer ou pas ? Et en quoi ? Je m’appelle Maxence Verdier, j’ai 20 ans et oui je me considère comme queer. Je trouve qu’avec le temps un peu moins. Pour moi au début quand je l’expliquais c’était lié à ma sexualité de base, parce que je suis gay. Ça me faisait rentrer dans la catégorie LGBTI+ et donc il y avait toute l’histoire et l’héritage qu’il y a derrière et, aussi, être en marge de la société parce que c’est encore discriminé aujourd’hui. Je me décris de moins en moins comme queer dans le sens où c’est un mot un peu trop valise et donc y’a moins de portée politique que les termes plus individuels en tant que personne lesbienne, trans, gay. Même pour les personnes qui font pas partie de la communauté LGBT, y’a une tendance à se définir en tant que queer parce qu’on ne rentre pas dans les normes. C’est pas forcément négatif en soit parce que si on se décrit hors des normes c’est quand même cool. Mais je trouve qu’on doit quand même être encore dans la revendication pour avoir des choses équitables. Je pense que ce qui est queer, peut apporter et participe à la lutte mais je pense que la lutte peut aussi se faire en premier lieu pour les personne LGBT. Y’a une distinction qui es importante. 2/ Est ce que tu t’es déjà sentie exclu ou inclu d’un lieu en ville parce que tu es toi ? Par rapport à quelle par de ta personnalité ? Avant de parler pour la ville, la grande disparité était déjà entre la première partie de ma vie et maintenant. Genre quand t’es dans une ville de périphérie, à la limite avec la campagne, il y a des personne LGBT autour, des personnes queers. Mais y’a un manque de repère, d’identification et de possibilité d’être complètement out avec les autres et de repère,

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d’identification et de possibilité d’être complètement out avec les autres et de se présenter entièrement comme on peut le faire dans une grande ville. Y’a un manque perceptible de repères queers, LGBT. Quand je dis queer, je parle des personnes LGBT. Puis ça a été progressivement parce que j’ai d’abord été à Clermont-Ferrand à l’internat en prépa donc pas terrible mais y’avait déjà un premier écart, une distance avec la famille. Ça permet déjà de prendre de la distance et de penser plus à soi et son identité. Et avec Lyon, le fait d’avoir un appartement seul, ça permet plus de possibilités. On peut organiser son temps comme on veut, on peut aller à des évènements, rencontrer des gens, de faire venir des gens chez soi qui nous permettent de créer aussi et de participer à des espaces queers. 3/ A quoi ressemblent ces endroits ? Peux tu donner des exemples ? Je pense que les lieux sont pas forcément… Y’a des lieux physique où y’a des évènements organisés. Par exemple à Lyon y’a le local LGBT vers Croix-Rousse. Y’a des lieux qui sont officiellement queers. Mais après je dirais que c’est des lieux aussi un peu virtuels, dans le sens qu’il y a tous les évènements organisés par les assos. Donc y’a beaucoup d’assos notamment dans le milieu étudiants. Donc y’a des évènements qui sont organisés comme ça, y’a aussi des soirées à thème,… Et puis je pense que c’est un peu comme tout mais c’est aussi beaucoup d’interpersonnel, donc des groupes de personnes proches, qui sont queer et qui font des trucs entre-eux. Ce sont des lieux un peu diffus pas très concret, qui naviguent un peu dans la ville et qui sont un peu présents partout au final. 4/ Pour toi, ces espaces sont appropriables durablement ou éphémères dans le temps ? Pour ce que j’ai en tête, ce sont des choses éphémères dans leur durée propre mais leur modèle va durer dans le temps. Genre tout le monde fera des petites soirées avec un groupe de potes et tout. C’est quelque chose qui va durer. Après pour des espaces un peu plus physiques, je pense qu’il y a besoin que ça soit plus poussé dans le futur, et là ducoup ça serait plutôt comprendre le queer comme quelque chose de plus inclusif je dirais, que ce soit pour les personnes LGBT mais je pense que c’est valable pour tout le reste, genre les personnes à mobilité réduite, etc. Donc y’a tout ça qui participe à requestionner l’espace urbain, que ce soit les bâtiments et même l’espace public en général. Et puis après ouais il faut que ça soit le plus inclusif possible et ça pour moi ça doit être penser donc pour le futur. 5/ Quels adjectifs poserais-tu sur ces endroits ? Le premier auquel je penserais c’est quelque chose comme chaleureux. Je pense que c’est quelque chose où on doit se sentir bien. C’est encore lié à l’inclusivité genre c’est un endroit où on se sens à l’aise. C’est quelque chose qu’on peut ressentir à pleins d’endroit différents et en fonction des individus ça varie. Mais c’est le premier terme qui est important. J’aurais tendance à dire joyeux. Tous les termes auxquels je pense sont en rapport avec le fait d’être ouvert et de pouvoir accueillir les gens de manière assez positive.

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6/ Est-ce que ce sont des espaces exclusifs aux personnes queer ou pas ? Que préfères-tu pour te sentir le plus à l’aise ? Je pense que c’est une coexistence des deux. Je pense que pour certaines personnes, si on prend le mot queer au sens large on peut prendre les minorités de genre… Les espaces exclusifs, en non-mixité ça peut être cool pour que les personnes se sentent bien. Après le but est quand même, d’après moi, d’aller vers un objectif , c’est pas une fin en soi. C’est un espace ou on se sent bien et où on peut échanger pendant un moment mais ça doit aller de paire avec une transformation sociale plus profonde ou il n’y aurait plus besoin d’avoir ce repli sur soi, cet entre-soi qui est bénéfique pendant un moment mais qui est aussi révélateur d’une souffrance un peu plus grande et du fait de ne pas être accepter par la société. Les espaces exclusifs ont une durée de vie à court terme si on est optimiste et le but c’est quand même l’inclusivité. Donc l’inclusivité c’est que ce soit ouvert. 7/ Quand tu es au milieu de ces espaces qui ne sont pas fait pour toi, comment est-ce que tu repères un endroit où tu te sentiras plus en sécurité ? De mon point de vue c’est très lié à la sexualité, fin, pas en tant que telle mais à l’orientation sexuelle et à la communauté LGBT. Je pense que ce qui est caractéristique c’est.. Déjà y’a des prénotions. Comment on conçoit tel ou tel lieu, si on va si sentir bien, si on sait que c’est mal fréquenté, je pense que c’est un élément déterminant. Après y’a aussi l’ambiance, parce que parfois nos prénotions sont pas bonnes et on peut se tromper et en fait quand on est sur place on s’y sent bien. En terme de,.. sur la structure des lieux j’ai pas trop d’idées, j’avoue que faudrait plutôt s’intéresser aux choses qui sont considérées valides. Ce sont des approches sur des espaces ouvert mais pas non plus un open space du travail en mode on peut voir tout ce que font les autres.. Donc c’est de l’intime mais bienveillant et ouvert. Je pense que ça dépend sur quel horizon on se fixe. Le but c’est que le queer ne soit plus queer, que ça devienne une norme. Que la différente ne soit pas en marge, qu’elle soit un élément essentiel de la société. Le but c’est que ce soit visible justement et que ce soit quelque chose de saisissable par les personne. Et Pas secret un peu réservé à des groupes et pas à d’autres. Il faut pas que ça soit difficile d’accès. Je sais pas si l’accès visuel compte ou si c’est plutôt ce que ça porte comme message, valeurs pour les personnes en tant que tel. Parallèlement aux palais de justice construit aux 19ème siècle qui sont en hauteur et évoque une valeur, ils impressionnent, ça pose la question de ce qu’évoque un monument pour les gens qui passent. Et pas l’aspect… Fin c’est la perception que les gens en ont qui compte le plus. Je suis pas forcément à l’aise dans les bar. Y’a souvent des petits groupes déjà fait et c’est compliqué de s’intégrer. Donc j’y vais avec mes potes et ça rentre dans le cadre des groupes queer qui se déplacent et pas forcément d’un lieu défini comme queer. C’est quand même un grand vecteurs de rencontre mais c’est pas trop le mien. Mais si les espaces queer sont temporaires, pour un événement, ça interroge parce que si c’est un lieu qui change d’aspect pour un certain temps, on peut se demander si ça existe vraiment…

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Y’a un bar à Lyon, une coopérative, de l’autre côté du pont, qui peut être loué pendant un certains temps par des assos et l’autre fois y’avait une assos Queer qui l’avait louée pour la soirée et c’était devenu un espace LGBT pour un petit temps. La Pride c’est un lieu temporaire où on se réapproprie l’espace public pendant un moment, on revendique et puis on est visible. Y’a un coté un peu performatif à ce moment là où on accentue des traits qu nous différencie de la norme. Peut être qu’on se sent plus à l’aise de le faire à ce moment là mais je pense qu’il y a aussi un aspect qui est provoquant, revendicatif. Ducoup je sais pas si la manière qu’on a de se présenter dans des lieux Queer est la même que celle qu’on a tous les jours et sinon pourquoi on le fait. Est-ce que c’est parce qu’on revendique ou est-ce que c’est parce qu’on s’y sent tout simplement bien et libre d’être soi. Les Drag Queen c’est un peu particulier parce qu’il y a une histoire derrière. Maintenant avec Rupaul c’est devenu un peu plus mainstream et ducoup y’a peut être moins de justifications derrière. Y’a des gens qui font juste ça pour kiffer. Y’a un côté très libérateur de faire du drag et à propos de l’identité de soi. C’est vraiment parti de l’affirmation de soi. Y’a une drag queen de Lyon, Flora Davis, qui explique en quoi ça participe à ses questionnements. Et pour des personnes qui sont pas forcément binaires ou cis, ça permet de s’habituer à exister en tant que chose non catégorisée et après pouvoir se lancer dans la vie en se disant, ok ce que je ressens quand je suis sur scène sans me mettre dans une case, je peux peut être l’appliquer dans la vie de tout les jours.

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RÉSUMÉ

Ce rapport d’étude porte sur la question du genre dans l’espace public. Je me questionne à propos d’une pensée dominante qui fabrique un certain type d’espace pour un genre et un type de corps en particulier ainsi que sur la capacité d’un tel système à engendrer une certaine forme d’appropriation de l’espace. Découpé de manière binaire entre le genre féminin et masculin, l’espace public est conçu selon une pensée dominante masculine limitant ainsi l’appropriation des lieux par les minorités de genre. Ces dernières ne vivent pas de la même manière les espaces et développent des façons de se déplacer afin de se protéger des discriminations et des potentielles agressions. La théorie Queer tente de remettre en question le récit qui a forgé notre pensée de concepteur·ice depuis plusieurs siècles afin de pouvoir ensuite rendre possible d’autres imaginaires. Les théoricien·nes Queer se situent volontairement dans une réflexion horsnorme afin de briser les binarismes qui censurent certaines formes d’existences.

ABSTRACT

This study focuses on the issue of gender in the public space. I wonder about a dominant thought that makes a certain type of space for a particular type of body as well as the ability of such a system to create a certain form of appropriation of space. Divided in a binary way between the feminine and masculine gender, public space is designed according to a masculine dominant thought limiting the appropriation of places by gender and sexual minorities. The latter do not live in the same way spaces and develop ways of moving in order to protect themselves from discrimination potential aggression. Queer theory attempts to challenge the narrative that has shaped our thinking as a designer for centuries in order to make other imaginary possible. Queer theorists are deliberately placed in an out-of-the-ordinary reflection in order to break down the binarisms that censor certain forms of existence.

RESUMEN

Este informe de estudio aborda el tema del género en el espacio público. Interrogo un pensamiento dominante que crea cierto tipo de espacio para un género y un tipo de cuerpo en particular, así como sobre la capacidad de este sistema para generar cierta forma de apropiación del espacio. Dividido de manera binaria entre el género femenino y masculino, el espacio público es concebido según un pensamiento dominante masculino que limita así la apropiación de los lugares para minorías de género. Estas no viven de la misma manera los espacios y desarrollan formas de moverse para protegerse de discriminaciones y de agresiones posibles. El pensamiento Queer trata de volver a pensar la narrativa que ha forjado nuestro pensamiento de diseñadorxs desde hace varios siglos para luego poder hacer posible otros imaginarios. Los teóricxs de Queer se sitúan voluntariamente en una reflexión fuera de norma para romper los binarismos que censuran ciertas formas de existencia.

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MOTS-CLÉS VILLE – ESPACE PUBLIC – GENRE – QUEER – CORPS – NORMATIVITÉ – HORS-NORME APPROPRIATION DE L’ESPACE

KEYS WORDS CITY – PUBLIC SPACE – GENDER – QUEER – BODY – NORMATIVITY – OUT-OF-THE-ORDINARY – APPROPRIATION OF SPACE

PALABRAS CLAVES CIUDAD - ESPACIO PÚBLICO - GÉNERO - QUEER - CUERPO - NORMATIVIDAD – FUERA DE NORMA - APROPIACIÓN DEL ESPACIO

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