jesuys crystiano a contrario

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extrait du catalogue


christian berst art brut présente presents jesuys crystiano a contrario

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christian berst avant-propos thilo scheuermann préface manuel anceau concerto pour serpent et orchestre texts in english œuvres works


christian berst avant-propos


Sans aucune certitude quant à son état civil, pas même si ce nom était bien le sien. Un tribunal administratif décrétera qu’il était né en 1950, alors que lui-même n’évoquait guère son passé, pas plus que sa famille. Ce cœur simple a néanmoins produit des œuvres parmi les plus énigmatiques de l’art brut brésilien, à l’instar de celles d’un Albino Braz ou d’un Bispo do Rosario. Les rues du quartier déshérité de Malhado étaient devenues son refuge depuis les années 90, tandis que les murs accueillaient ses fresques charbonnées et que les habitants partageaient avec lui le peu qu’ils possédaient. Avait-il été, comme il le prétendait, tourneur sur bois à Rio de Janeiro ?

jesuys crystiano : a contrario

Si la seule chose qui ne s’épuise pas avec le temps, c’est le mystère, l’œuvre comme la vie de Jesuys Crystiano paraissent pouvoir nous résister pour l’éternité. Néanmoins, si loin, et pourtant si proches, ces dessins charrient les bribes d’une existence dont la course s’est achevée à Atibaia, São Paulo, en 2015.

C’est très probable, car l’emplacement de la menuiserie dans laquelle il aurait travaillé avait pu, grâce à ses indications, être retrouvé. Celle-ci lève peut-être un pan du voile sur l’un de ses thèmes de prédilection puisqu’elle se situait très exactement sous un couloir aérien d’où Jesuys aurait pu assister au ballet incessant des avions. On l’imagine dès lors, la tête renversée, scrutant l’azur en quête d’évasion. Est-ce la raison pour laquelle – rétif à toute norme il s’évertuait à mettre le monde à l’envers ? Avait-il, lui aussi, rompu avec les conventions après avoir traversé un miroir mental ? La pratique fiévreuse de son art était désormais encouragée par Thilo Scheuermann,

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thilo scheuermann préface

hôtelier allemand installé au Brésil, il a découvert en 2011 les œuvres tracées par jesuys crystiano sur les murs du quartier pauvre de Malhado à Ilhéus et a pris soin de lui jusqu'à sa mort en 2015.


Antônio, Crystiano et moi étions assis en face d'une poignée d'infirmiers et de médecins de l'hôpital régional d'Ilhéus le matin du 5 octobre 2011. Les murs sans fenêtre étaient peints d'un bleu pâle et fané. Des néons diffusaient une lumière froide. Le flux d'air sous le ventilateur inerte était à peine perceptible dans l'air étouffant.

Antônio vivait alors dans une petite rue latérale de l'avenue Esperança d'Ilheens, où Crystiano dormait sous un escalier extérieur. Il m'avait donc appelé ce matin-là, pour me demander de le conduire à l'hôpital d'où Crystiano devait sortir. Deux semaines auparavant, celui-ci avait été admis pour cause d'intoxication alcoolique. Quelqu'un l'avait malmené dans les bars du quartier et lui avait fait boire de l'alcool jusqu'à ce qu'il tombe dans le coma. Après avoir dégrisé, Crystiano avait été transféré dans le service psychiatrique.

photographiés. Des voisins m'ont finalement demandé si je le connaissais et me l'ont présenté : un homme maigre, de petite taille, aux vêtements en haillons.

Les médecins ont clairement indiqué que l'hôpital n'était pas un établissement de soins pour les longs séjours. Crystiano devait retourner d'où il venait, car sans papiers d'identité, il n'avait pas droit aux soins. Mais comment pouvait-il survivre dans son état mental ? Qui pouvait exiger, au vu des dangers, qu'il retourne dans la rue et se nourrisse du peu que les voisins d'Antônio pouJ'avais découvert Crystiano en 2010, à tra- vaient lui fournir ? Ce matin-là, j'ai décidé vers ses grands dessins au fusain sur les de ramener Crystiano chez moi. Ma femme, murs du quartier de Malhado et que j'avais très généreuse et pleine de sollicitude a

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manuel anceau jesuys crystiano concerto pour serpent et orchestre

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enseignant et écrivain. Il s’intéresse très tôt à l’art brut et a collaboré à de nombreux projets en rapport avec ces artistes comme Rouge ciel, un essai sur l’art brut, film de Bruno Decharme (2009), Adolf Wölfli: Creator of the Universe (2013), postface de Ruines de Perrine Le Querrec (2017), notices du Livre des livres d'art brut (2022), d'essais pour la galerie christian berst art brut, etc.


"Le Brésil est un pays trop chaud où la nature mangera un jour les fragiles décors surélevés dont l'homme essaie de s'entourer. Les termites vont dévorer les gratte-ciel, tôt ou tard, les lianes vierges bloqueront les autres et la vérité du Brésil éclatera enfin."

Albert Camus (in Lettre à René Char, août 1949).

Ici d’emblée souffle un vent venu d’on ne sait quel large, tordant comme à plaisir les branches des arbres, les bras des singes, les ailes des avions-cargos, aussi bien que les nez et les oreilles d’hommes tantôt nuages tantôt rochers, à la bouche comme des becs, où s’enfoncent de longues pipes, tandis que les bateaux ont allure de lamantins, et que les horloges sont des tambours, aux aiguilles immobiles, bien sûr, de ne pas être des aiguilles – mais des baguettes de tambour. Tout un monde connu, je veux dire peu ou prou reconnaissable s’exhibe dans ces dessins, mais comme rendu à une plasticité première : un monde de verre soufflé, dont les formes, bien qu’au risque, parfois, de la rupture, de la brisure fatale, parviennent à

convaincre l’œil, sans plus d’argument, que ce monde-là, où les chèvres caracolent sur les avions, où les microphones et les vases sont aussi hauts que des tours, où des arbres, monstrueux insectes, engluent, telles des mouches, des aéronefs patentés, quoique, pour certains, dotés d’une langue comme les serpents – pour ne lister que les plus évidentes dilatations (autant, ballons gonflés à l’hélium, d’objets et de créatures libres de toute pesanteur) : que ce mondelà existe bel et bien. Et s’il existe c’est, avant tout, je crois, par sa cohérence : rien de moins capricieuse qu’une bizarrerie aussi calculée, aussi obstinée à faire subir à toute chose le même sort. Par ces traits de crayon, aussi secs, et sûrs de leur effet que

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foreword christian berst


If it can be said that the only thing that does not wear out with time is mystery, the work and life of Jesuys Crystiano seem to be bound for all eternity. Nevertheless, so far away, and yet so close, these drawings carry the snippets of an existence whose journey ended in Atibaia, São Paulo, in 2015 – without any certainty as to his civil status, or even if the name really was his. An administrative court decreed that he was born in 1950, while he himself hardly mentioned his past, nor his family. This simple heart nevertheless produced some of the most enigmatic works of Brazilian art brut, akin to the likes of Albino Braz or Bispo do Rosario.

it was located directly in the path of an air corridor from where Jesuys could have witnessed the planes’ incessant ballet.

We can imagine him, his neck craned upwards, scanning the sky in search of escape. Is this the reason why, in his pathological resistance to norms, he strove to turn The streets of the inner-city Malhado neigh- the world upside down? Had he, too, broborhood had become his refuge since the ken with convention after passing through 1990s – its walls serving as canvases for a mental looking glass? The feverish prachis charcoal murals – while the inhabitants tice of his art was now encouraged by Thilo shared with him the little they had. Had he Scheuermann, the Brazil-based German been, as he claimed, a wood-turner in Rio hotelier who took him under his wing and de Janeiro? This is very likely, because the gave him a home for the last five years location of the carpentry shop in which he of his life. Between them, an unchanging would have worked could be found as per ritual had taken place. In the morning, Jehis indications. This perhaps partly lifts the suys drank a glass of milk while getting to shroud on one of his favorite themes, as work on a sheet of paper that he brought it

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sans titre untitled, 2013. crayon de couleur, graphite, stylo à bille et collage sur papier, 42 x 59.5 cm. coloured pencil, graphite, ballpoint and collage on paper, 16.5 x 23.5 in.


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sans titre untitled, 2013. crayon de couleur et collage sur papier, 41.8 x 67.3 cm. coloured pencil and collage on paper, 16.5 x 26.5 in.


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jesuys crystiano : a contrario

dessin au fusain de Crystiano sur un mur du quartier pauvre de Malhado à Ilhéus. charcoal drawing by Crystiano on a wall of the poor district of Malhado in Ilhéus.

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sans titre untitled, 2013. crayon de couleur et collage sur papier, 41.8 x 67.3 cm. coloured pencil and collage on paper, 16.5 x 26.5 in.


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[...] Art took him on an excursion to antagonistic – yet dreamlike lands – and thus capable of transfiguring and transmuting the most acute of sufferings. [...] christian berst

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[...] L’art l’emmenait en excursion dans des contrées certes antagonistes, mais oniriques, donc capable de transfigurer, de transmuter les souffrances les plus aiguës. [...] christian berst

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sans titre untitled, 2014. graphite sur papier, 42 x 59.5 cm. graphite on paper, 16.5 x 23.5 in.


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sans titre untitled, 2014. graphite et stylo à bille sur papier, 41.8 x 59.4 cm. graphite and ballpoint on paper, 16.5 x 23.25 in.

sans titre untitled, 2012. graphite et stylo à bille sur papier, 41.8 x 59 cm. graphite and ballpoint on paper, 16.5 x 23.25 in.


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