extrait du catalogue
christian berst art brut présente presents joaquim vicens gironella paradis perdu
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christian berst avant-propos guillaume oranger essai texts in english œuvres works
christian berst avant-propos
En ouverture du catalogue qui accompagnait l’événement, un Dubuffet subjugué écrivait : « Cette chair organique où il porte la main – c’est l’arbre et la forêt qui parlent dans ces lièges – excitent apparemment l’artiste à des associations d’idées sur un fil poétique, voire le jettent dans une espèce de fiévreux délire. Le mouvement de ses créations est signé d’Espagne : tempétueuse danse, brutale véracité, grotesque tragique, respect de la laideur, érotisme philosophique et grave, sang et mort ». En effet, cet ouvrier liégeur catalan exilé à Toulouse après la victoire de Franco, avait mis sa compétence professionnelle au service d’un déploiement de créativité sans ambages. Sous ses doigts experts, ses bas-reliefs et ses sculptures en liège
joaquim vicens gironella paradis perdu
En 1948, Joaquim Vicens Gironella (1911-1997) fut, après Adolf Wölfli, la deuxième grande figure de l’art brut qu’André Breton et Jean Dubuffet choisirent d’exposer au sein du pavillon mis à leur disposition par Gaston Gallimard dans les jardins de sa maison d’édition.
s’étaient mis à raconter aussi bien les ferveurs sacrées que les suavités profanes de sa Catalogne natale. Les deux mêlées quelquefois, comme entrelacées, dévoilant l’étonnant lignage entre l’art roman catalan et le surréalisme. En artiste, il honorait en premier lieu les propriétés qu’avait cette écorce mordorée à rivaliser avec la statuaire la plus aristocratique. Et, selon qu’il la polissait ou en conservait les rugosités, il nouait un pacte avec la lumière pour nous émouvoir à tous les coups. Sans occulter que - derrière la jubilation perceptible de celui qui écrivait à Dubuffet « j’ai refusé toute leçon » - affleurait, ça et là, la mélancolie de l’exil, la nostalgie de son paradis perdu. 7
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joaquim vicens gironella paradis perdu
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C’est pourquoi, à l’heure où l’art brut gagne ses lettres de noblesse, et tandis que la chance de découvrir de tels ensembles historiques décline à mesure, nous sommes particulièrement heureux - quinze ans après la première exposition qui nous lui avions consacrée - d’honorer à nouveau le talent de ce maître avec un ensemble caractéristique de son art allant des années 1950 jusqu’à la veille de sa disparition.
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guillaume oranger essai
Formé en histoire de l’art contemporain à La Sorbonne, où il a étudié sous la direction d’Arnauld Pierre deux voies empruntées par la peinture au sortir du modernisme (le geste chez Pierre Soulages, puis le langage chez Jonathan Lasker), Guillaume Oranger compare désormais les excès formels du sculpteur Arman et de l’écrivain Claude Simon — tous deux ayant commencé peintres — sous la supervision de Catherine Brun. Critique d’expositions, pour artpress notamment, il a intégré la galerie à l’été 2022.
La racine a beau tout ignorer des fruits, il n’empêche qu’elle les nourrit. Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses, XXXVIII, 1955-1966 [1898]
Pour une plante, se comporter revient avant tout à croître. Quentin Hiernaux, Philosophie du végétal, « Introduction générale », 2021
L’arbrisseau a une particularité notable : dépourvu du tronc qu’ont arbres et arbustes et qui préside chez eux à tout embranchement, lui n’est que racines, feuilles, fruits et fleurs peut-être mais surtout rameaux, allant sans délai du sol au ciel, et parfois tous azimuts. De la terre à l’air presque immédiatement, comme empressés. Joaquim Vicens Gironella, né en 1911 près de Gérone et mort à Toulouse en 1997, était évidemment de ce bois : dès ses premières années il célébrait en poèmes et dans une publication locale de sa Catalogne natale les nombreux pouvoirs du liège. Largement exploités par les
hommes de la région (parmi lesquels était son père, artisan liégeur dont Joaquim prit rapidement le métier), ils demeurent inconnus – insoupçonnés, ignorés ? – de la grande sculpture, qui leur préfère les voies minérales et ferreuses de son canon historique ou les promesses d’objets et matériaux nouveaux. Gironella fils, après un exil en France que force en 1939 la victoire de Francisco Franco, entame pourtant « à l’usine, en cachette et en trichant le patron1 » l’endurant travail d’une matière aérée mais capricieuse. Couverte d’accidents, de ces humbles ponctuations du sort que sont bosses et trous, relief et vide.
1. C’est ce qu’il déclare à Jean Dubuffet dans une lettre qu’il lui adresse le 4 octobre 1948.
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foreword christian berst
In 1948, Joaquim Vicens Gironella (1911-1997) became, after Adolf Wölfli, the second major art brut artist to be exposed by André Breton and Jean Dubuffet in the pavilion that Gaston Gallimard provided them in the garden of his publishing house.
An enthralled Dubuffet wrote in the introduction of the exhibition catalogue: “This living material, this organic flesh he manipulates – we can hear trees and forests utter through the cork – seem to stir the artist into poetic litanies, even sending him into wild delirium. The movement of his creation is Spanish: a frenzied dance, a brutal veracity, the tragically grotesque, a reverence to ugliness, alongside grave, philosophical eroticism, blood, and death.”
to the profane sensuousness of his native Catalonia, sometimes fused together in a demonstration of the surprising filiation of Catalonian Romanesque art and Surrealism. As an artist, the way he honored of this tawny cork’s qualities could rival with the most aristocratic of sculptural art. Whether he polished it or preserved its roughness, he was forging a bewitching pact with light.
His intricate cork sculptures and bas-reliefs gave flesh both to the sacred devotion and
Such historical collections are getting scarcer and scarcer, in opposition toart brut’s
Behind the perceptible jubilation showed, here and there, the melancholy of exile, the The Catalan cork worker, who exiled him- nostalgia of a paradise lost by the one who self to Toulouse following Franco’s victory, wrote in a letter to Dubuffet: “I rejected all applied his skills to unfettered creativity. the lesson”.
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le pardon forgiveness, c. 1975. sculpture sur liège sculpture on cork, 51 x 32 cm.
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leviogravure, c. 1975
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© philippe assalit / louis michel vicens
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le jardin des oliviers the olive trees garden, 1966. sculpture sur liège sculpture on cork, 36 x 41 cm.
le bucheron et le nid the woodcutter and the nest, c. 1970. sculpture sur liège sculpture on cork, 34 x 25 cm.
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[...] As an artist, the way he honored of this tawny cork’s qualities could rival with the most aristocratic of sculptural art. Whether he polished it or preserved its roughness, he was forging a bewitching pact with light. [...] christian berst
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[...] En artiste, il honorait en premier lieu les propriétés qu’avait cette écorce mordorée à rivaliser avec la statuaire la plus aristocratique. Et, selon qu’il la polissait ou en conservait les rugosités, il nouait un pacte avec la lumière pour nous émouvoir à tous les coups. [...] christian berst
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correspondance entre Jean Dubuffet et Joaquim Vicens Gironella correspondence between Jean Dubuffet and Joaquim Vicens Gironella
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joaquim vicens gironella dans son atelier en 1989 devant l'œuvre Esprit du vieux chateau 2
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