Édition Décembre 2013

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le polemique

Décembre 2013

Volume 32 - Numéro 2

DEMOCRATIE EN CRISE dossier en page 4

EXPAT

CHRONIQUES

ART & CULTURE

POLEMIQUE DU MOIS

Journal etudiant du departement de science politique et etudes internationales


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EDITORIAL

CHRONIQUES

La fatalité des ascenceurs de Lionel-Groulx

Le nouveau visage de Detroit Alexia Ludwig

Rose Chabot, Clara Déry et Gabriella Stien

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’est comme un moment de vide qui arrive parfois très vite, trop vite. Comme une bourrasque de vent en sortant de Jean-Brillant. Mais parfois pas. Parfois, on l’attend longtemps, trop longtemps. Comme les ascenseurs de Lionel-Groulx. Cependant, il existe une différence fondamentale entre le fait d’attendre l’ascenseur de Lionel-Groulx et celui d’attendre la mort. Qu’on l’espère ou qu’on la craigne, on ne peut pas s’impatienter et décider d’emprunter les escaliers qui, même s’ils rappellent un bunker de la Seconde Guerre, abrègent cette attente qui semble durer des siècles... la mort n’a pas de raccourci. Du moins, aucun raccourci légal et socialement accepté. Imprévisible, si elle prend parfois par surprise, elle peut aussi être très patiente. Surtout quand on est sous la morphine, substance qui, à petite dose, éloigne du monde réel et conduit vers un gouffre dans lequel douleur n’existe plus. Bref, on attend l’ascenseur. Quand il finit par arriver, on s’y entasse avec tous ceux et celles qui, comme nous, l’attendent depuis longtemps. Au premier étage, les gens ont le regard plein d’espoir. Ils ont choisi le forfait A: pots de bébés, dessins au crayon de cire, exclamations bourrues des nouveaux grands-parents, qui viennent d’acquérir ce qui deviendra l'objet de leurs dépenses les plus folles. Bienvenue en obstétrique. Bouffée de bonheur. Étage 2, 3, 4, 5… Puis on atteint le dernier étage. La même odeur de couche; ça semble normal. On vous informe du forfait Z : c’est habituellement le dernier des choix…mais le Jello est inclus! Intéressant. Là-bas, on y trouve des gens qui, conscients ou non de leur situation, sont dans

les derniers moments de leurs vies. Condamnés à y rester, jusqu’à la fin. Bienvenue en soins palliatifs. Vous l’aurez compris, nous sommes au dernier étage de l’hôpital; aucune possibilité d’aller plus haut ou de changer d’étage. Terminus. Alors, on attend. Doucement, on sent le monde revenir à nous; cette douleur qui semblait s’être volatilisée tranquillement se réinstaller, les néons, les respirations, la friction des souliers sport des infirmiers sur la céramique blanche. Dans les moments de lucidité, on observe. C’est l’heure de la dose; la 8ème de

«Les plus sceptiques craignent l’apparition d’une industrie de la mort» la journée, peut-être la 9ème. On pense comprendre pourquoi; c’est bientôt la fin. C’est là que s’installe l’abandon, le sentiment d’avoir suffisamment vécu. Le sentiment que peut manifester un être humain lorsqu’il n’en peut plus, lorsque son épuisement est tel qu’il se résigne à l’idée que quelqu’un a probablement plus besoin du lit que lui, en fin de compte. Lorsqu’il se dit que la 9ème ou la 10ème dose de morphine de la journée, qui inévitablement fini par accomplir son devoir étymologique ultime, était sans doute justifiée. La société québécoise est actuellement aux prises avec un système de santé plus que surchargé qui subit les impacts d’une population vieillissante, dans lequel le manque de ressources, de lits et de personnel médical se fait criant. C’est dans ce contexte que le département des soins palliatifs peut facilement être associé à une entreprise dans laquelle on loue

un lit pour une période déterminée, en fonction de l’offre et la demande dans le marché des personnes âgées... Cette situation mène à croire que les toutes dernières doses, fatales et possiblement prématurées que reçoivent de nombreux patients en soins de fin de vie ne sont peut-être pas accidentelles. Erreurs médicales, dit-on. Si le projet de loi «mourir dans la dignité» déposé le 12 juin dernier devant à l’Assemblée Nationale reçoit un appui certain au sein de la population, il ravive aussi du même coup de sérieuses inquiétudes de la part des opposante-s. Les plus sceptiques craignent l’apparition d’une industrie de la mort dans laquelle une porte reste grande ouverte aux débordements, où les victimes d’abus seraient sans défense face à un entourage mal intentionné et une lourde bureaucratie. Pourtant, voilà la réflexion à laquelle nous sommes arrivées: cette industrie de la mort, n’existe-t-elle pas déjà? Si on revient aux ascenseurs de Lionel-Groulx et aux derniers étages d’hôpitaux, ne sont-ils pas déjà habités d’un certain manque d’humanité? À partir de quel moment l’attente, dans le cas des ascenseurs, ou la vie, dans le cas des soins palliatifs, passe-t-elle de réelle à artificielle, de raisonnable à inhumaine, de tolérable à insoutenable? Comment la dignité d’une mort s’institutionnalise-t-elle, se légifère-t-elle? Souhaite-t-on être conscient de sa mort, pour pouvoir la dire digne? Ce mois-ci, le Polémique vous pose la question suivante : «pour ou contre le projet de loi "mourir dans la dignité" du Parti Québécois?»

Équipe du Journal Rédaction en chef : Rose Chabot, Gabriella Stien et Clara Déry Mise en page : Rose Chabot, Lydia Képinski, Gabriella Stien, et Clara Déry. Coordonnateur à la correction: Mohamed Merhi Correction : Lara Bouvet, Clara Déry, Alexia Ludwig, Mohamed Merhi, Charlotte Plancquaert, Mélanie Radilla

Illustrations : Lydia Képinski et Blanche Moisan-Méthé Journalistes : Gabriel Arruda, Anaïs Boisdron, Lara Bouvet, Guillaume Freire, Arielle Grenier, Dragos Leach, Thibault Le Verre, Nicolas Lavallée, Alexia Ludwig, François Robert-Durand, Gabriella Stien, Doriane Thiffault-Lajeunesse et Alan Volant. Impression: Service d'impression de l'Université de Montréal

Pour nous joindre: journalpolemique@gmail.com

* Il est à noter que le masculin est utilisé de façon générale afin d’alléger le texte, et qu'il relève du choix de l'auteur. Le féminin est, bien sûr, implicite.

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aillite.

Tel est le mot préféré des médias pour qualifier la ville américaine Détroit depuis qu’elle a été officiellement déclarée ainsi en juillet dernier. Retour sur l’histoire économique de la ville. Fondée en 1701, elle doit son nom au français Antoine de LamotheCadillac. Pour l’anecdote, c’est en son hommage qu’une firme automobile fut baptisée du même nom. Au début du XIXe siècle, Détroit devint un lieu incontournable du transport fluvial du fait de sa proximité avec les Grands Lacs et le canal Érié. Un siècle plus tard, les pionniers des véhicules à moteur tels Ford, Dodge ou Chrysler s’installèrent à Détroit et en firent la capitale mondiale de l’automobile. La croissance économique de la ville provoqua au fil des années une importante expansion démographique qui engendra à son tour des problèmes d’insalubrité et des tensions raciales. Cette mauvaise réputation précipita le départ des familles plus aisées et le déclin économique s’amorça en réponse à la décentralisation progressive du secteur de l’automobile. En 2007, la crise des subprimes, prêts risqués principalement consentis par les ménages à faible revenu, n’arrangea en rien la situation économique : le taux d’intérêt des prêts augmenta et les emprunteurs devinrent incapables de rembourser leurs dettes.

Au contraire, nombreux se donnent le défi de redresser la ville par leurs propres moyens. Ce « Do It Yourself » prolifère à travers les quartiers et dans de multiples pans de l’économie tout en attirant des acteurs économiques originaires des quatre coins du monde. L’initiative la plus probante est l’agriculture

«Détroit rime avec désarroi, mais également avec recroît»

urbaine soutenue par des associations comme Grow in Detroit. De plus, de grandes entreprises des NTIC comme Compuware ou Twitter s’installent à Détroit et y créent des emplois.

À l’instar de The Heidelberg Project, des artistes redonnent de la gaité à la ville grâce à l’art de rue. En plus d’améliorer le quotidien des habitants, ils attirent les touristes et participent au renouveau économique. D’autres réhabilitent des bâtiments en tout type de commerces: épiceries, restaurants, bars, imprimerie, etc. Finalement, même les plus jeunes gardent espoir : à 17 ans, Sawyer Altman a créé une boisson énergisante entièrement fabriquée à Détroit. Il est certainement encore tôt pour dire que la ville est redevenue économiquement viable, toutefois les différentes initiatives sont plus qu’encourageantes et doivent être saluées. Une leçon à retenir dans tout cela? Bannissons le pessimisme de notre quotidien et faisons plus de place à l’optimisme, car cette force mentale est un atout précieux notamment en période difficile.

De fait, les expropriations se multiplièrent, vidant un peu plus la ville de ses habitants. Avec 9 % de chômeurs en août dernier, l’État du Michigan avait le quatrième plus haut taux de chômage des 51 États américains. Cependant, si beaucoup se souviennent de Détroit comme ancien fleuron de l’industrie automobile, la génération actuelle a pu découvrir la ville en musique. Souvenez-vous d’Eminem. Détroit vit grandir ce célèbre rappeur blanc à l’adolescence difficile, notamment en raison de sa couleur de peau. En 2011, il réalisa Letter to Detroit, une courte vidéo que je vous invite à visionner et dans laquelle il honorait la résistance des fidèles détroitiens quant au déclin les touchant : ces derniers n’attendent plus l’aide promise qui peine à se faire ressentir. Illustration: Blanche Moisan-Méthé


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DEMOCRATIE EN CRISE

Entrevue avec Normand Marinnacci

Les crises européennes

Maire de l'arrondissement Île-Bizard/Sainte-Geneviève

élanie Joly, chef de l’équipe Mélanie Joly, était loin dans les sondages au mois d’août, mais elle a rapidement séduit les Montréalais-e-s par sa fraîcheur, son acharnement et sa détermination. La jeune candidate a récolté plus du quart des votes. Malgré ce fort pourcentage, il n’y a eu que quatre élu-e-s sortant-e-s. Entretien avec l'un d'entre eux, le maire de l’arrondissement Île-Bizard/Sainte-Geneviève, Normand Marinnacci.

Propos recueillis par Gabriella Stien

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ous avez déjà été élu maire de L’ÎleBizard de 1999 à 2002. Qu’est-ce qui vous a motivé à poser votre candidature lors des dernières élections? M. Bélanger, l’ex-maire de l’arrondissement appartenant au parti Union Montréal à l’époque, a été la cible de plusieurs révélations faites devant la Commission Charbonneau. Sa réputation a donc été entachée. Plusieurs résidents m’ont fait part de leurs inquiétudes et m’ont demandé si j’étais intéressé à me porter candidat. Finalement, après mûres réflexions, je me suis lancé en campagne.

Et pourquoi avoir choisi l’équipe Mélanie Joly? En toute franchise, j’ai pris un risque lorsque je me suis rallié à l’équipe Mélanie Joly. Au départ, je songeais à me présenter en tant qu’indépendant. Pourtant, je me suis intéressé à son programme. J’ai pris contact avec son organisateur de campagne, Jean Fortier, et je l’ai rencontrée. J’ai été séduit par son plan d’action, sa détermination, sa persévérance et son côté humain. De plus, elle s’est impliquée dans sa communauté, ce qui est important quand on poursuit une carrière en politique municipale.

Pourquoi représentait-elle un risque? Mélanie Joly était jusqu’à tout récemment inconnue du public. Au début de la campagne, les grands journaux portaient leur attention sur Marcel Côté, Richard Bergeron et Denis Coderre. Par la suite, elle a monté dans les sondages et les médias n’avaient plus le choix que de l’inclure dans les débats. De plus, Mélanie Joly est jeune et ne possède aucune expérience dans le domaine municipal, ce qui la discrédite selon certains. Quels ont été les points forts qui l’ont propulsée dans cette campagne? Avant tout, on formait certainement une petite équipe, mais elle était soudée et efficace. Je me suis beaucoup investi dans cette campagne; j’ai soutenu et j’ai cru en Mélanie Joly. C’est une femme très acharnée. Elle serrait beaucoup de mains et se présentait à des évènements. Elle a réalisé, sans aucun doute, une campagne sur le terrain. Je pense que les gens ont accroché à sa personnalité et à sa détermination d’incarner le vrai changement. Les pancartes électorales ont également retenu l’attention des Montréalais par les couleurs et le slogan « Le vrai changement pour Montréal ». Finalement, Mme Joly n’a pas un grand passé politique ce qui l’exclut de toutes allégations.

Quelles sont vos priorités et celles de votre parti? Notre priorité est celle des Montréalais. Il faut améliorer les transports en commun et les infrastructures routières. Nous voulons faire preuve de transparence et lutter contre la corruption. Dans l’arrondissement Île-Bizard/ Sainte-Geneviève, je planifie de maintenir et de préserver le caractère champêtre de la municipalité en augmentant les espaces verts et en imposant plus de restrictions sur le zonage résidentiel.

Dragos Leach

P

lus qu’une crise économique, l’Europe a vu un malaise social prendre de l’ampleur, et ce, depuis 2008. Il est ici question de l’importante montée de l’extrême droite ainsi que du discours ultra-nationaliste en Europe. À première vue, il serait facile de pointer du doigt les pays qui ont eu le plus à perdre durant la crise économique, nous pensons vite à la Grèce et à l’Espagne, mais le problème est de toute autre nature. Outre le fait que ces deux pays ont un modèle administratif clientéliste qui fait en sorte que la fonction publique n’est pas peuplée de fonctionnaires méritocratiques, ces deux États-membres de l’Union Européenne (UE) ont des taux de chômage de 29,8% et 26,4% respectivement en date du 1er juillet 2013 . Suite aux impacts de la crise, la mise en œuvre de politiques d’austérité n’a fait qu’allumer les sentiments nationalistes à travers l’Europe entière. Que l’on soit en France, en Grèce, ou même en Allemagne, on remarque une certaine similitude dans les discours populaires lorsqu’on demande aux gens à qui doit revenir l’entière responsabilité des situations difficiles qu’ils vivent. Dans presque tous les cas, on vise principalement les immigrants et l’UE.

Le maire Marinacci et Mélanie Joly. Crédit photo: The Gazette

L’Union européenne a été basée sur une construction communautaire économique qui, suite au traité de Maastricht en 1992, est devenue également une union politique, sans toutefois que les gouvernements communautaires soient des gouvernements supranationaux. Les intérêts nationaux ont toujours été un grand obstacle à l’intégration communautaire. Compte tenu de cela ainsi que

du fait que les pouvoirs de l’UE en matière économique se retrouvent dans les mains de la Banque Centrale Européenne (BCE), les institutions politiques de l’UE n’ont pas été en mesure de répondre efficacement à la crise puisque la BCE est indépendante. Outre le fait que l’UE est une organisation très complexe à comprendre pour le simple citoyen, la lente réponse de l’UE à la crise a fait en sorte que les gens à travers l’Europe se sont repliés sur leurs intérêts égoïstes. Ce phénomène s’est surtout développé dans les pays les plus en difficulté.

« (...)l’importante crise de l’Europe aura secoué les populations dans leurs sentiments nationaux» La crise économique de 2008 est la pire subie par la construction politique communautaire européenne depuis sa création. En réaction à celle-ci, on constate une augmentation des sentiments nationalistes et une montée des partis de l’extrême droite dans de nombreux pays européens. Pour vous rappeler quelques exemples, nous n’avons qu’à penser au Front national en France avec leur présidente, la colorée Marine Le Pen ; à Andres Breivick en Norvège (il est un cas spécial, mais il a toute de même profité de la macabre tribune qu’il s’est construite dans les médias mondiaux pour diffuser son message extrémiste et sont incitation à la violence envers les immigrants)

; au Parti national-démocrate en Allemagne qui prône haut et fort sur la place publique que les immigrants sont responsables des crimes et des viols commis dans le pays et, plus récemment, nous n’avons qu’à penser au parti néo-nazi, l’Aube dorée en Grèce. La montée du sentiment national n’est pas juste constatée dans des formes extrêmes, mais l’importante crise de l’Europe aura secoué les populations dans leurs sentiments nationaux. En Catalogne, les politiques d’austérité de l’UE, mises en place par le gouvernement espagnol, n’ont fait que mousser le désir d’indépendance et en a amené certains à devenir ultra-nationalistes. Une situation similaire s’est produite également en Belgique. Il ne faut pas non plus oublier la prise du pouvoir en 2010 par le parti Fidesz, un parti nationaliste et ultra-conservateur, en Hongrie . Leurs demandes sont simples : on veut protéger le petit peuple et combattre la criminalité des immigrés Roms. Puis finalement, les britanniques sont plus eurosceptiques que jamais étant donné que le premier ministre Cameron a promis la tenue d’un référendum sur la place du Royaume-Uni dans l’UE . Tout ça pour dire que lorsque le délégué de l’UE, Rafal Lapkowski, dit, dans un discours prononcé au HEC Montréal durant le Colloque étudiant sur l’Europe 2013, que la crise est finie en Europe, la crise économique possiblement, mais je doute fortement que la crise sociale ne soit arrivée à échéance. Sources: Documentaire European Meltdown, Journal Libération, Forum civique.org, Eurostat.


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DEMOCRATIE EN CRISE

Entrevue avec Mathieu Bock-Côté DÉMOCRATIE À LA RECHERCHE DU COLLECTIF

L’équipe du Polémique a rencontré le sociologue et chroniqueur Mathieu Bock-Côté pour discuter de l’état actuel de la démocratie québécoise. L'auteur de l’essai Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois, se penche sur la démocratie, le multiculturalisme, les idéologies politiques ainsi que sur la culture politique québécoise.

Propos recueillis par Gabriel Arruda et Guillaume Freire Le Polémique : Comment pourrait-on qualifier l’état de la démocratie québécoise en 2013? Peut-on parler de crise? Mathieu Bock-Côté : En fait, la démocratie québécoise se porte très bien et très mal en même temps. Très bien, car elle s’inscrit dans le temps avec des processus électoraux validés par l’ensemble de la population et en l’absence de contestation des élections. Ces choses qui vont de soi pour chacun d’entre nous ne vont pas de soi partout dans le monde. Les institutions de notre démocratie et ses mécanismes sont bien rodés. De l’autre côté, une fois que nous avons reconnu les vertus de la démocratie québécoise, il faut convenir de sa faiblesse actuelle. Pourquoi? D’abord et avant tout, il y a un décalage marqué entre les grandes options qui sont constituées dans l’espace public et des pans majeurs de la population qui ne se reconnaissent plus dans la manière dont le débat public prend forme. Une grande partie de la population ne parvient pas à retrouver sa sensibilité, ses aspirations et ses préférences dans l’offre politique. Il y a donc un désaccord manifeste entre l’offre et la demande politique. Deuxièmement, à cause des rumeurs, des scandales et de la réalité de corruption, il y a une dégradation même dans le rapport avec les institutions. Celles-ci ont l’apparence d’instruments que les acteurs privés peuvent s’approprient, dans le but de détourner le bien commun pour leurs propres intérêts, parfois même à l’abri de la légalité. Le troisième élément est qu’il semble y avoir une forme de censure relative de certains thèmes dans l’espace public. C’est-à-dire que lorsqu’on apparait dans la sphère publique, il faut suivre un code de bonne conduite idéologique. Sans celui-ci, on risque d’être discrédité et psychiatrisé comme nous avons pu le voir dans le débat concernant la charte des valeurs. Si l’on était en désaccord avec une certaine orthodoxie multiculturaliste, nous avions peur de l’autre, nous étions en repli sur soi-même. Le désaccord politique serait révélateur d’un dé-

sordre psychiatrique ou sociologique. Comme le code de la démocratie se base sur la légitimité de l’interlocuteur, il faut accepter qu’il y ait un désaccord et que l’autre puisse avoir raison. Comme nous allons aux élections, il faut accepter la possibilité de perdre et de ne jamais avoir le monopole sur le bien commun. Dans les questions morales et sociétales contemporaines, certains semblent croire qu’ils ont le monopole du bien commun. Ils prétendent avoir une vérité idéologique révélée. Lorsque vous êtes dans une telle situation, il n’y a aucun débat possible; ce ne sont que deux monologues qui s’affrontent. Je résume: d’un côté, constatons qu’à l’échelle de l’histoire, la démocratie québécoise est un succès. Constatons également qu’en fonction des problèmes qu’elle affronte aujourd’hui, elle «peut faire mieux». P : L’arrivée de l’ADQ déconstruisit en quelque sorte la dualité souverainiste/fédéraliste qui avait cours depuis la création du Parti Québécois. Ce serait une fragmentation d’un débat politique souverainiste/fédéraliste au détriment de la population ou l’ouverture d’un nouvel espace de discussion? M.B.-C. : Puisque la question nationale a été hégémonique depuis de 40 à 50 ans, plusieurs questions ont été enclavées dans un grand consensus de centre-gauche issu de la Révolution tranquille. Une portion significative de la population ne se retrouvait plus dans ce langage et désirait renouveler les termes du débat public. D’abord, l’ADQ qui incarnait cette révolte populiste et conservatrice (j’utilise ces termes sans préjugés) a représenté cette volonté: non seulement, nous ne sommes pas d’accord avec les réponses, mais nous voulons poser de nouvelles questions. Donc, nous assistons depuis 15 ou 20 ans à un renouvellement du débat public : il y a eu l’ADQ, la CAQ, le NPD au fédéral et récemment, les partis plus marginaux qui émergent. La chute du taux de participation aux élections témoigne aussi d’un éloignement par rapport à la chose

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publique. Toutefois, en démocratie, on ne peut pas multiplier excessivement les pôles de division. Il faut qu’il y en ait deux ou trois, sinon la société éclate. Non seulement parce qu’elle ne trouve pas les mêmes réponses à ses problèmes, mais elle ne sait plus ce qui la divise. Il faut tout de même savoir ce qui divise une société avant de savoir comment mettre en scène ce débat public. P : Une réforme du mode de scrutin serait-elle un moyen de remédier à la situation? M.B.-C. : Je crois que c’est le contraire. J’ai des réserves constantes face à une réforme du mode de scrutin. Si cela devait arriver, ce ne serait pas une catastrophe. Cependant, notre mode de scrutin a plus de vertu qu’on le croit. Premièrement, par cette bipolarisation qu’il tend à légitimer, il donne une emprise à la population sur le politique. Cela permet d’offrir deux projets de société à la population et permet à ses deux coalitions, avec une pluralité interne, de s’exprimer. J’ai l’impression que, dans une société aussi fragmentée que la nôtre, une réforme du mode de scrutin avec l’introduction d’un élément de proportionnelle accentuerait la fragmentation idéologique et politique, rendant aussi plus difficile la saisie d’une certaine idée de bien commun. Par ailleurs, je crois que notre tradition politique fonctionne en général. Toutefois, il est certain qu’il y a un prix à payer pour cela. L’innovation politique n’est pas impossible : plusieurs partis politiques se sont créés en 40 ans. Mais notre mode de scrutin l’entrave un peu, mais ne l’empêche pas. De plus, il réduit la possibilité de l’effet feu de paille (bien que cela ne l’empêche pas, comme on a pu le voir avec le NPD en 2011). Pour pouvoir bien gouverner, un parti doit s’installer dans différentes régions, y avoir des militants, des cadres, des capacités à s’enraciner et ne pas être qu’un effet de mode médiatique. Je trouve que c’est une vertu de notre mode de scrutin. Cela donne une « épaisseur institutionnelle » à notre démocratie.

P : Au-delà de la participation électorale, devrions-nous voir la politique comme la participation au débat dans l’espace public? M.B.-C. : La participation dans l’espace public devrait aboutir à une meilleure participation électorale. Je sais qu’on se méfie de ceux qui affirment que la démocratie est un vote aux quatre ans. Par contre, c’est d’abord cela. Pour qu’un gouvernement soit capable de gouverner, encore doit-il avoir un mandat. Comment avoir un mandat? Par l’appui populaire. Dans le cas de consultations multiples, ce serait donner un trop grand pouvoir aux lobbies pensant représenter la population sans jamais faire valider leur prétention à le faire. Alors, pourquoi aux quatre ans? Parce que cela laisse le temps au gouvernement de mettre en place son programme. La démocratie n’est pas qu’une perpétuelle délibération, elle est aussi décision. Ce qui est souvent oublié dans la science politique contemporaine, c’est le moment de décision. Or, la population s’exaspère d’une démocratie incapable de décider. À la fin des délibérations, qui tranche? Le propre de l’histoire, à moins d’être dans un monde utopique, c’est le tragique, les contradictions et les problèmes majeurs. Il faut alors prendre des décisions et c’est là que l’on retrouve la noblesse du politique. Pour ceux qui voient, comme au printemps 2012 (mouvement pour lequel j’éprouve une certaine sympathie), que la démocratie n’est que protestation et opposition, oublient parfois l’étymologie du mot: Kratos voulant dire «pouvoir». Le régime a une capacité de fixer des orientations. C’est une des choses qu’il faut revaloriser de nos jours. P : Peut-on lier le déclin de la participation électorale avec la concentration du pouvoir décisionnel au sein du cabinet du Premier ministre autant à Québec qu’à Ottawa ?

Ta tribune. Ta parole. Tes idées. Ton point de vue. Ton journal. Ton choix d'y

participer. Mais c'est le meilleur choix. T'es obligé. On cogne à ta porte. C'est sûr que t'as des idées, voyons donc. Enweye. Pour Noël, swingne tes idées dans l'fond d'la boîte à Polémique.

Écris-nous.

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M.B.-C. : Non, je crois que cela s’explique majoritairement par le climat médiatique contemporain. Nous vivons dans un climat de surveillance permanente. Par souci de transparence, on se donne le droit de tout fouiller. Il y a des codifications idéologiques nombreuses qui étouffent le débat public. Lorsqu’on dit que quelqu’un ou qu’un débat a dérapé, qui le dit? Qui décide lorsqu’il y a « dérapage »? Ce mot sous-entend un couloir bien tracé, des gardiens pouvant affirmer qui est dans la droite ligne et qui a dérapé. Un autre cas est celui de la « régression ». Qui distingue quelle est la bonne direction du progrès et laquelle est celle de la régression? Alors, on assiste à un enfermement idéologique qui fait que la politique doit marcher dans un corridor toujours plus étroit. Il y a plusieurs préoccupations sur lesquelles on ne peut s’ex-

«La démocratie n’est pas qu’une perptuelle délibération, elle est aussi décision» primer. Lorsque les acteurs s’expriment dans le système, le politiquement correct est là pour ruiner les réputations, pour bannir médiatiquement, culturellement et socialement les gens qui sont en désaccord avec l’orthodoxie du moment. Alors ça, je crois qu’il y joue un rôle bien plus grand. Cela entraine la langue de bois, ça apporte pour quelqu’un qui rentre en politique et apprend, en 24 heures, toute une série de formules pour ne jamais rien dire, tout en donnant l’impression de parler. P : Peut-on affirmer que les médias orientent le discours politique? M.B.C. : En fait, ils conditionnent le langage politique. J’ai un rapport trouble avec cela puisque j’ai un pied dans les médias et un pied dans l’université. Lorsque j’enseigne, je suis fasciné par la capacité qu’à l’université d’être dans un espace souvent séparé de l’espace public, comme si le sens commun y était absent. Le sens commun non pas dans le sens de gros bon sens, mais comme le bagage nécessaire à la délibération publique. Je me souviens d’un professeur à l’université qui affirmait que Tony Blair était au seuil de l’extrême droite. Cela

m’avait jeté par terre. D’un autre côté, dans le système médiatique, puisqu’il y a remplacement de l’idée par le slogan, le remplacement de la pertinence par le vedettariat, la substitution de la notoriété par la compétence, le débat politique est lui-même caractérisé par l’appauvrissement. Si vous ajoutez à cela la petite pensée médiatique bien installée et le politiquement correct, le portrait n’est pas heureux. P: Un des problèmes serait-il que les médias ont de la difficulté à changer ? M.B.-C. : Je vais reformuler la question. J’entends souvent parler des purs et durs du PQ, les caribous comme on les appelait aux dernières élections. Je me demandais de quoi ils parlaient. On disait que les purs et durs ont chassé René Lévesque. Non, ils ont quitté et René Lévesque a été chassé par Pierre-Marc Johnson et compagnie. Les purs et durs avaient quitté pour ne pas contester René Lévesque. Ensuite, on va dire que le pur et dur contrôle l’agenda du PQ. Pour quiconque connaissant l’histoire du PQ, ce que l’on appelle les purs et durs, les factions anciennement RINistes installées dans Montréal centre et Montréal Ville-Marie en gros, ont été chassé au début des années 2000 et sont devenus résiduels. Pourtant, les purs et durs restent un cadre explicatif premier dans le système médiatique, un lieu commun qui ne réfère plus au réel. Alors, certains analystes bien installés continuent d’utiliser des catégories qui ne sont plus connectées à la réalité. Mais bon, s’informer de la réalité exigerait de moins se référer à ces propres opinions, mettre à jour les faits, savoir de quoi on parle. Mettre à jour ses connaissances. Tout ce qui va à l’encontre de la paresse naturelle de l’homme. La tentation de ce petit système d’idées faciles qui permet ensuite de traiter une nouvelle sans vraiment l’approfondir. P : Un commentaire pour les étudiants de science politique concernant l’étude de la démocratie? M.B.C : Il faut éviter d’avoir une définition trop appauvrie de la démocratie. Il y a deux manières de l’appauvrir : la réduire à une logique purement gestionnaire ou de la réduire à la pureté protestataire et presque révolutionnaire. Il faut enrichir notre conception de la démocratie en rappelant qu’il y a effectivement la protestation, la délibération, mais aussi la décision. C’est dans cette capacité de penser la démocratie dans ces différentes dimensions qu’elle peut devenir une expérience politique créatrice et enrichissante pour une société.


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CHRONIQUES

Alan Volant

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orsque l’on désire regarder vers l’avenir du continent africain, rien de plus difficile que d’apercevoir une éclaircie, médisent certains. Pourtant, en y regardant un peu plus attentivement, on peut apercevoir certaines pépites briller (et pas seulement celles extraites par les minières canadiennes). La pépite choisie pour cette édition est une de celles qui resplendit le plus à bien des égards, j’ai nommé le Botswana. Littéralement « pays des Tswanas », cet État du Commonwealth fait office depuis plusieurs décennies de modèle et ce, dans cette même Afrique où l’on croit la dictature être une norme. Alors que certains État voisins font effectivement exemple par leur autoritarisme (à l’instar du Zimbabwe), le Botswana a préféré pour sa part le chemin inverse. Indépendant de la Couronne britannique depuis maintenant près de cinquante ans, cette petite République d’Afrique Australe - d’à peine 2 000 000 d’habitants - a su réussir une quasiparfaite transition démocratique. Bien que gouverné depuis la première élection par le Parti Démocratique du Botswana, le pays reste reconnu pour sa capacité à tenir ses scrutins à l’heure et dans la transparence la

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CHRONIQUES

plus absolue. Outre le fait que l’État de droit semble être un acquis pour la population locale, le Botswana est également reconnu comme le pays le moins corrompu d’Afrique. En effet, Transparency International, ONG traquant la corruption à travers le monde, décerne ce titre au pays de manière répétée ce depuis des années. La manifeste réussite politique du Botswana n’aurait peut-être pas été ce qu’elle est sans sa réussite économique. Considéré comme un État pauvre au même titre que l’immense majorité des pays africains lors de leur décolonisation, le Botswana s’érige désormais en modèle de gestion intelligente concernant ses ressources naturelles (et leurs retombées économiques). Si l’on entend souvent parler de malédiction de la dette, avec en tête les événements paroxystiques de Sierra-Leone autour des diamants de conflits, on ne peut que saluer ici l’excellente gestion des différents gouvernements quant à la rente des diverses ressources minières. Principale source de revenus du pays avec 48% du PIB, les ressources minérales sont au cœur de l’économie du pays avec le chiffre déroutant de 75 % lorsque l’on parle des diamants à l’export. Le

ertaines personnes me font rire. Parmi celles-ci figurent les bonnes personnes. Du moins, une certaine catégorie de bonnes personnes. Ceux qui, au cours des quatre dernières années, n'ont cessé d'accuser le « controversé » maire de l'arrondissement du Plateau Mont-Royal, Luc Ferrandez, d'être la source de tous leurs maux. Ceux qui conduisent leurs enfants à l'école tous les matins et leur préparent de bons plats sains et équilibrés le soir. Ceux qui, le temps des Fêtes approchant, donnent leurs fonds de poches aux organismes caritatifs et vont, du même coup, espérer un monde plus juste et plus vert pour leurs enfants à travers la politique.

sortir complètement de leur champ des possibilités. En effet, selon moi, les détracteurs de Ferrandez représentent l'archétype de l'individu nord-américain contemporain : des bonnes personnes, peut-être, mais de piètres citoyens. Bien sûr, le maire du Plateau doit être en mesure de recevoir les critiques des citoyens. Cela est de connivence avec sa fonction d'élu. Or, un phénomène unique à cet arrondissement est que les problèmes de tout acabit deviennent systématiquement personnifiés par le «controversé » maire Ferrandez . Faisons maintenant une comparaison. Ville Mont-Royal fut aménagée de manière à rendre infernale la circulation des non-résidents de l'arrondissement.

Cependant, là où le bât blesse, c'est que j'ai l'impression que ces mêmes individus qui prêchent les bonnes paroles ne prêchent pas nécessairement par l'exemple. Autrement dit, sacrifier une petite part de ses intérêts personnels pour une cause plus noble et qui touche l'ensemble d'une collectivité semble

Pourquoi? Trop d'automobilistes métèques y erraient afin d'admirer les maisons cossues. Comment? En rendant difficile de se repérer en voiture, de sorte que seuls les résidents puissent s'y retrouver et que les voyeurs soient dissuadés. A-t-on blâmé le maire pour cela? Non, il fut plutôt louangé. Quant au Plateau,

Volume 32 - Numéro 1

La France s'embrase

Et si l'Afrique... taux de croissance moyen étant de 9% sur les 40 dernières années, le pays a su se sortir de la pauvreté pour se hisser au niveau des pays dits intermédiaires et ce comme l’indique son IDH tournant autour de 0.6. Cela étant dit, tout n’est pas parfait chez les Tswanas et un rapide tour d’horizon s’impose pour s’en convaincre. La principale ombre au tableau reste au fil des années le taux de personnes séropositives (un peu moins de 35% chez les 15-64 ans) et ce malgré les efforts répétés de la part des autorités. Le second problème concerne lui l’économie du pays. S’il est exact que l’extraction minière représente une source de revenus extraordinaire, ses effets sur le marché de l’emploi le sont beaucoup moins. Le secteur n’emploie malheureusement que 5% de la main d’œuvre disponible. Ceci couplé à un échec répété de diversification économique on comprend mieux pourquoi le chômage tourne de façon chronique autour des 20%. Sources : Banque africaine de développement, OCDE.

Les bonnes personnes et le «controversé » François Robert-Durand

Novembre 2013 9

le maire « controversé » a voulu décourager les automobilistes de transiter par ce quartier. Pourquoi? Pour un projet « environnemental et humaniste », i.e. augmenter la qualité de l'air et le niveau de vie de ses résidents. Comment? En compliquant la circulation afin de compenser la hausse démesurée de voitures sur le Plateau comparativement au nombre d'habitants. Disons que nous avons connu pire. Certains rétorqueront en affirmant que ladite baisse du nombre de voitures a causé beaucoup de faillites. Or, les statistiques démontrent que le taux d'inoccupation des logements commerciaux du Plateau demeure égal à celui du reste de la métropole. Ainsi, il semble que ces bonnes personnes attribuent aux faillites commerciales des diagnostics différents dépendamment des quartiers de Montréal : une faillite sur le Plateau est causée par Ferrandez, alors qu'à l'extérieur du Plateau, cela est causé par les lois du Marché. Bref, certaines personnes me font rire.

Chronique hexagonale Thibaut Le Verre

A

lors que la classe politique française semblait enfin réagir à l'exaspération de la population, l'écotaxe est le faux pas de trop pour le gouvernement Hollande. La France va-t-elle de nouveau sombrer dans une de ces révoltes qui ont jalonné son histoire ? La défiance accumulée à l'encontre du gouvernement va-t-elle se concrétiser dans la rue ? Beaucoup le redoutent. Alors que l'exécutif vient d'ajourner l'entrée en vigueur de « l'écotaxe » (dont le principe avait pourtant été adopté durant l'ancien quinquennat), les préfets de la France entière tirent la sonnette d'alarme. Dans une synthèse confidentielle transmise à l’Élysée dont le journal Le Figaro a révélé les extraits, les hauts fonctionnaires alarment le Président de la République sur une « société en proie à la crispation, à l'exaspération et à la colère». Les préfets enfoncent le clou en expliquant que « de plus en plus, les revendications sont portées en dehors du cadre syndical, à travers des actions plus radicales: grèves de la faim, blocages de longue durée, dégradations et menaces de perturbation de grandes mani-

festations [...] ». La situation s'apparente d'au tant plus à un comble, qu'il semblerait que se soit le ministre des finances lui-même qui ait lancé l'expression de «ras-le-bol fiscal»; se déclarant, en août 2013, «très sensible» à un partage équitable du fardeau fiscal entre les français.

« La France gronde. La France bouillonne» Que l'augmentation des impôts constitue le cœur de la défiance des français ou un simple facteur déclencheur, de nombreux indicateurs témoignent du durcissement de leurs attentes auprès des élus. Si 2/3 d'entre-eux se déclarent prêts à manifester pour défendre l'emploi et conspuer la hausse massive des taxes , les français songent toutefois en premier lieu à leurs institutions pour faire pression sur l'exécutif: 39% souhaitent une dissolution de l'Assemblée Nationale et 33% un changement de Premier Ministre . L'urgence est là, mais le président semble tétanisé et adopter la politique «du dos rond», en espérant l'apaisement

des revendications. Pourtant, une partie de la classe politique se mobilise et tente de faire écho à la colère des français. Baptisé malicieusement « l'Alternative », le nouveau parti de centre droit, fruit de la fusion du Modem et du Nouveau Centre, reconstitue l'offre politique et laisse entrevoir un échappatoire. Alternative à qui? À quoi? Aux socialistes au pouvoir et aux conservateurs déchus en 2012 bien sûr, mais aussi, et surtout, une alternative aux troupes extrémistes de Marine Le Pen, dont le chant de sirène ne cesse de faire grossir les rangs. Néanmoins, la tâche est ardue et le temps presse avant les prochaines élections de mai et de juin. Ce nouveau parti saura-t-il institutionnaliser la grogne ambiante ou échouera-t-il et laissera passer la France de l'embrasement à l'incendie? D'autant que le déni du président face à la réalité ne semble pas s'atténuer; le 1er janvier 2014 voit en effet entrer en vigueur le passage du taux de TVA à 20% contre 19,6% actuellement. La France gronde. la France bouillonne. La France saigne. Mais François Hollande rêve.

Le prix à payer (ou Pina vaut plus que des Peanuts) Lara Bouvet

I

l y a certains moments d’exception programmables. Assister à la présentation de la pièce Vollmond, de Pina Bausch en est un. Invitée par Danse Danse et la Place des arts, elle sera présentée du 12 au 15 novembre 2014, au Théâtre Maisonneuve. Vous avez dit Pina quoi ? Pina Bausch ! Cette grande dame de la danse contemporaine, qui révolutionna par sa pratique de la danse-théâtre. Certainement une des plus grandes chorégraphes contemporaines d’Allemagne et du monde, et c’est maigre hommage que de la qualifier ainsi. Elle nous quitta en 2009, mais sa troupe du Tanztheater Wuppertal continue le mouvement en présentant encore ses pièces, sur les scènes de Wuppertal et d’ailleurs. La danse de Pina c’est la recherche constante de l’authenticité du mouvement, de la sensation. Ce mouvement vrai est transmission : il nous parle, il nous appelle à lui et à l’émotion. Sublimé dans les tissus fluides et colorés des danseurs, dans les mises en scène souvent spectaculaires, il transcende. La danse est

partout, dans tous les mouvements de la vie humaine. Assister à un spectacle de Pina c’est en prendre conscience, c’est voir un morceau de vie. Voilà, j’ai vécu un peu de Pina. Mais pas ici, à Paris. Car Paris m’en a donné les moyens. « Pina quoi » Non vraiment ?! On ne peut pourtant vous blâmer pour cette ignorance. Ce n’est pas tous les soirs qu’une création de Pina Bausch est sur une scène montréalaise. Je doute pourtant, que ce soit l’unique raison de votre méconnaissance : Avez-vous vu nombreux des autres spectacles présentés au théâtre Maisonneuve ? Ne serait-ce pas la conscience du tarif (élevé) qui vous a éloigné, depuis longtemps, de l’idée même de fréquenter le théâtre ? Comment espérer, de la jeunesse de son Etat, un éveil culturel lorsque l’on demande plus de 45 dollars, en tarif étudiant (et catégorie D), pour voir ce que la création artistique signifie? Si je peux aujourd’hui dire modestement deux trois mots de la danse de Pina, c’est que l’on

m’a donné la possibilité, aussi économique, d’assister à ses spectacles pour une vingtaine d’euros et dans une des salles les plus prestigieuses de Paris (Théâtre de la Ville). Cette politique tarifaire n’est malheureusement pas à l’agenda du gouvernement québécois. Comment penser offrir la culture à tous, sans mesure d’égalité ? S’il y a un prix à payer pour faire subsister l’art, il y a des décisions politiques à prendre pour le faire vivre. À tous ceux qui ne pourront débourser pour une place chauffée au Théâtre Maisonneuve, vous pouvez, tout de même, voir le documentaire de Wim Wenders, Pina (2011) ou mieux encore : Les Rêves Dansants, pour trouver, quelque part dans ces images, l’esprit de la danse de P.Bausch. Mais pour ceux qui seraient prêts à « casser leur tirelire » pour Vollmond ; La billetterie ouvre le 1er décembre, allez-y, car ça vaut le coût… Pour plus d’information : http://dansedanse.ca/


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Volume 32 - Numéro 2

EXPAT

Decembre 2013 11

POLEMIQUE DU MOIS

Deux journalistes, deux points de vues, un sujet.

Chaque mois, Le Polémique vous présentera un article à saveur politique d'un-e étudiant-e du département en échange dans une université étrangère.

«Los amigos del barrio pueden desaparecer» Nicolas Lavallée, étudiant en échange en Argentine

L

a première chose qui frappe quand on arrive en Argentine, à part l’accent argentin, c’est à quel point on ne se sent pas en Amérique du Sud ou, disons, dans le stéréotype sud-américain, c’est-à-dire une tonne de gens au teint basané, dans un certain chaos organisé auquel on pourrait s’attendre.

En terme de démographie d’abord, d’inégalités socio-économiques ensuite et de développement au sens large, l’Argentine a de quoi surprendre. Le pays a parfois été comparé à l’Europe de l’Amérique du Sud, et non sans raison. On y côtoie des blancs, des métis, des noirs, des andins, bref, de tout. C’est le résultat de grosso modo 200 ans d’immigration, notamment européenne. Or, s’il y a bien une particularité locale qu’on ne rencontre pas partout ailleurs, c’est la dualité entre les riches et les pauvres. Effectivement, malgré bientôt près de 10 ans de gouvernements de gauche relative ayant réussi à diminuer les inégalités économiques, on y retrouve un «clash» socio-économique flagrant. Dans presque tous les quartiers, on peut apercevoir des maisons délabrées, ponctuées de rues défoncées et de trottoirs tout autant éprouvés. Toutefois, deux coins de rue plus loin, on y retrouve des maisons neuves, surveillées par des gardes, 24 heures sur 24, où la richesse suinte des murs de l’établissement, et où les Audi et autres Mercedes se succèdent dans le stationnement. Cette réalité est quotidienne, marquante, et fait presqu’inconsciemment partie du paysage. Westmount et SaintHenri se rencontrent pratiquement partout. Dictature En voyageant en Argentine, le Lonely Planet nous avertit que le thème de la dictature est encore très présent, et très tabou. Ce petit guide du voyageur conseille même de ne pas l'évoquer, puisque trop d’argentins ont été touchés de près ou de loin par cette période noire du pays. On nous y conseille plutôt d’attendre qu’un argentin nous en parle de son plein gré. Suivant ce conseil, jamais je n’aurais abordé le sujet par moi-même. Or, un beau jour, mon voisin argentin me fit écouter un artiste local, Charly Garcia. Arrivés à une de ses chansons évoquant ce sujet

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Ce mois-ci: pour ou contre le projet de loi Mourir dans la dignité du Parti Québécois? Pour; L'État, les piercings et la morphine

Arielle Grenier

L

a semaine dernière, je discutais avec une amie de cette charte qui « divise » le Québec. On se demandait ce qu’il arriverait bien avec l’Hôpital général juif de Montréal. Perdrait-il sa spécificité au profit de la neutralité? « Bah tu sais Arielle, si les gens ne veulent pas aller se faire soigner dans un hôpital où les médecins portent une kippa, ils iront ailleurs. » Admettre que les gens ont le droit de choisir l’établissement dans lequel ils se feront soigner, c’est admettre qu’ils ont des préférences pour leur corps. C’est admettre que tout homme puisse choisir quel traitement il recevra. Quelles spécificités feront pencher la balance. Est-ce que le corps d’un homme lui appartient entièrement ou est-ce qu’il appartient à l’État? Dans le débat entourant le dossier Mourir dans la dignité du Parti Québécois, il me semble que cette question mériterait d'être éclairée. Combien de fois avons-nous entendu de jeunes adolescents scander haut et fort « C’est mon corps! Je fais ce que je veux! », lorsqu’il était question d’un nouveau tatouage ou d’un perçage? Aujourd’hui, cette simple affirmation est devenue une évidence: les femmes peuvent avoir autant de partenaires sexuels qu’elles le veulent, nous pouvons avoir recours à la chirurgie plastique, nous pouvons consommer de la drogue (en cachette oui, oui). L’Homme occidental d’aujourd’hui a une relation tout à fait différente à son corps de celle de l’Homme d’il y a 50 ans. Ce corps que nous croyons nôtre, nous appartient-il vraiment? Si aujourd’hui cela semble clair dans plusieurs esprits, il faut nous rappeler qu’avec l’héritage judéo-chrétien, notre corps ne nous appartenait pas : il appartenait à Dieu. Maintenant que Dieu s’est fait remplacer par l’État, serionsnous passés d’un corps sacré à un corps nationalisé? Parce que si le domaine de la santé est public, que tous y participent et paient, il devient facile pour un gouvernement de restreindre les activités entre les hommes pour des raisons de « santé publique » ou de réduction de coûts. Certains y verront une forme de biopouvoir : des permissions, des conditions, mais pas une réelle possession de notre chair. Je suis assez en accord avec cette affirmation : pour l’instant le projet de loi du gouvernement Marois ne va pas assez loin, l’État se

garde certaines réserves. Peut-être qu’en décidant de nous délivrer de l’Église, avons-nous malencontreusement nationalisé notre corps? Comme l’écrivait Michaël Marrache dans les pages du Québécois Libre «dans la société libertarienne, l'euthanasie serait permise au nom du principe de propriété [...]. On peut imaginer des individus favorables ou hostiles à l'euthanasie mais, dans les deux cas, l'éthique de chacun est respectée. [...] Dans une société libertarienne, [...] qu'on soit pour ou contre l'euthanasie, capable ou non d'exprimer sa volonté, celle-ci sera respectée. Le cadre juridique fera en sorte que c'est nous, et non les hommes de l'État, qui décidons quoi faire de notre corps. » Si l’État ne possédait pas le monopole de la santé publique, peut-être aurionsnous plus de liberté. Un projet de loi qui doit satisfaire l’ensemble de la population? Pourquoi ne serait-il pas question d’un projet de loi laissant la liberté à tous de décider, après une mûre réflexion, de comment nous souhaitons quitter ce monde? Certains voudront mourir sans prendre de médicaments. Mon grand-père a d’ailleurs refusé catégoriquement de prendre ses doses de morphine, et ce, jusqu’à ses tous derniers jours. Certains ne veulent pas connaître la démence, d’autres ne veulent tout simplement pas devenir «légume» comme on dit. C’est un choix qui leur appartient et qui ne devrait jamais être remis à l’approbation de la société. Notre corps ne devrait en aucun cas être nationalisé jusqu'à nous empêcher de quitter notre entourage par les moyens que nous souhaitons. Il y aura évidemment des gens qui protesteront. Le côté «sacré» de la vie étant désormais en danger. Mais pour une société qui demande la laïcité, qui est fière de s’être délivrée des jougs de l’Église, c’est drôle combien les vieilles habitudes judéo-chrétiennes refont surface lorsqu’il est question de suicide assisté. Alors que nous faisons face au débat sur la laïcité étatique, que nous demandons aux employés de l’État de ne pas afficher d’appartenance religieuse, ne serait-il pas temps de libérer le corps des hommes de cet État? Évidemment, certaines personnes ne pourront avoir recours au suicide assisté. On pense notamment à ceux qui n’auront pas encore 18 ans, aux personnes atteintes d’Alzheimer, mais on peut y voir une progression. Un jour, peutêtre, pourrons-nous affirmer que notre corps nous appartient totalement?

Pour; Certaines morts n'ont pas de mots. Doriane Thiffault-Lajeunesse

Mères de la Place de Mai.

(Los Dinosaurios), la porte s’ouvrit à ce type de conversation. C’est alors que mon voisin, Nico, me raconta son lien avec la dictature. L’histoire qui suit vaut la peine d’être racontée, de par son exemple de courage, sinon à cause de son horreur. Sa mère, militante anti-dictature, était recherchée. Un beau jour, des militaires entrèrent chez elle et demandèrent où elle était. La tante de mon voisin, la sœur de la mère en question, se leva et dit qu’elle était celle qu’ils cherchaient. Les militaires l’emmenèrent et ce fut la dernière fois qu’on la vit.

Crédit photo: Nicolas Lavallée

Ça donne une idée de l’intensité de la chose. Aujourd’hui, un des lieux reconnus comme étant un temple de la torture sous le régime s’est converti en musée/centre culturel d’art. Or, tous savent quelle fut la fonction de ce sinistre lieu. Même dans certains cours, on peut lire dans le regard des plus âgés, lorsque le sujet est abordé, le sérieux de la chose. Malgré ce portrait relativement triste, les aspects plus positifs de ce pays feront fort probablement l’objet d’un second papier.

Une fatalité L'individualisme peut être critiqué de bien des manières, pourtant une chose est sûre: cette conception de la société attribue à chaque individu une importance et une valeur propre. C'est dans ce courant de pensée qu'on revendique à toute personne, restreinte dans les possibilités de la loi, le droit de choisir. En effet, l'autonomie est un des idéaux les plus importants pour l'homme moderne. Très tôt dans leur vie, les enfants cherchent à s'émanciper des parents, à prendre leurs propres initiatives. Il en est de même tout au long de notre vie; nous considérons primordial de prendre les décisions qui concernent notre existence. Certaines d'entre elles sont incontestablement plus difficiles à prendre que d'autres. Au fil des ans, la nature de celles-ci changent: plusieurs épreuves cognent à nos portes et nous surprennent. L'épreuve ultime de tout être humain, sans aucun doute la plus effrayante, reste la mort. Être ou ne pas être Il peut alors nous paraître inadmissible, voire même inconcevable, que certaines personnes en fin de vie renoncent à se battre contre leur maladie. Souvent, ces personnes sont dans l'incapacité d'énoncer leur désir de continuer ou non à maintenir leur état stable, mais dans l'agonie. Il revient alors aux proches de décider, si la personne inapte n'avait pas au préalable fait part de directives anticipées (et même encore là). En tous les cas, il est rare que la famille opte pour l'arrêt des soins, et même s'ils le font, ce sont de longues procédures complexes que d'arrêter les traitements sans le consentement direct de la personne souffrante. Alors, dans le but de la garder en vie, certains

médecins exerceront ce qui est appelé «l'acharnement thérapeutique». Même si le patient a un diagnostic de mort irrémédiable ou une mince chance de rémission, les traitements sont poursuivis pour prolonger la vie. C'est à cet instant que la question doit se poser: le fait de vivre se réduit-il aux simples battements du coeur? Quand vivre est synonyme de souffrir, ne peut-on pas permettre aux malades une mort brève et sans intrusion médicinale excessive? Au Québec, le code civil stipule effectivement que chaque patient a le pouvoir décisionnel absolu sur les soins qui lui sont prodigués. Il a donc le droit de les refuser, même si ceux-ci le maintiennent en vie. Pourtant, selon le code criminel du Canada, l'euthanasie ou le suicide assisté sont passibles d'emprisonnement. Ces mesures considérées, ce sont présentement les programmes de soins palliatifs qui sont administrés aux personnes en fin de vie. La sédation palliative L'utilisation de cette pratique, en soins palliatifs, fût l'élément déclencheur à la remise en question sur l'interdiction de l'euthanasie. Bien sûr, celle-ci ne met fin à aucun des traitements, justement elle les éternise jusqu'à une mort douce vécue dans l'inconscience. Plus clairement, les médecins endorment le patient par intermittence ou bien en continu, lorsque la douleur de celui-ci devient insupportable. C'est alors que la citation célèbre de Nietzsche perd tout son sens. Dans l'enchaînement de souffrances physiques intolérables, alors qu'on gave sans répit ces personnes de médicaments pour y pallier; dans ce cas là, ce qui ne nous tue pas nous rend plus faible.


Décembre 2013 12

Volume 32 - Numéro 2

ART & CULTURE

Anaïs Boisdron

Des sorties littéraires ras le cul!

A

ujourd’hui, en sortant de cours aux alentours de 16h, j’ai été frappée par une révélation des plus funestes : « winter is coming ». Bien que je sache lire un calendrier, la vérité est toujours plus crue lorsqu’elle se manifeste à vous par le biais d’une bourrasque glaciale et d’un paysage crépusculaire bien trop précoce. Ça y est, l’hiver arrive et il apporte avec lui son lot de merveilles et de fâcheux désagréments. Synonyme de rhumes, virus, neiges diluviennes, et perte de ce magnifique bronzage estival que nous nous tuons à préserver, cette période longue (très, très, très longue) de l’année possède néanmoins comme toute autre, de nombreux avantages. Au placard espadrilles et shorts, c’est le plaisir de s’emmitoufler dans nos gros pulls, de porter de confortables bottes rembourrées, mais aussi de s’enfiler tranquillement des boites de chocolats et marrons glacés sans que personne ne le remarque (merci le gros pull) tout en trainant chez soi. Car oui, grâce à l’hiver nous avons la possibilité d’éviter les partys déprimants sans avoir à bidouiller d’excuse bidon et il se trouve

justement qu’avec le vent hivernal, souffle également celui des sorties littéraires à succès qui vont réchauffer nos soirées. Décidée à booster les ventes des Renaud-Bray, je suis donc allée fouiner sur la toile en vue d’établir une liste de lectures. Avec environs 550 livres au programme cette année, l’on peut dire que la crise n’atteint pas l’imagination des écrivains. Françaises comme étrangères, les parutions de 2013 nous ont promis monts et merveilles, alors qu’en est-il ? L’année 2013 se résume par une prolifération de pseudos romans érotiques. Aimemoi, Beautiful stranger, 100 facettes de Mr Diamonds II, Rush, l’Extase et Mords-moi , voilà une petite sélection des titres que j’ai pu apprécier. Depuis plus d’un an, nous voilà envahis par cette littérature prétendument bonne, qui fait échos au best-seller 50 nuances de Grey. D’une certaine façon, on pourrait comprendre cet engouement soudain comme le symbole d’une revendication féministe. Lire ce genre de bouquins, c’est montrer au monde que l’on assume pleinement nos plaisirs et désirs, et particulièrement montrer que

ces derniers peuvent être reçus sans l’aide de nos compagnons d’ébats. Il faut cependant introduire un bémol à cette magnifique libération sexuelle des femmes, les intrigues de ces livres se ressemblent toutes plus ou moins et s’inscrivent dans un registre passablement dégradant pour la gente féminine. Le tableau se compose en effet presque toujours de l’ingénue demoiselle en quête d’émancipation trop bonne - trop conne, de l’homme ténébreuxet secret aux hobbys pervers et enfin, d’un décor qui, bien sûr, se prête à la transgression (entreprise, bibliothèque, maison parentale, lieu public…) sinon où est le fun ? Votre bien dévouée a testé pour vous Grey, l’homme aux 50 nuances, et inutile de préciser le calvaire que ce fut pour arriver jusqu’au tome 2. Expériences crues de dominations et passages romantiques dignes des feux de l’amour, s’étalent ainsi sur de nombreuses pages, sans laisser à l’intrigue le temps de se construire si bien que l’on vient à en faire une indigestion. Surfant sur la vague des « mummy porn », ces romans amènent bien plus à s’interroger sur la santé mentale des femmes et l’image que ces dernières ont d’elles même, qu’à baisser sa culotte pour un « afternoon delight ». Si toutefois il vous vient l’envie de tester, voici une liste de ce qui pourrait se glisser dans votre lit pour Noël : Les classiques et les meilleurs : L’amant de lady Chatterley (1928), Women (1978), Emmanuelle (2000) et Le Nécrophile (2001) Les gratuits : J’ai 13 envies. J’ai encore 13 envies. Les moins pires : Beautiful Bastard (2013) et Dévoile moi (2012) Les pas du tout érotique mais excellents : Adrian humain 2.0, En bande organisée et Parce que tu me plais Les encore moins érotiques mais incontournables littéraires de 2013 : Le quatrième mur, Faillir être flingué et La grace des brigands


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