Novembre 2013
Volume 32 - NumĂŠro 1
le polemique
Islam et pouvoir politique dossier en page 4
Expat
Chroniques
Art et Culture
Journal des departements de science politique et etudes internationales
Polemique du mois
2 Novembre 2013
Volume 32 - Numéro 1
ÉDITORIAL
Par Rose Chabot, Clara Déry et Gabriella Stien
TWERK THAT ASS. Voilà le nom du prochain party de
deux classes du HEC. Loin d’être dans la même lignée que les 4 à 7 sur Platon du département de philo ou des sorties au Musée des Beaux-arts de science po, l’événement VEND. Après tout, on parle ici des Hautes Études Commerciales, un État où règne la Primauté du Marketing. Au menu, un party bien comme les autres, mais cette fois-ci, agrémenté du concours de twerk. Les organisatrices ont même eu l’humble bienveillance, sur la page Facebook, de référer à une vidéo tout à fait didactique, pour que tous se sentent dignes de participer à la noble compétition. Sentiment de déjà-vu? En ce qui nous concerne, oui. Cet événement n’est qu’un parmi tant d’autres pour lequel des fesses reluisantes ou des tétons bien ronds servent de page couverture Facebook, oui, mais sont exploités surtout (et plus gravement encore) à des fins promotionnelles. Est-ce que c’est la joie de s’abandonner au rythme d’une musique si exotique qui attire vraiment les participants? Pas dans le monde du marketing, voyons, où il est devenu banal de tirer profit (appréciez le jeu de mot) du corps des femmes (tout nus, de préférence) et les présenter comme des objets sexuels afin d’attirer la masse (universitaire aussi, bien sûr) aux fiestas. Cela s’inscrit tellement dans la normalité qu’un débat sur la question serait… ridicule! Du moins, anormal, réservé exclusivement aux prudes ou aux féministes. Alors, personne ne conteste, personne n’ose remettre en question. On parle donc de censure implicite dissimulée par une peur du débat généralisée. Mais bien sûr, pourquoi questionner quelque chose de fondamentalement amusant? Si, en baragouinant des phrases préconçues à propos d’images hyper-sexualisées véhiculées par les vilains médias, on croit avoir suffisamment abordé le sujet et même avoir confectionné des armes contre ces pressions, pourquoi en est-on rendu à se dire : «show me how you twerk, bitch»?! Concrètement, qu’est-ce que je répondrais si on me demandait, à moi, de faire poser mes founes pour la photo de promotion de l’événement? Mes founes, à moi? Et toi, lecteur? L’événement du HEC, qui aura lieu le 9 novembre, fut organisé par de jeunes femmes qui étudient dans le domaine du commerce et peut-être même du marketing d’événements. Sont-elles incroyablement détachées de leur rôle, ou bien est-ce simplement LA façon, aujourd’hui, de vendre un produit? Ce débat est certainement plus grand que nous trois. N’empêche que c’est l’absence de remise en question par les jeunes universitaires que nous sommes qui nous aberre et, en quelque sorte, nous fout les boules, (jeu de mot de qualité, encore une fois). Cet exemple ne se veut pas une façon de retomber dans l’éternel débat qui nous a sûrement tous rabattu les oreilles au secondaire, mais plutôt une façon de parler du Polémique comme un espace de débats. Après tout, ne sommes-nous pas à l’université pour nourrir ce type de discussion? Pour questionner les «normalités» ? S’obstiner, un peu!? Étudiants du département de science politique et études internationales, voici votre lieu de libre expression, sans censure explicite, ni même implicite.
Équipe du Journal Rédaction en chef : Rose Chabot, Gabriella Stien et Clara Déry Mise en page : Édith Boisvert et Lydia Képinski Coordonnateur à la correction: Mohamed Merhi Correction : Lara Bouvet, Alexia Ludwig, Mohamed Merhi, Charlotte Plancquaert et Mélanie Radilla.
Illustration : Lydia Képinski Journalistes : Gabriel Arruda, Jeanne Bettez, Anaïs Boisdron, Guillaume Freire, Thibault Le Verre, Mélanie Radilla, François Robert-Durand, Gabriella Stien, et Alan Volant Impression: imprimerie ssion de l'Université de Montréal
* Il est à noter que le masculin est utilisé de façon générale afin d’aléger le texte. Le féminin est, bien sûr, implicite.
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CHRONIQUES Et si l'Afrique... Par Alan Volant
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d’ethnies et langues (ou dialectes) différentes est estimé à environ 2000, et ce encastré dans le chiffre forcément un peu risible de 54 pays. Le climat est lui aussi évidemment changeant d’un bout à l’autre du continent : du sable du Sahara, rien de commun avec l’immense forêt tropicale qu’est celle du bassin du Congo. Si chacun sais plus ou moins cela, il n’en reste pas moins que non, l‘Afrique n’est pas encore ce champion que seul demain
la famine ou la maladie. La question démocratique se pose aussi sans cesse, et cela plus ou moins dans toutes les régions (et ce quoiqu’ait indirectement voulu dire l’Union Africaine en s’insurgeant récemment contre la CPI). Alors que dire, que penser, face à un bilan aussi mitigé (pour ne pas dire catastrophique par endroit, en Somalie par exemple) vis-à-vis d’une Afrique qui semble être prise dans une spirale infer-
orte d’une population jeune d’environ un milliard d’habitants (et qui aura doublé d’ici 2040), de ressources naturelles en abondance et d’une croissance économique de plus en plus dynamique, l’Afrique détient désormais de nombreuses clés pour nonseulement amorcer son décollage économique, mais aussi étonner et L’Afrique semble souvent n’être qu’une chimère derrière laquelle ne courent que surpasser ceux qui semblent irrat- quelques humanitaires en quête en de sens pour leur propre existence trapables aujourd’hui. Cependant, avant de voir quelles sont les raisons qui peut déjà voir. Mais pourquoi ? S’il est nale de souffrance ? La réponse est très peuvent porter à croire de telles choses, facile de prophétiser le meilleur pour le simple : que tout est possible et surtout, voyons ensemble certains lieux com- continent, il l’est beaucoup moins de faire qu’il semble désormais que ce possible abstraction des énormes difficultés aux- soit accessible à court terme. Alors muns à propos du continent. En premier lieu, il semble bon de rappe- quelles devra faire face ce dernier pour disons-le sans concession : l’Afrique n’est ler (sans vouloir manquer de respect à enfin arriver à sortir la tête de l’eau. Pro- pas que ce que l’on veut bien voir d’elle quiconque) que même si l’on considère blèmes de sécurité, d’investissements, et il est temps pour nous tous de nous y souvent par confort et manque de consi- sans oublier les problèmes politiques, intéresser un peu en découvrant si vous dération l’Afrique comme un ensemble le développement des pays africains ne le voulez bien, chaque mois, ce qui fera homogène (avouez que l’on entend plus manque pas de complications. A ce titre, son futur. souvent je suis allé en Afrique qu’au Sé- la question des réfugiés fait office de rapnégal ou au Lesotho…), en réalité il n’en pel constant avec plus de 13 millions de est rien, car en Afrique la différence se personnes déplacées selon le HCR pour trouve partout. Un exemple ? Le nombre des raisons aussi diverses que la guerre,
En page couverture Par Lydia Képinski
Ce dessin est une image puisée dans mon imagination représentant la réalité de certains pays théocratiques. Il ne s'agit ni d'une moquerie, ni d'une critique négative, ni d'un blasphème à quelque religion que ce soit. Vous pouvez vous questionner, en parler, être pour ou être contre n'importe quel aspect politico-religieux l'entourant, mais, de grâce, ne montez pas au barricades. Paix.
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DOSSIER L’Islam politique : religion et pouvoir sont-ils incompatibles ? Par O. S.
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l’islamisme radical paraît souvent très étroit. Néanmoins, d’après sa définition, l’islam politique est un courant dont les idées ne sont pas nécessairement incompatibles avec la démocratie ou la modernité.
s’agit-il pas finalement d’une idéologie comme une autre ? Cependant, la notion de « modération » dans la pratique reste assez floue. Le risque serait de tomber dans la subjectivité. Est-ce que la doctrine religieuse peut répondre aux besoins actuels et aux crises de la société ? A-t-elle réponse à tout ?
’Islam et le pouvoir. Ces seuls mots suffisent à enflammer les Si nous devions bannir toutes les esprits. Certains préfèrent s’absdoctrines politiques inspirées d’une tenir de donner leur avis par manque culture religieuse, alors plusieurs partis de connaissance sur le sujet, d’autres s’y opposent vivement pour Si nous devions bannir toutes les doctrines politiques inspirées d’une culture religieuse, défendre la laï- alors plusieurs partis et gouvernements à travers le monde seraient tenus de disparaître. cité de l’Etat, Peut-elle s’adapter à toutes les évoluet gouvernements à travers le monde d’autres encore critiquent sans véritations sociales, économiques seraient tenus de disparaître. En Alleblement connaître l’islam politique. Le auxquelles nous faisons face ? magne, l’Union chrétienne-démocrate plus souvent, et il serait assez hypocrite Il faudrait avant tout se distancier des qui a récemment été réélue s’inspire de vouloir le nier, nous accordons un avis reçus et garder un esprit critique des idées chrétiennes de la société et de sens péjoratif à cette question. L’islasur les idées véhiculées afin s’imaginer la politique. Angela Merkel en est-elle mophobie, qui est toujours bien ancrée si celles-ci pourraient s’adapter à notre pour autant une théocrate ? S’il est légidans notre société ainsi que les récents société. time d’être méfiant à l’égard de régimes événements survenus en Egypte, par « un peu trop » islamiques alors nous exemple, alimentent l’idée selon ladevrions l’être également pour tous les quelle un régime où le pouvoir est détecourants confessionnels. nu par un parti de confession islamique Nous devrions commencer par se deest forcément une théocratie. L’écart mander si la religion est véritablement entre l’islam politique dit modéré et une source fiable pour la politique. Ne
Religion et politique incompatibles?
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Volume 32 - Numéro 1
ISLAM ET POUVOIR POLITIQUE La Syrie, l'Occident et la marche du monde arabe Propos recueillis par Guillaume Freire et Gabriel Arruda
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ans le cadre de notre dossier L'Islam et le pouvoir, Samir Saul, professeur agrégé au département d'histoire de l'Université de Montréal, a accepté de répondre aux questions de l'équipe du Polémique. Spécialiste de l'histoire des relations internationales et du monde arabe, il démystifie pour nous la guerre en Syrie et les évènements du Printemps arabe.
Le Polémique: On tend souvent à percevoir les violences au Moyen-Orient comme des luttes entre confessions religieuses. Qu’en est-il du conflit syrien? Samir Saul : L’idée de conflit confessionnel est une notion à rejeter. C’est un masque que les pays du Golfe, dont le Qatar et l’Arabie Saoudite, utilisent pour couvrir une lutte politique et géostratégique contre l’axe Syrie-Iran-Hezbollah pour le contrôle de la région. Le dernier participant à cette « coalition » occidentale est la Turquie. C’est pour elle une occasion d’étendre son influence dans la région, dans ce qu’on appelait autrefois le Levant : la Syrie et le Liban [NDLR : La Turquie est le successeur du défunt Empire ottoman, qui avait le contrôle de la majeure partie du Maghreb et du Moyen-Orient]. Les Occidentaux et leurs alliés locaux promeuvent la guerre civile entre les confessions de manière à affaiblir l’État, le démembrer. Ce serait pour faire de la Syrie une nouvelle Libye : un État factice, où le gouvernement ne gouverne rien, où des factions tribales et idéologiques dominent. C’est une façon pour eux d’éliminer un État obstacle au contrôle de la région. La guerre en Syrie oppose l’alliance occidentale et ses associés locaux à la Syrie et ses alliés. On ne peut pas sérieusement affirmer qu'il s'agisse d’un conflit confessionnel. De plus, l’armée syrienne est majoritairement sunnite ainsi qu'un nombre important des membres du gouvernement. Bien sûr, le président est alaouite. Cependant, ce serait la même chose que de se demander si Harper est protestant ou catholique: peu importe ! P : Quels pourraient être les intérêts des Occidentaux à créer un conflit pour déstabiliser la région? S.S : Ils veulent arriver à un affaiblissement durable de l’axe Syrie-Iran-Hezbollah, qui s’oppose au contrôle total de l’Occident dans la région. Depuis la révolution de 1979, l’Iran échappe à l’emprise des États-Unis. Ils n’ont jamais accepté cette perte : c’était l’équivalent de l’Égypte de Moubarak à cette époque. De plus, l’Iran est un allié du Hezbollah et de la Syrie. Ils font tous deux obstacles à la politique israélienne de contrôle du Liban. Sans eux, le Liban serait un satellite d’Israël. P: Doit-on craindre un scénario afghan, avec des rebelles islamistes armés pouvant se retourner contre l’Occident? S.S : Oui, c’est un des grands dangers. Les États-Unis et leurs alliés pensent utiliser les djihadistes contre leurs ennemis communs, et ensuite on verra. Même Brzezinsky, l’auteur de la stratégie qui créa Al-Qaeda [NDLR : les États-Unis ont appuyé les moudjahidin afghans contre les Soviétiques], dit que c’est une politique irresponsable parce que ce sont des électrons libres. Ils vont éventuellement finir par agir dans leur propre intérêt aux dépens de leurs alliés occidentaux. Par exemple, je m’attendais à ce que, tôt ou tard, les djihadistes libyens s’en prennent aux Occidentaux, comme cela s’est passé lors de l’attaque à Benghazi en septembre 2012. Ces groupes sont à base idéologique et d’accord avec les Occidentaux sur certains points. Les deux sont contre les États laïcs et nationalistes. Les Occidentaux ne veulent pas des nationalistes dans la région, car ils tendent vers le modernisme et l’indépendance. Ce n’est pas un hasard que les États-Unis attaquent l’Irak, la Libye et la Syrie : leurs gouvernements pouvaient être des obstacles au contrôle de la région. S’ils réussissent, les djihadistes en Syrie créeraient un chaos de type libyen et passeraient à l’action à l’étranger. Les plus écervelés du côté occidental espèrent que la prochaine cible des djihadistes sera la Russie. Elle pourrait effectivement être une cible, et c’est une des raisons de son implication en Syrie, en plus du fait qu’elle soit une alliée de longue date de la Syrie. Le conflit en Syrie est un coup de poker mondial pour les Américains. Si les djihadistes réussissent, ils ne vont pas s’arrêter en si bon chemin. Le scénario a commencé par un mauvais calcul en 2011. Les États-Unis et leurs alliés croyaient que la Syrie était comme la Libye et qu’ils pourraient utiliser le même mode d’opération. La Syrie est militairement plus puissante et elle a des alliés dans la région. Une attaque aérienne entrainerait une guerre régionale et générale. C’est pour cela que les États-Unis ont reculé au début septembre. Obama s'est piégé lui-même par sa « ligne rouge ». Sa faiblesse avait permis aux extrémistes – les néoconservateurs à la Bush et le lobby israélien - qui l’entourent d’orienter la politique américaine.
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DOSSIER P : Les États laïcs sont-ils possibles au Moyen-Orient? S.S : Les États laïcs sont possibles. Avec le temps, le discours religieux prendra une place de plus en plus marginale dans la vie politique. Historiquement, le monde arabe allait dans la direction de la laïcisation et du progrès. Il y a trois ou quatre décennies, le mouvement s’est arrêté. À l’interne, les pays qui se décolonisaient échouaient dans leur développement économique et politique. À l’externe, ils n’avaient pas réussi à sauvegarder l’indépendance de leurs pays. L’Occident favorisait de plus en plus le traditionalisme, car le modernisme donne des moyens d’être indépendant et permet de résister à l'influence occidentale dans ces pays. Le blocage de la voie moderniste à partir des années 1970 affaiblit les courants laïcs et progressistes. Avec la diminution de leur influence, la place était libre pour les islamistes. Ils en ont profité. C’est une des raisons de l’importance du Printemps arabe. Après 40 ans d’anesthésie, le monde arabe se redirige vers l’action politique dans un cadre laïc. Le discours islamiste est celui d’une autre époque : les islamistes se préoccupent de la Charia, au lieu d’actions politiques classiques (développement économique, démocratisation, indépendance nationale, progrès culturel); ils seront marginalisés. En Égypte, les Frères musulmans ont été mis de côté en moins d’une année dans un consensus qui m’a même étonné! Il y aura bien évidemment des obstacles à la disparition de l'élément religieux dans le discours politique. Les éléments passéistes des sociétés musulmanes se feront entendre, ainsi que l’Occident, qui ne désire pas le renforcement de ces États. Il est plus facile pour les puissances occidentales de contrôler des islamistes représentant une autre époque, comme on en retrouve en Arabie Saoudite, qu’un État qui veut se moderniser. P : Quelle est la place des femmes au Moyen-Orient? S.S : Elle doit être l'égale de l'homme, cela va de soi. Cependant, cette égalité ne s'acquiert pas sans l'évolution générale des conditions; l’inégalité hommes-femmes est le reflet de l'inégalité générale au sein des sociétés pauvres et sous-développées. Elle est étroitement liée à l'inégalité entre les classes et entre les catégories sociales. Il faut donc faire reculer l'inégalité de manière générale et cela vient avec le progrès social, le développement économique et la démocratisation. Il ne s'agit pas d’un sujet isolé. On ne peut avoir une société arriérée sur tous les plans, sauf sur le plan sexuel. Il en est de même au Moyen-Orient que dans le monde occidental, ou ailleurs. Isoler cette question, c'est tenter de détourner l'attention du véritable problème: le retard général de ces sociétés. P : Le retard de ces sociétés seraient le produit des puissances occidentales? S.S : Les grandes puissances feront tout pour gêner le changement dans cette région. Elles ont combattu la décolonisation, pour ensuite s'opposer aux nouveaux pays décolonisés. Durant les années 1980, il y a même eu le retour à une forme de colonisation. Il ne faut pas se faire d'illusions: les pays arabes ne sont pas des États indépendants. Il s'agit d'États contrôlés de l'extérieur depuis la reprise en main de cette région par les États-Unis dans les années 1980 et 1990. P: Quel rôle joue alors le Printemps arabe dans cette région? S.S : Le Printemps arabe, c'est la remise en marche des sociétés mises au sommeil durant trente ou quarante ans. Depuis les années 1970, cette région a été gouvernée par des gouvernements autoritaires qui obéissaient à Washington et où l'opposition, au sens politique classique du terme, était absente. C'est ce vide des nationalistes et de la gauhce qu’ont rempli les islamistes. Ce sont des conservateurs que les circonstances ont amenés à entrer dans la contestation et l’opposition des régimes en place. En réalité, les islamistes n’ont pas les mêmes objectifs. Leur projet politique est avant tout à caractère moral. De leur point de vue, les problèmes des pays musulmans trouveraient leur solution dans l’islamisation de la société. C'est ce que les Frères musulmans ont tenté d'accomplir en Égypte après leur arrivée au pouvoir en 2012. Le Printemps arabe pourrait donc être qualifié de deuxième décolonisation du monde arabe. On revient en effet à traiter les problèmes qui n'ont pas été réglés durant les années 1950 et 1960: sous-développement économique, dysfonctionnement du système politique et dépendance internationale. Il s'agit donc d'une perspective ouverte vers la remise en marche de l'histoire du monde arabe. P : À quoi peut-on s'attendre pour les prochaines années ? S.S : Le monde arabe est en train de changer. Quelles formes vont prendre ces changements? Je ne pourrais le dire. En Tunisie, on voit bien le recul du gouvernement islamiste amplifié par les revers subis des islamistes égyptiens. Le processus de transformation est maintenant en cours et va s'accélérer. On ouvre donc une nouvelle phase de l'histoire du monde arabe. On reprend le fil de ce qui a été interrompu dans les années 1970. Le présent et le passé sont très liés. Certains événements ne sont pas si nouveaux dans les faits. Il s'agit souvent de la continuation de processus qui ont débuté il y a longtemps. C'est pourquoi on étudie le passé en posant des questions soulevées par le présent et on comprend le présent en l'attachant à ses racines dans le passé.
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Volume 32 - Numéro 1
ISLAM ET POUVOIR POLITIQUE
La Syrie : une question de religion ou de pouvoir? Par Guillaume Freire
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gouvernements nationalistes au pouvoir; principalement des anciens généraux, comme Nasser en Égypte et Hafez AlAsad en Syrie. Ces États faisaient pied de nez aux Américains de deux façons : en ne leur permettant pas de contrôler la région, ainsi qu’en optant pour des politiques «socialisantes». Le but était de rehausser le niveau de vie et de développement de la population, mais dans la logique de la guerre froide, les Américains n’étaient pas les plus emballés!
de savoir qui les a utilisées. Les autorités américaines affirment qu’Assad en est le responsable, alors que les autorités russes blâment les rebelles. Le mandat de l’ONU se limitait à prouver l’existence d’armes chimiques en Syrie, et non d’identifier les responsables de leur utilisation contre la population civile. Cependant, une question se pose: pourquoi l’armée syrienne utiliserait-elle ce type d’arme contre sa population, alors qu’il a l’avantage dans cette lutte contre l’insurrection?
l nous semble presque usuel d’apprendre qu’il y a un nouvel attentat, un nouveau coup d’État dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Pouvons-nous affirmer pour autant que l’Islam y est pour quelque chose? Est-ce plutôt une culture de la guerre qui est présente? Et si nous essayions de voir tout Et nous arrivons à ce qui s’est passé durant Alors, pourquoi intervenir en Syrie? Nous cela avec une autre perspective : et si le les révolutions dans le monde arabe : avons, présentement, au Moyen-Orient, problème venait de l’extérieur? plusieurs dictateurs, présents depuis les une majeure partie des gouvernements Comme le croient les historiens, il est imannées 70, perdent le pouvoir. Pourquoi alliés à l’Occident, et peu leur font une possible de comprendre une situation en opposition politique, à part l’Iran ne regardant uniquement le moment Ce conflit n’est pas un combat religieux. et la Syrie. Toutefois, la force milioù le conflit éclate. Il ne faut pas non le gouvernement syrien, avec Bachar Al- taire syrienne est considérable dans la plus regarder ce qui s’est passé les semaines Asad, fils de Hafez, tient-il toujours? mesure où, depuis son indépendance, elle avant. Il faut observer l’Histoire. Ce conflit n’est pas un combat religieux. Ce a alimenté sa puissance militaire et son Premièrement, toute la région a déjà été n’est pas pour faire tomber un dictateur. système de défense national. Ainsi, dans sous possession ottomane jusqu’à sa chute, Sinon, les États-Unis pourraient aussi bien le cas où le gouvernement tomberait, les à cause de la Première guerre mondiale. s’attaquer à l’Arabie Saoudite (qui appuie groupes rebelles ne pourraient avoir une Ensuite, ce fut les mandats de la SDN qui fortement les rebelles, il faut le souligner). mainmise assez solide sur le pays. De plus, décidèrent quel pays allait s’occuper de la Russie ne peut permettre ça, surtout pas «gérer» les anciens territoires de l’Empire. Ce n’est pas non plus pour empêcher l’uti- dans sa cour arrière, chez un de ses alliés Comme vous pouvez le voir, la région ne lisation d’armes chimiques. Ces armes importants de la région. fit que passer d’un impérialisme à l’autre. ne servent qu’à dissuader les attaques Le conflit en Syrie est un drame humain À la suite de la décolonisation, les pays du extérieures, à défaut de posséder l’arme à grande échelle; le conflit perdure depuis Moyen-Orient commencèrent à avoir des nucléaire. De toute façon, il est très dur trop longtemps, avec son lot de perte humaine et matérielle. Le gouvernement a certes du sang sur les mains, tout comme les forces rebelles. Cependant, il ne faut pas oublier que tous les pays ayant fourni de l’aide à chacun des camps se sont aussi salis. Rappelons-nous l’Irak, rappelons-nous tous les conflits de la région comme l’Afghanistan: les interventions extérieures aident rarement la fin d’un conflit. Armer un camp pour organiser un putsch ou bombarder la capitale ne réglera rien dans d’Alessio Romenzi le cas présent. Syria under siege, 14 février 2012, Al-Qusayr, Syrie. worldpressphoto
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Élections municipales, enfin?
CHRONIQUES
Volume 32 - Numéro 1
Par François Robert-Durand
«L
ui, c'est monsieur tout-lemonde. C'est fascinant des gens comme lui parce qu'il y en a très peu, des monsieurs tout-lemonde».
N'y a-t-il pas là un paradoxe ? Comment peut-il susciter un tel engouement chez la population montréalaise ? Parvient-il à toucher les électeurs malavisés ? Les citoyens gavés aux calories vides et à l'obtention de solutions instantanées ? Ne vous leurrez pas, je suis soulagé qu'il y ait - enfin - des élections à Montréal.
Oh non, attendez! L'Équipe Coderre dispose bel et bien d'un «programme». Il y a, par exemple, la proposition de la ville intelligente, qui consiste à mettre la ville au diapason des désagréments de ses citoyens via les réseaux sociaux. Comme si les problèmes de la métropole ne trouveraient leurs solutions qu'à travers un simple agré-
C'est ce qu'exprimait le personnage de Xavier, incarné par l'acteur Romain Duris, dans l'excellent film Les Poupées russes. Cette allocution ne confirme-t-elle L'âpreté avec laquelle j'imagine Monsieur Coderre à la mairie n'a d'égale que pas le vieil adage qui affirme qu'en ma totale incompréhension vis-à-vis l'engouement populaire à son endroit. voulant toucher tout le monde, nous ne touchons Cette ville en a bien besoin. Or, l'âpreté gat de plaintes de 140 caractères ou moins. personne ? Ledit adage est, cependant, mis à rude avec laquelle j'imagine Monsieur Coderre Sans oublier son projet de «redonner les épreuve lorsque nous observons la popula- à la mairie n'a d'égale que ma totale berges aux citoyens». N'est-ce pas le calque rité de Denis Coderre, à l'aube de la cam- incompréhension vis-à-vis l'engouement d'une idée prônée, depuis des années, par Projet Montréal via son projet d'entrée pagne montréalaise. En effet, celui qui se populaire à son endroit. prétend défenseur de monsieur et madame Pourquoi incompréhension? Pensons maritime ? tout-le-monde s'avère être, au moment où d'abord à sa soit disant réflexion, aussi sont écrites ces lignes, le candidat favori à orchestrée que ridicule, sur son intention De toute évidence, Montréal a toujours de briguer la mairie. Après une attente qui brillé, non par l'action de ses élus, mais la mairie de Montréal. fut insoutenable par sa durée, quel en par celle de ses habitants . Ce qui est le est l'aboutissement? Une confirmation propre de très peu de villes dans le monde. officielle dont le corolaire est toujours Quoiqu'une équation entre les deux ne inexistant: un programme. causerait de tort à personne.
Les quatre principaux candidats à la marie de Montréal. De gauche à droite Richard Bergeron, Denis Coderre, Marcel Côté et Mélanie Joly.
LA MÉTROPOLE.COM
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CHRONIQUES
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Un regard hexagonal: Derrière la menace de l'extrême droite française, des Français plus confiants dans leurs institutions que leur classe politique Par Thibaut Le Verre
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ranle-bas de combat dans les partis de gouvernement français. Les sondages montent en faveur du parti extrémiste, et son leader, Marine Le Pen, ne se démonte pas ; et pour cause ! La formidable ascension du Front national (FN) bouscule un paysage politique endormi et trop confiant en ses assises. En effet, selon Christophe Borgel, le « Monsieur élection » du Parti socialiste (PS) cité par Le Monde, le FN pourrait recueillir aux municipales de mai « 10 à 15 points de plus que les 17,9% du premier tour de la présidentielle ». La perspective d'un Front national à 33% n'est donc plus une lubie. Face à ce constat, au moins deux postures sont envisageables. La première posture brille par sa mesure : les fascistes seraient en passe de reprendre le pouvoir et de rétablir le programme de Nuremberg. Ces opposants au FN prônent ainsi l'ignorance totale du succès rencontré par le Front national et misent sur l'essoufflement du mouvement. Pourtant, les analyses statistiques montrent bien une radicalisation de l'électorat français (Cf étude Cevipof 2013) et celle-ci serait davantage due à des causes profondes
qu'à un phénomène de mode. En plus d'être irresponsable, cette posture est contre-productive car l'ignorance d'une détresse de cette ampleur est l'assurance de sa progression. Une seconde manière de réagir, est, d'agir. Il faut aller au-devant du phéno-
Le Front national, avec 17,9 % aux présidentielles, totalise, lui, le nombre impressionnant de... deux députés. La classe politique française ne doit pas perdre confiance dans les institutions gaullistes. Depuis 1958, celles-ci
La formidable ascension du Front national (FN) bouscule un paysage politique endormi et trop confiant en ses assises. mène du Front national et ne surtout pas tenter la technique de l' « endiguement ». En 1981, lorsque François Mitterrand appelle 4 ministres communistes au gouvernement, provoquant l'ire de Reagan, le Parti communiste française totalisait approximativement le même score que le FN, soit 20%. Aujourd'hui, il représente moins de 5% des élus. Sans pour autant nommer des ministres issus du Front national, les élites politiques françaises pourraient du moins songer à leur représentativité à l'Assemblée Nationale. Les écologistes, qui ont obtenu le score de 2% aux présidentielles de 2012, possèdent deux ministres au gouvernement.
ont offert à la France un régime d'une très grande stabilité. Comme le montre l'absence de mobilisations massives en France, à l'image de celles qu'ont connues les pays du sud de l'Europe, les institutions de la Vème république sont capables d'institutionnaliser le conflit. Aujourd'hui, à la différence de 1789, 1830, 1848 et 1871, ce ne sont pas avec des fourches que les Français manifestent leur mécontentement, mais avec des bulletins de vote. Les Français ont joué le jeu de la démocratie, désormais il revient à leur classe politique de leur rendre la pareille. Ainsi, au lieu de chercher à circonscrire le problème du Front national, celle-ci ferait mieux de chercher à le résoudre.
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Volume 32 - Numéro 1
EXPAT'
Chaque mois, Le Polémique vous présentera un article à saveur politique d'un étudiant du département en échange dans une université étrangère.
Compañero, ¡presente! Ahora, y por siempre.
Par Mélanie Radilla, étudiante en échange au Chili
M
algré les multiples mises en garde de la maison internationale et toutes les histoires relatées par mes ami.es suite à leur séjour à l’étranger, je n’ai pas ressenti le choc culturel tant attendu en arrivant dans la capitale du Chili. Il faut dire qu’après un mois sur les routes – dangereuses – de la belle, mais ô combien chaotique, polluée et déroutante Bolivie, Santiago m’a presque fait l’impression de revenir dans un énorme Montréal. La même ambiance décontractée y règne, j’utilise le métro pour me rendre à l’école et mes trois cours me donnent autant de travail qu’une session complète à l’Université de Montréal – sauf qu’ici, mes longues fins de semaine de 5 jours me permettent de voir du pays. Par ailleurs, être entourée d’une majorité d’amis du Québec ou d’autres pays francophones ne contribue pas à mon dépaysement; à l’heure où j’écris ces lignes, ma colocataire et moi attendons des invité.es pour un grand souper poutine! Il m’aura fallu un mois et demi pour commencer à appréhender la principale et profonde différence entre les cultures québécoise et chilienne. C’est avec l’effervescence autour du 11 septembre que cela m’a enfin frappé : à 40 ans du coup d’État qui a mis Augusto Pinochet à la tête du Chili, le pays ne s’est toujours pas remis de la dictature qui a duré dix-sept ans. Et pour cause! Sa transition démocratique est la plus lente d’Amérique du Sud. On trouve encore dans le paysage politique actuel un grand nombre des proches de Pinochet (dont Evelyn Matthei, une candidate importante aux prochaines élections présidentielles), les institutions sont les mêmes que celles qu’il a imposées, les inégalités
économiques entre habitant.es dues à l’économie de marché libérale qu’il a implantée sont toujours criantes, bien qu’en diminution depuis la fin de son règne, et le coût de la vie est ridiculement élevé. Si Pinochet divise encore, – d’aucuns sont d’avis que les actions commises par son régime, qui est responsable de meurtres, d’enlèvements, de disparitions et de tortures, ne font pas le poids face à la modernisation qu’il a amenée au Chili – la majorité des gens semble maintenant désireuse de voir un changement politique qui leur permettra d’enfin tourner la page,
conflits beaucoup plus violents avec la police), les commémorations des 40 ans du début de la dictature ont été aussi nombreuses que variées. Émouvantes aussi. À plusieurs endroits dans Santiago – et dans le reste du pays, sans doute – de vibrants hommages ont été rendus : on pouvait entre autres entendre dans toutes les manifestations les foules s’exclamer ¡Presente! lorsqu’on nommait des victimes de la dictature, dans une touchante manière de dire que même s’ils ne sont plus physiquement là, les assassiné.es et les disparu. es seront toujours présent.es. Difficile de ne pas répondre en même temps que tous
«Ici sommes-nous, ceux et celles qui n'oublient pas» Marche commémorative du 11 septembre 2013. à commencer par l’ex-présidente Bachelet, qui se représente cette année et qui base entre autres sa campagne électorale sur la promesse de remplacer la constitution qu’avait imposée l’ex-dictateur. L’anniversaire du coup d’État du mois passé revêtait donc une signification particulière cette année. De la création de murales aux manifestations familiales, en passant par les inévitables affrontements entre carabineros et encampuchados (des jeunes gens masqué.es qui rappellent les « black blocs » mais qui ont souvent des
MÉLANIE RADILLA
les autres et de ne pas être bouleversée lorsqu’on est entourée de centaines de chilien.nes qui sont passé.es à travers les 17 ans de pouvoir de Pinochet, qui, pour la plupart, ont perdu des proches et qui n’ont sans doute pas encore obtenu justice.
Novembre 2013 11
Volume 32 - Numéro 1
POLÉMIQUE DU MOIS
Deux journalistes, deux points de vues, un sujet. Faites entrer la polémique. Ce mois-ci: pour ou contre une intervention étrangère en Syrie?
Par K.B.
POUR
Depuis mars 2011, la révolution syrienne fait rage. Les rebelles s’opposent à l’armée du président Bachar Al Assad dans un conflit qui a déjà fait plus de 50 000 morts, dont une très grande majorité de civils. La communauté internationale se doit désormais d’intervenir. L’attaque au gaz qui a eu lieu l’été dernier a marqué une importante escalade des tensions dans le conflit, faisant quelques centaines de morts, d’autant plus que l’ONU n’a pu en identifier les responsables (les deux principaux belligérants se renvoyant l’accusation). Pris entre les deux camps, ce sont les civils qui sont les principales victimes de cette guerre. Elle prend d’ailleurs des proportions démesurées avec l’exécution, par des rebelles sunnites, de près de 200 civils chiites alaouites, dans la ville natale du président, ou encore à Damas, où les habitants piégés souffrent de malnutrition et n’ont plus accès à des soins médicaux. Il est évident qu’une intervention gérée et décidée exclusivement par les puissances occidentales risquerait de donner au conflit une dimension inouïe, la Russie et l’Iran y étant radicalement opposés. Néanmoins, il est clair que la situation dégénère, entraînant toujours plus de belligérants dans le conflit, comme le Hezbollah (qui soutient désormais l’armée loyaliste). Ainsi la seule intervention envisageable devrait être organisée par la communauté internationale, et ce exclusivement au nom de la responsabilité de protéger. Quand bien même le gouvernement syrien aurait montré des signes de coopération en rejoignant récemment l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC), les combats se poursuivent, poussant les populations à se réfugier ou dans une Égypte réticente, ou vers une Turquie qui peine à accueillir tous les réfugiés. Par ailleurs, l’opposition syrienne refuse de considérer le maintien à la présidence de Bachar Al Assad. Et si depuis un an un processus de paix a été entamé à Genève à l’initiative de Moscou, il n’a rien donné ; l’ONU doit toujours fixer une date pour la conférence de Genève-2, destinée à enclencher de sérieuses négociations entre rebelles et gouvernement. Une intervention armée pourrait être mise en place dans la continuité de ce processus de paix et serait un moyen de le faire avancer. Certes, elle ne mettra sans doute pas directement fin au conflit, mais elle permettra du moins à la communauté internationale d’en réduire l’étendue et de limiter les victimes, déjà trop nombreuses.
Par Jeanne Bettez
CONTRE
De nombreuses raisons expliquent mon désaccord avec une intervention armée en Syrie, en commençant par la complexité de la réalité syrienne. Offrir un appui simpliste aux rebelles syriens est selon moi inconsidéré. En effet, ces rebelles sont d'allégeances politiques et idéologiques diversifiées, allant des djihadistes aux brigades nationalistes, en passant par les kurdes... Ce sont des groupes qui éprouvent eux-mêmes des scissions à l'interne. Tous agissent seuls contre le régime d'alAssad, certains se disputant le beau rôle de meneur de la révolution. La semaine dernière encore, 50 combattants sont morts lors d'une échauffourée entre des djihadistes et des rebelles dits «modérés». Que viendrait faire une armée étrangère dans ce débat national? Pour ma part, je ne pense pas que ce type de présence soit pertinente dans la résolution de ce conflit; elle risque au contraire d'envenimer les relations entre rebelles. Je ne condamne cependant pas toutes les formes d'intervention. L'envoi de médicaments et de personnel de la santé est absolument nécessaire pour tenter de minimiser les ravages de ce conflit. Dernièrement, on entend beaucoup parler d'une nouvelle intervention, le démantèlement des armes chimiques, par l'OIAC (Organisation pour l'Interdiction des Armes chimiques). Je dois dire que je ne peux pas me prononcer contre l'élimination des armes chimiques de la Syrie, puisque je suis en faveur la démilitarisation. Toutefois, je crois qu'il faut rester critique à l'égard de cette organisation, qui s'affaire après tout à mettre en œuvre l'accord de Kerry-Lavrov, qui représentent les intérêts de la Russie et des États-Unis. Et justement, ce qui me m'agace avec ce démantèlement, c'est la possibilité qu'il offrira ensuite à l'Occident d'assurer sa mainmise sur la Syrie. Jusqu'ici, le démantèlement s'est fait dans une relative coopération avec le gouvernement syrien, ce qui semble éloigner pour l'instant l'intervention armée. Pourvu que ça dure... Remarque: quelques jours à peine après le début de ses activités en Syrie, l'OIAC remporte le prix Nobel de la paix... Mais de quelle paix au juste? N'est-ce pas profondément ironique que de leur attribuer une telle récompense à ce moment-ci, alors que nous savons tous que ce pays n'est pas au bout de ses peines? Il faut commencer quelque part, je sais bien, mais à l'heure actuelle, le démantèlement n'est pas terminé et les combats continuent, avec des armes «acceptées» internationalement. Bref, petit malaise face à ces flatteries mutuelles entre institutions internationales.
Novembre 2013 12
Volume 32 - Numéro 1
ARTS ET CULTURE
La vie d'Adèle, la passion entre deux femmes Par Gabriella Stien
E
mma aime l’art. Adèle, c’est l’enseignement. Emma vit au jour le jour en cultivant sa passion. Adèle, elle, cherche une vie plus stable. En l’espace d’un instant, un regard suffit pour déclencher le coup de foudre entre ces deux femmes, pourtant si différentes. L’histoire séduit par sa simplicité. Adèle, une jeune lycéenne introvertie, croise un jour dans la rue la mystérieuse Emma aux cheveux d'un bleu éclatant.. Toutefois, ce moment éphémère la perturbe, la désoriente. Un soir, Adèle la retrouve dans un bar gai de la ville. Emma, regard envoûteur, œil de conquête et homosexualité assumée, magnétise Adèle. Elle ignorait à ce moment que cette rencontre allait bouleverser la suite de son existence. Un réalisme cru. La beauté du film ne se manifeste pas par les méandres d’une histoire d’amour à l’Américaine.
Le Parc de la Paix, un réalité qui dérange Par Anaïs Boisdron
L
orsque je pense à Montréal, les premières images qui me viennent en tête sont celles de la ville chaude et accueillante, aux arbres flamboyant, à la poutine dégoulinante et aux habitants courtois et charmants. Toutefois, lorsque je porte un regard plus critique, s’imposent à moi, dans une vision beaucoup moins lyrique, la neige, le froid, et les sans-abris que l’on croise quotidiennement, qu’importe la saison. Vous savez, celui de Berri-UQAM qui vous tient la porte dont on a du mal à éviter le regard, celui de Côte-des-Neiges qui squatte le banc à votre plus grand désarroi, ou encore celui assis à côté du Pharmaprix que vous ne regardez même plus, auquel votre bien-pensant coloc’ file une canette de bière en sortant du Métro.
Le cinéaste, Adbellatif Kechiche, dénude C’est l’art d’exploiter un angle de la réalité plutôt cet amour stéréotypé pour dévoiler pour en créer une œuvre digne de la Palme le plus fidèlement et humblement possible d’or. C’est probablement l’un des premiers la passion absolue entre deux femmes dans réalisateurs qui a non seulement le culot de un univers sociohistorique très proche du présenter sans censure l’attachement entre nôtre. Pourquoi ce film a tant touché les deux femmes, mais qui a également poussé gens, que ce soit autant au sein de la com- la chose au-delà. Dans quel film a-t-on osé munauté homosexuelle qu’hétérosexuelle? filmer un couple lesbien dans l’acte sexuel? Comment se fait-il qu’un film, aussi Autant de sensualité s’avère une première controversé soit-il, puisse décrocher l’ho- dans l’histoire. Xavier Dolan a osé franchir norable Palme La beauté du film ne se manifeste pas par les méandres d’une d’or? À mon histoire d’amour à l’Américaine. avis, l’histoire est libérée de toute contrainte morale et de certaines limites dans J’ai tué ma mère, qui clichés (liés à l’homosexualité). Je me suis raconte la liaison passionnelle entre deux donc immergée dans ce réalisme frappant jeunes hommes, mais pas au même niveau. et cet univers qu’est la vie d’Adèle. Franche- La beauté de la chair. Certains diront que ment, on y croit. On croit au personnage Kechiche s’est montré peu pudique quant de la jeune et naïve Adèle qui découvre à aux scènes dévoilant des corps nus. Pour15 ans ce qu’est le premier amour. On croit tant, dans la plupart des films, on sabote à son sourire lorsqu’elle regarde Emma, à l’amour physique en montrant des idéaux ses larmes et ses manières un peu gauches. et des conceptions faussées sur le sexe. On croit à cet amour qui naît dans un Dans la vie d’Adèle, l’enchevêtrement des contexte très fragile. Parce que c’est ça le corps ne présente aucune obscénité ou cinéma. vulgarité. L’intime est ainsi révélé, simplement. Car oui, Montréal, comme toute grande ville, possède cette personnalité doubleface, sinon complètement schizophrène. L’une est polie et l’autre, dure, âpre, vous laisse un goût aigre dans la bouche. On nie cet aspect, on ne veut pas le regarder. C’est pourtant ce qu’a entrepris le réalisateur David Bouthillier dans son documentaire « Peace Park/Place de la paix ». En premier lieu, loin du caractère satirique qu’on lui attribue à présent, le vidéaste n’avait pour intention que de faire de la planche à roulette et de filmer les individus de ce repère, qui étaient alors plus célèbre, du fait de leurs acrobaties en skate que de celles de leurs seringues. Situé dans le RedLights district de Montréal, ce parc fait de granit et de quelques arbres est ouvert jour et nuit. Représentant l’engagement Québécois contre les incidents nucléaires et le respect pour leurs victimes, le parc est inauguré en 1994. Dix ans plus tard c’est une réalité tout autre qu’il évoque:
les bancs en sont retirés dans un souci de « nettoyage », sinon de « purification ». Du fait de son emplacement, prostitués, chalands, skateurs, voyous, sans-abris et drogués de tous genres s’y donnent rendez-vous. Au milieu de ces derniers, David et sa caméra, qu’il laisse tourner pendant plus de onze ans. Son documentaire se meut en un témoignage d’images-fleuve d’existences qui dérangent, des existences qui ont leurs histoires intrinsèquement liées à ce parc. Des marginaux que la mairie de Montréal s’évertue à ignorer. Présenté au festival du nouveau cinéma en 2011, Peace Park à cependant été sujet à une nouvelle projection le 29 Août 2013 en plein air sur la place de la paix elle-même. On ne peut qu’apprécier cette piqûre de rappel d’un documentaire qui, il me semble, est passé beaucoup trop inaperçu. En attendant la rediffusion prochaine du documentaire, il nous est possible de suivre l’actualité du projet « Peace Park » via la page Instagram du vidéaste (davidboots).