ARCHIVES* 2. Recherche Théorique
Clara Le Bihan Lécuyer au sein du département Théorie Histoire du Projet sous la direction de Luca Merlini, Orfina Fatigato et Bérénice Gaussuin, 2016
travail de
Les Résidences du Purgatoire, Monument au mort du XXe siècle et chapelle de la Mondialisation
NAPLES, ITALIE
archives Printemps 2016
Couverture
Cadrage sur la carte du relevé végétal de la baie de Pozzuoli, Naples d’après Google Map, 2015. Production personnelle.
INTRODUCTION Un Deuil Les résidences du Purgatoire, monument au mort du XXe siècle et chapelle de la Mondialisation
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LA MÉMOIRE ET L’IDENTITÉ INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE FACE À LA MONDIALISATION Transmission Le passage du professeur à l’élève La mémoire Constituée par l’oubli et qui existe par sa porosité Le prisme identitaire Comment on reçoit les informations Fait sociétal Interaction avec de nouveaux référentiels
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LE DOGME DANS LA PRATIQUE ARCHITECTURALE Assimilation La connaissance Règle Pensée et conduite Pratiques Philosophie et application concrète
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L’INTERPRÉTATION POUR ET DANS LA CRÉATION Le diplôme Le désir inconscient Les mots L’objet
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BIBLIOGRAPHIE . L’identité du site . La mémoire . La méthodologie
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Lorsque1 j’ai dit à ma grand mère Bernadette que le sujet de mon diplôme porte sur les résidences du Purgatoire, elle qui est croyante et pratiquante, m’a coupé avant que je ne développe le sujet pour me dire qu’elle n’y croit pas au Purgatoire. Que Jean-Pierre, son mari et mon grand-père, est monté directement au Paradis2. Car en fait, le Purgatoire3, il l’a vécu sur Terre.
Cimetière de la Chapelle Sainte Claire, Quimper. Photographie personnelle.
1. Le mardi 8 mars 2016, dans une brasserie en face de la gare de Lyon, Paris. 2. Le 11 aout 2015. 3. Souffrant de la maladie d’Alzheimer dont la majorité des caractéristiques est liée à l’idée de perte des sens. Perte qu’ont également certains des personnages au purgatoire de Dante.
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INTRODUCTION - UN DEUIL
Les résidences du Purgatoire, monument au mort du XXe siècle et chapelle de la Mondialisation Mon diplôme est la vision de l’architecture pour l’étudiante que je suis, arrivée à la fin d’un cycle. La problématique de ce diplôme est de proposer des logiques et des règles qui amènent dans une suite de mises en abîme à la production d’architectures. Les cinq projets constituant le diplôme répondent à une requalification des sens qui est définie et différente pour chaque projet selon sa spécificité programmatique et le milieu choisi dans lequel il s’intègre. Cet essai a pour vocation d’être une réflexion sur le mécanisme d’apprentissage et de restitution au sein de la discipline architecturale afin de montrer que ce mécanisme est désormais -une fois le passage dans les rouages d’une école d’architecture- indissociable de toute pratique. Comprendre ces mécanismes avec ces recherches est je pense le pilier théorique nécessaire au projet de diplôme mais également une belle conclusion aidant au deuil de la fin d’un cycle estudiantin. C’est pourquoi mon mémoire se divise en deux parties : la première qui explique ma perception de la transmission de savoir et sa réception ; la seconde qui rend compte de mon positionnement par rapport à l’influence des savoirs sur la production. Ces deux parties qui posent mes bases théoriques me permettent de rentrer dans un processus créatif. Mon projet à travers cinq différentes archives apporte une solution urbaine à la ville de Naples pour accepter la Mondialisation en faisant son deuil du XXe siècle. Ce deuil passe par la prise de conscience de ce qu’on est en tentant de comprendre le passé, le présent et le futur. ARCHIVES 7
Cours de T9 sous la direction de Carlotta Daro o첫 est intervenue Dominique Rouillard. Rue Jacques Callot, Paris, novembre 2015.
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LA MÉMOIRE ET L’IDENTITÉ INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE FACE À LA MONDIALISATION -TRANSMISSION
Le passage du professeur à l’élève
La transmission d’un savoir passe, dans ma logique d’apprentissage, par un ensemble de conditions et particulièrement celle de réceptivité, c’est-à-dire mon aptitude à recevoir des impressions et à subir des influences4. Je ne peux considérer un apprentissage sans compréhension ni assimilation ; le par-cœur est une méthodologie qui m’est inconnue dans la logique d’assimilation ; cette méthodologie n’en est pour moi pas une mais un outil car elle ne nécessite qu’en second lieu la compréhension par son utilisation. Les déclinaisons Latines sont un exemple de cette méthodologie : un apprentissage systématique de celles-ci pour ensuite assimiler un fonctionnement d’écriture et de traduction. Lors d’un apprentissage il y a la notion de choix de perception : comment décide-t-on de percevoir l’information et quelle importance lui donner ? Lorsque je prends notes d’un cours, je dessine son contexte, les gens qui en sont à l’initiative ou les visuels qu’ils nous montrent. C’est ma façon d’intercepter la transmission5. C’est pourquoi la façon dont je rend compte de Naples par le dessin6 est un choix de perception de la ville. Prenons par exemple la phrase «le chat est bleu», chaque personne avec sa personnalité va interpréter l’information différemment et donc l’assimiler et réagir selon sa propre individualité. La gourmande se demandera si « le chat est bleu » comme les chocolats qu’elle mangeait dans son enfance. L’étudiante en art, visualisera le fameux chat et s’interrogera sur un chat bleu Klein ou un chat cyan : alors que le ratio-
4. »le penseur qui s’est libéré de son époque est toujours tracassé par ses années de formations universitaires.» page 10. Novalis. Le monde doit être romantisé. Allia. Paris IV, 1848. 5. «Le langage est l’invention la plus extraordinaire de l’humanité. Celle qui précède tout, partage tout. Sans le langage pas de sciences, pas de techniques, pas de lois, pas d’art, pas d’amour. Mais cette invention, sans l’apport des locuteurs devient virtuelle, elle peut s’anémier, se réduire, disparaitre. Les écrivains, dans une certaine mesure en sont les gardiens. Lorsqu’ils écrivent, leur poèmes, leur théâtres, ils font vivre le langage. Ils n’utilisent pas les mots mais au contraire ils sont au service du langage. Il le célèbre, l’aiguise, le transforme parce que le langage est vivant par eux, à travers eux et accompagne les transformations sociales ou économiques de leur époque.» Guillaume Gallienne. « JeanMarie Le Clézio qui reçoit le prix Nobel de littératureen 2008 ». ARCHIVES 9
ça peut pas faire de mal. France inter, aout 2014. 6. «Quand on voyage et qu’on est praticien des choses visuelles : architecture, peinture ou sculpture, on regarde avec ses yeux, et on dessine afin de pousser à l’intérieur, dans sa propre histoire, les choses vues. Une fois les choses entrées par le travail du crayon, elles restent dedans pur la vie ; elles sont écrites, elles sont inscrites (...) Dessiner soi-même, suivre des profils, occuper des surfaces, reconnaître des volumes, etc.., c’est d’abord regarder, c’est être apte peutêtre à observer, apte peut-être à découvrir ... à ce moment-là. Le phénomène inventif peut survenir. On invente et même on crée ; tout l’être est entraîné dans l’action ; cette action, c’est le point capital. Les «autres» sont restés passifs ; vous, vous avez vu !» Le Corbusier, L’Atelier de la recherche patiente, Editions Vincent Fréal, Paris 1960, cit. dans M. Bédarida, op. cit., page.17. Orfina Fatigato. Napoli est réussi. Architetture e arti, 2013.
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naliste dira que c’est impossible et que le cinéphile se demandera si le chat n’est pas le nouveau personnage de la version Walt Disney d’Avatar. L’identité individuelle est un prisme qui filtre les informations et il est inconsciemment indissociable de l’apprentissage.
LA MÉMOIRE ET L’IDENTITÉ INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE FACE À LA MONDIALISATION - LA MÉMOIRE
Constituée par l’oubli et qui existe par sa porosité
Le postulat que la mémoire7 est constituée par l’oubli et existe par la porosité inhérente à ce dernier se justifie par le fait que pour mémoriser une chose il faut faire abstraction de ce qui l’entoure. La mémoire dans son immatérialité est un concept abstrait qui se matérialise à travers la transmission qui est sa vocation première. Lorsque je dessine mes cours, je choisis de représenter les détails qui pour moi sont essentiels aux souvenirs; ce sont mes objets mnémotechniques, mes clés de savoirs. Le deuil8 est un état de transition qui permet d’assimiler la fin d’une chose. Ce moment a une durée déterminée par un temps d’acceptation d’un ensemble de faits. Lors d’un deuil, la mémoire est sollicitée par la volonté du souvenir. Le souvenir est une déformation d’un moment ou d’un fait filtré par la mémoire. Le deuil permet de rassembler ces souvenirs afin d’en faire une mémoire d’une perte9. La répétition des souvenirs permet une assimilation définitive qui se traduit par une déformation de ces premiers qui ne sont plus que des souvenirs déformés par le prismes des autres souvenirs. Cet acte de création initié par la répétition se concrétise par une finalité, une acceptation d’un passé révolu. Le diplôme est pour moi un deuil car il conclut la fin d’un cycle qui est celui des études en école avec le corps professoral. Lors du deuil comme du diplôme il y a un état des connaissances10. Le rapport d’aller-retour et de répétitions11 que je veux utiliser entre le projet architecturé et ma base de référentiels12 issue des connaissances territoriales est
7. définition Larousse : Cette fonction, considérée comme un lieu abstrait où vienne s’inscrire les notions, les faits. 8. «Le mythe nous dit que toute poésie naît d’une perte, qu’elle voudrait transmuer en un chant consolateur.» page 173. Arthur Schopenhauer. Esthétique et Métaphysique. Le Livre de Poche. Les Classiques de La Philosophie, 1851. 9 »Le mythe nous dit que toute poésie naît d’une perte, qu’elle voudrait transmuer en un chant consolateur.» page 173. Ovide. Les Métamorphoses. folioplus classique 55, 8 ap. J.-C. 10. «Sur le hasard oublié Ce n’est que sur un réseau de rues qui se sont tracées un peu au hasard (le hasard urbain n’est jamais qu’un très grand nombre de décisions rationnelles oubliées) et au fur et à mesure de la densification spontanée (ou mercantile) du quartier, que quelques constructions contemporaines parviennent à réaliser une continuité vivante ; et très rarement, lorsque le tracé est artificiel, de type «ville nouvelle», et cela, malgré de réels efforts de compréhension sociologique et de lucidité de la part de certains maîtres d’ouvrage. Une sorte de fatalité : on ne créé ARCHIVES 11
rien à partir de rien, il faut un ensemencement, un germe.» Simone & Lucien Kroll. tout est paysage. Sens & Tonka & Cie., 2012, page 133. 8. «C’est par là que la répétition est la pensée de l’avenir : elles s’oppose à la catégorie antique de la réminiscence, et à la catégorie moderne de l’habitus. C’est dans la répétition, c’est par la répétition que l’Oubli devient une puissance positive, et l’inconscient, un inconscient supérieur positif.» page 15. Gilles Deleuze Différence et Répétition. Presse Universitaires de France. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 1968. 11. «C’est par là que la répétition est la pensée de l’avenir : elles s’opposent à la catégorie antique de la réminiscence, et à la catégorie moderne de l’habitus. C’est dans la répétition, c’est par la répétition que l’Oubli devient une puissance positive, et l’inconscient, un inconscient supérieur positif.» page 15. Gilles Deleuze Différence et Répétition. Presse Universitaires de France. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 1968. 12. cf Naissance d’un imaginaire, Les résidences du Purgatoire tome I. printemps 2016 13. « Quand il arrive dans une nouvelle ville, le voyageur retrouve une part de son passé dont il ne savait plus qu’il la possédait. L’étrangeté de ce que tu n’es plus ou ne possède plus t’attend au passage dans les lieux étrangers et jamais possédés. » page 39, Italo Calvino. Les villes invisibles. Folio., 2002. 14. «La question du fragment en architecture est particulièrement importante, car
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pour moi fondamental pour répondre à une logique de territoire et au maximum à des attentions fortes sur la méthodologie. Cet échange est alors régi par la mémoire et par le choix de celle-ci d’exister. Pour moi, comme un concept de création de référentiel, la mémoire initie l’identité au sens que pour l’existence d’une identité, une sélection de souvenirs construisant celle-ci est inévitable : la mémoire ne peut exister que par l’oubli, comme l’ombre ne peut exister sans la présence de la lumière. La mémoire doit suinter de l’architecture pour que de façon subliminale, une appropriation des espaces engendrés soit naturelle. La mémoire retranscrite13 est issue de dualités qui font les espaces remarquables qui marquent et auxquels il est facile d’assimiler un souvenir14, une idée, une sensation. Ce type d’assimilation se rapportant à la science de la mnémotechnie dans sa plus simple application et ressenti. Schopenhauer défend l’idée d’un fatalisme transcendant qui repose sur le fait que nos actions sont le produit nécessaire de deux facteurs15. Le site de projet dans son caractère immuable, dans sa nature déterminée par des motifs qui régissent les actions d’appropriation constituent alors une détermination à projeter une contingence physique d’une donnée de ce milieu. Mon projet Archives : Les Résidences du Purgatoire, Chapelle de la Mondialisation et Monument au mort de la Mondialisation se concrétise en cinq bâtiments qui répètent16 la même action d’appropriation du territoire et le même programme d’Archives. C’est donc une série d’édifices-deuil qui ponctue le territoire pour aider celui-ci à accepter son histoire.
seules les ruines expriment peutêtre complètement un phénomène.(...) Cette capacité à utiliser des fragments de mécanismes dont le sens général est en partie perdu m’a toujours intéressé, y compris sur le plan formel. Je songe à une unité, ou à un système, fait uniquement de fragments recomposés; seul, peut-être, un grand élan populaire peut-il nous donner la clé d’un dessin d’ensemble.» Aldo Rossi. Autobiographie scientifique. Parenthèses. Eupalinos, série architecture et urbanisme, 2010, page 24. 15. « le premier est notre caractère, qui reste immuable dans sa nature , mais ne nous est connu qu’à postériori et progressivement, parce qu’il est déterminé par les motifs que nous découvrons à nos actions, et qui constituent le second facteur de détermination» p.16, introduction de Angèle KremerMarietti dans le livre de Arthur Schopenhauer. Esthétique et métaphysique. Le Livre de Poche. N.p., 1851. Print. Les Classiques de la Philosophie. 16. «Dans la répétition, il y a donc à la fois tout le jeu mystique de la perte et du salut, tout le jeu théâtral de la mort et de la vie, tout le jeu positif de la maladie et de la santé.» page 13. Gilles Deleuze. Différence et Répétition. Presse Universitaires de France. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 1968.
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PrĂŠsentation du workshop Tourism Landscapes. IUAV, Venise, 18 septembre 2015.
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PrĂŠsentation finale des R9 sous la direction de Jac Fol et Yann Rocher. Rue Jacques Callot, Paris, 3 mars 2016.
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Séminaire sur la scénographie, Grand théatre de Nantes. école nationale d’architecture de Nantes,octobre 2014.
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ConfĂŠrences lors du sĂŠminaire final, Villard 16. Mairie, Pozzallo, 1 juillet 2015.
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ConfĂŠrences lors du sĂŠminaire final, Villard 16. Mairie, Pozzallo, 1 juillet 2015.
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PrĂŠsentation du workshop Tourism Landscapes. IUAV, Venise, 18 septembre 2015.
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Cours de studio 7 sous la direction de Jean Pierre Vallier. ENSAPM Paris, 18 octobre 2014.
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Rencontre avec un architecte lors du voyage de studio 8 sous la direction de Luca Merlini. Trieste, 18 avril 2015.
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Présentation des projets des étudiants lors du séminaire final de Villard 16. Mairie, Pozzallo, 2 juillet 2015.
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LA MÉMOIRE ET L’IDENTITÉ INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE FACE À LA MONDIALISATION - LE PRISME
IDENTITAIRE
Comment on reçoit les informations Ma mémoire est à l’origine d’un prisme identitaire pré-formatant la réception du savoir. L’identité individuelle définit comment on reçoit l’information ; par exemple Naples et ses environs prennent avec moi un sens mystique et propice à la conceptualisation car je suis constituée d’une nature qui m’a amenée à avoir un coup de foudre pour ce territoire. La mer, la montagne, les puissances naturelles qui se rencontrent et les sites mal-aimés m’ont toujours touchés par leurs extrêmes. Lorsque j’ai découvert Naples, marché Naples, traversé Naples, quitté le centre de Naples pour Bagnoli, Fuorigrotta, la Mostra, Italsider et le Ciano, s’est inscrit en moi un récit17 de cette ville. Mon récit s’accompagne d’images subliminales et de sensations, les deux souvent dures à dissocier se construisant au fil des rues traversées, longées. Je considère l’identité collective comme un ensemble de faits, de pratiques, qui constituent une unité et un prisme plus large. Comme la littérature qui a trait à la mythologie, l’envergure temporelle de la fresque des histoires relatées en appelle à la mémoire collective. La ville est également constituée d’un ensemble de données qui répondent à l’échelle d’un pays. J’y ai trouvé Naples dense en comparaison avec les villes voisines, les îles qui rythment l’horizon marin et la côte Amalfitaine. La ville est connue mondialement car pour visiter Pompéi, on y passe. Une multitude de référentiels intègrent la ville à l’Italie, d’autant plus par sa position géographique centrale.
17. «un univers marqué par un principe d’organisation analogique, un univers hiérarchique «classé par genres et par espèces, réparti selon les identités formelles et les mises en rapport du semblable, depuis la physique jusqu’au langage». C’est tout le problème de penser l’individualité dans un univers où chaque particulier participe par participation au Tout. (...) On échapperait alors à l’opposition scolastique entre Forme et Matière, puisque l’eccéité serait la «racine individuante de la réalité», et non pas la forme ou la matière c’est déjà l’ange !» Charles Wolfe. « Dante et le bruit du temps ». Chimères, revue des schizoanalyses fondée par Gilles Deleuze et Félix Guattari Cultures du désert, no 45 (Hiver 2002): page 145.
La perception des médias qui gravitent autour de la recherche théorique du diplôme est unique à chaque personne. C’est pourquoi dès le départ il m’est important de signaler que l’ensemble des référentiels utiles ARCHIVES 23
à la réflexion autour de la pensée et de la méthodologie architecturale est un monde personnel construit volontairement. La réflexion est nourrie par des pistes choisies de façon instinctive et est mue par une volonté de donner la réflexion globale et propre de l’univers de pensée architecturale empirique choisi pour nourrir le projet de diplôme.
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LA MÉMOIRE ET L’IDENTITÉ INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE FACE À LA MONDIALISATION - FAIT SOCIÉTAL
Interaction avec de nouveaux référentiels
Instinctivement la Majuscule m’est une preuve de respect dû à la crainte, pas systématiquement mais ici c’est le cas. La Mondialisation18 avec un M majuscule est ce que j’ai décidé être correspondant à une nouvelle religion et définissant un chamboulement dans la façon d’aborder le monde et les pratiques de vie. Je décide d’intégrer la Mondialisation avec la lettre M dans cette logique d’appartenance19, de devoirs envers en premier lieu Junon, Vénus puis la vierge Marie : toutes mères du peuple. Matériel vient de Mater également, le « m » est cette lettre intime, corporelle, ronde et intérieure qui nous englobe. Ce nouveau référentiel divin a besoin de nouveaux temples20 pour l’aider à être reconnu et ceux-ci peuvent s’incarner dans l’ensemble des réseaux sociaux qui constituent aujourd’hui l’habitude d’une majorité de personnes. Pour rentrer dans un nouveau paradigme, dans un nouveau système, le deuil de ce qu’on est, est indispensable, et c’est pourquoi les Archives sont indispensables au passage de la ville de Naples dans la Mondialisation en tant que dernière strate de la fin d’une époque. La Mondialisation est encore aux portes de la ville de Naples, elle s’y trouve en son port ou en son aéroport qui le premier est dans une zone peu fréquentée de la ville : le Napolitain n’a pas un rapport quotidien avec la mer. L’histoire de la ville21 fait partie des fondations historiques d’une culture occidentale européenne diffusée par un apprentissage du Latin et des écrits de Pline l’ancien. La notion de mémoire collective et de mémoire individuelle doit porter le projet dans sa volonté de mise en abîme du contexte dans lequel il s’inscrit.
18. Définition Larousse : fait de devenir mondial, de se mondialiser. Économique : élargissement du champ d’activité des agents économiques du cadre national à la dimension mondiale. (interprétation personnelle : je ne vais plus faire de l’architecture au sein d’une école mais dans le monde du travail -peur-) Géographique : interaction généralisée entre les différentes parties de l’humanité. 19. «Et alors, l’architecture ? (...) Sa raison d’être est exogène : elle représentait les dieux, les familles, les cultes, les pouvoirs locaux, les manufactures, les commerces, etc. Toutes les cultures inventent des formes expressives de leur raison d’être : elles avaient toujours été écologiques : insérées dans la symbolique, le passé, et dans le paysage. Ce n’est que de nos jours que les formes constructives appelées fonctionnelles sont devenues auto-expressives, autistiques. Subite découverte : elle n’exprime qu’elle-même, sa forme, son mode de fabrication, sa «fonction», ses muscles, ou le génie solitaire de son auteur. L’habitant, le voisin n’existent plus. Elles sont donc identiques sous toutes les cultures ...» Simone & Lucien Kroll. tout est paysage. Sens & Tonka & Cie., 2012, page 220. ARCHIVES 25
20. «En réalité, je crois avoir toujours porté aux formes et aux choses une attention particulière, mais je les ai également considérées comme l’expression ultime d’un système complexe, d’une énergie qui ne devenait visible qu’à travers ces phénomènes. C’est pourquoi dans ma jeunesse, je fus particulièrement frappé par les Sacri Monti ; il me semblait évident que l’histoire sacrée se trouvait complètement résumée dans ces statues en terre cuites.» Aldo Rossi. Autobiographie scientifique. Parenthèses. Eupalinos, série architecture et urbanisme, 2010, page 11. 21. «Naples frontière dans sa dimension en suspence, désigne la discontinuité entre l’Orient «passé» et le «futur» Occident, et devient, dans son intemporalité, le point idéal pour les réunir.» page 59. Orfina Fatigato. Napoli est réussi. Architetture e arti, 2013.
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J’utilise la Mondialisation comme un concept qui s’applique à une façon de fonctionner. C’est alors la logique d’être généralisée à des ensembles d’identité collective.
LE DOGME DANS LA PRATIQUE ARCHITECTURALE - ASSIMILATION
La connaissance Le but de mon diplôme est de proposer à grande échelle ce que peut faire et déclencher l’architecture comme on l’apprend différemment22 lors des études. Les différences sont celles des doctrines et leurs pratiques que l’on rencontre à travers les studios de projets et cours d’histoires de l’Architecture. Confronter les dogmes23, les pratiques24, et les affronter, les coller, les assembler pour créer un puzzle urbain dans des mises en abîme empiriques des différentes doctrines25 que tout architecte côtoie. Au-delà de la façon d’appréhender un site il y a le choix de la programmation qui dépend de logiques rarement choisies par l’architecte. Ici, je m’incombe le droit mais surtout le problème de choisir des programmations qui serait sujettes à26. C’est « La recherche du gai savoir »27. Rentre en jeu dans ces programmes les dimensions particulières et indispensables pour qu’un espace ne se suffise pas qu’à lui même et à son concepteur mais crée un rapport avec ses usagers et soit un pôle d’échange : un système circulatoire, un espace public, des archives, un objet architectural, un lieu de service et un site de production et d’activité. Le projet découle non seulement de son site mais de son contexte programmatique, de l’histoire dans laquelle il s’inscrit et surtout de ma volonté à retranscrire l’ensemble de ces problématiques. Les cinq archives proposées sont inhérentes à ma connaissance28 de la ville et de ses histoires. Les problématiques abordées sont alors multiples : le site imaginaire, le paysagisme, le site industriel, la gare, le postmodernisme, le brutalisme, le milieu marin, la réhabilitation, le souterrain, la dualité. Cette liste de tonalités non-exhaustive constitue mon outil
22 . «Au XXe siècle, parler des relations entre architecture et peinture peut sembler un lieu commun. En 1948, Hitchcock, dans son livre Painting toward Architecture , retrace ainsi l’histoire d’un rapprochement entre les deux domaines suite à l’émergence de l’abstraction.(...) Pour situer un point de départ de cette marche vers l’abstraction, Hitchcock rappelle la fameuse définition d’un tableau que le peintre Maurice Denis (1870-1943) avait donnée en 1890 : «une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées». De cette proposition, Hitchcock infère que «la valeur artistique d’un tableau ou d’un bâtiment ne réside pas dans l’intérêt intrinsèque de ses éléments individuels mais dans leurs relations physiques réciproques». Jacques Lucan. Composition, noncomposition. Architecture. Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009, page 423. 23. Définition Larousse : point fondamental et considéré comme incontestable d’une doctrine philosophique ou religieuse, ensemble de ces points constituant une doctrine. 24. Définition Larousse : Chez Kant, domaine de la conduite morale, conçu comme la manifestation nécessaire de l’impératif moral. Pour Marx, ensemble des processus de travail par lesquels l’homme transforme la nature au travers de son ARCHIVES 27
organisation sociale. Application, exécution, mise en action des règles, des principes d’une science, d’une technique, d’un art, etc., par opposition à la théorie 25. Définition Larousse : ensemble de croyances ou de principes traduisant une conception de l’univers, de la société, etc, constituant un système d’enseignement religieux philosophique, formulation de règles de pensée ou de conduite. 26. «la forme découle de la stratégie et la stratégie choisie vient de l’épuisement des possibilité» Luca Merlini. L’archipel Tschumi. Édition b2. Design, 2014, page 50. 27. Jacques Sigal, et Jean Lebrun. « Le témoin du vendredi : Umberto Eco par lui-même ». La marche de l’histoire, février 2016. 28. «Je pense que la théorie est exactement de cette nature, c’est à dire que la théorie est comme quelque chose qui se trouve au milieu d’une table, par exemple un vase ou une carafe, que tout le monde regarde autour de la table et qu’on ne regarde pas du même côté. Tout le monde voit le même objet, mais n’a pas le même regard sur cet objet. Donc la doctrine est ce que chaque architecte voit de l’architecture. Mais ce n’est qu’une part de la théorie de l’architecture.» Bernard Huet. Sur un état de la théorie de l’architecture au XXe siècle. Quintette, 2003, page 12.
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pour proposer une architecture pensée et programmée pour un territoire vaste et riche de contraintes à la nature souvent double. Les architectures de mon projet nécessitent un mélange de tonalités puisées dans la liste énumérée préalablement.
LE DOGME DANS LA PRATIQUE ARCHITECTURALE - RÈGLE
Pensée et conduite
Pour comprendre mon site de projet, j’ai décidé d’axer des recherches sur différentes pistes en utilisant des médias divers : la photographie sérielle d’un détail urbain pour démontrer une pratique d’appropriation spatiale, l’interprétation dessinée d’un ensemble de termes littéraires au départ abstraits car présents dans toute ville permettant d’avoir un univers imagé iconique, la carte postale paysagère qui permet de mettre en avant les éléments géologiques qu’engendre nt des rapports forts entre la montagne et la mer, le relevé systématiquement aléatoire et non-exhaustif des différentes typologies de façades qui permettent une vision partielle d’un rapport à la rue, des coupes symboliques du territoire permettant de comprendre son partitionnement, la volonté de l’abstraction de concepts architecturaux dans un jeu proche de l’épanadiplose29 ; des recherches sérielles qui doivent par rhétorique visuelle montrer le cheminement de la pensée et l’évolution des volumes, avec en parallèle le même type de dessin du volume axonométrique pour une même recherche de représentation, mais cette fois ci des émotions ; permettant la confrontation ou alors la mise en évidence de rapports entre patos et ratio. Ces jeux d’interprétations30 répondent à différentes règles que je me suis imposées et donnent un panel de recherches qui sont des terrains d’expérimentations au même titre qu’elles deviennent un terreau favorable à la naissance d’idées. La répétition de certains éléments choisis déjà existant dans la ville de Naples jusqu’à leur transformation et métamorphose est ainsi une source de production d’intentions premières initiées par des différences31 créées à partir du réel.
29. Épanadiplose, nom féminin : reprise, à la fin d’une proposition, du même mot que celui situé en début d’une proposition précédente. 30. «Dans l’Empirisme hérétique, Pasolini interprète Dante en soulignant la ‘contamination’ de chaque mode d’expression par un autre, et la transformation de l’italien; Mandelstam a une formule assez surprenante selon laquelle il y aurait un «dadaïsme intemporel» de l’italien, l’italien serait «la plus dadaïste des langues romanes».» Charles Wolfe. « Dante et le bruit du temps ». Chimères, revue des schizoanalyses fondée par Gilles Deleuze et Félix Guattari Cultures du désert, no 45 (Hiver 2002): page 145. 31. »La différence est intérieure à l’Idée : elle se déploie comme pur mouvement créateur d’un espace et d’un temps dynamiques qui correspondent à l’Idée.» page 36 Gilles Deleuze. Différence et Répétition. Presse Universitaires de France. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 1968.
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Cours de T10 sous la direction de Bérénice Gaussuin. Rue Jacques Callot, Paris, 23 mars 2016.
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LE DOGME DANS LA PRATIQUE ARCHITECTURALE - PRATIQUES
Philosophie et application concrète Entre le vouloir et le faire, il y a un temps de travail et d’épuration. Encore une fois des choix s’imposent. Le travail effectué uniquement de manière empirique est rarement complet. Un travail même intuitif se doit de rentrer dans un cadre pour qu’une personne non-initiée puisse avoir un accès au monde intérieur du projet32. Le diplôme est avant tout la démonstration d’un état philosophique d’une perception d’un état de l’architecture. La méthodologie de travail est importante à expliquer car elle est initiatrice d’une philosophie du vouloir faire. Le plan, la liste et l’agenda sont des outils indispensables33 à un cadre de travail productif. Pour cela il faut avoir conscience de ses capacités de travail et faire preuve d’une honnêteté vis-à-vis de soi-même. Les intuitions sont parfois dures à justifier car il faut faire appel à son histoire et à sa conception du monde34, je choisis de considérer alors l’intuition comme issue de faits assimilés et oubliés. Le langage maternel est un mimétisme commun à tous. On ne sait plus comment on le sait mais il fait parti de nous, c’est pourquoi lorsqu’on le parle, comme nous n’avons pas mémoire de l’apprentissage, nous imaginons que nous parlons de façon intuitive notre langue maternelle. L’oubli est donc indispensable à mon postulat créatif. Le travail du deuil est une fois encore une clé permettant un accès postérieur à des intuitions futures et la réflexion autour de ce sujet s’accorde à la philosophie35 puisque c’est une création de concept. Par exemple les rues à Naples sont le lieu où la vie se passe. C’est le concept de la rue habitée : c’est l’espace public approprié par les Napolitains par leurs pratiques quotidiennes. Fontannelles, catacombes sont le double souterrain de l’identité et de la densité des rues Napolitaines. Les balcons sont peu à peu construits apportant une pièce en plus. Les façades
32. «Dès mes premiers projets, où je m’intéressais au purisme, j’ai aimé les contaminations, les légers glissements, les commentaires et les répétitions.» Aldo Rossi. Autobiographie scientifique. Parenthèses. Eupalinos, série architecture et urbanisme, 1972, page 11. 33. «(…) En aucun cas nous ne prétendons au titre d’une science. Nous ne connaissons pas plus de scientificité que d’idéologie, mais seulement des agencements. Et il n’y a que des agencements machiniques de désir, comme des agencements collectifs d’énonciation. Pas de signifiance, et pas de subjectivation : écrire à n (toute énonciation individuée reste prisonnière des significations dominantes, tout désir signifiant renvoie à des sujets dominés). Un agencement dans sa multiplicité travaille à la fois forcément sur des flux sémiotiques, des flux matériels et des flux sociaux (indépendamment de la reprise qui peut en être faite dans un corpus théorique ou scientifique). On n’a plus une tripartition entre un champ de réalité, le monde, un champ de représentation, le livre, et un champ de subjectivité, l’auteur. Mais un agencement met en connexion certaines multiplicités prises dans chacun de ces ordres, si bien qu’un livre n’a pas sa suite dans le livre suivant, ni son objet dans le monde, ni son sujet ARCHIVES 31
dans un ou plusieurs auteurs. Bref, il nous semble que l’écriture ne se fera jamais au nom d’un dehors. Le dehors n’a pas d’image, ni de signification, ni de subjectivité. Le livre, agencement avec le dehors, contre le livreimage du monde. Un livrerhizome, et non plus dichotome, pivotant ou fasciculé. Ne jamais faire racine, ni en planter, bien que ce soit difficile de ne pas retomber dans ces vieux procédés.» Gilles Deleuze, et Félix Guattari. Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux. Les Éditions de Minuit. Critique, 1980. 34. «On accusera probablement notre art de cérébralisme tourmenté et décadent. Mais nous répondrons simplement que nous sommes au contraire les primitifs d’une nouvelle sensibilité centuplée et que notre art est ivre de spontanéité et de puissance (…)» Umberto Boccioni, peintre (Milan), Carlo Dalmazzo Carrà, peintre (Milan), Luigi Russolo, peintre (Milan), Giacomo Balla, peintre (Rome), Gino Severini, peintre (Paris), Milan le 111 avril 1910. Gabriella Belli, Guy Cogeval, Piergiovanni Castagnoli, et Maria Vittoria Clarelli. Italia Nova, une aventure de l’art Italien 1900-1950. Réunion des musées nationaux, 2006. 35. «La philosophie n’est pas communicative, pas plus que contemplative ou réflexive : elle est créatrice ou même révolutionnaire, par nature, en tant qu’elle ne cesse de créer de nouveaux concepts. La seule condition est qu’ils aient une nécessité, mais aussi une étrangeté, et ils les ont dans la mesure où ils répondent à de vrais problèmes. Le concept, c’est ce qui empêche la pensée d’être une simple opinion, un avis, une discussion, un bavardage. Tout concept est un paradoxe, forcément…»
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mangent la rue. Ces endroits de recueillement, de culte, de perdition sont une face cachée souterraine qui constitue une des strates urbaines fondamentale à l’identité. Cette métamorphose36 quotidienne est un percept que je récupère et qui de façon didactique va guider mon rapport aux projets. Cette méthodologie de travail n’est alors pas une négation de l’existant mais au contraire son amplification37 .
Gilles Deleuze. Pourparlers 1972 -1990. Les Éditions de Minuit. Reprise 6, 1990. 36. «Les virtualités poétiques de la métamorphose : C’est d’ailleurs en ce sens que la métamorphose, en tant que processus de passage plus ou moins fulgurant et de confusion des limites, peut s’envisager comme la voie privilégiée d’exploration des tropes.» page 174. Arthur Schopenhauer. Esthétique et Métaphysique. Le Livre de Poche. Les Classiques de La Philosophie, 1851. 37. «Si l’ordre spatial des différences extrinsèques et l’ordre conceptuel des différences intrinsèques ont finalement une harmonie, comme le schème en témoigne, c’est plus profondément grâce à cet élément différentiel intensif, synthèse du continu dans l’instant, qui, sous la forme d’une continua repetitio, engendre d’abord intérieurement l’espace conformément aux Idées.» page 40 Gilles Deleuze. Différence et Répétition. Presse Universitaires de France. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 1968.
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Conférence sur la fondation Pathé. ENSAPM, Paris, 18 septembre 2014.
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L’INTERPRÉTATION POUR ET DANS LA CRÉATION - LE DIPLÔME
Le désir inconscient 38. «Les racines du projet vont au delà des limites attendues» Luca Merlini. L’archipel Tschumi. Édition b2. Design, 2014, page 53.
Le désir est la transcription d’une volonté intime. L’intime est fondamentalement ancré en nous-même et aide à nous définir. Le diplôme est un moment particulier à chacun et à cette occasion, découlent pour moi des désirs particuliers ; dont celui, principal, de tenter38 de démontrer une interprétation39 de l’architecture en un moment donné. C’est le moment de donner chair aux passions, de donner des Archives à une ville, de donner une mémoire à des lieux. C’est le moment où les choix sont dictés par un inconscient et des désirs personnels40. Même si les-dits choix sont encadrés et influencés par le corps professoral, l’étudiant choisit une école, un département, des professeurs, un sujet et caetera. Cet écrémage qui se fait naturellement répond au désir inconscient et correspond à une logique interne et naturelle qui ne doit pas être oubliée car elle constitue le cadre premier du diplôme. La création41 est un très grand mot qui me fait très peur. Il est je pense à la naissance du mystère42 qu’il y a autour de la profession d’architecte. La peur du mal faire, de la panne d’imagination43 comme celle de l’erreur est constante et est souvent un frein. Je n’essaye pas de représenter la généralité mais ma généralité, pas la chose mais ma vision de cette chose. Quand je parle de vision c’est avec l’envie d’une originalité44 propre au discours. Mon travail se justifie alors par des intuitions, des envies et des résultats qui sont des tentatives de ré-
39. Définition Larousse de l’interprétation : Action d’attribuer un sens symbolique ou allégorique à quelque chose. Action ou manière d’exprimer, de jouer une pièce, un rôle, de représenter une œuvre. Psychanalyse : intervention du psychanalyste qui consiste à restituer à l’analysant, dans une dimension symbolique, le sens latent du matériel qu’il fournit au cours des séances et, par là même à le mettre en présence de son désir inconscient. 40. cf tome III Archives 41. «À un moment de ma vie, je me suis mis à envisager le métier -ou l’art- comme une description des choses et de nous-mêmes. C’est pourquoi j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour La divine comédie, oeuvre que Dante entreprit vers l’âge de trente ans.» Aldo Rossi. Autobiographie scientifique. Parenthèses. Eupalinos, série architecture et urbanisme, 2010, page 9. 42. «À quoi vise l’art, sinon à nous montrer dans la nature et dans l’esprit, hors de nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience?» Henri Bergson. Matière et mémoire. PUF., 1968, page 148. 43. «Ce que je redoute ARCHIVES 35
le plus, je crois, c’est la mort de l’imagination. Quand le ciel, dehors, se contente d’être rose, et les toits des maisons noirs: cet esprit photographique qui, paradoxalement, dit la vérité, mais la vérité vaine, sur le monde.» Sylvia Plath. Carnets intimes. États-unis: Gallimard, 1991. 44. «L’originalité de chacun réside dans l’imitation consciente des modèles (imitatio), c’est à dire dans la pratique d’une saine émulation (aemulatio), d’un jeu avec l’autorité (auctoritas) qui permet de dégager son ingéniosité propre et d’où découle le plaisir de la reconnaissance.» pa 168. Ovide. Les Métamorphoses. folioplus classique 55, 8 ap. J.-C.
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ponses un peu plus abouties que d’autres digressions aux questions qui m’intéressent dans la discipline architecturale.
L’INTERPRÉTATION POUR ET DANS LA CRÉATION - LES MOTS
L’objet Les mots45 développent dans ma conception de la lecture un imaginaire aussi fort que la vue d’un objet. Des villes sont parfois écrites d’une telle façon que les imaginer découle de la lecture ; pourtant chacune des personnes passant par une même lecture aura sa propre interprétation de l’ensemble de ces mots. Là où un auteur46 veut raconter une ville47, il crée une ville différente pour chacun de ses lecteurs. L’imaginaire est défini par la mémoire de chacun qui elle-même définit une identité, là est la richesse des mots et de là « La parole écrite»48. Les mots deviennent choses, ils incarnent49. C’est pourquoi un titre, un sous-titre, qui appelle à un imaginaire, permet une personnification et un intérêt pour une énigme que le lecteur croit résoudre mais qui veut en comprendre la démonstration. Il y a volonté d’une ambiguïté dans les mots choisis pour le titre « Les résidences du Purgatoire, entre le monument au mort du vingtième siècle et la chapelle de la Mondialisation ». C’est pour laisser une libre interprétation et ensuite démontrer le champ des possibles. Pour exemple, le purgatoire est pour moi cet endroit, cet entre-deux, un moment de latence. Il peut être entre le mur et la rue, il peut être entre la mer et la ville, il peut être entre la ville et la montagne, entre la ville et la ville etc. C’est alors une zone qui appelle au romantisme, à l’imagination, à la création. Le purgatoire propose des alternatives, des solutions. La création est aussi dans les mots et dans une certaine analogie, la psychanalyse est l’architecte et l’analysant le territoire50 de projet quand les séances sont plans légendés, coupes légendées, dessins, élévations légendées et textes. L’architecture a pour moi ce rôle didactique de raconter la ville comme un texte pourrait le faire : à chaque
45. »Chaque mot est une incantation. Celui qui appelle l’esprit - le fait apparaître.» page 11. Novalis. Le monde doit être romantisé. Allia. Paris IV, 1848. 46. «... une langue étrangère n’est pas creusée dans la langue même sans que tout le langage à son tour ne bascule, ne soit porté à une limite, à un dehors ou un envers consistant en Visions et Auditions qui ne sont plus d’aucune langue. Ces visions ne sont pas des fantasmes, mais de véritables Idées que l’écrivain voit et entend dans les interstices du langage, dans les écarts de langage. Ce ne sont pas des interruptions du processus, mais des haltes qui en font partie, comme une éternité qui ne peut être révélée que dans le devenir, un paysage qui n’apparaît que dans le mouvement. Elles ne sont pas en dehors du langage, elles en sont le dehors. L’écrivain comme voyant et entendant, but de la littérature: c’est le passage de la vie dans le langage qui constitue les Idées… Pour écrire, peut-être faut-il que la langue maternelle soit odieuse, mais de telle façon qu’une création syntaxique y trace une sorte de langue étrangère, et que le langage tout entier révèle son dehors, au-delà de toute syntaxe.» Gilles Deleuze. Critique et clinique. Les Éditions de Minuit. Paradoxe, 1993. 47. Italo Calvino. Les villes invisibles. Folio., 1972. 48. Jacques Sigal, et Jean ARCHIVES 37
Lebrun. « Le témoin du vendedi : Umberto Eco par lui-même ». La marche de l’histoire, février 2016. 49. «Passerone pratique aussi un type d’analyse qui n’existe pas, ou très peu chez Deleuze : l’analyse linguistique. On entre ici dans un monde de rythmes de parole - et de rythmes tout court-, de transformations du vocabulaire, de résonances entre systèmes de rimes et systèmes d’harmonie métaphysique.» Charles Wolfe. « Dante et le bruit du temps ». Chimères, revue des schizoanalyses fondée par Gilles Deleuze et Félix Guattari Cultures du désert, n°45 (Hiver 2002): page 143. 50. «Il y a les topoi littéraires les figures, les formes, les rythmes, les rimes mais ceux-ci se ‘dynamisent’, entrent en mouvement, sur le plan cartographique du survol qui fait apparaître les heccéités ; c’est sa fonction productrice. Le survol, c’est ce qui rattache la «réalité essentielle du présent, l’acte répétiteur de Dante (toute une oeuvre) et celle du passé, l’acte de répétition de Béatrice (le trajet d’une vie). C’est ainsi que ‘cartographie’ et ‘survol’ sont à comprendre avec l’idée de ‘trajet’. Le «trajet», pour Passerone, c’est ce qui fait surgir les heccéités dans le système hiéraarchique de la métaphysique. » Charles Wolfe. « Dante et le bruit du temps ». Chimères, revue des schizoanalyses fondée par Gilles Deleuze et Félix Guattari Cultures du désert, n°45 (Hiver 2002): page 148. 51. «Nous sommes en droit de parler de répétition, quand nous nous trouvons devant des éléments identiques ayant absolument le même concept. Mais de ces objets répétés, nous devons distinguer un sujet secret qui se répète à travers eux,
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fois différemment. Les Archives sont là pour raconter la ville de Naples, de façon répétitive51.. La fonction première reste mais se spécialise et s’autonomise grâce au milieu dans lequel chacun des projets est pensé.
véritable sujet de la répétition.» page 36. Gilles Deleuze. Différence et Répétition. Presse Universitaires de France. Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 1968.
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* édifices destinés à vaincre la mort Cette recherche part de postulats théoriques appliqués à ma vision de l’architecture qui construisent le diplôme d’architecture comme un deuil. La symbolique du parcours estudiantin est ici décortiquée et la démarche du travail tente de se justifier à travers une suite de conceptualisation de la transmission, de l’apprentissage et de l’acte créatif.