Classica Numéro Spécial Musique Sacré Avril 2018

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NUMÉRO EXCEPTIONNEL

Musique sacrée 20 CHEFS-D’ŒUVRE ABSOLUS LE REQUIEM DE FAURÉ par Éric-Emmanuel Schmitt ÉCOUTE COMPARÉE Missa Solemnis

Bienvenue chez… Stéphane Denève

ET AUSSI : Un air de famille : les Queyras • Musique & vin : accords parfaits Hommage à Didier Lockwood • Stéphane Degout et Raphaël Pichon : la rencontre

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Beethoven, ses secrets par Murray Perahia

M 03813 - 201 - F: 7,90 E - RD

France métropolitaine 7,90

- Belgique 8,10

- Luxembourg 8,10

- DOM 8,10

- Espagne 8,10

- Italie 8,10

- Portugal 8,10

- Grèce 8,10

- Allemagne 8,40

- TOM/S 1 050 CFP - Canada 11,99 $C - Suisse 13,40 FS - Maroc 85 MAD

CD, DVD, HI-FI & CONCERTS : TOUTE L’ACTUALITÉ CLASSIQUE & JAZZ


MÂROUF, SAVETIER DU CAIRE Henri Rabaud

Direction musicale Marc Minkowski Mise en scène Jérôme Deschamps

Du 23 au 29 avril 2018 Production Opéra Comique Reprise en coproduction avec l’Opéra National de Bordeaux Reprise de la production de 2013

OPERA-COMIQUE.COM I 0825 01 01 23 (0,15 /min) PLACE BOIELDIEU - 75002 PARIS

Licence E.S. 1-1088384 ; 2-1088385 ; 3-1088386 - Création graphique : inconitO - Illustration : © Matthieu Fappani

Chœur de l’Opéra National de Bordeaux Orchestre National Bordeaux Aquitaine


SOMMAIRE 36

58 44

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Q L’ACTUALITÉ 03 07 09 10 25 26 33 34 36 43

Éditorial Ça cartoon ! Le chant en grand seigneur La petite musique d’Éric-Emmanuel Schmitt « Je ne crois pas en Dieu, mais je l’aime » Planète musique Le Grand Prix Lycéen des compositeurs, le Pass Culture, les Victoires de la musique… L’humeur d’Alain Duault Trop belle pour eux ! Sortir The Beggar’s Opera, Parsifal et Fazil Say à Paris, Justin Taylor en Avignon… À voix haute La chronique de Benoît Duteurtre Un air de famille Les Queyras On a vu Tristan, Salomé, Cecilia Bartoli en Alcina… Les carnets d’Emma La chronique d’Emmanuelle Giuliani

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Q LE MAGAZINE 44 54 58 60 68 72

En couverture Vingt chefs-d’œuvre de la musique sacrée, de Machaut à Britten en passant par Bach, Mozart, Berlioz et Stravinsky. L’écoute comparée La Missa Solemnis de Ludwig van Beethoven Passion musique Didier Lockwood Musique & vin Accords parfaits L’univers d’un musicien Entrez dans l’intimité de Stéphane Denève Entretien Les confidences de Murray Perahia

Q LE GUIDE 78 90 114 116 118 130

Les CHOCS du mois Les disques du mois Le jazz Les DVD du mois Hi-fi : test de six amplificateurs-convertisseurs pour casque Jeux 5 Q CLASSICA / Avril 2018


SORTIR

LES ESSENTIELS Notre sélection du 1er au 30 avril 2018 PARIS THÉÂTRE DES BOUFFES DU NORD 20, 21, 24, 25, 26, 28, 30 avril, 2 et 3 mai The Beggar’s Opéra ombien de spectacles ensemble ? Beaucoup, et des mythiques. Aussi ne ratera-t-on pas les énièmes retrouvailles entre William Christie et Robert Carsen, à l’œuvre ici pour The Beggar’s Opera (L’Opéra du gueux) de John Gay et Johann Christoph Pepusch, créé à Londres en 1728.

Neuf musiciens des Arts Florissants et une quinzaine de comédiens/ chanteurs s’approprieront ce conte féroce et satirique qui prend place dans les bas-fonds de la capitale anglaise. Voleurs, prostituées, politiciens corrompus : tout y passe sur une brochette de chansons à la mode, l’ouvrage

océanographe, l’autre échue à Julien Gauthier, musicien voyageur qui a imaginé son œuvre

lors d’une mission avec des scientifiques sur les îles Kerguelen. Durant les concerts, photos d’océan et

RENNES COUVENT DES JACOBINS 20 et 21 avril 40e Rugissants a journée de la Terre est le prétexte, mais c’est bien la mer qui scintillera sur ces deux soirées bretonnes des « 40e Rugissants ». Du contre-amiral

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£ www.o-s-b.fr. 26 Q CLASSICA / Avril 2018

et compositeur Jean Cras (1879-1932), familier de l’Orchestre de Bretagne, on entendra le Concerto pour piano emporté par François Dumont, tandis que le chef Grant Llewellyn fera souffler le vent des Interludes marins de Peter Grimes de Benjamin Britten. Au milieu, deux créations, l’une confiée à Benoît Menut, intitulée Anita, page en l’honneur d’Anita Conti, première femme

£ 01 46 07 34 50. www.bouffesdunord.com.

LABTOP / JEAN GUERVILLY

SDP

C

ressortissant au genre du ballad opera, ancêtre de l’opérette et de la comédie musicale. « Rien n’a vraiment changé depuis la création du spectacle, et les thèmes de L’Opéra du gueux continuent de hanter la télévision et le cinéma, annonce Carsen. Nous essaierons de faire revivre l’atmosphère de transgression et d’inépuisable énergie qui anime l’œuvre originale. » Tournée et reprises à venir. X

d’horizons lointains défileront sur grand écran, histoire que la musique respire le grand air du large. X


PARIS THÉÂTRE DES CHAMPSÉLYSÉES 3 avril Fazil Say

D MARIE STAGGAT

es touches jazzy, des bribes de folklore, des mélodies têtues et des rythmes pimpants, la musique de Fazil Say accroche d’emblée. C’est pour Camille Thomas que le pianiste turc a écrit son concerto pour violoncelle Never Give Up,

ÉGLISE SAINT-FERDINAND 16 avril Quatuor Modigliani

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uatre jours, quatre concerts, et le début d’une aventure : à la fois pour Arcachon et pour le Quatuor Modigliani

qui prend la direction artistique de ce tout nouveau festival de musique de chambre, entièrement placé sous le signe de Schubert. Le violoncelliste Pablo

le 19, avec les Modigliani et Braley. Fermeture des schubertiades le 20 au soir, à l’église Notre-Damedes-Passes du Moulleau, avec un récital d’Adam Laloum autour du chantre de ces soirées. À faible coût : 78 b pour un pass ouvrant aux quatre rendez-vous. X

Hernandez rejoint les quatre complices pour le Quartettsatz et le Quintette le 16 avril. Le jour suivant, Henri Demarquette, Frank Braley et Amaury Coeytaux livrent Arpeggionne et Deuxième Trio au Théâtre Olympia où le Quintette « La Truite » se glissera

£ 05 57 52 97 75/www.enkiea.fr/arcachon.

MASSY OPÉRA 12 avril Ensemble Aedes

£ www.ensemble-aedes.fr.

GERALDINE ARESTEANU

E

n oratorio, dans les chefs-d’œuvre du baroque ou à l’opéra, chantant et jouant avec un naturel sidérant (souvenez-vous de Carmen, l’été dernier, à Aix), l’Ensemble Aedes est devenu en quelques saisons

l’un des chœurs français les plus complets, précis et expressifs, son clair et coloré,

MARCO BORGGREVE

ARCACHON

et couvrant un bien joli répertoire. Mathieu Romano, son fondateur et directeur artistique,

aime varier les styles et les plaisirs, de Roland de Lassus à Richard Dubugnon en passant, pourquoi pas, par Brel et Barbara. Renforcé par une vingtaine d’instrumentistes des Siècles, le voilà qui, du printemps à l’été, dirige d’alléchantes soirées de musique française, où Poulenc et Debussy encadreront le Requiem de Fauré. Après Massy, suivront L’Épeau, Lessay et Vézelay. X

que les mélomanes découvriront en première mondiale au Théâtre des Champs-Élysées. Auparavant, Say aura donné le Troisième Concerto pour piano de Beethoven – avec ses propres cadences, vous imaginez bien – et toujours aux côtés de l’Orchestre de chambre dirigé par Douglas Boyd, qui enchaînera en seconde partie avec la Symphonie n°86 de Haydn. Soirée palpitante. X £ www.orchestrede. chambredeparis.com. CLASSICA / Avril 2018 Q 27


ON A VU

DANSEZ,

MAINTENANT

PAR. DOMINIQUE SIMONNET.

LA CARMEN(S) DE JOSÉ MONTALVO EST PLURIELLE MAIS UNIVERSELLE, ET ELLE VOIT ROUGE. UN HYMNE FRÉNÉTIQUE À LA LIBERTÉ OÙ LES STYLES DE DANSES S’ENTRECROISENT.

ouges comme le feu, rouges comme le sang, rouges comme la passion, elles déboulent dès le premier coup de cymbale de l’Allegro giocoso de Bizet, propulsées par une énergie euphorique dont elles ne se départiront pas de tout le ballet. Sauvages, provocantes, animales, elles bondissent, elles courent, que dis-je, elles cavalent, explosant de vie, et nous entraînent dans un tourbillon où elles clament leur féminité, leur désir et, évidemment, leur amour. Neuf danseuses électrisées qui ne sont en réalité que les facettes d’une même femme : Carmen, la femme, libre de son corps, libre de son destin. Après avoir longtemps tourné autour de ce monument de la littérature, de l’opéra et de la danse, le chorégraphe José Montalvo, petit-fils d’une Catalane féministe prénommée Carmen, fils d’une danseuse de flamenco fascinée par cette figure 38 Q CLASSICA / Avril 2018

PATRICK BERGE

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mythique, a enfin osé s’approcher de l’héroïne de Prosper Mérimée et, pour mieux en cerner la complexité, a choisi de la démultiplier dans cette Carmen(s) plurielle qui a triomphé au Théâtre de Chaillot de Paris et poursuit sa tournée en France1. Mise en danse par ces diablesses et par cinq mâles transformés en un Don José un peu dépassé par les événements, la partition de Bizet vibre avec une tension nouvelle et presque primitive. Ici, pas d’entorse à l’œuvre originelle, pas de concessions au fémininement correct, et donc pas de scandale en vue : le livret est respecté, la belle meurt bien à la fin, mais les puristes le regretteront peut-être,

l’histoire se déroule en pointillé, tout juste esquissée et racontée par les interprètes devant un pupitre, comme lors d’une séance de postsynchronisation de cinéma. Tel qu’il en est coutumier, José Montalvo, grand amateur de baroque, fonde sa chorégraphie sur le mélange et le métissage : la danse classique côtoie le contemporain dans une gestuelle frénétique, les ballerines dialoguent avec les danseuses de flamenco, les arabesques s’enchevêtrent avec les acrobaties du hip-hop et, parfois, les personnages dansent avec leurs doubles reproduits sur l’écran vidéo en fond de scène. « Carmen, c’est moi, c’est nous ! » proclament les jeunes interprètes

qui prennent brièvement la parole pour nous livrer leur propre vision de cette gitane universelle et décidément intemporelle. Carmen, l’égérie des #MeToo qui pourraient reprendre cette phrase sublime prononcée avant le coup de poignard fatal de Don José : « Jamais Carmen ne cédera : libre elle est née, libre elle mourra. » Ni futile ni complaisant, l’étonnant collage chorégraphique de Montalvo, œuvre de maturité pour ce créateur singulier, s’impose comme une ode opportune à la liberté des femmes. X 1. Neuilly, Théâtre des Sablons, le 10/04 ; Sceaux, Les Gémeaux, du 3 au 6/05.


VINCENT PONTET

Chapeau bas, la diva ! CECILIA BARTOLI DÉCOIFFE LE THÉÂTRE DES CHAMPS-ÉLYSÉES DANS ALCINA, UNE HÉROÏNE ET UN SPECTACLE SUR MESURE. u rituel obligé du récital de Cecilia Bartoli au TCE s’est ajoutée, depuis 2014, une dimension royale, avec l’opéra, dont il fallait alors encore chercher les merveilles ailleurs, entre sa maison (Zurich) et son palais (Salzbourg, à Pentecôte). Importées de la première (Otello d’abord, Alcina aujourd’hui) ou du second (Norma en 2016), ces productions,

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réglées clé en main par des années de pratique (Alcina date de 2014), sont construites, pensées autour de l’incontournable vedette qui paye chaque fois comptant. Ce soir, Bartoli est là tout entière dans son besoin d’être diverse, entre drôlerie et profondeur, brillance et introspection. Chapeau, l’actrice ! Si la Magicienne va comme un gant à sa voix, ce sont ses déplorations

qu’on lui préfère : « Ah, mio cor » est un sommet d’émotion intériorisée. Confier la scène à Christof Loy s’explique. S’il a conçu l’île enchantée d’Alcina comme un théâtre avec ses enchantements au I, sur la scène trompeuse du baroque, ses vérités au II, dans ses loges décrépites suant ce réel qu’on ne peut cacher, et ses désillusions au III, dans l’envers

du décor, pour finir par une pirouette, avec le retour triomphal de la Magicienne devant laquelle Ruggiero plie à nouveau le genou, c’est pour dire l’éternel recommencement de la magie lyrique, comme pour servir au mieux le caméléon Bartoli. On rit à ses grimaces – même si on préfère une Alcina plus digne –, on participe à ses souffrances et à l’extraordinaire métamorphose de ses traits pour dire son désespoir. Mais elle ne règne pas seule : Jaroussky plus engagé qu’à Aix, jusqu’à danser avec des boys, Varduhi Abrahamyan somptueuse, Julie Fuchs aphone jouant avec Emöke Baráth enthousiasmante en fosse, Strehl et Baczyk mieux que des faire-valoir. Et les timbres captivants du Concert d’Astrée, mené large et allant, plus libre que de coutume, par une Emmanuelle Haïm détendue. Triomphe mérité. X Pierre Flinois

ALCINA DE HAENDEL, Paris, Théâtre des ChampsÉlysées, le 14 mars

La voix du piano afal Blechacz est un habitué des compétitions de très haut niveau. Il a été récompensé par un Premier Prix au Concours Chopin en 2015, et pourtant le pianiste polonais de trente-deux ans joue avec partition. Même si cette donnée secondaire ne nuit en rien au plaisir que nous avons eu à l’écouter le 12 février à la Philharmonie de Paris, il est utile de le préciser. Les sonorités produites par Blechacz sont belles et chantantes. En particulier chez Chopin, compositeur qui lui sied le mieux.

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Trois jours plus tard, Elisabeth Leonskaïa (photo), soixantedouze ans, faisait montre de cette profondeur sonore et de cette expressivité qui lui sont propres. Chaque détail est soigné. On est instantanément happé par son discours et séduit par la variété de ses sonorités. Avec cette légende du piano, on a la sensation de comprendre ce que signifie le verbe « interpréter ». Les subtilités des partitions, jusque-là inaperçues, sont sublimées par son jeu. Pas plus de deux compositeurs sont programmés ce

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À PARIS, UN CHOPIN CHANTANT AVEC BLECHACZ, MOZART ET SCHUMANN SUBLIMÉS PAR LEONSKAÏA.

15 février à la Philharmonie de Paris : Mozart et Schumann. D’abord, Mozart, avec les Sonates K. 331 et K. 333. Leonskaïa plante rapidement le décor : nous sommes bien à l’opéra. La justesse, la pureté et le lyrisme de son

approche nous le confirment. Quant à son Schumann (Sonate n°1 et Études symphoniques), elle prête une importance particulière à chaque note. Tout n’est définitivement qu’expressivité chez Leonskaïa. X Aurélie Moreau CLASSICA / Avril 2018 Q 39


EN COUVERTURE

44 Q CLASSICA / Avril 2018


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CHEFSD’ŒUVRE DE LA MUSIQUE SACRÉE De Machaut à Britten en passant par Bach, Mozart et Stravinsky, ce répertoire revêt plusieurs visages, mais transcende les époques. Panorama. notre époque où la musique est omniprésente, on n’a jamais fini de mettre suffisamment en valeur la grande importance psychologique et morale de la musique sacrée authentique », écrit le père Hage, théologien et musicologue. Les Églises chrétiennes ellesmêmes ont toujours hésité sur cette question de l’authenticité. Et, d’ailleurs, musique sacrée, liturgique, religieuse, spirituelle, voilà bien des termes proches, mais dont la confusion risque d’induire en erreur. On peut certes comparer une Messe de Haydn et une autre de Mozart (même époque, même fonction), mais pas la Messe de Nostre Dame de Machaut et la Missa Solemnis de Beethoven. Autre temps, autre langage, autre « usage ».

A

MBA / RENNES / DIST. RMN-GRAND PALAIS / ADÉLAÏDE BEAUDOIN

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Mais peut-on dire que l’une soit plus authentique que l’autre ? On a souvent mis en question le caractère sacré de certaines œuvres qui paraissaient non sans raison trop « profanes », trop proches de l’opéra, comme le Requiem de Verdi, et donc prétendument peu spirituelles (le lyrisme ou la virtuosité vocale seraient-ils vraiment contraires à la spiritualité ?). Mais que savait-on du sentiment « authentique » des compositeurs ? En revanche, certaines partitions incontestablement sacrées et même liturgiques, tels le Requiem de Fauré ou la Messe des morts de Berlioz, ont été composées par des agnostiques résolus (mais sait-on jamais ?). Ces quelques réflexions préliminaires pour signaler le caractère hétérogène et complexe non seulement de notre sélection, mais aussi du concept de musique sacrée. Dossier réalisé par Jacques Bonnaure CLASSICA / Avril 2018 Q 45


EN COUVERTURE GUILLAUME DE MACHAUT (1300-1377) Messe de Nostre Dame

£ Un disque : Ensemble Gilles Binchois, dir. Dominique Vellard (Cantus).

MARC-ANTOINE CHARPENTIER (1643-1704)

GIOVANNI PIERLUIGI DA PALESTRINA (1525-1594)

Te Deum e prélude du Te Deum est universellement connu depuis 1953, lorsqu’il fut choisi comme indicatif de l’Eurovision. Composé à l’occasion de la victoire de Louis XIV à Steinkerque en 1692,

il adopte la forme d’un grand motet, une alternance de sections chorales ou solistes de caractères variés. Mais par rapport aux canons lullystes en vogue, Charpentier se montre plus « baroque », privilégiant

COSTA / LEEMAGE

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46 Q CLASSICA / Avril 2018

AKG-IMAGES

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parfois rugueuse, avec de rudes frottements dissonants et une harmonie étrange. Au contraire des œuvres futures, la musique semble indifférente au texte. On a naturellement associé ce répertoire, pas seulement celui de Machaut mais de tout l’Ars Nova, à l’austérité de l’architecture gothique ; c’est que le résultat sonore peut sensiblement varier d’une version à l’autre. X

le mouvement, l’explosion de joie exubérante comme dans le Pleni sunt cœli et terra ou les fanfares qui encadrent le Judex crederis. Toutefois, les dix sections ne sont pas uniformément glorieuses et grandioses : certaines sont franchement intimistes tels que le Te per orbem terrarum, un charmant trio vocal, ou le très modeste Te ergo quaesumus où la soprano solo est amoureusement accompagnée par deux flûtes et la basse continue. Quoiqu’il ait vécu en marge de la vie musicale versaillaise, Charpentier résume avec cette œuvre célèbre la diversité des styles musicaux à l’époque de Louis XIV. X £ Un disque : Les Arts florissants, dir. William Christie (Virgin).

Messe du pape Marcel

COSTA / LEEMAGE

ette Messe, composée vers 1360 par le musicien et poète champenois Guillaume de Machaut, chanoine de la cathédrale de Reims, est caractéristique de l’Ars nova, cette pratique qui consistait à composer de la musique polyphonique sur des mélodies d’origines variées. C’est également la première œuvre attribuée à un compositeur unique. Dès le Kyrie introductif, l’oreille est attirée par deux traits apparemment contradictoires de l’écriture : d’une part, des mélismes assez sensuels et souples, et d’autre part, une harmonie

ans cette célèbre messe composée en 1562 à la mémoire du pape Marcel II, Palestrina a voulu que la polyphonie et la compréhension des textes ne fussent pas incompatibles. La pratique de la polyphonie avait en effet courroucé les cardinaux qui craignaient que le peuple ne s’attachât plus à la musique qu’aux textes liturgiques. Conformément à son esthétique, Palestrina

D

conjugue une superbe science du contrepoint et un sens mélodique aussi constant qu’agréable. La musique apparaît constamment aérée, lumineuse, les lignes mélodiques se déroulent avec un agrément qui n’exclut pas la profondeur spirituelle. L’écriture, complexe, semble limpide, comme désincarnée et indifférente au texte. La polyphonie palestrinienne devint la norme du catholicisme romain pour longtemps, universellement admirée. Trois siècles plus tard, Victor Hugo le célébrait par ce ver : « Puissant Palestrina, vieux maître, vieux génie, Je vous salue ici… » X

£ Un disque : Westminster Abbey Choir, dir. Simon Preston (Archiv).


CLAUDIO MONTEVERDI (1567-1643) vec les Vêpres de la Bienheureuse Vierge publiées en 1610, Monteverdi postulait pour un poste de maître de chapelle au Vatican, d’où la dédicace au pape. Las, il ne fut pas retenu. Le recueil excède en fait la composition d’une musique pour les vêpres liturgiques. Outre les psaumes traditionnels, il comprend des concerti, pièces vocales pour solistes sur des textes étrangers à la liturgie, et une Sonata sopra sancta Maria, quasi instrumentale, assez développée. L’intérêt de ces Vêpres tient à leur diversité de ton. On ne peut qu’être saisi par le chœur syllabique du Responsorium initial chanté à pleine voix sur la fanfare d’ouverture de son opéra L’Orfeo. Les psaumes, Laudate pueri dominum, Laetatus sum… sont des pièces polyphoniques où Monteverdi cherche

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à toucher non seulement l’âme, mais aussi la sensibilité de l’auditeur au moyen de procédés dramatiques mettant le texte en exergue et séduisant les cœurs et les oreilles grâce à leur virtuosité vocale. Les concerti Nigra sum et Pulchra es ne diffèrent pas beaucoup de ses nombreux madrigaux amoureux, jusque dans les figuralismes censés représenter l’irreprésentable. Ainsi, dans le Duo Seraphim, il évoque l’unité de la sainte Trinité en passant d’une écriture à trois voix à un unisson. Le recueil s’achève sur deux Magnificat, offrant aux officiants une pièce splendide et une autre plus sobre et intérieure. X £ Un disque : Ensemble Elyma, Les Sacqueboutiers de Toulouse. Coro Antonio Il Verso, Coro Madrigalia, dir. Gabriel Garrido (K. 617).

AKG-IMAGES / MPORTFOLIO / ELECTA

Vêpres de la Vierge

GIOVANNI BATTISTA PERGOLÈSE (1710-1736) Stabat Mater l s’agit de l’œuvre ultime d’un compositeur mort jeune après une carrière active, notamment dans le monde de l’opéra. Après sa disparition, son Stabat

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Mater se répandit dans toute l’Europe où il acquit une extraordinaire renommée. L’œuvre est de conception très simple : deux voix, un ensemble de

cordes, douze sections diversifiées dont chacune pourrait figurer dans un opéra. C’est bien cela qui séduisit. Pour Jean-Jacques Rousseau, le premier duo était « le plus parfait et le plus touchant qui soit sorti de la plume d’aucun musicien ». Les contretemps du Quem moerebat, où il est pourtant question de supplices affreux, ont quelque chose de primesautier. Ailleurs, la musique se voile d’un discret pathétisme, toujours charmant. En fait de sens mélodique, Pergolèse ne craint personne, et la fluidité de ses phrases et de l’ornementation vocale nous offre l’image d’une religion où se conjuguent la piété la plus sincère et la plus délicieuse sensualité. X £ Un disque : Andreas Scholl, Barbara Bonney, Les Talens Lyriques, dir. Christophe Rousset (Decca).

JOSEPH HAYDN n 1796, les Autrichiens ont très peur. Bonaparte est en Italie et les menace. Haydn compose alors cette Messe pour les temps de guerre qui sera créée en février 1797 devant une foule immense. On la désigne aussi comme « Paukenmesse » (« Messe des timbales »). La tonalité d’ut majeur, jugée plus brillante, inspire à Haydn des sonorités éclatantes, tandis que les interventions de l’orchestre dénotent le grand symphoniste. On a parfois l’impression d’entendre une symphonie

COSTA / LEEMAGE

E

avec chœurs et quatre solistes, ces derniers, qui ne chantent jamais d’airs séparés, s’insérant avec brio dans le tissu symphonique. À un moment cependant, le compositeur semble mettre la basse en valeur dans le Qui tollis peccata mundi du Gloria, dans un beau dialogue avec le violoncelle solo. Les timbales jouent un rôle particulièrement actif dans le Kyrie et, surtout, dans l’Agnus Dei où elles imposent une atmosphère angoissante, au moment de la supplique Dona nobis pacem. X

T. HARDY

(1732-1809) Missa in tempore belli

£ Un disque : Solistes, Arnold Schoenberg Chor, Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt (Teldec). CLASSICA / Avril 2018 Q 47


MUSIQUE & VIN

Interview à quatre voix

ACCORDS PARFAITS

STÉPHANIE LACOMBE

Quels points communs y a-t-il entre la musique et le vin ? Pourquoi parlent-ils un même langage ? Explications avec le chef étoilé Alain Passard, le cogérant du domaine de la Romanée-Conti Aubert de Villaine, le pianiste Robert Levin et le fondateur du label Le Palais des Dégustateurs Éric Rouyer.

a musique et le vin sollicitent bien sûr des sens différents, mais on emploie souvent les mêmes adjectifs pour les apprécier : velouté, chaud, soyeux, nerveux, par exemple. Est-ce une simple coïncidence ? Aubert de Villaine : Je ne crois pas, car il m’est arrivé

L

de participer à des dégustations avec des musiciens et elles se sont toujours révélées enrichissantes, 60 Q CLASSICA / Avril 2018

De gauche à droite : Alain Passard, Aubert de Villaine, Robert Levin et Éric Rouyer.

subtiles, argumentées. Leur sensibilité exacerbée leur permet même de percevoir des nuances qui échappent à certains professionnels du vin. C’est très étonnant… Est-ce seulement une question de perception ou y a-t-il aussi une façon d’exprimer les sensations qui rapprocheraient les deux univers ? A. de V. : Les deux, à mon avis. Me revient ainsi en

mémoire une expérience marquante. On m’avait


Est-ce à dire que, si on risque un autre parallèle, le travail des vignerons et celui des musiciens sont identiques, à savoir interpréter une partition ? A. de V. : Oui, je le pense. Le producteur de vin inter-

prète un génie qui n’est pas un homme, mais la nature. Le terroir est le compositeur. Chaque année, il présente une partition différente qu’il faut accepter. Vouloir la modifier, ce qui signifie vouloir protéger toute la vigne par des traitements, n’est vraiment pas la meilleure solution. Il faut au contraire savoir observer, limiter les interventions et se résoudre à ne pas être maître de tous les événements. Lors d’une attaque de mildiou, une partie de la récolte pourra disparaître, mais celle qui restera mûrira mieux et donnera un plus grand vin. Il faut rester à l’écoute du millésime et ne pas systématiquement se débarrasser des raisins qui ne semblent pas extraordinaires. Le vin sera alors fidèle au terroir et il s’exprimera dans la nuance et la subtilité. L’expérience permet d’envisager une telle évolution sans jamais être complètement sûr. Mais si on veut une réponse immédiate, on enlève toute la rafle. La décision humaine est très importante. La biodynamie permet ainsi d’obtenir des résultats très intéressants.

Aubert de Villaine est cogérant du domaine de La RomanéeConti. Il a accueilli au clos Goillotte, l’ancienne cuverie du prince de Conti à Vosne-Romanée, les séances d’enregistrement d’Alain Meunier, Dominique Merlet, Boris Berman et Robert Levin. STÉPHANIE LACOMBE

recommandé deux musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin, le violoniste Romano Tommasini et l’altiste Wolfgang Talirz. Je les reçois dans la cave où, malgré le froid – il faisait - 5 °C à l’extérieur –, ils avaient apporté leur instrument et joué un petit duo. Je m’étais risqué à déboucher une romanée-conti 1956, millésime considéré comme un des plus mauvais du siècle : on avait même hésité à le mettre en bouteilles, tant la récolte paraissait maigre et ingrate. À ma grande surprise, ce vin s’est révélé d’une délicatesse incroyable et exhalait un parfum délicat de pétale de rose. Wolfgang Talirz a alors déclaré que ce vin lui évoquait le dernier récital de Vladimir Horowitz. Bien sûr, ses doigts avaient perdu leur agilité et il avait fait des fausses notes, mais derrière s’entendait la musique à l’état pur. Là, c’était pareil : la nature n’avait pas facilité la tâche, mais elle avait produit un vin à l’état pur.

à des termes littéraires quand on parle de musique et de vin. On repère des arômes de cassis ou de violette… D’une année à l’autre, un grand vin peut avoir différentes déclinaisons, même si ses qualités de base demeurent. Il en est de même pour une interprétation musicale. Je peux jouer Mozart d’une certaine façon un soir à Paris et d’une autre le lendemain à Berlin, en fonction du voyage, de mon état, de la météo, du piano disponible… Une autre similitude entre la vigne et la musique, c’est la culture. A. de V. : Oui, culture dans tous les sens du terme.

Je pense d’ailleurs que la viticulture fait partie intégrante de la culture et on devrait mieux la connaître. Elle exprime plus de mille ans d’activité. C’est ce que nous avons voulu rappeler en faisant inscrire, en 2015, les Climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce millier de parcelles de vignes, précisément délimitées, appelées climats, réparties sur un ruban d’une soixantaine de kilomètres, permet de composer, à partir de deux cépages principaux, le pinot noir et le chardonnay, des vins différents. Et les moines qui cultivaient ces parcelles, comme les artistes composant leur musique, œuvraient pour la gloire de Dieu. R. L. : Bach inscrivait en effet « JNJ » (In Nomine Jesu) en haut de ses partitions et « SDG » (Soli Deo Gloria) en bas. Et quand il nous fait voyager dans l’univers des tonalités, c’est pour célébrer la grandeur de Dieu.

« Le producteur de vin interprète un génie qui est la nature. Le terroir est le compositeur. Tous les ans, il présente une partition »

Nuance, subtilité, à l’écoute, exprimer… Le vocabulaire reste définitivement musical. A. de V. : Oui, mais il reste toujours délicat à utiliser.

Il est aussi difficile de décrire l’émotion que procure une musique ou un vin. Et il n’y a rien de plus mauvais que la poésie sur le vin… Robert Levin : Cela dit, quand j’enseigne, j’évoque souvent la gastronomie et le vin. Un grand chef crée, un grand vigneron crée. Dans le vin, il y a le raisin, le cépage qui s’épanouit grâce aux talents des hommes. La viticulture est une esthétique. On recourt

On peut aussi parler des accords (encore la musique !) entre les plats et les vins. Alain Passard : Oui, même si les règles sont moins

strictes. On a souvent trop confiné le vin dans un espace. Certains poissons et même le homard se marient très bien avec des vins rouges. OOO CLASSICA / Avril 2018 Q 61


L’ENTRETIEN

Murray Perahia

« LA MUSIQUE OFFRE UN UNIVERS DE PURETÉ ET D’IDÉALISME » Chaque jour, Mozart peuple ses rêves et Beethoven lui donne du courage. Depuis une quarantaine d’années dédiées aux grands chefs-d’œuvre du répertoire, le pianiste américain est au sommet de son art fait d’exigence, d’humilité et de noblesse, comme dans son dernier disque où figure la « Hammerklavier ». Rencontre.

BIOGRAPHIE EXPRESS 1947 Naissance à New York, le 19 avril 1972 Remporte le Concours de Leeds 1975 Débute l’enregistrement des Concertos de Mozart aux côtés de l’English Chamber Orchestra 1994 Grave le Concerto de Schumann avec Claudio Abbado 2000 Enregistre les Variations Goldberg 2002 Publie les Études op. 10 et op. 25 de Chopin 72 Q CLASSICA / Avril 2018

a Sonate « Hammerklavier » me rappelle cette phrase de Charles Péguy : « Le journal du matin est déjà vieux le soir, mais Homère est toujours jeune. » À l’instar d’Homère, Beethoven est toujours jeune grâce à vous…

L

Vous avez absolument raison. Sa musique est si présente dans nos vies émotionnelles. Tous les sentiments traversent les grands chefs-d’œuvre de Beethoven et cette sonate en est un. En fait, elle commence comme une comète et continue sa trajectoire jusqu’au bout. Le premier mouvement, il l’écrit très vite, mais c’est une expression d’énergie qui atteint les plus lointaines étoiles. Le mouvement lent est l’un des lamentos les plus tristes qui soient. C’est un immense chant de douleur. Et le dernier mouvement, qui combine la fugue et la forme sonate, est extraordinaire. C’est un prodige d’écriture.

Il vous a fallu du temps pour incarner cette jeunesse, cette audace, cette force vitale ?

C’est exactement ça, il m’a fallu beaucoup, beaucoup de temps pour atteindre l’essence de cette pièce que je ressens comme une impulsion, une impulsion vers l’avant. J’ignore pour quelle raison cela demande tant de temps. Chaque note a un sens, une nécessité. Chaque note est inévitable… et, cependant, surprenante. Chaque note fait partie d’une grande trame, et pourtant, dès le début, on ne perd jamais de vue la fin. Cela exige donc beaucoup de recherches. J’ai consacré plusieurs mois à étudier la « Hammerklavier » avant de la présenter au public. Je l’ai interprétée la première fois à vingt-six-vingt-sept ans, mais je n’étais pas très heureux de la manière dont je l’avais jouée. J’y ai pensé pendant de nombreuses années, puis j’ai décidé de m’y plonger à nouveau. J’ai passé des mois à ne travailler que cette sonate, puis je l’ai donnée pendant un an et demi-deux ans et, ensuite, je l’ai enregistrée. Il semble qu’il y ait une sorte de malentendu autour de cette œuvre. Certains virtuoses la considèrent comme un exploit sportif, parce qu’on dit qu’elle est très difficile. Or, il y a quelque chose de profond et de toujours difficile à comprendre pour les auditeurs et pour les musiciens. Le projet de Beethoven reste encore mystérieux…

C’est vrai et c’est dû en partie au fait qu’il est si audacieux. « Audacieux » signifie qu’il suit les lois de la musique, mais qu’il les dépasse. On le ressent dès le premier mouvement, avec un deuxième thème en sol majeur qui est très loin (à l’oreille) de la tonale de si bémol, alors qu’on pourrait s’attendre à la dominante de fa majeur. Le développement est également très inhabituel, plein de surprises, la détente dans la réexposition, et puis cette coda OOO


CLASSICA / Avril 2018 Q 73

FRANÇOIS GRIVELET / OPALE / LEEMAGE


LE JAZZ DE JEAN PIERRE JACKSON.

ÇA NE MANQUE PAS D’AIR(S) Le Carnegie Hall à l’Olympia, l’anthologie Bobby Jaspar, Mary Poppins qui swingue, un Jean-Philippe Bordier aérien… l y aura bientôt soixante ans, le 1er octobre 1958, l’Olympia accueillait sur scène une brochette prestigieuse de jazzmen américains : le trio du pianiste Phineas Newborn avec Oscar Pettiford et Kenny Clarke puis, avec la même rythmique, le saxophoniste Lee Konitz, suivi des trombonistes Jay Jay Johnson et Kai Winding. Sous l’appellation de « Jazz from Carnegie Hall », tout un aréopage de brillants solistes qui enflamme la salle parisienne où de chanceux spectateurs se voient offrir un récital de légende dont aujourd’hui la précieuse restitution sonore constitue un pur miracle. (Jazz

I

from Carnegie Hall. Frémeaux FA 5721, Socadisc. CHOC)

Le saxophoniste belge Bobby Jaspar, mort trop tôt à trentesept ans, se voit consacrer une anthologie en trois CD rendant justice à son talent d’improvisateur qui séduisit les plus grands, tels Miles Davis, Milt Jackson, Chet Baker et beaucoup d’autres. Rassemblant ses faces essentielles captées en France et aux États-Unis, cette rétrospective, judicieusement organisée par Alain Tercinet, permet de réécouter une des plus grandes voix de la fin des années 1950 et une personnalité musicale injustement oubliée, mais très 114 Q CLASSICA / Avril 2018

attachante. (Bobby Jaspar, The Quintessence. Frémeaux FA 3069, Socadisc. CHOC)

Le Duke Orchestra de Laurent Mignard fait revivre la comédie musicale Mary Poppins à laquelle Duke Ellington avait dédié un album en 1964. C’est la délicieuse Sophie Kaufmann qui interprète les chansons arrangées de façon nouvelle (« Chim Chim Cheree » devient « Chem Cheminée »),

l’orchestre affirmant par ailleurs un entrain et une grâce juvéniles tout à fait en accord avec l’univers disneyien, qui trouve ici une illustration éminemment sympathique. (Duke Orchestra, Jazzy Poppins. Juste une Trace, Socadisc. ++++)

Composé d’un tube, d’un saxophone alto (parfois remplacé par une clarinette), d’une guitare électrique et d’une batterie, le Quatuor Sébastien Texier & Christophe Marguet fait preuve d’originalité, non seulement dans l’instrumentation, mais également dans le répertoire où des compositions personnelles soignées dessinent un univers semblable à nul autre.

LA DISCOTHÈQUE IDÉALE

On goûtera en particulier Le Jardin suspendu, belle pièce brillamment composée et parfaitement exécutée. (Sébastien Texier & Christophe Marguet 4tet, For Travellers Only. Cristal Records CR 260, Sony. +++)

Le guitariste Jean-Philippe Bordier, dont voici le second album, est aussi talentueux que discret. Auteur des douze belles compositions du disque, il livre de délicats soli en compagnie d’un orgue Hammond, d’une batterie et d’un vibraphone, faisant ainsi naître tout un monde très aérien, aux sonorités raffinées. (Jean-Philippe Bordier Trio, Hipster’s Alley. Black & Blue 859 2, Socadisc. ++++) X

87

Jimmy Smith Groovin’ at Smalls’ Paradise Un disque Blue Note paru en 1958.

Au-delà d’un monument de swing, le trio du jazzman élabore une formule et un langage qui deviendront un modèle du genre. Présent dans certains foyers américains où il sert surtout à la liturgie familiale ou de voisinage, employé occasionnellement avant la Seconde Guerre mondiale, entre autres par Fats Waller et Count Basie, l’orgue Hammond naît comme instrument soliste de jazz au début des années 1950 avec Wild Bill Davis, Milt Buckner et Jimmy Smith. C’est ce dernier qui le popularise, ici enregistré au club Small’s Paradise de New York, à Harlem, sur la 7e Avenue, en trio avec le guitariste Eddie McFadden et le batteur Donald Bailey. Les organistes qui suivront adopteront cette formule instrumentale et ne manqueront pas de s’inspirer du langage alors créé par Jimmy Smith, qui deviendra l’étalon du genre. Cette captation devant un public conquis (l’orgue Hammond dans un petit espace fait vibrer tout le corps de l’auditeur) est représentative de la période Blue Note de Jimmy Smith, bien que, contrairement à la plupart de ses autres albums de la même époque, le blues n’y soit pas prédominant. Par accident finalement bienheureux, le système de percussion de l’orgue ne fonctionnant pas ou étant désactivé, le son de son instrument est plus fluide, ce dont il tire parti avec brio : le solo ébouriffant de près de cinq minutes sur Indiana en donne une idée impressionnante. On découvre là Jimmy Smith dans ses grandes œuvres.


Un événement au



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