© 2024, éditions CLC France
BP 9 – F-26216 Montélimar Cedex editions@clcfrance.com – www.clcfrance.com
ISBN : 978-2-7222-0468-3 (papier) / 978-2-7222-0469-0 (epub)
Titre original : Running the Race - Eric Liddell: Olympic Champion & Missionary, Christian Focus, 2020.
Traduit de l’anglais par François Chaumont
Diffusé en Belgique par la Centrale Biblique
Diffusé au Canada par CLC Canada
Diffusé aux États-Unis par CLC USA
Diffusé en Suisse par les éditions Emmaüs
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés. Sauf mention contraire, les versets bibliques sont tirés de la Bible Segond (Nouvelle Édition de Genève 1979).
Couverture : Loïc Morlon
Dépôt légal : juillet 2024
Impression (juin 2024) en Pologne • Arka
Mots clefs : Athlétisme, biographie, évangélisation, foi, mission, rubgy, sport, témoignage
Ancien athlète et homme d’église, John Keddie met à contribution son expertise sur les sports et sa vision spirituelle pour nous offrir cette biographie lucide et fouillée du grand Eric Liddell.
Sally Magnusson Radio-diffuseur (Écosse, chants de louange)
Auteur de plusieurs livres dont The Flying Scotsman : The Eric Liddell Story
Il ressort clairement de ces pages que le moteur dans la vie de Liddell était l’amour pour son Sauveur et Seigneur Jésus-Christ, et qu’il avait en lui la sagesse d’Ecclésiaste 9.10 : « Tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le. » Voici un récit inspirant et défiant de la vie d’un héros international que les sportifs ainsi que les chrétiens apprécieront.
Euan Murray Ex-joueur de rugby écossais
Eric Liddell : Achever la course est la biographie de référence d’Eric Liddell, et l’on peut dire sans crainte de se tromper que Liddell lui-même l’aurait approuvée. John Keddie non seulement fait autorité en matière d’athlétisme écossais mais il est aussi un pasteur presbytérien fort bien placé pour mettre les succès sportifs de Liddell dans le contexte d’une plus grande priorité – sa foi et son témoignage chrétiens. Ce livre admirablement documenté est inspirant à plusieurs niveaux.
Peter Lovesey
Auteur de romans policiers & historien de l’athlétisme Membre de l’Union nationale de statisticiens de la course à pied.
Dans un monde de plus en plus fasciné par les sports, il est difficile de trouver un athlète digne d’une profonde admiration. Le récit que fait John Keddie de la vie du grand Eric Liddell présente l’aventure de ses succès athlétiques tout en montrant aussi le caractère et la foi qui ont alimenté cette vie remarquable. Plus que les médailles gagnées, ce livre révèle, chez Liddell, la grandeur d’un esprit humble et pourtant audacieux qui l’a poussé à « courir vers le but pour remporter le prix » (Philippiens 3.14) –que ce soit dans la salle de classe, sur la piste, ou sur le champ de mission.
Joe Barnard
Directeur de Cross Training Ministries Auteur de The Way Forward
Il y a de nombreuses raisons de lire cette biographie captivante. Eric Liddell était un homme doté d’une immense aptitude et animé d’une conviction profonde – un exemple à son époque et, pour nous, un héros. Peut-être avezvous vu Les Chariots de feu. Si c’est le cas, ce livre est pour vous. Si vous vous intéressez à l’athlétisme en Écosse, ce livre va enrichir votre compréhension. Et si vous êtes curieux de savoir comment un homme si célèbre et si talentueux a pu se consacrer au service des autres et de Dieu, lisez ce livre. John W. Keddie est le guide idéal pour vous faire découvrir cette personnalité aux multiples facettes dont la vie servit pour encourager tant de gens autour du globe.
Jonathan L. Master
Président du Presbyterian Theological Seminary, Greenville, Caroline du sud
Comme tant d’autres, je n’oublierai jamais l’impact qu’a eu sur moi Les Chariots de feu quand, en le regardant pour la première fois, j’ai découvert, en partie, la vie de l’athlète chrétien écossais, Eric Liddell. Cela m’a profondément inspiré et a suscité chez moi un intérêt constant pour la vie d’Eric Liddell. C’est avec enthousiasme que je vous recommande cette étude biographique récente de John Keddie : elle est parfaite pour inspirer la jeune génération, brillamment rédigée et joliment illustrée. C’est une joie de la lire.
Michaël Haykin
Professeur de l’histoire de l’Église, Southern Baptist Theological Seminary, Louisville, Kentucky
Parce que je suis chrétien et ex-sportif professionnel, Liddell a toujours été pour moi un héros de la foi. J’ai beaucoup apprécié ce livre montrant que l’athlétisme n’a fait que prolonger la personnalité de Liddell, un homme qui a couru ardemment à la poursuite du Christ. Sa vie fut « une course à l’intérieur d’une course ». Des hommes comme Eric Liddell sont une denrée rare. On doit les étudier, les imiter et ne jamais les oublier. C’est avec grand enthousiasme que je recommande cette biographie sportive joliment écrite et très émouvante de John Keddie – un homme qualifié pour parler d’Eric Liddell et de l’athlétisme.
Gavin Peacock Ancien footballeur professionnel
Directeur d’International Outreach, The Council on Biblical Manhood and Womanhood
Eric Liddell dans sa tenue olympique avant les Jeux de 1924 à Paris.
À MON ÉPOUSE JEAN,
à qui je dois tant pour ses encouragements à écrire ce livre.
« Une femme vertueuse est la couronne de son mari. »
(Proverbes 12.4a)
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Avant-propos
Eric Liddell n’a mis que 47,6 secondes pour gagner le 400 mètres des Jeux olympiques de Paris en 1924, mais sa fameuse victoire, au-delà du temps, imprime encore sa marque dans l’histoire du sport.
La description, dans Les Chariots de feu, de la façon dont Liddell transforma une situation, apparemment désespérée, en un triomphe de l’esprit humain a été source d’inspiration, au cours des années, pour des gens de toutes sortes de milieux, en soulignant le message, également intemporel, du sport, de ne jamais abandonner — dans le stade ou ailleurs.
Le rôle du sport dans la vie de Liddell, dans les années qui précèdent et qui suivent sa performance légendaire de Paris, est moins connue. Dans ce nouveau livre, John Keddie aborde ce sujet avec élégance et précision.
Au lieu d’être une biographie complète, l’approche choisie par Keddie, un auteur qui fait autorité dans l’histoire de l’athlétisme écossais, est de fournir une biographie sportive détaillée de Liddell retraçant sa progression : l’enfant doué, puis l’étoile montante de la course à pied à l’université d’Édimbourg, le rugbyman international écossais, pour arriver aux défis spectaculaires des Jeux olympiques et à ses réalisations tant sur la piste qu’au-delà.
Il y a là un compte rendu impressionnant de l’aspect sportif de la vie de Liddell, qui décrit aussi les autres passions ayant façonné son existence : son engagement religieux, sa vie de famille et son œuvre missionnaire en Chine. La décision d’Eric Liddell de sacrifier sa chance de gagner la médaille d’or aux Jeux olympiques dans
le 100 mètres, parce que la programmation des épreuves heurtait de front ses convictions chrétiennes, captive encore l’imagination. Les circonstances de cette incroyable course qui allait aboutir, envers et contre tout, à une médaille d’or semblent encore plus extraordinaires quand on les envisage cinquante ans après : Liddell avait vaincu les meilleurs athlètes au monde avec beaucoup d’avance, battant au passage le record du monde — après avoir remporté une médaille de bronze quelques jours plus tôt dans le 200 mètres.
À une époque qui aurait tant besoin de héros et de modèles pour inspirer nos jeunes, le nouveau livre de Keddie tombe à pic en nous amenant au cœur de la vie et du sport.
Sachant l’attachement de Liddell, pendant toute sa vie, à la Chine où il vit le jour et mourut, il était bienvenu que cette biographie fût d’abord publiée à l’approche des Jeux olympiques de Pékin, qui amenèrent en Chine pour la première fois les athlètes du monde.
Elle fut re-publiée en 2012 lorsqu’elle entra en résonance avec notre vision d’utiliser le pouvoir des Jeux olympiques et Paralympiques à Londres en 2012 pour inspirer le changement – en régénérant certains des quartiers les plus pauvres de Londres et en étant source d’inspiration pour les jeunes, afin de changer des vies par le sport, comme l’avait fait, à sa manière, Liddell lui-même.
Maintenant que le monde olympique regarde à nouveau vers l’est, tandis que nous approchons des Jeux olympiques de Tokyo, prévus en 2021, l’histoire de Liddell est toujours aussi pertinente. Pour paraphraser Confucius, le plus célèbre philosophe de l’Orient, « ce n’est qu’en comprenant notre passé que nous pouvons façonner notre avenir ».
LORD SEBASTIAN COE Président de World Athletics
Préface
La fascination durable suscitée par la vie d’Eric Liddell est remarquable. Car il était, sous beaucoup d’aspects, un homme ordinaire ; mais aussi parce que son style de vie et sa foi ne peuvent passer pour être populaires, ni même bien compris en notre âge sceptique et sécularisé. En outre, cette fascination est sûrement due à tout ce qu’il a accompli dans le sport, et aussi au fait qu’il s’est pleinement consacré à l’œuvre de la mission chrétienne. Ces deux mondes-là ne se trouvent pas souvent aussi intimement liés. Il y a aujourd’hui beaucoup de biographies de sportifs, et de biographies chrétiennes. Mais Eric Liddell a l’originalité de les réunir, et c’est ce qui explique en partie la fascination. Il y a aussi autre chose : il a, à titre posthume, réussi à obtenir une célébrité grâce à un film primé aux Oscars. La plupart des gens connaissent Les Chariots de feu (1981).
Pour avoir un peu contribué à la caractérisation d’Eric Liddell en vue de ce film, je fus intrigué à l’époque en lisant cette description très poétique qui en avait été faite : « Les Chariots de feu sont un fragment d’histoire piégé dans de l’ambre1 ». Il m’apparut que cela pouvait aussi s’appliquer à la vie d’Eric Liddell. Il nous est rappelé, quand nous considérons de tels hommes et ces événements du passé, que chaque génération devrait avoir l’humilité de tirer des leçons de vie de personnages aussi exemplaires. On a dit qu’un peuple qui oublie son histoire aura tendance à répéter ses erreurs.
Ce livre est le fruit de l’intérêt que je porte au sport et à la foi chrétienne. Les deux s’entremêlaient dans la vie d’Eric Liddell. En un sens il s’agit surtout de la biographie d’un sportif. Mais il serait impossible d’écrire une telle biographie d’Eric Liddell sans
y inclure une mûre réflexion sur sa foi chrétienne. Cet homme a consacré sa vie au service missionnaire, tournant apparemment le dos à la célébrité et à la fortune. C’est un homme dont la vie et le caractère ont été modelés par l’enseignement de la Bible et dont le regard portait au-delà des choses éphémères de ce monde. Sa vie témoigne amplement du pouvoir de transformation d’un tel enseignement. On ne peut le comprendre en dehors de sa dévotion à Jésus-Christ et à la foi du christianisme évangélique.
Je suis profondément reconnaissant à D. P. Thomson, le premier biographe de Liddell, sur les épaules duquel se sont tenus tous les autres biographes. Beaucoup de détails mentionnés dans ce livre sont issus de l’œuvre de D. P. Thomson, mais je me suis aussi inspiré d’autres biographies, plus récentes. Toutefois, les parties qui traitent des données sportives précises, sont la plupart du temps inédites, mais de longues citations d’Eric Liddell sur ses expériences d’athlète sont extraites de la biographie rédigée par D. P. Thomson, et aussi d’une série de six articles écrits par Eric pour la revue All Sports Weekly entre le 29 mai et le 3 juillet, 1926. Il a décrit ces articles comme étant « des mémoires brèves et imparfaites de cinq heureuses années sur la piste de course2. »
Je suis aussi reconnaissant pour le privilège d’avoir rencontré Florence, la veuve d’Eric Liddell, et sa sœur Jenny. Les conversations avec ces femmes merveilleuses et avec beaucoup d’autres dont la vie avait été touchée par Eric Liddell, me furent d’une grande aide pour arriver à cerner le caractère de cet homme. Envers tous, j’ai une profonde dette de gratitude. Mes remerciements vont également à Lord Coe, maintenant président de World Athletics, pour son avant-propos à la nouvelle édition3.
Dans cette troisième édition, à part quelques corrections et mises à jour ici et là, le texte reste essentiellement le même que dans les éditions précédentes (2007, 2012).
Eric Liddell avait tendance à s’effacer. Il aurait été stupéfait et même embarrassé de cette adulation et de l’intérêt, plus récent, que nous lui portons en tant que sportif et missionnaire. Une telle « célébrité » ne lui aurait pas convenu ! Pourtant, après Les Chariots de feu (1981) et les Jeux olympiques de 2008 dans son pays natal, un renouveau de l’intérêt qu’on lui portait était d’une certaine manière inévitable. Une photo de lui en pleine action est même apparue sur la couverture d’un annuaire téléphonique en Écosse, en 2011 !
Il semble à l’auteur de ce livre qu’un bon équilibre dans la présentation d’Eric en tant qu’athlète et missionnaire chrétien n’a pas souvent été respecté par les biographes, les journalistes, ou les réalisateurs de films. On a facilement pu faire pencher la balance vers l’un ou l’autre de ces deux aspects de sa vie. Mon souci de pasteur et d’ancien athlète a été, en écrivant cette biographie, de rétablir un tel équilibre dans la présentation de la vie d’Eric.
On pourrait se demander ce que lui-même aurait pensé de tout ce tapage fait à son sujet. Pourtant, cette admiration, voire fascination au sujet de sa carrière sportive et de son œuvre en Chine, ne décroît pas. Force est de constater que le souvenir de sa vie persiste à nous inspirer et à nous lancer un défi.
JOHN W. KEDDIE
Kirkhill
Inverness-shire Octobre 2019
À la rencontre d’Eric Liddell
J’ai rencontré pour la première fois Eric Liddell en 1959, à Craiglockhart, qui était alors le terrain de sports du club d’athlétisme de l’université d’Édimbourg, situé au sud-ouest de cette ville. Bien sûr, je ne l’ai pas rencontré en personne puisqu’il était décédé en 1945, un an et demi avant ma naissance. Mais en ce samedi après-midi de mai, j’accompagnais mon père qui devait couvrir, pour un journal local, la Fête annuelle des sports du club d’athlétisme de l’université d’Édimbourg.
Le terrain de sports où Eric Liddell avait concouru pour son université en 1920 n’avait guère changé depuis sa création en 1897. Le terrain et le pavillon étaient restés quasiment les mêmes. Le pavillon comportait une banquette et quelques marches menant à un club-house*, surmonté d’une grande horloge. En-dessous, au niveau du sol, se trouvaient les vestiaires des athlètes, avec les mêmes bancs, les mêmes crochets, les mêmes douches qu’à l’époque de Liddell. La piste était en gazon et les couloirs tracés avec de la peinture blanche. C’était une piste de 400 yards comprenant six couloirs. Il y avait quelques différences avec les années 1920. À cette époque aucun marquage ne séparait les couloirs, sauf pour les lignes droites du 100 yards et du 200 yards — car on ne courait pas, alors, le 200 yards en prenant un virage, mais en ligne droite
* NDE : Bâtiment réservé aux membres d’un club sportif et mettant à leur disposition divers services (bar, restaurant, etc.)
depuis le coin sud-ouest du terrain en allant vers le club-house. Le bâtiment de Craig House, planté sur une colline boisée, dominait de sa masse imposante le terrain de sports. Construit pour être un « asile de fous », l’édifice assumait toujours cette fonction dans les années cinquante.
Pour en revenir à ma première rencontre avec Eric Liddell, elle eut lieu dans le club-house, où l’on avait servi du thé et des gâteaux. Une photo du grand homme trônait en bonne place, suspendue au mur, juste au-dessus de la table. On aurait dit une icône. Je fus stupéfait de voir que plusieurs records détenus par cet homme-là n’avaient pas encore été surpassés, quelque quarante années plus tard. Il détenait toujours le record du 200 yards et co-détenait celui du 100 yards. J’ai dû m’oublier cet après-midi-là, au point de prendre un gâteau dans une assiette, pour l’y remettre ensuite et en prendre un autre ; et cela sous les yeux de Sir Edward Appleton, président de l’université… Mon père fut manifestement contrarié par cet écart de conduite !
Mon père, qui s’intéressait au sport, m’avait parlé dans mon enfance d’Eric Liddell qui était devenu pour moi une sorte de héros, même si je ne connaissais alors que peu de détails sur sa vie. À cette époque, il n’existait encore aucune biographie de lui, ou du moins mon père n’en connaissait pas. On pourrait dire que j’étais « inspiré » par l’histoire d’Eric Liddell ; elle suscita chez moi un enthousiasme pour les sports que nous pratiquions à l’école.
Quoique mon propre talent fût extrêmement limité par rapport au sien, une coïncidence étonnante avait, en quelque sorte, rapproché nos carrières de coureurs à pied. Eric Liddell avait couru son tout premier 440 yards en tant que senior, sur la piste de Craiglockhart, à la Fête des Sports de l’université d’Édimbourg, le 27 mai 1922. Il
Portrait d’Eric Liddell au club-house de Craiglockhart
avait gagné la course haut la main en 52,6 secondes, performance qui, pour lui, était plutôt modeste. Quarante-quatre ans plus tard, sur la même piste de gazon, dans une compétition entre mon club, Edinburgh Southern Harriers, et le club d’athlétisme de l’université d’Édimbourg, j’avais gagné le 440 yards dans le même temps exactement ; ç’avait été l’un de mes rares succès de senior.
J’étais devenu chrétien à cette époque et j’en avais appris davantage au sujet d’Eric Liddell. Aussi stimulant que fût son exemple pour ma pratique sportive, son témoignage chrétien était de loin ce qui comptait le plus à mes yeux. C’est en 1966 que mon frère aîné, qui n’avait jamais été très intéressé par le sport, m’avait envoyé une courte biographie de Liddell, trouvée à une conférence d’étudiants chrétiens à Criff, dans le Pertshire. Elle s’intitulait Eric Liddell : La formation d’un athlète et l’entraînement d’un missionnaire. C’était une brochure de quarante pages, éditée par le Comité commémoratif d’Eric Liddell. Il n’y avait aucune date de publication, mais c’était la quatrième édition, ce qui portait à 55 000 le nombre total d’exemplaires en circulation ; et il est probable qu’on n’ait pas cessé d’en imprimer depuis la première publication, après la mort d’Eric en 1945.
L’auteur, D.P. Thomson, avait été évangéliste dans l’Église d’Écosse, et devenu retraité, il s’était consacré notamment à la rédaction de nombreux ouvrages sur l’histoire, la biographie et la pratique de l’Église chrétienne. Dans les années vingt, il était très engagé auprès d’Eric Liddell qu’il avait fortement soutenu dans l’évangélisation parmi les étudiants et les jeunes en général.
Cette brochure avait grandement stimulé ma réflexion sur l’athlétisme, mais surtout sur la foi chrétienne,
Couverture de la première biographie de Liddell par D. P. Thomson 1945
dont Liddell était un brillant représentant. Une chose certaine est que, depuis ce moment-là, je n’ai plus jamais pratiqué aucun sport le dimanche, alors qu’à cette époque une forte pression commençait à s’exercer dans la société pour qu’on s’entraînât et que l’on organisât des événements sportifs le dimanche. Cette nouvelle attitude n’était pas, chez moi, provoquée seulement par l’exemple d’Eric Liddell, mais parce que j’étais persuadé que sa conviction reflétait une position bibliquement juste, conforme à la volonté de Dieu pour l’homme.
Il est intéressant de noter l’effet produit par Eric Liddell au cours des années, et tout spécialement à cause de son témoignage chrétien. Dans la biographie de son mari, alors décédé, Catherine Marshall parle de l’influence exercée très tôt sur la vie de ce dernier par Eric Liddell dans les années vingt :
« Peter Marshall, ainsi que des milliers de jeunes gens en Écosse, fut très marqué par la vie d’Eric Liddell et ses performances olympiques en 1924. Pour eux, Eric était un héros, non seulement à cause de ses grandes capacités athlétiques, mais aussi pour sa modestie, son charme indéniable et la puissance de son témoignage chrétien. Son influence sur la vie de Peter a été considérable4. »
Sur le site web de la BBC écossaise, on trouve cette réflexion : « Il est certain que l’un des héros sportifs de l’Écosse, Eric Liddell, doit davantage sa réputation à une course qu’il n’a pas courue qu’à aucune autre5 » — ceci fait bien sûr allusion à son refus de courir le 100 mètres aux Jeux olympiques de Paris en 1924. Il y a quelques années, j’avais reçu une lettre de F.F. Bruce, l’exégète biblique réputé, disant : « Le refus d’Eric Liddell de courir un dimanche a produit une forte impression sur moi et plusieurs de mes camarades de classe, lors de cette lointaine période de 19246. »
Beaucoup d’autres ont été durablement influencés par son témoignage, notamment après la mise à l’écran en 1981 du film Les chariots de feu. La position d’Eric insistant sur la sainteté du jour du Seigneur fut indéniablement un élément fort de son témoignage chrétien.
En 1967, un comité d’entraîneurs de l’Association écossaise des athlètes amateurs diffusa une circulaire encourageant les jeunes élèves à participer aux sessions d’entraînement pour préparer les Jeux du Commonwealth qui devaient avoir lieu à Édimbourg en 1970. Dans cette circulaire, le secrétaire de l’association, le célèbre champion de marathon, Duncan McLeod Wright, encourageait les élèves en citant l’exemple d’Eric Liddell : « J’étais l’un des camarades d’Eric pendant les Jeux de Paris, écrivait-il, j’ai bénéficié de son amitié de nombreuses années et je puis dire sans hésitation qu’il fut le sportif le plus remarquable que j’aie jamais connu. »
Wright faisait allusion au grand triomphe olympique de Liddell, mais il ajoute : « On ne se souvient pas tant d’Eric Liddell à cause de cette performance que pour avoir été l’homme qui refusa de courir un dimanche. » Il espérait qu’un « autre Eric Liddell » apparaîtrait en vue des Jeux du Commonwealth en 1970 ; mais je me suis dit en même temps que ça poserait un problème, sachant que les sessions d’entraînement devaient avoir lieu « chaque dimanche de 14h30 à 16h30 » !
Il est certain que le film Les Chariots de feu, sorti en 1981 et primé aux Oscars, a suscité beaucoup d’intérêt et a, notamment, attiré l’attention sur l’attitude d’Eric vis-à-vis du jour du Seigneur. Malheureusement, l’importance de ce jour a été minimisée dans une société de plus en plus séculière où l’on ne respecte plus le dimanche en tant que « sabbat chrétien ». Des athlètes réputés, et d’autres moins connus, ont été nettement influencés par la position d’Eric Liddell sur ce sujet. Je pense à quatre d’entre eux : Jonathan Edwards, recordman mondial de triple-saut, Barrigton Williams, champion de saut en longueur et pasteur pentecôtiste ; l’extraordinaire star de rugby des All-Black, Michaël Jones et, plus récemment, Euan Murray, l’international écossais de rugby. Cependant, la question de la pratique du sport le dimanche a été fortement marginalisée, même chez les chrétiens pratiquants. Par exemple, dans un livre de méditations quotidiennes récemment édité aux États-Unis par l’Association des Athlètes Chrétiens, un
article est consacré à Eric Liddell, « The Flying Scotsman ». Son témoignage chrétien est mis en valeur, mais pas un mot n’est dit de son attitude envers le jour du Seigneur7. Je n’entends pas dire par là qu’on ne peut pas être un vrai chrétien à moins d’observer le jour du Seigneur ; ni que cela ait été le seul aspect du témoignage d’Eric Liddell. Mais c’est pourtant cette question-là qui a rendu Eric si célèbre et a montré, très clairement, au monde qu’il était un homme n’ayant pas honte de mettre en pratique ses convictions chrétiennes.
Quel est l’objectif de ce livre ? N’y a-t-il pas déjà assez de biographies sur le marché ? Aussi étrange qu’il y paraisse, peu d’auteurs se sont intéressés à Eric Liddell avant la production des Chariots de feu. Toutes les biographies écrites depuis 1981 se sont inspirées de celles qu’avait écrites D.P. Thomson en 1970 et 19718. Celui-ci avait connu Liddell personnellement et sur une longue période après leur rencontre en 1920. Il avait une connaissance exhaustive de presque tous les événements de sa vie et de sa position en tant que chrétien. Il était moins bien informé en ce qui concerne ses performances sportives, et c’est sur ce sujet que j’ai pu l’aider à écrire ses biographies au début des années 70.
Très gentiment, il m’avait envoyé une copie de l’édition reliée, avec ce petit mot : « À mon ami John W. Keddie, dont l’intérêt, la connaissance et l’enthousiasme ont grandement contribué à la rédaction de ce livre. Avec ma gratitude, D.P. Thomson. » En réalité, je lui avais seulement fait connaître certains détails du parcours d’Eric Liddell et l’avais encouragé à publier une biographie. D.P. Thomson, un gentleman des plus charmants, ne vécut que peu de temps après la publication de ces biographies.
Mon intérêt pour Liddell ne connut pas de répit après notre première rencontre en 1959 et cela me poussa à rechercher tous les détails de ses performances de course à pied. Vers la fin de mon adolescence, je fouillais avec obstination dans les librairies et les archives des journaux, à la recherche de détails que je consignais ensuite avec soin. Je récoltai aussi une collection impressionnante
de programmes, qui fut par la suite déposée au Bureau écossais des archives à Édimbourg9.
Je m’étais lié d’amitié avec le doyen des historiens de l’athlétisme écossais, David A. Jamieson (1879-1972), natif comme moi d’Édimbourg. Jamieson s’était passionné pour le sport dès avant la fin du xixe siècle et possédait un trésor de connaissances sur l’athlétisme écossais, amateur et professionnel. Il avait connu personnellement Eric Liddell et beaucoup admiré son caractère et toutes ses compétences. J’ai conversé avec joie pendant des heures avec M. Jamieson, c’est ainsi que j’ai pu me familiariser avec les différentes personnalités et événements liés à l’athlétisme en Écosse dans la première partie du xxe siècle. Jamieson était présent à Paris lors des Jeux olympiques de 1924 ; il en parlait avec une grande sensibilité.
Au moment opportun, j’écrivis une série d’articles sur la vie d’Eric et de son palmarès pour le principal magazine de cette époque, Athletic Weekly, alors édité par Melwyn Watman, historien de pointe de l’athlétisme10. Ces articles parvinrent à la connaissance de Colin Welland, acteur et scénariste, à qui l’on avait demandé de réfléchir à un scénario pour un film devant réunir les personnalités suivantes : Harold Abrahams (vainqueur dans le 100 mètres à Paris), Eric Liddell (vainqueur dans le 400 mètres) et Douglas Lowe, un Anglais qui remporta le 800 mètres. Lowe était le seul des trois à être toujours en vie à ce moment-là. Comme il était peu enclin à participer à ce projet, on abandonna son personnage et l’on créa un personnage fictif du nom de Lord Andrew pour tenir un rôle secondaire (ce personnage évoquait d’ailleurs de façon assez évidente Lord Burghley qui, lui, avait réellement participé aux Jeux de Paris — dans le 110 mètres haies — mais sans succès11.
L’idée d’un film était venue du producteur David Puttnam, qui avait reçu cette inspiration en apprenant les succès obtenus par les athlètes britanniques à Paris ; il était attiré par les différences de caractère entre ces athlètes et leurs prouesses assez héroïques. Mais Collin Welland avait du mal à cerner le caractère de Liddell. Il
disposait des informations contenues dans la biographie écrite par D.P. Thomson et de mes articles sur le palmarès de Liddell, considérés comme faisant autorité dans la communauté de l’athlétisme. Mais il en demandait davantage.
Nous nous sommes rencontrés vers la fin de 1978 et au début de 1979. Il semble que nos réunions l’aient aidé, du fait de mon grand intérêt à l’égard de Liddell et parce que je partageais ses convictions sur l’Évangile. D’autre part, j’avais été moi-même un athlète dans ma jeunesse12. Au début, Collin Welland ne parvenait pas à saisir les motivations de Liddell dans le sport et dans la vie. Il n’avait jamais encore rencontré de « chrétiens musclés » et se demandait si Liddell n’était pas, quelque part, « un homme aux pieds d’argile ». Il ne s’était jamais trouvé, non plus, en présence d’un vrai chrétien évangélique motivé par le désir d’honorer Jésus-Christ et de vivre selon la Parole de Dieu. Étant moi-même un chrétien évangélique, je savais ce qui faisait vibrer Eric Liddell. De ce point de vue, je crois que Welland aura pu trouver de l’intérêt à notre rencontre. Il désirait savoir, d’autre part, quel genre de discours tenait Liddell quand il parlait en public. Je lui ai donné des pistes, qu’il a utilisées sous une forme modifiée dans le film. Par la suite, on parvint à un accord entre les différents partenaires et il fut demandé à Welland d’écrire le scénario du film — qu’on appela par la suite Les Chariots de feu13. Colin Welland me fut si reconnaissant de l’aide que je lui avais apportée qu’il nomma l’un des personnages du film Colonel John Keddie, président de la SAAA (Scottish Amateur Athletic Association)14. Le Colonel Keddie apparaît brièvement dans une compétition opposant l’Écosse à la France, au cours de laquelle on voit Liddell se faire éjecter et tomber hors de la piste ; mais il se relève et termine la course en vainqueur, épuisé. Il s’agissait là d’une rencontre fictive, mais cet incident avait réellement eu lieu dans une compétition appelée Triangular International à Stoke on Trent, en juillet 192315. Nous en dirons davantage sur la représentation d’Eric Liddell dans le film. Mentionnons seulement l’attribution, à Hollywood en 1982, de l’Oscar du ‘meilleur scénario’ à Colin Welland (1934-2015), ce qui fut pour lui un succès considérable.
Quant à l’utilisation de mon nom dans le film, Welland avait confié un jour à ma chère épouse qu’il avait calqué le personnage de Liddell sur moi. Je me suis dit que j’aurais plutôt préféré être, moimême, calqué sur Liddell ! J’ai encore en ma possession une image tirée du film et signée par Welland avec cette inscription : « Pour vous, John — Merci de m’avoir présenté à Eric ! Colin Welland. »
Dans un article au sujet d’Eric Liddell paru sur Internet, David Virkler, de Dedication Evangelism, a souligné mon implication dans le film :
« Colin Welland s’est renseigné sur la personnalité de Liddell en interviewant John Keddie, un coureur écossais dont la vie avait été radicalement transformée lorsque son frère, qui était pasteur, lui avait donné une brochure à propos de Liddell. Keddie fut si impressionné par la vie de Liddell qu’il se joignit à un groupe de chrétiens et refusa dorénavant de courir le dimanche. Keddie avait raconté à Welland comment prêchait et s’exprimait Liddell, ce
Photo tirée des Chariots de Feu, signée par Colin Welland
qu’il aurait pu dire, et ce qu’il n’aurait pas pu dire. En fait, c’est l’image de Liddell, depuis longtemps disparu, et transmise par Keddie, qu’a vue le public en regardant Les Chariots de feu16 . »
De nombreuses biographies d’Eric Liddell ont été publiées depuis la diffusion des Chariots de feu en 1981. J’avais depuis longtemps le désir d’écrire quelque chose sur sa vie, mais je n’arrivais jamais à trouver le temps nécessaire à la recherche et à l’écriture. Un certain nombre de biographes sont pourtant venus me consulter et je leur ai dûment procuré les informations dont ils avaient besoin. Je n’ai pas l’intention de reproduire ici des données biographiques qui sont maintenant largement accessibles17. Mais il serait intéressant de combler quelques lacunes, afin de fournir une biographie sportive plus complète, en y faisant apparaître la position chrétienne de Liddell — sans laquelle sa carrière d’athlète elle-même ne peut pas tout à fait se comprendre. Je crois être le seul parmi tous les biographes à donner d’Eric l’image d’un chrétien évangélique ayant pratiqué le rugby et l’athlétisme à un haut niveau, tout en s’étant ardemment, personnellement, impliqué dans l’histoire du sport18.
Voici donc une présentation d’Eric Liddell, chez qui je décrirai surtout le parcours de l’athlète. Sans manquer, toutefois, de révéler l’impact de sa foi chrétienne sur sa vie et sa pratique sportive, ainsi que sur la vie de tant d’autres personnes. Sa vie, son histoire, méritent qu’on s’en souvienne : pour ce qu’il a accompli dans les stades et pour sa fidélité aux principes de la foi chrétienne qu’il a embrassés sans réserve.
Hôpital Shadyside et une partie des murs du camp du camp d’internement de Weishien