LES RÉSEAUX SOCIAUX NOUS CHANGENT
Les réseaux sociaux influencent probablement davantage les personnes que vous aimez et que vous dirigez que vous-même. Mais que pouvez-vous y faire ?
En janvier 2022, la plateforme de gestion des réseaux sociaux Hootsuite rapportait qu’en moyenne, les internautes passaient environ deux heures et demie par jour sur les réseaux sociaux1. Plus des deux tiers des Américains utilisent Facebook, et la moitié d’entre eux admettent qu’ils l’utilisent « plusieurs fois par jour2 ». Et chaque jour, on dénombre un milliard d’heures de visionnage de vidéos sur YouTube.
1. NDLT : Tout au long de ce livre, il sera question des « réseaux sociaux », et il faut comprendre que, lorsque l’auteur évoque les réseaux sociaux (social media, en anglais), il ne désigne pas seulement les plateformes dédiées avant tout à de la communication (telles que WhatsApp, Discord ou Messenger…) mais aussi toutes les plateformes où chacun peut poster et consulter des vidéos, photos, ou commentaires (telles que YouTube…) Cette expression inclut donc aussi bien TikTok que LinkedIn, Instagram, Pinterest, Snapchat, Twitter, Facebook, etc. L’auteur semble même considérer les sites de rencontre comme une forme de réseaux sociaux. Le lecteur devra donc comprendre les « réseaux sociaux » dans leur sens le plus large. Pour la référence précise du sondage, voir “Social Media Trends 2022”, Hootsuite, www.hootsuite.com/research/social-trends (lien internet vérifié le 15/05/2024).
2. Brooke Auxier and Monica Anderson, “Social Media Use in 2021”, Pew Research Center, April 7, 2021, www.pewresearch.org/internet/2021/04/07/ social-media-use-in-2021 (lien internet vérifié le 15/05/2024).
Je pourrais vous faire crouler sous des pages de statistiques de ce genre, mais c’est inutile, vous avez compris où je voulais en venir. Les réseaux sociaux ne sont pas une mode passagère, ils ne disparaîtront pas. Et ils constituent certainement la force d’influence la plus envahissante dans le monde à l’heure actuelle.
LES MAUVAISES APPROCHES
DE LA QUESTION DES RÉSEAUX SOCIAUX
Pour faire simple, je crois qu’il y a deux mauvaises approches de la question des réseaux sociaux :
1. une acceptation irréfléchie
2. une ignorance passive.
Ces deux approches constituent les extrémités du spectre.
Acceptation irréfléchie Engagement intentionnel Ignorance passive
Tout d’abord, certains d’entre nous ont peut-être le tort d’accepter plusieurs aspects des réseaux sociaux sans se poser la moindre question. Nous livrons aux réseaux sociaux des trésors de données personnelles sans sourciller. Nous partageons sans réfléchir des détails intimes de nos vies qui font grincer des dents nos amis et discréditent peut-être même notre témoignage chrétien. Nous ne nous demandons pas, en scrollant tous les soirs avant d’aller nous coucher, quel impact ces réseaux auront sur notre cœur et nos pensées. Nous nous radicalisons en regardant les vidéos YouTube, ou alors nous nous retrouvons coincés dans des bourbiers de luxure et de péché sexuel, parce que nous n’avons jamais pris le temps de considérer à quel point ces réseaux étaient en train de nous transformer. Les réseaux sociaux ne nous demandent pas grand-chose, par conséquent nous ne questionnons pas beaucoup l’usage que nous en faisons et les effets qu’ils ont sur nous. Accepter les réseaux sociaux avec une telle ferveur irréfléchie, c’est faire fausse route.
Mais nous nous trompons tout autant si nous ignorons passivement l’existence des réseaux sociaux et d’internet, et tout particulièrement lorsque nous sommes engagés dans un ministère de leader. Si nous n’y voyons qu’une mode passagère ou qu’une petite icône de la culture populaire dont les adolescents dépendent, nous sous-estimons terriblement les effets des réseaux sociaux sur les personnes que nous aimons.
Mais alors, que fait-on ? Quelle est la bonne approche ? Entre les deux extrémités du spectre que sont l’acceptation irréfléchie d’un côté, l’ignorance passive de l’autre, je veux plaider pour l’engagement intentionnel. Si, en tant que spectateurs ou utilisateurs réguliers de ces réseaux, nous espérons faire preuve de sagesse dans leur utilisation et éviter le péché autant que possible, nous devons être résolus. Faire preuve de désinvolture dans l’utilisation d’internet nous met en danger, parce que le péché et la tentation y sont bien présents. Nous devrions être vigilants et attentifs dans notre manière de gérer un outil aussi puissant. À quoi cette vigilance ressemble-t-elle, concrètement ? Elle consiste à se demander, par exemple : « Quel est le but d’Instagram dans ma vie ? » ou encore « En quoi Twitter influence-t-il ma façon de considérer l’actualité ? »
En plus d’être résolus, nous devrions aussi être engagés. Mais attention, je n’insinue pas que tout le monde doive utiliser très activement les réseaux sociaux. En aucun cas. Il existe de nombreuses manières d’être présents sur les réseaux sociaux sans en être des utilisateurs actifs. Si vous et moi sommes en position d’autorité et d’influence dans la vie des membres de notre église, de notre famille ou au sein de tout autre groupe, nous avons la responsabilité de comprendre ce que sont les réseaux sociaux, comment ils fonctionnent et quel impact ils sont susceptibles d’avoir sur les personnes dont nous avons la charge. C’est là ce que j’appelle l’engagement, et cela vaut même si vous n’avez personnellement aucun compte sur aucun réseau social ! L’engagement, c’est aussi lorsque vous n’êtes sur un réseau social que pour l’observer et lorsque vous étudiez les plateformes sur lesquelles vous possédez un compte
avant de décider de le supprimer. Par exemple, Tinder et Bumble sont deux applications de rencontres et donc une forme de réseau social. Je n’utilise pas ces applications parce que je suis un homme marié, mais je me suis engagé à les étudier sans y avoir ouvert de compte. Pourquoi ? Parce que je connais des personnes de mon église qui utilisent ces applications. Si je veux être un leader efficace dans ma communauté, je dois connaître ce que les gens utilisent !
Refusez d’accepter aveuglément toute nouvelle plateforme ou fonctionnalité de réseau social qui se présente. Interrogez sérieusement ces plateformes en posant des questions exigeantes. Ne cédez pas à la tentation de glisser vers l’ignorance passive parce que vous souhaitez vous épargner l’effort de comprendre ces moyens de communication et de divertissement qui sont en perpétuelle évolution. Trouvez un juste milieu qui sera sain, en optant pour cet engagement délibéré qui vous maintiendra au-dessus de la mêlée, sans vous plonger pour autant dans l’ignorance des effets que les réseaux sociaux (et internet au sens large) peuvent avoir sur vous ainsi que sur les personnes dont le Seigneur vous a demandé de prendre soin.
LA NOUVELLE TOUR DE BABEL
En 2013, j’ai obtenu mon diplôme en littérature biblique à la Taylor University, je me suis marié et j’ai commencé à travailler dans les réseaux sociaux pour Lifeway Christian Resources, l’un des plus grands éditeurs chrétiens au monde. Un ami, animé des meilleures intentions, a alors demandé à mon épouse : « Es-tu sûre que Chris devrait travailler dans les réseaux sociaux ? J’ai l’impression que ce n’est qu’une mode et qu’elle aura passé d’ici quelques années. » À l’époque, Facebook pouvait déjà se vanter d’avoir 1,23 milliards d’utilisateurs actifs mensuels à travers le monde, et 73 % des internautes utilisaient les réseaux sociaux1.
1. Maeve Duggan and Aaron Smith, “Social Media Update 2013”, Pew Research Center, December 30, 2013, www.pewresearch.org/internet/2013/12/30/socialmedia-update-2013 (lien internet vérifié le 15/05/2024).
Cet ami était bien intentionné, mais à cette époque déjà, les réseaux sociaux étaient bien plus qu’une mode. Cela dit, je comprends pourquoi certains observateurs ont pu avoir ce sentiment. Les réseaux sociaux n’occupaient pas la place sociale et culturelle prédominante qu’ils occupent aujourd’hui. Certains dirigeants de ce monde utilisaient les réseaux sociaux comme moyen de communication officiel en 2013, mais pas à la même échelle qu’à l’heure actuelle. Les mouvements de justice sociale étaient encore majoritairement organisés en dehors des réseaux sociaux, et non sur les réseaux sociaux. Et de nombreuses plateformes de réseaux sociaux ont été créées et démantelées depuis cette époque.
Pour le meilleur ou pour le pire, les réseaux sociaux sont là pour rester. L’internet social – c’est-à-dire tous les moyens dont nous disposons pour communiquer avec les autres via internet – est une institution de socialisation qui n’a pas son précédent. La seule innovation similaire dont l’Histoire ait gardé une trace est la Tour de Babel1.
Dans Genèse 11, nous lisons que le monde entier parlait la même langue. Et avec cette langue commune est apparue une forme de coopération corrompue, œuvre indiscutable de la progéniture naturelle du couple conspirateur qui avait été banni du jardin d’Éden. Qu’ont fait ces personnes de leur lexique commun ? Genèse 11.4-6 relate cet épisode :
Ils dirent encore : Allons ! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que
1. J’utilise les expressions « réseaux sociaux » et « internet social » de manière interchangeable tout au long de ce livre, mais techniquement, elles ne désignent pas tout à fait la même réalité. L’internet social désigne l’architecture générale et la technologie d’internet – la charpente de la maison, si vous voulez. Les réseaux sociaux sont la culture que nous créons en utilisant l’internet social, c’est-à-dire les décorations et les meubles de la maison. Ou, si on emprunte une comparaison à la télévision : l’internet social est le téléviseur et les réseaux sociaux sont les programmes que l’on regarde à la télévision. L’internet social est la technologie ; les réseaux sociaux sont la culture que l’on crée par le biais de cette technologie.
nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l’Éternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté.
Yahvé reconnaît la puissance énorme de l’innovation communicationnelle de ces personnes, et il décide que la divinité doit descendre pour confondre le langage des bâtisseurs. Sans quoi, ils auraient continué à bâtir leur tour et trouvé d’autres moyens pour se croire puissants en laissant Dieu à bonne distance.
Les gens de ce monde se sont rassemblés et ont déployé leurs nouvelles capacités de communication pour démontrer leur autosuffisance, leur indépendance et leur ingéniosité.
Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?
Aujourd’hui, grâce à l’internet social et à toute la panoplie de réseaux que nous consommons, nous nous sommes rassemblés avec les gens de ce monde pour démontrer notre nouvelle capacité de communication. Nous jouons avec nos propres frivolités pour tenter de démontrer notre auto-suffisance, notre indépendance et notre ingéniosité.
L’internet social est un outil qui, à sa naissance, avait ce parfum magique d’unité et de progrès qui donnait l’illusion de rendre possible une innovation et une coopération impossibles auparavant. Mais plus récemment, Dieu a utilisé notre propre folie pour introduire une frustration semblable à celle qu’ont dû éprouver ceux qui construisaient la Tour de Babel. En fait, c’est lorsque Facebook a introduit le bouton « Like » et que Twitter a introduit la fonction « Retweet » que ce projet collaboratif illusoire, cette nouvelle Tour de Babel, a commencé à se déconstruire1. Mais malgré les
1. Voir Jonathan Haidt, “Why the Past 10 Years of American Life Have Been Uniquely Stupid”, Atlantic, April 11, 2022, www.theatlantic.com/magazine/ archive/2022/05/social-media-democracy-trust-babel/629369 (lien internet vérifié le 15/05/2024).
sentiments de plus en plus négatifs que notre expérience sur les réseaux sociaux suscite en nous à divers égards, la plupart d’entre nous continuons à tenter de superposer des briques pour bâtir nos tours virtuelles. Nous sommes tellement consumés par notre attachement à l’internet social que cela commence à modifier nos pensées, nos émotions et nos croyances.
LES RÉSEAUX SOCIAUX CHANGENT
NOTRE MANIÈRE DE PENSER
La première manière dont notre attachement aux réseaux sociaux affecte notre pensée, c’est par l’alignement de nos valeurs sur les valeurs promues par les réseaux. C’est d’ailleurs ce qui se produit dans tout type d’attachement, quand on y pense. Lorsque vous vous mariez, ou tout simplement lorsque vous fréquentez quelqu’un, votre système de valeurs est façonné par celui de votre moitié.
Peut-être qu’avant de connaître votre épouse, vous n’aimiez pas particulièrement la cuisine thaïe, mais parce qu’elle raffole de ces plats et qu’elle vous demande de passer vos soirées en amoureux au restaurant thaï le plus proche de chez vous, vous avez fini par l’apprécier. Ce principe vaut également dans des domaines plus importants. Peut-être que vous n’aviez jamais vraiment envisagé d’accueillir chez vous un enfant placé par les services sociaux avant de rencontrer votre fiancé, qui lui se trouve être profondément passionné par la cause des enfants placés et des orphelins. Et maintenant, en raison de votre attachement à votre fiancé, vous explorez les pistes qui vous permettront d’être des acteurs du système de placement familial une fois mariés. Nos valeurs sont façonnées par les personnes (et les choses) auprès desquelles nous passons le plus de temps.
Le principe de base de l’internet social est d’offrir une plateforme virtuelle pour tisser des liens sociaux avec d’autres personnes. Nous le comprenons bien mais négligeons le lien que nous entretenons avec les plateformes elles-mêmes. En moyenne, les utilisateurs des
réseaux sociaux y passent deux heures et demie par jour : c’est plus de temps qu’il n’en faut pour que nos propres valeurs soient façonnées par celles que véhiculent ces réseaux.
Et voici les trois fondements sur lesquels reposent les valeurs portées par l’internet social : le divertissement, l’attention et l’identité. Ces trois valeurs sont bien sûr liées. C’est aux choses les plus divertissantes que nous accordons le plus d’attention, et plus nous accordons d’attention à une chose, plus elle prend d’importance dans notre identité. Ce qui attire le plus l’attention est considéré comme ayant davantage de valeur que ce qui attire moins l’attention – nous le constatons facilement dans la manière dont les vidéos dites « virales » sont mises en avant dans les programmes d’information du matin ou les talk-shows de l’après-midi. Je pense qu’il est juste de dire que l’attention est la première monnaie des réseaux sociaux. Nous postons des contenus dans l’espoir de susciter suffisamment d’attention pour renforcer notre estime personnelle, alors qu’il n’y a que la reconnaissance de l’image de Dieu en nous qui soit vraiment en mesure de nous communiquer cette estime personnelle. Nous accordons de l’attention à des contenus que nous trouvons divertissants. Alors, si c’est en attirant l’attention que l’on peut devenir « riche » sur les réseaux sociaux, la question logique qui se pose ensuite est : « Comment faire pour attirer le plus d’attention possible ? »
Quel est le moyen le plus fiable de gagner l’attention des autres et donc une estime personnelle plus positive ? Par le divertissement – postez des contenus drôles, battez-vous avec des gens ou faites n’importe quoi d’autre, pourvu que cela vous permette d’attirer l’attention de cette foule auprès de laquelle vous espérez bien pouvoir briller.
Telles sont les valeurs de l’internet social qui dictent la tendance que nous observons sur les réseaux sociaux. Lorsque nous passons deux heures et demie par jour à nous abreuver d’une technologie de communication qui accorde beaucoup plus de valeur au divertissement et à l’attention qu’à l’intégrité, à l’humilité, à la patience
ou à la bonté, nos valeurs commencent à refléter les valeurs de cette technologie. Nous allons commencer à penser que les choses divertissantes, ou virales, ou populaires sont intrinsèquement bien plus précieuses que ce qui est doux, humble et inconnu.
Les réseaux sociaux modifient notre sens des valeurs et changent la manière dont nous considérons le monde qui nous entoure. Mais les réseaux sociaux n’ont pas seulement une forte influence sur nos cerveaux. Ils façonnent également nos cœurs.
LES RÉSEAUX SOCIAUX AFFECTENT NOS ÉMOTIONS
Nous avons un peu de recul aujourd’hui sur l’utilisation des réseaux sociaux et nous disposons d’études qui ont été menées sur leurs effets sur la santé mentale, et le pronostic n’est pas bon. Certes, il est difficile de démontrer toute la relation de cause à effet entre l’utilisation des réseaux sociaux et les répercussions négatives sur la santé mentale, parce que la santé mentale dépend de nombreuses variables qui entrent en jeu et qui peuvent l’affecter. Je ne vous noierai pas sous les statistiques. Mais retenez ceci : il y a une corrélation entre une mauvaise santé mentale et le temps passé sur les réseaux sociaux. Ce qu’il faut comprendre, c’est que plus on passe de temps sur les réseaux sociaux, plus on risque d’abîmer notre santé mentale. En fait, les personnes qui utilisent souvent les réseaux sociaux présentent davantage de symptômes de pathologies psychiques1. Mais les inquiétudes sont encore plus nombreuses quant aux émotions que les réseaux sociaux suscitent, et ce bien au-delà des dangers évidents pour la santé mentale.
Lorsque nous interagissons avec les autres à travers les réseaux sociaux, cela change ce que nous éprouvons au sujet des autres. Interagir avec des personnes sur internet nous rend souvent hostiles
1. Fazida Karim et al., “Social Media Use and Its Connection to Mental Health : A Systematic Review”, Cureus, June 15, 2020, www.cureus.com/articles/31508social-media-use-and-its-connection-to-mental-helath-a-systematic-review (lien consulté le 16/05/2024).
envers les personnes que nous ne connaissons pas. La socialisation qui passe par internet est tellement déconnectée des aspects importants de notre personnalité (tels que le langage corporel ou le ton de la voix) qu’il devient extrêmement facile de déshumaniser les personnes avec lesquelles nous communiquons. Nous avons tous déjà traité les autres ou été traités par les autres comme si nous n’étions pas créés à l’image de Dieu et comme si nous n’étions pas des êtres de grande valeur intrinsèque et dotés d’une âme. Ou nous avons vu les autres traiter certaines personnes de cette façon.
La relation que nous entretenons avec l’internet social peut également nous donner l’impression que nous ne sommes jamais à la hauteur, jamais assez beaux ou pas du tout intéressants. Cela nous ramène aux valeurs essentielles d’internet que nous avons déjà mentionnées et qui sont le divertissement, l’attention et l’identité. Les personnes les plus célèbres, les plus belles et les plus intéressantes sont celles que l’on trouve le plus divertissantes sur internet, et auxquelles on accorde, par conséquent, le plus d’attention. Cela fait naître des sentiments de découragement et de mécontentement dans nos propres cœurs lorsque nous ne bénéficions pas, nous aussi, de l’attention que nous avons l’impression de mériter. Cela peut attiser le feu de la colère en nous et nous pousser à vivre sur la défensive. Cela peut aussi susciter en nous le sentiment que nous ne sommes pas dignes d’être aimés, ou même que nous ne méritons pas de vivre. C’est un phénomène qui s’observe encore plus chez des adolescentes, pour qui ces sentiments sont particulièrement intenses1.
Les réseaux sociaux nous font embrasser leurs valeurs et déforment nos cœurs, en y semant le découragement ou même la destruction, mais malheureusement ce n’est pas tout. Leur influence pénétrante s’infiltre profondément dans nos cœurs et nos âmes.
1. Voir Jonathan Haidt, “The Dangerous Experiment on Teen Girls”, Atlantic, November 21st, 2021, www.theatlantic.com/ideas/archive/2021/11/facebooksdangerous-experiment-teen-girls/620767 (lien consulté le 15/05/2024).
LES RÉSEAUX SOCIAUX ALTÈRENT NOS CONVICTIONS
Un jeune homme atteignant la majorité à Des Moines, dans l’Iowa, en 1951, aurait eu la même vision générale du monde que ses voisins. Comme il aurait eu peu de chances de rencontrer des gens en-dehors de sa ville natale, il aurait très certainement vu le monde à travers la même fenêtre idéologique que son coiffeur, ses parents et le prêtre du quartier. Ses seules sources d’exposition au monde extérieur auraient été les journaux ou les émissions radios diffusées depuis le vaste monde, ou peut-être les récits d’un héros de guerre local ou d’un homme d’affaires de passage dans la ville. Avant d’entrer à l’université, si du moins il entrait à l’université, la force d’influence qui aurait le plus façonné sa pensée aurait été son entourage : sa famille, ses amis et, plus largement, les membres de sa communauté.
Un jeune homme atteignant la majorité à Des Moines, dans l’Iowa, en 2021, a de fortes chances d’avoir passé plus de temps à s’entretenir avec des personnes des quatre coins du monde via les réseaux sociaux qu’à discuter avec son coiffeur, le prêtre du quartier ou même ses parents. Il est très improbable que sa vision du monde soit marquée par sa ville natale de la même façon que la vision du monde de son grand-père a pu être marquée par sa communauté soixante ans plus tôt, dans le même contexte.
Le vaste monde, devenu accessible à tous par le biais de l’internet social, nous a exposés à une variété de visions du monde, et à une diversité d’idées sur la manière dont le monde devrait fonctionner. L’exposition à de nombreuses autres expériences de vie et idées était jadis réservée à ceux qui faisaient des études universitaires, ou aux grands voyageurs. Mais aujourd’hui, une telle exposition est mise entre les mains des enfants et dissimulée dans les poches des adolescents. Si vous vous demandez pourquoi l’Occident se laïcise, vous feriez bien de considérer cette nouvelle réalité comme un facteur majeur de ce phénomène1.
1. Voir Daniel Silliman, “Decline of Christianity Shox No Signs of Stopping”,
J’ai tendance à croire que l’exposition à une diversité de visions du monde dès le plus jeune âge est un aspect positif de l’expérience numérique. À bien des égards, il est préférable qu’un jeune de seize ans remette en question les principes de foi que ses parents lui ont inculqués depuis son enfance et affine sa compréhension de ses croyances dans le confort de sa propre maison, plutôt que d’être pris en embuscade en milieu hostile lors de ses cours de philosophie de première année, sur un campus situé à des centaines de kilomètres de chez lui.
Mais, hormis ces points positifs, les réseaux sociaux altèrent nos convictions, non seulement en venant défier les vérités que nous chérissions, mais aussi par une tromperie, distillée lentement et silencieusement, et visant à nous faire croire que ce que nous trouvions jadis dans la solidité de notre foi – à savoir le sens de notre vie et la clef de notre épanouissement – pouvait désormais se trouver dans les expériences promises par les montagnes de fantaisies que nous trouvons sur internet.
Tout comme le partage d’une langue commune a pu tromper autrefois les habitants de la Terre en les poussant à croire que la construction d’une tour démontrerait leur auto-suffisance et leur puissance face à un Dieu qu’ils méprisaient, nous sommes trompés par la conviction que nous pouvons utiliser les réseaux sociaux pour façonner ce monde comme Dieu seul peut le faire. En prenant part à ce qui se passe sur internet, nous avons le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand que nous-mêmes, et cela vient remplacer l’un des aspects les plus attrayants de la participation à l’église locale et aux mouvements religieux de manière plus large. Mais la triste réalité, c’est que la promesse que fait internet de pouvoir façonner le monde est plus tape-à-l’œil que transformatrice.
Christianity Today, September 13, 2022, www.christianitytoday.com/ news/2022/september/christian-decline-inexorable-nones-rise-pew-study.html (lien consulté le 16/05/2024).
Mais ce n’est pas tout. Non seulement l’internet social nous trompe en nous donnant l’impression de faire partie d’un mouvement qui va faire trembler la Terre, mais il nous trompe également en nous faisant croire que nous pouvons vivre une intimité sociale en interagissant avec des personnes en ligne. L’intimité n’est pas tant une question de romance qu’un lien de proximité ressentie entre deux personnes. Nous aspirons à l’intimité parce que nous avons été créés à l’image de Dieu et qu’il incarne l’intimité dans sa nature trinitaire. Pour un certain nombre de raisons que nous aborderons plus tard, nous recherchons l’intimité à travers les réseaux sociaux. Et ce que nous trouvons, consciemment ou non, c’est que les réseaux sociaux ne sont pas faits pour l’intimité – ils sont faits pour être éphémères, et les choses éphémères sont ennemies de l’intimité. Les réseaux sociaux handicapent les efforts réalisés pour parvenir à l’intimité, parce que les réseaux sociaux découragent la vulnérabilité et la profondeur. Si Dieu nous accorde sa miséricorde, nous finirons par réaliser qu’une accumulation de « connexions » ne pourra jamais combler le vide que seule l’intimité peut combler. Et tout cela affecte très profondément ce que nous croyons et notre manière de croire.
Mais qu’allons-nous faire face à cette Tour de Babel moderne qui, de bien des façons, modèle ceux que nous aimons et servons, et nous-même ?
UN LEADERSHIP FIDÈLE DANS UN MONDE FRACTURÉ
Je ne vous connais pas. Je ne sais pas si vous êtes un pasteur, un responsable laïc dans une église locale, un parent, ou rien de tout cela. Je ne sais pas si vous aimez les réseaux sociaux ou si vous les détestez. Je ne sais pas si vous avez supprimé les applications de réseaux sociaux de votre téléphone il y a des années ou si vous passez deux fois plus de temps sur ces plateformes que ne le font les autres internautes.
Mais je n’ai pas besoin de vous connaître pour savoir ceci : vous et moi ne sortons pas du lot, et, comme tout le monde, nous sommes concernés par le contenu de ce livre. Nous sommes tout aussi susceptibles de développer une relation malsaine avec les réseaux sociaux que les personnes dont nous sommes responsables. Mais ce livre n’a pas été écrit pour traiter de la manière dont les réseaux sociaux nous ont tous conquis (d’ailleurs, j’ai écrit un autre livre sur le sujet1). Ce livre est écrit pour les chrétiens qui ont une certaine part d’autorité à exercer, des chrétiens qui sont chargés de prendre soin d’autres personnes et qui ont une capacité d’action pour améliorer les choses dans leur communauté locale, leur église ou leur foyer. Et nous allons tenter de répondre à la question suivante : « Sachant que les réseaux sociaux influencent davantage les personnes que je dirige que je ne les influence moi-même, que puisje faire ? » Gardez simplement à l’esprit que, même si cette question donne l’impression de pointer du doigt les personnes dont nous sommes responsables puisque nous mentionnons la façon dont elles sont influencées et façonnées par les réseaux sociaux, vous et moi sommes tout aussi susceptibles de tomber dans les mêmes pièges.
Les liens que nous entretenons avec les réseaux sociaux nous affectent profondément, et nous éloignent souvent de la ressemblance à Dieu, au lieu de nous rapprocher de celle-ci. J’ai entendu des histoires déchirantes dans la bouche de pasteurs, de parents et d’autres leaders chrétiens. Des pasteurs voient les membres de leur église devenir différents, voire méconnaissables. Des parents pleurent de voir leurs enfants glisser vers l’addiction et la détresse. Ils pleurent en voyant le temps passé avec leurs enfants fondre comme neige au soleil. En tant que chrétiens en position d’autorité, nous devons donner l’exemple. Rien dans ce livre ne pourra nous aider à libérer les cœurs et les pensées de nos bien-aimés liés par les réseaux sociaux si nous ne cherchons pas à être libérés nousmêmes. Nous devons les conduire par notre exemple.
1. NDLT : Il s’agit du livre de Chris Martin intitulé Terms of Service, the Real Cost of Social Media (B&H Books, 2022), non paru en français à ce jour.
Amener les autres à suivre Christ n’a jamais été un appel facile : de nombreux récits dans l’Histoire de l’Église et dans les Écritures en parlent. Contrairement à ce que nous lisons dans la Genèse sur l’intervention divine au milieu de la construction de la Tour de Babel, Dieu n’a pas interrompu la coopération corrompue que nous observons sur les réseaux sociaux. Les pasteurs, les parents et les leaders chrétiens d’aujourd’hui cherchent comment encourager les personnes qu’ils servent à déposer leurs marteaux et leurs burins et à abandonner le sanctuaire d’égoïsme dont elles sont si fières. Dieu est fidèle. 2 Pierre 1.3 déclare que Dieu nous a donné tout ce qui contribue à la vie et à la piété. Avec beaucoup de prières et une coopération centrée sur Christ, nous pouvons repousser les ténèbres de notre Tour de Babel moderne.
13 dangers qui nous guettent sur les réseaux
sociaux
L’époque sans l’influence du smartphone n’est plus qu’un souvenir un peu lointain. L’utilisateur moyen des médias sociaux y consacre environ deux heures et demie par jour. C’est plus qu’assez de temps pour façonner les valeurs et les désirs de ceux que nous aimons. Nous constatons une montée de l’anxiété, de la solitude, de l’égocentrisme. Que pouvons-nous faire ?
Dans une perspective biblique, Chris Martin, spécialiste d’Internet, examine les nombreuses façons dont les médias sociaux nous changent. Il expose les façons dont l’abus de ces usages d’Internet déforment notre vie chrétienne et montre comment y répondre avec intégrité. Martin enseigne comment prendre soin des personnes qui sont obsédées par les followers, le nombre de vues et les likes, comment leur venir en aide et réorienter leurs cœurs.
Il n’a jamais été facile de guider les gens, mais, avec ses avantages, l’Internet social a apporté de nouveaux défis. L’auteur nous propose ici une voie de sagesse pour une contre influence salutaire fondée sur l’espérance chrétienne.
Chris Martin est rédacteur en chef du marketing de contenu chez Moody Publishers et consultant en médias sociaux, marketing et communication. Il écrit régulièrement dans sa lettre d’information, Terms of Service, et vient de publier un livre du même nom chez B&H Publishing. Ce livre est le premier édité en français. Chris vit dans le Tennessee avec sa femme et leur fille.
Vie chrétienne
ISBN : 978-2-7222-0466-9