Clément Molinier
Rapport d’études sous la direction de Sophie Paviol
De la compréhension du contexte au projet d’architecture .
ENSAG 2017 - 2018
Couverture : Musée de Hamar par Sverre Fehn - Construit en lien fort avec son contexte culturel et historique Photo personnelle
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Avant - propos Issus de milieux paysans, mes parents ont toujours été attachés aux traditions, à l’histoire de leur campagne, aux savoirs-faire locaux mais aussi aux architectures qui les entourent aussi simples et communes soient-elle. Cela s’est ressenti tout au long de mon éducation, notamment concernant l’importance de l’héritage laissé d’une génération à l’autre, l’échange d’une mémoire collective héritée de plusieurs dizaines ou centaines d’années. Dans les villages Alpins de ma région, chaque vallée développe son architecture et l’organisation de ses villages dans l’unique de répondre à une question fondamentale, peut-être celle qui a donné naissance à l’Architecture : Comment s’abriter face aux éléments et s’adapter à l’environnement qui nous entoure? Plus j’avance dans mes études d’architecture et plus je suis amené à me poser des questions sur les raisons profondes qui ont amenées à tel ou tel choix dans la conception d’un bâtiment, comment cette réponse prend forme dans la construction et quelle est la place de ces questionnements dans l’architecture d’aujourd’hui et de demain.
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Sommaire
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Intro duction
06 - 07
L a Compr éhen s i on
08 - 13
a. État des lieux b. Apprendre c. Comprendre
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L’A ppropr iation
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a. Nourrir b. Genius Loci
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Pen s er et c on s tr uir e l e pro j et
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p ar et p our l e Conte x te a. Réciprocité b. Le Local c. Adaptabilité
Conclu s i on et O uv ertur e
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Bibliogr aphie
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Introduction Le mot Patrimoine est un terme extrêmement vaste regroupant nombre d’éléments tant physiques que immatériels, il me semble donc bon de commencer par en donner ma propre définition dans ma vision de l’Architecture de façon à pouvoir l’employer sans confusion. Le Patrimoine est un héritage laissé par les Hommes ou la Nature au fil du temps, de générations en générations, il se divise en plusieurs catégories, d’abord le Patrimoine Historique dans lequel on retrouve les biens de valeur historique comme les châteaux, les églises, d’anciennes usines qui ont contribué à un moment à l’histoire d’un lieu ou d’une région et dont il reste aujourd’hui des ruines, des vestiges ou qui ont été reconvertis ou restaurés. À l’opposé on retrouve le Patrimoine Ordinaire qui rassemble les habitations plus communes ou moins marquantes historiquement mais qui est autant si ce n’est plus intéressant que ce dernier. Il y a ensuite le Patrimoine Naturel, comprenant les ressources agricoles, le climat, la faune et la flore, les risques naturels, la géologie d’un territoire donné. Et enfin le Patrimoine immatériel où l’on trouve les savoirs-faire d’une population (que ce soit en matière de construction, d’art, de culture ou d’artisanat en règle générale), les traditions, l’expression artistique et les pratiques sociales. Cet ensemble définit pour moi le Patrimoine qui est une notion importante lors de la genèse d’un projet d’Architecture. Je pense que l’intervention sur un territoire donné ne doit pas se faire au dépend de son patrimoine mais plutôt en le respectant et même plus que ça en s’en nourrissant et en se l’appropriant. Plutôt que de raser ou de détruire pour reconstruire, je pense que l’on a tout intérêt à se servir de ce qui est déjà présent pour s’en servir comme témoin et souvenir du temps qui passe. Chaque
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élément, finement analysé et compris, doit permettre à la fois de conserver les qualités déjà présentes et ensuite de créer un projet cohérent avec le site dans lequel il s’implante et d’apporter des éléments de réflexions et de développement sur le projet. Ce que je souhaite montrer c’est que tout ce qui est présent sur le site, même et surtout la contrainte, lui permet de se développer. Montrer que tout est déjà là devant nos yeux pour faire du projet et que le métier de l’architecte n’est que de mettre tout cela en ordre pour créer de l’architecture. Ainsi j’aborderai ce Rapport d’étude sur la manière de mener la réflexion d’un projet qui soit juste à mes yeux. Cette réflexion sera menée par la manière de concevoir le projet en lien avec le contexte dans lequel il s’implante et comment il crée ainsi du sens. Tout d’abord par la compréhension du site, des éléments qui le composent, de son histoire et de ses habitants, par l’appropriation de ces éléments de manière à les ré-insuffler dans le projet et enfin concevoir le projet en lien fort et au service des habitants.
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La Compréhension a. État des lieux La première étape de réflexion consiste à dresser un état des lieux du site sur lequel on travaille, notamment de tous les éléments liés au patrimoine du site. Tout d’abord les monuments, et ce qu’ils soient de nature historique ou de bien commun. Même la plus simple des cabanes peut avoir beaucoup à raconter. Par le relevé de sa façade, on comprend comment elle a été construite, les différentes époques qu’elle a pu traverser. La marque du temps souvent présenté par l’oxydation, le changement de couleur peut donner des indices sur l’influence qu’a le climat sur les matériaux. Par son positionnement sur le territoire on comprend sa fonction, pourquoi a-t-elle été placée là. Nous traversons peut-être une époque ou certains choix ou décisions sont plus futiles ou liés à des notions de confort ou de bien-être mais dans des époques plus reculées, la pensée était souvent beaucoup plus pragmatique. Le choix d’implantation dérivant bien souvent de nécessités pratiques, liées à la survie plus qu’au confort. On peut contempler la beauté et les magnifiques cadrages proposés par un chalet typique en Suisse mais il ne faut pas oublier que la notion de cadrage du paysage ou simplement avoir une vue agréable est une pensée liée au mouvement moderniste et donc héritée du 20e Siècle. L’orientation, les percements sont plus liés à la course du soleil ou au sens du vent qu’au paysage. L’analyse de tous ces éléments sur un habitat commun permet une vraie compréhension du contexte. On peut aussi s’intéresser aux modes et cultures constructives locales comme par exemple une technique d’assemblage bois. Cette étude peut permettre de déterminer quelles sont les ressources locales et dans quelles mesures on peut les exploiter. En témoigne
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la culture constructive du pisé dans le Nord-Isère où la terre est une ressource facilement exploitable et de bonne qualité et donc largement mise en œuvre dans l’habitat commun. On comprend alors quel matériau, quel emplacement est le plus pertinent et on apporte de la matière à travailler le projet. Il est donc fait ici une analyse plutôt physique et matérielle du contexte à un moment donné. Cette étude n’est pas juste l’acte de dresser une liste non exhaustive d’éléments, elle est surtout une étape en vue du processus de genèse du projet et doit donc être traitée comme telle en ayant conscience de ce qu’il est nécessaire de recueillir ou pas. Cela peut être fait en amont par de l’étude cartographique, des sources bibliographiques ou des données Géoportail mais doit être complété sur site par du relevé de façade, du dessin de paysage… Mais surtout mettre en corrélation les éléments préalablement mis en évidence à la réalité du terrain souvent très différente. Par exemple, en vue d’une visite de site et d’une présentation devant des élus avec le studio Gilles Marty,1 nous avions réalisé une analyse des ressources agricoles exploitables pour notre projet en dressant une carte des différentes essences. Cependant en nous rendant sur site et en discutant avec les habitants nous nous sommes rendus compte que premièrement nous avions sur ou sousestimé la présence de certaines ressources comme celles liées au ressources agricoles, mais surtout que la plupart était des cultures de contrats appartenant à Monsanto. Les ressources n’étaient donc plus utilisables dans le projet qui nécessitait du bio. Un vrai revers de manche lorsque l’ensemble du projet repose sur des informations erronées ; d’où l’importance de se confronter directement à la réalité.
[ S6AA ] Studio de projet S6 - Synthèse architecturale, urbaine et paysagère Gilles Marty 1
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b. Apprendre La seconde étape serait pour moi d’en apprendre plus sur l’histoire, la topographie, la géographie des lieux. Se créer une base de données qui peut servir à plus tard nourrir le projet. Ces éléments peuvent par exemple influer sur le choix d’implantation d’un projet ou du moins de sa pertinence et de son rapport au paysage. Prenons pour preuve le modèle des villages perchés de Provence. Ces nombreux villages situés dans le Sud-est de la France ont tous pour caractéristique d’être construits en hauteur sur des éperons rocheux. Cette implantation correspond à plusieurs problématiques en vigueur lors de l’édification du village. Tout d’abord avoir une vue dégagée sur le territoire environnant, ce pour prévenir des attaques ou des invasions, mais aussi pour sauvegarder le plus de terrain possible pour le destiner à l’agriculture, les éperons n’étant pas cultivables. Si avoir une vue dégagée pour prévenir des attaques n’est plus vraiment d’actualité, on peut se réapproprier cette problématique pour proposer un projet cadrant sur un beau paysage, un point d’accroche, une montagne ou je ne sais quoi d’autre. Un outil important dans cette étape est l’analyse du parcellaire pour comprendre l’organisation passée de l’urbanisme. J’ai pu largement développer cet outil lors de l’optionnel de Gabriella Trotta2 par l’analyse du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. L’analyse du parcellaire nous a permis non seulement de comprendre les différentes étapes de peuplements des cités minières et leur ampleur mais aussi de relier les typologies d’habitat à certaines notions en fonction de l’époque. On pouvait ainsi facilement identifier dans un premier temps les Corons, qui répondent à une logique de densité et d’économie de place et de moyen et les cités-jardins qui incluent quant à elles une notion de confort et d’hygiène par le jumelage de deux maisons et l’ajout de jardin d’agrément. Ici, l’analyse se couplait à de l’analyse de façade pour mettre en relation le parcellaire et l’apparence des constructions qui informe sur la richesse des compagnies minières ou sur la qualité de l’habitat par exemple.
[ S5SS ] Sciences humaines & sociales 5 - Les théories de l’urbanisme face aux enjeux de la ville contemporaine Gabriella Trotta 2
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Analyse parcellaire et de façade de Douai Document personnel
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c. Comprendre Si l’architecture paraît à première vue liée à l’esthétique, le contexte ne peut pas se résumer seulement à des notions purement physiques ou visuelles ou liée au rapport direct qu’elle entretient avec l’environnement qui l’entoure, à des matérialités etc… Plus que ça, c’est en fait un ensemble de relations que le projet d’architecture tisse, que ce soit par des enjeux sociaux, économiques ou politiques. Cette troisième étape est en fait une sorte de diagnostic. C’està-dire une mise en évidence de tous les fonctionnements du territoire, ces mécaniques mais aussi ses dysfonctionnements. Cela passe par l’observation, la compréhension des us et coutumes, les interactions sociales, la manière de vivre, les allées et venues des habitants, le rythme de vie et se projeter sur l’impact que notre architecture va avoir dessus, en prendre conscience. Le projet ne doit pas (ou parfois doit?) venir chambouler leurs habitudes de vie, s’il le fait, le projet doit le faire en toute conscience. Le diagnostic de tous ces éléments va permettre de savoir quelle solution appliquer à un problème donné lors de la phase de projet. L’impact social d’une nouvelle architecture impacte nécessairement le social et la manière de vivre. Il est selon moi nécessaire de proposer des solutions qui produisent une concomitance entre tous les éléments précédemment cités, car si l’un de ces enjeux est omis on se retrouve alors face à un projet qui manque de cohérence et qui est inadapté à son contexte par des lacunes économiques par exemple. Le contexte est ce qui conditionne l’architecture et doit pouvoir se lire dans cette dernière. Cette notion a pu être mise en avant dans les cours de JeanChristophe Grosso3. Notamment par l’analyse de l’architecte Glenn Murcutt pour sa Marika-Alderton House en Australie. La maison est construite pour l’artiste Banduk Marika, une aborigène, la population autochtone Australienne. La réalisation de cette maison devait se faire de façon à ne pas utiliser de technologies ou systèmes d’autre culture qu’aborigène, comme par exemple la climatisation mécanisée. En plus de cela, la maison doit répondre d’une forte résistance à son contexte rude comme
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[ S2C1 ] Matériaux & mise en oeuvre 2 - Bois
les hautes températures, les passages d’ouragans ou encore la venue de sympathiques animaux toxiques dans la maison. Pour répondre de façon juste à ces problématiques, l’architecte a passé trois années à faire des recherches sur la culture, les modes constructifs et l’histoire des aborigènes. Il ira même jusqu’à vivre avec la famille pour comprendre l’organisation de leur vie et la retranscrire au mieux dans son architecture.
Marika-Alderton House, photo et schémas https://fr.wikiarquitectura.com/b%C3%A2timent/maison-marika-alderton/ https://www.atlasofplaces.com/architecture/marika-alderton-house/
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L’Appropriation a. Nourrir L’architecture est à la fois une science et un art qui est caractérisé par le fait qu’au cours de l’histoire il n’y a jamais eu de création Ex Nihilo4, elle s’inscrit toujours à partir de ce qui a existé auparavant, que ce soit une autre architecture, une culture, un site donnée. Elle est une formidable machine à s’adapter et à produire du contexte. À partir de tous les éléments précédemment appris et compris il faut alors faire naître le projet, il est je pense important de comprendre tous ces éléments de façon à avoir une base solide pour le développement du projet en cohérence avec son site. Il faut voir cela d’abord comme un tremplin pour le projet puisqu’il se retrouve nourri de toutes ces informations et notamment des contraintes. En effet les contraintes qu’elles soient climatiques, topographiques ou liées à des risques naturels comme les avalanches ou les tremblements de terre permettent dès les prémices du projet de mettre en œuvre des principes ou systèmes techniques qui permettent de pallier à ces contraintes, on évite ainsi le syndrome de la page blanche. Des problèmes très simples peuvent aboutir à des solutions très créatives selon le contexte. Tadao Ando déclarait à ce sujet que : « L’architecture a pour le contexte la même attirance qu’un être vivant pour les éléments nutritifs qu’il tire de sa nourriture. De même que les éléments nutritifs forment le corps en se transformant, le contexte devient un élément de la composition architecturale. »5 décrivant ainsi le contexte comme un élément vital et inaliénable de l’architecture, on peut même aller jusqu’à dire qu’un cycle se met en place entre architecture et contexte ou l’un nourrit l’autre et inversement. Lors d’un cours avec Nicolas Remy6 nous avons analysé un bâtiment qui représente assez bien cette transformation de la contrainte en architecture savante.
À partir de rien Tadao Ando, dans la qualité de la ville, urbanité française, urbanité nippone, Tokyo, Maison Franco-Japonaise, 1987. 6 [ S4EA ] Maitrise des ambiances 4 - Énergie, thermique et bioclimatisme 4 5
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Le rectorat de la Martinique, conçu en 1993 par Christian Hauvette répond à une problématique propre à cette île : un climat humide, avec des températures très élevées. La deuxième contrainte étant que le projet de 6 000 m2 devait être entièrement climatisé naturellement. Le projet est situé sur le haut d’une colline, pleinement exposé au vent local : l’Alizé qui souffle toute l’année dans une même direction. Le projet exploite pleinement ce vent par sa mise en forme et des systèmes développés pour l’occasion : de grands volets, persiennes et jalousies réglables manuellement dans chaque bureau. Enfin, cinq patios intérieurs permettent de mettre en relation tout le bâtiment et de créer des appels d’air et des courants d’air qui parcourent tout le bâtiment, couloirs compris.
Rectorat de Martinique https://www.betaseries.com/episode/architectures/s02e09 https://imagesdelaculture.cnc.fr/-/boite-a-vent-la-le-rectorat-de-lamartinique
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a. Genius Loci Insuffler son propre ressenti du site, apporter une dimension poétique et sensible propre mais qui reste lié à des sensations, des intuitions que l’on peut ressentir en visitant le site d’intervention par exemple. Chaque site a une dimension poétique propre qui touche plus à l’intangible et à l’immatériel, mais qui le caractérise et le rend unique, il convient donc de le faire ressentir dans l’architecture. Ce ressenti que l’on peut qualifier “d’esprit du lieu” a été défini en 1981 par Christian Norberg-Schulz, un architecte-historien norvégien sous la locution latine “Genius Loci”7. Dans la mythologie Romaine antique, le Genius loci définissait l’esprit protecteur d’un lieu, une sorte de génie qui protégeait chaque lieu en ce monde, chaque montagne, place, fontaine etc… Avec le temps la définition a quelque peu changé et correspond selon Norberg-Schulz au caractère d’un lieu donné. Tout ce qu’il peut dégager de façon positive ou négative, les émotions qu’il procure, sa familiarité, tout cela constitue le Genius Loci. Mais plus que lié à des notions abstraites, il fait aussi cohabiter les individus, les bâtiments, l’histoire si on la connaît, en fait le Genius Loci est ce que l’on ressent d’un lieu à partir de l’ensemble absolu de tout ce qui le constitue. Selon Norberg-Schulz, il est caractérisé par plusieurs catégories telles que l’environnement, la cosmographie (description astronomique de l’univers), le paysage ou encore l’édifice. Selon lui : « Le lieu fait entièrement partie de l’existence. Mais alors, qu’entendons-nous par « lieu»? Certainement quelque chose de plus qu’une abstraite localisation »… « En général, le lieu est défini par son caractère ou par son « atmosphère ». Le lieu est donc un phénomène « total » qualitatif, qui ne peut être réduit à aucune de ses propres caractéristiques, comme par exemple celle de relation spatiale, sans perdre de vue sa nature concrète »8 De même dans un article Ray Green9 démontre que certains éléments du paysage qui sont définis comme incompatibles avec son environnement sont liés avec des stimulis négatifs, tandis que d’autres comme des bâtiments historiques, l’océan, un village donnent une image positive. Il identifie le développement péri-urbain des centres commerciaux comme
Génie du lieu Christian Norberg-Schulz Genius loci, paysage, ambiance, architecture p.6. 9 Journal of Environmental Psychology Volume 19, Issue 4, December 1999, Pages 311-329 7 8
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exogènes et incompatibles avec l’esprit du lieu, d’où la nécessité de comprendre l’esprit du lieu afin de le respecter. Ainsi, on peut rapprocher le Genius Loci de Norberg-Schulz de la critique du régionalisme faite par Kenneth Frampton, étudié en deuxième année de Licence avec Céline Bonicco10. Le mouvement postmoderniste, à l’inverse du modernisme, prend bien plus en compte le contexte. Kenneth prend l’exemple de la villa Savoye qui est posée sur des pilotis alors que rien ne laisse en paraître la raison, la villa est “juste” posée. Pour le post modernisme l’architecture ne doit pas être posée mais faire partie du site, elle devient propre à ce dernier sans pouvoir être transposée ailleurs et exprime l’identité, l’esprit du lieu. Frampton veut aller à l’encontre d’une architecture standardisée qui oublie le sens du lieu. Un exemple marquant de cette prise en compte du Genius Loci est la Villa Mairea en Finlande, construite par Alvar Aalto.
Plan Masse - Dessin original d’Alvar Aalto Scan
[ S3SS1 ] Sciences humaines & sociales 2 - Habiter ou réaliser son être au monde 10
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Construite dans une clairière, elle intègre le matériau bois à la construction, notamment par les poteaux et les garde-corps des escaliers qui recréent une forêt intérieure, cela crée du lien avec l’environnement. La relation dedans/dehors est très travaillée, les larges baies vitrées et des espaces de transitions brouillent la frontière avec l’extérieur, on se retrouve dans une relation avec l’environnement très ambiguë.
Escalier intérieur évoquant la forêt https://www.visitfinland.com/article/finnish-modernisms-10-must-sees-2/ header_villa_mairea_interior_design_aalto/ https://www.subtilitas.site/post/29637333715/alvar-aalto-villa-mairea-stairdetails
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La villa Mairea se fondant dans son environnement http://detallelogia.blogspot.com/2014/10/13-casas-iconicas-del-sxx-version. html
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Penser et construire le projet par et pour le contexte a. Réciprocité Si le projet doit pouvoir s’inclure intelligemment dans son contexte, il doit aussi y participer. Je pense que lors de la phase de projet il faut se questionner sur qu’est-ce que le projet va apporter à la ville, au territoire, aux habitants? Il ne doit pas être pensé seulement pour lui-même mais pour interagir avec le site dans lequel il s’implante. Si le contexte donne naissance au projet d’architecture, le nourri, l’inverse est aussi vrai. L’architecture va changer et enrichir le contexte, il y a une relation de réciprocité entre ces deux éléments qui doivent se répondre et concorder au mieux. Comme vu dans la première partie, il faut avoir conscience de l’impact que va avoir notre architecture sur le territoire par le changement d’habitudes ou de routines. Un moyen intéressant de concevoir l’architecture dans cette logique est de la penser avec les habitants en les rendant acteurs de leur propre projet. Ce sont souvent les mieux placés pour connaître les enjeux d’un projet ou les besoins qu’ils ont, leur savoir sur un territoire représente une quantité de données qu’un architecte ne pourra jamais acquérir dans un temps raisonnable. Il serait donc dommage de ne pas s’aider des habitants pour concevoir un projet leur étant destiné. Cette manière de fonctionner m’a été mise en évidence lors de deux workshops réalisés dans la Drôme dans le cadre du studio de projet Gilles Marty11. Le projet consiste à proposer un ensemble de créations architecturales sur le territoire de trois villages pour redynamiser le territoire touristiquement. Le développement du projet s’est fait en collaboration avec un comité de pilotage composé d’élus et d’habitants lambda. Tout au long de la phase de développement s’instaurer un dialogue pour comprendre de quoi avait besoin les habitants puis en avançant dans le projet, sous quelle forme. Ainsi les habitants deviennent acteurs de leur territoire.
[ S6AA ] Studio de projet S6 - Synthèse architecturale, urbaine et paysagère Gilles Marty 11
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Échange avec un habitant de Savasse Photo personnelle
J’ai aussi pu retrouver cette manière de fonctionner avec Sébastien Fabiani12 lors d’un optionnel qui consiste à rénover une maison appelée “Le Tremplin” qui est aussi une association qui a pour but d’héberger dans cette maison des jeunes de moins de 25 ans avec des chiens et qui n’ont pas de logement. Le mode opératoire a été de les rencontrer, de comprendre comment ils vivaient, leurs habitudes. Nous les avons laissés nous faire visiter la maison et énumérer tous les problèmes aussi futiles soient-ils, ainsi que tout ce qui pourrait être fait pour améliorer leur vie. C’est à partir de cette rencontre que nous avons développé des projets de potager, atelier de fabrication et chenil participatif. Ce mode opératoire peut être retrouvé chez Patrick Bouchain avec son laboratoire de réflexion sur le logement social, “Construire ensemble – le Grand Ensemble” ou Sophie Ricard, alors en HMONP s’installa dans un quartier de Boulogne-surMer devant être détruit car vétuste. Elle passe deux années à vivre auprès des habitants pour comprendre comment améliorer leur quotidien et travailler de pair avec eux. Plutôt que tout détruire pour reconstruire, le propos est de rénover selon les besoins des habitants et de façon propre à chacun comme parfois mettre aux normes PMR, rajouter des fenêtres...etc Chaque action dépend directement de la volonté des habitants qui vont jusqu’à participer aux travaux pour réduire les frais et par volonté de contribuer à leur logement.13
12 [ S6EO ] Optionnel : Paysage, échelles, représentations - Habiter la ville : Temporalités, trajectoires, permissivités 13 Patrick Bouchain : Ma voisine, cette Architecte - http://strabic.fr/PatrickBouchain-ma-voisine-cette-architecte-1
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b. Mise en valeur et respect du Local À mes yeux la valorisation du local est très importante, et ce pour plusieurs raisons. Elle est d’abord gratifiante pour les personnes auxquelles on fait appel, les rend fiers de l’accomplissement de leur travail dans un contexte qui leur est propre et qu’ils connaissent. Ils deviennent alors acteurs et moteurs de leur territoire ce qui ne peut être que stimulant. Favoriser l’emploi de ressources et d’entreprises locales permet de rendre le projet cohérent, non seulement parce qu’on va pouvoir travailler avec des matériaux connus et maîtrisés par les artisans mais aussi parce que de cette façon on développe et stimule l’économie locale. Dans un monde de plus en plus globalisé, le transport ou la transformation d’un matériau coûte cher et dégage une quantité d’énergie grise phénoménale, à titre d’exemple un mètre cube d’acier dégage une énergie équivalente à 6 000 litres de fioul. Tandis que dans une filière bois locale on minimise les coûts de transport et on peut plus facilement s’assurer de la durabilité d’une filière donnée. De façon plus anecdotique on peut trouver des artisans spécialisés dans certaines techniques locales et des façons propres de mettre en œuvre, comme les Compagnons du devoir qui acquiert des compétences et savoirs très poussés. Stimuler ces savoirs-faire et cette économie permet d’amener plus facilement l’architecture ; si elle respecte les habitants, les fait vivre, les emplois cela participe à son acceptation et son intégration dans le paysage culturel. La prise en compte du contexte historique et paysager est importante mais la compréhension des besoins et des contraintes modernes n’est pas à ignorer. J’en prends pour compte un voyage effectué au Pérou en 2018 où l’on comprend vite que la conservation et le réemploi de savoirs-faires locaux est très loin d’être la première préoccupation. Les nouvelles constructions sont essentiellement construites en brique. Cela répond à la disponibilité ainsi qu’au prix du matériau. Sa mise en œuvre est simple, ne demande pas de main-d’œuvre qualifiée et généralement les maisons ne sont pas « terminées », officiellement pour pouvoir les étendre à terme ou par manque d’argent pour terminer la construction. Selon les dires des locaux c’est plutôt pour minimiser les taxes, puisque le bâtiment n’est pas fini et donc pas imposable.
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Maison inachevée, Pérou https://www.ahappypassport.com/blog/unfinished-buildings-peru
Ainsi cette pratique de l’architecture devient cohérente dans son contexte puisqu’elle correspond à la fois aux habitudes, aux nécessités économiques et aux besoins des habitants.16 Un exemple de réponse à cette problématique propre à un pays tel que le Pérou est l’architecture sociale d’Alejandro Aravena avec ses demi-maisons. Elles permettent d’accéder facilement à une propriété et de disposer d’un espace libre pré-construit pour pouvoir étendre son logement sur le long-terme en fonction des moyens de chaque famille.
Demi-maisons par Alejandro Aravena, Chili https://leblogdenathaliemp.com/2018/04/21/les-demi-maisonsdaravena-ou-le-social-autrement/
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b. Adaptabilité Nous avons vu depuis le début qu’à chaque contexte appartient son architecture propre. Mais il existe certains cas particuliers où comprendre le contexte n’est pas suffisant car il peut être en constante évolution ou face à des problématiques qui peuvent dépasser l’ampleur du projet. Je parle ici de l’architecture humanitaire ou de l’architecture d’urgence. D’abord car comme son nom l’indique, le terme urgence soulève des questions de temporalité, cela demande de mettre en œuvre des moyens et des solutions de construction de façon presque immédiate, pas le temps de comprendre le contexte dans lequel le projet va s’implanter. De plus, on fait face à des notions de contexte assez différentes puisque l’on intervient en situation de crise, on parle plus de contexte politique, économique et sociologique que de paysage. De nouvelles problématiques entrent en ligne de compte : estce que la qualité est importante ? La construction doit-elle être pérenne ? Doit-on prendre en compte l’esthétique? La notion de qualité pour sa part prend un sens différent dans le contexte d’urgence puisque la résistance à l’inondabilité, le traitement des eaux, le traitement social de l’architecture deviennent en fonction des contextes des composantes très importantes de l’architecture d’urgence nécessitant de la qualité. De plus, les contextes dans lesquels intervient l’architecte d’urgence sont souvent radicalement différents de ceux qu’il a l’habitude de travailler, on peut se questionner jusqu’à où la culture propre et très différente d’un architecte sera acceptée par les locaux. Intervient alors une notion d’échange très importante permettant de ne pas placer l’architecte comme omniscient mais comme acteur du projet au même titre que les habitants. Ce partage de connaissance permet d’apprendre le savoir-faire, les compétences des locaux et permet de développer le projet en adéquation avec ces compétences. On gagne du temps sur la formation et on s’assure plus de qualité dans la mise en œuvre, le projet est mieux contextualisé. L’esthétique, quant à elle, est aussi très dépendante du contexte, dans nos pays occidentaux elle associé à la richesse ou à l’élitisme, mais ne prend pas forcément le même sens dans d’autres sociétés, elle reste tout de même importante ne serait-ce que pour l’acceptation d’un projet par les locaux.
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Conclusion & Ouverture Ce rapport d’étude a été pour moi l’occasion d’éclaircir ma vision de l’architecture et me donne un aperçu de la façon dont je souhaite exercer mon métier. J’ai pu comprendre quelles étaient les thématiques qui me tenaient le plus à cœur et comment les mettre en exergue dans la conception du projet. De mon point de vue, l’architecture est une notion qui va de pair et ne peut être définie sans parler de contexte. Ce dernier est par sa bonne compréhension un moyen de fournir des repères connus qui permettent d’abord une acceptation par les habitants, mais qui est aussi une source d’inspiration et de projet quasiment infini. Chaque contexte est tellement caractéristique qu’il permet l’émergence d’une architecture propre à chaque situation et je trouve que c’est ce qui est beau dans l’architecture. Je ne pense pas que l’architecte puisse avoir la prétention d’être un inventeur ou un créateur, il ne fait que ordonner les choses. Tout est déjà là sous nos yeux, il suffit alors de le comprendre, d’apprendre à modeler toute cette matière à notre disposition pour faire naître une architecture. Ce sans perdre de vue que cette dernière finit par faire partie du contexte dans lequel elle s’implante et l’influence, le modifie, joue sur la compréhension que l’on en a. C’est aussi ça le Genius Loci, l’architecture participe à l’esprit du lieu parfois jusqu’à croire qu’un projet a toujours été là tant il paraît dégager cette impression d’être à sa place. J’ai vite compris au travers de ces trois années d’études que le domaine très large de l’architecture était fait pour moi, il représente à la fois une manière de travailler que j’aime tout en pouvant exercer ce métier avec une éthique et un sens du social prononcé. Ce que je trouve amusant et plaisant à la fois, c’est que dans ces études notre esprit et notre façon de penser est sans cesse titillé,
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forcé de se remettre en question, de penser différemment ou d’agir autrement. En somme, nous apprenons à nous adapter. Cette sensation se retrouve énormément dans ma vision de l’architecture qui change et évolue chaque jour, enrichie de nouvelles connaissances ou façon de raisonner. Ce rapport d’étude est donc pour moi frustrant car il est difficile de résumer une vision d’une discipline aussi vaste à ces quelques lignes, je pense parfois à des façons d’aborder la discipline complètement différentes voir qui vont à l’encontre de ce que j’ai exposé ici. Je pense que si j’avais commencé la rédaction de ce rapport ne serait-ce qu’une semaine plus tard, son contenu aurait été radicalement différent. Tout cela pour exprimer que ce rapport ne représente pas l’entièreté de ma vision de l’architecture mais plutôt l’un de ces composants. Par ailleurs, je suis conscient que la mise en application d’une architecture qui ne fait que prendre en compte les spécificités d’un lieu n’est pas une architecture accomplie, et il serait réducteur de ne la résumer qu’à cela. La prise en compte d’autres éléments tels que la notion de beau ou de poétique compte tout autant à mes yeux mais tout ne peut être développé ici. Cela correspond bien à ma grande curiosité qui me pousse à vouloir voir et comprendre au mieux le plus d’aspects possibles sous des angles de vues opposés pour pouvoir me forger ma propre idée. C’est cette diversité et divergence de point de vue qui me semble centrale en architecture, il n’y a pas une bonne façon de faire du projet, chacun l’aborde à sa manière et c’est ce qui crée la diversité du paysage architectural. Ce rapport éclairci pour moi mon choix de master qui se dirige vers la thématique Architecture, Environnement & Cultures Constructives dont
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la vision que je développe ici correspond assez bien aux notions abordées notamment l’étude du contexte et son utilisation dans le projet mais sur des territoires en mutation, ce qui change radicalement la façon d’aborder le projet avec des problématiques différentes et une pensée du projet sur le long-terme. Ce choix peut encore changer puisque je pars l’année prochaine étudier en Norvège à la NTNU de Trondheim, cet événement, je l’attends avec beaucoup d’envie, de curiosité et d’impatience car j’ai conscience qu’il va grandement contribuer à élargir ma vision de l’architecture. L’enseignement dispensé dans cette école est très axé sur l’expérimentation et le travail d’installation à l’échelle 1:1, ce qui diffère beaucoup de ce que l’on apprend à l’ENSAG avec des projets plus théoriques. L’un comme l’autre sont à mes yeux très importants et c’est pour cela qu’il me semble important d’avoir l’occasion d’appréhender ces deux notions. L’autre aspect est la pédagogie réputée de l’enseignement en Norvège qui permet de s’ouvrir et de s’exprimer sans craindre d’être jugé et de pouvoir être mis sur un pied d’égalité avec les élèves et les professeurs, ce qui permet de prendre plus d’initiatives. Cette ouverture à une autre culture et cette année qui va presque marquer une pause dans mes études va me permettre de prendre du recul sur ma pratique de l’architecture et me ramener grandi et plein de nouvelles expériences qui continueront à alimenter mon grand intérêt pour cette discipline.
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Bibliographie - Architecture inspirée du paysage GARE MARITIME DANS LA BAIE DE TADOUSSAC - Essai, Annie Malouin, 2011 - Construire l’architecture, du matériau brut à l’édifice, un manuel ; Andréa Deplazes, éditions Birkhäuser - Documentaire “La Boîte à vent – Le Rectorat de la Martinique”, Stan Neumann, 26’, 1999 - Genius Loci. Paysage, ambiance, architecture Broché, Christian Norberg-Schulz, 1981 - Journal of Environmental Psychology , Volume 19, Issue 4 , December 1999 - La maîtrise de la ville : urbanité française, urbanité nippone, Auguste Berque, Paris : éditions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, cop. 1994 - Mémoire de recherche : Architecture(s) d’urgence, de l’éthique à l’esthètique, Amelie Deguigand, 2014 - Mémoire de recherche : Régionalisme critique : l’influence du lieu sur l’architecture, Ugo Ribieiro, 2011 - https://www.archdaily.com/780203/alejandro-aravena-wins-2016-pritzker-prize - https://www.archdaily.com/10775/quinta-monroy-elemental?ad_medium=widg et&ad_name=recommendation - https://galeriestimmung.com/blogs/journal/aalto-ou-quil-aille-porte-la-finlandeaveclui - https://journals.openedition.org/edl/494 - https://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_1118 - http://strabic.fr/Patrick-Bouchain-ma-voisine-cette-architecte-1 - https://fr.wikiarquitectura.com/b%C3%A2timent/maison-marika-alderton/#cas a-marika-1 - http://glenn-murcutt.blogspot.com/p/marika-alderton-house.html
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