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S’INFORMER BD : Tshamakele FICHES 1 À
INTRODUCTION
la colonisation » 15. Ainsi, plus de soixante ans après l’indépendance officielle du Congo, le passé colonial belge reste à l’origine d’un racisme structurel sévissant aujourd’hui dans toutes les sphères de la société. Afin d’entamer un réel processus de lutte antiraciste, on comprend qu’il est essentiel de s’approprier l’histoire coloniale et déconstruire les versions paternalistes de celle-ci.
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Des enjeux de mémoire à déconstruire
La colonisation, en tant que système de domination conçu pour une exploitation économique à tout prix, fut soutenue par une propagande coloniale qui nous a imprégné d’une série de mythes, de stéréotypes et de préjugés dont nous avons, encore aujourd’hui, bien du mal à nous défaire.
Au premier chef de ceux-ci se trouve l’idée de « races biologiques », afin de légitimer la domination coloniale blanche et l’extrême violence du système mis en place par les colons pour exploiter les ressources du Congo et ses populations, considérées comme inférieures. Ce justificatif légitimé par des pseudo-sciences comme la craniologie, est aujourd’hui totalement disqualifié sur le plan scientifique. Mais, de même que la colonisation du Congo ne s’arrête pas d’un coup le 30 juin 1960, suffit-il de décréter erroné un concept séculaire pour qu’il cesse aussitôt d’avoir l’effet structurant qu’il eut sur les esprits et pratiques durant des siècles? C’est pour cela qu’il faut aujourd’hui parler de « race sociale ». Car être blanc·he ou noir·e, juif·ve ou musulman·ne, influe sur notre expérience du social, notre rapport au monde. Ces catégories n’ont aucune essence en soi, ce sont de pures « constructions arbitraires, des catégories politiques dynamiques dans le temps et l’espace »16. Il n’empêche que si elles n’ont aucune réalité, ces races supposées n’en ont pas moins des effets très réels. Il faut donc pouvoir les nommer. Car être blanc·he n’est pas une expérience universelle17 , être blanc·he c’est aussi « une manière de s’orienter dans le monde social et d’y être situé·e »18 .
D’autres mythes issus de la propagande coloniale représentent des blocages et constituent aujourd’hui des enjeux de mémoire essentiels. On peut définir cette mémoire comme « les représentations du passé partagées par une société ou un groupe social » 19. Pourquoi l’histoire de l’Afrique nous semble-t-elle débuter avec la colonisation ? Pourquoi l’État Indépendant du Congo (EIC, propriété privée de Léopold II) n’a-t-il jamais été défini, nommé, ni enseigné comme un régime dictatorial ? Pourquoi parlet-on encore aujourd’hui des « bienfaits » de la colonisation compensant certains « excès » ? Pourquoi ne parle-t-on jamais du rôle des Congolais·e·s et de l’importance des ressources congolaises lors des deux guerres mondiales ?
15. Ibid.
16. Nicolas Rousseau & al, « Être blanc·he, le confort de l’ignorance », études de 2019, BePax, p. 17.
17. La blanchité fonctionne comme une appropriation de l’universel et procure des avantages matériels et symboliques qui ont la spécificité d’être à la fois omniprésents – car ils concernent l’ensemble de la vie sociale – et invisibles pour les bénéficiaires qui les perçoivent comme étant normaux. 18. Magali Besson, in : Nicolas Rousseau & al, op-cit, p. 11.
19. Romain Landmeters, « L’histoire de la colonisation belge à l’école : décentrement, distanciation, déconstruction », BePax, 2017, p. 5.
20. Nous reprenons ici un terme « fourre-tout » et stigmatisant utilisé par la propagande de Léopold II. En réalité l’esclavage pratiqué à l’est du continent africain est plutôt le fait de populations arabo-swahilies.
Décoloniser l’école
L’école a longtemps été une institution centrale de la propagande coloniale. Les manuels d’histoire d’alors présentaient la « grande œuvre civilisatrice » du « roi bâtisseur Léopold II » libérant les « populations indigènes » du « joug de l’esclavage arabe 20 » afin de leur apporter la « civilisation » ; avec, en ligne de fond, l’enseignement de la supériorité du « Blanc » sur le « Noir », le « Jaune » ou le « Rouge ».
Pourtant, plus de soixante ans après l’indépendance du Congo, peut-on considérer que l’école s’est totalement décolonisée? Selon la perspective du décret « Missions » de 1997, l’école devrait jouer un rôle essentiel dans la lutte contre les stéréotypes21, préjugés et biais racistes22 .
21. Arnaud Lismond Mertes, « Décoloniser l’école », Ensemble! Dossier antiracisme, n° 95, décembre 2017, p. 6.
22. Pour un exemple de ce que sont les biais racistes : www.numerama.com/politique/712567-nos-appareils-photo-ontdes-biais-racistes-et-google-tente-de-sen-defaire.html
INTRODUCTION
La géographie par l’image et la carte aux éditions de la procure à Bruxelles (1964)
L’enseignement de l’histoire coloniale belge « devrait être un outil majeur à cet effet, puisqu’il peut permettre aux élèves de comprendre comment et pourquoi ces stéréotypes ont été construits et diffusés. » 23
Comment « mieux » enseigner l’histoire ? Cette question appelle à des réponses complexes – auxquelles est d’ailleurs confronté le groupe de travail censé rédiger le prochain référentiel des Sciences Humaines du tronc commun remplaçant les socles de compétences pour la formation historique et géographique24. Nous n’avons pas ici la prétention d’avoir toutes les solutions. Mentionnons pourtant certains éléments qui nous semblent incontournables et qui ont animé la construction de ce numéro du Monde en Classe.
23. Arnaud Lismond Mertes, « Décoloniser l’école », op-cit, p. 6
24. Allant de la première primaire à la troisième secondaire, ces référentiels dit du « Tronc Commun » contiendront notamment un référentiel englobant sciences économiques, sociales, géographiques et historiques. Actuellement il prévoit l’enseignement de la colonisation à partir de la 2e secondaire. Il doit encore être voté au parlement dans les prochains mois. Ces référentiels entreront en vigueur peu à peu à partir de la rentrée 2022. D’abord, l’apprentissage de l’histoire et la construction de l’identité personnelle nous semblent intimement liées. Dès lors il apparaît que l’histoire est une matière idéale pour apprendre à décentrer le regard. Aussi, s’il nous semblait complexe d’amener l’histoire coloniale à proprement parler dès la première primaire, nous nous concentrons sur les notions d’identités et stéréotypes via des séquences pédagogiques adaptables à chaque niveau. Ainsi, les enfants se situent également dans leur histoire par rapport aux autres. Et dans cette réflexion, un mouvement vers le passé, personnel ou collectif, local, national ou mondial, est déjà nécessaire. La notion de « découverte »,