HISTOIRE DES VILLES

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Troisième année de licence _ Côme Debray HISTOIRE DES VILLES, LE XIXE SIÈCLE Marseille, Le Second Empire HISTOIRE DES VILLES, LE XXE SIÈCLE Marseille, La reconstruction



AVANT PROPOS En 2009 j’intégrais l’ENSA Marseille, liant par là ma découverte architecturale et urbaine à la cité phocéenne. Ainsi, c’est à Marseille que s’ancre ma fascination pour la Ville au sens large, en tant que cadre de toute vie sociale. L’étude de l’histoire urbaine est essentielle, il faut comprendre la sédimentation au fil des ages d’un tissu urbain avant d’y projeter ce qui composera la Ville de demain.


troisième année de licence _ Côme Debray

Histoire des villes, le XIXe siècle MARSEILLE, LE SECOND EMPIRE


INTRODUCTION «Quand le voyageur, visitant cette cité (...) interrogera l’histoire pour lui demander ce que fut jadis Marseille, la grande voix de la vérité lui répondra : les phocéens ont fondé Marseille; Louis XIV et Colbert ont agrandi son enceinte; Napoléon III en a fait l’une des premières cités du monde.» - Charlemagne-Emile de Maupas La présente étude vise à comprendre les transformations urbaines de Marseille sous le Second Empire. Nous nous intéresserons plus spécifiquement à la façon dont à la fin du XIXème siècle, les percées monumentales axées sur le Vieux-Port, changèrent radicalement le visage de la ville. CONTEXTE A Marseille, la majeure partie des grands axes et des bâtiments qui les bordent a été mis en place en moins de vingt ans, grâce à «l’énergique impulsion» donnée par le sénateur de Maupas, qui mena d’une main de fer une politique ambitieuse sur les plans urbains et architecturaux. Durant cette période, Marseille était un chantier permanent, accéléré et favorisé par la loi sur les emprunts à long terme de 1960 qui permit de «construire tout et tout de suite». A cette époque Marseille est encore contenue dans ses collines et son expansion économique, que certains qualifie de plus importante de son histoire, entraina des transformations radicales. Après diverses propositions non concluantes, un plan proposant une intervention globale de la circulation est proposé en 1856 par le maire Jean-Francois Honnorat et ses équipes d’ingénieurs. Ce plan de restructuration du réseau viaire constitua la trame de toutes les interventions urbaines jusqu’à la Troisième République. L’ampleur des opération est alors colossale, la longue liste des principales opérations est établie par ordre de priorité. Il faut percer la Vieille-Ville en direction des ports ainsi que vers les quartiers nord (Saint-Lazare, Saint-Charles) destinés à être restructurés et agrandis. Il faut achever les chantiers que la Monarchie de Juillet a laissé en suspens et ainsi achever les cours Baille et Lieutaud. De plus une promenade prestigieuse en direction des quartiers sud est imaginé à partir de la Résidence impériale selon deux itinéraires : par la Corniche ou en ralliant le Prado par le boulevard de la Corderie et le cours Bonaparte (actuel cours Pierre-Puget). On parle alors, à la façon d’Haussmann, de l’agrandissement et de l’embellissement de la ville.



INTENTION URBAINE Des interventions spectaculaires entaillent à cette époque la «Ville-Mère», transformant la topographie existante ainsi que les tracés parcellaires, chassant les habitants modestes vers les quartiers périphériques. La première intervention (1860-1862) fut le prolongement de la Cannebière par l’élargissement de la rue de Noailles de six à trente mètres : un artère majeure reliant le Vieux-Port à l’église Saint-Vincent-de-Paul alors en construction. La qualification de ce nouvel axe vient alors équilibrer celui perpendiculaire de la porte d’Aix à la place Castellane, qui traverse Marseille du nord au sud. A l’image du chantier de l’église Saint-Vincent-de-Paul, les réalisations monumentales de cette époque sont nombreuses, elles ponctuent la ville, participant à son embellissement ainsi qu’a la théâtralisation de sa puissance. Durant cette période, Marseille construit de nombreux édifices : la Préfecture, la Bourse, la Basilique ou encore le Palais Longchamp sont ainsi soigneusement mis en scène en des lieux stratégiques La création de nouvelles avenues offrit des espaces considérables à bâtir, afin de d’éviter des disparités qui nuiraient à l’embellissement et à l’unité recherchée, la ville établit un règlement rigoureux.



FAITS URBAINS Par exemple rue Noailles, un véritable cahier des charges fut imposé : quatre niveaux, en plus des entresols et combles brisés à la parisienne. De plus la Ville exigea la continuité des horizontales : corniches, bandeaux, balcons, toitures; les écart de déclivités sont régulés par des sous-sols éclairés par des soupiraux. Sous le Second Empire, la voirie n’est plus seulement fonctionnelle : «elle doit tendre, comme les Beaux-Arts proprement dits à produire le beau (...) c’est à dire la puissance, la grandeur, l’harmonie. C’est ainsi que la voirie urbaine devient un auxiliaire des BeauxArts» énonce à cette époque Auguste Gassend. Autre percée, sûrement la plus spectaculaire du Second Empire : la rue Impériale (actuelle rue de la République) dont l’échelle était alors inconnue à Marseille. La démesure de l’ouvrage fascina les contemporains, dans un numéro spécial de la France nouvelle illustrée consacré à Marseille, est publié un article témoignant de l’enthousiasme général : «en accomplissant en quelques années une entreprise aussi difficile, aussi considérable, Marseille a donné la mesure de ses forces. Cette œuvre restera comme une des plus mémorable de notre temps». Le tracé traversait un site à la topographie complexe, plus d’une trentaine de rues étroites et pentues, souvent gravies par des escaliers disparurent avec 935 maisons. De lourds travaux d’abaissement furent nécessaires pour les attelages et tandis que d’épais murs de soutènement étaient édifiés, douze kilomètres de voies ferrées acheminaient les déblais vers les ports pour les enrochements.


CONCLUSION En 1854, alors que le port de la Joliette est ouvert depuis peu aux navires, un projet ambitieux est imaginé, les anciennes anses furent comblées, tandis qu’une série de bassins plus adaptés s’étendit vers le nord. Les percées à travers la topographie marseillaise générèrent alors de vaste terre-pleins gagnés sur la mer, dont la vente pu couvrir une partie des opérations, Marseille rentre ainsi entre 1854 et 1855 en possession de centaines d’hectares. Dans ce cas précis, la ville génère la ville alors qu’aujourd’hui Euromed, le principal projet urbain de la ville de Marseille, concerne la requalification de ces territoires artificiels conquis sur l’eau. La polychromie subtile des hôtels particuliers construits à cette époque est ternie, des monuments majeurs sont encore négligés, car le coût d’une hypothétique restauration freine toute opération de mise en valeur. Mais peut-on rester de marbre face à la dégradation du Palais Longchamp ou des façades de la Major, alors que des budget colossaux sont investis dans le projet Euromed, dont le rattachement à l’histoire et à l’existant pourrait être sujet à discussion.



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Histoire des villes, le XXe siècle MARSEILLE, LA RECONSTRUCTION


INTRODUCTION En étudiant l’architecture à Marseille, j’ai rapidement découvert, dans le cadre du cours de Jean-Lucin Bonillo, l’architecte dissident Fernand Pouillon (1912-1986). Ce personnage sans précédent, se situe en marge de ses contemporains en revendiquant une nouvelle façon de penser l’architecture différant du Modernisme. Ses réalisations se caractérisent par une juste insertion dans le site, des proportions rigoureusement dessinées, des matériaux nobles et la sollicitation d’artistes sculpteurs, céramistes, paysagistes... La présente étude porte sur la reconstruction des abords du Vieux-Port, où l’architecte traite la ville meurtrie.

Vue aérienne du port 1935 où figure encore la rue Fontaine-Rivière qui sinuait au nord du port. Elle disparaîtra avec l’ensemble des habitations visibles ici.



CONTEXTE En France, la reconstruction du centre des villes s’effectue généralement à la suite de bombardement, mais à Marseille, les dégâts sont différents car ils ont été provoqués par une opération de destruction programmée et méthodique. «Suburre obscène, un des cloaques les plus impurs, où s’amasse l’écume de la Méditerranée (...) C’est l’empire du péché et de la mort. Ces quartiers patriciens abandonnés à la canaille, la misère et la honte, quel moyen de les vider de leur pus et les régénérer» 1. Ainsi, selon les consignes d’Himmler, la population juive de ce secteur qualifié de «quartier criminel» doit être immédiatement déportée, les immeubles fouillés, puis dynamités. Entre le 22 et le 24 janvier 1943, 30 000 personnes habitants le vieux quartier de la rive nord du port sont expulsés, 1500 immeubles bordant le Vieux-Port sont ensuite détruits, laissant un champ de ruines de près de quatorze hectares.



INTENTION URBAINE Le projet de requalification de ce quartier ancien de Marseille, imaginé sous le régime de Vichy ainsi que ses architectes ont rapidement été, dès la libération, mis à l’écart. La nomination de Roger-Henri Expert comme «architecte en chef de la reconstruction, urbaniste-conseil de la ville» est une manière de tourner la page. C’est ainsi que le «concours public du Vieux-Port et de la Bourse» a vu le jour, mêlant des exigences à la fois architecturales et urbaines. L’absence de premier prix au concours permit à Expert de poursuivre sa recherche, il s’agissait alors de relier les quartiers de la Bourse à ceux du Vieux-Port, de régler la circulation urbaine et enfin de qualifier l’architecture encadrant le port. Les intentions semblent justes mais le projet qu’il esquisse, composé de tours de quatorze étages, ne créé aucun dialogue avec la Vieille-Ville et ne verra pas le jour. Ainsi, suite à la démission d’Expert, le plan Leconte est mis en place, son pragmatisme permet d’intégrer à la composition deux des tours du premier projet dont les fondations sont en cours de réalisation. Avec quelques étages en moins, ces immeuble entre en cohérence avec les typologies en barres mises en place dans le plan général qui recherche une homogénéité esthétique. Un juste milieu ménageant le site, semble alors avoir été trouvé entre la logique du tissu traditionnel et les nouveaux usages, le plan Leconte semble «rallier tout les suffrages»2. Le terrain en longueur situé entre ville est port, est alors proposée une longue série d’unités, associées à des percées transversales reliant l’ancien et le nouveau.

Plan masse du projet du Vieux-Port comprenant les immeuble de la Tourette



FAITS URBAINS Le plan masse reparti les parcelles entre plusieurs équipes d’architectes locaux, ainsi chaque îlot possède ses propres caractéristiques et par exemple les modénatures varient. La normalisation esthétique souhaitée par Leconte fut compliquée à mettre en place, elle déboucha en réalité sur quelques règles telle que l’interdiction des bow-windows au bénéfice des loggias, ou la réglementation des dimensions des niveaux et des baies. Selon Jean-Lucien Bonillo, ces légères variations et la diversité que possèdent ce projet en font un projet d’essence méditerranéenne correspondant à la cité phocéenne. Le travail initial de Pouillon porte sur les immeubles dits de la Tourette sur les hauteurs du port, son projet compose avec deux contraintes fortes du site : la première est climatique, il faut se protéger du mistral, et la seconde est plastique, il faut penser l’inscription dans le skyline marseillais d’un projet de cette envergure. Ainsi, ces immeubles de hauteurs variables assurent une transition avec ceux de la butte et préserve les vues sur le port depuis celle-ci. Le plus haut d’entre eux atteint les quatorze niveaux imaginés par Expert et rentre en résonance avec les verticales existantes qui persistent à l’entrée du port. Mais les préoccupations de l’architecte sont aussi celles d’un bâtisseur soucieux du confort : il parvient à édifier des appartements spacieux et de qualité, les murs épais sont banchés directement dans des coffrages de pierre qui restent apparents en façade. Grâce à ses innovations constructives ainsi qu’à une organisation de chantier radicalisée, Fernand Pouillon offre un équilibre économique au projet. Cependant, le projet de la façade sur quai que dirige Leconte en personne, soulève l’hostilité générale. Encouragé par le ministre Claudius-Petit en raison de la qualité et la rapidité de son chantier dominant le port, Pouillon parvient par un contre-projet à reprendre la façade sur quai à Leconte bien que le gros-oeuvre soit en cours. Cette magistrale séquence urbaine de près de 600 m encadrant l’Hôtel de Ville, faite d’un alignement de blocs réguliers en pierre massive dégageant une galerie publique en rez-de-chaussée deviendra rapidement la construction vedette de cet ensemble harmonieux caractérisé par une monumentalité domestique.

CONCLUSION Au long de sa vie il sera incarcéré, en cavale, radié à vie par l’ordre des architectes, puis exilé pour pouvoir continuer d’exercer. Contournant une fois de plus la norme, Fernand Pouillon publie en 1964 un manifeste architectural aux allures de roman. Dans «les pierres sauvages», il édifie chapitre après chapitre, en parallèle de l’abbaye cistercien du Thoronet, sa vision de l’architecture. Le caractère atypique de ce bâtisseur soulève une question : le rôle de l’architecte serait-il de positiver les contraintes et de contourner les règles?



NOTES 1 - Louis Gillet, revue municipale du 21 octobre 1942 cité dans Follorou et Nouzille, Les Parrains corses, 2004 2 - rapport du conseil municipal du 2 mars 1948

BIBLIOGRAPHIE Le Patriote résistant, n°578 et 579 - janvier 1988) Gérard Guicheteau, Marseille 1943, la fin du Vieux-Port - 1973) Anne Sportiolo, Le Vieux-Port de Marseille, L'Histoire n°16 - octobre 1979 http://www.ina.fr/ fresques/reperes-mediterraneens/fiche-media/Repmed00216?video=Repmed00216 Marseille, la passion des contrastes, couverture ci contre Les Grammaires d’une ville, couverture ci contre Marseille cité radieuse, couverture ci contre



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