La Corse de Lucien Peri

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Pierre Claude Giansily

LA CORSE de

Lucien Peri PEINTRE PAYSAGISTE DE L ’ ÉCOLE D ’A JACCIO

1880-1948

EXPOSITION AU

LAZARET OLLANDINI ,

,

6 decembre 2007– 2 fevrier 2008 Association

Le Lazaret Ollandini



Pierre Claude Giansily

LA CORSE de

Lucien Peri PEINTRE PAYSAGISTE DE L ’ ÉCOLE D ’A JACCIO

1880-1948

Association

Le Lazaret Ollandini


Dans la même collection Léon Charles Canniccioni, peintre des types et coutumes de la Corse Pierre Claude Giansily Exposition au Lazaret Ollandini, 14 décembre 2006-13 janvier 2007


sommaire Premiere partie

Itinéraire de l’artiste ..............................................................................................

3

– Les débuts de la carrière de Lucien Peri ......................................................................................................................... 5 – Les années vingt : succès et notoriété................................................................................................................................. 11 – Les années trente : la grande vogue de Lucien Peri ................................................................................ 15 – Les années quarante : poursuite de l’action créatrice .......................................................................... 21

Seconde partie

Le paysage corse et son approche par Lucien Peri ...... 27 – Le paysage corse : impressions et écrits ...................................................................................................................... 27 – La Corse de Lucien Peri .................................................................................................................................................................................... 37 – Approche technique : dessins et pochades, composition ........................................................... 43 – Les aquarelles claires et lumineuses de Lucien Peri .............................................................................. 49 – Des peintures solidement composées aux tons mats ...................................................................... 53 – Les navires, éléments du paysage de Peri : bateaux de Corse......................................... 59 – Variété des autres genres : illustrations, affiches, lithographies........................................... 63

Troisième partie

Lucien Peri, l’art et les œuvres de son temps .................... 77 – La diversité de l’expression picturale ........................................................................................................................................ 77 – La richesse des talents artistiques, lieux de création et de diffusion ....................... 78

Quatrième partie

La place de Lucien Peri dans l’héritage artistique corse ................. 93

Cinquième partie

L’artiste et son œuvre, témoignages ....................................................................................................................................................................... 97 Annexes ..........................................................................................................................................................................................................

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– Envois de Lucien Peri aux Salons de la Société Nationale des Beaux-Arts – Bibliographie



Presentation François Ollandini

SEUL SUR LA ROUTE, VERS TIUCCIA. Cette longue ligne droite avant le pont, l’ancien pont. Au loin, déjà, les eucalyptus. Et tout de suite, comme à chaque fois, ces milles émotions qui m’envahissent. Je laisse la voiture, là, la moins visible possible, et je m’approche du lieu...l’esprit de ce lieu. Au pied du fleuve, seul enfin avec Lucien Peri. Ici, et comme alors, mille nuances. Le Liamone épouse tranquillement la mer.

pure volonté, et selon ma liberté

Eaux tendres et mêlées. C’est encore le fleuve et ce n’est plus le

entière, j’entre dans ce tableau. A l’in-

fleuve; c’est déjà la mer. Epiphanie de leur union. Ici, je suis

térieur même de son cadre. J’y entre

comme devant un tableau, le tableau de Lucien Peri.

passionnément...Et le cadre disparaît.

Voir avec ses yeux. Sentir, ressentir comme lui. Le mimer. Le

Les autres tableaux disparaissent. Le

retrouver d’instinct. Revivre l’instant. Sa luminosité. Sa douceur.

mur disparaît. La pièce même dis-

Ses reflets. La colline qui lime son paysage. Et la blancheur de

paraît.

son nuage. Où est le nuage? Je le vois comme s’il y était et

Je ne suis plus dans la pièce,

pourtant il n’y est pas. Devant moi les eucalyptus: ils y sont et n’y

parmi les autres. Je suis, ici, dans ce

sont pas. Je reconstruis le paysage comme il le faisait. Je le

tableau. Ici, au pied de ce fleuve. A

réinvente, je le repeins. Je fais semblant de le repeindre. Je joue

droite de cet eucalyptus. Je me pro-

à le repeindre.

mène au long de ce chemin vert. Je

Au paysage encore réel vient se substituer le paysage déjà

suis ce chemin. Je suis cette couleur

peint. Le réel, pourtant présent, disparaît dans le tableau, pour-

verte. Quelques pas encore. L’eau y

tant absent. Présence de l’absent. Un autre monde dans ce

est si douce. Je m’y baigne. Je suis

monde. Brefs instants, trop brefs. Car voilà que le réel revient,

poisson. Je suis tableau. Je suis

vite, trop vite. Le nuage disparaît; les eucalyptus s’éloignent. Mais

monde. Seul existant, seule réalité, ce

le ciel garde encore la légèreté que savait lui donner Lucien Peri.

tableau est à lui seul et à la fois le

C’est un ciel d’art. Il porte sa marque...A chaque fois, si je le veux.

monde et mon monde; Il vit alors de

Maintenant je suis chez moi, ou dans une salle d’exposition,

toute sa vie, vibre, exulte, s’épanouit,

ou au Musée Fesch. Devant ce même tableau. Il est au milieu

en expansion totale. Univers pictural.

des autres, mais c’est celui-ci que je choisis. Par un acte de

Celui de Lucien Peri.


Pour être au monde, pour être le

Mais justement, quid du créateur? Qu’elle est cette passion

monde, un autre monde, à la fois

qui l’ a animé toute sa vie durant? Que fait-il donc lorsqu’il peint?

unique et total, singulier et universel,

Peindre, c’est voyager. A chaque fois, pour chaque tableau,

ce tableau a donc besoin de moi, de

c’est voyager. A chaque fois, c’est l’aventure. Et ce voyage est

la passion que j’y mets, de l’émotion

métaphysique, à chaque fois. C’est aller ailleurs vers un temps

qui m’habite et qui l’habite. Il a besoin

autre pour y vivre autrement. C’est créer un autre monde, dans

du jeu que je joue, que je me prenne

un autre espace et un autre temps. L’espace-temps de Lucien

au jeu, allant même jusqu’à oublier

Peri. Un espace pictural qui soit le tout de l’espace, illimité, sans

que je joue. Il a besoin de mon ima-

bornes, rien autour, sans rien d’autre que lui-même dans son

ginaire, de cet écart que je suis avec

infinité d’espace. Et un temps pictural qui n’ait plus ni avant ni

la réalité. Il a besoin de ma liberté.

après et qui soit un éternel présent, là et toujours là, dans son

De la nôtre.

immobilité temporelle. A chaque fois, chaque tableau de Lucien

Sans nous, hors le regard amou-

Peri est ainsi un absolu d’espace et de temps, et qui, à chaque

reux que nous lui portons, ce

fois, vaut absolument. Du moins, est-ce là tout l'enjeu, tout le jeu

tableau- où un autre- n’est que toile

qu'il joue, sans aucune garantie de succès, à ses risques et

morte, objet parmi les autres objets.

périls.

Avec nous, et la vie que nous lui don-

Peindre, c’est donc créer un nouveau monde qui se substi-

nons et que nous y trouvons, ce

tue à l’ancien, qui l’efface, et ce monde nouveau, c’est celui du

tableau- où un autre- est toile vive,

peintre. A nul autre pareil. De même qu’écrire, c’est toujours

objet d’art. Nous sommes co-créa-

écrire le même livre en des livres différents, de même le peintre

teurs de l’œuvre de Lucien Peri.

a cette tonalité à lui qui traverse toutes ses peintures, ce style qui n’appartient qu’à lui et qui le fait reconnaître entre tous et qui fait que nous croyons et avons envie de croire à tout ce qu’il nous présente. Cette émotion qui le meut et qui est sienne est la substance même de son art. C’est elle que Lucien Peri exprime en chacun de ses tableaux, et sans cesse il recommence et sans cesse elle renaît, inépuisable, insatiable, cherchant toujours son expression et à jamais inexprimée. Ne lui a-t-il pas fallu deux milliers d’œuvres pour commencer à nous dire ce qu’il n’a cessé de nous dire toute sa vie de peintre? Nous faire entrer dans son monde intérieur. Nous faire voir le monde comme nous ne l’avons jamais vu. Nous faire vivre comme nous n’avons jamais vécu. Nous étonner, nous envoûter, nous subjuguer. Nous faire naître enfin en ce nouveau monde. Nous faire renaître donc. La peinture est cette renaissance.

Francois Ollandini Président de l’Association Le Lazaret Ollandini 21 octobre 2007


Introduction

Pierre Claude Giansily

VOICI,

AU

LAZARET OLLANDINI, la deuxième exposition

consacrée à un peintre de l’École d’Ajaccio : après Léon Charles Canniccioni l’an passé, Lucien Peri est présenté aujourd’hui. Ces deux grands artistes ont de nombreux points en commun, no-

temps que lui, de traduire avec leur

tamment d’avoir accompli une longue carrière et connu le succès

technique, leur sensibilité ou avec une

en France et à l’étranger et, bien sûr, d’avoir peint avec originalité la

approche plus personnelle.

Corse qu’ils aimaient plus que tout. Il existe aussi d’autres points communs entre ces deux grandes figures de l’art corse, par exem-

L’ensemble des œuvres rassemblées

ple la durée de leur présence au meilleur niveau et la consécration

montre la démarche technique de Lu-

officielle qu’ils ont recueillie dans les Sociétés d’artistes auxquelles ils

cien Peri : dessins, pochades, aqua-

appartenaient : Canniccioni à la Société des Artistes français et Peri

relles et huiles de différentes tailles et

à la Société Nationale des Beaux-Arts. Ils ont chacun une forte per-

formats, de toutes ses périodes d’acti-

sonnalité et, si leur peinture et leur sensibilité artistique diffèrent sur

vité, montrent son évolution picturale.

quelques points, on peut dire qu’ils se complètent avec bonheur.

Devant ces pièces (de quelques centimètres carrés ou de moyens et grands

Comme nous avons présenté en décembre 2006-janvier 2007

formats) on éprouve un sentiment d’ad-

« Léon Charles Canniccioni, peintre des types et coutumes de la

miration du travail accompli. De là,

Corse » pour montrer cet aspect si fort et original de son oeuvre, le

transparaît le sens extraordinaire de la

thème retenu aujourd’hui est « La Corse de Lucien Peri, peintre pay-

composition qui constitue un des traits

sagiste de l’école d’Ajaccio » afin de montrer la belle façon dont il a

de la peinture de Lucien Peri. De cet en-

peint son île, dans sa diversité.

semble émerge aussi cette vision de transparence et de clarté obtenue par

Il s’agit ainsi de découvrir comment Lucien Peri – qui a peint égale-

ces coups de brosses rapides dans

ment de nombreuses régions françaises comme la Sologne, la Bre-

une matière colorée dont Lucien Peri a

tagne, la Bourgogne, les Alpes, les Landes – a décrit avec une

le secret. En fait, tout concourt dans son

originalité inégalée les paysages de Corse que des dizaines d’ar-

œuvre peint à provoquer chez le spec-

tistes de renommée et d’horizons divers ont essayé, en même

tateur un sentiment de pure beauté.

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Aucun artiste n’a su montrer mieux que lui, par la transparence de ses aquarelles et la finesse de ses huiles, la mer, ses golfes et ses promontoires, les montagnes et collines de Corse avec leurs variantes dans les couleurs vertes, bleues, violettes. Peri illustre à merveille « l’heure violette » du crépuscule sur les montagnes

aux

sommets

parfois

enneigés, après les belles journées d’hiver, cette atmosphère et cette couleur si difficiles à saisir et, pour équilibrer la composition, un motif avec des tons clairs dans cette synthèse de la nature qu’il nous présente

régulièrement,

alliant

harmonieusement eau, ciel et terre. Pendant plus de vingt ans, la pein-

L’artiste photographié par Peyrot Ajaccio, vers 1922 Lucien Peri est un homme très « chic », comme on dit alors. Toujours soigné et bien habillé, portant d’élégants vêtements à la mode, il a de la prestance avec sa taille de 1, 69 m. Il a aussi le goût des belles choses et dans l’Ajaccio du milieu des années vingt, il fait sensation avec sa Citroën de couleur « jaune citron » qui est la première voiture à cinq places en ville et sur laquelle se posent tous les regards.

ture de Lucien Peri a été en vogue à Paris et en Corse et cet artiste a été ainsi un ambassadeur remarqué de l’Île de Beauté, y compris au-delà des frontières nationales. Le présent ouvrage évoque Lucien Peri avec des éléments de biographie

Enfin, on y trouve de précieuses informations sur celui qui faisait

décrivant sa vie d’homme si attachant

l’unanimité par ses qualités. Homme ouvert, franc, toujours de

et d’artiste si séduisant.

bonne humeur, convivial, il était aussi affectueux, sensible, attentif, partageant volontiers les bons moments avec ses amis et sa fa-

Cet ouvrage présente également la

mille. Lui qui, après son installation à Paris, parlait toujours de la

manière dont les artistes de l’École

Corse avec fierté et un soupçon de nostalgie et qui a transposé

d’Ajaccio mais aussi les artistes bas-

dans sa peinture sa sensibilité pour créer une œuvre qui a dé-

tiais et ceux installés à Paris, Marseille

passé son époque et rejoint l’approche des grands paysagistes

et en Afrique du Nord ont peint la

de cette première moitié du XXe siècle en France.

Corse à la même période et donne

Pierre Claude Giansily

un éclairage sur l’art de son temps.

Commissaire de l’exposition

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Itinéraire

de l’artiste

C’EST LE 3 MAI 1880, qu’est né à Ajaccio Lucy, Lily Peri. Ces prénoms ont été choisis par sa mère qui voulait une fille et auxquels

santé depuis quelques années, décède

son père a fait ajouter « dit Lucien ».

à Paris dans sa 47e année. Malgré les difficultés, Angèle Marie veille à ce que

Son père Pascal Peri, né le 17 décembre 1844 à Ajaccio, est pro-

ses deux enfants fassent de bonnes

fesseur de mathématiques au collège Fesch d’Ajaccio. Il a com-

études secondaires au collège d’Ajac-

mencé dans l’enseignement en 1866 et a occupé plusieurs postes

cio, puis au lycée de Bastia.

en France et en Algérie. Il a ensuite pris part à la guerre de 1870 avant de revenir à Ajaccio. Pascal Peri s’est marié à Ajaccio, le

Lucien Peri vit les années de son en-

23 septembre 1878 avec Angèle Marie Ottavi, née le 21 juin 1845,

fance à Ajaccio dont il fréquente le col-

également à Ajaccio.

lège. Garçon doux et agréable, il est

Lucien Peri a un frère, Antoine, qui naît à Ajaccio le 4 novembre 1885,

attiré par le dessin et la peinture. Une

avec lequel il gardera des liens réguliers même si après 1928, date

fois ses études secondaires terminées

de son installation définitive à Paris, ils ont moins d’occasion de se

il est vivement encouragé à faire des

voir car Antoine réside à Ajaccio où il a ses affaires et se déplace

études supérieures et ne peut ainsi

peu hors de l’île. Le 22 août 1891, Pascal Peri, qui avait des soucis de

s’orienter vers des études artistiques.

Photo ©Philippe Jambert

C’est en 1900 qu’il commence ses études de droit à Paris. En juillet 1902, le conseil de révision de la Corse le dispense de service en sa qualité d’aîné de veuve. Il commence à peindre et réalise cette année Le vieux-port de Bastia, une huile sur toile qui est sa première œuvre datée, recensée aujourd’hui. Il va mener jusqu’au milieu des années vingt une vie intense, rythmée notamment par ses déplacements et

Le vieux port de Bastia, 1902 Huile sur toile, 31 x 32 cm

ses lieux de résidence alternés entre Ajaccio, Bastia, Marseille et Paris I

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Les maisons près de la rivière, 1904 Aquarelle, 39 x 30 cm,

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1900-1920 1. Au début des années 1900, Lucien Peri voit autour de lui à Bastia de nombreux artistes, dans une ville qui connaît et entretient une intense activité dans les domaines des lettres et des arts. Grâce au legs de Joseph Sisco (1748-1830) de jeunes Bastiais iront étudier à Rome, pendant cinq ans, le droit, la médecine, la chirurgie ou les disciplines artistiques. Sur la période 1841-1933, vingt-six jeunes bastiais ont pu aller se former à Rome dont seize peintres parmi lesquels Ignace d’Antoni, Jean Canavaggio, Marie Canquoin, Fernand Cresci, Albert Gillio, J. de Gislain, Félicité de Montera, contemporains de Peri. Ainsi, Bastia a eu pendant une longue période des peintres, sculpteurs et architectes qui ont produit un art corse de grande qualité (voir à ce sujet Le legs Sisco, 1829-1933 un siècle de vie artistique corse, ouvrage collectif, édition Centre d’études Salvatore Viale, Bastia, avril 2007). Les artistes bastiais tentent aussi de s’organiser et d’unir leurs forces et, en 1899, le comité artistique provisoire de l’association « amicale libre des artistes de Bastia » qui institue le « Salon bastiais » compte parmi ses membres la plupart des peintres bastiais de l’époque : Pierre Colonna d’Istria, Antoine-Louis Alessi, Ignace d’Antoni, de Gislain, Magnaschi, Jean-Baptiste Gillio et les sculpteurs Patriarche et Pekle.

Les débuts d’une carrière de peintre

En 1904, Lucien Peri vit à Bastia 1. Au cours du mois de no-

vingt-quatre ans il a déjà une belle répu-

vembre, il expose des aquarelles dans les vitrines d’un ma-

tation à Bastia et René Sangy dans Le

gasin du boulevard Paoli. La critique les remarque car à

Petit Bastiais du 12 novembre 1904 écrit :

…Lucien Peri est un paysagiste ému possédant le secret de la séduction ! Devant la Vallée du Fango, – devant

les grands sapins sur les branches desquels se mourait du soleil épars, j’ai cherché, quant à moi, l’endroit solitaire où je me serais assis pour jouir de l’agonie lente de ce crépuscule irréel… Je m’étonne de n’avoir point lu encore un éloge sincère de toutes ces aquarelles blondes, bleues et mauves, alors qu’Émile Brandizi livrait toujours au public ses marines d’Erbalunga et de Saint-Florent et Lucien Peri poétisait sur les bords du Bevinco endormi le soir. Et je conçois la surprise de ces deux amis, quand ils liront ces lignes hâtives. Mais Lucien Peri, afin de continuer ses études, part demain pour Paris ; et j’ai tenu à lui offrir ce témoignage de ma sympathie cordiale, avant que le succès ne le couronne, dans la ville unique où son talent mûrira…

Lucien Peri cherche sa voie et repart sur le continent ; en octobre 1905, il réside à Marseille, rue Victor Hugo, car il est répétiteur au « Petit Lycée » de Marseille. C’est à cette époque qu’il met un terme aux études qui le destinaient au Barreau.

Bord de mer Porte le n°64 au dos Aquarelle sur papier, 8,7 x 13,8 cm,

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Il revient en Corse peu après et,

François Corbellini présente ses œuvres juste à côté,

en 1908, il s’installe rue du général-

dans les vitrines de Joseph Gini, le marchand de cou-

Fiorella à Ajaccio 2. En mars 1909, il

leurs et matériel pour artistes. Ces deux expositions

expose dans la vitrine du photo-

d’aquarelles sont commentées de belle façon dans la

graphe Laurent Cardinali , cours

presse locale et un article publié dans Ajaccio Gazette

Grandval, et au même moment,

du 7 mars 1909 indique :

3

« L’aquarelle semble être la peinture préférée des artistes ajacciens, ainsi nous est-il donné d’admirer journellement dans les vitrines de MM. Cardinali et Gini, des aquarelles exposées par le Maître M. Corbellini, dont la renommée n’est plus à faire. « M. Corbellini aime les tonalités chaudes, et possède au plus haut degré l’harmonie des couleurs ce qui fait le véritable artiste, et la justesse du dessin. « M. Peri, plus jeune, a un sens artistique très prononcé, ses expositions sont très remarquées. On admire surtout dans ses Ajaccio, sur la promenade Lantivy Aquarelle, 16, 5 x 31, 5 cm,

aquarelles la légèreté de son coup de pinceau, les coloris clairs et transparents, aux teintes variées si savamment mêlées et une promptitude de l’exécution. Nous ferons toutefois remarquer que les aquarelles de M. Peri ne sont pas toujours finies, ce qui dénote la promptitude de l’exécution et qui porte un léger préjudice à la perfection de l’œuvre. « M. Peri ne tardera pas à être un maître aquarelliste. »

Au début des années dix, Peri ha-

de peintre. La Société des Artistes français, bien plus

bite à Paris, rue Clovis, et travaille au

conservatrice que la Nationale, qui rassemble essentiel-

lycée Henri-IV. Il y fréquente les mi-

lement les adeptes de l’Académisme ne l’attire pas. La

lieux artistiques et accomplit les for-

Société des artistes Indépendants qui regroupe des ar-

malités pour présenter son travail

tistes ayant rompu avec « l’Académie » et qui ont des idées

dans un des grands Salons pari-

très novatrices, apparaissant souvent comme des provo-

siens. Il choisit la Société Nationale

cateurs ne l’attire pas plus. En 1910, il fait son premier envoi

des Beaux-Arts dont l’état d’esprit

au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts avec Le

des membres, les valeurs esthé-

bassin du Luxembourg en automne, puis, le grand ma-

tiques et les perspectives d’action

gazine L’illustration du 3 décembre 1910, reproduit une de

correspondent plus à son tempéra-

ses aquarelles : Les falaises de Bonifacio dans un article

ment et à sa perception du métier

de René Bazin intitulé « Les quatre beautés de la Corse ».

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2. À Ajaccio, Peri est conseillé par François Peraldi (18431916) qui, à cette époque, a ralenti son activité picturale et exerce les fonctions de conservateur du musée Fesch. Peri a également noué des liens d’amitié avec François Corbellini (1863-1943), formé à l’École des Beaux-Arts de Paris qui a adressé au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts des paysages de Corse : en 1901 Lumière d’automne, en 1902, Vieille rue au couchant et en 1903, Mer belle aux Sanguinaires et qui est ainsi, avec Alfred de la Rocca (qui déroule sa carrière à Bordeaux) un des tout premiers peintres corses à traiter le paysage en tant que sujet sans que celui-ci ne soit une partie d’une autre composition. Enfin, Jean-Baptiste Bassoul (1875-1934), peintre décorateur qui est rentré en 1900 de Paris avec son diplôme de l’École nationale des arts décoratifs en poche, aide et conseille Lucien Peri ; une grande amitié se tisse entre les deux hommes, qui se renforcera avec les années. 3. Il n’existe alors, ni à Ajaccio, ni à Bastia de galerie de peinture. À Ajaccio, les possibilités de présenter ses œuvres sont plus diversifiées : les vitrines de certains commerçants, selon un usage largement répandu partout en France, mais aussi la bibliothèque municipale et les grands hôtels d’Ajaccio, « station d’hiver ».


Ajaccio, route de la Parata, 1915 Huile sur toile, 33 x 46 cm,

Ajaccio, vers Capo di Feno, 1915 Huile sur toile, 33 x 46 cm,

7


La Corse est en effet à la mode : pour

L’année suivante, Peri effectue un séjour prolongé à

la beauté de sa nature, son climat,

Uriage-les-Bains (Isère) et dans le Dauphinois. Il réalise

son authenticité, son histoire et ses

de nombreuses aquarelles de la région dont les quinze

habitants… et aussi, ses artistes.

qui illustrent l’édition du guide du syndicat d’initiative « Le

Dans Le Figaro illustré d’octobre 1911

paradis des enfants » pour la saison du 25 mai au 5 oc-

figure un long reportage intitulé « La

tobre 1913. En janvier 1914, il adresse à l’exposition inter-

Corse », par Henry Spont, qui dit à leur

nationale des Beaux-Arts de la Principauté de Monaco,

propos :

Soir de pêche aux îles Sanguinaires

©Norwich Castle Museum and Art Gallery

« Ensuite, il y a là-bas un peintre qui a dérobé une à une toutes les couleurs du ciel et de la mer et les a fixées sur la toile avec une fougue si juste, une si sobre maîtrise, que je n’ose pas après lui me risquer. Le sage et enthousiaste Corbel-

Mont Notre-Dame 15 avril 1916, veille de l’attaque Huile et aquarelle sur carton, 23 x 30,5 cm

lini possède un pinceau magique. Ses aquarelles, comme celles de Lucien Péri, semblent faites avec des gouttes de lumière… »

Norwich Castle Museum and Art Gallery, comté de Norfolk.

C’est le 25 juin que naît Francine, Myriam Peri à Bas-

En 1911, Lucien Peri vit une partie de l’an-

tia. Le couple profitera trop peu de ces moments de bon-

née à Ajaccio, cours Grandval, où il a

heur puisque le 2 août, le jeune papa est appelé à

une clientèle aisée qui apprécie son tra-

l’activité militaire par le décret de mobilisation du même

vail puis, il s’installe à Bastia et c’est

jour ; il rejoint alors le 7e régiment d’artillerie à pied sta-

dans cette ville qu’il se marie, le 2 octo-

tionné à Ajaccio, puis le 77e régiment d’artillerie lourde,

bre 1912, avec Marie Bartoli, fille de feu

unité avec laquelle il accomplira la campagne contre l’Al-

le notaire Eugène François Bartoli ; le

lemagne jusqu’à son terme. Au cours de cette longue

couple habite dans un appartement de

période, il a assez peu d’occasions de peindre. On a re-

la promenade des quais.

censé trois œuvres datées 1915 qui représentent Ajaccio

4

et ses environs, Route de La Parata (deux) et Plaine de Capo di Feno, réalisées sans doute lors d’une permission dans sa ville natale. On a également recensé une aquarelle datée du 15 avril 1916, figurant une scène de guerre sur la commune de Mont Notre Dame, dans l’Aisne, où les combats furent particulièrement violents, qui est conservée dans un musée anglais qui en a reçu le don en 1925.

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4. Lucien Peri s’est fait un nom parmi les amateurs d’art qui apprécient la légèreté de ses aquarelles. Il est de bon ton d’avoir chez soi des portraits de Meuron, des aquarelles de Corbellini, et ensuite de Lucien Peri ou d’en faire des cadeaux, pour un mariage par exemple ; c’est le cas de deux aquarelles de grand format : U puntu di u mulinu (lieudit U Padulone, près de Barchetta), et une vue Le fleuve, prise dans le même secteur.


Photo ©Philippe Jambert

Le vieux port de Bastia Aquarelle, 31 x 46 cm

Le 21 septembre 1916 survient à Paris le décès de son épouse

Lucien Peri rejoint alors Paris

Marie, ce qui l’affecte profondément. Sa fille Francine est confiée

dans un premier temps puis re-

à une tante, la baronne Ferrand de Masson, installée à Paris.

tourne à Ajaccio. Il gardera un cer-

Francine grandira à Paris auprès de cette tante et son père veil-

tain temps des séquelles de surdité

lera toujours, après la guerre, à se trouver près d’elle aussi souvent

à une oreille en raison de l’intensité

que possible. Le 11 novembre 1918, c’est la fin de la guerre au cours

des tirs d’artillerie sur le front car il se

de laquelle il a souffert physiquement lors des combats et le 19 fé-

trouvait dans l’artillerie lourde sur

vrier 1919, il est « mis en congé illimité de démobilisation ».

voie ferrée (ALVF) I

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Le remorqueur à Ajaccio Gouache sur papier 8, 5 x 13 cm

Le courrier au départ Huile sur papier, 5, 7 x 9, 4 cm

Bateaux à voile latine orange et jaune Huile sur papier, 4, 5 x 7, 5 cm

Voiliers sur les côtes de Corse Aquarelle, 6, 5 x 9 cm, chacune

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1920-1930 Lucien Peri sur le motif dans les années vingt

Les années vingt : succès et notoriété

En 1920, Lucien Peri est en Corse, à Bastia, Saint-Florent… Il fait

Séjours en Corse : Lucien Peri partage

de nombreuses études et peint sur le motif en divers lieux du dé-

à présent ses activités entre Paris et

partement. Puis il retourne à Paris où il fait la connaissance de

Ajaccio. Au Salon de la Nationale de

Marie Lamaizière qui, comme lui est veuve, et avec laquelle il a

1922, il adresse Matin sur les côtes de

beaucoup d’affinités ; le 13 juin de l’année suivante il se marie avec

Corse, œuvre reproduite dans le ca-

elle, à Paris.

talogue illustré du Salon. Il passe une grande partie de l’année 1923 en Corse et fait de nombreuses sorties avec son ami Martin Baretti pour de mémorables parties de pêche ou de chasse à Campo dell’Oro ou à Sagone et dans la plaine du Liamone.

Côteau de Pietrarossa Septembre 1920 Encre et crayons de couleurs, 12,9 x 23,5 cm

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