La peinture à Ajaccio, 1890-1950

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Pierre Claude Giansily

La peinture à Ajaccio, 1890-1950

Bassoul – Canavaggio – Frassati E x p o s i t i o n a u L a z a r e t - O l l a n d i n i , A j a c c i o – 6 d é c e m b r e 2 0 0 8 •> 3 1 j a nv i e r 2 0 0 9

Association Le Lazaret Ollandini Colonna Édition


Cet ouvrage est disponible Ă la vente sur www.lazaretollandini.com


Pierre Claude Giansily

L

a peinture

à Ajaccio 1890-1950

Bassoul – Canavaggio – Frassati

Exposition au Lazaret Ollandini 6 décembre 2008 31 janvier 2009

Association Le Lazaret Ollandini Colonna Édition



S

ommaire

Première partie : La création artistique à Ajaccio de 1890 à 1950 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . e

1

Vie culturelle et artistique à Ajaccio à la fin du XIX siècle : 1890-1900 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3

La poursuite d’un certain engouement pour les arts : 1900-1914 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

11

La création de la galerie Bassoul en 1913

...............................................................

18

La grande vogue de la Corse et des artistes corses : années 1920-1930 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

21

Les années 1940 dans le domaine des arts à Ajaccio : léthargie contrainte et amorce d’un renouveau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Deuxième partie : Trois peintres de l’Ecole d’Ajaccio

..............................................................

49

Jean-Baptiste Bassoul (1875-1934), pionnier et promoteur de la peinture à Ajaccio et en Corse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

51

Jean Canavaggio (1884-1941), pédagogue et peintre sensible, au classicisme certain. . . . . . . . . . . 99 Dominique Frassati (1896-1947), réalisme, sentiment et grande force créatrice . . . . . . . . . . . . . . . . 131

Troisième partie Les peintres étrangers en Corse et à Ajaccio Chronologie

...............................................

181

.................................................................................................

191

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197



P

résentation

Par François Ollandini

Bassoul. Je connais ce nom depuis ma plus

où les murs exultaient. Je sais bien maintenant

tendre enfance.

qu’il n’y a qu’un seul monde. Mais s’il devait y en

Bassoul, galerie. Je savais depuis toujours qu’il

avoir un autre, ne serait-ce pas celui de l’art ? Et

y avait, de l’autre côté de la place, face au Lycée

l’artiste, lorsqu’il est puissant, n’est-il pas

Fesch que je fréquentais alors pour peu de temps,

créateur de ce nouveau monde ? Ne nous fait-il

un lieu, inconnu de moi, mais dont j’entendais

pas regarder notre monde autrement ? Regarder

parler autour de moi, en famille. J’en entendais

le monde, justement, avec les yeux de l’enfance ?

parler comme par effraction, par hasard, comme

Comme un monde enfin redevenu nouveau,

s’il ne fallait pas parler de ces « choses-là » devant

insolite, paradoxal. Ne nous fait-il pas naître de

les enfants, comme si c’était là un secret

nouveau ?

d’adultes. Comme si l’enfant que j’étais n’en

Bassoul, peintre. Le monde de Bassoul est bien

pouvait rien comprendre et n’aimer rien. Zone

un monde en soi. J’ai accroché une des étoiles

interdite. La religion, oui ; l’art, non.

de cet univers au-dessus de ma table de travail,

Il est dommage que je ne sois pas né quinze ans

au Lazaret, et je suis parti loin, très loin, avec ces

avant, alors que commençait l’aventure de « La

« Voiliers charbonniers », dès qu’ils ont été en

Corse Touristique » que mon grand-père

ma possession. Depuis, j’en ai acquis bien

maternel, François Pietri, avait éditée de 1924 à

d’autres. Ils deviendront, eux aussi, la nue-

1934. Dommage que cette aventure se soit

propriété du Musée Fesch dès sa réouverture,

terminée cinq ans avant ma naissance. Dommage

– pour Marie-Jeanne et moi, ils y sont déjà –

que mon grand-père soit décédé deux ans seule-

s’ajoutant à tous ceux que nous lui avons déjà

ment après ma naissance. Sinon, j’aurais connu

offerts.

cette effervescence, ce milieu de vie qu’a été la

Et me voici, aujourd’hui, devant un de ceux qui

galerie Bassoul dans les années vingt et trente,

me sont présentés, « La Treille » par exemple.

ce vivier de talents qu’il fréquentait assidûment

Un mur, une treille. Seulement un mur et une

et que j’aurais peut-être fréquenté avec lui.

treille. Mais il ne peut pas y avoir plus « mur »

Je ne suis donc jamais entré dans la galerie, mais

que ce mur-là. Mais il ne peut pas y avoir plus

je savais depuis toujours que, là-bas, il y avait un

« treille » que cette treille-là. Je ne saurais plus

endroit d’un autre monde, un antre d’exposition

voir un mur sans revoir le velouté de ce mur-là.


Je ne saurais plus voir une treille sans revoir la

les traits affirmés et les constructions solides de

vivacité de cette treille-là. Cela est. Cela a la

ce peintre dont j’ignorais tout des couleurs.

matérialité de la matière. Cela a la densité de ce

Me voici aujourd’hui devant plusieurs de ses

qui est toujours au présent. Oui, un monde. Plus

tableaux, et j’aime que, chez lui, la couleur le

réel que le réel. Plus vivant que le vivant. Un réel

dispute ainsi au dessin, s’impose à lui sans le faire

qui a déplacé l’autre. Qui a raturé l’autre. Un

disparaître, cherche dans l’autre couleur sa

vivant qui s’est ajouté, de grande manière, à

meilleure expression, et l’autre de même, pour

l’ensemble des vivants. Qui s’est substitué à

nous donner une palette ordonnée, à chaque fois

l’ensemble des autres vivants.

précise et riche, et toujours efficace. Dextérité,

Je passe d’une toile à l’autre, d’une étoile à l’autre.

sincérité, luminosité. Plus encore : il y a de la

Et à chaque fois la matière m’accroche, m’arrache

tendresse en lui, et ses tableaux nous le disent.

à mon monde et me fait pénétrer dans le sien.

Frassati, peintre. Voila le peintre de ma famille.

C’est fort, c’est violent. À peine levé le pied et je

Ma grand-mère maternelle, Adeline Pietri, en

décolle, propulsé vers une destination inconnue

possédait une quinzaine. Alors qu’elle avait tenu,

et pourtant posée devant moi. Un trou noir. Plus

avec rigueur et rondeur, une bijouterie-antiquité,

je m’approche, plus il m’accroche. Plus j’y

avenue du Premier Consul, véritable caverne

pénètre, plus il m’englue. Et cela sans fin si je le

d’Ali Baba où je me perdais, enfant, avec délice,

veux. Ici, tout est essentiel. Rien en trop, rien de

voilà que, lors de sa succession, la chose la plus

trop. Seulement ce qui est nécessaire et suffisant.

désirée, la plus appréciée fut de distribuer, avec

Une œuvre.

le plus d’équité, toutes ces petites merveilles. Que

Et, à chaque fois, pour revenir à mon monde,

l’on soit des Glory, des Ollandini, des Pietri, des

celui que j’ai quitté, c’est un arrachement. Et c’est

Pozzo di Borgo, des Ropion, ce que nous retenons

un désenchantement. De nouveau, les choses

de notre grand-mère, outre son cœur énorme et

diverses et insignifiantes. De nouveau, le trop

son sourire de madone, c’est bien sa collection

plein. La vie ordinaire. L’ordinaire de la vie.

de Frassati. Pour cette exposition, j’ai pu en

Canavaggio, peintre. Avant cette exposition, je

récupérer huit. J’aurais dû faire mieux.

n’avais vu aucun tableau de Canavaggio, mais ce

Frassati, est-il mon préféré, je ne sais. Mais, avec

peintre ne m’était pas inconnu. Comme bien

lui, il y a une atmosphère collective à la fois

d’autres, comme Bassoul, Bouchet, Brod, Chieze,

sereine et jubilatoire. Ce qui m’attire le plus chez

Corbellini, Corizzi, Cossard, Peri, Peyrot, Strauss,

lui ? Pas le portrait, pas le paysage, mais les gens.

je le connaissais même depuis longtemps, depuis

Qui ? Eux, vous, nous, qu’importe ! En quel

que je feuilletais et refeuilletais les revues de « La

temps ? Aujourd’hui, hier, avant-hier, qu’im-

Corse Touristique ». Il était l’un de ses « colla-

porte ! En quel lieu, qu’importe ! C’est toujours

borateurs artistiques ». Combien de fois

ici et maintenant. C’est tous les ici et tous les

m’étais-je arrêté sur l’une de ces reproductions

maintenant du monde. C’est de tous lieux et de

en noir et blanc, je ne sais. Mais j’avais alors aimé

tout temps. C’est toujours cette présence à l’être,


stupéfiante. C’est toujours cet oubli de soi pour

ferme, la fête au bord de l’eau, la fête partout. La

que l’autre existe. Avec Frassati, nous existons.

fête de la vie. La force de la vie. L’instinct de la

Nous lisons le journal, nous jouons aux cartes,

vie.

nous radoubons les filets, nous retournons au

Et de sa peinture. Vive, foisonnante, multiple,

village, ici la veillée, ici les musiciens, chants et

bariolée, carnavalesque, arlequine. Par sa

masques, violon et guitare, nous voici au marché,

peinture, nous sommes tous des tissus d’arlequin.

chez le barbier, sur la plage, au port, la prome-

Métissés, ensemble, heureux. Il y a, dans Frassati,

nade au parc, lecture à la campagne, perdus dans

une euphorie, une plénitude : cela s’appelle la joie

les coquelicots, au jardin, il fait si bon sous la

de vivre.

treille, nous dansons, frac et crinolines, nous

À laquelle, chacun est invité à participer.

suivons une procession, curés et pénitents, les communiantes, la fête au cabaret, la fête à la

François Ollandini



I

ntroduction

Par Pierre Claude Giansily

Le Lazaret Ollandini accueille aujourd’hui la troi-

tique et mystérieuse, belle et attachante avec des

sième exposition patrimoniale consacrée à la

accents parfois imités, jamais égalés.

peinture et aux peintres corses de la première XXe siècle.

Ce sont trois peintres de

Ils ont créé un courant qui apparaît comme une

l’École d’Ajaccio qui sont ainsi présentés, après

prise de conscience artistique nouvelle, la soli-

Léon Charles Canniccioni et Lucien Peri qui ont

darité se substituant à l’individualisme, pendant

bénéficié d’expositions particulières, en ce même

que chacun garde son style et son répertoire.

moitié du

lieu, en décembre 2006-janvier 2007 pour le premier et décembre 2007-février 2008 pour le

Le présent ouvrage évoque la création artistique

second.

à Ajaccio de 1890 à 1950 afin de présenter un panorama et dresser un inventaire de l’activité

Avec Bassoul, Canavaggio et Frassati, on décou-

artistique ; cette approche est notamment docu-

vre trois artistes et fortes individualités qui ont

mentée par référence aux envois aux Salons pari-

avancé sur le chemin qu’ils s’étaient fixés, mal-

siens et manifestations officielles de toute nature.

gré les difficultés et, parfois, les embûches. En même temps, ils appartiennent à un courant qui

Les années de la fin du XIXe siècle permettent de

a toute sa place dans la définition de l’identité

faire un état des lieux à Ajaccio « station d’hi-

corse telle qu’elle est conçue, avec ses antago-

ver » fréquenté par de nombreux étrangers, des-

nismes et ses diversités au cours de cette période.

tination recherchée, y compris par les peintres.

Cette École d’Ajaccio appartient bien évidem-

On appréciera ensuite la poursuite d’un certain

et

engouement pour les arts au cours des années

dont on cerne mieux aujourd’hui la

1900-1913 avant la période 1914-1919 qui consti-

ment à l’École Corse de peinture des XXe siècles

e

XIX

qualité et la vigueur.

tue à l’évidence une charnière dans de nombreux domaines d’activité. Au cours des années 1920-

Elle représente bien ce courant d’un réalisme

1930, c’est la grande vogue de la Corse et des

régional fondé sur les valeurs traditionnelles et

artistes corses. Le tourisme de masse prend son

les artistes qui la composent ont une place par-

essor et dans le même temps, les artistes affluent,

ticulière car ils ont su montrer une Corse authen-

peignant avec encore plus d’ardeur les paysages


et les habitants de l’Île de Beauté. À Ajaccio, ils

Ces artistes, et quelques autres, ont tenu toute

fréquentent la galerie Bassoul qui est sans

la place qui était la leur, notamment aux

conteste le lieu incontournable de rencontre et

moments les plus délicats de l’histoire de la

d’expression des peintres. Intervient ensuite, au

Corse, quand les circonstances n’étaient pas pro-

cours des années 1940 une certaine léthargie

pices pour les arts.

dans le monde des arts, prélude de l’amorce d’un renouveau de la création artistique qui prend son

La peinture de l’École d’Ajaccio a été en vogue à

essor au cours des années 1950.

Paris et au-delà des frontières nationales grâce à certaines de ses individualités. Elle a retrouvé

La deuxième partie de l’ouvrage présente trois

un regain d’intérêt il y a vingt ans ; elle méritait

des principaux artistes qui ont des destins indi-

l’hommage qui lui est rendu par cette exposition

viduels très marqués. En regardant la vie et l’œu-

et le visiteur et le lecteur de cet ouvrage aura le

vre de ces artistes, on voit à quel point leur place

plaisir de faire avec nous une découverte com-

est complexe ; en raison de leur personnalité, de

plète du travail de ces artistes.

la diversité de leurs talents et de leurs carrières. Ils sont présentés en suivant l’ordre chronolo-

Plaisir également de découvrir de nombreuses

gique de leur naissance : Jean-Baptiste Bassoul

œuvres appartenant aux collections du musée

(1875-1934), peintre décorateur de formation,

Fesch et dont une part importante provient de

excellent peintre de chevalet, pionnier et pro-

la donation François et Marie-Jeanne Ollandini,

moteur de la peinture à Ajaccio et en Corse est

réalisée en fin d’année 2007, augmentée en 2008

une figure de premier plan, de grande réputa-

par de très belles pièces des meilleurs peintres

tion. Jean Canavaggio (1884-1941), peintre bas-

corses. Enfin, cette exposition illustre le parte-

tiais et ajaccien se singularise par un classicisme

nariat entre l’institution ajaccienne et l’associa-

certain et une attitude très rigoureuse dans le

tion « Le lazaret Ollandini » qui voit son impor-

traitement de ses sujets. Dominique Frassati

tance s’accroître avec le temps, manifestation de

(1896-1947), peintre très attachant dont le réa-

la dynamique des efforts engagés pour la pro-

lisme et la grande force d’expression sont atta-

motion de l’histoire de la peinture corse.

chés à l’œuvre de celui qui fut conservateur des musées de la ville et qui marque de son empreinte

Pierre Claude Giansily

la peinture à Ajaccio dans les années 1930-1940.

Commissaire de l’exposition


P

remière partie

La création artistique

à Ajaccio de 1890 à 1950



V

Vie culturelle et artistique à Ajaccio à la fin du XIXe siècle : 1890-1900 Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle,

lieux, pour certains chargés d’histoire, et de

la Corse enregistre une importante poussée

belle qualité esthétique et au contenu artis-

démographique. Ajaccio et Bastia connaissent

tique de choix. La bibliothèque municipale est

un essor particulièrement visible dans le

un de ces lieux. Elle est située dans l’aile

domaine de l’urbanisme et de l’architecture. De

gauche du palais Fesch construite en 1850 aux

nouveaux équipements publics sont construits

frais de la ville pour l’installation de la biblio-

pour répondre aux besoins liés à l’évolution

thèque. Jouxtant la bibliothèque, le Musée

du temps et les progrès techniques amènent des

Fesch et ses collections enrichies par plusieurs

transformations dans le mode de vie des habi-

dons importants est un lieu de qualité, selon

tants. La vie sociale, artistique et intellectuelle

les normes de l’époque ; ouvert au public le

connaît aussi un grand essor. Localement, les

jeudi et le dimanche de midi à quatre heures,

évolutions sont menées par quelques person-

près de six cents tableaux y sont exposés dans

nalités qui, parmi d’autres, se voient confier la

huit salles, sans logique affichée, collés les uns

responsabilité de certaines institutions ou la

aux autres, couvrant toutes les parois. Près du

mise en service de nouvelles structures.

musée, la chapelle impériale qui forme l’aile droite du Palais Fesch ; l’architecte ajaccien

e

1. La saison débute le 1er novembre pour s’achever le 30 avril. 2. Parmi les principales nationalités : les Anglais et les Allemands. 3. Dans une nouvelle salle ouverte au public en 1898 outre de nombreux objets liés à l’histoire de l’empereur, le visiteur peut admirer une précieuse collection de médailles. En 1900, la parution du Catalogue des tableaux, statues, bustes, médailles, meubles du Musée de l’Hôtel de Ville d’Ajaccio, réalisé par François Peraldi constitue un outil de référence sur les richesses de ce musée.

À la fin du XIX siècle, Ajaccio « station d’hi-

Jérôme Maglioli a apporté son concours à

ver » 1, connaît une importante fréquenta-

l’exécution de ce monument qui présente une

2

tion touristique, notamment étrangère .

belle allure, avec l’ensemble ainsi formé avec

Destination vantée par les guides français et

le musée et la bibliothèque. La maison natale

étrangers, les magazines nationaux, les

de Napoléon 1er est partiellement meublée, peu

affiches de transports maritimes, la ville se

décorée. À partir de 1900, une des attractions

transforme et se modernise. C’est près d’un

de la visite est la couronne en or réalisée par

millier d’hivernants, en fait souvent une clien-

l’orfèvre parisien Alexis Falize (1811-1898),

tèle aisée et au goût artistique assuré, qui

financée par souscription publique en 1899,

séjourne dans la ville et le chiffre de mille est

et offerte à la ville à l’occasion du centenaire

atteint en 1901. En matière de patrimoine

du consulat. Le Musée de l’Hôtel de Ville, mal-

artistique, le touriste peut visiter à Ajaccio des

gré son exiguïté présente de beaux objets 3.

3


La peinture à Ajaccio 1890-1950 : Bassoul, Canavaggio, Frassati

Autre lieu, en relation avec l’histoire Napoléonienne, le château de la Punta, situé

Les acteurs de la vie artistique et les artistes ajacciens

près d’Ajaccio. Le théâtre municipal Saint Gabriel (actuelle Poste, cours Napoléon) est ouvert durant la saison d’hiver et propose des

Les acteurs de la vie culturelle et intellec-

spectacles de qualité, comme en 1901, quand

tuelle : écrivains, musiciens, artistes,

la troupe Amendo donne une série de repré-

mécènes, organisateurs, amateurs d’art… sont

sentations de comédies italiennes qui attirent

suffisamment nombreux pour que la ville

la foule. Ajaccio bénéficie d’une certaine ani-

connaisse une certaine animation et que le

mation avec les réceptions à la préfecture, à

public perçoive des évolutions sensibles. À

la mairie et chez les notables en vue. Pour

la fin du siècle, à Ajaccio, on peut rencontrer

les arts, des soirées sont données régulière-

des peintres expérimentés qui ont reçu un

ment en ville, comme celle du 6 février 1889,

enseignement artistique dans les meilleures

dans les grands Salons de la mairie, au béné-

écoles de Rome, de Florence ou de Paris, qui

fice de la société des Amis des Arts en voie

maîtrisent parfaitement les techniques pic-

de formation 4. On y apprécie le talent dans

turales et connaissent tous les genres et styles.

leur interprétation de la musique classique de

Ces peintres rentrés en Corse après leur for-

MM. Casile et de Mme de la Rocca, épouse du

mation, demeurent attachés aux valeurs clas-

peintre Alfred de la Rocca, lui-même chan-

siques qui leur ont été enseignées. On observe

teur de talent. Il manque cependant un casino

la concurrence toujours plus forte de la pho-

municipal (qui sera inauguré en décem-

tographie, et les gens qui ont un certain goût

bre 1928) ; parmi d’autres distractions, les

et quelques moyens peuvent avoir pour bien

courses qui se déroulent à l’hippodrome de

moins cher, une merveilleuse épreuve pho-

Vignetta, à la sortie Sud d’Ajaccio. Les étran-

tographique. Les peintres ajacciens tiennent

gers cherchent bien évidemment une vie cul-

une place particulière. Bien qu’ils soient rela-

turelle et artistique, même s’ils savent

tivement peu nombreux, ils jouissent d’une

qu’Ajaccio ne leur offrira pas les mêmes pos-

considération toute particulière des ajacciens.

sibilités et qualité que certaines stations de

Ils ont chacun une spécialité : peintres déco-

la Côte d’Azur ou de la Riviera italienne.

rateurs, peintres paysagistes ou portraitistes, peintres photographes. Parmi les peintres décorateurs : Philippe Bassoul et Novellini. Philippe Bassoul (1835-1895), fils d’un gendarme originaire de Montauban, nommé en Corse au début du siècle à Morosaglia où il s’est marié et installé, part à Montauban apprendre le métier de peintre décorateur

4

4. Cette société a bien du mal à se mettre en place, malgré les efforts prodigués par De la Rocca.


Vie culturelle et artistique à Ajaccio à la fin du

e

siècle : 1890-1900

avant de revenir en

Paul-Mathieu Novellini (1831-1918), est

Corse et de s’installer

formé en Corse par Brunetti puis, à Paris, où il

à Ajaccio vers 1860.

est l’élève de Gleyre ; il revient en Corse sans

À cette période de

doute en 1866. Sa production est abondante :

très nombreux pein-

lithographies 5, peintures religieuses, paysages,

tres

décorateurs

travaux de décoration ; il a beaucoup œuvré

sont en activité en

en faveur de l’art par ses écrits, nombreux et variés. Il a favorisé l’éveil de jeunes talents, gar-

Corse : Benvenuti,

çons et filles, dans son cours libre de dessin et

Bouchez,

de peinture ouvert, rue du docteur Versini, à

Domenico Desanti, les frères

Ajaccio vers 1870. Novellini est un personnage

Natale Gilbert Autoportrait de Philippe Bassoul (vers 1880) Musée Fesch, Ajaccio Donation famille Bassoul Huile sur toile, 50 x 35 cm

XIX

Paul-Baptiste

très populaire en Corse et à Ajaccio en parti-

Profizi. Cette abondance d’artistes crée une

culier. Il contribue largement à faire connaî-

émulation et garanti une grande qualité des

tre des artistes et des œuvres de qualité ; Il

travaux exécutés, à une période où la

milita pour la création d’un musée à Bastia,

demande est forte. Philippe Bassoul réalisera

dont le fonds aurait été complété par les dons

des travaux de décoration dans l’église de

d’œuvres d’artistes ayant bénéficié d’une aide

Bisinchi, la chapelle du couvent de Vico, la

pour leur formation 6. Il est l’auteur du

cathédrale d’Ajaccio, où la décoration a été

Catalogue des œuvres remarquables de pein-

reprise par la suite. On lui doit également le

ture, sculpture etc. qui se trouvent dans les

plafond de l’Hôtel de Ville d’Ajaccio, l’entrée

églises et autres monuments publics ainsi que

de l’hôtel Germania, actuellement au 20,

dans les maisons particulières de la Corse suivi

Cours Grandval, ouvert en 1869 ; la salle de

par des notices sur la vie et les œuvres des

réception du Grand hôtel d’Ajaccio et

artistes corses ayant un titre officiel, publié à

Continental,

Bastia en 1911.

Gillio,

Novellini,

©Musée Fesch, Ajaccio. DR

édifié

par

l’architecte

Barthélemy Maglioli (1894). À la demande des propriétaires, il fait des travaux dans des appartements à Ajaccio. Les sujets les plus souvent demandés sont la décoration de plafonds : ciels, angelots, et décorations 5. Novellini a fait plusieurs envois au Salon de Paris entre 1872 et 1879. Novellini s’occupe aussi de commercialiser ses lithographies qui figurent dans toutes les mairies et écoles de Corse. 6. « Beaux-Arts, création d’un musée à Bastia », Ajaccio, imprimerie nouvelle Robaglia & Zevaco, 1897 ; le même article dans le « Petit bastiais » du 23 avril 1897.

murales, avec des motifs de décoration classiques. Philippe Bassoul est également excellent peintre de chevalet comme en témoignent les tableaux parvenus jusqu’à nous dont le portrait de sa femme et son autoportrait. Novellini. Corsica Huile sur toile, 18 x 16, 8 cm. ©Claude Giansily

5


La peinture à Ajaccio 1890-1950 : Bassoul, Canavaggio, Frassati

6

Parmi les peintres connus pour l’exécution

sant preuve d’une grande qualité d’analyse

de paysages, genre relativement peu à la

pour l’attribution de certaines œuvres.

mode dans les années 1870-1880, François

Excellent portraitiste : Portrait de la mère

Peraldi (1843-1916), qui effectue ses pre-

de l’artiste, (musée Fesch, Ajaccio), pein-

mières études artistiques à l’Académie de

tre des scènes de la vie : Les vendeuses de

Florence, puis à Paris, en 1867, où il suit

lait, rue Chiappe à Ajaccio, 1876 ; Au cime-

les cours de l’atelier Gleyre. En 1884, il

tière

adresse au Salon des Indépendants Le

aujourd’hui pour son remarquable tableau

musée ; en 1889, il est sociétaire des Artistes

intitulé Le port d’Ajaccio en 1882, (musée

français. Peraldi est nommé, le 9 mai 1876,

Fesch, Ajaccio) qui constitue un témoignage

conservateur du musée Fesch, poste qu’il

faisant date sur la vie du port avec ses per-

occupe jusque dans les années 1910. Il a réa-

sonnages au premier plan, ses bateaux et la

lisé de nombreux travaux sur les œuvres

physionomie de cette partie de la ville et

conservées dans les musées de la ville fai-

ses immeubles aux façades colorées.

d’Ajaccio,

Peraldi

est

connu

François Peraldi. Le port d’Ajaccio en 1882 Musée Fesch, Ajaccio Huile sur toile, 75 x 85 cm ©Musée Fesch, Ajaccio. JF Paccosi


Vie culturelle et artistique à Ajaccio à la fin du

XIX

e

siècle : 1890-1900

Alfred de la Rocca Rivière de Cristinacce en octobre Salon de 1897, Musée Fesch, Ajaccio Huile sur toile, 153 x 200 cm ©Musée Fesch, Ajaccio. Sylvain Alessandri

Alfred de la Rocca (1855-1915), qui se par-

serein. Ce type de vue panoramique sera

tage entre Bordeaux et la Corse est aussi un

adopté par les peintres affichistes (comme

artiste de premier plan. Il est, à la fin du siè-

Dellepiane en 1904 et 1905) et par les photo-

cle, le peintre qui représente le plus souvent

graphes pendant des dizaines d’années.

la Corse au Salon de Paris et dans les Salons

7. Jean-Luc Multedo (18121894) présente sa Forêt de Valdoniello, à Paris au Salon de 1866. Cette toile achetée par l’État pour la somme de 1 000 francs est envoyée au Musée d’Ajaccio cette même année 1866. 8. Pierre Bodoy sera élu maire d’Ajaccio en 1900.

de province. Il peint la montagne corse : Les

Parmi d’autres peintres, A. Petrocchi,

châtaigniers d’Evisa (Corse) par une belle

artiste amateur bien connu à Ajaccio qui fait

journée de décembre (Salon des Artistes fran-

des copies de peintures exposés au musée

çais de 1890), Rivière de Bastelica en juin

Fesch dont la Forêt de Valdoniello par Jean-

(Salon de 1892) ; sa grande peinture Rivière

Luc Multedo 7. Il a également exécuté une

de Cristinacce en octobre (Salon de 1897,

grande Vue d’Ajaccio datée 1898, choisis-

musée Fesch, Ajaccio), confirme sa manière

sant un endroit parmi les plus typiques de la

de voir la Corse avec un certain aspect de

ville sur une des promenades particulière-

grandeur de rudesse et de mystère, et quand

ment prisée des touristes et hivernants. Paul

il peint le Golfe d’Ajaccio (musée des Beaux-

Casile présente régulièrement ses œuvres

Arts de Bordeaux), il présente la ville et la

dans les vitrines du magasin tenu par Pierre

vaste étendue qui l’environne à partir de ses

Bodoy grand amateur d’art 8. Casile expose

hauteurs, sous son plus bel aspect naturel et

également en 1898 et 1899 à la bibliothèque

7


La peinture à Ajaccio 1890-1950 : Bassoul, Canavaggio, Frassati

municipale d’Ajaccio en même temps que

largement peints, d’une

Capponi et Corbellini ; en mars 1899, il pré-

couleur chaude, bril-

sente des vues d’Ajaccio et de ses environs :

lante et harmonieuse

Vue d’Ajaccio, Chevaux à la baignade Scudo,

en même temps. Son

Rochers à Barbicaja, et des natures mortes 9 :

chef-d’œuvre c’est le

Vieux livres, Le déjeuner, Lapin, Fraises et

Portrait en pied,

cerise. Jean Spoturno, élève de Novellini

grandeur naturelle

est ensuite fonctionnaire dans l’administra-

de Mme Rose Sanvito

tion des domaines à Ajaccio et peint en ama-

Alata, rentière à Vico ».

teur. Il se lie d’amitié avec Bassoul au début

Aglaë Meuron est égale-

des années 1900, quand celui-ci revient de

ment paysagiste. Elle a laissé

Paris et il bénéficie de ses conseils et encou-

de très nombreuses vues de Corse, la

ragements. Novellini indique que « son

plupart à l’aquarelle, réalisées avec une

tableau peint à l’huile, représentant la ville

grande maîtrise : Bavella, Bastelica, Piana,

de Saugues a été admis au Salon du Puy avec

Vico, Cargèse, Calenzana.

Aglaë Meuron Portrait de la veuve Marti Musée Fesch, Ajaccio Huile sur toile, 65 x 63 cm ©Musée Fesch, Ajaccio. Sylvain Alessandri

mention honorable ». Les peintres photographes ont été nombreux La plus réputée, parmi les peintres portrai-

en Corse à partir de 1870. Le plus connu à

tistes à Ajaccio, est incontestablement Aglaë

Ajaccio, et sans doute le plus talentueux des

10

(1836-1925), qui a eu le privilège,

photographes est Laurent Cardinali (1853-

en 1856, à vingt ans, de pouvoir accomplir des

1935), formé à Paris puis à Nice, par Albert et

études à l’École des Beaux-Arts de Paris où

Ferret 13. Parmi les peintres photographes, on

elle travaille dans l’atelier de Baudry. Revenue

a recensé Touranjon. Plusieurs membres de

en Corse, c’est tout naturellement à Ajaccio

la famille Touranjon installée à Ajaccio au début

qu’elle s’installe pour exercer son art. Elle

du siècle exercent ce métier. Joseph Alexandre

vit avec ses deux sœurs, dont une épousera

Touranjon (1844-1918) a son atelier au 3, place

Timothée Landry, magistrat à Ajaccio, éga-

du Diamant ; il est en relation avec Dominique

Meuron

11

lement d’origine suisse . Aglaë Meuron est

Paccioni, peintre et photographe, installé près

réputée pour ses portraits, genre sérieuse-

de lui, rue de l’hôpital militaire. Il y a aussi la

ment concurrencé par la photographie à la fin

concurrence de la reproduction en série comme

du XIXe siècle et au début du XXe car à Ajaccio

les portraits des célébrités corses 14 proposés en

et sa région existait une clientèle importante

1888 par Cortegiani, artiste peintre, à des prix

et les familles aimaient faire peindre des por-

modiques : cinq francs le grand format et trois

12

8

traits des leurs . Novellini nous la présente

francs le petit format et Le Moniteur de la Corse

comme un « peintre bien connu et apprécié

du 28 janvier 1888 précise que « ces portraits,

du public cultivé par ses nombreux portraits

dont les originaux sont peints à l’huile, doivent

9. Genre assez peu traité par les artistes corses et qui sera aussi rarement abordé au cours de la période 19001950, selon notre connaissance actuelle de la question. 10. Elle est issue d’une famille d’origine suisse installée en Corse depuis le XVIIe siècle : son grand-père était dans l’équipe d’architectes qui édifia les bâtiments de l’enceinte de la Citadelle d’Ajaccio. 11. Elle sera ainsi la tante d’Adolphe Landry, personnage célèbre à Ajaccio pendant l’entre-deux-guerres. 12. On connaît ainsi le portrait en pied de Mlle Laurence Bosc, celui du Comte Pozzodi-Borgo, le portrait de Mlle Ambrosini (de Bastelica), les portraits des sœurs Sampolo. 13. Installé à Ajaccio dès 1876, il n’hésite pas à quitter son atelier pour photographier paysages, métiers, personnages et événements. Ses photographies sont remarquées aux expositions nationales et internationales. 14. Sambucuccio, Sampiero, Christophe Colomb, Paoli, Napoléon.


Cet ouvrage est disponible Ă la vente sur www.lazaretollandini.com


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