Interview: Gilles Vonsattel

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LAURÉATS LAUREATES

INTERVIEW DE GILLES VONSATTEL INTERVIEW OF GILLES VONSATTEL

GILLES VONSATTEL MEMBRE DU JURY DE PIANO 2022 PAR ANYA LEVEILLÉ

GILLES VONSATTEL MEMBER OF THE PIANO JURY 2022 BY ANYA LEVEILLÉ

GILLES VONSATTEL : LE CONCOURS DE GENÈVE COMME UN VOYAGE

GILLES VONSATTEL: THE CONCOURS DE GENÈVE AS A JOURNEY

Après avoir remporté en 2006, à l’âge de 26 ans, le 2e prix au Concours de Genève, le pianiste américain d’origine suisse Gilles Vonsattel retrouve cette compétition en tant que membre du jury. Il évoque cette épopée et ses retombées pour sa carrière, certaines évidentes, d’autres insoupçonnées.

After winning 2nd Prize at the Concours de Genève in 2006 at the age of 26, Swiss-American pianist Gilles Vonsattel is back as a member of the jury. He reflects on this adventure and the different ways – some obvious, others less so – the competition affected his career.

Le Concours de Genève a-t-il joué un rôle important dans le développement de votre carrière ? Ce qui a été très important pour moi, c’est le fait que le Concours de Genève m’a ouvert des portes en Europe, non seulement sur le plan professionnel, mais aussi créatif et esthétique. Grâce au Concours, j’ai rencontré des musiciens fantastiques, des explorateurs qui avaient un vrai sens du style dans des répertoires variés. J’avais bien sûr déjà acquis une technique solide et développé une vision musicale, mais en rencontrant ces musiciens à Genève, j’ai pu affiner mon interprétation de Mozart ou des répertoires contemporains. De manière plus indirecte, après le Concours, j’ai participé à des concerts qui m’ont permis ensuite de travailler et jouer avec Heinz Holliger, une figure légendaire et un esprit créatif qui sera toujours pour moi une sorte de lumière. Concrètement, quels projets vous ont-ils été proposés après votre prix ? Il y a eu, bien sûr, des conséquences directes : des concerts, un enregistrement ou encore l’aide que m’a apportée le pianiste français Philippe Cassard, qui était membre du jury. Mais les retombées indirectes ont aussi été nombreuses. Il est arrivé que quelqu’un m’entende, soit sur le disque que j’avais enregistré après le Concours, soit dans le cadre d’un concert en lien avec la compétition, et me recommande ensuite pour un projet spécifique… C’est ce qu’on appelle l’effet domino. Je dirais que lorsqu’on participe

Did the Concours de Genève play an important part in your career? The Concours de Genève opened new doors for me in Europe, not only on a professional level, but also creatively and aesthetically. The competition allowed me to meet some fantastic musicians, explorers with a true sense of style in a variety of repertoires. I had already built up a solid set of technical skills and developed my own musical vision by that time, but meeting these musicians in Geneva helped me refine my interpretation of Mozart, for instance, and changed the way I approached contemporary repertoires. Less directly, after the competition, I was engaged for a series of concerts that led me to work with Heinz Holliger, a legendary figure and a creative mind that will always remain a beacon to me. What specific projects did you get involved in as a result of the award? There were the direct repercussions, of course: a few concerts, a recording, and the support of French pianist Philippe Cassard, a member of the jury at the time. But the indirect impact on my career was just as important. Someone might have heard me on the recording I made as a result of the Concours, or in a concert related to the competition, and recommended me for a specific project. It’s what you call a ripple effect. I think that when you take part in this type of competition, the most meaningful connections are the indirect ones, because they can still have


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à une compétition de ce genre, ce sont ces connexions indirectes qui sont les plus importantes, car elles peuvent entraîner des répercussions longtemps après. J’ai enregistré récemment, avec le Berner Symphonieorchester dirigé par Mario Venzago, un disque consacré à un répertoire très original, avec des concertos pour la main gauche de Richard Strauss et de Kurt Leimer. Cet album a été sélectionné pour le prix ECHO Klassik dans deux catégories ; c'est vraiment fantastique ! Or, ce projet a eu lieu grâce au Concours de Genève, même si seize années se sont écoulées entre l’obtention de mon prix et l’enregistrement de ce disque. Par rapport à d’autres compétitions auxquelles vous avez participé, quelles sont les spécificités du Concours de Genève ? Quand je me suis présenté, en 2006, on devait montrer une polyvalence et une flexibilité considérables. Il fallait pouvoir jouer des musiques très diverses, être à l’aise dans des styles différents : du concerto de Mozart accompagné par un quatuor à cordes jusqu’à la finale avec un orchestre. Il fallait aussi faire ses preuves en tant que chambriste. Durant le concours, j’ai joué de la musique contemporaine, du Xenakis... Il me semble que l’interprétation d’une pièce vraiment moderne était imposée aux candidats (car à l’époque, on voyait aussi des gens jouer du Debussy en prétendant que c’était de la musique moderne). La défense de la musique contemporaine fait partie des valeurs défendues par le Concours de Genève, et je pense que c’est un élément très important pour l’identité de la compétition. Quand vous participez à un jury, quelles sont les qualités que vous recherchez chez les candidats ? Les pianistes qui participent à une telle compétition ont, bien évidemment, toutes et tous, un très haut niveau, tant technique que musical, mais pour se distinguer des autres, il faut développer une « voix » individuelle. En les écoutant, on doit se poser des questions comme : « Qu’est-ce que cette personne fait sur scène ? Qu’est-ce qu’elle amène au répertoire qu’elle interprète ?», etc. Je suis donc très sensible

INTERVIEW INTERVIEW

an impact long after the fact. For example, I recently made a recording with the Bern Symphony Orchestra under the direction of Mario Venzago. The album, which showcases a highly original repertoire, Richard Strauss and Kurt Leimer’s concertos for the left hand, has been selected by the ECHO Klassik award in two categories, which is fantastic ! And even though sixteen years separate my award and the recording of that album, the project came to be thanks to the Concours de Genève. What is specific about the Concours de Genève, compared with other competitions you have taken part in? In 2006, participants had to be extremely versatile and flexible. You had to be able to play very different types of music and be comfortable in a variety of styles, say from a Mozart concerto with a string quartet to a finale with a large orchestra. You also had to prove yourself as a chamber musician. During the competition, I played a contemporary piece by Xenakis… I think it was mandatory for the candidates to interpret something truly modern (though back then, some people chose to play Debussy, claiming it was modern). Promoting contemporary music is one of the core values of the Concours de Genève and I think that’s an important aspect of the competition. As a jury member, what sort of qualities do you look for in the candidates? The pianists that take part in this type of competition have all achieved a very high level, both technically and musically speaking. But in order to stand out you need to develop your individual “voice”. When you listen to them you have to ask questions like, what is this person doing on stage? What do they bring to the repertoire they’re interpreting? And so on. I’m very much on the lookout for that individual “voice”, but the interpreter also has to be able to “express” the music with sincerity. When you’re on stage, it’s very difficult to “say” something authentic, something that can touch every member of the audience: not only the specialists that have studied music, but also


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à cette « voix » personnelle, mais il faut aussi l’interprète puisse « exprimer » de manière sincère la musique. Il est très difficile, quand on est sur scène, de « dire » quelque chose de vrai, qui touche tout le monde dans la salle : non seulement des personnes érudites, qui ont étudié la musique, mais aussi toutes celles qui n’ont jamais entendu ces œuvres ; Et ça, c’est une qualité essentielle chez un interprète. Pensez-vous que la participation aux concours internationaux reste une étape importante pour les jeunes interprètes qui se destinent à une carrière de concertiste ? Je pense que pour les musiciens doués qui ne sont pas dans le « système », autrement dit, des artistes qui ne viennent pas d’une famille de musiciens professionnels ou qui ne connaissent pas des gens importants dans le « business », c’est la seule façon de se présenter et de se faire connaître. En s’inscrivant à un concours, il faut, bien entendu, être préparé à l’échec. Celles et ceux qui se lancent dans ces compétitions en étant convaincus qu’ils vont l’emporter ne comprennent évidemment rien aux mathématiques et aux statistiques ! Il faut plutôt concevoir la participation aux concours comme une occasion sans pareil de progresser. Durant les épreuves, on est poussé à la limite de la perfection, on constate jusqu’où on est capable d’aller. Il y a une pression énorme, beaucoup d’adrénaline… Comment réagit-on face à une telle pression ? Il est très important en tant qu’artiste, en tant que musicien, mais aussi en tant qu’être humain, d’observer ce qui se passe à l’intérieur de soi dans ces moments-là. Je pense que comme voyage, comme découverte, la participation aux concours est une étape très importante et même nécessaire, surtout pour les pianistes, qui ont moins de débouchés professionnels que d’autres musiciens classiques. Par ailleurs, comme le monde musical classique est, malgré tout, assez petit – tout le monde se connaît, de près ou de loin –, les concours offrent la possibilité aux jeunes artistes qui ne sont pas encore dans le « circuit » de se faire connaître et d’exprimer des idées nouvelles.

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all the people that hear the piece for the first time. That is an essential quality for a musician. Do you think international competitions remain an important step for young interpreters wishing to embark on a concert career? For gifted musicians who aren’t a part of the “system”, meaning people that weren’t born into a family of professional musicians, or aren’t yet well connected in the “business”, competitions remain the only way to showcase their work and make themselves known. Of course when you participate in a competition you have to be ready to accept failure. If you sign up expecting to win, you haven’t really understood anything about statistics and probability! Participating in a competition should be seen as a major opportunity to progress. It pushes the limits of your skills and shows you how far you can go. The pressure is enormous, and there’s a huge amount of adrenaline. How does one react to so much pressure? As an artist, as a musician, but also as a human being, it’s extremely important to be aware of what’s going on inside of you in situations like that. I see participating in competitions as a kind of journey, an opportunity for discovery. I see it as an important step, maybe even an essential one, especially for pianists, who face a bigger challenge in terms of career opportunities than other classical musicians. Also, the world of classical music is relatively small, and everyone knows each other. Competitions are an opportunity for emerging artists that aren’t yet a part of the circuit to introduce themselves and to express fresh ideas.


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